Marcel Proust
La Prisonnière -- [La prisionera]
Edición bilingüe, francés-español, de Miguel Garci-Gomez
-- --

La Prisonnière

La prisionera

CHAPITRE PREMIER

Vie en commun avec Albertine

I

Dès le matin, la tête encore tournée contre le mur, et avant d′avoir vu, au-dessus des grands rideaux de la fenêtre, de quelle nuance était la raie du jour, je savais déjà le temps qu′il faisait. Les premiers bruits de la rue me l′avaient appris, selon qu′ils me parvenaient amortis et déviés par l′humidité ou vibrants comme des flèches dans l′aire résonnante et vide d′un matin spacieux, glacial et pur ; dès le roulement du premier tramway, j′avais entendu s′il était morfondu dans la pluie ou en partance pour l′azur. Et, peut-être, ces bruits avaient-ils été devancés eux-mêmes par quelque émanation dait une trplus rapide et plus pénétrante qui, glissée au travers de mon sommeil, y répanistesse annonciatrice de la neige, ou y faisait entonner, à certain petit personnage intermittent, de si nombreux cantiques à la gloire du soleil que ceux-ci finissaient par amener pour moi, qui encore endormi commençais à sourire, et dont les paupières closes se préparaient à être éblouies, un étourdissant réveil en musique. Ce fut, du reste, surtout de ma chambre que je perçus la vie extérieure pendant cette période. Je sais que Bloch raconta que, quand il venait me voir le soir, il entendait comme le bruit d′une conversation ; comme ma mère était à Combray et qu′il ne trouvait jamais personne dans ma chambre, il conclut que je parlais tout seul. Quand, beaucoup plus tard, il apprit qu′Albertine habitait alors avec moi, comprenant que je l′avais cachée à tout le monde, il déclara qu′il voyait enfin la raison pour laquelle, à cette époque de ma vie, je ne voulais jamais sortir. Il se trompa. Il était d′ailleurs fort excusable, car la réalité même, si elle est nécessaire, n′est pas complètement prévisible. Ceux qui apprennent sur la vie d′un autre quelque détail exact en tirent aussitôt des conséquences qui ne le sont pas et voient dans le fait nouvellement découvert l′explication de choses qui précisément n′ont aucun rapport avec lui. Muy de mañana, mirando todavía a la pared y sin haber visto aún el matiz de la raya del día sobre las grandes cortinas de la ventana, sabía ya qué tiempo hacía. Me lo decían los primeros ruidos de la calle, según llegaran amortiguados y desviados por la humedad o vibrantes como flechas en el aire resonante y vacío de una mañana espaciosa, glacial y pura; en el paso del primer tranvía notaba yo si rodaba aterido en la lluvia o iba camino del azur. Y acaso a estos ruidos se había anticipado alguna emanación más rápida y más penetrante que, filtrándose en mi sueño, le infundía una tristeza que presagiaba la nieve o bien hacía entonar en él a cierto pequeño personaje intermitente tan numerosos cánticos a la gloria del sol, que acababan por provocar en mí, dormido aún, con un asomo de sonrisa y dispuestos los párpados cerrados a dejarse deslumbrar, un estrepitoso despertar en música. En aquella época, yo percibía la vida exterior sobre todo desde mi cuarto. Sé que Bloch contó que, cuando iba a verme por la noche, oía un rumor de conversación. Como mi madre estaba en Combray y él no encontraba nunca a nadie en mi habitación, dedujo que hablaba solo. Cuando, mucho más tarde, supo que Albertina vivía entonces conmigo y comprendió que la escondía de todo el mundo, dijo que por fin veía la razón de que, en aquella época de mi vida, nunca quisiera salir. Se equivocaba. Pero era muy disculpable, pues la realidad, aunque sea necesaria, no es completamente previsible; los que se enteran de algún detalle exacto sobre la vida de otro sacan en seguida consecuencias que no lo son y ven en el hecho recién descubierto la explicación de cosas que precisamente no tienen ninguna relación con él.
Quand je pense maintenant que mon amie était venue, à notre retour de Balbec, habiter à Paris sous le même toit que moi, qu′elle avait renoncé à l′idée d′aller faire une croisière, qu′elle avait sa chambre à vingt pas de la mienne, au bout du couloir, dans le cabinet à tapisseries de mon père, et que chaque soir, fort tard, avant de me quitter, elle glissait dans ma bouche sa langue, comme un pain quotidien, comme un aliment nourrissant et ayant le caractère presque sacré de toute chair à qui les souffrances que nous avons endurées à cause d′elle ont fini par conférer une sorte de douceur morale, ce que j′évoque aussitôt par comparaison, ce n′est pas la nuit que le capitaine de Borodino me permit de passer au quartier, par une faveur qui ne guérissait en somme qu′un malaise éphémère, mais celle où mon père envoya maman dormir dans le petit lit à côté du mien. Tant la vie, si elle doit une fois de plus nous délivrer d′une souffrance qui paraissait inévitable, le fait dans des conditions différentes, opposées parfois jusqu′au point qu′il y a presque sacrilège apparent à constater l′identité de la grâce octroyée ! Cuando ahora pienso que mi amiga, a nuestro regreso de Balbec, fue a vivir bajo el mismo techo que yo, que renunció a la idea de hacer un viaje, que su habitación estaba a veinte pasos de la mía, al final del pasillo, en la sala de tapices de mi padre, y que todas las noches, muy tarde, antes de dejarme deslizaba su lengua en mi boca, como un pan cotidiano, como un alimento nutritivo y con el carácter casi sagrado de toda carne a la que los sufrimientos que por ella hemos padecido han acabado por conferirle una especie de dulzura moral, lo que evoco inmediatamente por comparación no es la noche que el capitán De Borodino me permitió pasar en el cuartel, por un favor que, en suma, sólo curaba un malestar efímero, sino aquélla en que mi padre envió a mamá a dormir en la pequeña cama junto a la mía. Hasta tal punto la vida, cuando tiene una vez más que librarnos, contra toda previsión, de sufrimientos que parecían inevitables, lo hace en condiciones diferentes, opuestas a veces, tanto que hay casi un sacrilegio aparente en comprobar la identidad de la gracia concedida.
Quand Albertine savait par Françoise que, dans la nuit de ma chambre aux rideaux encore fermés, je ne dormais pas, elle ne se gênait pas pour faire un peu de bruit, en se baignant, dans son cabinet de toilette. Alors, souvent, au lieu d′attendre une heure plus tardive, j′allais dans une salle de bains contiguë à la sienne et qui était agréable. Jadis, un directeur de théâtre dépensait des centaines de mille francs pour consteller de vraies émeraudes le trône où la diva jouait un rôle d′impératrice. Les ballets russes nous ont appris que de simples jeux de lumières prodiguent, dirigés là où il faut, des joyaux aussi somptueux et plus variés. Cette décoration, déjà plus immatérielle, n′est pas si gracieuse pourtant que celle par quoi, à huit heures du matin, le soleil remplace celle que nous avions l′habitude d′y voir quand nous ne nous levions qu′à midi. Les fenêtres de nos deux salles de bains, pour qu′on ne pût nous voir du dehors, n′étaient pas lisses, mais toutes froncées d′un givre artificiel et démodé. Le soleil tout à coup jaunissait cette mousseline de verre, la dorait et, découvrant doucement en moi un jeune homme plus ancien, qu′avait caché longtemps l′habitude, me grisait de souvenirs, comme si j′eusse été en pleine nature devant des feuillages dorés où ne manquait même pas la présence d′un oiseau. Car j′entendais Albertine siffler sans trêve : Cuando Albertina se enteraba por Francisca de que, en la noche de mi cuarto con las cortinas cerradas todavía, no dormía, no se cuidaba de no hacer un poco de ruido, al bañarse, en su tocador. Entonces, en vez de esperar a una hora más tardía, yo solía ir a mi cuarto de baño, contiguo al suyo y que era agradable. En otro tiempo, un director de teatro gastaba centenares de miles de francos en constelar de verdaderas esmeraldas el trono en que la diva hacía un papel de emperatriz. Los bailes rusos nos han enseñado que unos simples juegos de luces sabiamente dirigidos prodigan joyas tan suntuosas y más variadas. Pero esta decoración, ya más inmaterial, no es tan graciosa como la que, a las ocho de la mañana, pone el sol en la que veíamos cuando nos levantábamos al mediodía. Las ventanas de nuestros dos cuartos de baño no eran lisas, para que no pudieran vernos desde fuera, sino esmeriladas de una escarcha artificial y pasada de moda. De pronto, el sol teñía de amarillo aquella muselina de vidrio, la doraba y, descubriendo dulcemente en mí un joven más antiguo que el hábito había ocultado mucho tiempo, me embriagaba de recuerdos, como si estuviera en plena naturaleza ante unos follajes dorados donde ni siquiera faltaba la presencia de un pájaro. Pues oía a Albertina silbar sin tregua:
Les douleurs sont des folles,
Et qui les écoute est encor plus fou.
Les douleurs sont des folles,
Et qui les écoute est encor plus fou.
Je l′aimais trop pour ne pas joyeusement sourire de son mauvais goût musical. Cette chanson, du reste, avait ravi, l′été passé, Mme Bontemps, laquelle entendit dire bientôt que c′était une ineptie, de sorte que, au lieu de demander à Albertine de la chanter, quand elle avait du monde, elle y substitua La quería demasiado para no sonreír gozosamente de su mal gusto musical. Por lo demás, aquella canción había entusiasmado el año anterior a madame Bontemps, la cual oyó decir después que era una inepcia, de suerte que, en lugar de pedir a Albertina que la cantara cuando había gente, la sustituyó por:
Une chanson d′adieu sort des sources troublées,
qui devint à son tour « une vieille rengaine de Massenet, dont la petite nous rebat les oreilles ».
Une chanson d′adieu sort des sources troublées,
que a su vez resultó «un viejo estribillo de Massenet con el que la pequeña nos machacaba los oídos».
Une nuée passait, elle éclipsait le soleil, je voyais s′éteindre et rentrer dans une grisaille le pudique et feuillu rideau de verre. Pasaba una nube, eclipsaba el sol y yo veía extenderse en un tono grisáceo la púdica y frondosa cortina de vidrio.
Les cloisons qui séparaient nos deux cabinets de toilette (celui d′Albertine, tout pareil, était une salle de bains que maman, en ayant une autre dans la partie opposée de l′appartement, n′avait jamais utilisée pour ne pas me faire de bruit) étaient si minces que nous pouvions parler tout en nous lavant chacun dans le nôtre, poursuivant une causerie qu′interrompait seulement le bruit de l′eau, dans cette intimité que permet souvent à l′hôtel l′exigueacute; du logement et le rapprochement des pièces, mais qui, à Paris, est si rare. Los tabiques que separaban nuestros dos cuartos de baño (el de Albertina era uno que mamá, como tenía otro en la parte opuesta de la casa, no había utilizado nunca para no hacer ruido cerca de mí) eran tan delgados que podíamos hablarnos mientras nos lavábamos cada uno en el nuestro, siguiendo una charla sólo interrumpida por el ruido del agua, en esa intimidad que en el hotel suele permitir la exigüidad del alojamiento y la proximidad de las habitaciones, pero que es tan rara en París.
D′autres fois, je restais couché, rêvant aussi longtemps que je le voulais, car on avait ordre de ne jamais entrer dans ma chambre avant que j′eusse sonné, ce qui, à cause de la façon incommode dont avait été posée la poire électrique au-dessus de mon lit, demandait si longtemps, que, souvent, las de chercher à l′atteindre et content d′être seul, je restais quelques instants presque rendormi. Ce n′est pas que je fusse absolument indifférent au séjour d′Albertine chez nous. Sa séparation d′avec ses amies réussissait à épargner à mon cœur de nouvelles souffrances. Elle le maintenait dans un repos, dans une quasi-immobilité qui l′aideraient à guérir. Mais, enfin, ce calme que me procurait mon amie était apaisement de la souffrance plutôt que joie. Non pas qu′il ne me permît d′en goûter de nombreuses, auxquelles la douleur trop vive m′avait fermé, mais ces joies, loin de les devoir à Albertine, que d′ailleurs je ne trouvais plus guère jolie et avec laquelle je m′ennuyais, que j′avais la sensation nette de ne pas aimer, je les goûtais au contraire pendant qu′Albertine n′était pas auprès de moi. Aussi, pour commencer la matinée, je ne la faisais pas tout de suite appeler, surtout s′il faisait beau. Pendant quelques instants, et sachant qu′il me rendait plus heureux qu′Albertine, je restais en tête à tête avec le petit personnage intérieur, salueur chantant du soleil et dont j′ai déjà parlé. De ceux qui composent notre individu, ce ne sont pas les plus apparents qui nous sont le plus essentiels. En moi, quand la maladie aura fini de les jeter l′un après l′autre par terre, il en restera encore deux ou trois qui auront la vie plus dure que les autres, notamment un certain philosophe qui n′est heureux que quand il a découvert, entre deux œuvres, entre deux sensations, une partie commune. Mais le dernier de tous, je me suis quelquefois demandé si ce ne serait pas le petit bonhomme fort semblable à un autre que l′opticien de Combray avait placé derrière sa vitrine pour indiquer le temps qu′il faisait et qui, ôtant son capuchon dès qu′il y avait du soleil, le remettait s′il allait pleuvoir. Ce petit bonhomme-là, je connais son égoî²­e : je peux souffrir d′une crise d′étouffements que la venue seule de la pluie calmerait, lui ne s′en soucie pas, et aux premières gouttes si impatiemment attendues, perdant sa gaîté, il rabat son capuchon avec mauvaise humeur. En revanche, je crois bien qu′à mon agonie, quand tous mes autres « moi » seront morts, s′il vient à briller un rayon de soleil tandis que je pousserai mes derniers soupirs, le petit personnage barométrique se sentira bien aise, et ôtera son capuchon pour chanter : « Ah ! enfin, il fait beau. » Otras veces permanecía acostado, soñando todo el tiempo que quería, pues había orden de no entrar nunca en mi cuarto antes de que yo llamase, lo que, por la incómoda posición de la pera eléctrica encima de mi cama, requería tanto tiempo que muchas veces, cansado de buscarla y contento de estar solo, casi volvía a dormirme unos momentos. No es que yo fuese completamente indiferente a la estancia de Albertina en nuestra casa. El estar separada de sus amigas conseguía evitar a mi corazón nuevos sufrimientos. Lo mantenía en un reposo, en una casi inmovilidad que le ayudarían a curarse. Pero al fin y al cabo aquella calma que me procuraba mi amiga era lenitivo del sufrimiento más que alegría. Y no es que no me permitiera gustarlas numerosas, pero estas alegrías que el dolor demasiado vivo me impidiera sentir, lejos de debérselas a Albertina, que por otra parte ya no me parecía apenas bonita y con la cual me aburría, sintiendo la clara sensación de no amarla, las gustaba, por el contrario, cuando Albertina no estaba conmigo. En consecuencia, para comenzar la mañana, no la llamaba en seguida, sobre todo si hacía bueno. Durante unos instantes, y sabiendo que me hacía más feliz que ella, empezaba por quedarme 1 «Los pesares son locos y más loco es aún quien los escucha.» 2 «Una canción de despedida surge de fuentes turbias.» frente a frente con el pequeño personaje interior que cantaba su saludo al sol y del que ya he hablado. Entre los que componen nuestra persona, no son los más aparentes los que nos son más esenciales. En mí, cuando la enfermedad haya acabado de derribarlos uno tras otro, quedarán todavía dos o tres de ellos que persistirán más que los otros, especialmente cierto filósofo que sólo es feliz cuando, entre dos obras, entre dos sensaciones, ha descubierto un punto común. Pero me he preguntado a veces si el último de todos no sería aquel hombrecito muy parecido a otro que el óptico de Combray puso en su escaparate para indicar el tiempo que hacía y que, quitándose la capucha cuando hacía sol, se la volvía a poner cuando iba a llover. Conozco el egoísmo de ese hombrecito: ya puedo sufrir una crisis de asma que sólo calmaría la venida de la lluvia, a él le tiene sin cuidado, y a las primeras gotas tan impacientemente esperadas pierde su alegría y se baja la capucha malhumorado. En cambio, estoy seguro de que en mi agonía, cuando hayan muerto ya todos mis otros «yos», si sale un rayo de sol mientras yo lanzo el último suspiro, el personajillo barométrico se sentirá tan a gusto y se quitará la capucha para cantar: «¡Ah, por fin hace bueno!»
Je sonnais Françoise. J′ouvrais le Figaro. J′y cherchais et constatais que ne s′y trouvait pas un article, ou prétendu tel, que j′avais envoyé à ce journal et qui n′était, un peu arrangée, que la page récemment retrouvée, écrite autrefois dans la voiture du docteur Percepied, en regardant les clochers de Martainville. Puis, je lisais la lettre de maman. Elle trouvait bizarre, choquant, qu′une jeune fille habitât seule avec moi. Le premier jour, au moment de quitter Balbec, quand elle m′avait vu si malheureux et s′était inquiétée de me laisser seul, peut-être ma mère avait-elle été heureuse en apprenant qu′Albertine partait avec nous et en voyant que, côte à côte avec nos propres malles (les malles auprès desquelles j′avais passé la nuit à l′Hôtel de Balbec en pleurant), on avait chargé sur le tortillard celles d′Albertine, étroites et noires, qui m′avaient paru avoir la forme de cercueils et dont j′ignorais si elles allaient apporter à la maison la vie ou la mort. Mais je ne me l′étais même pas demandé, étant tout à la joie, dans le matin rayonnant, après l′effroi de rester à Balbec, d′emmener Albertine. Mais, à ce projet, si au début ma mère n′avait pas été hostile (parlant gentiment à mon amie comme une maman dont le fils vient d′être gravement blessé, et qui est reconnaissante à la jeune maîtresse qui le soigne avec dévouement), elle l′était devenue depuis qu′il s′était trop complètement réalisé et que le séjour de la jeune fille se prolongeait chez nous, et chez nous en l′absence de mes parents. Cette hostilité, je ne peux pourtant pas dire que ma mère me la manifestât jamais. Comme autrefois, quand elle avait cessé d′oser me reprocher ma nervosité, ma paresse, maintenant elle se faisait un scrupule — que je n′ai peut-être pas tout à fait deviné au moment, ou pas voulu deviner — de risquer, en faisant quelques réserves sur la jeune fille avec laquelle je lui avais dit que j′allais me fiancer, d′assombrir ma vie, de me rendre plus tard moins dévoué pour ma femme, de semer peut-être, pour quand elle-même ne serait plus, le remords de l′avoir peinée en épousant Albertine. Maman préférait paraître approuver un choix sur lequel elle avait le sentiment qu′elle ne pourrait pas me faire revenir. Mais tous ceux qui l′ont vue à cette époque m′ont dit qu′à sa douleur d′avoir perdu sa mère s′ajoutait un air de perpétuelle préoccupation. Cette contention d′esprit, cette discussion intérieure, donnait à maman une grande chaleur aux tempes et elle ouvrait constamment les fenêtres pour se rafraîchir. Mais, de décision, elle n′arrivait pas à en prendre de peur de « m′influencer » dans un mauvais sens et de gâter ce qu′elle croyait mon bonheur. Elle ne pouvait même pas se résoudre à m′empêcher de garder provisoirement Albertine à la maison. Elle ne voulait pas se montrer plus sévère que Mme Bontemps que cela regardait avant tout et qui ne trouvait pas cela inconvenant, ce qui surprenait beaucoup ma mère. En tous cas, elle regrettait d′avoir été obligée de nous laisser tous les deux seuls, en partant juste à ce moment pour Combray, où elle pouvait avoir à rester (et en fait resta) de longs mois, pendant lesquels ma grand′tante eut sans cesse besoin d′elle jour et nuit. Tout, là-bas, lui fut rendu facile, grâce à la bonté, au dévouement de Legrandin qui, ne reculant devant aucune peine, ajourna de semaine en semaine son retour à Paris, sans connaître beaucoup ma tante, simplement d′abord parce qu′elle avait été une amie de sa mère, puis parce qu′il sentit que la malade, condamnée, aimait ses soins et ne pouvait se passer de lui. Le snobisme est une maladie grave de l′âme, mais localisée et qui ne la gâte pas tout entière. Moi, cependant, au contraire de maman, j′étais fort heureux de son déplacement à Combray, sans lequel j′eusse craint (ne pouvant pas dire à Albertine de la cacher) qu′elle ne découvrît son amitié pour Mlle Vinteuil. C′eût été pour ma mère un obstacle absolu, non seulement à un mariage dont elle m′avait d′ailleurs demandé de ne pas parler encore définitivement à mon amie et dont l′idée m′était de plus en plus intolérable, mais même à ce que celle-ci passât quelque temps à la maison. Sauf une raison si grave et qu′elle ne connaissait pas, maman, par le double effet de l′imitation édifiante et libératrice de ma grand′mère, admiratrice de George Sand, et qui faisait consister la vertu dans la noblesse du cœur, et, d′autre part, de ma propre influence corruptrice, était maintenant indulgente à des femmes pour la conduite de qui elle se fût montrée sévère autrefois, ou même aujourd′hui, si elles avaient été de ses amies bourgeoises de Paris ou de Combray, mais dont je lui vantais la grande âme et auxquelles elle pardonnait beaucoup parce qu′elles m′aimaient bien. Malgré tout et même en dehors de la question des convenances, je crois qu′Albertine eût été insupportable à maman, qui avait gardé de Combray, de ma tante Léonie, de toutes ses parentes, des habitudes d′ordre dont mon amie n′avait pas la première notion. Llamaba a Francisca. Abría Le Figaro. Buscaba y comprobaba que no venía en él un artículo, o supuesto artículo, que había mandado a este periódico y que no era más que la página recientemente encontrada y un poco arreglada que había escrito tiempo atrás en el coche del doctor Percepied mirando los campanarios de Martinville. Después leía la carta de mamá. Le parecía raro, chocante, que una muchacha viviera sola conmigo. El primer día, al salir de Balbec, cuando me vio tan triste, tal vez mi madre, preocupada por dejarme solo, estaba contenta de saber que Albertina iba con nosotros y de ver que con nuestros equipajes (los equipajes junto a los cuales había pasado yo la noche llorando en el hotel Balbec) habían cargado en el trenecillo los baúles de Albertina, estrechos y negros como ataúdes y que yo no sabía si llevarían a la casa la vida o la muerte. Pero con aquella alegría de llevarme a Albertina en la radiante mañana después del miedo de permanecer en Balbec, ni siquiera me lo había preguntado. Pero si al principio mi madre no se había mostrado hostil a aquel proyecto (hablando amablemente a mi amiga como una madre cuyo hijo acaba de ser gravemente herido y que está agradecida a la joven amante que le cuida con abnegación), sí lo fue una vez realizado por completo y al prolongarse la estancia de la muchacha en nuestra casa y estando ausente de ella mis padres. Pero no puedo decir que mi madre me manifestó nunca esta hostilidad. Como en otro tiempo cuando ya no se atrevía a reprocharme mi nerviosismo, mi pereza, ahora sentía escrúpulos - escrúpulos que, en el momento, quizá no adiviné, o no quise adivinar- de formular algunas reservas sobre la muchacha con la que le había dicho que me iba a casar, por miedo a ensombrecer mi vida, a que fuera más tarde menos cariñoso con mi mujer, acaso a sembrar en mí, para cuando ella ya no existiera, el remordimiento de haberla apenado casándome con Albertina. Mamá prefería aparentar que aprobaba aquella elección porque tenía el sentimiento de que no podría hacerme desistir de ella. Pero todos los que la vieron en aquella época me han dicho que, aparte el dolor de haber perdido a su madre, se le notaba una perpetua preocupación. Aquella contención de espíritu, aquella discusión interior, le producían a mamá un gran calor en las sienes, y abría continuamente las ventanas para refrescarse. Pero no llegaba a tomar una decisión, por miedo a «influir en mí» en un mal sentido y destruir lo que ella creía mi felicidad. Ni siquiera podía decidirse a impedir que Albertina estuviera temporalmente en nuestra casa. No quería mostrarse más severa que madame Bontemps, que era a quien concernía principalmente aquello, y a la que no le parecía mal, lo que sorprendía mucho a mi madre. En todo caso lamentaba haber tenido que dejarnos solos y marcharse precisamente en aquel momento a Combray, donde quizá tuviera que quedarse (y de hecho se quedó) muchos meses, mientras mi tía abuela la necesitara noche y día. En Combray todo le resultó fácil gracias a la bondad, a la generosidad de Legrandin, que, sin retroceder ante ninguna molestia, fue aplazando de semana en semana su regreso a París, y eso que no conocía mucho a mi tía, simplemente porque había sido amiga de su madre y además porque se dio cuenta de que la enferma desahuciada reclamaba sus cuidados y no podía pasar sin él. El snobismo es una enfermedad grave del alma, pero localizada y que no afecta a toda ella. Pero yo, al contrario de mamá, estaba muy contento de su marcha a Combray, porque (como no podía decir a Albertina que la ocultara) hubiera temido que descubriera su amistad con mademoiselle Vinteuil. Habría sido para mi madre un obstáculo insuperable no sólo para una boda de la que me había pedido que no hablara todavía definitivamente a mi amiga y cuya idea me era cada vez más intolerable, sino para que Albertina pasara algún tiempo en la casa. Excepto una razón tan grave y que ella no conocía, mamá, por el doble efecto de la imitación edificante y liberadora de mi abuela, admiradora de George Sand y que ponía la virtud en la nobleza del corazón y, por otra parte, de mi propia influencia corruptora, ahora era indulgente con unas mujeres cuya conducta habría reprobado severamente antes, e incluso hoy si se tratara de sus amigas burguesas de París o de Combray, pero que, según yo le decía, tenían un alma grande, y les perdonaba mucho porque me querían. De todos modos, y aun dejando aparte la cuestión de conveniencia, creo que Albertina no se hubiera entendido con mamá, que conservaba de Combray, de mi tía Leontina, de todas sus parientas, unos hábitos de orden de los que mi amiga no tenía ni idea.
Elle n′aurait pas fermé une porte et, en revanche, ne se serait pas plus gênée d′entrer quand une porte était ouverte que ne fait un chien ou un chat. Son charme, un peu incommode, était ainsi d′être à la maison moins comme une jeune fille que comme une bête domestique, qui entre dans une pièce, qui en sort, qui se trouve partout où on ne s′y attend pas et qui venait — c′était pour moi un repos profond — se jeter sur mon lit à côté de moi, s′y faire une place d′où elle ne bougeait plus, sans gêner comme l′eût fait une personne. Pourtant, elle finit par se plier à mes heures de sommeil, à ne pas essayer non seulement d′entrer dans ma chambre, mais à ne plus faire de bruit avant que j′eusse sonné. C′est Françoise qui lui imposa ces règles. No cerraría una puerta, y, en cambio, cuando una puerta estaba abierta, entraba tan despreocupada como lo haría un perro o un gato. De suerte que su encanto, un poco incómodo, era estar en la casa, más que como una muchacha, como un animal doméstico que entra en una habitación, que sale, que se encuentra donde menos se espera y que -y esto era para mí un profundo descanso- venía a tenderse en mi cama junto a mí, a hacerse en ella un sitio del que ya no se movía, sin molestar como molestaría una persona. Pero acabó por adaptarse a mis horas de sueño, no sólo a no intentar entrar en mi cuarto, sino a no hacer ruido hasta que yo llamara. Fue Francisca quien le impuso estas reglas.
Elle était de ces domestiques de Combray sachant la valeur de leur maître et que le moins qu′elles peuvent est de lui faire rendre entièrement ce qu′elles jugent qui lui est dû. Quand un visiteur étranger donnait un pourboire à Françoise à partager avec la fille de cuisine, le donateur n′avait pas le temps d′avoir remis sa pièce que Françoise, avec une rapidité, une discrétion et une énergie égales, avait passé la leçon à la fille de cuisine qui venait remercier non pas à demi-mot, mais franchement, hautement, comme Françoise lui avait dit qu′il fallait le faire. Le curé de Combray n′était pas un génie, mais, lui aussi, savait ce qui se devait. Sous sa direction, la fille de cousins protestants de Mme Sazerat s′était convertie au catholicisme et la famille avait été parfaite pour lui : il fut question d′un mariage avec un noble de Méséglise. Les parents du jeune homme écrivirent, pour prendre des informations, une lettre assez dédaigneuse et où l′origine protestante était méprisée. Le curé de Combray répondit d′un tel ton que le noble de Méséglise, courbé et prosterné, écrivit une lettre bien différente, où il sollicitait comme la plus précieuse faveur de s′unir à la jeune fille. Francisca era de esas domésticas de Combray que saben el valor de su amo y que lo menos que pueden hacer es exigir que les den todo lo que ellas creen que se le debe. Cuando un visitante forastero le daba a Francisca una propina para repartir con la pincha de cocina, apenas el donante había entregado su moneda, Francisca, con una rapidez, una discreción y una energía ejemplares, iba a dar la lección a la pincha, que acudía a dar las gracias no con medias palabras, sino francamente, claro y alto, como Francisca le había dicho que había que hacerlo. El cura de Combray no era un genio, pero también sabía lo que había que saber. Bajo su dirección, se había convertido al catolicismo la hija de unos primos protestantes de madame Sazerat, y la familia se portó perfectamente con él. Se trató de una boda con un noble de Méséglise. Los padres del joven escribieron, para pedir informes, una carta bastante desdeñosa y en la que se aludía con desprecio al origen protestante. E l cura de Combray contestó en un tono tan adecuado que el noble de Méséglise, reverencioso y prosternado, escribió una segunda carta muy diferente solicitando como un gran favor casarse con la joven conversa.
Françoise n′eut pas de mérite à faire respecter mon sommeil par Albertine. Elle était imbue de la tradition. À un silence qu′elle garda, ou à la réponse péremptoire qu′elle fit à une proposition d′entrer chez moi ou de me faire demander quelque chose, qu′avait dû innocemment formuler Albertine, celle-ci comprit avec stupeur qu′elle se trouvait dans un monde étrange, aux coutumes inconnues, réglé par des lois de vivre qu′on ne pouvait songer à enfreindre. Elle avait déjà eu un premier pressentiment de cela à Balbec, mais, à Paris, n′essaya même pas de résister et attendit patiemment chaque matin mon coup de sonnette pour oser faire du bruit. En Francisca no fue ningún mérito hacer que Albertina respetara mi sueño. Estaba acostumbrada por la tradición. Por un silencio que guardó, o por la respuesta perentoria que dio a una proposición de entrar en mi cuarto o de mandar a pedirme algo, que debió de formular inocentemente Albertina, comprendió ésta con estupor que se encontraba en un mundo extraño, de costumbres desconocidas, regido por unas leyes de vida que no se podía pensar en infringir. Ya había tenido un primer presentimiento de esto en Balbec, pero en París ni siquiera intentó resistir y esperó pacientemente cada mañana mi campanillazo para atreverse a hacer ruido.
L′éducation que lui donna Françoise fut salutaire, d′ailleurs, à notre vieille servante elle-même, en calmant peu à peu les gémissements que, depuis le retour de Balbec, elle ne cessait de pousser. Car, au moment de monter dans le tram, elle s′était aperçue qu′elle avait oublié de dire adieu à la « gouvernante » de l′Hôtel, personne moustachue qui surveillait les étages, connaissait à peine Françoise, mais avait été relativement polie pour elle. Françoise voulait absolument faire retour en arrière, descendre du tram, revenir à l′Hôtel, faire ses adieux à la gouvernante et ne partir que le lendemain. La sagesse, et surtout mon horreur subite de Balbec, m′empêchèrent de lui accorder cette grâce, mais elle en avait contracté une mauvaise humeur maladive et fiévreuse que le changement d′air n′avait pas suffi à faire disparaître et qui se prolongeait à Paris. Car, selon le code de Françoise, tel qu′il est illustré dans les bas-reliefs de Saint-André-des-Champs, souhaiter la mort d′un ennemi, la lui donner même n′est pas défendu, mais il est horrible de ne pas faire ce qui se doit, de ne pas rendre une politesse, de ne pas faire ses adieux avant de partir, comme une vraie malotrue, à une gouvernante d′étage. Pendant tout le voyage, le souvenir, à chaque moment renouvelé, qu′elle n′avait pas pris congé de cette femme avait fait monter aux joues de Françoise un vermillon qui pouvait effrayer. Et si elle refusa de boire et de manger jusqu′à Paris, c′est peut-être parce que ce souvenir lui mettait un « poids » réel « sur l′estomac » (chaque classe sociale a sa pathologie) plus encore que pour nous punir. La educación que le dio Francisca fue saludable además para nuestra vieja sirviente, calmando poco a poco los gemidos que no cesaba de lanzar desde que volvimos de Balbec. Pues, al subir al tren, se dio cuenta de que había olvidado despedirse de la «gobernanta » del hotel, una persona bigotuda que vigilaba los pisos y que apenas conocía a Francisca, pero que había sido relativamente atenta con ella. Francisca se empeñaba en volver atrás, apearse del tren, tornar al hotel, despedirse de la gobernanta y no marcharse hasta el día siguiente. La sensatez y, sobre todo, mi súbito horror por Balbec me impidieron concederle esta gracia, pero Francisca había contraído un mal humor enfermizo y febril que el cambio de aires no llegó a suprimir y que se prolongaba en París. Pues, según el código de Francisca, tal como aparece ilustrado en los bajorrelieves de Saint-Andrédes- Champs, desear la muerte de un enemigo, y aun dársela, no está prohibido, pero es horrible no hacer lo que se debe, no corresponder a una fineza, no despedirse antes de marcharse, como una verdadera mal educada, de una gobernanta de piso. Durante todo el viaje, el recuerdo, constantemente renovado, de no haberse despedido de aquella mujer puso en las mejillas de Francisca un vermellón alarmante. Y si dejó de beber y de comer hasta París, probablemente fue porque aquel recuerdo le ponía un verdadero «peso en el estómago» (cada clase social tiene su patología) más aún que por castigar.
Parmi les causes qui faisaient que maman m′envoyait tous les jours une lettre, et une lettre d′où n′était jamais absente quelque citation de Mme de Sévigné, il y avait le souvenir de ma grand′mère. Maman m′écrivait : « Mme Sazerat nous a donné un de ces petits déjeuners dont elle a le secret et qui, comme eût dit ta pauvre grand′mère, en citant Mme de Sévigné, nous enlèvent à la solitude sans nous apporter la société. » Dans mes premières réponses, j′eus la bêtise d′écrire à maman : « À ces citations, ta mère te reconnaîtrait tout de suite. » Ce qui me valut, trois jours après, ce mot : « Mon pauvre fils, si c′était pour me parler de ma mère tu invoques bien mal à propos Mme de Sévigné. Elle t′aurait répondu comme elle fit à Mme de Grignan : « Elle ne vous était donc rien ? Je vous croyais parents. » Entre las causas de que mamá me mandara todos los días una carta, y una carta en la que nunca faltaba alguna cita de madame de Sévigné, estaba el recuerdo de mi abuela. Mamá me escribía: «Madame Sazerat nos ha dado una de esas comiditas de las que ella tiene el secreto y que, como diría tu pobre abuela citando a madame de Sévigné, nos sacan de la soledad sin darnos compañía». En mis primeras respuestas, cometí la tontería de escribir a mamá: «Tu madre te reconocería en seguida en esas citas». Lo que, tres días después, me valió estas palabras: «Pobre hijo mío, si era por hablarme de mi madre, invocas muy inoportunamente a madame de Sévigné; ésta te habría contestado como contestó ella a madame de Grignan: "¿No era nada tuyo? Creía que erais parientes".»
Cependant, j′entendais les pas de mon amie qui sortait de sa chambre ou y rentrait. Je sonnais, car c′était l′heure où Andrée allait venir avec le chauffeur, ami de Morel et fourni par les Verdurin, chercher Albertine. J′avais parlé à celle-ci de la possibilité lointaine de nous marier ; mais je ne l′avais jamais fait formellement ; elle-même, par discrétion, quand j′avais dit : « Je ne sais pas, mais ce serait peut-être possible », avait secoué la tête avec un mélancolique sourire disant : « Mais non, ce ne le serait pas », ce qui signifiait : « Je suis trop pauvre. » Et alors, tout en disant : « Rien n′est moins sûr », quand il s′agissait de projets d′avenir, présentement je faisais tout pour la distraire, lui rendre la vie agréable, cherchant peut-être aussi, inconsciemment, à lui faire par là désirer de m′épouser. Elle riait elle-même de tout ce luxe. « C′est la mère d′Andrée qui en ferait une tête de me voir devenue une dame riche comme elle, ce qu′elle appelle une dame qui a « chevaux, voitures, tableaux ». Comment ? Je ne vous avais jamais raconté qu′elle disait cela ? Oh ! c′est un type ! Ce qui m′étonne, c′est qu′elle élève les tableaux à la dignité des chevaux et des voitures. » On verra plus tard que, malgré les habitudes de parler stupides qui lui étaient restées, Albertine s′était étonnamment développée, ce qui m′était entièrement égal, les supériorités d′esprit d′une compagne m′ayant toujours si peu intéressé que, si je les ai fait remarquer à l′une ou à l′autre, cela a été par pure politesse. Seul peut-être le curieux génie de Françoise m′eût peut-être plu. Malgré moi je souriais pendant quelques instants, quand, par exemple, ayant profité de ce qu′elle avait appris qu′Albertine n′était pas là, elle m′abordait par ces mots : « Divinité du ciel déposée sur un lit ! » Je disais : « Mais, voyons, Françoise, pourquoi « divinité du ciel » ? — Oh, si vous croyez que vous avez quelque chose de ceux qui voyagent sur notre vile terre, vous vous trompez bien ! — Mais pourquoi « déposée » sur un lit ? vous voyez bien que je suis couché. — Vous n′êtes jamais couché. A-t-on jamais vu personne couché ainsi ? Vous êtes venu vous poser là. Votre pyjama, en ce moment, tout blanc, avec vos mouvements de cou, vous donne l′air d′une colombe. » Entre tanto, yo oía los pasos de mi amiga que salía de su habitación o entraba en ella. Llamé, pues era la hora en que iba a venir Andrea con el chófer, amigo de Morel y prestado por los Verdurin, a buscar a Albertina. Había hablado a ésta de la posibilidad lejana de casarnos; pero no lo había hecho nunca formalmente; ella misma, por discreción, cuando le dije: «No sé, pero quizá sea posible», movió la cabeza con una melancólica sonrisa diciendo: «No, no será posible», lo que significaba: «Soy demasiado pobre». Y entonces, a la vez que decía: «Es muy poco seguro», cuando se trataba de proyectos para el futuro, en aquel momento hacía todo lo posible por distraerla y hacerle la vida agradable, quizá tratando también, inconscientemente, de despertar en ella el deseo de casarse conmigo. Ella misma se reía de todo aquel lujo. «Qué cara pondría la madre de Andrea al verme convertida en una dama rica como ella, lo que ella llama una señora que tiene "caballos, carruajes, cuadros". Pero ¿no te he contado nunca que decía esto? ¡Oh, es un tipo! Lo que me extraña es que eleve los cuadros a la dignidad de los caballos y de los carruajes.» Ya veremos más adelante que Albertina, a pesar de los estúpidos hábitos de hablar que aún conservaba, había progresado extraordinariamente. Lo que me era completamente igual, pues las superioridades intelectuales de una mujer me han interesado siempre muy poco. Sólo me hubiera gustado, quizá, el curioso talento de Celeste. A pesar mío, sonreía un momento cuando, por ejemplo, al enterarse de que no estaba Albertina, me abordaba con estas palabras: -¡Divinidad del cielo depositada en una cama! Yo le decía: -Pero vamos a ver, Celeste, ¿por qué «divinidad del cielo»? -Bueno, si usted cree que tiene algo de los que viajan sobre nuestra miserable tierra, se equivoca. -Pero ¿por qué «depositada» en una cama? Ya ve que estoy acostado. Usted no está nunca acostado. ¿Cuándo se ha visto una persona acostada así? Lo que ha hecho es posarse ahí. En este momento, su pijama, tan blanco, y ese modo de mover el cuello, le da un aire de paloma.
Albertine, même dans l′ordre des choses bêtes, s′exprimait tout autrement que la petite fille qu′elle était il y avait seulement quelques années à Balbec. Elle allait jusqu′à déclarer, à propos d′un événement politique qu′elle blâmait : « Je trouve ça formidable. » Et je ne sais si ce ne fut vers ce temps-là qu′elle apprit à dire, pour signifier qu′elle trouvait un livre mal écrit : « C′est intéressant, mais, par exemple, c′est écrit comme par un cochon. » Albertina, hasta en el orden de las cosas tontas, se expresaba de manera muy diferente que la muchachita que había sido en Balbec hacía sólo unos años. Llegaba a decir, a propósito de un hecho político que ella reprobaba: «Eso me parece formidable», y no recuerdo si fue por entonces cuando, refiriéndose a un libro que encontraba mal escrito, aprendió a expresarse así: «Es interesante, pero está como escrito por un cerdo».
La défense d′entrer chez moi avant que j′eusse sonné l′amusait beaucoup. Comme elle avait pris notre habitude familiale des citations et utilisait pour elle celles des pièces qu′elle avait jouées au couvent et que je lui avais dit aimer, elle me comparait toujours à Assuérus : La prohibición de entrar en mi cuarto antes de que yo llamase le hacía mucha gracia. Como llegó también a adoptar nuestra costumbre familiar de las citas y empleaba las de las piezas de teatro que ella había representado en el convento y que yo le había dicho que me gustaban, me comparaba siempre con Asuero:
Et la mort est le prix de tout audacieux
Qui sans être appelé se présente à ses yeux.
• • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Rien ne met à l′abri de cet ordre fatal,
Ni le rang, ni le sexe ; et le crime est égal.
Moi-mêmeÂ…
Je suis à cette loi comme une autre soumise :
Et sans le prévenir il faut pour lui parler
Qu′il me cherche ou du moins qu′il me fasse appeler.
Et la mort est le prix de tout audacieux
Qui sans être appelé se présente à ses yeux.
• • • • • • • • • • • • • • • • • • •
Rien ne met à l′abri de cet ordre fatal,
Ni le rang, ni le sexe ; et le crime est égal.
Moi-mêmeÂ…
Je suis à cette loi comme une autre soumise :
Et sans le prévenir il faut pour lui parler
Qu′il me cherche ou du moins qu′il me fasse appeler.
>
Physiquement, elle avait changé aussi. Ses longs yeux bleus — plus allongés — n′avaient pas gardé la même forme ; ils avaient bien la même couleur, mais semblaient être passés à l′état liquide. Si bien que, quand elle les fermait, c′était comme quand avec des rideaux on empêche de voir la mer. C′est sans doute de cette partie d′elle-même que je me souvenais surtout, chaque nuit en la quittant. Car, par exemple, tout au contraire, chaque matin le crespelage de ses cheveux me causa longtemps la même surprise, comme une chose nouvelle que je n′aurais jamais vue. Et pourtant, au-dessus du regard souriant d′une jeune fille, qu′y a-t-il de plus beau que cette couronne bouclée de violettes noires ? Le sourire propose plus d′amitié ; mais les petits crochets vernis des cheveux en fleurs, plus parents de la chair, dont ils semblent la transposition en vaguelettes, attrapent davantage le désir. Físicamente también había cambiado. Sus rasgados ojos azules -más alargados- no tenían la misma forma; sí el mismo color, pero parecía como si hubieran pasado al estado líquido. Tanto que, cuando los cerraba, era como cuando se corren las cortinas y ya no se ve el mar. Cada noche, al dejarla, yo recordaba sobre todo esta parte de ella. En cambio, cada mañana, su pelo alborotado, por ejemplo, me causó durante mucho tiempo la misma sorpresa, como si fuera una cosa nueva que no había visto nunca. Y, sin embargo, ¿hay algo más bello, después de la mirada sonriente de una muchacha, que esa corona ondulada de violetas negras? La sonrisa es más bien cosa de amistad; pero los pequeños tirabuzones brillantes de la cabellera florecida, más parientes de la carne y como su trasposición en leves olas, prenden más el deseo.
À peine entrée dans ma chambre, elle sautait sur le lit et quelquefois définissait mon genre d′intelligence, jurait dans un transport sincère qu′elle aimerait mieux mourir que de me quitter : c′était les jours où je m′étais rasé avant de la faire venir. Elle était de ces femmes qui ne savent pas démêler la raison de ce qu′elles ressentent. Le plaisir que leur cause un teint frais, elles l′expliquent par les qualités morales de celui qui leur semble pour leur avenir présenter une possibilité de bonheur, capable du reste de décroître et de devenir moins nécessaire au fur et à mesure qu′on laisse pousser sa barbe. Apenas en mi cuarto, saltaba sobre la cama y a veces definía mi tipo de inteligencia, juraba, en sincero arrebato, que prefería morir a dejarme: esto ocurría los días en que me había afeitado antes de llamarla. Era de esas mujeres que no saben explicar la razón de lo que sienten. El placer que les causa una piel fresca lo explican por las cualidades morales del que creen que les ofrece una felicidad para el futuro, que es capaz, además, de perder atractivo y de resultar menos necesario a medida que se deja crecer la barba.
Je lui demandais où elle comptait aller. Le preguntaba a dónde pensaba ir.
— Je crois qu′Andrée veut me mener aux Buttes-Chaumont que je ne connais pas. -Creo que Andrea quiere llevarme a las Buttes-Chaumont, que no conozco.
Certes, il m′était impossible de deviner, entre tant d′autres paroles, si sous celle-là un mensonge était caché. D′ailleurs j′avais confiance en Andrée pour me dire tous les endroits où elle allait avec Albertine. Entre tantas otras palabras, me era imposible adivinar si éstas escondían una mentira. Por otra parte, tenía confianza en que Andrea me diría todos los lugares a donde iba con Albertina.
À Balbec, quand je m′étais senti trop las d′Albertine, j′avais compté dire mensongèrement à Andrée : « Ma petite Andrée, si seulement je vous avais revue plus tôt ! C′était vous que j′aurais aimée. Mais, maintenant, mon cœur est fixé ailleurs. Tout de même, nous pouvons nous voir beaucoup, car mon amour pour une autre me cause de grands chagrins et vous m′aiderez à me consoler. » Or, ces mêmes paroles de mensonge étaient devenues vérité à trois semaines de distance. Peut-être Andrée avait-elle cru à Paris que c′était en effet un mensonge et que je l′aimais, comme elle l′aurait sans doute cru à Balbec. Car la vérité change tellement pour nous, que les autres ont peine à s′y reconnaître. Et comme je savais qu′elle me raconterait tout ce qu′elles auraient fait, Albertine et elle, je lui avais demandé et elle avait accepté de venir la chercher presque chaque jour. Ainsi, je pourrais, sans souci, rester chez moi. En Balbec, cuando me sentí muy cansado de Albertina, había pensado decirle a Andrea esta mentira: «¡Ay, Andreíta, lástima no haberla conocido antes! Sería de usted de quien me hubiera enamorado. Pero ahora mi corazón está preso en otro sitio. De todos modos podremos vernos mucho, pues mi amor a otra me causa grandes disgustos y usted me ayudará a consolarme.» Estas mismas palabras embusteras resultaban verídicas pasadas tres semanas. Acaso Andrea creyó en París que era en efecto una mentira y que la amaba, como seguramente lo habría creído en Balbec. Pues la verdad cambia para nosotros de tal modo que a los demás les es difícil reconocerse en ella. Y como yo sabía que Andrea me iba a contar todo lo que hicieran Albertina y ella, le pedí, y lo aceptó, que viniera a buscarla casi todos los días. Así, yo podría quedarme en casa sin preocupación. Y aquel prestigio de Andrea de ser una de las muchachas de la pandilla me hacía confiar en que ella conseguiría de Albertina todo lo que yo quisiera. Y ahora sí que podría decirle con toda verdad que ella sería capaz de tranquilizarme.
Et ce prestige d′Andrée d′être une des filles de la petite bande me donnait confiance qu′elle obtiendrait tout ce que je voudrais d′Albertine. Vraiment, j′aurais pu lui dire maintenant en toute vérité qu′elle serait capable de me tranquilliser. Â…
D′autre part, mon choix d′Andrée (laquelle se trouvait être à Paris, ayant renoncé à son projet de revenir à Balbec) comme guide de mon amie avait tenu à ce qu′Albertine me raconta de l′affection que son amie avait eue pour moi à Balbec, à un moment au contraire où je craignais de l′ennuyer, et si je l′avais su alors, c′est peut-être Andrée que j′eusse aimée. Por otra parte, al elegir a Andrea (que había renunciado a su proyecto de volver a Balbec y se encontraba en París) como guía de mi amiga, pensaba en lo que Albertina me contó del afecto que su amiga me tenía en Balbec, en un momento en que, por el contrario, yo temía serle desagradable, y si lo hubiera sabido entonces, acaso fuera a Andrea a quien amara.
— Comment, vous ne le saviez pas ? me dit Albertine, nous en plaisantions pourtant entre nous. Du reste, vous n′avez pas remarqué qu′elle s′était mise à prendre vos manières de parler, de raisonner ? Surtout quand elle venait de vous quitter, c′était frappant. Elle n′avait pas besoin de nous dire si elle vous avait vu. Quand elle arrivait, si elle venait d′auprès de vous, cela se voyait à la première seconde. Nous nous regardions entre nous et nous riions. Elle était comme un charbonnier qui voudrait faire croire qu′il n′est pas charbonnier. Il est tout noir. Un meunier n′a pas besoin de dire qu′il est meunier, on voit bien toute la farine qu′il a sur lui ; il y a encore la place des sacs qu′il a portés. Andrée, c′était la même chose, elle tournait ses sourcils comme vous, et puis son grand cou, enfin je ne peux pas vous dire. Quand je prends un livre qui a été dans votre chambre, je peux le lire dehors, on sait tout de même qu′il vient de chez vous parce qu′il garde quelque chose de vos sales fumigations. C′est un rien, mais c′est un rien, au fond, qui est assez gentil. Chaque fois que quelqu′un avait parlé de vous gentiment, avait eu l′air de faire grand cas de vous, Andrée était dans le ravissement. -Pero ¿es que no lo sabías? -me dijo Albertina-; pues nosotras bromeábamos mucho con esto. ¿Y no notaste que empezó a adoptar tus maneras de hablar, de razonar? Sobre todo cuando acababa de dejarte, era impresionante. No necesitaba decirnos que te había visto. En cuanto llegaba, si venía de estar contigo, se le notaba en el primer segundo. Nosotras nos mirábamos y nos reíamos. Andrea era como un carbonero que quiere hacer creer que no es carbonero, y está todo negro. Un molinero no necesita decir que es molinero, se ve perfectamente toda la harina que lleva encima y el sitio de los sacos que ha cargado. Lo mismo pasaba con Andrea, enarcaba las cejas como tú y después doblaba el cuello tan largo; en fin, no puedo decirte. Cuando cojo un libro que ha estado en tu cuarto, ya puedo leerlo fuera, que de todos modos se sabe que viene de tu casa, porque conserva algo de tus repugnantes fumigaciones. Es una nadería, no sabría decirte en qué consiste, pero, en el fondo, es una nadería bastante simpática. Cada vez que alguien hablaba bien de ti, que parecía tenerte en mucho, Andrea estaba feliz.
Malgré tout, pour éviter qu′il y eût quelque chose de préparé à mon insu, je conseillais d′abandonner pour ce jour-là les Buttes-Chaumont et d′aller plutôt à Saint-Cloud ou ailleurs. A pesar de todo, para evitar que se preparara algo a espaldas mías, yo aconsejaba renunciar aquel día a las Buttes-Chaumont e ir más bien a Saint-Cloud o a otro sitio.
Ce n′est pas certes, je le savais, que j′aimasse Albertine le moins du monde. L′amour n′est peut-être que la propagation de ces remous qui, à la suite d′une émotion, émeuvent l′âme. Certains avaient remué mon âme tout entière quand Albertine m′avait parlé, à Balbec, de Mlle Vinteuil, mais ils étaient maintenant arrêtés. Je n′aimais plus Albertine, car il ne me restait plus rien de la souffrance, guérie maintenant, que j′avais eue dans le tram, à Balbec, en apprenant quelle avait été l′adolescence d′Albertine, avec des visites peut-être à Montjouvain. Tout cela, j′y avais trop longtemps pensé, c′était guéri. Mais, par instants, certaines manières de parler d′Albertine me faisaient supposer — je ne sais pourquoi — qu′elle avait dû recevoir dans sa vie encore si courte beaucoup de compliments, de déclarations et les recevoir avec plaisir, autant dire avec sensualité. Ainsi, elle disait, à propos de n′importe quoi : « C′est vrai ? C′est bien vrai ? » Certes, si elle avait dit comme une Odette : « C′est bien vrai ce gros mensonge-là ? » je ne m′en fusse pas inquiété, car le ridicule de la formule se fût expliqué par une stupide banalité d′esprit de femme. Mais son air interrogateur : « C′est vrai ? » donnait, d′une part, l′étrange impression d′une créature qui ne peut se rendre compte des choses par elle-même, qui en appelle à votre témoignage, comme si elle ne possédait pas les mêmes facultés que vous (on lui disait : « Voilà une heure que nous sommes partis », ou « Il pleut », elle demandait : « C′est vrai ? »). Malheureusement, d′autre part, ce manque de facilité à se rendre compte par soi-même des phénomènes extérieurs ne devait pas être la véritable origine de « C′est vrai ? C′est bien vrai ? » Il semblait plutôt que ces mots eussent été, dès sa nubilité précoce, des réponses à des : « Vous savez que je n′ai jamais trouvé une personne aussi jolie que vous » ; « Vous savez que j′ai un grand amour pour vous, que je suis dans un état d′excitation terrible ». Affirmations auxquelles répondaient, avec une modestie coquettement consentante, ces « C′est vrai ? C′est bien vrai ? », lesquels ne servaient plus à Albertine avec moi qu′à répondre par une question à une affirmation telle que : « Vous avez sommeillé plus d′une heure. — C′est vrai ? » Desde luego, y yo lo sabía, no era que amase a Albertina en absoluto. El amor no es quizá otra cosa que la propagación de esos oleajes con que una emoción sacude el alma. Algunos sacudieron la mía hasta el fondo cuando Albertina me habló en Balbec de mademoiselle Vinteuil, pero ahora se habían aquietado. Ya no amaba a Albertina, pues no me quedaba nada del dolor que sentí en el tren de Balbec al enterarme de cómo había sido la adolescencia de Albertina, quizá con visitas a Montjouvain. Todo aquello, pensé durante mucho tiempo, se había curado. Pero en algunos momentos ciertas maneras de hablar de Albertina me hacían suponer -no sé por qué- que, en su vida, todavía tan corta, había debido de recibir muchos cumplidos, muchas declaraciones, y que las había recibido con placer, es decir, con sensualidad. A propósito de cualquier cosa, decía: «¿Es verdad?, ¿es de veras?» Claro que si hubiera dicho como una Odette: «¿Es verdad esa mentira tan gorda?», no me habría preocupado, pues la misma ridiculez de la fórmula se habría explicado por una estúpida trivialidad mental de mujer. Pero su tono interrogador: «¿Es verdad?», causaba, por una parte, la extraña impresión de una criatura que no puede darse cuenta de las cosas por sí misma, que apela a nuestro testimonio como si ella no tuviera las mismas facultades que nosotros (si le decían: «Hace una hora que salimos», o: «Está lloviendo», preguntaba: «¿Es verdad?»). Desgraciadamente, además, esta falta de facilidad para darse cuenta por sí misma de los fenómenos exteriores no debía de ser el verdadero origen de sus «¿Es verdad?, ¿de veras?» Más bien parecía que estas palabras fueran, desde su nubilidad precoz, respuestas a: «No he conocido nunca a una persona tan bonita como tú», «estoy enamoradísimo de ti, me encuentro en un estado de excitación terrible». Afirmaciones a las cuales contestaba, con una modestia coquetamente consentidora, con aquellos «¿Es verdad?, ¿de veras?», que conmigo ya no le servían a Albertina más que para contestar con una pregunta a una afirmación como: «Te has quedado dormida más de una hora. -¿De veras?»
Sans me sentir le moins du monde amoureux d′Albertine, sans faire figurer au nombre des plaisirs les moments que nous passions ensemble, j′étais resté préoccupé de l′emploi de son temps ; certes, j′avais fui Balbec pour être certain qu′elle ne pourrait plus voir telle ou telle personne avec laquelle j′avais tellement peur qu′elle ne fît le mal en riant, peut-être en riant de moi, que j′avais adroitement tenté de rompre d′un seul coup, par mon départ, toutes ses mauvaises relations. Et Albertine avait une telle force de passivité, une si grande faculté d′oublier et de se soumettre, que ces relations avaient été brisées en effet et la phobie qui me hantait guérie. Mais elle peut revêtir autant de formes que le mal incertain qui est son objet. Tant que ma jalousie ne s′était pas réincarnée en des êtres nouveaux, j′avais eu après mes souffrances passées un intervalle de calme. Mais à une maladie chronique le moindre prétexte sert pour renaître, comme, d′ailleurs, au vice de l′être qui est cause de cette jalousie, la moindre occasion peut servir pour s′exercer à nouveau (après une trêve de chasteté) avec des êtres différents. J′avais pu séparer Albertine de ses complices et, par là, exorciser mes hallucinations ; si on pouvait lui faire oublier les personnes, rendre brefs ses attachements, son goût du plaisir était, lui aussi, chronique, et n′attendait peut-être qu′une occasion pour se donner cours. Or, Paris en fournit autant que Balbec. Sin sentirme en absoluto enamorado de Albertina, sin incluir en el número de los placeres los momentos que pasábamos juntos, seguía preocupándome el empleo de su tiempo; cierto que había huido de Balbec para estar seguro de que Albertina no podría ver a esta o a la otra persona con la que yo tenía miedo de que hiciera el mal riendo, acaso riéndose de mí; cierto que había intentado hábilmente romper de una vez, con mi partida, todas sus malas relaciones. Y Albertina tenía tal fuerza de pasividad, tal facultad de olvidar y someterse, que, en efecto, sus relaciones quedaron rotas y curada la fobia que me obsesionaba. Pero ésta puede adoptar tantas formas como el incierto mal que la suscita. Mientras mis celos no reencarnaron en seres nuevos, tuve un intervalo de calma después de los pasados sufrimientos. Pero el menor pretexto puede hacer renacer una enfermedad crónica, de la misma manera que la menor ocasión puede servir para que la persona causante de estos celos ejerza su vicio (después de una tregua de castidad) con otros seres diferentes. Yo había logrado separar a Albertina de sus cómplices y exorcizar así mis alucinaciones; se podía hacerle olvidar a las personas, abreviar sus amistades, pero su inclinación al placer era crónica y acaso sólo esperaba una ocasión para ejercerse. Ahora bien, París ofrecía tantas como Balbec.
Dans quelque ville que ce fût, elle n′avait pas besoin de chercher, car le mal n′était pas en Albertine seule, mais en d′autres pour qui toute occasion de plaisir est bonne. Un regard de l′une, aussitôt compris de l′autre, rapproche les deux affamées. Et il est facile à une femme adroite d′avoir l′air de ne pas voir, puis cinq minutes après d′aller vers la personne qui a compris et l′a attendue dans une rue de traverse, et, en deux mots, de donner un rendez-vous. Qui saura jamais ? Et il était si simple à Albertine de me dire, afin que cela continuât, qu′elle désirait revoir tel environ de Paris qui lui avait plu. Aussi suffisait-il qu′elle rentrât trop tard, que sa promenade eût duré un temps inexplicable, quoique peut-être très facile à expliquer sans faire intervenir aucune raison sensuelle, pour que mon mal renaquît, attaché cette fois à des représentations qui n′étaient pas de Balbec, et que je m′efforcerais, ainsi que les précédentes, de détruire, comme si la destruction d′une cause éphémère pouvait entraîner celle d′un mal congénital. Je ne me rendais pas compte que, dans ces destructions où j′avais pour complice, en Albertine, sa faculté de changer, son pouvoir d′oublier, presque de haî°¬ l′objet récent de son amour, je causais quelquefois une douleur profonde à tel ou tel de ces êtres inconnus avec qui elle avait pris successivement du plaisir, et que cette douleur, je la causais vainement, car ils seraient délaissés, remplacés, et parallèlement au chemin jalonné par tant d′abandons qu′elle commettrait à la légère, s′en poursuivrait pour moi un autre impitoyable, à peine interrompu de bien courts répits ; de sorte que ma souffrance ne pouvait, si j′avais réfléchi, finir qu′avec Albertine ou qu′avec moi. Même, les premiers temps de notre arrivée à Paris, insatisfait des renseignements qu′Andrée et le chauffeur m′avaient donnés sur les promenades qu′ils faisaient avec mon amie, j′avais senti les environs de Paris aussi cruels que ceux de Balbec, et j′étais parti quelques jours en voyage avec Albertine. Mais partout l′incertitude de ce qu′elle faisait était la même ; les possibilités que ce fût le mal aussi nombreuses, la surveillance encore plus difficile, si bien que j′étais revenu avec elle à Paris. En réalité, en quittant Balbec, j′avais cru quitter Gomorrhe, en arracher Albertine ; hélas ! Gomorrhe était dispersé aux quatre coins du monde. Et moitié par ma jalousie, moitié par ignorance de ces joies (cas qui est fort rare), j′avais réglé à mon insu cette partie de cache-cache où Albertine m′échapperait toujours. En cualquier ciudad que fuere no necesitaba buscar, pues el mal no estaba en Albertina sola, sino en otras para quienes toda ocasión de placer es buena. Una mirada de una, en seguida captada por la otra, junta a las dos hambrientas. Y a una mujer diestra le es fácil aparentar que no ve y a los cinco minutos ir hacia la persona que ha entendido y la espera en una calle transversal, y le da en dos palabras una cita. ¿Quién lo sabrá jamás? ¡Y era tan sencillo para Albertina decirme, para que la cosa continuara, que deseaba volver a ver cualquier punto de las cercanías de París que le había gustado! Bastaba, pues, que volviera muy tarde, que su paseo durara un tiempo inexplicable, aunque quizá muy fácil de explicar (sin que interviniera ninguna razón sensual), para que renaciera mi mal, unido esta vez a representaciones que no eran de Balbec, y que procuraría destruir lo mismo que las anteriores, como si la destrucción de una causa efímera pudiera implicar la de un mal congénito. No me daba cuenta de que, en aquellas destrucciones donde tenía por cómplice la capacidad de Albertina para cambiar, su facilidad para olvidar, casi para odiar, al objeto reciente de su amor, yo causaba a veces un profundo dolor a uno o a otro de aquellos seres desconocidos con los que Albertina había gozado sucesivamente, y de que aquel dolor lo causaba en vano, pues serían abandonados, pero sustituidos, y, paralelamente al camino jalonado por tantos abandonos que ella cometería a la ligera, proseguiría para mí otro camino implacable, interrumpido apenas por muy breves descansos; de suerte que, bien pensado, mi sufrimiento no podía acabar más que con Albertina o conmigo. Ya en los primeros tiempos de nuestra llegada a París, insatisfecho de lo que Andrea y el chófer me decían sobre los paseos con mi amiga, los alrededores de París me resultaban tan odiosos como los de Balbec, y me fui unos días de viaje con Albertina. Pero en todas partes la misma incertidumbre de lo que Albertina hacía, igual de numerosas las posibilidades de que lo que hacía fuera malo, más difícil aún la vigilancia, tanto que me volví con ella a París. En realidad, al dejar Balbec, había creído dejar Gomorra, arrancar de Gomorra a Albertina; pero, ¡ay de mí!, Gomorra estaba dispersa en los cuatro extremos del mundo. Y mitad por mis celos, mitad por mi ignorancia de aquellos goces (cosa muy rara), había preparado sin querer aquel juego al escondite en el que Albertina se me escapaba siempre. Le preguntaba a quemarropa:
Je l′interrogeais à brûle-pourpoint : « Ah ! à propos, Albertine, est-ce que je rêve, est-ce que vous ne m′aviez pas dit que vous connaissiez Gilberte Swann ? — Oui, c′est-à-dire qu′elle m′a parlé au cours, parce qu′elle avait les cahiers d′histoire de France ; elle a même été très gentille, elle me les a prêtés et je les lui ai rendus aussitôt que je l′ai vue. — Est-ce qu′elle est du genre de femmes que je n′aime pas ? Oh ! pas du tout, tout le contraire. » Mais, plutôt que de me livrer à ce genre de causeries investigatrices, je consacrais souvent à imaginer la promenade d′Albertine les forces que je n′employais pas à la faire, et parlais à mon amie avec cette ardeur que gardent intacte les projets inexécutés. J′exprimais une telle envie d′aller revoir tel vitrail de la Sainte-Chapelle, un tel regret de ne pas pouvoir le faire avec elle seule, que tendrement elle me disait : « Mais, mon petit, puisque cela a l′air de vous plaire tant, faites un petit effort, venez avec nous. Nous attendrons aussi tard que vous voudrez, jusqu′à ce que vous soyez prêt. D′ailleurs si cela vous amuse plus d′être seul avec moi, je n′ai qu′à réexpédier Andrée chez elle, elle viendra une autre fois. » Mais ces prières mêmes de sortir ajoutaient au calme qui me permettait de rester à la maison. -¡Ah!, a propósito, Albertina, ¿lo he soñado, o me dijiste una vez que conocías a Gilberta Swann? -Sí, bueno, me habló en clase, porque ella tenía los cuadernos de historia de Francia, y estuvo muy simpática, me los prestó y se los devolví también en clase, no la he visto más que allí. -¿Es de ese género de mujeres que a mí no me gustan? -Nada de eso, todo lo contrario. Pero más que entregarme a esta clase de conversaciones indagadoras, solía dedicar a imaginar el paseo de Albertina las fuerzas que no empleaba en hacerlo, y hablaba a mi amiga con ese ardor que conservan intactos los proyectos no cumplidos. Manifestaba tal deseo de ir a ver de nuevo una vidriera de la Sainte-Chapelle, tal pesar por no poder hacerlo con ella sola, que me decía tiernamente: -Pero, chiquito mío, si eso te hace tanta ilusión, haz un pequeño esfuerzo, ven con nosotros. Esperaremos todo lo que quieras para que te prepares. Además, si te gusta estar conmigo sola, no tengo más que mandar a Andrea a su casa, ya vendrá otra vez. Pero estos ruegos para que saliera reforzaban la calma que me permitía quedarme en casa.
Je ne songeais pas que l′apathie qu′il y avait à se décharger ainsi sur Andrée ou sur le chauffeur du soin de calmer mon agitation, en les laissant surveiller Albertine, ankylosait en moi, rendait inertes tous ces mouvements imaginatifs de l′intelligence, toutes ces inspirations de la volonté qui aident à deviner, à empêcher, ce que va faire une personne ; certes, par nature, le monde des possibles m′a toujours été plus ouvert que celui de la contingence réelle. Cela aide à connaître l′âme, mais on se laisse tromper par les individus. Ma jalousie naissait par des images, pour une souffrance, non d′après une probabilité. Or, il peut y avoir dans la vie des hommes et dans celle des peuples (et il devait y avoir dans la mienne) un jour où on a besoin d′avoir en soi un préfet de police, un diplomate à claires vues, un chef de la sûreté, qui, au lieu de rêver aux possibles que recèle l′étendue jusqu′aux quatre points cardinaux, raisonne juste, se dit : « Si l′Allemagne déclare ceci, c′est qu′elle veut faire telle autre chose ; non pas une autre chose dans le vague, mais bien précisément ceci ou cela, qui est même peut-être déjà commencé. » « Si telle personne s′est enfuie, ce n′est pas vers les buts a, b, d, mais vers le but c, et l′endroit où il faut opérer nos recherches est c. » Hélas, cette faculté, qui n′était pas très développée chez moi, je la laissais s′engourdir, perdre ses forces, disparaître, en m′habituant à être calme du moment que d′autres s′occupaient de surveiller pour moi. No pensaba que la apatía de descargarme así sobre Andrea o sobre el chófer del cuidado de calmar mi agitación, encomendándoles a ellos el de vigilar a Albertina, anquilosaba en mí, haciéndolos inertes, todos esos movimientos imaginativos de la inteligencia, todas esas inspiraciones que ayudan a adivinar, a impedir lo que va a hacer una persona. Esto era más peligroso aún porque, por naturaleza, el mundo de los posibles ha estado siempre más abierto para mí que el de la contingencia real. Esto nos ayuda a conocer el alma, pero nos dejamos engañar por los individuos. Mis celos nacían en imágenes, cuando se trataba de un sufrimiento, no de una probabilidad. Ahora bien, puede haber en la vida de los hombres y en la de los pueblos (y debía de haberlo en la mía) un día en que se siente la necesidad de tener en sí un prefecto de policía, un diplomático de clara visión, un jefe de seguridad que, en vez de pensar en lo que esconde un espacio que se extiende a los cuatro puntos cardinales, razona con precisión y se dice: «Si Alemania declara esto, es que quiere hacer tal otra cosa, no otra cosa indefinida, sino exactamente ésta o aquélla, que acaso ha comenzado ya. Si tal persona ha huido, no ha huido hacia los puntos a, b, d, sino hacia el punto c, y el lugar donde tenemos que desarrollar nuestras pesquisas es, etc.» Desgraciadamente, esta facultad no estaba muy desarrollada en mí, la dejaba atrofiarse, perder fuerzas, desaparecer, acostumbrándome a estar tranquilo desde el momento en que otros se ocupaban de vigilar por mí.
Quant à la raison de ce désir de ne pas sortir, cela m′eût été désagréable de la dire à Albertine. Je lui disais que le médecin m′ordonnait de rester couché. Ce n′était pas vrai. Et cela l′eût-il été que ses prescriptions n′eussent pu m′empêcher d′accompagner mon amie. Je lui demandais la permission de ne pas venir avec elle et Andrée. Je ne dirai qu′une des raisons, qui était une raison de sagesse. Dès que je sortais avec Albertine, pour peu qu′un instant elle fût sans moi, j′étais inquiet : je me figurais que peut-être elle avait parlé à quelqu′un ou seulement regardé quelqu′un. Si elle n′était pas d′excellente humeur, je pensais que je lui faisais manquer ou remettre un projet. La réalité n′est jamais qu′une amorce à un inconnu sur la voie duquel nous ne pouvons aller bien loin. Il vaut mieux ne pas savoir, penser le moins possible, ne pas fournir à la jalousie le moindre détail concret. Malheureusement, à défaut de la vie extérieure, des incidents aussi sont amenés par la vie intérieure ; à défaut des promenades d′Albertine, les hasards rencontrés dans les réflexions que je faisais seul me fournissaient parfois de ces petits fragments de réel qui attirent à eux, à la façon d′un aimant, un peu d′inconnu qui, dès lors, devient douloureux. On a beau vivre sous l′équivalent d′une cloche pneumatique, les associations d′idées, les souvenirs continuent à jouer. Mais ces heurts internes ne se produisaient pas tout de suite ; à peine Albertine était-elle partie pour sa promenade que j′étais vivifié, fût-ce pour quelques instants, par les exaltantes vertus de la solitude. En cuanto a la razón de mi deseo de quedarme, me hubiera sido muy desagradable decírsela a Albertina. Le decía que el médico me mandaba quedarme en cama. No era verdad. Y aunque lo hubiera sido, sus prescripciones no me habrían impedido acompañar a mi amiga. Le pedía permiso para no ir con ella y con Andrea. Sólo diré una de las razones, que era una razón de prudencia. Cuando salía con Albertina, si se separaba de mí aunque sólo fuera un momento, estaba inquieto: me figuraba que había hablado a alguien o simplemente había mirado a alguien. Si Albertina no estaba de muy buen humor, me imaginaba que le chafaba o le hacía aplazar un proyecto. La realidad no es más que un incentivo para una meta desconocida en cuyo camino no podemos llegar muy lejos. Es preferible no saber, pensar lo menos posible, no dar a los celos el menor detalle concreto. Desgraciadamente, a falta de la vida exterior, la vida interior tiene también sus incidentes; a falta de los paseos de Albertina, los azares encontrados en las reflexiones que me hacía me proporcionaban a veces esos pequeños fragmentos de realidad que, como un imán, atraen hacia ellos un poco de lo desconocido, doloroso desde este momento. Aun viviendo bajo el equivalente de una campana neumática, continúan actuando las asociaciones de ideas, los recuerdos. Pero esos choques internos no se producían inmediatamente; en cuanto Albertina salía para su paseo, las exaltantes virtudes de la soledad me vivificaban, aunque sólo fuera por unos momentos.
Je prenais ma part des plaisirs de la journée commençante ; le désir arbitraire — la velléité capricieuse et purement mienne — de les goûter n′eût pas suffi à les mettre à portée de moi si le temps spécial qu′il faisait ne m′en avait, non pas seulement évoqué les images passées, mais affirmé la réalité actuelle, immédiatement accessible à tous les hommes qu′une circonstance contingente et par conséquent négligeable, ne forçait pas à rester chez eux. Certains beaux jours, il faisait si froid, on était en si large communication avec la rue qu′il semblait qu′on eût disjoint les murs de la maison, et chaque fois que passait le tramway, son timbre résonnait comme eût fait un couteau d′argent frappant une maison de verre. Mais c′était surtout en moi que j′entendais, avec ivresse, un son nouveau rendu par le violon intérieur. Ses cordes sont serrées ou détendues par de simples différences de la température, de la lumière extérieures. En notre être, instrument que l′uniformité de l′habitude a rendu silencieux, le chant naît de ces écarts, de ces variations, source de toute musique : le temps qu′il fait certains jours nous fait aussitôt passer d′une note à une autre. Nous retrouvons l′air oublié dont nous aurions pu deviner la nécessité mathématique et que pendant les premiers instants nous chantons sans le connaître. Seules ces modifications internes, bien que venues du dehors, renouvelaient pour moi le monde extérieur. Des portes de communication, depuis longtemps condamnées, se rouvraient dans mon cerveau. La vie de certaines villes, la gaîté de certaines promenades reprenaient en moi leur place. Frémissant tout entier autour de la corde vibrante, j′aurais sacrifié ma terne vie d′autrefois et ma vie à venir, passées à la gomme à effacer de l′habitude, pour cet état si particulier. Tomaba mi parte de los placeres del día que comenzaba; el deseo arbitrario -la veleidad caprichosa y puramente mía- de gustarlos no habría bastado para ponerlos a mi alcance si el tiempo especial que hacía no me hubiera no sólo evocado las imágenes pasadas, sino afirmado la realidad actual, inmediatamente accesible a todos los hombres a quienes una circunstancia contingente y, por tanto, desdeñable no obligaba a quedarse en su casa. Algunos días muy claros hacía tanto frío, era tan amplia la comunicación con la calle, que parecía que se hubieran abierto las paredes de la casa, y cada vez que pasaba el tranvía, su timbre resonaba como un cuchillo de plata golpeando una casa de vidrio. Pero, sobre todo, yo oía en mí con entusiasmo un sonido nuevo del violín interior. Sus cuerdas se tensan o se aflojan por simples diferencias de la temperatura, de la luz exterior. En nuestro ser, instrumento que la uniformidad del hábito ha hecho silencioso, el canto nace de esas diferencias, de esas variaciones, fuente de toda música: por el tiempo que hace ciertos días, pasamos de repente de una nota a otra. Volvemos a encontrar el son olvidado cuya necesidad matemática hubiéramos podido adivinar y que, en los primeros momentos, cantamos sin reconocerlo. Sólo estas modificaciones internas, aunque venidas de fuera, renovaban para mí el mundo exterior. Unas puertas de comunicación condenadas desde hacía mucho tiempo se abrían de nuevo en mi cerebro. La vida de algunas ciudades, la alegría de ciertos paseos, recuperaban en mí su sitio. Estremecido todo yo en torno a la cuerda vibrante, habría sacrificado mi vida de otro tiempo y mi vida futura, suprimidas por la goma de borrar del hábito, por aquel estado tan especial.
Si je n′étais pas allé accompagner Albertine dans sa longue course, mon esprit n′en vagabondait que davantage et, pour avoir refusé de goûter avec mes sens cette matinée-là, je jouissais en imagination de toutes les matinées pareilles, passées ou possibles, plus exactement d′un certain type de matinées dont toutes celles du même genre n′étaient que l′intermittente apparition et que j′avais vite reconnu ; car l′air vif tournait de lui-même les pages qu′il fallait, et je trouvais tout indiqué devant moi, pour que je pusse le suivre de mon lit, l′évangile du jour. Cette matinée idéale comblait mon esprit de réalité permanente, identique à toutes les matinées semblables, et me communiquait une allégresse que mon état de débilité ne diminuait pas : le bien-être résultant pour nous beaucoup moins de notre bonne santé que de l′excédent inemployé de nos forces, nous pouvons y atteindre, tout aussi bien qu′en augmentant celles-ci, en restreignant notre activité. Celle dont je débordais, et que je maintenais en puissance dans mon lit, me faisait tressauter, intérieurement bondir, comme une machine qui, empêchée de changer de place, tourne sur elle-même. Si no iba a acompañar a Albertina en su larga excursión, mi espíritu vagabundearía más aún que si la acompañaba y, por haber renunciado a gustar con mis sentidos aquella madrugada, gozaba en imaginación de todas las madrugadas semejantes, pasadas o posibles, más exactamente de cierto tipo de madrugadas de las que todas las del mismo género no eran sino una intermitente aparición y que yo reconocía en seguida; pues el aire vivo volvía por sí solo las páginas que había que volver y yo encontraba claramente indicado ante mí, para poder seguirlo desde la cama, el evangelio del día. Aquella madrugada ideal me llenaba el espíritu de realidad permanente, idéntica a todas las mañanas semejantes, y me comunicaba una alegría que mi estado de debilidad no amenguaba: como el bienestar resulta para nosotros, mucho más que de nuestra buena salud, del excedente inaplicado de nuestras fuerzas, podemos alcanzarlo lo mismo aumentando éstas que restringiendo nuestra actividad. El excedente de la mía, mantenido en potencia en mi cama, me hacía vibrar, saltar interiormente, como una máquina que no pudiendo cambiar de sitio gira sobre sí misma.
Françoise venait allumer le feu et pour le faire prendre y jetait quelques brindilles, dont l′odeur, oubliée pendant tout l′été, décrivait autour de la cheminée un cercle magique dans lequel, m′apercevant moi-même en train de lire tantôt à Combray, tantôt à Doncières, j′étais aussi joyeux, restant dans ma chambre à Paris, que si j′avais été sur le point de partir en promenade du côté de Méséglise, ou de retrouver Saint-Loup et ses amis faisant du service en campagne. Il arrive souvent que le plaisir qu′ont tous les hommes à revoir les souvenirs que leur mémoire a collectionnés est le plus vif, par exemple, chez ceux que la tyrannie du mal physique et l′espoir quotidien de sa guérison, d′une part, privent d′aller chercher dans la nature des tableaux qui ressemblent à ces souvenirs et, d′autre part, laissent assez confiants qu′ils le pourront bientôt faire, pour rester vis-à-vis d′eux en état de désir, d′appétit et ne pas les considérer seulement comme des souvenirs, comme des tableaux. Mais eussent-ils dû n′être jamais que cela pour moi et eussé-je pu, en me les rappelant, les revoir seulement, que soudain ils refaisaient en moi, de moi tout entier, par la vertu d′une sensation identique, l′enfant, l′adolescent qui les avait vus. Il n′y avait pas eu seulement changement de temps dehors, ou dans la chambre modification d′odeurs, mais en moi différence d′âge, substitution de personne. L′odeur, dans l′air glacé, des brindilles de bois, c′était comme un morceau du passé, une banquise invisible détachée d′un hiver ancien qui s′avançait dans ma chambre, souvent striée, d′ailleurs, par tel parfum, telle lueur, comme par des années différentes, où je me retrouvais replongé, envahi, avant même que je les eusse identifiées, par l′allégresse d′espoirs abandonnés depuis longtemps. Le soleil venait jusqu′à mon lit et traversait la cloison transparente de mon corps aminci, me chauffait, me rendait brûlant comme du cristal. Alors, convalescent affamé qui se repaît déjà de tous les mets qu′on lui refuse encore, je me demandais si me marier avec Albertine ne gâcherait pas ma vie, tant en me faisant assumer la tâche trop lourde pour moi de me consacrer à un autre être, qu′en me forçant à vivre absent de moi-même à cause de sa présence continuelle et en me privant, à jamais, des joies de la solitude. Francisca venía a encender la chimenea y para que prendiera el fuego echaba unas ramillas cuyo olor, olvidado durante todo el verano, describía en torno a la chimenea un círculo mágico en el que yo, viéndome a mí mismo leyendo en Combray unas veces, en Doncières otras, estaba tan contento en mi cuarto de París como si me dispusiera a salir de paseo hacia Méséglise o a encontrarme en el campo con Saint-Loup y sus amigos de servicio. Suele ocurrir que el placer que sienten todos los hombres en volver a ver los recuerdos acumulados por su memoria es más vivo, por ejemplo, en aquellos que, por la tiranía del mal físico y la esperanza cotidiana de su curación, se ven privados, por una parte, de ir a buscar en la naturaleza unos cuadros parecidos a esos recuerdos y, por otra parte, conservan la suficiente confianza en que podrán hacerlo pronto para permanecer respecto a ellos en estado de deseo, de apetito, y no considerarlos sólo como recuerdos, como cuadros. Pero aunque no hubieran sido nunca nada más que eso para mí y yo hubiese podido, al recordarlos, sólo verlos, volvería a ser de pronto, todo yo, en virtud de una sensación idéntica, el niño, el adolescente que los había visto. No era sólo cambio de tiempo en el exterior, o de olores en la habitación, sino diferencia de edad en mí, sustitución de persona. El olor, en el aire frío, de las ramas de leña, era como un fragmento del pasado, un banco de hielo invisible desprendido de un invierno antiguo que avanzaba en mi cuarto, estriado además de tal perfume, de tal resplandor, como en años diferentes en los que me encontraba de nuevo sumergido, invadido, incluso antes de identificarlas, por la alegría de unas esperanzas abandonadas desde hacía mucho tiempo. El sol entraba hasta mi cama y atravesaba el transparente tabique de mi cuerpo enflaquecido, me calentaba, me tornaba ardiente como cristal. Entonces, convaleciente hambriento que saborea ya todos los manjares que no le permiten todavía, me preguntaba si no malograría mi vida casándome con Albertina, haciéndome asumir la obligación, demasiado pesada para mí, de consagrarme a otro ser, obligándome a vivir ausente de mí mismo por su presencia continua y privándome para siempre de los goces de la soledad.
Et pas de celles-là seulement. Même en ne demandant à la journée que des désirs, il en est certains — ceux que provoquent non plus les choses mais les êtres — dont le caractère est d′être individuels. Si, sortant de mon lit, j′allais écarter un instant le rideau de ma fenêtre, ce n′était pas seulement comme un musicien ouvre un instant son piano, et pour vérifier si, sur le balcon et dans la rue, la lumière du soleil était exactement au même diapason que dans mon souvenir, c′était aussi pour apercevoir quelque blanchisseuse portant son panier à linge, une boulangère à tablier bleu, une laitière à bavette et manches de toile blanche, tenant le crochet où sont suspendues les carafes de lait, quelque fière jeune fille blonde suivant son institutrice, une image enfin que les différences de lignes, peut-être quantitativement insignifiantes, suffisaient à faire aussi différente de toute autre que pour une phrase musicale la différence de deux notes, et sans la vision de laquelle j′aurais appauvri la journée des buts qu′elle pouvait proposer à mes désirs de bonheur. Mais si le surcroît de joie, apporté par la vue des femmes impossibles à imaginer a priori, me rendait plus désirables, plus dignes d′être explorés, la rue, la ville, le monde, il me donnait par là même la soif de guérir, de sortir, et, sans Albertine, d′être libre. Que de fois, au moment où la femme inconnue dont j′allais rêver passait devant la maison, tantôt à pied, tantôt avec toute la vitesse de son automobile, je souffris que mon corps ne pût suivre mon regard qui la rattrapait et, tombant sur elle comme tiré de l′embrasure de ma fenêtre par une arquebuse, arrêter la fuite du visage dans lequel m′attendait l′offre d′un bonheur qu′ainsi cloîtré je ne goûterais jamais ! Y no solamente de éstos. Aun cuando solamente deseos pidamos a la jornada, hay algunos -no los que provocan las cosas, sino los que suscitan los seres- que se caracterizan por ser individuales. Así, si me bajaba de la cama para ir a descorrer un momento la cortina de la ventana, no era solamente como un músico abre un instante el piano y para comprobar si, en el balcón y en la calle, la luz del sol estaba exactamente al mismo diapasón que en mi recuerdo: era también para mirar a una planchadora que pasaba con su cesta de ropa, a una panadera con su mandil azul, a una lechera con su pechero y sus mangas de tela blanca, el garfio con las marmitas de leche, alguna orgullosa muchachita rubia siguiendo a su institutriz; una imagen, en fin, que ciertas diferencias de líneas quizá cuantitativamente insignificantes bastaban para hacerla tan distinta de cualquier otra como lo es la diferencia de dos notas en una frase musical, y sin cuya visión mi jornada hubiera perdido, empobreciéndose, las metas que podía proponer a mis deseos de felicidad. Mas si el suplemento de alegría aportado por la contemplación de unas mujeres imposibles de imaginar a priori me las hacía más deseables, más dignas de ser exploradas, la calle, la ciudad, la gente, me daban al mismo tiempo el afán de curarme, de salir y de ser libre sin Albertina. Cuántas veces, en el momento en que la mujer desconocida con la que iba a soñar pasaba delante de la casa, unas veces a pie, otras con toda la velocidad de su automóvil, sufrí porque mi cuerpo no pudiera seguir a mi mirada que la alcanzaba y, cayendo sobre ella como disparado desde mi ventana por un arcabuz, detener la huida de aquel rostro en el que me esperaba la ofrenda de una felicidad que, enclaustrado como estaba, no gustaría jamás.
D′Albertine, en revanche, je n′avais plus rien à apprendre. Chaque jour, elle me semblait moins jolie. Seul le désir qu′elle excitait chez les autres, quand, l′apprenant, je recommençais à souffrir et voulais la leur disputer, la hissait à mes yeux sur un haut pavois. Elle était capable de me causer de la souffrance, nullement de la joie. Par la souffrance seule subsistait mon ennuyeux attachement. Dès qu′elle disparaissait, et avec elle le besoin de l′apaiser, requérant toute mon attention comme une distraction atroce, je sentais le néant qu′elle était pour moi, que je devais être pour elle. J′étais malheureux que cet état durât et, par moments, je souhaitais d′apprendre quelque chose d′épouvantable qu′elle aurait fait et qui eût été capable, jusqu′à ce que je fusse guéri, de nous brouiller, ce qui nous permettrait de nous réconcilier, de refaire différente et plus souple la chaîne qui nous liait. En cambio, de Albertina ya no me quedaba nada que aprender. Cada día me parecía menos bonita. Sólo el deseo que suscitaba en los demás la izaba a mis ojos en un alto pavés cuando, al enterarme, comenzaba a sufrir de nuevo y quería disputársela. Podía causarme sufrimiento, nunca alegría. Y sólo por el sufrimiento subsistía mi fastidioso apego a ella. Tan pronto como desaparecía, y con ella la necesidad de calmar aquel sufrimiento, que requería toda mi atención como una distracción atroz, sentía que no era nada para mí, como nada debía de ser yo para ella. Me dolía la continuación de aquel estado, y a veces deseaba enterarme de algo terrible que ella hubiera hecho y que diera lugar a una ruptura hasta que me curara, lo que nos permitiría reconciliarnos, rehacer de manera diferente y más ligera la cadena que nos unía.
En attendant, je chargeais mille circonstances, mille plaisirs, de lui procurer auprès de moi l′illusion de ce bonheur que je ne me sentais pas capable de lui donner. J′aurais voulu, dès ma guérison, partir pour Venise ; mais comment le faire, si j′épousais Albertine, moi, si jaloux d′elle que, même à Paris, dès que je me décidais à bouger c′était pour sortir avec elle. Même quand je restais à la maison toute l′après-midi, ma pensée la suivait dans sa promenade, décrivait un horizon lointain, bleuâtre, engendrait autour du centre que j′étais une zone mobile d′incertitude et de vague. « Combien Albertine, me disais-je, m′épargnerait les angoisses de la séparation si, au cours d′une de ces promenades, voyant que je ne lui parlais plus de mariage, elle se décidait à ne pas revenir, et partait chez sa tante, sans que j′eusse à lui dire adieu ! » Mon cœur, depuis que sa plaie se cicatrisait, commençait à ne plus adhérer à celui de mon amie ; je pouvais par l′imagination la déplacer, l′éloigner de moi sans souffrir. Sans doute, à défaut de moi-même, quelque autre serait son époux, et, libre, elle aurait peut-être de ces aventures qui me faisaient horreur. Mais il faisait si beau, j′étais si certain qu′elle rentrerait le soir, que, même si cette idée de fautes possibles me venait à l′esprit, je pouvais, par un acte libre, l′emprisonner dans une partie de mon cerveau, où elle n′avait pas plus d′importance que n′en auraient eu pour ma vie réelle les vices d′une personne imaginaire ; faisant jouer les gonds assouplis de ma pensée, j′avais, avec une énergie que je sentais, dans ma tête, à la fois physique et mentale comme un mouvement musculaire et une initiative spirituelle, dépassé l′état de préoccupation habituelle où j′avais été confiné jusqu′ici et commençais à me mouvoir à l′air libre, d′où tout sacrifier pour empêcher le mariage d′Albertine avec un autre et faire obstacle à son goût pour les femmes paraissait aussi déraisonnable à mes propres yeux qu′à ceux de quelqu′un qui ne l′eût pas connue. Mientras tanto, yo encomendaba a mil circunstancias, a mil placeres, la tarea de procurarle junto a mí la ilusión de la felicidad que yo no me sentía capaz de darle. Quería ir a Venecia en cuanto me curara; pero, si me casaba con Albertina, ¿cómo iba a hacerlo, tan celoso de ella que, hasta en París, si alguna vez me decidía a moverme, era para salir con ella? Incluso cuando me quedaba en casa toda la tarde, mi pensamiento la seguía en sus paseos, describiendo un horizonte lejano, azulado, engendrando alrededor del centro que era yo una zona movible de incertidumbre y de vaguedad. « ¡Cómo me evitaría Albertina -me decía- las angustias de la separación si, en uno de esos paseos, viendo que ya no le hablaba de matrimonio, se decidiera a no volver y se fuera a casa de su tía sin que yo tuviese que decirle adiós!» Mi corazón, desde que se estaba cicatrizando su herida, comenzaba a no adherirse ya al de mi amiga; en imaginación, podía alejarla de mí sin sufrir. Seguramente, al perderme a mí, se casaría con otro y, libre, tendría quizá aventuras de aquellas que a mí me horrorizaban. Pero hacía tan buen tiempo, estaba yo tan seguro de que volvería por la noche, que aunque me asaltara esta idea de posibles faltas, podía, en un acto libre, aprisionarla en una parte de mi cerebro, donde ya no tenía más importancia de la que hubieran tenido para mi vida real los vicios de una persona imaginaria; poniendo en funcionamiento los goznes lubrificados de mi cerebro, rebasaba, con una energía que en mi cabeza la sentía yo a la vez física y mental como un movimiento muscular y una iniciativa espiritual, el habitual estado en que hasta entonces estuviera confinado y comenzaba a moverme al aire libre, donde sacrificarlo todo para impedir que Albertina se casara con otro y obstaculizar su afición a las mujeres parecía tan irrazonable a mis propios ojos como a los de alguien que no la conociera.
D′ailleurs, la jalousie est de ces maladies intermittentes, dont la cause est capricieuse, impérative, toujours identique chez le même malade, parfois entièrement différente chez un autre. Il y a des asthmatiques qui ne calment leur crise qu′en ouvrant les fenêtres, en respirant le grand vent, un air pur sur les hauteurs ; d′autres en se réfugiant au centre de la ville, dans une chambre enfumée. Il n′est guère de jaloux dont la jalousie n′admette certaines dérogations. Tel consent à être trompé pourvu qu′on le lui dise, tel autre pourvu qu′on le lui cache, en quoi l′un n′est guère moins absurde que l′autre, puisque, si le second est plus véritablement trompé en ce qu′on lui dissimule la vérité, le premier réclame, en cette vérité, l′aliment, l′extension, le renouvellement de ses souffrances. Por otra parte, los celos son una de esas enfermedades intermitentes cuya causa es caprichosa, imperativa, siempre idéntica en el mismo enfermo, a veces diferente por completo en otro. Hay asmáticos que sólo calman sus crisis abriendo las ventanas, respirando aire libre, un aire puro de las alturas, mientras que otros se refugían en el centro de la ciudad, en un cuarto lleno de humo. Apenas existen celosos cuyos celos no admitan ciertas derogaciones. Uno se aviene a aquel engaño con tal de que se lo digan, otro con tal de que se lo oculten, sin que ninguno de ellos sea más absurdo que el otro, puesto que, si el segundo resulta más verdaderamente engañado desde el momento en que le ocultan la verdad, el primero reclama en esta verdad el alimento, la ampliación, la renovación de sus sufrimientos.
Bien plus, ces deux manies inverses de la jalousie vont souvent au delà des paroles qu′elles implorent ou qu′elles refusent des confidences. On voit des jaloux qui ne le sont que des femmes avec qui leur maîtresse a des relations loin d′eux, mais qui permettent qu′elle se donne à un autre homme qu′eux, si c′est avec leur autorisation, près d′eux, et, sinon même à leur vue, du moins sous leur toit. Ce cas est assez fréquent chez les hommes âgés amoureux d′une jeune femme. Ils sentent la difficulté de lui plaire, parfois l′impuissance de la contenter, et, plutôt que d′être trompés, préfèrent laisser venir chez eux, dans une chambre voisine, quelqu′un qu′ils jugent incapable de lui donner de mauvais conseils, mais non du plaisir. Pour d′autres, c′est tout le contraire ; ne laissant pas leur maîtresse sortir seule une minute dans une ville qu′ils connaissent, ils la tiennent dans un véritable esclavage, mais ils lui accordent de partir un mois dans un pays qu′ils ne connaissent pas, où ils ne peuvent se représenter ce qu′elle fera. J′avais à l′égard d′Albertine ces deux sortes de manies calmantes. Je n′aurais pas été jaloux si elle avait eu des plaisirs près de moi, encouragés par moi, que j′aurais tenus tout entiers sous ma surveillance, m′épargnant par là la crainte du mensonge ; je ne l′aurais peut-être pas été non plus si elle était partie dans un pays inconnu de moi et assez éloigné pour que je ne puisse imaginer, ni avoir la possibilité et la tentation de connaître son genre de vie. Dans les deux cas, le doute eût été supprimé par une connaissance ou une ignorance également complètes. Es más: esas dos manías inversas de los celos suelen ir más allá de las palabras, ya imploren o ya rechacen las confidencias. Celosos hay que sólo sienten celos de los hombres con los que su amante tiene relaciones lejos de ellos, pero, en cambio, permiten que se entregue a otro hombre cercano, si lo hace con su autorización y, si no en su misma presencia, al menos bajo el mismo techo. Este caso es bastante frecuente en los hombres de edad enamorados de una mujer joven. Se dan cuenta de la dificultad de gustarle, a veces de la impotencia para contentarla, y antes que ser engañados prefieren permitir que venga a su casa, a una habitación contigua, alguien que consideran incapaz de darle malos consejos, pero no de darle placer. En otros es todo lo contrario: no dejan a su amante salir sola un minuto en una ciudad que conocen, la tienen en una verdadera esclavitud, y en cambio la dejan ir a pasar un mes en un país que no conocen, donde no pueden imaginar lo que hará. Yo tenía con Albertina estas dos clases de manía calmante. No habría tenido celos si el placer lo gozara cerca de mí, alentado por mí, pero bajo mi completa vigilancia, ahorrándome así el temor a la mentira; acaso no los tuviera tampoco si ella se fuera a un lugar bastante desconocido por mí y bastante lejano como para que yo no pudiera imaginar su género de vida ni tener la posibilidad y la tentación de conocerlo. En ambos casos, el conocimiento o la ignorancia igualmente completos suprimirían la duda.
La décroissance du jour me replongeant par le souvenir dans une atmosphère ancienne et fraîche, je la respirais avec les mêmes délices qu′Orphée l′air subtil, inconnu sur cette terre, des Champs-Élysées. En la declinación del día, el recuerdo me volvía a sumergir en una atmósfera antigua y fresca; la respiraba con la misma delicia que Orfeo el aire sutil, desconocido en esta tierra, de los Campos Elíseos.
Mais déjà la journée finissait et j′étais envahi par la désolation du soir. Regardant machinalement à la pendule combien d′heures se passeraient avant qu′Albertine rentrât, je voyais que j′avais encore le temps de m′habiller et de descendre demander à ma propriétaire, Mme de Guermantes, des indications pour certaines jolies choses de toilette que je voulais donner à mon amie. Quelquefois je rencontrais la duchesse dans la cour, sortant pour des courses à pied, même s′il faisait mauvais temps, avec un chapeau plat et une fourrure. Je savais très bien que pour nombre de gens intelligents elle n′était autre chose qu′une dame quelconque ; le nom de duchesse de Guermantes ne signifiant rien, maintenant qu′il n′y a plus de duchés ni de principautés ; mais j′avais adopté un autre point de vue dans ma façon de jouir des êtres et des pays. Tous les châteaux des terres dont elle était duchesse, princesse, vicomtesse, cette dame en fourrures bravant le mauvais temps me semblait les porter avec elle, comme des personnages sculptés au linteau d′un portail tiennent dans leur main la cathédrale qu′ils ont construite, ou la cité qu′ils ont défendue. Mais ces châteaux, ces forêts, les yeux de mon esprit seuls pouvaient les voir dans la main gauche de la dame en fourrures, cousine du roi. Ceux de mon corps n′y distinguaient, les jours où le temps menaçait, qu′un parapluie dont la duchesse ne craignait pas de s′armer. « On ne peut jamais savoir, c′est plus prudent, si je me trouve très loin et qu′une voiture me demande des prix trop chers pour moi. » Les mots « trop chers », « dépasser mes moyens », revenaient tout le temps dans la conversation de la duchesse, ainsi que ceux : « je suis trop pauvre », sans qu′on pût bien démêler si elle parlait ainsi parce qu′elle trouvait amusant de dire qu′elle était pauvre, étant si riche, ou parce qu′elle trouvait élégant, étant si aristocratique, tout en affectant d′être une paysanne, de ne pas attacher à la richesse l′importance des gens qui ne sont que riches et qui méprisent les pauvres. Peut-être était-ce plutôt une habitude contractée d′une époque de sa vie où, déjà riche, mais insuffisamment pourtant, eu égard à ce que coûtait l′entretien de tant de propriétés, elle éprouvait une certaine gêne d′argent qu′elle ne voulait pas avoir l′air de dissimuler. Les choses dont on parle le plus souvent en plaisantant sont généralement, au contraire, celles qui ennuient, mais dont on ne veut pas avoir l′air d′être ennuyé, avec peut-être l′espoir inavoué de cet avantage supplémentaire que justement la personne avec qui on cause, vous entendant plaisanter de cela, croira que cela n′est pas vrai. Pero terminaba la jornada y me invadía la desolación de la noche. Mirando maquinalmente en el reloj cuántas horas faltarían para que volviera Albertina, veía que me quedaba tiempo para vestirme y bajar a pedir a mi propietaria, madame de Guermantes, indicaciones para ciertas bonitas cosas de toilette que quería regalar a mi amiga. A veces encontraba a la duquesa en el patio, disponiéndose a ir de compras a pie, aunque hiciera mal tiempo, con un sombrero plano y una piel. Yo sabía muy bien que, para muchas personas inteligentes, no era más que una señora cualquiera, porque el título de duquesa de Guermantes no significaba nada cuando ya no había ducados ni principados. Pero yo había adoptado otro punto de vista en mi manera de gozar de los seres y de los países. Me parecía que aquella dama envuelta en pieles y desafiando el mal tiempo llevaba consigo todos los castillos de las tierras de que era duquesa, princesa, vizcondesa, como los personajes esculpidos en el dintel de un pórtico tienen en la mano la catedral que ellos han construido o la ciudad que han defendido. Pero aquellos castillos, aquellos bosques, los ojos de mi espíritu sólo podían verlos en la mano enguantada de la dama envuelta en pieles, prima del rey. Los de mi cuerpo sólo veían, los días en que el tiempo amenazaba lluvia, un paraguas con el que la duquesa no temía ir armada. «Por si acaso, es más prudente llevarlo, por si me encuentro lejos y me pide un coche demasiado caro para mí». Las palabras «demasiado caro», «superior a mis medios», salían constantemente en la conversación de la duquesa, como «soy muy pobre», sin que se pudiera saber si hablaba así porque le divertía decir que era pobre, siendo rica, o porque consideraba elegante, siendo tan aristocrática, es decir, haciéndose la campesina, no dar a la riqueza la importancia que le dan las personas que son solamente ricas y desprecian a los pobres. Quizá fuera más bien una costumbre de una época de su vida en la que, siendo ya rica pero no lo bastante teniendo en cuenta lo que costaba sostener tantas propiedades, pasaba ciertos apuros de dinero que no quería disimular. Las cosas de las que solemos hablar en broma son generalmente, al contrario, las que nos fastidian, pero no queremos que se vea que nos fastidian, quizá con la esperanza inconfesada de esa ventaja suplementaria de que precisamente la persona con quien hablamos, al oírnos bromear con eso, crea que no es verdad.
Mais le plus souvent, à cette heure-là, je savais trouver la duchesse chez elle, et j′en étais heureux, car c′était plus commode pour lui demander longuement les renseignements désirés par Albertine. Et j′y descendais sans presque penser combien il était extraordinaire que chez cette mystérieuse Mme de Guermantes de mon enfance j′allasse uniquement afin d′user d′elle pour une simple commodité pratique, comme on fait du téléphone, instrument surnaturel devant les miracles duquel on s′émerveillait jadis, et dont on se sert maintenant sans même y penser, pour faire venir son tailleur ou commander une glace. Pero, generalmente, a aquella hora yo sabía que la duquesa estaría en casa, y me alegraba mucho, pues era más cómodo para pedirle con detalle los datos que Albertina deseaba. Y bajaba a su casa casi sin pensar en lo extraordinario que era que yo fuese a ver a aquella misteriosa madame de Guermantes de mi infancia únicamente con el fin de aprovecharla para una simple comodidad práctica, como si fuera un teléfono, ese instrumento sobrenatural ante cuyos milagros nos maravillábamos antes y del que ahora nos servimos sin pensarlo siquiera para llamar al sastre o encargar un helado.
Les brimborions de la parure causaient à Albertine de grands plaisirs. Je ne savais pas me refuser de lui en faire chaque jour un nouveau. Et chaque fois qu′elle m′avait parlé avec ravissement d′une écharpe, d′une étole, d′une ombrelle, que par la fenêtre, ou en passant dans la cour, de ses yeux qui distinguaient si vite tout ce qui se rapportait à l′élégance, elle avait vues au cou, sur les épaules, à la main de Mme de Guermantes, sachant que le goût naturellement difficile de la jeune fille (encore affiné par les leçons d′élégance que lui avait été la conversation d′Elstir) ne serait nullement satisfait par quelque simple à peu près, même d′une jolie chose, qui la remplace aux yeux du vulgaire, mais en diffère entièrement, j′allais en secret me faire expliquer par la duchesse où, comment, sur quel modèle, avait été confectionné ce qui avait plu à Albertine, comment je devais procéder pour obtenir exactement cela, en quoi consistait le secret du faiseur, le charme (ce qu′Albertine appelait « le chic », « le genre ») de sa manière, le nom précis — la beauté de la matière ayant son importance — et la qualité des étoffes dont je devais demander qu′on se servît. Las cosas de adorno personal entusiasmaban a Albertina. Yo no sabía privarme de regalarle algo cada día. Y cada vez que me hablaba con arrobo de una echarpe, de una estola, de una sombrilla que al pasar por el patio, o desde la ventana, habían vislumbrado sus ojos, rapidísimos en distinguir todo lo referente a la elegancia, en el cuello, sobre los hombros, en la mano de madame de Guermantes, como yo sabía que el gusto naturalmente difícil de Albertina (refinado, además, por las lecciones de elegancia sacadas de la conversación de Elstir) no se conformaría con una simple imitación, aunque lo fuera de una cosa muy bella, que la reemplaza para el vulgo, pero que es completamente distinta, iba en secreto a que la duquesa me explicara dónde, cómo, sobre qué modelo, había confeccionado lo que le gustaba a Albertina, qué tenía que hacer yo para conseguir exactamente lo mismo, en qué consistía el secreto del que lo había hecho, el encanto de su manera (lo que Albertina llamaba «le chic», «la clase»), el nombre exacto -la belleza de la materia tenía su importancia- y la calidad de las telas que yo debía pedir que emplearan.
Quand j′avais dit à Albertine, à notre arrivée de Balbec, que la duchesse de Guermantes habitait en face de nous, dans le même hôtel, elle avait pris, en entendant le grand titre et le grand nom, cet air plus qu′indifférent, hostile, méprisant, qui est le signe du désir impuissant chez les natures fières et passionnées. Celle d′Albertine avait beau être magnifique, les qualités qu′elle recélait ne pouvaient se développer qu′au milieu de ces entraves que sont nos goûts, ou ce deuil de ceux de nos goûts auxquels nous avons été obligés de renoncer — comme pour Albertine le snobisme — et qu′on appelle des haines. Celle d′Albertine pour les gens du monde tenait, du reste, très peu de place en elle et me plaisait par un côté esprit de révolution — c′est-à-dire amour malheureux de la noblesse — inscrit sur la face opposée du caractère français où est le genre aristocratique de Mme de Guermantes. Ce genre aristocratique, Albertine, par impossibilité de l′atteindre, ne s′en serait peut-être pas souciée, mais s′étant rappelé qu′Elstir lui avait parlé de la duchesse comme de la femme de Paris qui s′habillait le mieux, le dédain républicain à l′égard d′une duchesse fit place chez mon amie à un vif intérêt pour une élégante. Elle me demandait souvent des renseignements sur Mme de Guermantes et aimait que j′allasse chez la duchesse chercher des conseils de toilette pour elle-même. Sans doute j′aurais pu les demander à Mme Swann, et même je lui écrivis une fois dans ce but. Mais Mme de Guermantes me semblait pousser plus loin encore l′art de s′habiller. Si, descendant un moment chez elle, après m′être assuré qu′elle n′était pas sortie et ayant prié qu′on m′avertît dès qu′Albertine serait rentrée, je trouvais la duchesse ennuagée dans la brume d′une robe en crêpe de Chine gris, j′acceptais cet aspect que je sentais dû à des causes complexes et qui n′eût pu être changé, je me laissais envahir par l′atmosphère qu′il dégageait, comme la fin de certaines après-midi ouatées en gris perle par un brouillard vaporeux ; si, au contraire, cette robe de chambre était chinoise, avec des flammes jaunes et rouges, je la regardais comme un couchant qui s′allume ; ces toilettes n′étaient pas un décor quelconque, remplaçable à volonté, mais une réalité donnée et poétique comme est celle du temps qu′il fait, comme est la lumière spéciale à une certaine heure. Cuando, al llegar de Balbec, le dije a Albertina que la duquesa de Guermantes vivía enfrente de nosotros, en el mismo hotel, al oír el gran título y el gran nombre, tomó ese aire más que indiferente, hostil, desdeñoso, que es la señal del deseo impotente en las naturalezas orgullosas y apasionadas. La de Albertina era magnífica, pero las cualidades que ocultaba sólo podían desarrollarse en medio de esas trabas que son nuestros gustos a los que hemos tenido que renunciar, como Albertina al snobismo: es lo que se llaman odios. El de Albertina a las personas del gran mundo ocupaba, por lo demás, muy poco sitio en ella y me gustaba por un aspecto de espíritu de revolución -es decir, amor desgraciado a la nobleza- inscrito en la cara opuesta del carácter francés donde está el género aristocrático de madame de Guermantes. Este género aristocrático, a Albertina, por imposibilidad de llegar a él, no le hubiera importado, pero, recordando que Elstir le había hablado de la duquesa como de la mujer que mejor se vestía en París, el desdén republicano cedió el sitio en mi amiga a un vivo interés por una elegante. Frecuentemente me preguntaba cosas sobre madame de Guermantes y le gustaba que fuera a pedirle para ella consejos sobre toilette. Hubiera podido pedírselos a madame Swann, y hasta le escribí una vez con este objeto. Pero me parecía que madame de Guermantes la superaba en el arte de vestirse. Si, al bajar un momento a su casa, después de cerciorarme de que no había salido y de pedir que me avisaran en cuanto volviera Albertina, encontraba a la duquesa envuelta en la bruma de un vestido de crespón de China gris, aceptaba este aspecto dándome cuenta de que se debía a causas complejas y no hubiera podido cambiarse, me dejaba invadir por la atmósfera que desprendía, como ciertos atardeceres envueltos en algodón gris perla por una niebla vaporosa; si, por el contrario, aquel vestido era chinesco con llamas amarillas y rojas, la miraba como a una puesta de sol muy luminosa; aquellas toilettes no eran una decoración cualquiera, sustituible a voluntad, sino una realidad dada y poética como la del tiempo que hace, como la luz especial a cierta hora.
De toutes les robes ou robes de chambre que portait Mme de Guermantes, celles qui semblaient le plus répondre à une intention déterminée, être pourvues d′une signification spéciale, c′étaient ces robes que Fortuny a faites d′après d′antiques dessins de Venise. Est-ce leur caractère historique, est-ce plutôt le fait que chacune est unique qui lui donne un caractère si particulier que la pose de la femme qui les porte en vous attendant, en causant avec vous, prend une importance exceptionnelle, comme si ce costume avait été le fruit d′une longue délibération et comme si cette conversation se détachait de la vie courante comme une scène de roman ? Dans ceux de Balzac, on voit des héroî­¥s revêtir à dessein telle ou telle toilette, le jour où elles doivent recevoir tel visiteur. Les toilettes d′aujourd′hui n′ont pas tant de caractère, exception faite pour les robes de Fortuny. Aucun vague ne peut subsister dans la description du romancier, puisque cette robe existe réellement, que les moindres dessins en sont aussi naturellement fixés que ceux d′une œuvre d′art. Avant de revêtir celle-ci ou celle-là, la femme a eu à faire un choix entre deux robes, non pas à peu près pareilles, mais profondément individuelles chacune, et qu′on pourrait nommer. Mais la robe ne n′empêchait pas de penser à la femme. De todos los vestidos o de todas las batas que llevaba madame de Guermantes, los que parecían responder mejor a una intención determinada, tener un significado especial, eran esos vestidos pintados por Fortuny según antiguos dibujos de Venecia. ¿Es su carácter histórico, es más bien el hecho de que cada uno es único lo que le da un carácter tan especial que la actitud de la mujer que lo lleva esperándonos, hablando con nosotros, toma una importancia excepcional, como si ese traje fuera el resultado de una larga deliberación y como si esa conversación surgiera de la vida corriente como una escena de novela? En las de Balzac se ven heroínas que visten a propósito esta o la otra toilette el día en que tienen que recibir a este o al otro visitante. Las toilettes de hoy no tienen tanto carácter, excepto los trajes de Fortuny. En la descripción del novelista no puede subsistir ninguna variedad, porque ese vestido existe realmente, y sus menores dibujos quedan tan naturalmente trazados como los de una obra de arte. Antes de vestir este o el otro traje, la mujer ha tenido que elegir entre dos no más o menos parecidos, sino profundamente individuales cada uno, tanto que se podría darles nombre Pero el vestido no me impedía pensar en la mujer.
Mme de Guermantes même me sembla à cette époque plus agréable qu′au temps où je l′aimais encore. Attendant moins d′elle (que je n′allais plus voir pour elle-même), c′est presque avec le tranquille sans-gêne qu′on a quand on est tout seul, les pieds sur les chenets, que je l′écoutais comme j′aurais lu un livre écrit en langage d′autrefois. J′avais assez de liberté d′esprit pour goûter dans ce qu′elle disait cette grâce française si pure qu′on ne trouve plus, ni dans le parler, ni dans les écrits du temps présent. J′écoutais sa conversation comme une chanson populaire délicieusement et purement française, je comprenais que je l′eusse entendue se moquer de Maeterlinck (qu′elle admirait d′ailleurs, maintenant, par faiblesse d′esprit de femme, sensible à ces modes littéraires dont les rayons viennent tardivement), comme je comprenais que Mérimée se moquât de Baudelaire, Stendhal de Balzac, Paul-Louis Courier de Victor Hugo, Meilhac de Mallarmé. Je comprenais bien que le moqueur avait une pensée bien restreinte auprès de celui dont il se moquait, mais aussi un vocabulaire plus pur. Celui de Mme de Guermantes, presque autant que celui de la mère de Saint-Loup, l′était à un point qui enchantait. Ce n′est pas dans les froids pastiches des écrivains d′aujourd′hui qui disent : au fait (pour en réalité), singulièrement (pour en particulier), étonné (pour frappé de stupeur), etc., etc., qu′on retrouve le vieux langage et la vraie prononciation des mots, mais en causant avec une Mme de Guermantes ou une Françoise ; j′avais appris de la deuxième, dès l′âge de cinq ans, qu′on ne dit pas le Tarn, mais le Tar ; pas le Béarn, mais le Béar. Ce qui fit qu′à vingt ans, quand j′allai dans le monde, je n′eus pas à y apprendre qu′il ne fallait pas dire, comme faisait Mme Bontemps : Madame de Béarn. En aquella época, madame de Guermantes me parecía más agradable aún que cuando yo la amaba todavía. Esperando menos de ella (ya no iba a verla por sí misma), la escuchaba casi con la tranquila despreocupación que tenemos cuando estamos solos, con los pies en los morillos de la chimenea, como si estuviera leyendo un libro escrito en lenguaje de otro tiempo. Yo tenía la suficiente libertad de espíritu para gustar en lo que la duquesa decía esa gracia francesa tan pura que ya no se encuentra ni en el hablar ni en los escritos del tiempo presente. Escuchaba su conversación como una canción popular deliciosamente francesa, comprendía que se burlara, como yo la había oído hacerlo, de Maeterlinck (al que ahora admiraba por debilidad de espíritu de mujer, sensible a estas modas literarias cuyos rayos llegan tardíamente), como comprendía que Mérimée se burlara de Baudelaire, Stendhal de Balzac, Paul-Louis Courier de Victor Hugo, Meilhac de Mallarmé. Comprendía muy bien que el que se burlaba tenía una idea muy restringida comparado con aquel de quien se burlaba, pero también un vocabulario más puro. El de madame de Guermantes, casi tanto como el de la madre de Saint-Loup, lo era hasta un punto que encantaba. No es en las frías imitaciones de los escritores de hoy que dicen au fait (por en réalité), singulièrement (por en particulier), étonné (por frappé de stupeur), etc., donde se encuentra el viejo lenguaje y la verdadera pronunciación de las palabras, sino hablando con una madame Guermantes o una Francisca. Desde los cinco años, yo había aprendido de la segunda que no se dice el Tarn, sino el Tar, que no se dice el Béarn, sino el Béar. Lo que me valió que a los veinte años, cuando entré en la sociedad, no tuve que aprender en ella que no se debía decir, como decía madame Bontemps: madame de Béarn.
Je mentirais en disant que, ce côté terrien et quasi paysan qui restait en elle, la duchesse n′en avait pas conscience et ne mettait pas une certaine affectation à le montrer. Mais, de sa part, c′était moins fausse simplicité de grande dame qui joue la campagnarde et orgueil de duchesse qui fait la nique aux dames riches méprisantes des paysans, qu′elles ne connaissent pas, que le goût quasi artistique d′une femme qui sait le charme de ce qu′elle possède et ne va pas le gâter d′un badigeon moderne. C′est de la même façon que tout le monde a connu à Dives un restaurateur normand, propriétaire de « Guillaume le Conquérant », qui s′était bien gardé — chose très rare — de donner à son hôtellerie le luxe moderne d′un hôtel et qui, lui-même millionnaire, gardait le parler, la blouse d′un paysan normand et vous laissait venir le voir faire lui-même, dans la cuisine, comme à la campagne, un dîner qui n′en était pas moins infiniment meilleur et encore plus cher que dans les plus grands palaces. Mentiría si dijera que aquel lado terrícola y casi campesino que quedaba en la duquesa ella no lo notaba y no ponía cierta afectación en mostrarlo. Pero en ella, más que afectada sencillez de gran dama que se hace la campesina y orgullo de duquesa que se burla de las damas ricas despreciativas de los campesinos, a quienes no conocen, era inclinación casi artística de una mujer que conoce el encanto de lo que posee y no va a estropearlo con un revoque moderno. De análoga manera, todo el mundo ha conocido en Dives a un normando, propietario de un restaurante llamado «Guillaume le Conquérant», que se guardó muy bien -cosa muy rara- de dar a su establecimiento el lujo moderno de un hotel y que, siendo millonario, conservaba el hablar y la blusa de campesino normando y dejaba que los clientes entraran a la cocina a verle guisar a él mismo, como en el campo, una comida que no por eso dejaba de ser mucho mejor, y mucho más cara, que en los más grandes palaces.
Toute la sève locale qu′il y a dans les vieilles familles aristocratiques ne suffit pas, il faut qu′il y naisse un être assez intelligent pour ne pas la dédaigner, pour ne pas l′effacer sous le vernis mondain. Mme de Guermantes, malheureusement spirituelle et Parisienne et qui, quand je la connus, ne gardait plus de son terroir que l′accent, avait, du moins, quand elle voulait peindre sa vie de jeune fille, trouvé, pour son langage (entre ce qui eût semblé trop involontairement provincial, ou au contraire artificiellement lettré), un de ces compromis qui font l′agrément de la Petite Fadette de George Sand ou de certaines légendes rapportées par Chateaubriand dans les Mémoires d′outre-tombe. Mon plaisir était surtout de lui entendre conter quelque histoire qui mettait en scène des paysans avec elle. Les noms anciens, les vieilles coutumes, donnaient à ces rapprochements entre le château et le village quelque chose d′assez savoureux. Demeurée en contact avec les terres où elle était souveraine, une certaine aristocratie reste régionale, de sorte que le propos le plus simple fait se dérouler devant nos yeux toute une carte historique et géographique de l′histoire de France. No basta toda la savia local que hay en las viejas familias aristocráticas: hace falta que nazca en ellas un ser bastante inteligente para no desdeñarla, para no borrarla bajo el barniz mundano. Madame de Guermantes, desgraciadamente inteligente y parisiense y que, cuando yo la conocí, sólo el acento conservaba de su tierra, cuando quería pintar su vida de muchacha había encontrado, al menos para su lenguaje (entre lo que hubiera parecido demasiado involuntariamente provinciano, o, al contrario, artificialmente letrado), una de esas aproximaciones que constituyen el atractivo de La Petite Fadette, de George Sand, o de algunas leyendas recogidas por Chateaubriand en las Mémoires d′outre-tombe. Lo que más me gustaba era oírle contar alguna historia en la que aparecían con ella en escena algunos campesinos. Los nombres antiguos, las viejas costumbres, daban un sabor especial a aquellas relaciones entre el palacio y el pueblo.
S′il n′y avait aucune affectation, aucune volonté de fabriquer un langage à soi, alors cette façon de prononcer était un vrai musée d′histoire de France par la conversation. « Mon grand-oncle Fitt-jam » n′avait rien qui étonnât, car on sait que les Fitz-James proclament volontiers qu′ils sont de grands seigneurs français, et ne veulent pas qu′on prononce leur nom à l′anglaise. Il faut, du reste, admirer la touchante docilité des gens qui avaient cru jusque-là devoir s′appliquer à prononcer grammaticalement certains noms et qui, brusquement, après avoir entendu la duchesse de Guermantes les dire autrement, s′appliquaient à la prononciation qu′ils n′avaient pu supposer. Ainsi, la duchesse ayant eu un arrière-grand-père auprès du comte de Chambord, pour taquiner son mari d′être devenu Orléaniste, aimait à proclamer : « Nous les vieux de Frochedorf ». Le visiteur qui avait cru bien faire en disant jusque-là « Frohsdorf » tournait casaque au plus court et disait sans cesse « Frochedorf ». Si no había en ello ninguna afectación, ningún propósito de fabricar un lenguaje propio, entonces aquella manera de pronunciar era un verdadero museo de historia de Francia por la conversación. «Mi tío abuelo Fitt-jam» no tenía nada de extraño, pues es sabido que los Fitz James gustan de proclamar que son grandes señores franceses y no quieren que se pronuncie su nombre a la inglesa. Por otra parte, es de admirar la enternecedora docilidad de las gentes que hasta entonces se habían creído en el deber de esforzarse por pronunciar gramaticalmente ciertos nombres y que, de pronto, al oír a la duquesa de Guermantes decirlos de otro modo, se esfuerzan en la pronunciación que no habían podido suponer. Así, la duquesa, que había tenido un bisabuelo adicto al conde de Chambord, para pinchar a su marido por haberse hecho orleanista, se complacía en decir: «Nosotros los antiguos de Frochedorf». El visitante que había creído acertar diciendo hasta entonces «Frohsdorf» cambiaba inmediatamente y decía «Frochedorf».
Une fois que je demandais à Mme de Guermantes qui était un jeune homme exquis qu′elle m′avait présenté comme son neveu et dont j′avais mal entendu le nom, ce nom, je ne le distinguai pas davantage quand, du fond de sa gorge, la duchesse émit très fort, mais sans articuler : « C′est l′Â… i Eon lÂ… bÂ… frère à Robert. Il prétend qu′il a la forme du crâne des anciens Gallois. » Alors je compris qu′elle avait dit : C′est le petit Léon, le prince de Léon, beau-frère, en effet, de Robert de Saint-Loup. « En tous cas, je ne sais pas s′il en a le crâne, ajouta-t-elle, mais sa façon de s′habiller, qui a du reste beaucoup de chic, n′est guère de là-bas. Un jour que, de Josselin où j′étais chez les Rohan, nous étions allés à un pèlerinage, il était venu des paysans d′un peu toutes les parties de la Bretagne. Un grand diable de villageois du Léon regardait avec ébahissement les culottes beiges du beau-frère de Robert. « Qu′est-ce que tu as à me regarder, je parie que tu ne sais pas qui je suis », lui dit Léon. Et comme le paysan lui disait que non. « Eh bien, je suis ton prince. — Ah ! répondit le paysan en se découvrant et en s′excusant, je vous avais pris pour un englische. » Una vez que pregunté a madame de Guermantes quién era un joven exquisito que ella me había presentado como sobrino suyo y cuyo nombre entendí mal, no lo distinguí mejor cuando la duquesa, desde el fondo de su garganta, emitió muy fuerte, pero sin articular: «Es el... i Eon, el ... b... hermano de Roert. Pretende que tiene la forma del cráneo de los antiguos galos.» Entonces comprendí que había dicho: Es el petit Léon (el príncipe de Léon, cuñado, en efecto, de Roberto de Saint-Loup). En todo caso, no sé si tiene el cráneo de los galos -añadió-, pero su manera de vestirse, muy elegante por lo demás, no es muy de allá. Un día que fuimos de peregrinación desde Josselin, donde estaba yo en casa de los Rohan, llegaron campesinos de casi todos los puntos de Bretaña. Un gran diablo de aldeano de Léon miraba pasmado el pantalón beige del cuñado de Roberto. -¿Por qué me miras así? Apuesto a que no sabes quién soy -le dijo Léon. Y como el campesino dijera que no-. Pues soy tu príncipe -¡Ah! -contestó el campesino descubriéndose y disculpándose-, le había tomado por un inglés.
Et si, profitant de ce point de départ, je poussais Mme de Guermantes sur les Rohan (avec qui sa famille s′était souvent alliée), sa conversation s′imprégnait un peu du charme mélancolique des Pardons, et, comme dirait ce vrai poète qu′est Pampille, de « l′âpre saveur des crêpes de blé noir, cuites sur un feu d′ajoncs ». Y si, aprovechando este punto de partida, llevaba yo a madame de Guermantes al tema de los Rohan (con los que su familia había emparentado varias veces), su conversación se impregnaba un poco del melancólico encanto de las romerías y, como diría ese verdadero poeta que es Pampille, «del áspero sabor de los crêpes de trigo negro hechos en un fuego de juncos».
Du marquis du Lau (dont on sait la triste fin, quand, sourd, il se faisait porter chez Mme HÂ…, aveugle), elle contait les années moins tragiques quand, après la chasse, à Guermantes, il se mettait en chaussons pour prendre le thé avec le roi d′Angleterre, auquel il ne se trouvait pas inférieur, et avec lequel, on le voit, il ne se gênait pas. Elle faisait remarquer cela avec tant de pittoresque qu′elle lui ajoutait le panache à la mousquetaire des gentilshommes un peu glorieux du Périgord. Del marqués del Lau (cuyo triste fin es conocido, cuando, sordo él, se hacía llevar a casa de madame H..., ciega) contaba los años menos trágicos, cuando en Guermantes, al volver de caza, se ponía en zapatillas para tomar el té con el rey de Inglaterra, al que no se sentía inferior y con el que, como se ve, no andaba con contemplaciones. La duquesa destacaba esto con tanto colorido que le ponía el penacho mosqueteril de los nobles un poco gloriosos del Périgord.
D′ailleurs, même dans la simple qualification des gens, avoir soin de différencier les provinces était pour Mme de Guermantes, restée elle-même, un grand charme que n′aurait jamais su avoir une Parisienne d′origine, et ces simples noms d′Anjou, de Poitou, de Périgord, refaisaient dans sa conversation des paysages. Además, madame de Guermantes, que seguía de tal modo apegada a la tierra, lo que constituía su mayor fuerza, aun la simple calificación de las personas la hacía por provincias, situaba en ellas a las gentes como nunca sabría hacerlo una parisiense de origen, y los simples nombres de Anjou, de Poitou, de Périgord, reconstruían en su conversación paisajes en torno a un retrato a lo Saint-Simon.
Pour en revenir à la prononciation et au vocabulaire de Mme de Guermantes, c′est par ce côté que la noblesse se montre vraiment conservatrice, avec tout ce que ce mot a à la fois d′un peu puéril, d′un peu dangereux, de réfractaire à l′évolution, mais aussi d′amusant pour l′artiste. Je voulais savoir comment on écrivait autrefois le mot Jean. Je l′appris en recevant une lettre du neveu de Mme de Villeparisis, qui signe — comme il a été baptisé, comme il figure dans le Gotha — Jehan de Villeparisis, avec la même belle H inutile, héraldique, telle qu′on l′admire, enluminée de vermillon ou d′outremer, dans un livre d′heures ou dans un vitrail. Volviendo a la pronunciación y al vocabulario de madame de Guermantes, en esto es donde la nobleza resulta verdaderamente conservadora, con todo lo que esta palabra tiene a la vez de un poco pueril, de un poco peligroso, de refractario ala evolución, pero también de divertido para el artista. Yo quería saber cómo se escribía antiguamente la palabra Jean. Lo supe al recibir una carta del sobrino de madame de Villeparisis, que firma -como fue bautizado, como figura en el Gotha- Jehan de Villeparisis, con la misma hermosa H inútil, heráldica, tal como se la admira, miniada en vermellón o en ultramar, en un libro de horas o en una vidriera.
Malheureusement, je n′avais pas le temps de prolonger indéfiniment ces visites, car je voulais, autant que possible, ne pas rentrer après mon amie. Or, ce n′était jamais qu′au compte-gouttes que je pouvais obtenir de Mme de Guermantes les renseignements sur ses toilettes, lesquels m′étaient utiles pour faire faire des toilettes du même genre, dans la mesure où une jeune fille peut les porter, pour Albertine. « Par exemple, madame, le jour où vous deviez dîner chez Mme de Saint-Euverte, avant d′aller chez la princesse de Guermantes, vous aviez une robe toute rouge, avec des souliers rouges ; vous étiez inou vous aviez l′air d′une espèce de grande fleur de sang, d′un rubis en flammes, comment cela s′appelait-il ? Est-ce qu′une jeune fille peut mettre ça ? » Desgraciadamente, yo no tenía tiempo de prolongar indefinidamente estas visitas, pues quería, en lo posible, no volver después de mi amiga. Pero sólo con cuentagotas podía obtener de madame de Guermantes los datos sobre sus toilettes, que me eran útiles para encargar para Albertina otras toilettes del mismo estilo, en la medida en que podía llevarlas una muchacha. -A propósito, duquesa, el día en que iba usted a comer a casa de madame de Saint- Euverte, antes de ir a casa de la princesa de Guermantes, llevaba usted un vestido rojo, con zapatos rojos, estaba usted asombrosa, parecía una gran flor de sangre, un rubí en llamas; ¿cómo se llamaba aquel vestido? ¿Puede llevarlo una muchacha soltera?
La duchesse, rendant à son visage fatigué la radieuse expression qu′avait la princesse des Laumes quand Swann lui faisait, jadis, des compliments, regarda, en riant aux larmes, d′un air moqueur, interrogatif et ravi, M. de Bréauté, toujours là à cette heure, et qui faisait tiédir, sous son monocle, un sourire indulgent pour cet amphigouri d′intellectuel, à cause de l′exaltation physique de jeune homme qu′il lui semblait cacher. La duchesse avait l′air de dire : « Qu′est-ce qu′il a, il est fou. » Puis se tournant vers moi d′un air câlin : « Je ne savais pas que j′avais l′air d′un rubis en flammes ou d′une fleur de sang, mais je me rappelle, en effet, que j′ai eu une robe rouge : c′était du satin rouge comme on en faisait à ce moment-là. Oui, une jeune fille peut porter ça à la rigueur, mais vous m′avez dit que la vôtre ne sortait pas le soir. C′est une robe de grande soirée, cela ne peut pas se mettre pour faire des visites. » La duquesa, dando a su rostro ajado la radiante expresión que tenía la princesa de Laumes cuando Swann le decía galanterías, miró llorando de risa, con un aire burlón, interrogativo y feliz, a monsieur de Bréauté, siempre allí a aquella hora y que entibiaba bajo su monóculo una sonrisa indulgente para aquella jerigonza de intelectual, por la exaltación física de hombre joven que le parecía ocultar. La duquesa parecía decir: «¿Qué le pasa? Está loco.» Después, dirigiéndose a mí con gesto mimoso: -Yo no sabía que pareciera un rubí en llamas o una flor de sangre, pero recuerdo, en efecto, que he tenido un vestido rojo: era de raso rojo, como se llevaba en aquel momento. Sí, en rigor una muchacha soltera puede llevar eso, pero usted me ha dicho que la suya no sale de noche. Es un vestido de gran gala, no se puede poner para hacer visitas.
Ce qui est extraordinaire, c′est que de cette soirée, en somme pas si ancienne, Mme de Guermantes ne se rappelât que sa toilette et eût oublié une certaine chose qui cependant, on va le voir, aurait dû lui tenir à cœur. Il semble que, chez les êtres d′action (et les gens du monde sont des êtres d′actions minuscules, microscopiques, mais enfin des êtres d′action), l′esprit, surmené par l′attention à ce qui se passera dans une heure, ne confie que très peu de choses à la mémoire. Bien souvent, par exemple, ce n′était pas pour donner le change et paraître ne pas s′être trompé que M. de Norpois, quand on lui partait de pronostics qu′il avait émis au sujet d′une alliance avec l′Allemagne qui n′avait même pas abouti, disait : « Vous devez vous tromper, je ne me rappelle pas du tout, cela ne me ressemble pas, car, dans ces sortes de conversations, je suis toujours très laconique et je n′aurais jamais prédit le succès d′un de ces coups d′éclat qui ne sont souvent que des coups de tête, et dégénèrent habituellement en coups de force. Il est indéniable que, dans un avenir lointain, un rapprochement franco-allemand pourrait s′effectuer, et serait très profitable aux deux pays, et la France n′en serait pas le mauvais marchand, je le pense, mais je n′en ai jamais parlé, parce que la poire n′est pas mûre encore, et, si vous voulez mon avis, en demandant à nos anciens ennemis de convoler avec nous en justes noces, je crois que nous irions au-devant d′un gros échec et ne recevrions que de mauvais coups. » En disant cela, M. de Norpois ne mentait pas, il avait simplement oublié. On oublie, du reste, vite ce qu′on n′a pas pensé avec profondeur, ce qui vous a été dicté par l′imitation, par les passions environnantes. Elles changent et avec elles se modifie notre souvenir. Encore plus que les diplomates, les hommes politiques ne se souviennent pas du point de vue auquel ils se sont placés à un certain moment, et quelques-unes de leurs palinodies tiennent moins à un excès d′ambition qu′à un manque de mémoire. Quant aux gens du monde, ils se souviennent de peu de chose. Lo extraordinario es que de aquella noche, al fin y al cabo no tan lejana, madame de Guermantes no se acordara más que de su toilette y hubiera olvidado una cosa que, sin embargo, como veremos, debiera interesarle mucho. Parece ser que en las personas de acción (y las personas del gran mundo son personas de acciones minúsculas, microscópicas, pero personas de acción) la mente, sobrecargada por la atención a lo que va a ocurrir al cabo de una hora, confía muy poco a la memoria. Por ejemplo, no era por engañar y parecer al cabo de la calle cuando monsieur de Norpois, si le hablaban de pronósticos emitidos por él sobre una alianza con Alemania, que ni siquiera se había realizado, decía: -Debe de estar usted equivocado, no lo recuerdo en absoluto, creo que no es así, pues en esa clase de conversaciones yo soy siempre muy lacónico y nunca habría predicho el éxito de uno de esos coups d′éclat que no suelen ser más que coups de tête y habitualmente degeneran en coups de force. Es innegable que en un futuro lejano se podría llegar a un acercamiento franco-alemán, muy beneficioso para los dos países y en el que creo que Francia no perdería nada, pero yo no he hablado nunca de eso, porque la pera no está madura aún, y si usted quiere conocer mi opinión, creo que si propusiéramos a nuestros antiguos enemigos volver a contraer con nosotros unas justas nupcias, nos expondríamos a un gran fracaso y no recibiríamos más que golpes. Al decir esto, monsieur de Norpois no mentía, simplemente había olvidado. Y es que se olvida pronto lo que no se ha pensado con profundidad, lo que ha sido dictado por la imitación, por las pasiones circundantes. Estas pasiones cambian y con ellas cambia nuestro recuerdo. Los hombres políticos, menos aún que los diplomáticos, no recuerdan el punto de vista en que se situaron en un determinado momento, y algunas de sus palinodias se deben, más que al exceso de ambición, a la falta de memoria. En cuanto a las personas del gran mundo, recuerdan poca cosa.
Mme de Guermantes me soutint qu′à la soirée où elle était en robe rouge, elle ne se rappelait pas qu′il y eût Mme de Chaussepierre, que je me trompais certainement. Or Dieu sait pourtant si, depuis, les Chaussepierre avaient occupé l′esprit du duc et de la duchesse. Voici pour quelle raison. M. de Guermantes était le plus ancien vice-président du Jockey quand le président mourut. Certains membres du cercle qui n′ont pas de relations, et dont le seul plaisir est de donner des boules noires aux gens qui ne les invitent pas, firent campagne contre le duc de Guermantes qui, sûr d′être élu, et assez négligent quant à cette présidence qui était peu de chose relativement à sa situation mondaine, ne s′occupa de rien. On fit valoir que la duchesse était dreyfusarde (l′affaire Dreyfus était pourtant terminée depuis longtemps, mais vingt ans après on en parlait encore, et elle ne l′était que depuis deux ans), recevait les Rothschild, qu′on favorisait trop depuis quelque temps de grands potentats internationaux comme était le duc de Guermantes, à moitié allemand. La campagne trouva un terrain très favorable, les clubs jalousant toujours beaucoup les gens très en vue et détestant les grandes fortunes. Madame de Guermantes me sostuvo que no recordaba que estuviera madame de Chaussepierre en la fiesta donde ella llevaba aquel vestido rojo, que seguramente me equivocaba. Y, sin embargo, Dios sabe lo que desde entonces habían ocupado los Chaussepierre el pensamiento del duque y hasta de la duquesa. He aquí la razón. Cuando murió el presidente del jockey, monsieur de Guermantes era el vicepresidente más antiguo. Algunos miembros del círculo que no tienen relaciones y cuyo único placer es votar con bolas negras a los que no les invitan hicieron campaña contra el duque de Guermantes, que, seguro de su elección y bastante negligente en cuanto a aquella presidencia, que era relativamente poca cosa para su posición mundana, no se ocupó de nada. Se hizo valer que la duquesa era dreyfusista (el asunto Dreyfus había terminado hacía ya tiempo, pero transcurridos veinte años se hablaba todavía de él, y sólo habían pasado dos), que recibía a los Rothschild, que favorecía demasiado desde hacía algún tiempo a grandes potentados internacionales, como el duque de Guermantes, medio alemán. La campaña encontró un terreno muy favorable, pues los clubs están siempre celosos de las gentes muy destacadas y detestan a las grandes fortunas.
Celle de Chaussepierre n′était pas mince, mais personne ne pouvait s′en offusquer : il ne dépensait pas un sou, l′appartement du couple était modeste, la femme allait vêtue de laine noire. Folle de musique, elle donnait bien de petites matinées où étaient invitées beaucoup plus de chanteuses que chez les Guermantes. Mais personne n′en parlait, tout cela se passait sans rafraîchissements, le mari même absent, dans l′obscurité de la rue de la Chaise. À l′Opéra, Mme de Chaussepierre passait inaperçue, toujours avec des gens dont le nom évoquait le milieu le plus « ultra » de l′intimité de Charles X, mais des gens effacés, peu mondains. Le jour de l′élection, à la surprise générale, l′obscurité triompha de l′éblouissement : Chaussepierre, deuxième vice-président, fut nommé président du Jockey, et le duc de Guermantes resta sur le carreau, c′est-à-dire premier vice-président. Certes, être président du Jockey ne représente pas grand′chose à des princes de premier rang comme étaient les Guermantes. Mais ne pas l′être quand c′est votre tour, se voir préférer un Chaussepierre, à la femme de qui Oriane, non seulement ne rendait pas son salut deux ans auparavant, mais allait jusqu′à se montrer offensée d′être saluée par cette chauve-souris inconnue, c′était dur pour le duc. Il prétendait être au-dessus de cet échec, assurant, d′ailleurs, que c′était à sa vieille amitié pour Swann qu′il le devait. En réalité, il ne décolérait pas. La de Chaussepierre no era pequeña, pero no podía deslumbrar a nadie: no gastaba un céntimo, el piso del matrimonio era modesto, la mujer iba vestida de lana negra. Loca por la música, daba muchas pequeñas fiestas en las que había muchas más cantantes que en casa de los Guermantes. Pero nadie hablaba de aquello, no había refrescos, y ni siquiera estaba presente el marido, en la oscuridad de la Rue de la Chaise. En la ópera, madame de Chaussepierre pasaba inadvertida, siempre con gentes cuyo nombre evocaba el medio más «ultra» de la intimidad de Carlos X, pero eran gentes sin ningún relieve, poco mundanas. El día de la elección, con sorpresa general, la oscuridad triunfó sobre el deslumbramiento: Chaussepierre, segundo vicepresidente, fue nombrado presidente del jockey, y el duque de Guermantes se quedó en la calle, es decir, de primer vicepresidente. Claro que ser presidente del jockey no representa gran cosa para príncipes de primera categoría como eran los Guermantes. Pero no serlo cuando corresponde, ser preterido a un Chaussepierre, a cuya mujer no sólo no le devolvía Oriana el saludo dos años antes, sino que llegaba hasta mostrarse ofendida de que la saludara aquella desconocida, era duro para el duque. Quería aparentar que estaba por encima de aquel fracaso, asegurando, además, que se lo debía a su vieja amistad con Swann. Pero en realidad estaba furibundo.
Chose assez particulière, on n′avait jamais entendu le duc de Guermantes se servir de l′expression assez banale : « bel et bien » ; mais depuis l′élection du Jockey, dès qu′on parlait de l′affaire Dreyfus, « bel et bien » surgissait : « Affaire Dreyfus affaire Dreyfus, c′est bientôt dit et le terme est impropre ; ce n′est pas une affaire de religion, mais bel et bien une affaire politique. » Cinq ans pouvaient passer sans qu′on entendît « bel et bien » si, pendant ce temps, on ne parlait pas de l′affaire Dreyfus, mais si, les cinq ans passés, le nom de Dreyfus revenait, aussitôt « bel et bien » arrivait automatiquement. Le duc ne pouvait plus, du reste, souffrir qu′on parlât de cette affaire « qui a causé, disait-il, tant de malheurs », bien qu′il ne fût, en réalité, sensible qu′à un seul : son échec à la présidence du Jockey. Aussi, l′après-midi dont je parle, où je rappelais à Mme de Guermantes la robe rouge qu′elle portait à la soirée de sa cousine, M. de Bréauté fut assez mal reçu quand, voulant dire quelque chose, par une association d′idées restée obscure et qu′il ne dévoila pas, il commença en faisant manœuvrer sa langue dans la pointe de sa bouche en cul de poule : « À propos de l′affaire DreyfusÂ… » (pourquoi de l′affaire Dreyfus ? il s′agissait seulement d′une robe rouge et, certes, le pauvre Bréauté, qui ne pensait jamais qu′à faire plaisir, n′y mettait aucune malice). Mais le seul nom de Dreyfus fit se froncer les sourcils jupitériens du duc de Guermantes. « On m′a raconté, dit Bréauté, un assez joli mot, ma foi très fin, de notre ami Cartier (prévenons le lecteur que ce Cartier, frère de Mme de Villefranche, n′avait pas l′ombre de rapport avec le bijoutier du même nom), ce qui, du reste, ne m′étonne pas, car il a de l′esprit à revendre. — Ah ! interrompit Oriane, ce n′est pas moi qui l′achèterai. Je ne peux pas vous dire ce que votre Cartier m′a toujours embêtée, et je n′ai jamais pu comprendre le charme infini que Charles de La Trémoe et sa femme trouvent à ce raseur que je rencontre chez eux chaque fois que j′y vais. — Ma ière duiesse, répondit Bréauté qui prononçait difficilement les c, je vous trouve bien sévère pour Cartier. Il est vrai qu′il a peut-être pris un pied un peu excessif chez les La Trémoe, mais enfin c′est pour Charles une espèce, comment dirai-je, une espèce de fidèle Achate, ce qui est devenu un oiseau assez rare par le temps qui court. En tous cas, voilà le mot qu′on m′a rapporté. Cartier aurait dit que si M. Zola avait cherché à avoir un procès et à se faire condamner, c′était pour éprouver la sensation qu′il ne connaissait pas encore, celle d′être en prison. — Aussi a-t-il pris la fuite avant d′être arrêté, interrompit Oriane. Cela ne tient pas debout. D′ailleurs, même si c′était vraisemblable, je trouve le mot carrément idiot. Si c′est ça que vous trouvez spirituel ! — Mon Dieu, ma ière Oriane, répondit Bréauté qui, se voyant contredit, commençait à lâcher pied, le mot n′est pas de moi, je vous le répète tel qu′on me l′a dit, prenez-le pour ce qu′il vaut. En tous cas il a été cause que M. Cartier a été tancé d′importance par cet excellent La Trémoe qui, avec beaucoup de raison, ne veut jamais qu′on parle dans son salon de ce que j′appellerai, comment dire ? les affaires en cours, et qui était d′autant plus contrarié qu′il y avait là Mme Alphonse Rothschild. Cartier a eu à subir de la part de La Trémoe une véritable mercuriale. — Bien entendu, dit le duc, de fort mauvaise humeur, les Alphonse Rothschild, bien qu′ayant le tact de ne jamais parler de cette abominable affaire, sont dreyfusards dans l′âme, comme tous les Juifs. C′est même là un argument ad hominem (le duc employait un peu à tort et à travers l′expression ad hominem) qu′on ne fait pas assez valoir pour montrer la mauvaise foi des Juifs. Si un Français vole, assassine, je ne me crois pas tenu, parce qu′il est Français comme moi, de le trouver innocent. Mais les Juifs n′admettront jamais qu′un de leurs concitoyens soit traître, bien qu′ils le sachent parfaitement et se soucient fort peu des effroyables répercussions (le duc pensait naturellement à l′élection maudite de Chaussepierre) que le crime d′un des leurs peut amener jusqueÂ… Voyons Oriane, vous n′allez pas prétendre que ce n′est pas accablant pour les Juifs ce fait qu′ils soutiennent tous un traître. Vous n′allez pas me dire que ce n′est pas parce qu′ils sont Juifs. — Mon Dieu si, répondit Oriane (éprouvant avec un peu d′agacement, un certain désir de résister au Jupiter tonnant et aussi de mettre « l′intelligence » au-dessus de l′affaire Dreyfus). Mais c′est peut-être justement parce qu′étant Juifs et se connaissant eux-mêmes, ils savent qu′on peut être Juif et ne pas être forcément traître et anti-français, comme le prétend, paraît-il, M. Drumont. Certainement s′il avait été chrétien, les Juifs ne se seraient pas intéressés à lui, mais ils l′ont fait parce qu′ils sentent bien que s′il n′était pas Juif, on ne l′aurait pas cru si facilement traître a priori, comme dirait mon neveu Robert. — Les femmes n′entendent rien à la politique, s′écria le duc en fixant des yeux la duchesse. Car ce crime affreux n′est pas simplement une cause juive, mais bel et bien une immense affaire nationale qui peut amener les plus effroyables conséquences pour la France d′où on devrait expulser tous les Juifs, bien que je reconnaisse que les sanctions prises jusqu′ici l′aient été (d′une façon ignoble qui devrait être revisée) non contre eux, mais contre leurs adversaires les plus éminents, contre des hommes de premier ordre, laissés à l′écart pour le malheur de notre pauvre pays. » Un detalle curioso: nunca se había oído al duque de Guermantes la expresión bastante trivial bel et bien, pero desde la elección del jockey, desde que se hablaba del asunto Dreyfus, surgía bel et bien: «asunto Dreyfus, asunto Dreyfus, se dice pronto y el término es impropio; no es un asunto de religión, es bel et bie un asunto político ». Podían pasar cinco años sin que se oyera bel et bien si durante ese tiempo no se hablaba del asunto Dreyfus, pero si pasados esos cinco años volvía el nombre de Dreyfus, en seguida surgía automáticamente el bel et bien. Por lo demás, el duque ya no podía soportar que se hablara de ese asunto «que tantos males ha causado», decía, aunque en realidad él no era sensible más que a uno, a su fracaso en la presidencia del jockey. Por eso, la tarde a que me refiero, en la que recordé a madame de Guermantes el vestido rojo que llevaba en la fiesta de su prima, monsieur de Bréauté fue bastante mal recibido cuando, queriendo decir algo, por una asociación de ideas que permaneció oscura y que él no desveló, comenzó moviendo la lengua en la punta de su boca de culo de pollo: -A propósito del asunto Dreyfus... -¿por qué el asunto Dreyfus?: se trataba solamente de un vestido rojo y ciertamente el pobre Bréauté, que no pensaba nunca más que en decir cosas agradables,. no ponía en ello ninguna malicia, pero el nombre de Dreyfus le hizo fruncir el jupiterino entrecejo al duque de Guermantes-, me han contado un chiste bastante bonito, muy fino desde luego, de nuestro amigo Cartier -advertimos al lector que el tal Cartier, hermano de madame de Villefranche, no tenía la menor relación con el joyero del mismo nombre-, lo que no me extraña nada, pues tiene ingenio para dar y vender. -¡Ah! -interrumpió Oriana-, no seré yo quien lo compre. No puedo decirles lo que su Cartier me ha cargado siempre, y no puedo comprender el grandísimo encanto que Carlos de la Trémoe y su mujer le encuentran a ese pelma con el que me encuentro en su casa cada vez que voy. -Mi erida duesa -contestó Bréauté, que pronunciaba difícilmente la q-, es usted muy severa con Cartier. Desde luego está demasiado metido en casa de los La Trémoe, pero al fin y al cabo es para Arlos una especie de, cómo diré, una especie de fiel Achate, lo que ha llegado a ser un pájaro bastante raro en los tiempos que corren. En todo caso, les diré el chiste que me han contado. Parece ser que Cartier dijo que si Zola había buscado que le procesaran y le condenaran, era por experimentar una sensación que aún no conocía, la de estar en la cárcel. -Por eso huyó antes que lo detuvieran -interrumpió Oriana-. Eso no tiene pies ni cabeza. Además, aunque fuera verosímil, me parece francamente idiota. ¡Si a eso le llama usted ingenioso! -Pero, mi erida Oriana -replicó Bréauté, que al ver que le contradecían comenzaba a echarse atrás-, esas palabras no son mías, no hago más que repetirlas tal como me las dijeron, así que tómelas por lo que valen. En todo caso, han dado lugar a que monsieur Cartier recibiera un buen sofión de ese excelente La Trémoe, que con mucha razón no quiere nunca que se hable en su salón de lo que llamaré, ¿cómo decirlo?, los asuntos en discusión y que aquel día estaba más contrariado aún por la presencia de madame Alfonso Rothschild. Cartier tuvo que aguantar una buena reprimenda de La Trémoe. -Naturalmente -intervino el duque de muy mal humor-, los Alfonso Rothschild, aunque tienen el tacto de no hablar nunca de ese abominable asunto, son dreyfusistas en el fondo del alma, como todos los judíos. Éste es un argumento ad hominem -el duque empleaba la expresión ad hominem un poco al buen tun tun- que no se pone bastante de relieve para demostrar la mala fe de los judíos. Si un francés roba o asesina, yo no me creo en el deber, porque sea francés como yo, de considerarle inocente. Pero los judíos no admitirán jamás que uno de sus conciudadanos sea un traidor, aunque lo sepan perfectamente, y les importan un bledo las catastróficas repercusiones -el duque pensaba, por supuesto, en la maldita elección de Chaussepierre- que ese crimen de uno de los suyos puede provocar hasta... En fin, Oriana, no dirás que no es gravísimo para los judíos el hecho de que todos ellos sostengan a un traidor. No dirás que es porque son judíos. -Claro que sí -contestó Oriana, sintiendo, un poco irritada, cierto deseo de resistir al Júpiter tonante y también de poner «la inteligencia» por encima del asunto Dreyfus-. Pero es precisamente porque, siendo judíos y conociéndose a sí mismos, saben que se puede ser judío y no ser forzosamente traidor y antifrancés, como parece ser que opina monsieur Drumont. Claro que si hubiera sido cristiano, los judíos no se habrían interesado por él, pero lo han hecho porque se dan cuenta de que, si no fuera judío, no le creerían traidor tan fácilmente y a priori, como diría mi sobrino Roberto. -Las mujeres no entienden nada de política -exclamó el duque mirando fijamente a la duquesa-. Pues ese horrible crimen no es simplemente una causa judía, sino bel et bien un inmenso asunto nacional que puede traer las más terribles consecuencias para Francia, de donde se debería expulsar a todos los judíos, aunque reconozco que las sanciones aplicadas hasta ahora lo han sido (de una manera innoble que debería ser revisada) no contra ellos, sino contra sus adversarios más eminentes, contra los hombres de primer orden, excluidos para desgracia de nuestro pobre país.
Je sentais que cela allait se gâter et je me remis précipitamment à parler robes. Me daba cuenta de que aquello iba por mal camino y me precipité a volver al tema de los vestidos.
« Vous rappelez-vous, madame, dis-je, la première fois que vous avez été aimable avec moi ?— La première fois que j′ai été aimable avec lui », reprit-elle en regardant en riant M. de Bréauté, dont le bout du nez s′amenuisait, dont le sourire s′attendrissait, par politesse pour Mme de Guermantes, et dont la voix de couteau qu′on est en train de repasser fit entendre quelques sons vagues et rouillés. « Vous aviez une robe jaune avec de grandes fleurs noires. — Mais, mon petit, c′est la même chose, ce sont des robes de soirée. — Et votre chapeau de bleuets, que j′ai tant aimé ! Mais enfin tout cela c′est du rétrospectif. Je voudrais faire faire à la jeune fille en question un manteau de fourrure comme celui que vous aviez hier matin. Est-ce que ce serait impossible que je le visse ? — Non, Hannibal est obligé de s′en aller dans un instant. Vous viendrez chez moi et ma femme de chambre vous montrera tout ça. Seulement, mon petit, je veux bien vous prêter tout ce que vous voudrez, mais si vous faites faire des choses de Callot, de Doucet, de Paquin par de petites couturières, cela ne sera jamais la même chose. — Mais je ne veux pas du tout aller chez une petite couturière, je sais très bien que ce sera autre chose ; mais cela m′intéresserait de comprendre pourquoi ce sera autre chose. — Mais vous savez bien que je ne sais rien expliquer, moi, je suis une bête, je parle comme une paysanne. C′est une question de tour de main, de façon ; pour les fourrures je peux, au moins, vous donner un mot pour mon fourreur qui, de cette façon, ne vous volera pas. Mais vous savez que cela vous coûtera encore huit ou neuf mille francs. — Et cette robe de chambre qui sent si mauvais, que vous aviez l′autre soir, et qui est sombre, duveteuse, tachetée, striée d′or comme une aile de papillon ? — Ah ! ça, c′est une robe de Fortuny. Votre jeune fille peut très bien mettre cela chez elle. J′en ai beaucoup, je vais vous en montrer, je peux même vous en donner si cela vous fait plaisir. Mais je voudrais surtout que vous vissiez celle de ma cousine Talleyrand. Il faut que je lui écrive de me la prêter. — Mais vous aviez aussi des souliers si jolis, était-ce encore de Fortuny ? — Non, je sais ce que vous voulez dire, c′est du chevreau doré que nous avions trouvé à Londres, en faisant des courses avec Consuelo de Manchester. C′était extraordinaire. Je n′ai jamais pu comprendre comme c′était doré, on dirait une peau d′or, il n′y a que cela avec un petit diamant au milieu. La pauvre duchesse de Manchester est morte, mais si cela vous fait plaisir j′écrirai à Mme de Warwick ou à Mme Malborough pour tâcher d′en retrouver de pareils. Je me demande même si je n′ai pas encore de cette peau. On pourrait peut-être en faire faire ici. Je regarderai ce soir, je vous le ferai dire. » -¿Recuerda usted, duquesa -dije-, la primera vez que estuvo usted amable conmigo...? -La primera vez que estuve amable con él -repitió riendo y mirando a monsieur de Bréauté, que encogía la punta de la nariz sonriendo tiernamente por halagar a madame de Guermantes, y emitiendo con su voz de afilar un cuchillo unos sonidos vagos y enroñecidos- ...llevaba usted un vestido amarillo con grandes flores negras. -Pero, hijito, estamos en las mismas, son vestidos de gala. -¡Y su sombrero de florecillas azules que tanto me gustó! Pero, en fin, todo eso es retrospectivo. Yo quisiera encargar a la muchacha de que se trata un abrigo de pieles como el que usted llevaba esta mañana. ¿No sería posible que yo le viera? -Claro que sí, Aníbal tiene que marcharse dentro de un momento. Se vendrá usted conmigo a casa y mi doncella le enseñará todo eso. Ahora que, hijito mío, encantada de prestarle todo lo que quiera, pero si le encarga a una modista cualquiera modelos de Callot, de Doucet, de Paquin, nunca será lo mismo. -Pero yo no quiero de ninguna manera ir a una modista cualquiera, sé muy bien que no será lo mismo, pero me gustaría saber por qué no será lo mismo. -Ya sabe usted que yo no sé explicar nada, soy una tonta, hablo como una campesina. Es cuestión de toque, de detalle. Para las pieles, por lo menos, puedo darle unas letras para mi peletero, que así no le robará. Pero, de todos modos, eso le costará ocho o nueve mil francos. -¿Y aquella bata que huele tan mal, la que llevaba usted la otra noche, oscura, afelpada, con manchas de color y estrías de oro como un ala de mariposa? -¡Ah!, es un vestido de Fortuny. Su amiguita puede muy bien ponerse eso en casa. Tengo muchas, se las enseñaré, y hasta puedo darle alguna si le place. Pero me gustaría, sobre todo, que viera la de mi prima Talleyrand. Le escribiré que se la preste -Y aquellos zapatos tan bonitos que llevaba, ¿también eran de Fortuny? -No, ya sé a cuáles se refiere, son unos de cabritilla dorada que encontramos en Londres yendo de compras con Consuelo de Manchester. Era una piel extraordinaria. Nunca he podido comprender cómo la habían dorado, era exactamente como una piel de oro. No hay como eso con un pequeño diamante en el medio. La pobre duquesa de Manchester ha muerto, pero si le interesa escribiré a madame de Warwick o a madame Malborough para que intenten encontrar algo parecido. Estoy pensando si me queda todavía de esa piel. Es posible que lo pudieran hacer aquí. Miraré esta noche y le mandaré recado.
Comme je tâchais, autant que possible, de quitter la duchesse avant qu′Albertine fût revenue, l′heure faisait souvent que je rencontrais dans la cour, en sortant de chez Mme de Guermantes, M. de Charlus et Morel qui allaient prendre le thé chez Jupien, suprême faveur pour le baron. Je ne les croisai pas tous les jours, mais ils y allaient tous les jours. Il est, du reste, à remarquer que la constance d′une habitude est d′ordinaire en rapport avec son absurdité. Les choses éclatantes, on ne les fait généralement que par à-coups. Mais des vies insensées, où le maniaque se prive lui-même de tous les plaisirs et s′inflige les plus grands maux, ces vies sont ce qui change le moins. Tous les dix ans, si l′on en avait la curiosité, on retrouverait le malheureux dormant aux heures où il pourrait vivre, sortant aux heures où il n′y a guère rien d′autre à faire qu′à se laisser assassiner dans les rues, buvant glacé quand il a chaud, toujours en train de soigner un rhume. Il suffirait d′un petit mouvement d′énergie, un seul jour, pour changer cela une fois pour toutes. Mais justement ces vies sont habituellement l′apanage d′êtres incapables d′énergie. Les vices sont un autre aspect de ces existences monotones que la volonté suffirait à rendre moins atroces. Les deux aspects pouvaient être également considérés quand M. de Charlus allait tous les jours avec Morel prendre le thé chez Jupien. Un seul orage avait marqué cette coutume quotidienne. La nièce du giletier ayant dit un jour à Morel : « C′est cela, venez demain, je vous paierai le thé », le baron avait avec raison trouvé cette expression bien vulgaire pour une personne dont il comptait faire presque sa belle-fille ; mais comme il aimait à froisser et se grisait de sa propre colère, au lieu de dire simplement à Morel qu′il le priait de lui donner à cet égard une leçon de distinction, tout le retour s′était passé en scènes violentes. Sur le ton le plus insolent, le plus orgueilleux : « Le « toucher » qui, je le vois, n′est pas forcément allié au « tact », a donc empêché chez vous le développement normal de l′odorat, puisque vous avez toléré que cette expression fétide de payer le thé, à centimes je suppose, fît monter son odeur de vidanges jusqu′à mes royales narines ? Quand vous avez fini un solo de violon, avez-vous jamais vu chez moi qu′on vous récompensât d′un pet, au lieu d′un applaudissement frénétique ou d′un silence plus éloquent encore parce qu′il est fait de la peur de ne pouvoir retenir, non ce que votre fiancée nous prodigue, mais le sanglot que vous avez amené au bord des lèvres ? » Como yo procuraba, en lo posible, dejar a la duquesa antes de que volviera Albertina, a aquella hora solía encontrar en el patio, al salir de casa de madame de Guermantes, a monsieur de Charlus y a Morel, que iban a tomar el té a casa de... Jupien, supremo favor para el barón. No me cruzaba con ellos todos los días, pero iban todos los días. Es de observar que cuanto más absurda es una costumbre, mayor suele ser la constancia en seguirla. Las cosas extraordinarias no se hacen, generalmente, más que a saltos. Pero las vidas insensatas en las que el maníaco se priva voluntariamente de todos los placeres y se inflige los mayores males, esas vidas son las que menos cambian. Si tuviéramos la curiosidad de comprobarlo, cada diez años volveríamos a ver a un desgraciado durmiendo a las horas en que podría vivir, saliendo a las horas en que no hay otra cosa que hacer que dejarse asesinar en la calle, tomando bebidas heladas cuando tiene calor, siempre cuidándose un catarro. Bastaría, una vez, un pequeño impulso de energía para cambiar definitivamente estas costumbres. Pero precisamente esas vidas suelen ser propias de personas incapaces de energía. Los vicios son otro aspecto de esas existencias monótonas que la voluntad podría hacer menos atroces. En el hecho de que monsieur de Charlus fuera todos los días con Morel a tomar el té en casa de Jupien, se podían considerar ambos aspectos. Una sola tormenta se había producido en aquella costumbre cotidiana. Un día dijo a Morel la sobrina del chalequero: «Eso, vengan mañana, les pagaré el té»; a monsieur de Charlus le pareció esta expresión, y lo era en realidad, demasiado vulgar para una persona a la que pensaba hacer casi su nuera; pero como le gustaba ofender y se exaltaba con su propia cólera, en vez de decir simplemente a Morel que le rogaba diera a este respecto una lección de elegancia, todo el camino de vuelta transcurrió en escenas violentas. En el tono más insolente, más orgulloso: -El toucher, que, por lo que veo, no va forzosamente unido al tact te ha impedido el desarrollo normal del olfato, puesto que has tolerado que esa fétida expresión de pagar el té, supongo que a quince céntimos, hiciera subir su olor de letrina hasta mis regias narices. ¿Has visto alguna vez que cuando has terminado un solo de violín te recompensaran con un pedo, en lugar de un aplauso frenético o de un silencio aún más elocuente porque lo determina el miedo a no poder contener (no lo que tu novia te prodiga), sino el sollozo que has hecho asomar al borde de los labios?
Quand un fonctionnaire s′est vu infliger de tels reproches par son chef, il est invariablement dégommé le lendemain. Rien, au contraire, n′eût été plus cruel à M. de Charlus que de congédier Morel et, craignant même d′avoir été un peu trop loin, il se mit à faire de la jeune fille des éloges minutieux, pleins de goût, involontairement semés d′impertinences. « Elle est charmante. Comme vous êtes musicien, je pense qu′elle vous a séduit par la voix, qu′elle a très belle dans les notes hautes où elle semble attendre l′accompagnement de votre si dièse. Son registre grave me plaît moins, et cela doit être en rapport avec le triple recommencement de son cou étrange et mince, qui, semblant finir, s′élève encore en elle ; plutôt que des détails médiocres, c′est sa silhouette qui m′agrée. Et comme elle est couturière et doit savoir jouer des ciseaux, il faut qu′elle me donne une jolie découpure d′elle-même en papier. » Cuando a un funcionario le inflige su jefe semejantes reproches, al día siguiente, invariablemente, queda cesante. Mas para monsieur de Charlus era demasiado doloroso despedir a Morel, y, temiendo haber llegado demasiado lejos, se puso a hacer de la muchacha unos elogios minuciosos, muy inteligentes, involuntariamente salpicados de impertinencias. -Es encantadora. Como tú eres músico, supongo que te ha seducido por la voz, pues la tiene muy bonita en las notas altas, en las que parece estar esperando el acompañamiento de tu si sostenido. Su registro grave me gusta menos, y esto debe de estar en relación con su cuello delgado y raro, que empieza tres veces, pues parece que acaba y vuelve a empezar; en ella, más que los detalles mediocres, es la silueta lo que me gusta. Y como es modista y debe de saber manejar las tijeras, me tendrá que dar un bonito patrón de ella misma en papel.
Charlie avait d′autant moins écouté ces éloges que les agréments qu′ils célébraient chez sa fiancée lui avaient toujours échappé. Mais il répondit à M. de Charlus : « C′est entendu, mon petit, je lui passerai un savon pour qu′elle ne parle plus comme ça. » Si Morel disait ainsi « mon petit » à M. de Charlus, ce n′est pas que le beau violoniste ignorât qu′il eût à peine le tiers de l′âge du baron. Il ne le disait pas non plus comme eût fait Jupien, mais avec cette simplicité qui, dans certaines relations, postule que la suppression de la différence d′âge a tacitement précédé la tendresse. La tendresse feinte chez Morel. Chez d′autres la tendresse sincère. Ainsi, vers cette époque, M. de Charlus reçut une lettre ainsi conçue : « Mon cher Palamède, quand te reverrai-je ? Je m′ennuie beaucoup après toi et pense bien souvent à toi. PIERRE. » M. de Charlus se cassa la tête pour savoir quel était celui de ses parents qui se permettait de lui écrire avec une telle familiarité, qui devait par conséquent beaucoup le connaître, et dont malgré cela il ne reconnaissait pas l′écriture. Tous les princes auxquels l′Almanach de Gotha accorde quelques lignes défilèrent pendant quelques jours dans la cervelle de M. de Charlus. Enfin, brusquement, une adresse inscrite au dos l′éclaira : l′auteur de la lettre était le chasseur d′un cercle de jeu où allait quelquefois M. de Charlus. Ce chasseur n′avait pas cru être impoli, en écrivant sur ce ton à M. de Charlus qui avait, au contraire, un grand prestige à ses yeux. Mais il pensait que ce ne serait pas gentil de ne pas tutoyer quelqu′un qui vous avait plusieurs fois embrassé, et vous avait par là — s′imaginait-il dans sa naîµ¥té — donné son affection. M. de Charlus fut au fond ravi de cette familiarité. Il reconduisit même d′une matinée M. de Vaugoubert afin de pouvoir lui montrer la lettre. Et pourtant Dieu sait que M. de Charlus n′aimait pas à sortir avec M. de Vaugoubert. Car celui-ci, le monocle à l′œil, regardait de tous les côtés les jeunes gens qui passaient. Bien plus, s′émancipant quand il était avec M. de Charlus, il employait un langage que détestait le baron. Il mettait tous les noms d′hommes au féminin et, comme il était très bête, il s′imaginait cette plaisanterie très spirituelle et ne cessait de rire aux éclats. Comme, avec cela, il tenait énormément à son poste diplomatique, les déplorables et ricanantes façons qu′il avait dans la rue étaient perpétuellement interrompues par la frousse que lui causait au même moment le passage de gens du monde, mais surtout de fonctionnaires. « Cette petite télégraphiste, disait-il en touchant du coude le baron renfrogné, je l′ai connue, mais elle s′est rangée, la vilaine ! Oh ! ce livreur des Galeries Lafayette, quelle merveille ! Mon Dieu, voilà le directeur des Affaires commerciales qui passe ! Pourvu qu′il n′ait pas remarqué mon geste ! Il serait capable d′en parler au Ministre, qui me mettrait en non-activité, d′autant plus qu′il paraît que c′en est une. » M. de Charlus ne se tenait pas de rage. Enfin, pour abréger cette promenade qui l′exaspérait, il se décida à sortir sa lettre et à la faire lire à l′ambassadeur, mais il lui recommanda la discrétion, car il feignait que Charlie fût jaloux afin de pouvoir faire croire qu′il était aimant. « Or, ajouta-t-il d′un air de bonté impayable, il faut toujours tâcher de causer le moins de peine qu′on peut. » Avant de revenir à la boutique de Jupien, l′auteur tient à dire combien il serait contristé que le lecteur s′offusquât de peintures si étranges. D′une part (et ceci est le petit côté de la chose), on trouve que l′aristocratie semble proportionnellement, dans ce livre, plus accusée de dégénérescence que les autres classes sociales. Cela serait-il, qu′il n′y aurait pas lieu de s′en étonner. Les plus vieilles familles finissent par avouer, dans un nez rouge et bossu, dans un menton déformé, des signes spécifiques où chacun admire la « race ». Mais parmi ces traits persistants et sans cesse aggravés, il y en a qui ne sont pas visibles : ce sont les tendances et les goûts. Ce serait une objection plus grave, si elle était fondée, de dire que tout cela nous est étranger et qu′il faut tirer la poésie de la vérité toute proche. L′art extrait du réel le plus familier existe en effet et son domaine est peut-être le plus grand. Mais il n′en est pas moins vrai qu′un grand intérêt, parfois de la beauté, peut naître d′actions découlant d′une forme d′esprit si éloignée de tout ce que nous sentons, de tout ce que nous croyons, que nous ne pouvons même arriver à les comprendre, qu′elles s′étalent devant nous comme un spectacle sans cause. Qu′y a-t-il de plus poétique que Xerxès, fils de Darius, faisant fouetter de verges la mer qui avait englouti ses vaisseaux ? Charlie no escuchaba estos elogios, tanto menos cuanto que los atractivos que celebraban en su novia le habían pasado siempre inadvertidos. Pero contestó a monsieur de Charlus: -Desde luego, pequeño mío, le echaré una buena para que no vuelva a hablar así. Si Morel llamaba «pequeño mío» a monsieur de Charlus, no es que el apuesto violinista ignorara que el barón le triplicaba la edad. Tampoco lo decía como lo hubiera dicho Jupien, sino con esa sencillez que, en ciertas relaciones, postula que la supresión de la diferencia de edad ha precedido tácitamente al cariño (cariño fingido en Morel, sincero en otros). Así, por aquella época, monsieur de Charlus recibió una carta concebida en los siguientes términos: «Mi querido Palamède, ¿cuándo te veré? Me aburro mucho después de ti y pienso muchas veces en ti, etc. Muy tuyo, Pedro.» Monsieur de Charlus se devanó los sesos por averiguar qué persona de su familia se permitía escribirle con tanta familiaridad, persona que debía, por tanto, conocerle mucho, y él, sin embargo, no conocía su letra. Durante unos días desfilaron por el cerebro de monsieur de Charlus todos los príncipes a los que el Almanaque del Gotha concede unas líneas. Hasta que, de pronto, le iluminó una dirección escrita al dorso: el autor de la carta era el botones de un casino de juego al que monsieur de Charlus iba algunas veces. El tal botones no creyó descortés escribir en aquel tono a monsieur de Charlus, quien, por el contrario, tenía gran prestigio a sus ojos. Pero pensaba que no estaba bien no tutear a una persona que le había besado varias veces, demostrándole con ello su cariño -así lo imaginaba en su inocencia-. En el fondo, a monsieur de Charlus le encantó aquella familiaridad. Hasta llegó a acompañar a monsieur de Vaugoubert, a la salida de una fiesta, para enseñarle la casa. Y, sin embargo, Dios sabe que a monsieur de Charlus no le gustaba salir con monsieur de Vaugoubert. Pues éste, con el monóculo en el ojo, miraba a todos los jóvenes que pasaban. Más aún, sintiéndose emancipado cuando estaba con monsieur de Charlus, empleaba un lenguaje que el barón detestaba. Ponía en femenino todos los nombres de hombres y, como era muy tonto, le parecía muy ingeniosa esta broma y se reía a carcajadas. Como además tenía muchísimo apego a su puesto diplomático, sus deplorables y estrepitosas maneras en la calle las interrumpía continuamente el miedo cuando se cruzaba con personas del gran mundo, pero sobre todo con funcionarios. -A esa pequeña telegrafista -decía tocando con el codo al enfurruñado barón- la he conocido, pero se ha vuelto muy formal, la muy antipática. ¡Oh, ese repartidor de Galeries Lafayette, qué maravilla! Diablo, por ahí va el director de Asuntos Comerciales. ¡Con tal de que no se haya fijado en mi gesto! Sería capaz de decírselo al ministro, que me dejaría excedente, sobre todo porque, al parecer, es del gremio. Monsieur de Charlus estaba furioso. Por fin, para abreviar aquel paseo que le exasperaba, se decidió a sacar la carta y a dársela a leer al embajador, pero recomendándole discreción, pues para poder hacer creer que Charlie le amaba, fingía que éste era celoso. Y añadió con un impagable gesto de bondad: -Hay que procurar siempre, en lo posible, no causar pena. Antes de volver al taller de Jupien, le interesa al autor hacer constar cuánto le contrariaría que el lector se equivocara ante tan extrañas descripciones. Por una parte (y éste es el aspecto menos importante del asunto), resulta que este libro parece presentar a la aristocracia más degenerada, proporcionalmente, que las demás clases sociales. Aunque así fuera, no habría por qué extrañarse. Las familias más antiguas acaban por declarar, en la nariz roja y caballuda, en el mentón deformado, unos signos específicos en los que todo el mundo admira la «raza». Pero entre estos rasgos persistentes y cada vez más acusados hay algunos no visibles, y son las tendencias y los gustos. Una objeción más grave, si fuera fundada, sería decir que todo esto nos es ajeno y que hay que sacar la poesía de la verdad muy próxima. Existe, en efecto, el arte extraído de la realidad más familiar, y acaso su campo es el más grande. Pero también es cierto que puede nacer un gran interés, a veces por la belleza, de actos derivados de una forma de espíritu tan lejana de todo lo que sentimos, de todo lo que creemos, que ni siquiera podemos llegar a comprenderlos, que se presentan ante nosotros como un espectáculo sin causa. ¿Hay algo más poético que Jerjes, hijo de Darío, mandando azotar el mar que se había tragado sus barcos?
Il est certain que Morel, usant du pouvoir que ses charmes lui donnaient sur la jeune fille, transmit à celle-ci, en la prenant à son compte, la remarque du baron, car l′expression « payer le thé » disparut aussi complètement de la boutique du giletier que disparaît à jamais d′un salon telle personne intime, qu′on recevait tous les jours et avec qui, pour une raison ou pour une autre, on s′est brouillé ou qu′on tient à cacher et qu′on ne fréquente qu′au dehors. M. de Charlus fut satisfait de la disparition de « payer le thé ». Il y vit une preuve de son ascendant sur Morel et l′effacement de la seule petite tache à la perfection de la jeune fille. Enfin, comme tous ceux de son espèce, tout en étant sincèrement l′ami de Morel et de sa presque fiancée, l′ardent partisan de leur union, il était assez friand du pouvoir de créer à son gré de plus ou moins inoffensives piques, en dehors et au-dessus desquelles il demeurait aussi olympien qu′eût été son frère. Morel, haciendo uso del poder que sus encantos le daban sobre la muchacha, transmitió a ésta, llamándola a capítulo, la censura del barón, y la expresión «pagar el té» desapareció del taller del chalequero tan absolutamente como desaparece para siempre de un salón una persona íntima a la que se recibía diariamente y con la que, por una u otra razón, se han enfadado los dueños de la casa o les interesa ocultar esa amistad y no frecuentarla más que fuera de aquélla. Monsieur de Charlus se quedó muy satisfecho, pues aquello representaba para él una prueba de su ascendiente sobre Morel y la desaparición de la única pequeña mancha en las perfecciones de la muchacha. Además, como a todos los de su especie, sin dejar de ser sinceramente amigo de Morel y de su casi prometida, ardiente partidario de su unión, le encantaba el poder de suscitar a su capricho unos piques más o menos inofensivos, permaneciendo él al margen y por encima de los mismos tan olímpicamente como si fuera hermano suyo.
Morel avait dit à M. de Charlus qu′il aimait la nièce de Jupien, voulait l′épouser, et il était doux au baron d′accompagner son jeune ami dans des visites où il jouait le rôle de futur beau-père, indulgent et discret. Rien ne lui plaisait mieux. Morel había dicho a monsieur de Charlus que amaba a la sobrina de Jupien y quería casarse con ella, y al barón le era dulce acompañar a su joven amigo a unas visitas en las que él desempeñaba el papel de futuro suegro indulgente y discreto. Nada le era más grato.
Mon opinion personnelle est que « payer le thé » venait de Morel lui-même, et que, par aveuglement d′amour, la jeune couturière avait adopté une expression de l′être adoré, laquelle jurait par sa laideur au milieu du joli parler de la jeune fille. Ce parler, ces charmantes manières qui s′y accordaient, la protection de M. de Charlus faisaient que beaucoup de clientes, pour qui elle avait travaillé, la recevaient en amie, l′invitaient à dîner, la mêlaient à leurs relations, la petite n′acceptant du reste qu′avec la permission du baron de Charlus et les soirs où cela lui convenait. « Une jeune couturière dans le monde ? » dira-t-on, quelle invraisemblance ! Si l′on y songe, il n′était pas moins invraisemblable qu′autrefois Albertine vînt me voir à minuit, et maintenant vécût avec moi. Et c′eût peut-être été invraisemblable d′une autre, mais nullement d′Albertine, sans père ni mère, menant une vie si libre qu′au début je l′avais prise à Balbec pour la maîtresse d′un coureur, ayant pour parente la plus rapprochée Mme Bontemps qui, déjà chez Mme Swann, n′admirait chez sa nièce que ses mauvaises manières et maintenant fermait les yeux, surtout si cela pouvait la débarrasser d′elle en lui faisant faire un riche mariage où un peu de l′argent irait à sa tante (dans le plus grand monde, des mères très nobles et très pauvres, ayant réussi à faire faire à leur fils un riche mariage, se laissent entretenir par les jeunes époux, acceptent des fourrures, une automobile, de l′argent d′une belle-fille qu′elles n′aiment pas et qu′elles font recevoir). Personalmente creo que «pagar el té» venía del propio Morel y que la joven costurera, por ceguera de amor, adoptó una expresión del hombre adorado, expresión que, por su fealdad, chocaba con el bonito hablar de la muchacha. Este hablar, las bonitas maneras que lo acompañaban, la protección de monsieur de Charlus, daban lugar a que muchos clientes para los que había trabajado la recibieran como amiga, la invitaran a comer, la introdujeran entre sus relaciones, todo lo cual no lo aceptaba la pequeña si no era con el permiso del barón y las noches que a ella le convenían. «¿Una costurerilla en el gran mundo? -se dirá-. ¡Qué cosa más inverosímil!» Bien pensado, no era menos inverosímil que el hecho de que Albertina fuera a verme a media noche y ahora viviera conmigo. Y quizá fuera inverosímil en otra, pero no en Albertina, sin padre ni madre, haciendo una vida tan libre que al principio yo la tomé en Balbec por amante de un corredor, teniendo como pariente más próximo a madame Bontemps, que, ya en casa de madame Swann, sólo admiraba en su sobrina sus malas maneras y ahora cerraba los ojos, sobre todo si esto podría librarla de ella facilitándole una buena boda que se traduciría en un poco de dinero para la tía (en la más alta sociedad, algunas madres muy nobles y muy pobres que han casado a sus hijos con un buen partido se dejan mantener por los jóvenes esposos, aceptan pieles, un automóvil, dinero, de una nuera a la que no quieren, pero a la que introducen en sociedad).
Il viendra peut-être un jour où les couturières, ce que je ne trouverais nullement choquant, iront dans le monde. La nièce de Jupien, étant une exception, ne peut encore le laisser prévoir, une hirondelle ne fait pas le printemps. En tous cas, si la toute petite situation de la nièce de Jupien scandalisa quelques personnes, ce ne fut pas Morel, car, sur certains points, sa bêtise était si grande que non seulement il trouvait « plutôt bête » cette jeune fille mille fois plus intelligente que lui, peut-être seulement parce qu′elle l′aimait, mais encore il supposait être des aventurières, des sous-couturières déguisées, faisant les dames, les personnes fort bien posées qui la recevaient et dont elle ne tirait pas vanité. Naturellement ce n′était pas des Guermantes, ni même des gens qui les connaissaient, mais des bourgeoises riches, élégantes, d′esprit assez libre pour trouver qu′on ne se déshonore pas en recevant une couturière, d′esprit assez esclave aussi pour avoir quelque contentement de protéger une jeune fille que Son Altesse le baron de Charlus allait, en tout bien tout honneur, voir tous les jours. Acaso llegue un día en que las costureras alternarán en el gran mundo, lo que a mí no me parecería mal en absoluto. Como la sobrina de Jupien es una excepción, no puede todavía permitir preverlo, pues una golondrina no hace verano. En todo caso, si el pequeño ascenso de la sobrina de Jupien escandalizó a algunas personas, no fue, por cierto, a Morel, pues en algunos puntos su estupidez era tan grande que no sólo encontraba «más bien tonta» a aquella muchacha mil veces más inteligente que él, quizá sólo porque ella le amaba, sino que suponía que eran aventureras, modistas de baja categoría disfrazadas de señoras, las personas muy bien situadas que la recibían y de lo que ella no se envanecía. Por supuesto, no eran Guermantes, ni siquiera personas que las conociesen, sino burguesas ricas, elegantes, de espíritu lo bastante libre como para pensar que nadie se deshonra recibiendo a una costurera, de espíritu lo bastante esclavo también como para sentir cierta satisfacción por proteger a una muchacha a la que S. A. el barón de Charlus, sin tener con ella ninguna relación amorosa, iba a ver todos los días.
Rien ne plaisait mieux que l′idée de ce mariage au baron, lequel pensait qu′ainsi Morel ne lui serait pas enlevé. Il paraît que la nièce de Jupien avait fait, presque enfant, une « faute ». Et M. de Charlus, tout en faisant son éloge à Morel, n′aurait pas été fâché de le confier à son ami, qui eût été furieux, et de semer ainsi la zizanie. Car M. de Charlus, quoique terriblement méchant, ressemblait à un grand nombre de personnes bonnes, qui font les éloges d′un tel ou d′une telle pour prouver leur propre bonté, mais se garderaient comme du feu des paroles bienfaisantes, si rarement prononcées, qui seraient capables de faire régner la paix. Malgré cela, le baron se gardait d′aucune insinuation, et pour deux causes. « Si je lui raconte, se disait-il, que sa fiancée n′est pas sans tache, son amour-propre sera froissé, il m′en voudra. Et puis, qui me dit qu′il n′est pas amoureux d′elle ? Si je ne dis rien, ce feu de paille s′éteindra vite, je gouvernerai leurs rapports à ma guise, il ne l′aimera que dans la mesure où je le souhaiterai. Si je lui raconte la faute passée de sa promise, qui me dit que mon Charlie n′est pas encore assez amoureux pour devenir jaloux ? Alors, je transformerai, par ma propre faute, un flirt sans conséquence et qu′on mène comme on veut, en un grand amour, chose difficile à gouverner. » Pour ces deux raisons, M. de Charlus gardait un silence qui n′avait que les apparences de la discrétion, mais qui, par un autre côté, était méritoire, car se taire est presque impossible aux gens de sa sorte. La idea de aquella boda le era muy grata al barón, pues pensaba que así no le quitarían a Morel. Parece ser que la sobrina de Jupien había tenido, casi niña, un «desliz» y a monsieur de Charlus, sin dejar de cantarlos elogios de la muchacha, no le hubiera desagradado contárselo al amigo, que se habría puesto furioso, y meter así cizaña. Pues monsieur de Charlus, aunque profundamente malévolo, se parecía a muchas buenas personas que hacen el elogio de éste o del otro para demostrar su propia bondad, pero que se guardarían como del fuego de pronunciar palabras, tan raramente emitidas, que pudieran hacer reinar la paz. A pesar de ello, el barón se guardó de la menor insinuación, y por dos razones. «Si le cuento -pensaba- que su novia no está sin mancha, sufrirá su amor propio y me tomará rabia. Y, además, ¿quién me dice que no está enamorado de ella? Si no digo nada, ese fuego de. paja se apagará en seguida, yo gobernaré a mi gusto sus relaciones, él no la amará sino en la medida en que yo lo desee. Si le cuento la pasada falta de su prometida, ¿quién me dice que mi Charlie no está lo bastante enamorado para sentir celos? Entonces, por mi propia culpa, transformaré un amorío sin consecuencias y muy fácil de manejar en un gran amor, cosa difícil de gobernar.» Por estas dos razones, monsieur de Charlus guarguardaba un silencio que sólo tenía las apariencias de la discreción, pero que, por otra parte, era meritorio, pues a las personas de este tipo les es casi imposible callarse.
D′ailleurs, la jeune fille était délicieuse, et M. de Charlus, en qui elle satisfaisait tout le goût esthétique qu′il pouvait avoir pour les femmes, aurait voulu avoir d′elle des centaines de photographies. Moins bête que Morel, il apprenait avec plaisir les dames comme il faut qui la recevaient et que son flair social situait bien, mais il se gardait (voulant garder l′empire) de le dire à Charlie, lequel, vraie brute en cela, continuait à croire qu′en dehors de la « classe de violon » et des Verdurin, seuls existaient les Guermantes, les quelques familles presque royales énumérées par le baron, tout le reste n′étant qu′une « lie », une « tourbe ». Charlie prenait ces expressions de M. de Charlus à la lettre. Por otra parte, la muchacha era deliciosa, y monsieur de Charlus, satisfecho el gusto estético que podía tener para las mujeres, hubiera querido tener centenares de fotografías suyas. Menos tonto que Morel, se enteraba con gusto de las damas elegantes que la recibían y a las que su olfato social sabía catalogar. Pero, velando por conservar su dominio, se guardaba muy bien de decírselo a Charlie, el cual, un verdadero ignorante de estas cosas, seguía creyendo que, aparte la «clase de violín» y los Verdurin, no existían más que los Guermantes, las pocas familias casi reales enumeradas por el barón, y que todo lo demás no era sino una «hez», una «turba». Charlie tomaba al pie de la letra estas expresiones de monsieur de Charlus.
Â… ¡Cómo es posible que monsieur de Charlus, vanamente esperado todos los días del año por tantos embajadores y tantas duquesas; que monsieur de Charlus, que no comía con el príncipe de Croy porque se le da la precedencia; que monsieur de Charlus pase en casa de la sobrina de un chalequero todo el tiempo que quita a esas grandes damas, a esos grandes señores! En primer lugar, razón suprema, estaba allí Morel. Y aunque no estuviera, no veo ninguna inverosimilitud, o ustedes juzgan como lo haría un subalterno de Amado. Sólo los camareros creen que un hombre muy rico lleva siempre trajes nuevos y resplandecientes y que un señor muy elegante da comidas de sesenta cubiertos y no va más que en automóvil. Se equivocan. Ocurre frecuentemente que un hombre muy rico lleva siempre la misma chaqueta raída, que un caballero muy elegante es un señor que en el restaurante sólo se trata con los empleados y, al volver a casa, juega a las cartas con sus criados. Esto no quita para que se niegue a pasar después del príncipe Murat.
Parmi les raisons qui rendaient M. de Charlus heureux du mariage des deux jeunes gens il y avait celle-ci, que la nièce de Jupien serait en quelque sorte une extension de la personnalité de Morel et par là du pouvoir à la fois et de la connaissance que le baron avait de lui. « Tromper », dans le sens conjugal, la future femme du violoniste, M. de Charlus n′eût même pas songé une seconde à en éprouver du scrupule. Mais avoir un « jeune ménage » à guider, se sentir le protecteur redouté et tout-puissant de la femme de Morel, laquelle, considérant le baron comme un dieu, prouverait par là que le cher Morel lui avait inculqué cette idée, et contiendrait ainsi quelque chose de Morel, firent varier le genre de domination de M. de Charlus et naître en sa « chose », Morel, un être de plus, l′époux, c′est-à-dire lui donnèrent quelque chose de plus, de nouveau, de curieux à aimer en lui. Peut-être même cette domination serait-elle plus grande maintenant qu′elle n′avait jamais été. Car là où Morel seul, nu pour ainsi dire, résistait souvent au baron qu′il se sentait sûr de reconquérir, une fois marié, pour son ménage, son appartement, son avenir, il aurait peur plus vite, offrirait aux volontés de M. de Charlus plus de surface et de prise. Tout cela et même au besoin, les soirs où il s′ennuierait, de mettre la guerre entre les époux (le baron n′avait jamais détesté les tableaux de bataille) plaisait à M. de Charlus. Moins pourtant que de penser à la dépendance de lui où vivrait le jeune ménage. L′amour de M. de Charlus pour Morel reprenait une nouveauté délicieuse quand il se disait : sa femme aussi sera à moi autant qu′il est à moi, ils n′agiront que de la façon qui ne peut me fâcher, ils obéiront à mes caprices, et ainsi elle sera un signe (jusqu′ici inconnu de moi) de ce que j′avais presque oublié et qui est si sensible à mon cœur, que pour tout le monde, pour ceux qui me verront les protéger, les loger, pour moi-même, Morel est mien. De cette évidence aux yeux des autres et aux siens, M. de Charlus était plus heureux que de tout le reste. Car la possession de ce qu′on aime est une joie plus grande encore que l′amour. Bien souvent ceux qui cachent à tous cette possession ne le font que par la peur que l′objet chéri ne leur soit enlevé. Et leur bonheur, par cette prudence de se taire, en est diminué. Entre las razones que a monsieur de Charlus le hacían desear la boda de los dos jóvenes, figuraba ésta: que la sobrina de Jupien sería en cierto modo una prolongación de la personalidad de Morel y, por consiguiente, del poder y del conocimiento que el barón tenía de él. En cuanto a «engañar», en el sentido conyugal, a la futura esposa del violinista, a monsieur de Charlus no se le ocurría ni por un momento sentir por ello el menor escrúpulo. Pero tener que guiar a un «joven matrimonio», sentirse un protector temido y todopoderoso de la mujer de Morel, que consideraba al barón como a un Dios, demostraría que el querido Morel le había infundido esta idea, y contendría así algo de Morel, haría cambiar el tipo de dominio de monsieur de Charlus y nacer en su «cosa» Morel un ser más, el esposo, es decir, le daría un atractivo más, algo nuevo, algo curioso que amar en él. Acaso este dominio sería ahora mayor que nunca. Pues allí donde Morel solo, desnudo por decirlo así, resistía muchas veces al barón, pues se sentía seguro de reconquistarlo, una vez casado temería por su matrimonio, por su casa, por su porvenir y ofrecería a monsieur de Charlus mayor superficie, más medios de captación. Todo esto, y hasta, llegado el caso, las noches en que se aburriera, la posibilidad de encizañar a los esposos (al barón no le habían desagradado nunca los cuadros de batallas) le gustaba mucho a monsieur de Charlus. Pero no tanto como pensar en que el joven matrimonio iba a depender de él. El amor de monsieur de Charlus por Morel adquiría una deliciosa novedad cuando pensaba: es tan mío que su mujer también será mía; no harán nada que pueda molestarme, obedecerán a mis caprichos, y de este modo ella será una señal (que yo no he conocido hasta ahora) de lo que casi había olvidado y que tan sensible es a mi corazón: que para todo el mundo, para los que verán que los protejo, que los alojo, y para mí mismo, Morel es mío. A monsieur de Charlus esta evidencia para los demás y para sí mismo le entusiasmaba más que todo el resto. Pues la posesión de lo que se ama es un goce más grande aún que el amor. Muy frecuentemente los que ocultan a todos esta posesión sólo lo hacen por miedo a que les quiten el objeto amado. Y esta prudencia de callarse amengua su felicidad.
On se souvient peut-être que Morel avait jadis dit au baron que son désir, c′était de séduire une jeune fille, en particulier celle-là, et que pour y réussir il lui promettrait le mariage, et, le viol accompli, il « ficherait le camp au loin » ; mais cela, devant les aveux d′amour pour la nièce de Jupien que Morel était venu lui faire, M. de Charlus l′avait oublié. Bien plus, il en était peut-être de même pour Morel. Il y avait peut-être intervalle véritable entre la nature de Morel — telle qu′il l′avait cyniquement avouée, peut-être même habilement exagérée — et le moment où elle reprendrait le dessus. En se liant davantage avec la jeune fille, elle lui avait plu, il l′aimait. Il se connaissait si peu qu′il se figurait sans doute l′aimer, même peut-être l′aimer pour toujours. Certes, son premier désir initial, son projet criminel subsistaient, mais recouverts par tant de sentiments superposés que rien ne dit que le violoniste n′eût pas été sincère en disant que ce vicieux désir n′était pas le mobile véritable de son acte. Il y eut du reste une période de courte durée où, sans qu′il se l′avouât exactement, ce mariage lui parut nécessaire. Morel avait à ce moment-là d′assez fortes crampes à la main et se voyait obligé d′envisager l′éventualité d′avoir à cesser le violon. Comme, en dehors de son art, il était d′une incompréhensible paresse, la nécessité de se faire entretenir s′imposait et il aimait mieux que ce fût par la nièce de Jupien que par M. de Charlus, cette combinaison lui offrant plus de liberté, et aussi un grand choix de femmes différentes, tant par les apprenties toujours nouvelles, qu′il chargerait la nièce de Jupien de lui débaucher, que par les belles dames riches auxquelles il la prostituerait. Que sa future femme pût refuser de condescendre à ces complaisances et fût perverse à ce point n′entrait pas un instant dans les calculs de Morel. D′ailleurs ils passèrent au second plan, y laissèrent la place à l′amour pur, les crampes ayant cessé. Le violon suffirait avec les appointements de M. de Charlus, duquel les exigences se relâcheraient certainement une fois que lui, Morel, serait marié à la jeune fille. Le mariage était la chose pressée, à cause de son amour et dans l′intérêt de sa liberté. Il fit demander la main de la nièce de Jupien, lequel la consulta. Aussi bien n′était-ce pas nécessaire. La passion de la jeune fille pour le violoniste ruisselait autour d′elle, comme ses cheveux quand ils étaient dénoués, comme la joie de ses regards répandus. Chez Morel, presque toute chose qui lui était agréable ou profitable éveillait des émotions morales et des paroles de même ordre, parfois même des larmes. C′est donc sincèrement — si un pareil mot peut s′appliquer à lui — qu′il tenait à la nièce de Jupien des discours aussi sentimentaux (sentimentaux sont aussi ceux que tant de jeunes nobles ayant envie de ne rien faire dans la vie tiennent à quelque ravissante jeune fille de richissime bourgeois) qui étaient d′une bassesse sans fard, celle qu′il avait exposé à M. de Charlus au sujet de la séduction, du dépucelage. Seulement l′enthousiasme vertueux à l′égard d′une personne qui lui causait un plaisir et les engagements solennels qu′il prenait avec elle avaient une contre-partie chez Morel. Dès que la personne ne lui causait plus de plaisir, ou même, par exemple, si l′obligation de faire face aux promesses faites lui causait du déplaisir, elle devenait aussitôt, de la part de Morel, l′objet d′une antipathie qu′il justifiait à ses propres yeux, et qui, après quelques troubles neurasthéniques, lui permettait de se prouver à soi-même, une fois l′euphorie de son système nerveux reconquise, qu′il était, en considérant même les choses d′un point de vue purement vertueux, dégagé de toute obligation. Ainsi, à la fin de son séjour à Balbec, il avait perdu je ne sais à quoi tout son argent et, n′ayant pas osé le dire à M. de Charlus, cherchait quelqu′un à qui en demander. Il avait appris de son père (qui, malgré cela, lui avait défendu de devenir jamais « tapeur ») qu′en pareil cas il est convenable d′écrire, à la personne à qui on veut s′adresser, « qu′on a à lui parler pour affaires », qu′on lui « demande un rendez-vous pour affaires ». Cette formule magique enchantait tellement Morel qu′il eût, je pense, souhaité perdre de l′argent rien que pour le plaisir de demander un rendez-vous « pour affaires ». Dans la suite de la vie, il avait vu que la formule n′avait pas toute la vertu qu′il pensait. Il avait constaté que des gens, auxquels lui-même n′eût jamais écrit sans cela, ne lui avaient pas répondu cinq minutes après avoir reçu la lettre pour parler affaires ». Si l′après-midi s′écoulait sans que Morel eût de réponse, l′idée ne lui venait pas que, même à tout mettre au mieux, le monsieur sollicité n′était peut-être pas rentré, avait pu avoir d′autres lettres à écrire, si même il n′était pas parti en voyage, ou tombé malade, etc. Si Morel recevait, par une fortune extraordinaire, un rendez-vous pour le lendemain matin, il abordait le sollicité par ces mots : « Justement j′étais surpris de ne pas avoir de réponse, je me demandais s′il y avait quelque chose ; alors, comme ça, la santé va toujours bien, etc. » Donc à Balbec, et sans me dire qu′il avait à lui parler d′une « affaire », il m′avait demandé de le présenter à ce même Bloch avec lequel il avait été si désagréable une semaine auparavant dans le train. Bloch n′avait pas hésité à lui prêter — ou plutôt à lui faire prêter par M. Nissim Bernard — 5.000 francs. De ce jour, Morel avait adoré Bloch. Il se demandait les larmes aux yeux comment il pourrait rendre service à quelqu′un qui lui avait sauvé la vie. Enfin, je me chargeai de demander pour Morel 1.000 francs par mois à M. de Charlus, argent que celui-ci remettrait aussitôt à Bloch, qui se trouverait ainsi remboursé assez vite. Le premier mois, Morel, encore sous l′impression de la bonté de Bloch, lui envoya immédiatement les 1.000 francs ; mais après cela il trouva sans doute qu′un emploi différent des 4.000 francs qui restaient pourrait être plus agréable, car il commença à dire beaucoup de mal de Bloch. La vue de celui-ci suffisait à lui donner des idées noires, et Bloch ayant oublié lui-même exactement ce qu′il avait prêté à Morel, et lui ayant réclamé 3.500 francs au lieu de 4.000, ce qui eût fait gagner 500 francs au violoniste, ce dernier voulut répondre que, devant un pareil faux, non seulement il ne paierait plus un centime mais que son prêteur devait s′estimer bien heureux qu′il ne déposât pas une plainte contre lui. En disant cela, ses yeux flambaient. Il ne se contenta pas, du reste, de dire que Bloch et M. Nissim Bernard n′avaient pas à lui en vouloir, mais bientôt qu′ils devaient se déclarer heureux qu′il ne leur en voulût pas. Enfin, M. Nissim Bernard ayant, paraît-il, déclaré que Thibaud jouait aussi bien que Morel, celui-ci trouva qu′il devait l′attaquer devant les tribunaux, un tel propos lui nuisant dans sa profession ; puis, comme il n′y a plus de justice en France, surtout contre les Juifs (l′antisémitisme ayant été chez Morel l′effet naturel du prêt de 5.000 francs par un Israélite), il ne sortit plus qu′avec un revolver chargé. Un tel état nerveux suivant une vive tendresse, devait bientôt se produire chez Morel relativement à la nièce du giletier. Il est vrai que M. de Charlus fut peut-être, sans s′en douter, pour quelque chose dans ce changement, car souvent il déclarait, sans en penser un seul mot, et pour les taquiner, qu′une fois mariés il ne les reverrait plus et les laisserait voler de leurs propres ailes. Cette idée était, en elle-même, absolument insuffisante pour détacher Morel de la jeune fille ; restant dans l′esprit de Morel, elle était prête, le jour venu, à se combiner avec d′autres idées ayant de l′affinité pour elle et capables, une fois le mélange réalisé, de devenir un puissant agent de rupture. El lector recuerda quizá que Morel dijo un día al barón que deseaba seducir a una muchacha, especialmente a aquélla, y que para lograrlo le prometería casarse con ella, pero después de violarla la dejaría plantada. Pero ante las declaraciones de amor a la sobrina de Jupien que Morel le hizo, monsieur de Charlus olvidó aquello. Más aún, es posible que también lo hubiera olvidado Morel. Acaso mediaba una distancia verdadera entre la naturaleza de Morel -tal como él la confesaba cínicamente, quizá hasta hábilmente exageraday el momento en que ésta se impusiera. Cuando trató más a la muchacha, le gustó, la amó, y tan mal se conocía que llegó a figurarse quizá que la amaba para siempre. Persistían, desde luego, su deseo inicial, su proyecto nefando, pero enmascarados por tantos sentimientos superpuestos que nada demuestra que el violinista no fuera sincero al decir que aquel vicioso deseo no era el verdadero móvil de su acción. Y hasta hubo un período, de corta duración, en el que, sin confesárselo exactamente, aquella boda le parecía necesaria. En aquel momento, Morel sufría calambres de la mano bastante fuertes y pensaba en la eventualidad de tener que dejar el violín. Como fuera de su arte era perezosísimo, se imponía la necesidad de que le mantuvieran, y prefería que lo hiciera la sobrina de Jupien antes que monsieur de Charlus, pues esta combinación le permitía mayor libertad, y también una variada elección de mujeres diferentes, tanto por las aprendizas siempre nuevas que él encargaría a la sobrina de Jupien de corromper, como por las bellas damas ricas con las que la prostituiría. Ni por un momento entraba en los cálculos de Morel que su futura mujer pudiera negarse a condescender a tales complacencias y fuera perversa hasta tal punto. Por lo demás, todo esto pasó a segundo plano, dejando el sitio al amor puro, porque se le quitaron los calambres. Bastaría el violín y las aportaciones de monsieur de Charlus, cuyas exigencias amainarían seguramente una vez que él, Morel, estuviera casado con la muchacha. Urgía este matrimonio, por su amor y por el interés de su libertad. Hizo pedir a Jupien la mano de su sobrina, y Jupien la consultó. Lo cual no era necesario: la pasión de la muchacha por el violinista fluía de toda ella, como su cabellera cuando se la soltaba, como la alegría de sus ojos. En Morel, casi todo lo que le era agradable o provechoso le despertaba emociones morales y palabras igualmente morales, a veces hasta lágrimas. Y, sinceramente -si se puede aplicar a Morel esta palabra-, dirigía a la sobrina de Jupien discursos tan sentimentales (sentimentales son también los que tantos jóvenes aristócratas que no tienen gana de hacer nada en la vida dirigen a alguna encantadora hija de riquísimos burgueses) como descaradamente bajas eran las teorías que expusiera a monsieur de Charlus sobre el tema de la seducción, de la desfloración. El entusiasmo virtuoso ante una persona que le ofrecía un placer y los solemnes compromisos que tomaba con ella, sólo tenían en Morel una contrapartida. Si la persona dejaba de ofrecerle aquel placer, o incluso, por ejemplo, si la obligación de cumplir las promesas hechas le contrariaba, le tomaba inmediatamente una viva antipatía que él justificaba a sus propios ojos y que, pasados ciertos trastornos neurasténicos, le permitía demostrarse a sí mismo, una vez recuperada la euforia de su sistema nervioso, que, aun considerando las cosas desde un punto de vista puramente virtuoso, se sentía exento de toda obligación Así, por ejemplo, al final de su estancia en Balbec, perdió no sé en qué todo su dinero, no se atrevió a decírselo a monsieur de Charlus y se puso a buscar alguien a quien pedírselo. Había aprendido de su padre (que a pesar de esto le había prohibido volverse nunca un «sablista») que en semejante caso conviene escribir a la persona a quien se piensa dirigirse «que se le va a hablar de negocios», que «se le pide una entrevista para negocios». Esta fórmula mágica le gustaba tanto a Morel que hubiera llegado, creo, a desear perder dinero nada más que por el gusto de pedir una cita «para negocios». En el transcurso de la vida había visto que la fórmula no era tan eficaz como él creía. Comprobó que algunas personas, a las que sin este motivo no hubiera escrito nunca, no le contestaban a los cinco minutos de recibir la carta «para hablar de negocios». Si transcurría la tarde sin recibir respuesta, a Morel no se le ocurría que, aun poniéndose en lo mejor, acaso el señor solicitado no había vuelto, quizá había tenido que escribir otras cartas, eso si no estaba de viaje o había caído enfermo, etc. Si, por una suerte extraordinaria, Morel recibía una cita para la mañana siguiente, abordaba al solicitado con estas palabras: «Precisamente me extrañaba no recibir respuesta, pensaba si pasaría algo; ¿así que bien de salud?, etc.». En Balbec, y sin decirme que tenía que hablarle de un «negocio», me pidió un día que le presentara a aquel mismo Bloch con el que, una semana antes, había estado tan desagradable en el tren. Bloch no vaciló en prestarle -o más bien en hacer que le prestara monsieur Nissim Bernard- cinco mil francos. Desde aquel día, Morel adoró a Bloch. Se preguntaba con lágrimas en los ojos qué podría hacer por una persona que le había salvado la vida. Por fin yo me encargué, en nombre de Morel, de pedir a monsieur de Charlus mil francos mensuales, dinero que éste entregaría inmediatamente a Bloch, con lo que la deuda se saldaría bastante pronto. El primer mes, Morel, todavía bajo la impresión de la bondad de Bloch, le mandó inmediatamente los mil francos; pero después debió de parecerle que sería más agradable dar otro empleo a los cuatro mil francos restantes, pues empezó a hablar muy mal de Bloch. Sólo verle le sugería ideas negras, y como Bloch olvidara exactamente lo que había prestado a Morel y le reclamara tres mil quinientos francos en vez de cuatro mil, con lo que el violinista ganaría quinientos francos, éste quiso contestar que ante pareja falsedad no sólo no daría un céntimo más, sino que su prestatario debía darse por contento con que no presentara una denuncia contra él. Al decir esto, los ojos le echaban llamas. Y no se conformó con decir que Bloch y monsieur Nissim Bernard no tenían por qué quejarse de él; dijo más: que debían darse por satisfechos de que él no se quejara de ellos. Finalmente, como monsieur Nissim Bernard dijera, según parece, que Thibaud tocaba tan bien como Morel, éste pensó que debía llevarle a los tribunales, pues tales palabras le perjudicaban en su profesión, pero como en Francia ya no hay justicia, sobre todo contra los judíos (el antisemitismo de Morel era el efecto natural de haberle prestado cinco mil francos un israelita), ya decidió salir siempre de casa con un revólver cargado. El mismo estado nervioso subsiguiente a un vivo cariño se iba a producir muy pronto en Morel con relación a la sobrina del chalequero. Verdad es que en este cambio intervino, quizá sin saberlo, monsieur de Charlus, porque solía decir, sin pensarlo por lo más remoto, y por pura broma, que en cuanto se casaran ya no los vería más y los dejaría volar con sus propias alas. Esta idea, en sí misma, no bastaba en absoluto para separar a Morel de la muchacha, pero se le quedaba dentro, dispuesta, llegado el día, a combinarse con otras ideas afines a ella y que, una vez realizada la mezcla, podían resultar un poderoso agente de ruptura.
Ce n′était pas, d′ailleurs, très souvent qu′il m′arrivait de rencontrer M. de Charlus et Morel. Souvent ils étaient déjà entrés dans la boutique de Jupien quand je quittais la duchesse, car le plaisir que j′avais auprès d′elle était tel que j′en venais à oublier non seulement l′attente anxieuse qui précédait le retour d′Albertine, mais même l′heure de ce retour. Por lo demás, yo no veía muy a menudo a monsieur de Charlus y a Morel. Cuando salía de casa de la duquesa, ellos solían haber entrado ya en el taller de Jupien, pues me encontraba tan a gusto con ella que llegaba a olvidar no sólo la ansiosa espera del regreso de Albertina, sino hasta la hora de este regreso.
Je mettrai à part, parmi ces jours où je m′attardai chez Mme de Guermantes, un qui fut marqué par un petit incident dont la cruelle signification m′échappa entièrement et ne fut comprise par moi que longtemps après. Cette fin d′après-midi-là, Mme de Guermantes m′avait donné, parce qu′elle savait que je les aimais, des seringas venus du Midi. Quand, ayant quitté la duchesse, je remontai chez moi, Albertine était rentrée ; je croisai dans l′escalier Andrée, que l′odeur si violente des fleurs que je rapportais sembla incommoder. Entre los días en que me detenía en casa de madame de Guermantes, señalaré uno destacado por un pequeño incidente cuya triste significación me pasó inadvertida por completo y sólo la comprendí mucho tiempo después. Aquel atardecer, madame de Guermantes me dio unas celindas que había recibido del Midi. Cuando subí a casa, Albertina había vuelto ya; me crucé en la escalera con Andrea, a la que pareció molestar el olor de las flores que yo llevaba.
« Comment, vous êtes déjà rentrées ? lui dis-je. — Il n′y a qu′un instant, mais Albertine avait à écrire, elle m′a renvoyée. — Vous ne pensez pas qu′elle ait quelque projet blâmable ? — Nullement, elle écrit à sa tante, je crois, mais elle qui n′aime pas les odeurs fortes ne sera pas enchantée de vos seringas. — Alors, j′ai eu une mauvaise idée ! Je vais dire à Françoise de les mettre sur le carré de l′escalier de service. — Si vous vous imaginez qu′Albertine ne sentira pas après vous l′odeur de seringa. Avec l′odeur de la tubéreuse, c′est peut-être la plus entêtante ; d′ailleurs je crois que Françoise est allée faire une course. — Mais alors, moi qui n′ai pas aujourd′hui ma clef, comment pourrai-je rentrer ? — Oh ! vous n′aurez qu′à sonner. Albertine vous ouvrira. Et puis Françoise sera peut-être remontée dans l′intervalle. » -Pero ¿ya han vuelto? -le dije. -Hace sólo un momento, pero Albertina tenía que escribir y me ha despedido. -¿No cree usted que tendrá algún plan censurable -Nada de eso, creo que está escribiendo a su tía. Pero, como no le gustan los olores fuertes, no creo que le encanten esas celindas que usted lleva. -Entonces he tenido una mala ocurrencia. Le diré a Francisca que las ponga en el rellano de la escalera de servicio. -Como si Albertina no fuera a notar en usted el olor a celindas; éste y el de la tuberosa creo que es el más mareante. Además, creo que Francisca ha ido a un recado. -Entonces, ¿cómo voy a entrar si hoy no tengo la llave? -Pues llame, ya abrirá Albertina. Y además puede que Francisca haya vuelto.
Je dis adieu à Andrée. Dès mon premier coup Albertine vint m′ouvrir, ce qui fut assez compliqué, car, Françoise étant descendue, Albertine ne savait pas où allumer. Enfin elle put me faire entrer, mais les fleurs de seringa la mirent en fuite. Je les posai dans la cuisine, de sorte qu′interrompant sa lettre (je ne compris pas pourquoi), mon amie eut le temps d′aller dans ma chambre, d′où elle m′appela, et de s′étendre sur mon lit. Encore une fois, au moment même, je ne trouvai à tout cela rien que de très naturel, tout au plus d′un peu confus, en tous cas d′insignifiant. Elle avait failli être surprise avec Andrée et s′était donné un peu de temps en éteignant tout, en allant chez moi pour ne pas laisser voir son lit en désordre, et avait fait semblant d′être en train d′écrire. Mais on verra tout cela plus tard, tout cela dont je n′ai jamais su si c′était vrai. En général, et sauf cet incident unique, tout se passait normalement quand je remontais de chez la duchesse. Albertine ignorant si je ne désirais pas sortir avec elle avant le dîner, je trouvais d′habitude dans l′antichambre son chapeau, son manteau, son ombrelle qu′elle y avait laissés à tout hasard. Dès qu′en entrant je les apercevais, l′atmosphère de la maison devenait respirable. Je sentais qu′au lieu d′un air raréfié, le bonheur la remplissait. J′étais sauvé de ma tristesse, la vue de ces riens me faisait posséder Albertine, je courais vers elle. Me despedí de Andrea. A la primera llamada salió a abrirme Albertina, lo que fue bastante complicado, pues como Francisca había salido, Albertina no sabía dónde se daba la luz. Por fin me abrió, pero las celindas la pusieron en fuga. Las dejé en la cocina y mientras tanto mi amiga interrumpió su carta (no entendí por qué) y tuvo tiempo de ir a mi cuarto, desde donde me llamó, y de tenderse en mi cama. Una vez más, en el momento mismo, todo aquello me pareció muy natural, quizá un poco confuso, insignificante en todo caso. Aparte este incidente único, todo ocurría normalmente cuando yo subía de casa de la duquesa después de volver Albertina; como no sabía si yo querría salir con ella antes de comer, generalmente encontraba en la antesala su sombrero, su abrigo y su sombrilla, que había dejado allí por si acaso. Cuando yo veía estas cosas al entrar, la atmósfera de la casa me resultaba respirable. Sentía que en lugar de un aire rarificado la llenaba la felicidad. Estaba salvado de mi tristeza: ver aquellas pequeñas cosas me hacía poseer a Albertina, corría hacia ella.
Les jours où je ne descendais pas chez Mme de Guermantes, pour que le temps me semblât moins long durant cette heure qui précédait le retour de mon amie, je feuilletais un album d′Elstir, un livre de Bergotte, la sonate de Vinteuil. Los días en que yo bajaba a casa de madame de Guermantes, para que el tiempo me pareciera menos largo durante aquella hora que precedía al regreso de mi amiga, hojeaba un álbum de Elstir, un libro de Bergotte, la Sonata de Vinteuil.
Alors, comme les œuvres mêmes qui semblent s′adresser seulement à la vue et à l′ouexigent que pour les goûter notre intelligence éveillée collabore étroitement avec ces deux sens, je faisais, sans m′en douter, sortir de moi les rêves qu′Albertine y avait jadis suscités quand je ne la connaissais pas encore, et qu′avait éteints la vie quotidienne. Je les jetais dans la phrase du musicien ou l′image du peintre comme dans un creuset, j′en nourrissais l′œuvre que je lisais. Et sans doute celle-ci m′en paraissait plus vivante. Mais Albertine ne gagnait pas moins à être ainsi transportée de l′un des deux mondes où nous avons accès et où nous pouvons situer tour à tour un même objet, à échapper ainsi à l′écrasante pression de la matière pour se jouer dans les fluides espaces de la pensée. Je me trouvais tout d′un coup et pour un instant pouvoir éprouver, pour la fastidieuse jeune fille, des sentiments ardents. Elle avait à ce moment-là l′apparence d′une œuvre d′Elstir ou de Bergotte, j′éprouvais une exaltation momentanée pour elle, la voyant dans le recul de l′imagination et de l′art. Entonces -como las obras mismas que parecen dirigirse solamente a la vista y al oído exigen que, para gustarlas, nuestra inteligencia despierta colabore íntimamente con estos dos sentidos-, sin darme cuenta, extraía de mí los sueños que Albertina suscitaba en otro tiempo, cuando aún no la conocía y que la vida cotidiana había extinguido. Los echaba en la frase del músico o en la imagen del pintor como un hoyo, nutría con ellos la obra que leía. Y desde luego me parecía ésta más viva. Pero Albertina ganaba también transportada así de uno a otro de los dos mundos a los que tenemos acceso y en los que podemos situar sucesivamente un mismo objeto, escapando así de la aplastante presión de la materia para actuar en los fluidos espacios del pensamiento. De pronto, y por un momento, me encontraba capaz de sentimientos ardientes por la fastidiosa muchacha. En aquel momento tenía la apariencia de una obra de Elstir o de Bergotte, y yo sentía por ella una exaltación momentánea, viéndola en la perspectiva de la imaginación y del arte.
Bientôt on me prévenait qu′elle venait de rentrer ; encore avait-on ordre de ne pas dire son nom si je n′étais pas seul, si j′avais, par exemple, avec moi Bloch, que je forçais à rester un instant de plus, de façon à ne pas risquer qu′il rencontrât mon amie. Car je cachais qu′elle habitait la maison, et même que je la visse jamais chez moi, tant j′avais peur qu′un de mes amis s′amourachât d′elle, ne l′attendît dehors, ou que, dans l′instant d′une rencontre dans le couloir ou l′antichambre, elle pût faire un signe et donner un rendez-vous. Puis j′entendais le bruissement de la jupe d′Albertine se dirigeant vers sa chambre, car, par discrétion et sans doute aussi par ces égards où, autrefois, dans nos dîners à la Raspelière, elle s′était ingéniée pour que je ne fusse pas jaloux, elle ne venait pas vers la mienne sachant que je n′étais pas seul. Mais ce n′était pas seulement pour cela, je le comprenais tout à coup. Je me souvenais ; j′avais connu une première Albertine, puis brusquement elle avait été changée en une autre, l′actuelle. Et le changement, je n′en pouvais rendre responsable que moi-même. Tout ce qu′elle m′eût avoué facilement, puis volontiers, quand nous étions de bons camarades, avait cessé de s′épandre dès qu′elle avait cru que je l′aimais, ou, sans peut-être se dire le nom de l′Amour, avait deviné un sentiment inquisitorial qui veut savoir, souffre pourtant de savoir, et cherche à apprendre davantage. Depuis ce jour-là, elle m′avait tout caché. Elle se détournait de ma chambre si elle pensait que j′étais, non pas même, souvent, avec un ami, mais avec une amie, elle dont les yeux s′intéressaient jadis si vivement quand je parlais d′une jeune fille : « Il faut tâcher de la faire venir, ça m′amuserait de la connaître. — Mais elle a ce que vous appelez mauvais genre. — Justement, ce sera bien plus drôle. » À ce moment-là, j′aurais peut-être pu tout savoir. Et même quand, dans le petit Casino, elle avait détaché ses seins de ceux d′Andrée, je ne crois pas que ce fût à cause de ma présence, mais de celle de Cottard, lequel lui aurait fait, pensait-elle sans doute, une mauvaise réputation. Et pourtant, alors, elle avait déjà commencé de se figer, les paroles confiantes n′étaient plus sorties de ses lèvres, ses gestes étaient réservés. Puis elle avait écarté d′elle tout ce qui aurait pu m′émouvoir. Aux parties de sa vie que je ne connaissais pas elle donnait un caractère dont mon ignorance se faisait complice pour accentuer ce qu′il avait d′inoffensif. Et maintenant, la transformation était accomplie, elle allait droit à sa chambre si je n′étais pas seul, non pas seulement pour ne pas déranger, mais pour me montrer qu′elle était insoucieuse des autres. Il y avait une seule chose qu′elle ne ferait jamais plus pour moi, qu′elle n′aurait faite qu′au temps où cela m′eût été indifférent, qu′elle aurait faite aisément à cause de cela même : c′était précisément avouer. J′en serais réduit pour toujours, comme un juge, à tirer des conclusions incertaines d′imprudences de langage qui n′étaient peut-être pas inexplicables sans avoir recours à la culpabilité. Et toujours elle me sentirait jaloux et juge. En seguida me avisaban que acababa de volver; tenían orden de no decirme su nombre si no estaba solo, si estaba conmigo, por ejemplo, Bloch, al que yo obligaba a quedarse un momento más para que no pudiera encontrarse con mi amiga. Pues yo ocultaba que vivía en la casa, y hasta que la viera alguna vez en ella: hasta tal punto temía que alguno de mis amigos se enamoriscara de Albertina, la esperara fuera, o que, al encontrarse en el pasillo o en la antesala, pudiera ella hacer una seña y dar una cita. Después oía el roce de la falda de Albertina dirigiéndose a mi cuarto, pues por discreción, y sin duda también por aquellos cuidados con que en nuestras comidas de la Raspelière se las ingeniaba para no darme celos, no venía a la mía sabiendo que no estaba solo. Pero no era sólo por esto, lo comprendí de pronto. Recordaba; había conocido una primera Albertina; después, de pronto, se convirtió en otra, la actual. Y yo no podía hacer responsable de este cambio a nadie más que a mí mismo. Todo lo que ella me hubiera confesado fácilmente, con mucho gusto después, cuando éramos buenos camaradas, dejó de brotar en cuanto creyó que la amaba o, acaso sin decirse el nombre de Amor, en cuanto adivinó un sentimiento inquisitorial que quiere saber, que sufre, sin embargo, de saber, que se empeña en saber más. Desde aquel día me lo ocultó todo. Se alejaba de mi habitación si creía que estaba no ya, muchas veces, con una amiga, sino con un amigo, ella cuyos ojos tan vivamente se interesaran en otro tiempo cuando yo hablaba de una muchacha: -Hay que procurar que venga, me encantaría conocerla. -Pero es de esas que tú llamas de mal género. -Precisamente por eso será mucho más divertido. En aquel momento, acaso hubiera podido yo saberlo todo. Y hasta cuando, en el pequeño casino de Balbec, separó sus senos de los de Andrea, no creo que lo hiciera por mi presencia, sino por la de Cottard, porque debía de pensar que Cottard le había dado mala fama. Y, sin embargo, ya entonces había comenzado a callar, ya no salían de sus labios las palabras confiadas, ya sus gestos eran reservados. Después fue apartando de ella todo lo que hubiera podido disgustarme. Con la complicidad de mi ignorancia, daba a las partes de su vida que yo no conocía un carácter inofensivo. Y ahora la transformación era ya completa; si yo no estaba solo, se iba derecha a su cuarto no solamente por no molestar, sino para demostrarme que los demás no le importaban. Sólo una cosa no haría ya nunca por mí, una cosa que sólo hubiera hecho en el tiempo en que me hubiese sido indiferente, y la habría hecho fácilmente por eso mismo: confesar. Me vería obligado para siempre, como un juez, a sacar conclusiones inseguras de imprudencias de lenguaje que acaso no eran inexplicables sin recurrir a la culpabilidad. Y ella me sentiría siempre celoso y juez.
Tout en écoutant les pas d′Albertine, avec le plaisir confortable de penser qu′elle ne ressortirait plus ce soir, j′admirais que, pour cette jeune fille dont j′avais cru autrefois ne pouvoir jamais faire la connaissance, rentrer chaque jour chez elle, ce fût précisément rentrer chez moi. Le plaisir fait de mystère et de sensualité que j′avais éprouvé, fugitif et fragmentaire, à Balbec, le soir où elle était venue coucher à l′Hôtel, s′était complété, stabilisé, remplissait ma demeure, jadis vide, d′une permanente provision de douceur domestique, presque familiale, rayonnant jusque dans les couloirs, et de laquelle tous mes sens, tantôt effectivement, tantôt, dans les moments où j′étais seul, en imagination et par l′attente du retour, se nourrissaient paisiblement. Quand j′avais entendu se refermer la porte de la chambre d′Albertine, si j′avais un ami avec moi je me hâtais de le faire sortir, ne le lâchant que quand j′étais bien sûr qu′il était dans l′escalier, dont je descendais au besoin quelques marches. Il me disait que j′allais prendre mal, me faisant remarquer que notre maison était glaciale, pleine de courants d′air, et qu′on le paierait bien cher pour qu′il y habitât. De ce froid on se plaignait parce qu′il venait seulement de commencer et qu′on n′y était pas habitué encore, mais, pour cette même raison, il déchaînait en moi une joie qu′accompagnait le souvenir inconscient des premiers soirs d′hiver où autrefois, revenant de voyage, pour reprendre contact avec les plaisirs oubliés de Paris, j′allais au café-concert. Aussi est-ce en chantant qu′après avoir quitté mon ancien camarade, je remontais l′escalier et rentrais. La belle saison, en s′enfuyant, avait emporté les oiseaux. Mais d′autres musiciens invisibles, intérieurs, les avaient remplacés. Et la bise glacée dénoncée par Bloch, et qui soufflait délicieusement par les portes mal jointes de notre appartement, était, comme les beaux jours de l′été par les oiseaux des bois, éperdument saluée de refrains, inextinguiblement fredonnés, de Fragson, de Mayol ou de Paulus. Dans le couloir, au-devant de moi, venait Albertine. « Tenez, pendant que j′ôte mes affaires, je vous envoie Andrée, elle est montée une seconde pour vous dire bonsoir. » Et ayant encore autour d′elle le grand voile gris qui descendait de la toque de chinchilla et que je lui avais donné à Balbec, elle se retirait et rentrait dans sa chambre, comme si elle eût deviné qu′Andrée, chargée par moi de veiller sur elle, allait, en me donnant maint détail, en me faisant mention de la rencontre par elles deux d′une personne de connaissance, apporter quelque détermination aux régions vagues où s′était déroulée la promenade qu′elles avaient faite toute la journée et que je n′avais pu imaginer. Les défauts d′Andrée s′étaient accusés, elle n′était plus aussi agréable que quand je l′avais connue. Il y avait maintenant chez elle, à fleur de peau, une sorte d′aigre inquiétude, prête à s′amasser comme à la mer un « grain », si seulement je venais à parler de quelque chose qui était agréable pour Albertine et pour moi. Cela n′empêchait pas qu′Andrée pût être meilleure à mon égard, m′aimer plus — et j′en ai eu souvent la preuve — que des gens plus aimables. Mais le moindre air de bonheur qu′on avait, s′il n′était pas causé par elle, lui produisait une impression nerveuse, désagréable comme le bruit d′une porte qu′on ferme trop fort. Elle admettait les souffrances où elle n′avait point de part, non les plaisirs ; si elle me voyait malade, elle s′affligeait, me plaignait, m′aurait soigné. Mais si j′avais une satisfaction aussi insignifiante que de m′étirer d′un air de béatitude en fermant un livre et en disant : « Ah ! je viens de passer deux heures charmantes à lire tel livre amusant », ces mots, qui eussent fait plaisir à ma mère, à Albertine, à Saint-Loup, excitaient chez Andrée une espèce de réprobation, peut-être simplement de malaise nerveux. Mes satisfactions lui causaient un agacement qu′elle ne pouvait cacher. Ces défauts étaient complétés par de plus graves : un jour que je parlais de ce jeune homme si savant en choses de courses, de jeux, de golf, si inculte dans tout le reste, que j′avais rencontré avec la petite bande à Balbec, Andrée se mit à ricaner : « Vous savez que son père a volé, il a failli y avoir une instruction ouverte contre lui. Ils veulent crâner d′autant plus, mais je m′amuse à le dire à tout le monde. Je voudrais qu′ils m′attaquent en dénonciation calomnieuse. Quelle belle déposition je ferais. » Ses yeux étincelaient. Or j′appris que le père n′avait rien commis d′indélicat, qu′Andrée le savait aussi bien que quiconque. Mais elle s′était crue méprisée par le fils, avait cherché quelque chose qui pourrait l′embarrasser, lui faire honte, avait inventé tout un roman de dépositions qu′elle était imaginairement appelée à faire et, à force de s′en répéter les détails, ignorait peut-être elle-même s′ils n′étaient pas vrais. Ainsi, telle qu′elle était devenue (et même sans ses haines courtes et folles), je n′aurais pas désiré la voir, ne fût-ce qu′à cause de cette malveillante susceptibilité qui entourait d′une ceinture aigre et glaciale sa vraie nature plus chaleureuse et meilleure. Mais les renseignements qu′elle seule pouvait me donner sur mon amie m′intéressaient trop pour que je négligeasse une occasion si rare de les apprendre. Andrée entrait, fermait la porte derrière elle ; elles avaient rencontré une amie, et Albertine ne m′avait jamais parlé d′elle : « Qu′ont-elles dit ? — Je ne sais pas, car j′ai profité de ce qu′Albertine n′était pas seule pour aller acheter de la laine. — Acheter de la laine ? — Oui, c′est Albertine qui me l′avait demandé. — Raison de plus pour ne pas y aller, c′était peut-être pour vous éloigner. — Mais elle me l′avait demandé avant de rencontrer son amie. — Ah ! » répondais-je en retrouvant la respiration. Aussitôt mon soupçon me reprenait ; mais qui sait si elle n′avait pas donné d′avance rendez-vous à son amie et n′avait pas combiné un prétexte pour être seule quand elle le voudrait ? D′ailleurs, étais-je bien certain que ce n′était pas la vieille hypothèse (celle où Andrée ne me disait pas que la vérité) qui était la bonne ? Andrée était peut-être d′accord avec Albertine. De l′amour, me disais-je à Balbec, on en a pour une personne dont notre jalousie semble plutôt avoir pour objet les actions ; on sent que si elle vous les disait toutes, on guérirait peut-être facilement d′aimer. La jalousie a beau être habilement dissimulée par celui qui l′éprouve, elle est assez vite découverte par celle qui l′inspire, et qui use à son tour d′habileté. Elle cherche à nous donner le change sur ce qui pourrait nous rendre malheureux, et elle nous le donne, car à celui qui n′est pas averti, pourquoi une phrase insignifiante révélerait-elle les mensonges qu′elle cache ? nous ne la distinguons pas des autres ; dite avec frayeur, elle est écoutée sans attention. Plus tard, quand nous serons seuls, nous reviendrons sur cette phrase, elle ne nous semblera pas tout à fait adéquate à la réalité. Mais, cette phrase, nous la rappelons-nous bien ? Il semble que naisse spontanément en nous, à son égard et quant à l′exactitude de notre souvenir, un doute du genre de ceux qui font qu′au cours de certains états nerveux on ne peut jamais se rappeler si on a tiré le verrou, et pas plus à la cinquantième fois qu′à la première ; on dirait qu′on peut recommencer indéfiniment l′acte sans qu′il s′accompagne jamais d′un souvenir précis et libérateur. Au moins pouvons-nous refermer une cinquante et unième fois la porte. Tandis que la phrase inquiétante est au passé, dans une audition incertaine qu′il ne dépend pas de nous de renouveler. Alors nous exerçons notre attention sur d′autres qui ne cachent rien, et le seul remède, dont nous ne voulons pas, serait de tout ignorer pour n′avoir pas le désir de mieux savoir. Nuestras relaciones tomaban un cariz de proceso y ella la timidez de una culpable. Ahora cambiaba de conversación cuando se trataba de personas, hombres o mujeres, que no fueran personas mayores. Yo debiera haberle preguntado lo que quería saber cuando ella no sospechaba todavía que tenía celos. Hay que aprovechar ese tiempo. Es entonces cuando nuestra amiga nos cuenta sus placeres y hasta los medios con que los oculta a los demás. Ahora ya no me hubiera confesado, como lo hizo en Balbec, mitad porque era cierto, mitad por disculparse de no manifestar más su cariño a mí, pues ya entonces la cansaba y había visto por mis atenciones con ella que no necesitaba tener conmigo tantas como con otros para conseguir más que de ellos; ahora ya no me hubiera confesado como entonces: «A mí me parece estúpido demostrar que se ama, para mí es lo contrario: cuando me gusta una persona, aparento no hacerle caso. Así, nadie sabe nada.» ¡Y era la misma Albertina de hoy, con sus presunciones de franqueza y de ser indiferente a todos, la que me dijo esto! ¡Ahora ya no me hubiera enunciado esta regla! Cuando hablaba conmigo, se limitaba a aplicarla diciéndome de esta o de la otra persona que podía inquietarme: «¡Ah!, no sé, no la he mirado, es demasiado insignificante». De cuando en cuando, precaviéndose ante ciertas cosas de que yo podría enterarme, hacía una de esas confesiones que su mismo acento, antes de que se conozca la realidad que pretenden desvirtuar, hacer pasar por inocentes, denuncia ya como mentirosas. Escuchando los pasos de Albertina, con la confortadora satisfacción de pensar que ya no saldría aquella noche, me admiraba yo de que entrar cada día en casa de aquella muchacha que en otro tiempo pensé no poder conocer nunca fuera precisamente entrar en la mía. El placer hecho de misterio y de sensualidad, fugitivo y fragmentario, que sentí en Balbec la tarde en que vino a dormir al hotel, se había completado, se había estabilizado, llenaba mi casa, antes vacía, de una permanente provisión de dulzura doméstica, casi familiar, que irradiaba hasta en los pasillos, y de la cual se alimentaban con tranquila satisfacción todos mis sentidos, ya efectivamente, ya cuando estaba solo, en imaginación y esperando el regreso. Cuando oía cerrarse la puerta de la habitación de Albertina, si estaba conmigo algún amigo le hacía salir, y no le dejaba hasta estar bien seguro de que ya se encontraba en la escalera, y hasta, si era necesario, bajaba yo unos peldaños. Albertina venía hacia mí por el pasillo. -Mientras me quito los trapos, te mandó a Andrea, que ha subido un momento para saludarte. Y envuelta en el gran velo gris que colgaba del gorro de chinchilla que yo le había regalado en Balbec, se iba a su habitación, como adivinando que Andrea, encargada por mí de cuidar de ella, iba a poner alguna realidad, dándome muchos detalles, contándome que había encontrado a una persona conocida, en las vagas regiones por las que ellas habían paseado todo el día y que yo no había podido imaginar. Los defectos de Andrea eran ahora más acusados; ya no era tan agradable como cuando yo la conocí. Ahora había en ella, a flor de piel, una especie de inquietud acre, pronta a estallar, como una turbonada en el mar, a poco que yo hablara de algo agradable para Albertina y para mí. Esto no impedía que Andrea pudiera ser mejor para mí, quererme más - y de ello tuve muchas veces la prueba- que otras personas más amables. Pero la menor traza de alegría que se manifestara, si no era ella quien la causaba, le producía una impresión nerviosa, desagradable como el ruido de un portazo. Admitía los sufrimientos en que ella no tenía parte, no los placeres; si me veía enfermo, le daba pena, me compadecía, me habría cuidado. Pero si tenía una satisfacción tan insignificante como despertarme con aire de beatitud cerrando un libro y diciendo: «¡Ah!, he pasado dos horas deliciosas leyendo. Qué libro más entretenido!», estas palabras, que habrían alegrado a mi madre, a Albertina, a Saint-Loup, suscitaban en Andrea una especie de reprobación, quizá sólo de malestar nervioso. Mis satisfacciones le producían una especie de irritación que no podía disimular. A estos defectos se sumaban otros más graves: un día en que le hablé de aquel joven tan entendido en cosas de carreras, de juegos, de golf, y tan inculto en todo lo demás, que había conocido con la pequeña banda en Balbec, Andrea empezó a decir: «Pues su padre robó y tuvieron que procesarle. Ellos presumen mucho, pero yo me complazco en decírselo a todo el mundo. Me gustaría que me denunciaran por calumnia. ¡Menuda declaración haría yo!» Los ojos le echaban chispas. Bueno, pues me enteré de que el padre no había cometido ninguna incorrección, y Andrea lo sabía como todo el mundo. Pero creyéndose despreciada por el hijo, buscó algo para perjudicarle, para avergonzarle, e inventó toda una novela de declaraciones judiciales para las que había sido imaginariamente citada y, a fuerza de repetirse los detalles de las mismas, acaso ya no sabía si eran o no ciertas. Y así, tal como se había vuelto (y aun sin sus odios fugaces e insensatos), yo no hubiera querido verla, sólo por aquella maligna susceptibilidad que rodeaba de un cinturón acre y glacial su verdadera índole, más calurosa y mejor. Pero lo que sólo ella podía contarme sobre mi amiga me interesaba demasiado para desperdiciar una ocasión, tan rara, de saberlo. Andrea entraba, cerraba la puerta; habían encontrado a una amiga, y resultaba que Albertina no me había hablado nunca de tal amiga. -¿Qué dijeron? -No lo sé, pues aproveché que Albertina no estaba sola para ir a comprar lana. -¿A comprar lana? -Sí, me lo pidió Albertina. -Razón de más para no ir, lo hizo quizá para alejarla. -Pero me lo había pedido antes de encontrar a su amiga. -¡Ah! -contestaba yo recobrando la respiración. En seguida me volvía la sospecha: «Pero quién sabe si no había citado de antemano a su amiga y preparado un pretexto para quedarse sola cuando quisiera». Por otra parte, ¿estaba yo bien seguro de que la vieja hipótesis (aquella en que Andrea no me decía más que la verdad) no era la buena? A lo mejor, Andrea estaba de acuerdo con Albertina. Despierta nuestro amor una persona, me decía yo en Balbec, cuando sentimos celos, más que por ella misma, por sus actos; nos damos cuenta de que si nos los dijera todos, dejaríamos fácilmente de amarla. Por mucha habilidad que se ponga en disimular los celos, la persona que los inspira los descubre en seguida y los utiliza a su vez con habilidad. Procura engañarnos sobre lo que podría hacernos desgraciados, y nos engaña fácilmente, pues para el que no está en antecedentes, ¿por qué una frase insignificante había de revelar las mentiras que oculta? No la distinguimos de las demás; dicha con miedo, la escuchamos sin atención. Después, ya solos, volvemos a pensar en aquella frase, y no nos parece del todo adecuada a la realidad. Pero ¿acaso recordamos bien aquella frase? Parece nacer espontáneamente en nosotros una duda en cuanto a esa frase y en cuanto a la exactitud de nuestro recuerdo, una duda como esas que, en ciertos estados nerviosos, nos impiden recordar si hemos echado el cerrojo y no lo recordamos, aunque lo intentemos cincuenta veces. Dijérase que podemos repetir indefinidamente el acto sin que le acompañe jamás un recuerdo preciso y liberador. Por lo menos podemos volver a cerrar la puerta cincuenta y una veces, mientras que la frase inquietante pertenece al pasado, en una audición incierta que no está a nuestro alcance repetir. Entonces ponemos nuestra atención en otras que no ocultan nada, y el único remedio, remedio que no queremos, sería ignorarlo todo para no sentir el deseo de saber más.
Dès que la jalousie est découverte, elle est considérée par celle qui en est l′objet comme une défiance qui autorise la tromperie. D′ailleurs, pour tâcher d′apprendre quelque chose, c′est nous qui avons pris l′initiative de mentir, de tromper. Andrée, Aimé, nous promettent bien de ne rien dire, mais le feront-ils ? Bloch n′a rien pu promettre puisqu′il ne savait pas et, pour peu qu′elle cause avec chacun des trois, Albertine, à l′aide de ce que Saint-Loup eût appelé des « recoupements », saura que nous lui mentons quand nous nous prétendons indifférents à ses actes et moralement incapables de la faire surveiller. Ainsi succédant — relativement à ce que faisait Albertine — à mon infini doute habituel, trop indéterminé pour ne pas rester indolore, et qui était à la jalousie ce que sont au chagrin ces commencements de l′oubli où l′apaisement naît du vague, — le petit fragment de réponse que venait de m′apporter Andrée posait aussitôt de nouvelles questions ; je n′avais réussi, en explorant une parcelle de la grande zone qui s′étendait autour de moi, qu′à y reculer cet inconnaissable qu′est pour nous, quand nous cherchons effectivement à nous la représenter, la vie réelle d′une autre personne. Je continuais à interroger Andrée tandis qu′Albertine, par discrétion et pour me laisser (devinait-elle cela ?) tout le loisir de la questionner, prolongeait son déshabillage dans sa chambre. « Je crois que l′oncle et la tante d′Albertine m′aiment bien », disais-je étourdiment à Andrée, sans penser à son caractère. Descubiertos los celos, la persona que los inspira los considera una desconfianza que autoriza al engaño. Por otra parte, somos nosotros los que, por averiguar algo, hemos tomado la iniciativa de mentir, de engañar. Cierto que Andrea, que Amado nos prometen no decir nada, pero ¿lo harán? Además, Bloch no ha podido prometer nada, porque nada sabía, y a poco que Albertina hable con cada uno de los tres, con ayuda de lo que Saint- Loup llamaría «atar cabos», sabría que le mentimos cuando nos hacemos los indiferentes a sus actos y moralmente incapaces de hacerla vigilar. Así, el pequeño fragmento de respuesta que acababa de darme Andrea, sucediendo a mi infinita duda habitual, demasiado indeterminada para no ser indolora y que era a los celos lo que son a la pena esos comienzos de olvido que nacen de la vaguedad, suscitaba inmediatamente nuevas indagaciones; explorando una parcela de la gran zona que se extendía en torno mío, sólo había logrado alejar ese sector desconocido que es para nosotros, cuando intentamos efectivamente representárnosla, la vida real de otra persona. Seguía interrogando a Andrea mientras Albertina, por discreción y por darme tiempo para preguntarle (¿adivinaba esto?), se estaba más del necesario para dejar las prendas en la habitación. -Creo que los tíos de Albertina me quieren -decía yo atolondradamente a Andrea, sin pensar en su carácter.
Aussitôt je voyais son visage gluant se gâter ; comme un sirop qui tourne, il semblait à jamais brouillé. Sa bouche devenait amère. Il ne restait plus rien à Andrée de cette juvénile gaîté que, comme toute la petite bande et malgré sa nature souffreteuse, elle déployait l′année de mon premier séjour à Balbec et qui maintenant (il est vrai qu′Andrée avait pris quelques années depuis lors) s′éclipsait si vite chez elle. Mais j′allais la faire involontairement renaître avant qu′Andrée m′eût quitté pour aller dîner chez elle. « Il y a quelqu′un qui m′a fait aujourd′hui un immense éloge de vous », lui disais-je. Aussitôt un rayon de joie illuminait son regard, elle avait l′air de vraiment m′aimer. Elle évitait de me regarder, mais riait dans le vague avec deux yeux devenus soudain tout ronds. « Qui ça ? » demandait-elle dans un intérêt naet gourmand. Je le lui disais et, qui que ce fût, elle était heureuse. Inmediatamente se le alteraba la cara, viscosa como un jarabe que se corta, y parecía enturbiada para siempre. Se le ponía la boca amarga. Ya no quedaba en Andrea nada de aquella juvenil alegría que, como toda la pandilla y a pesar de su índole doliente, ostentaba el año de mi primera estancia en Balbec y que ahora (verdad es que Andrea tenía unos años más que entonces) tan fácilmente se eclipsaba en ella. Pero yo iba a hacerla renacer involuntariamente antes que Andrea me dejara para ir a cenar a su casa. -Una persona me ha hecho hoy grandes elogios de usted -le decía. Súbitamente le iluminaba la mirada un rayo de alegría, y parecía que de verdad me amaba. Evitaba mirarme, pero reía en el vacío con unos ojos que, de pronto, se habían vuelto redondos. -¿Quién? -preguntaba con un interés ingenuo y ávido Se lo decía y, fuera quien fuera, se ponía contentísima.
Puis arrivait l′heure de partir, elle me quittait. Albertine revenait auprès de moi ; elle s′était déshabillée, elle portait quelqu′un des jolis peignoirs en crêpe de Chine, ou des robes japonaises, dont j′avais demandé la description à Mme de Guermantes, et pour plusieurs desquelles certaines précisions supplémentaires m′avaient été fournies par Mme Swann, dans une lettre commençant par ces mots : « Après votre longue éclipse, j′ai cru, en lisant votre lettre relative à mes tea gowns, recevoir des nouvelles d′un revenant. » Después, llegada la hora de marcharse, me dejaba. Albertina volvía a mi cuarto; se había quitado la ropa de la calle y llevaba uno de esos bonitos peinadores de crespón de China o unas batas japonesas cuya descripción había pedido yo a madame de Guermantes y para alguna de las cuales me había dado madame Swann ciertos detalles suplementarios en una carta que comenzaba por estas palabras: «Después de su largo eclipse, al leer su carta sobre mis tea gown, creí recibir noticias de un aparecido».
Albertine avait aux pieds des souliers noirs ornés de brillants, que Françoise appelait rageusement des socques, pareils à ceux que, par la fenêtre du salon, elle avait aperçu que Mme de Guermantes portait chez elle le soir, de même qu′un peu plus tard Albertine eut des mules, certaines en chevreau doré, d′autres en chinchilla, et dont la vue m′était douce parce qu′elles étaient les unes et les autres comme les signes (que d′autres souliers n′eussent pas été) qu′elle habitait chez moi. Elle avait aussi des choses qui ne venaient pas de moi, comme une belle bague d′or. J′y admirai les ailes éployées d′un aigle. « C′est ma tante qui me l′a donnée, me dit-elle. Malgré tout elle est quelquefois gentille. Cela me vieillit parce qu′elle me l′a donnée pour mes vingt ans. » Albertina llevaba unos zapatos negros adornados con brillantes, que Francisca llamaba rabiosamente chanclos, parecidos a los que, por la ventana del salón, había visto ella que llevaba madame de Guermantes por la noche en su casa, lo mismo que poco más tarde llevaba Albertina chinelas, algunas de cabritilla dorada, otras de chinchilla, y que me gustaba ver porque unas y otras eran como señales (y otro calzado no lo hubiera sido) de que vivía en mi casa. Tenía también otras cosas que no le había regalado yo, como una bonita sortija de oro. Admiré en ella las alas desplegadas de un águila. -Me la ha regalado mi tía -me dijo-. A pesar de todo, a veces es simpática. Este regalo me envejece, porque me lo ha hecho al cumplir los veinte años.
Albertine avait pour toutes ces jolies choses un goût bien plus vif que la duchesse, parce que, comme tout obstacle apporté à une possession (telle pour moi la maladie qui me rendait les voyages si difficiles et si désirables), la pauvreté, plus généreuse que l′opulence, donne aux femmes, bien plus que la toilette qu′elles ne peuvent pas acheter, le désir de cette toilette qui en est la connaissance véritable, détaillée, approfondie. Elle, parce qu′elle n′avait pu s′offrir ces choses, moi, parce qu′en les faisant faire je cherchais à lui faire plaisir, nous étions comme des étudiants connaissant tout d′avance des tableaux qu′ils sont avides d′aller voir à Dresde ou à Vienne. Tandis que les femmes riches, au milieu de la multitude de leurs chapeaux et de leurs robes, sont comme ces visiteurs à qui la promenade dans un musée, n′étant précédée d′aucun désir, donne seulement une sensation d′étourdissement, de fatigue et d′ennui. A Albertina todas estas cosas bonitas le hacían mucha más ilusión que ala duquesa, porque, como todo obstáculo a una posesión (como para mí la enfermedad, que tan difíciles y tan deseables me hacía los viajes), la pobreza, más generosa que la opulencia, da a las mujeres mucho más que el vestido que no se pueden comprar: el deseo de ese vestido, deseo que es el conocimiento verdadero, detallado, profundo, de la cosa deseada. Albertina porque no podía comprarse esas cosas, yo porque, comprándoselas, quería darle una alegría, éramos ambos como esos estudiantes que conocen de antemano unos cuadros que anhelan ir a ver a Dresde o a Viena; mientras que las mujeres ricas, en medio de todos sus sombreros y de todos sus vestidos, son como esos visitantes a quienes la visita a un museo, no deseada previamente, les produce sólo una sensación de mareo, de fatiga y de aburrimiento.
Telle toque, tel manteau de zibeline, tel peignoir de Doucet, aux manches doublées de rose, prenaient pour Albertine, qui les avait aperçus, convoités et, grâce à l′exclusivisme et à la minutie qui caractérisent le désir, les avait à la fois isolés du reste dans un vide sur lequel se détachait à merveille la doublure, ou l′écharpe, et connus dans toutes leurs parties — et pour moi qui étais allé chez Mme de Guermantes tâcher de me faire expliquer en quoi consistait la particularité, la supériorité, le chic de la chose, et l′inimitable façon du grand faiseur — une importance, un charme qu′ils n′avaient certes pas pour la duchesse, rassasiée avant même d′être en état d′appétit, ou même pour moi si je les avais vus quelques années auparavant en accompagnant telle ou telle femme élégante en une de ses ennuyeuses tournées chez les couturières. Un sombrero, un abrigo de cibelina, un peinador de Doucet con las mangas forradas de rosa, adquirían para Albertina, que los había visto, codiciado y, por ese exclusivismo y esa minucia que caracterizan el deseo, los había a la vez aislado de lo demás en un vacío sobre el que se destacaban maravillosamente el forro o la echarpe, y tomaban en todas sus partes -y también para mí, que había ido a casa de madame de Guermantes a pedirle que me explicara en qué consistía la particularidad, la superioridad, la elegancia de la cosa y la inimitable manera del gran autor de la misma- una importancia, un encanto que, ciertamente, no tenían para la duquesa, saciada aun antes de hallarse en estado de apetito, ni siquiera para mí si lo había visto unos años antes acompañando a una mujer elegante en uno de sus fastidiosos recorridos de modista en modista.
Certes, une femme élégante, Albertine peu à peu en devenait une. Car si chaque chose que je lui faisais faire ainsi était en son genre la plus jolie, avec tous les raffinements qu′y eussent apportés Mme de Guermantes ou Mme Swann, de ces choses elle commençait à avoir beaucoup. Mais peu importait, du moment qu′elle les avait aimées d′abord et isolément. La verdad es que Albertina iba siendo poco a poco una mujer elegante. Pues cada cosa que yo le encargaba así era en su género la más bonita, con todo el refinamiento aportado por madame de Guermantes o por madame Swann, y de estas cosas empezaba a tener muchas. Pero esto no importaba, desde el momento en que las había deseado antes y por separado.
Quand on a été épris d′un peintre, puis d′un autre, on peut à la fin avoir pour tout le musée une admiration qui n′est pas glaciale, car elle est faite d′amours successives, chacune exclusive en son temps, et qui à la fin se sont mises bout à bout et conciliées. Cuando hemos estado enamorados de un pintor y después de otro, podemos al final sentir por todo el museo una admiración que no es glacial, pues está hecha de amores sucesivos, cada uno exclusivo en su tiempo y que han acabado por enlazarse y conciliarse.
Elle n′était pas frivole, du reste, lisait beaucoup quand elle était seule et me faisait la lecture quand elle était avec moi. Elle était devenue extrêmement intelligente. Elle disait, en se trompant d′ailleurs : « Je suis épouvantée en pensant que sans vous je serais restée stupide. Ne le niez pas. Vous m′avez ouvert un monde d′idées que je ne soupçonnais pas, et le peu que je suis devenue, je ne le dois qu′à vous. » Por otra parte, Albertina no era frívola, leía mucho cuando estaba sola y me leía a mí cuando estaba conmigo. Se había vuelto muy inteligente. Decía, equivocándose por lo demás: -Me aterra pensar que, de no ser por ti, habría seguido siendo una tonta. No lo niegues, tú me has abierto un mundo de ideas que yo ni sospechaba, y lo poco que soy ahora te lo debo a ti, nada más que a ti.
On sait qu′elle avait parlé semblablement de mon influence sur Andrée. L′une ou l′autre avait-elle un sentiment pour moi ? Et, en elles-mêmes, qu′étaient Albertine et Andrée ? Pour le savoir, il faudrait vous immobiliser, ne plus vivre dans cette attente perpétuelle de vous où vous passez toujours autres ; il faudrait ne plus vous aimer, pour vous fixer, ne plus connaître votre interminable et toujours déconcertante arrivée, ô jeunes filles, ô rayon successif dans le tourbillon où nous palpitons de vous voir reparaître en ne vous reconnaissant qu′à peine, dans la vitesse vertigineuse de la lumière. Cette vitesse, nous l′ignorerions peut-être et tout nous semblerait immobile si un attrait sexuel ne nous faisait courir vers vous, gouttes d′or toujours dissemblables et qui dépassent toujours notre attente ! À chaque fois, une jeune fille ressemble si peu à ce qu′elle était la fois précédente (mettant en pièces dès que nous l′apercevons le souvenir que nous avions gardé et le désir que nous nous proposions), que la stabilité de nature que nous lui prêtons n′est que fictive et pour la commodité du langage. On nous a dit qu′une belle jeune fille est tendre, aimante, pleine des sentiments les plus délicats. Notre imagination le croit sur parole, et quand nous apparaît pour la première fois, sous la ceinture crespelée de ses cheveux blonds, le disque de sa figure rose, nous craignons presque que cette trop vertueuse sœur nous refroidisse par sa vertu même, ne puisse jamais être pour nous l′amante que nous avons souhaitée. Du moins, que de confidences nous lui faisons dès la première heure, sur la foi de cette noblesse de cœur ! que de projets convenus ensemble ! Mais quelques jours après, nous regrettons de nous être tant confiés, car la rose jeune fille rencontrée nous tient, la seconde fois, les propos d′une lubrique furie. Dans les faces successives qu′après une pulsation de quelques jours nous présente la rose lumière interceptée, il n′est même pas certain qu′un movimentum, extérieur à ces jeunes filles, n′ait pas modifié leur aspect, et cela avait pu arriver pour mes jeunes filles de Balbec. Ya sabemos que Albertina había hablado de la misma manera de mi influencia sobre Andrea. ¿Acaso una u otra me amaba? Y, en sí mismas, ¿qué eran Albertina y Andrea? Para saberlo, tendríais que inmovilizaros, dejar de vivir en esa perpetua espera de vosotras en la que pasáis siempre a otras; tendríais que dejar de amaros para estabilizaros, dejar de conocer vuestra interminable y siempre desconcertante llegada, oh muchachas, oh rayo que no cesa en ese torbellino en el que palpitamos al veros reaparecer sin reconoceros apenas, en la velocidad vertiginosa de la luz. Esa velocidad la ignoraríamos acaso y todo nos parecería inmóvil, si una atracción sexual no nos impulsara hacia vosotras, gotas de oro siempre diferentes y que rebasan siempre nuestra espera. Cada vez, una muchacha se parece tan poco a lo que era la vez anterior (haciendo añicos en cuanto la divisamos el recuerdo que conservábamos y el deseo que nos proponíamos) que la estabilidad de naturaleza que le atribuimos es sólo ficticia y por comodidad de lenguaje. Nos han dicho que una linda muchacha es tierna, cariñosa, plena de los más delicados sentimientos. Nuestra imaginación lo cree sin más, y cuando la vemos por primera vez, bajo la corona rizada de su cabello rubio, del disco de su cara rosada, casi nos da miedo de que esa hermana demasiado virtuosa, al enfriarnos por su virtud misma, no pueda nunca ser para nosotros la amante que hemos deseado. Al menos, ¡cuántas confidencias le hacemos en el primer momento, creyendo en esa nobleza de corazón, cuántos proyectos convenimos los dos! A los pocos días nos pesa habernos confiado tanto, pues la muchachita de mejillas color rosa nos dice cosas propias de una lúbrica Furia. En las fases sucesivas que después de una pulsación de algunos días nos presenta la rosada luz interceptada, ni siquiera es seguro que un movimentum ajeno a estas muchachas no haya modificado su aspecto, y esto había podido ocurrir en mis muchachas de Balbec. Nos alaban la dulzura, la pureza de una virgen.
On vous vante la douceur, la pureté d′une vierge. Mais après cela on sent que quelque chose de plus pimenté vous plairait mieux, et on lui conseille de se montrer plus hardie. En soi-même était-elle plutôt l′une ou l′autre ? Peut-être pas, mais capable d′accéder à tant de possibilités diverses dans le courant vertigineux de la vie. Pour une autre, dont tout l′attrait résidait dans quelque chose d′implacable (que nous comptions fléchir à notre manière), comme, par exemple, pour la terrible sauteuse de Balbec qui effleurait dans ses bonds les crânes des vieux messieurs épouvantés, quelle déception quand, dans la nouvelle face offerte par cette figure, au moment où nous lui disions des tendresses exaltées par le souvenir de tant de duretés envers les autres, nous l′entendions, comme entrée de jeu, nous dire qu′elle était timide, qu′elle ne savait jamais rien dire de sensé à quelqu′un la première fois, tant elle avait peur, et que ce n′est qu′au bout d′une quinzaine de jours qu′elle pourrait causer tranquillement avec nous. L′acier était devenu coton, nous n′aurions plus rien à essayer de briser, puisque d′elle-même elle perdait toute consistance. D′elle-même, mais par notre faute peut-être, car les tendres paroles que nous avions adressées à la Dureté lui avaient peut-être, même sans qu′elle eût fait de calcul intéressé, suggéré d′être tendre. Pero después sentimos que nos gustaría más algo más picante yle aconsejamos que sea más atrevida. Ella, en sí misma, ¿era más bien la una o la otra? Quizá no, sino capaz de llegar a tantas posibilidades diversas en la vertiginosa corriente de la vida. Tratándose de cualquiera otra cuyo atractivo residía únicamente en un algo implacable (que esperábamos domeñar a nuestra manera), como, por ejemplo, el terrible saltamontes de Balbec que rozaba en sus saltos los cráneos de los viejos señores aterrados, ¡qué decepción cuando, en la nueva fase ofrecida por esta cara, en el momento en que le decimos ternezas exaltadas por el recuerdo de tanta dureza con los demás, la oímos decir, como para entrar en el juego, que es tímida, que no sabe nunca decir nada sensato a nadie la primera vez, tanto es su miedo, y que sólo cuando pasen quince días podrá hablar tranquilamente con nosotros! El acero se ha tornado algodón, ya no tendremos que romper nada, puesto que pierde por sí misma toda consistencia. Por sí misma, pero quizá por culpa nuestra, porque las tiernas palabras que habíamos dirigido a la Dureza acaso le sugirieron -aun sin cálculo interesado- ser tierna.
Ce qui nous désolait néanmoins n′était qu′à demi maladroit, car la reconnaissance pour tant de douceur allait peut-être nous obliger à plus que le ravissement devant la cruauté fléchie. Je ne dis pas qu′un jour ne viendra pas où, même à ces lumineuses jeunes filles, nous n′assignerons pas des caractères très tranchés, mais c′est qu′elles auront cessé de nous intéresser, que leur entrée ne sera plus pour notre cœur l′apparition qu′il attendait autre et qui le laisse bouleversé, chaque fois, d′incarnations nouvelles. Leur immobilité viendra de notre indifférence qui les livrera au jugement de l′esprit. Celui-ci ne conclura pas, du reste, d′une façon beaucoup plus catégorique, car après avoir jugé que tel défaut, prédominant chez l′une, était heureusement absent de l′autre, il verra que le défaut avait pour contrepartie une qualité précieuse. De sorte que du faux jugement de l′intelligence, laquelle n′entre en jeu que quand on cesse de s′intéresser, sortiront définis des caractères stables de jeunes filles, lesquels ne nous apprendront pas plus que les surprenants visages apparus chaque jour quand, dans la vitesse étourdissante de notre attente, nos amies se présentaient tous les jours, toutes les semaines, trop différentes pour nous permettre, la course ne s′arrêtant pas, de classer, de donner des rangs. Pour nos sentiments, nous en avons parlé trop souvent pour le redire, bien souvent un amour n′est que l′association d′une image de jeune fille (qui sans cela nous eût été vite insupportable) avec les battements de cœur inséparables d′une attente interminable, vaine, et d′un « lapin » que la demoiselle nous a posé. Tout cela n′est pas vrai seulement pour les jeunes gens imaginatifs devant les jeunes filles changeantes. Dès le temps où notre récit est arrivé, il paraît, je l′ai su depuis, que la nièce de Jupien avait changé d′opinion sur Morel et sur M. de Charlus. Mon mécanicien, venant au renfort de l′amour qu′elle avait pour Morel, lui avait vanté, comme existant chez le violoniste, des délicatesses infinies auxquelles elle n′était que trop portée à croire. Et, d′autre part, Morel ne cessait de lui dire le rôle de bourreau que M. de Charlus exerçait envers lui et qu′elle attribuait à la méchanceté, ne devinant pas l′amour. Elle était, du reste, bien forcée de constater que M. de Charlus assistait tyranniquement à toutes leurs entrevues. Et, venant corroborer cela, elle entendait des femmes du monde parler de l′atroce méchanceté du baron. Or, depuis peu, son jugement avait été entièrement renversé. Elle avait découvert chez Morel (sans cesser de l′aimer pour cela) des profondeurs de méchanceté et de perfidie, d′ailleurs compensées par une douceur fréquente et une sensibilité réelle, et chez M. de Charlus une insoupçonnable et immense bonté, mêlée de duretés qu′elle ne connaissait pas. Ainsi n′avait-elle pas su porter un jugement plus défini sur ce qu′étaient, chacun en soi, le violoniste et son protecteur, que moi sur Andrée, que je voyais pourtant tous les jours, et sur Albertine, qui vivait avec moi. Les soirs où cette dernière ne me lisait pas à haute voix, elle me faisait de la musique ou entamait avec moi des parties de dames ou des causeries, que j′interrompais les unes et les autres pour l′embrasser. Nos rapports étaient d′une simplicité qui les rendait reposants. Le vide même de sa vie donnait à Albertine une espèce d′empressement et d′obéissance pour les seules choses que je réclamais d′elle. Derrière cette jeune file, comme derrière la lumière pourprée qui tombait aux pieds de mes rideaux à Balbec, pendant qu′éclatait le concert des musiciens, se nacraient les ondulations bleuâtres de la mer. N′était-elle pas, en effet (elle au fond de qui résidait de façon habituelle une idée de moi si familière qu′après sa tante j′étais peut-être la personne qu′elle distinguait le moins de soi-même), la jeune fille que j′avais vue la première fois, à Balbec, sous son polo plat, avec ses yeux insistants et rieurs, inconnue encore, mince comme une silhouette profilée sur le flot ? Ces effigies gardées intactes dans la mémoire, quand on les retrouve, on s′étonne de leur dissemblance d′avec l′être qu′on connaît ; on comprend quel travail de modelage accomplit quotidiennement l′habitude. Dans le charme qu′avait Albertine à Paris, au coin de mon feu, vivait encore le désir que m′avait inspiré le cortège insolent et fleuri qui se déroulait le long de la plage, et comme Rachel gardait pour Saint-Loup, même quand il le lui eût fait quitter, le prestige de la vie de théâtre, en cette Albertine cloîtrée dans ma maison, loin de Balbec d′où je l′avais précipitamment emmenée, subsistaient l′émoi, le désarroi social, la vanité inquiète, les désirs errants de la vie de bains de mer. Elle était si bien encagée que, certains soirs même, je ne faisais pas demander qu′elle quittât sa chambre pour la mienne, elle que jadis tout le monde suivait, que j′avais tant de peine à rattraper filant sur sa bicyclette, et que le liftier même ne pouvait me ramener, ne me laissant guère d′espoir qu′elle vînt, et que j′attendais pourtant toute la nuit. Albertine n′avait-elle pas été, devant l′Hôtel, comme une grande actrice de la plage en feu, excitant les jalousies quand elle s′avançait dans ce théâtre de nature, ne parlant à personne, bousculant les habitués, dominant ses amies ? et cette actrice si convoitée n′était-ce pas elle qui, retirée par moi de la scène, enfermée chez moi, était à l′abri des désirs de tous, qui désormais pouvaient la chercher vainement, tantôt dans ma chambre, tantôt dans la sienne, où elle s′occupait à quelque travail de dessin et de ciselure ? (Lo que nos desolaba, pero sólo era torpe a medias, pues la gratitud por tanta dulzura nos iba a obligar quizá a más que a embelesarnos ante la crueldad vencida.) No digo que no llegue un día en que, incluso a esas deslumbrantes muchachas, les atribuiremos caracteres muy rotundamente definidos, pero es que entonces habrán dejado de interesarnos, que su llegada no será ya para nuestro corazón la aparición que nuestro corazón esperaba distinta y que le deja perturbado, cada vez, por encarnaciones nuevas. Su invariabilidad vendrá de nuestro desinterés, que las entregará al juicio de la inteligencia. Por lo demás, este juicio no se pronunciará de una manera mucho más categórica, pues después de haber decidido que cierto defecto, predominante en una, estaba, por fortuna, ausente en la otra, verá que este defecto tenía como contrapartida una cualidad preciosa. De suerte que del falso juicio de la inteligencia, la cual sólo entra en juego cuando dejamos de interesarnos, saldrán definidos caracteres estables de muchachas, caracteres que no nos dirán más que los sorprendentes rostros aparecidos cada día cuando, en la velocidad mareante de nuestra espera, nuestras amigas se presentaban cada día, cada semana, demasiado diferentes para permitirnos -pues la carrera era incesante- clasificar, asignar puestos. En cuanto a nuestros sentimientos, hemos hablado demasiado de ellos para repetirlo; muchas veces un amor no es más que la asociación de una imagen de muchacha (que sin esto nos resultaría muy pronto insoportable) con las palpitaciones de corazón inseparables de una espera interminable, vana, y de un engaño en que la señorita nos ha hecho caer. Todo esto sólo es cierto cuando se trata de jóvenes imaginativos ante muchachas cambiantes. En el tiempo a que ha llegado nuestro relato, parece ser, lo supe después, que la sobrina de Jupien había cambiado de opinión sobre Morel y sobre monsieur de Charlus. Mi mecánico, para reforzar el amor de la muchacha por Morel, había atribuido al violinista, con grandes alabanzas, delicadezas infinitas que ella estaba muy inclinada a creer. Por otra parte, Morel le hablaba continuamente del papel de verdugo que monsieur de Charlus ejercía sobre el violinista y que ella, como no adivinaba el amor, atribuía a maldad. Además, no tenía más remedio que observar que monsieur de Charlus asistía tiránicamente a todas sus entrevistas. Y, para corroborar todo esto, oía a algunas mujeres del gran mundo hablar de la atroz perversidad del barón. Pero desde hacía poco su juicio había cambiado por completo. Había descubierto en Morel (sin dejar por eso de amarle) profundidades de maldad y de perfidia, compensadas, por lo demás, con una dulzura frecuente y una verdadera sensibilidad, y en monsieur de Charlus una insospechada e inmensa bondad, unida a unas durezas que ella no conocía. De suerte que no pudo formular un juicio sobre lo que eran, cada uno por su parte, el violinista y su protector, como no podía formularlo yo sobre Andrea, a la que veía todos los días, ni sobre Albertina, que vivía conmigo. Las noches en que ésta no me leía en voz alta, me tocaba el piano, o jugaba conmigo partidas de damas o entablábamos conversaciones, partidas y conversaciones que yo interrumpía para besarla. Nuestras relaciones eran tan sencillas que resultaban sedantes. El mismo vacío de su vida daba a Albertina una especie de solicitud y de obediencia para las únicas cosas que yo le pedía. Detrás de aquella muchacha, como detrás de la luz púrpura que caía a los pies de mis cortinas en Balbec mientras resonaba el concierto de los músicos, se nacaraban las ondulaciones azuladas del mar. ¿No era, en efecto (ella, en el fondo de la cual residía habitualmente una idea de mí tan familiar que, después de su tía, quizá era yo la persona que menos distinguía de sí misma), la muchacha que vi la primera vez en Balbec, bajo su polo plano, con sus ojos insistentes y alegres, desconocida todavía, delgada como una silueta perfilada sobre las olas? Estas efigies que se conservan intactas en la memoria, cuando las encontramos de nuevo, nos asombra su desemejanza con el ser que conocemos; nos damos cuenta del trabajo de moldeo que el hábito realiza cotidianamente. En el encanto que Albertina tenía en París junto a la chimenea, vivía aún el deseo que me había inspirado el cortejo insolente y florido que se extendiera antes a lo largo de la playa, y así como Raquel conservaba para Saint-Loup, incluso después de dejarla, el prestigio de la vida de teatro, en esta Albertina enclaustrada en mi casa, lejos de Balbec, de donde yo la había arrancado precipitadamente, subsistían la emoción, la preocupación social, la vanidad inquieta, los deseos errantes de la vida de las playas. Estaba tan bien enjaulada que algunas noches ni siquiera mandaba a buscarla a su cuarto para venir al mío, ella a quien todo el mundo seguía, a la que, corriendo en su bicicleta, tanto me costaba alcanzar y que ni siquiera el botones podía traérmela, dejándome sin apenas esperanza de que viniera, y esperándola, sin embargo, toda la noche. ¿No era Albertina en Balbec, frente al hotel, como una gran actriz de la playa encendida, suscitando celos cuando avanzaba en aquel escenario natural, no hablando con nadie, empujando a los habituales, dominando a sus amigas, y aquella actriz tan codiciada no era ella, que, retirada por mí de la escena, encerrada en mi casa, estaba aquí, al abrigo de los deseos de todos los que ahora podían buscarla en vano, tan pronto en mi cuarto como en el suyo, en el que se ocupaba en algún trabajo de dibujo y de cincelado?
Sans doute, dans les premiers jours de Balbec, Albertine semblait dans un plan parallèle à celui où je vivais, mais qui s′en était rapproché (quand j′avais été chez Elstir), puis l′avait rejoint, au fur et à mesure de mes relations avec elle, à Balbec, à Paris, puis à Balbec encore. D′ailleurs, entre les deux tableaux de Balbec, au premier séjour et au second, composés des mêmes villas d′où sortaient les mêmes jeunes filles devant la même mer, quelle différence ! Dans les amies d′Albertine du second séjour, si bien connues de moi, aux qualités et aux défauts si nettement gravés dans leur visage, pouvais-je retrouver ces fraîches et mystérieuses inconnues qui jadis ne pouvaient, sans que battît mon cœur, faire crier sur le sable la porte de leur chalet et en froisser au passage les tamaris frémissants ! Leurs grands yeux s′étaient résorbés depuis, sans doute parce qu′elles avaient cessé d′être des enfants, mais aussi parce que ces ravissantes inconnues, actrices de la romanesque première année, et sur lesquelles je ne cessais de quêter des renseignements, n′avaient plus pour moi de mystère. Elles étaient devenues obéissantes à mes caprices, de simples jeunes filles en fleurs, desquelles je n′étais pas médiocrement fier d′avoir cueilli, dérobé à tous, la plus belle rose. En los primeros días de Balbec, Albertina parecía estar en un plano paralelo al plano en que yo vivía, pero se fue aproximando a éste (cuando estuve en casa de Elstir), hasta unirse a él, a medida que se fueron estrechando nuestras relaciones en Balbec, en París, en Balbec otra vez. Por otra parte, ¡qué diferencia entre los dos cuadros de Balbec, en la primera temporada y en la segunda, compuestos por las mismas villas de donde salían las mismas muchachas ante el mismo mar! En las amigas de Albertina de la segunda temporada, en aquellas muchachas que yo conocía tan bien, con unas cualidades y unos defectos tan claramente grabados en sus rostros, ¿podía yo volver a encontrar a aquellas lozanas y misteriosas desconocidas que antaño no podían, sin que me palpitara el corazón, hacer chirriar sobre la arena la puerta de su chalet y rozar al pasar los trémulos tamarindos? Desde entonces, sus grandes ojos se habían empequeñecido, seguramente porque ya no eran niñas, pero también porque aquellas encantadoras desconocidas, actrices del novelesco primer año y sobre las cuales no cesaba yo de indagar detalles, ya no tenían misterio para mí. Se habían vuelto obedientes a mis caprichos, simples muchachas en flor, y no estaba yo poco orgulloso de haber cogido, a hurtadillas de todos, su rosa más bella.
Entre les deux décors, si différents l′un de l′autre, de Balbec, il y avait l′intervalle de plusieurs années à Paris, sur le long parcours desquelles se plaçaient tant de visites d′Albertine. Je la voyais aux différentes années de ma vie, occupant par rapport à moi des positions différentes qui me faisaient sentir la beauté des espaces interférés, ce long temps révolu où j′étais resté sans la voir, et sur la diaphane profondeur desquels la rose personne que j′avais devant moi se modelait avec de mystérieuses ombres et un puissant relief. Il était dû, d′ailleurs, à la superposition non seulement des images successives qu′Albertine avait été pour moi, mais encore des grandes qualités d′intelligence et de cœur, des défauts de caractère, les uns et les autres insoupçonnées de moi, qu′Albertine, en une germination, une multiplication d′elle-même, une efflorescence charnue aux sombres couleurs, avait ajoutés à une nature jadis à peu près nulle, maintenant difficile à approfondir. Car les êtres, même ceux auxquels nous avons tant rêvé qu′ils ne nous semblaient qu′une image, une figure de Benozzo Gozzoli se détachant sur un fond verdâtre, et dont nous étions disposés à croire que les seules variations tenaient au point où nous étions placés pour les regarder, à la distance qui nous en éloignait, à l′éclairage, ces êtres-là, tandis qu′ils changent par rapport à nous, changent aussi en eux-mêmes, et il y avait eu enrichissement, solidification et accroissement de volume dans la figure jadis simplement profilée sur la mer. Au reste, ce n′était pas seulement la mer à la fin de la journée qui vivait pour moi en Albertine, mais parfois l′assoupissement de la mer sur la grève par les nuits de clair de lune. Entre las dos decoraciones de Balbec, tan diferentes una de otra, había el intervalo de varios años en París, en cuyo largo recorrido se encontraban tantas visitas de Albertina. La veía en los diferentes años de mi vida, ocupando con relación a mí diferentes posiciones que me hacían notar la belleza de los espacios interpuestos, el largo tiempo pasado que había transcurrido sin verla, y sobre cuya diáfana profundidad se modelaba con misteriosas sombras y acusado relieve la rosada persona que tenía ante mí. Por otra parte, este relieve estaba determinado no sólo por las sucesivas imágenes que Albertina había sido para mí, sino también por las grandes cualidades de inteligencia y de corazón, por los defectos de carácter, unas y otros insospechados por mí, que Albertina, en una germinación, en una multiplicación de sí misma, en una eflorescencia carnosa de colores oscuros, había añadido a una naturaleza antes casi nula, ahora difícil de profundizar. Pues los seres, incluso aquellos con los que hemos soñado tanto que nos parecían una imagen, una figura de Benozzo Gozzoli que se destaca sobre un fondo verdoso, y cuyas variaciones estábamos dispuestos a creer que se debían únicamente al punto en que estábamos situados para mirarlas, a la distancia que nos separaba de ellas, a la luz, esos seres, a la vez que cambian en relación a nosotros, cambian también en sí mismos; una figura que antes fuera sólo un perfil sobre el mar era más rica ahora, más sólida, más acusado su volumen.
Quelquefois, en effet, quand je me levais pour aller chercher un livre dans le cabinet de mon père, mon amie, m′ayant demandé la permission de s′étendre pendant ce temps-là, était si fatiguée par la longue randonnée du matin et de l′après-midi au grand air que, même si je n′étais resté qu′un instant hors de ma chambre, en y rentrant, je trouvais Albertine endormie et ne la réveillais pas. Por otra parte, no era sólo el mar al atardecer lo que vivía para mí en Albertina, sino a veces el mar dormido en la arena las noches de luna. Porque a veces, cuando me levantaba para ir a buscar un libro al despacho de mi padre, mi amiga, que me había pedido permiso para echarse en la cama mientras tanto, estaba tan cansada por la larga excursión de la mañana y de la tarde, al aire libre, que, aunque yo hubiera pasado sólo un momento fuera de mi cuarto, al volver encontraba a Albertina dormida y no la despertaba.
Étendue de la tête aux pieds sur mon lit, dans une attitude d′un naturel qu′on n′aurait pu inventer, je lui trouvais l′air d′une longue tige en fleur qu′on aurait disposée là, et c′était ainsi en effet : le pouvoir de rêver, que je n′avais qu′en son absence, je le retrouvais à ces instants auprès d′elle, comme si, en dormant, elle était devenue une plante. Par là, son sommeil réalisait, dans une certaine mesure, la possibilité de l′amour ; seul, je pouvais penser à elle, mais elle me manquait, je ne la possédais pas. Présente, je lui parlais, mais j′étais trop absent de moi-même pour pouvoir penser. Quand elle dormait, je n′avais plus à parler, je savais que je n′étais plus regardé par elle, je n′avais plus besoin de vivre à la surface de moi-même. Tendida cuan larga era, en una actitud de una naturalidad que no se podía inventar, me parecía como un tallo florido que alguien dejara allí; y así era: el poder de soñar que yo sólo tenía en ausencia suya, volvía a encontrarlo en aquellos momentos a su lado, como si, dormida, se hubiera convertido en una planta. De este modo, su sueño realizaba, en cierta medida, la posibilidad del amor: solo, podía pensar en ella, pero me faltaba ella, no la poseía; presente, le hablaba, pero yo estaba demasiado ausente de mí mismo para poder pensar. Cuando ella dormía, yo no tenía que hablar, sabía que ella no me miraba, ya no tenía necesidad de vivir en la superficie de mí mismo.
En fermant les yeux, en perdant la conscience, Albertine avait dépouillé, l′un après l′autre, ses différents caractères d′humanité qui m′avaient déçu depuis le jour où j′avais fait sa connaissance. Elle n′était plus animée que de la vie inconsciente des végétaux, des arbres, vie plus différente de la mienne, plus étrange, et qui cependant m′appartenait davantage. Son moi ne s′échappait pas à tous moments, comme quand nous causions, par les issues de la pensée inavouée et du regard. Elle avait rappelé à soi tout ce qui d′elle était au dehors ; elle s′était réfugiée, enclose, résumée, dans son corps. En le tenant sous mon regard, dans mes mains, j′avais cette impression de la posséder tout entière que je n′avais pas quand elle était réveillée. Sa vie m′était soumise, exhalait vers moi son léger souffle. Al cerrar los ojos, al perder la conciencia, Albertina se había desprendido, uno tras otro, de aquellos diferentes caracteres de humanidad que me decepcionaron el día mismo en que la conocí. Ya no quedaba en ella más que la vida inconsciente de los vegetales, de los árboles, vida más diferente de la mía, más ajena y que, sin embargo, me pertenecía más Ya no se escapaba su yo a cada momento, como cuando hablábamos, por las puertas del pensamiento inconfesado y de la mirada. Había recogido dentro de sí todo lo que era exteriormente; se había refugiado, encerrado, resumido en su cuerpo. Teniéndola bajo mis ojos, en mis manos, me daba la impresión de poseerla por entero, una impresión que no sentía cuando estaba despierta. Su vida me estaba sometida, exhalaba hacia mí su tenue aliento.
J′écoutais cette murmurante émanation mystérieuse, douce comme un zéphir marin, féerique comme ce clair de lune, qu′était son sommeil. Tant qu′il persistait, je pouvais rêver à elle, et pourtant la regarder, et quand ce sommeil devenait plus profond, la toucher, l′embrasser. Ce que j′éprouvais alors, c′était un amour devant quelque chose d′aussi pur, d′aussi immatériel dans sa sensibilité, d′aussi mystérieux que si j′avais été devant les créatures inanimées que sont les beautés de la nature. Et, en effet, dès qu′elle dormait un peu profondément, elle cessait seulement d′être la plante qu′elle avait été ; son sommeil, au bord duquel je rêvais, avec une fraîche volupté dont je ne me fusse jamais lassé et que j′eusse pu goûter indéfiniment, c′était pour moi tout un paysage. Son sommeil mettait à mes côtés quelque chose d′aussi calme, d′aussi sensuellement délicieux que ces nuits de pleine lune dans la baie de Balbec devenue douce comme un lac, où les branches bougent à peine, où, étendu sur le sable, l′on écouterait sans fin se briser le reflux. Escuchaba el murmullo de aquella emanación misteriosa, dulce como un céfiro marino, mágica como un claro de luna, que era su sueño. Mientras éste duraba, yo podía soñar en ella, y mirarla, sin embargo, y cuando su sueño era más profundo, tocarla, besarla. Lo que yo sentía entonces era un amor tan puro, tan inmaterial, tan misterioso como si estuviera ante esas criaturas inanimadas que son las bellezas de la naturaleza. Y, en efecto, cuando dormía un poco profundamente, dejaba de ser sólo la planta que había sido; su sueño, a la orilla del cual meditaba yo con una fresca voluptuosidad de la que no me hubiera cansado jamás y que hubiera podido gustar indefinidamente, era para mí todo un paisaje. Su sueño ponía a mi lado algo tan sereno, tan sensualmente delicioso como esas noches de luna llena en la bahía de Balbec, quieta entonces como un lago, donde apenas se mueven las ramas, donde, tendidos en la arena, escucharíamos sin fin el romper de las olas.
En entrant dans la chambre, j′étais resté debout sur le seuil, n′osant pas faire de bruit, et je n′en entendais pas d′autre que celui de son haleine venant expirer sur ses lèvres, à intervalles intermittents et réguliers, comme un reflux, mais plus assoupi et plus doux. Et au moment où mon oreille recueillait ce bruit divin, il me semblait que c′était, condensée en lui, toute la personne, toute la vie de la charmante captive, étendue là sous mes yeux. Des voitures passaient bruyamment dans la rue, son front restait aussi immobile, aussi pur, son souffle aussi léger, réduit à la simple expiration de l′air nécessaire. Puis, voyant que son sommeil ne serait pas troublé, je m′avançais prudemment, je m′asseyais sur la chaise qui était à côté du lit, puis sur le lit même. Al entrar en la habitación, me quedé de pie en el umbral, sin atreverme a hacer ruido, y sólo oía el de su aliento expirando en sus labios, a intervalos intermitentes y regulares, como un reflujo, pero más suave, más leve. Y al recoger mi oído aquel rumor divino, me parecía que, condensada en él, estaba toda la persona, toda la vida de la encantadora cautiva, allí tendida bajo mis ojos. Por la calle pasaban, ruidosamente, los carruajes, y su frente seguía tan inmóvil, tan pura, tan ligero su aliento, reducido a la simple espiración del aire necesario. Luego, al ver que no iba a turbar su sueño, avanzaba prudentemente, me sentaba en la silla que había al lado de la cama y después en la cama misma.
J′ai passé de charmants soirs à causer, à jouer avec Albertine, mais jamais d′aussi doux que quand je la regardais dormir. Elle avait beau avoir, en bavardant, en jouant aux cartes, ce naturel qu′une actrice n′eût pu imiter, c′était un naturel au deuxième degré que m′offrait son sommeil. Sa chevelure, descendue le long de son visage rose, était posée à côté d′elle sur le lit, et parfois une mèche, isolée et droite, donnait le même effet de perspective que ces arbres lunaires grêles et pâles qu′on aperçoit tout droits au fond des tableaux raphaëliques d′Elstir. Si les lèvres d′Albertine étaient closes, en revanche, de la façon dont j′étais placé, ses paupières paraissaient si peu jointes que j′aurais presque pu me demander si elle dormait vraiment. Tout de même, ces paupières abaissées mettaient dans son visage cette continuité parfaite que les yeux n′interrompaient pas. Il y a des êtres dont la face prend une beauté et une majesté inaccoutumées pour peu qu′ils n′aient plus de regard. He pasado noches deliciosas hablando, jugando con Albertina, pero nunca tan dulces como cuando la miraba dormir. Hablando, jugando a las cartas, tenía esa naturalidad que una actriz no hubiera podido imitar; pero la naturalidad que me ofrecía su sueño era más profunda, una naturalidad de segundo grado. Le caía el cabello a lo largo de su cara rosada y se posaba junto a ella en la cama, y a veces un mechón aislado y recto producía el mismo efecto de perspectiva que esos árboles lunares desmedrados y pálidos que vemos muy derechos en el fondo de los cuadros rafaelescos de Elstir. Si Albertina tenía los labios cerrados, en cambio, tal como yo estaba situado, sus párpados parecían tan disjuntos que yo hubiera podido preguntarme si estaba verdaderamente dormida. Pero aquellos párpados entornados daban a su rostro esa continuidad perfecta que los ojos no interrumpen.
Je mesurais des yeux Albertine étendue à mes pieds. Par instants, elle était parcourue d′une agitation légère et inexplicable, comme les feuillages qu′une brise inattendue convulse pendant quelques instants. Elle touchait à sa chevelure, puis, ne l′ayant pas fait comme elle le voulait, elle y portait la main encore par des mouvements si suivis, si volontaires, que j′étais convaincu qu′elle allait s′éveiller. Nullement ; elle redevenait calme dans le sommeil qu′elle n′avait pas quitté. Elle restait désormais immobile. Elle avait posé sa main sur sa poitrine en un abandon du bras si naîµ¥ment puéril que j′étais obligé, en la regardant, d′étouffer le sourire que par leur sérieux, leur innocence et leur grâce nous donnent les petits enfants. Hay rostros que adquieren una belleza y una majestad inhabituales a poco que les falte la mirada Yo contemplaba a Albertina tendida a mis pies. De cuando en cuando la recorría una agitación ligera e inexplicable, como el follaje que una brisa inesperada sacude unos instantes. Se tocaba el pelo, pero no se contentaba con esto y volvía a llevarse la mano a la cabeza con movimientos tan seguidos, tan voluntarios, que yo estaba convencido de que iba a despertarse. Nada de eso: volvía a quedarse tranquila en el no perdido sueño. Y permanecía inmóvil. Había posado la mano en el pecho con un abandono del brazo tan ingenuamente pueril que, mirándola, me tenía que esforzar por no sonreír con esa sonrisa que nos inspiran los niños pequeños, su inocencia, su gracia.
Moi qui connaissais plusieurs Albertine en une seule, il me semblait en voir bien d′autres encore reposer auprès de moi. Ses sourcils, arqués comme je ne les avais jamais vus, entouraient les globes de ses paupières comme un doux nid d′alcyon. Des races, des atavismes, des vices reposaient sur son visage. Chaque fois qu′elle déplaçait sa tête, elle créait une femme nouvelle, souvent insoupçonnée de moi. Il me semblait posséder non pas une, mais d′innombrables jeunes filles. Sa respiration, peu à peu plus profonde, soulevait maintenant régulièrement sa poitrine et, par-dessus elle, ses mains croisées, ses perles, déplacées d′une manière différente par le même mouvement, comme ces barques, ces chaînes d′amarre que fait osciller le mouvement du flot. Alors, sentant que son sommeil était dans son plein, que je ne me heurterais pas à des écueils de conscience recouverts maintenant par la pleine mer du sommeil profond, délibérément, je sautais sans bruit sur le lit, je me couchais au long d′elle, je prenais sa taille d′un de mes bras, je posais mes lèvres sur sa joue et sur son cœur ; puis, sur toutes les parties de son corps, posais ma seule main restée libre et qui était soulevée aussi, comme les perles, par la respiration d′Albertine ; moi-même, j′étais déplacé légèrement par son mouvement régulier : je m′étais embarqué sur le sommeil d′Albertine. Parfois, il me faisait goûter un plaisir moins pur. Je n′avais pour cela besoin de nul mouvement, je faisais pendre ma jambe contre la sienne, comme une rame qu′on laisse traîner et à laquelle on imprime de temps à autre une oscillation légère, pareille au battement intermittent de l′aile qu′ont les oiseaux qui dorment en l′air. Je choisissais pour la regarder cette face de son visage qu′on ne voyait jamais, et qui était si belle. Conociendo como conocía varias Albertinas en una sola, me parecía ver reposando junto a mí otras muchas más. Sus cejas arqueadas como yo no las había visto nunca rodeaban los globos de sus párpados como un suave nido de alción. Razas, atavismos, vicios reposaban en su rostro. Cada vez que movía la cabeza, creaba una mujer nueva, a veces insospechada para mí. Me parecía poseer no una, sino innumerables muchachas. Su respiración, que iba siendo poco a poco más profunda, le levantaba regularmente el pecho, y, encima, sus manos cruzadas, sus perlas desplazadas de diferente modo por el mismo movimiento, como esas barcas, esas amarras que el movimiento de las olas hace oscilar. Entonces, notando que su sueño era total, que no iba a tropezar con escollos de conciencia ahora cubiertos por la pleamar del sueño profundo, deliberadamente me subía sin ruido a la cama, me acostaba al lado de ella, le rodeaba la cintura con mi brazo, posaba los labios en su mejilla y sobre su corazón; después, en todas las partes de su cuerpo, mi única mano libre, que la respiración de la durmiente levantaba también, como las perlas; hasta yo mismo cambiaba ligeramente de posición por su movimiento regular: me había embarcado en el sueño de Albertina. A veces me hacía gustar un placer menos puro. Para ello no tenía necesidad de ningún movimiento, extendía mi pierna contra la suya, como una rama que se deja caer y a la que se imprime de cuando en cuando una ligera oscilación, parecida al intermitente batir del ala de los pájaros que duermen en el aire. Elegía para mirarla ese lado de su rostro que no se veía nunca y que tan bello era.
On comprend, à la rigueur, que les lettres que vous écrit quelqu′un soient à peu près semblables entre elles et dessinent une image assez différente de la personne qu′on connaît pour qu′elles constituent une deuxième personnalité. Mais combien il est plus étrange qu′une femme soit accolée, comme Rosita et Doodica, à une autre femme dont la beauté différente fait induire un autre caractère, et que pour voir l′une il faille se placer de profil, pour l′autre de face. Le bruit de sa respiration devenant plus fort pouvait donner l′illusion de l′essoufflement du plaisir et, quand le mien était à son terme, je pouvais l′embrasser sans avoir interrompu son sommeil. Il me semblait, à ces moments-là, que je venais de la posséder plus complètement, comme une chose inconsciente et sans résistance de la muette nature. Je ne m′inquiétais pas des mots qu′elle laissait parfois échapper en dormant, leur signification m′échappait, et, d′ailleurs, quelque personne inconnue qu′ils eussent désignée, c′était sur ma main, sur ma joue, que sa main, parfois animée d′un léger frisson, se crispait un instant. Je goûtais son sommeil d′un amour désintéressé, apaisant, comme je restais des heures à écouter le déferlement du flot. En rigor, se comprende que las cartas que nos escribe alguien sean más o menos parecidas entre ellas y tracen una imagen bastante diferente de la persona que conocemos para que constituyan una segunda personalidad. Pero es muy extraño que una mujer esté soldada, como Rosita a Doodica, a otra mujer cuya diferente belleza hace suponer otro carácter, y que para ver a una de ellas haya que ponerse de perfil, de frente para la otra. Su respiración, ahora más fuerte, podía dar la ilusión del jadeo del placer y cuando el mío llegaba a su término podía besarla sin haber interrumpido su sueño. En aquellos momentos me parecía que acababa de poseerla más completamente, como una cosa inconsciente y sin resistencia de la muda naturaleza. No me inquietaban las palabras que a veces dejaba escapar dormida; su significado era hermético para mí y, además, aunque se dirigieran a alguna persona desconocida, era sobre mi mano, sobre mi mejilla, donde su mano, aveces animada por un leve estremecimiento, se crispaba un instante. Yo gustaba su sueño con un amor desinteresado y sedante, de la misma manera que permanecía horas escuchando el batir de las olas.
Peut-être faut-il que les êtres soient capables de vous faire beaucoup souffrir pour que, dans les heures de rémission, ils vous procurent ce même calme apaisant que la nature. Je n′avais pas à lui répondre comme quand nous causions, et même eussé-je pu me taire, comme je faisais aussi quand elle parlait, qu′en l′entendant parler je ne descendais pas tout de même aussi avant en elle. Continuant à entendre, à recueillir, d′instant en instant, le murmure, apaisant comme une imperceptible brise, de sa pure haleine, c′était toute une existence physiologique qui était devant moi, à moi ; aussi longtemps que je restais jadis couché sur la plage, au clair de lune, je serais resté là à la regarder, à l′écouter. Acaso es necesario que los seres sean capaces de hacernos sufrir mucho para que, en los momentos de remisión, nos procuren esa misma calma sedante que nos ofrece la naturaleza. No tenía que contestarle como cuando hablábamos, y aunque pudiera callarme, como también lo hacía, cuando ella hablaba, de todos modos, oyéndola hablar no entraba tan profundamente en ella. Mientras continuaba oyéndola, recogiendo, de instante en instante, el murmullo, suave como una brisa imperceptible, de su puro aliento, tenía ante mí, para mí, toda una existencia fisiológica; hubiera permanecido mirándola, escuchándola, tanto tiempo. como antaño permaneciera tendido en la playa bajo la luna.
Quelquefois on eût dit que la mer devenait grosse, que la tempête se faisait sentir jusque dans la baie, et je me mettais comme elle à écouter le grondement de son souffle qui ronflait. Quelquefois, quand elle avait trop chaud, elle ôtait, dormant déjà presque, son kimono, qu′elle jetait sur mon fauteuil. Pendant qu′elle dormait, je me disais que toutes ses lettres étaient dans la poche intérieure de ce kimono, où elle les mettait toujours. Une signature, un rendez-vous donné eussent suffi pour prouver un mensonge ou dissiper un soupçon. Quand je sentais le sommeil d′Albertine bien profond, quittant le pied de son lit où je la contemplais depuis longtemps sans faire un mouvement, je faisais un pas, pris d′une curiosité ardente, sentant le secret de cette vie offert, floche et sans défense, dans ce fauteuil. Peut-être, faisais-je ce pas aussi parce que regarder dormir sans bouger finit par devenir fatigant. Et ainsi à pas de loup, me retournant sans cesse pour voir si Albertine ne s′éveillait pas, j′allais jusqu′au fauteuil. Là, je m′arrêtais, je restais longtemps à regarder le kimono comme j′étais resté longtemps à regarder Albertine. Mais (et peut-être j′ai eu tort) jamais je n′ai touché au kimono, mis ma main dans la poche, regardé les lettres. À la fin, voyant que je ne me déciderais pas, je repartais à pas de loup, revenais près du lit d′Albertine et me remettais à la regarder dormir, elle qui ne me dirait rien alors que je voyais sur un bras du fauteuil ce kimono qui peut-être m′eût dit bien des choses. Et de même que des gens louent cent francs par jour une chambre à l′Hôtel de Balbec pour respirer l′air de la mer, je trouvais tout naturel de dépenser plus que cela pour elle, puisque j′avais son souffle près de ma joue, dans sa bouche que j′entr′ouvrais sur la mienne, où contre ma langue passait sa vie. A veces se diría que el mar se iba encrespando, que se percibía la tempestad hasta en la bahía, y yo me acercaba más a ella para escuchar el fragor de su aliento. A veces, cuando Albertina tenía demasiado calor, y ya casi dormida, se quitaba el quimono y lo echaba en una butaca. Mientras ella dormía, yo pensaba que todas sus cartas estaban en el bolsillo interior de aquel quimono, donde las ponía siempre. Una firma, una cita hubiera bastado para probar una mentira o disipar una sospecha. Cuando veía a Albertina profundamente dormida, me apartaba del pie de su cama, donde llevaba mucho tiempo contemplándola sin hacer un movimiento, y aventuraba un paso, presa de una ardiente curiosidad, sintiendo el secreto de aquella vida que se ofrecía, desmayada y sin defensa, en una butaca. Quizá daba aquel paso también porque mirar dormir sin movernos acaba por cansarnos. Y así, muy despacito, volviéndome continuamente para ver si no se despertaba Albertina, iba hasta la butaca. Allí me paraba, me quedaba mucho tiempo mirando el quimono como me había quedado mucho tiempo mirando a Albertina. Pero nunca (y quizá hice mal) toqué el quimono, nunca metí la mano en el bolsillo, nunca miré las cartas. Viendo que no me decidiría, acababa por retroceder a paso de lobo, volvía junto a la cama de Albertina y a mirarla dormir, a ella que no me decía nada, cuando yo estaba viendo sobre el brazo de la butaca aquel quimono que acaso me hubiera dicho muchas cosas. Y de la misma manera que algunas personas alquilan por cien francos diarios una habitación en el hotel de Balbec para respirar el aire del mar, a mí me parecía muy natural gastar más por ella, puesto que tenía su aliento junto a mi mejilla, en mi boca, que yo entreabría sobre la suya y a la que, por mi lengua, pasaba su vida.
Mais ce plaisir de la voir dormir, et qui était aussi doux que la sentir vivre, un autre y mettait fin, et qui était celui de la voir s′éveiller. Il était, à un degré plus profond et plus mystérieux, le plaisir même qu′elle habitât chez moi. Sans doute il m′était doux, l′après-midi, quand elle descendait de voiture, que ce fût dans mon appartement qu′elle rentrât. Il me l′était plus encore que, quand du fond du sommeil elle remontait les derniers degrés de l′escalier des songes, ce fût dans ma chambre qu′elle renaquît à la conscience et à la vie, qu′elle se demandât un instant « où suis-je », et voyant les objets dont elle était entourée, la lampe dont la lumière lui faisait à peine cligner les yeux, pût se répondre qu′elle était chez elle en constatant qu′elle s′éveillait chez moi. Dans ce premier moment délicieux d′incertitude, il me semblait que je prenais à nouveau plus complètement possession d′elle, puisque, au lieu que, après être sortie, elle entrât dans sa chambre, c′était ma chambre, dès qu′elle serait reconnue par Albertine, qui allait l′enserrer, la contenir, sans que les yeux de mon amie manifestassent aucun trouble, restant aussi calmes que si elle n′avait pas dormi. Pero a este placer de verla dormir, tan dulce como sentirla vivir, le ponía fin otro placer: el de verla despertarse. Era, en un grado más profundo y más misterioso, el placer mismo de que viviera en mi casa. Sin duda me era dulce que a la tarde, cuando se apeaba del coche, entrara en mi departamento. Y me era más dulce aún que, cuando, desde el fondo del sueño, subía los últimos peldaños de la escalera de los sueños, fuera en mi cuarto donde ella renacía a la conciencia y a la vida, que se preguntara un instante «¿dónde estoy?», y al ver los objetos que la rodeaban, la lámpara cuyo resplandor le hacía apenas entornar los ojos, pudiera contestarse que estaba en su casa al darse cuenta de que se despertaba en la mía. En este primer momento delicioso de incertidumbre, me parecía que tomaba posesión de ella más completa, porque, cuando saliera, en lugar de entrar en su cuarto, era mi cuarto, en cuanto Albertina lo reconociera, el que iba a albergarla, a contenerla, sin que los ojos de mi amiga manifestaran ninguna turbación, permaneciendo tan serenos como si no se hubiera dormido. La indecisión del despertar se revelaba por su silencio, no por su mirada.
L′hésitation du réveil, révélée par son silence, ne l′était pas par son regard. Dès qu′elle retrouvait la parole elle disait : « Mon » ou « Mon chéri » suivis l′un ou l′autre de mon nom de baptême, ce qui, en donnant au narrateur le même nom qu′à l′auteur de ce livre, eût fait : « Mon Marcel », « Mon chéri Marcel ». Je ne permettais plus dès lors qu′en famille nos parents, en m′appelant aussi « chéri », ôtassent leur prix d′être uniques aux mots délicieux que me disait Albertine. Tout en me les disant elle faisait une petite moue qu′elle changeait d′elle-même en baiser. Aussi vite qu′elle s′était tout à l′heure endormie, aussi vite elle s′était réveillée. Al recuperar la palabra, decía: «Mi» o «mi querido», seguidos uno y otro de mi nombre de pila, lo que, dando al narrador el mismo nombre que al autor de este libro hubiera sido: «Mi Marcelo», «mi querido Marcelo». Desde entonces yo no permitía ya que, en familia, una pariente me dijera «querido», quitando así el valor de ser únicas a las palabras deliciosas que me decía Albertina. Al decírmelas, hacía una muequecita que ella misma transformaba en beso. Con la misma rapidez que antes se había dormido se despertaba ahora.
Pas plus que mon déplacement dans le temps, pas plus que le fait de regarder une jeune fille assise auprès de moi sous la lampe qui l′éclaire autrement que le soleil quand, debout, elle s′avançait le long de la mer, cet enrichissement réel, ce progrès autonome d′Albertine, n′étaient la cause importante, la différence qu′il y avait entre ma façon de la voir maintenant et ma façon de la voir au début à Balbec. Des années plus nombreuses auraient pu séparer les deux images sans amener un changement aussi complet ; il s′était produit, essentiel et soudain, quand j′avais appris que mon amie avait été presque élevée par l′amie de Mlle Vinteuil. Si jadis je m′étais exalté en croyant voir du mystère dans les yeux d′Albertine, maintenant je n′étais heureux que dans les moments où de ces yeux, de ces joues mêmes, réfléchissantes comme des yeux, tantôt si douces mais vite bourrues, je parvenais à expulser tout mystère. No más que mi cambio en el tiempo, no más que el hecho de mirar a una muchacha sentada junto a mí bajo la lámpara que alumbraba de manera distinta a como alumbraba el sol cuando ella caminaba a lo largo del mar, este enriquecimiento real, este proceso autónomo de Albertina, no eran la causa importante de la diferencia que había entre mi manera de verla ahora y mi manera de verla al principio en Balbec. Hubieran podido pasar más años entre las dos imágenes sin determinar un cambio tan completo; este cambio se produjo, esencial y súbito, cuando me enteré de que mi amiga había sido casi educada por la amiga de mademoiselle Vinteuil. Si en otro tiempo me exaltaba creyendo ver misterio en los ojos de Albertina, ahora sólo era feliz en los momentos en que de aquellos ojos, hasta de aquellas mejillas, espejeantes como ojos, unas veces tan dulces y en seguida tan hoscas, lograba yo expulsar todo misterio.
L′image que je cherchais, où je me reposais, contre laquelle j′aurais voulu mourir, ce n′était plus d′Albertine ayant une vie inconnue, c′était une Albertine aussi connue de moi qu′il était possible (et c′est pour cela que cet amour ne pouvait être durable à moins de rester malheureux, car, par définition, il ne contentait pas le besoin de mystère), c′était une Albertine ne reflétant pas un monde lointain, mais ne désirant rien d′autre — il y avait des instants où, en effet, cela semblait ainsi — qu′être avec moi, toute pareille à moi, une Albertine image de ce qui précisément était mien et non de l′inconnu. Quand c′est, ainsi, d′une heure angoissée relative à un être, quand c′est de l′incertitude si on pourra le retenir ou s′il s′échappera, qu′est né un amour, cet amour porte la marque de cette révolution qui l′a créé, il rappelle bien peu ce que nous avions vu jusque-là quand nous pensions à ce même être. Et mes premières impressions devant Albertine, au bord des flots pouvaient pour une petite part subsister dans mon amour pour elle : en réalité, ces impressions antérieures ne tiennent qu′une petite place dans un amour de ce genre ; dans sa force, dans sa souffrance, dans son besoin de douceur et son refuge vers un souvenir paisible, apaisant, où l′on voudrait se tenir et ne plus rien apprendre de celle qu′on aime, même s′il y avait quelque chose d′odieux à savoir — bien plus, même à ne consulter que ces impressions antérieures — un tel amour est fait de bien autre chose ! La imagen que buscaba, la imagen en que me recreaba, contra la cual hubiera querido morir, ya no era la Albertina que tenía una vida desconocida, era una Albertina conocida por mí en todo lo posible (por eso aquel amor no podía durar, a menos de seguir siendo desgraciado, pues, por definición, no satisfacía la necesidad de misterio), era una Albertina que no reflejaba un mundo lejano, que no deseaba más -había, en efecto, momentos en que parecía ser así- que estar conmigo, del todo semejante a mí, una Albertina imagen de lo que precisamente era mío y no de lo desconocido. Cuando un amor nace así de una hora de angustia por un ser, de la incertidumbre de si podremos retenerlo o se nos escapará, ese amor lleva la marca de la revolución que lo ha creado, recuerda muy poco lo que habíamos visto hasta entonces cuando pensábamos en ese mismo ser. Y mis primeras impresiones ante Albertina, a la orilla del mar, podían en una pequeña parte subsistir en mi amor a ella; en realidad, esas impresiones anteriores ocupan muy poco sitio en un amor de esa clase, en su fuerza, en sus sufrimientos, en su necesidad de dulzura y de refugio en un recuerdo apacible, tranquilo, donde quisiéramos quedarnos y no saber ya nada más de la que amamos, aunque hubiera algo odioso que saber -aun conservando las impresiones anteriores, un amor así está hecho de algo muy distinto.
Quelquefois j′éteignais la lumière avant qu′elle entrât. C′était dans l′obscurité, à peine guidée par la lumière d′un tison, qu′elle se couchait à mon côté. Mes mains, mes joues seules la reconnaissaient sans que mes yeux la vissent, mes yeux qui souvent avaient peur de la trouver changée. De sorte qu′à la faveur de cet amour aveugle elle se sentait peut-être baignée de plus de tendresse que d′habitude. D′autres fois, je me déshabillais, je me couchais, et, Albertine assise sur un coin du lit, nous reprenions notre partie ou notre conversation interrompues de baisers ; et dans le désir qui seul nous fait trouver de l′intérêt dans l′existence et le caractère d′une personne, nous restons si fidèles à notre nature (si, en revanche, nous abandonnons successivement les différents êtres aimés tour à tour par nous), qu′une fois, m′apercevant dans la glace au moment où j′embrassais Albertine en l′appelant ma petite fille, l′expression triste et passionnée de mon propre visage, pareil à ce qu′il eût été autrefois auprès de Gilberte dont je ne me souvenais plus, à ce qu′il serait peut-être un jour auprès d′une autre si jamais je devais oublier Albertine, me fit penser qu′au-dessus des considérations de personne (l′instinct voulant que nous considérions l′actuelle comme seule véritable) je remplissais les devoirs d′une dévotion ardente et douloureuse dédiée comme une offrande à la jeunesse et à la beauté de la femme. Et pourtant, à ce désir, honorant d′un « ex-voto » la jeunesse, aux souvenirs aussi de Balbec, se mêlait, dans le besoin que j′avais de garder ainsi tous les soirs Albertine auprès de moi, quelque chose qui avait été étranger jusqu′ici à ma vie, au moins amoureuse, s′il n′était pas entièrement nouveau dans ma vie. A veces yo apagaba la luz antes de que ella entrara. Y a oscuras, apenas guiada por la luz de un tizón, se acostaba a mi lado. Sólo mis manos, sólo mis mejillas la reconocían sin que la viesen mis ojos, que a veces tenían miedo de encontrarla cambiada. De suerte que, a favor de este amor ciego, se sentía más querida que habitualmente. Me desnudaba, me acostaba y, sentada Albertina en una esquina de la cama, reanudábamos nuestra partida o nuestra conversación interrumpida por los besos; y en el deseo, lo único que nos hace encontrar interés en la existencia y en el carácter de otra persona, si, en compensación, vamos abandonando a los diferentes seres sucesivamente amados, permanecemos tan fieles a nuestra naturaleza que una vez, viendo en el espejo, mientras besaba a Albertina llamándola «niñita mía», la expresión triste y apasionada de mi propio rostro, semejante a lo que fuera en otro tiempo cerca de Gilberta, de la que ya no me acordaba, a lo que sería quizá después junto a otra si alguna vez llegara a olvidar a Albertina, me hizo pensar que por encima de las consideraciones de persona (decidiendo el instinto que consideremos a la actual como única verdadera) estaba yo cumpliendo los deberes de una devoción ardiente y dolorosa consagrada como una ofrenda a la juventud y a la belleza de la mujer. Y, sin embargo, a este deseo que honraba con un «ex voto» a la juventud, también a los recuerdos de Balbec, se unía, en la necesidad que yo sentía de tener así todas las noches a Albertina junto a mí, algo que hasta entonces había sido ajeno a mi vida, al menos a mi vida amorosa, si no era enteramente nuevo en mi vida.
C′était un pouvoir d′apaisement tel que je n′en avais pas éprouvé de pareil depuis les soirs lointains de Combray où ma mère, penchée sur mon lit, venait m′apporter le repos dans un baiser. Certes, j′eusse été bien étonné, dans ce temps-là, si l′on m′avait dit que je n′étais pas entièrement bon, et surtout que je chercherais jamais à priver quelqu′un d′un plaisir. Je me connaissais sans doute bien mal alors, car mon plaisir d′avoir Albertine à demeure chez moi était beaucoup moins un plaisir positif que celui d′avoir retiré du monde, où chacun pouvait la goûter à son tour, la jeune fille en fleurs qui, si, du moins, elle ne me donnait pas de grande joie, en privait les autres. L′ambition, la gloire m′eussent laissé indifférent. Encore plus étais-je incapable d′éprouver la haine. Et cependant, pour moi, aimer charnellement c′était tout de même jouir d′un triomphe sur tant de concurrents. Je ne le redirai jamais assez, c′était un apaisement plus que tout. Era un poder de calma de tal entidad como no lo había sentido desde las lejanas noches de Combray en que mi madre, inclinada sobre mi cama, venía a traerme el reposo en un beso. Seguramente en aquel tiempo me habría extrañado mucho que me dijeran que no era enteramente bueno y, sobre todo, que intentara nunca privar a alguien de un placer. Sin duda me conocía muy mal entonces, pues mi satisfacción de ver a Albertina viviendo en mi casa era, mucho más que un placer positivo, el de haber retirado del mundo donde cualquiera podía disfrutarla a su vez a la muchacha en flor que, si no me daba gran alegría, al menos no se la daba a los demás. La ambición, la gloria me hubieran dejado indiferente. Era aún más incapaz de sentir odio. Y, sin embargo, amar carnalmente era para mí gozar de un triunfo sobre tantos competidores. No me cansaré de decirlo, era, más que nada, un modo de tranquilizarme.
J′avais beau, avant qu′Albertine fût rentrée, avoir douté d′elle, l′avoir imaginée dans la chambre de Montjouvain, une fois qu′en peignoir elle s′était assise en face de mon fauteuil, ou si, comme c′était le plus fréquent, j′étais resté couché au pied de mon lit, je déposais mes doutes en elle, je les lui remettais pour qu′elle m′en déchargeât, dans l′abdication d′un croyant qui fait sa prière. Toute la soirée elle avait pu, pelotonnée espièglement en boule sur mon lit, jouer avec moi comme une grosse chatte ; son petit nez rose, qu′elle diminuait encore au bout avec un regard coquet qui lui donnait la finesse de certaines personnes un peu grasses, avait pu lui donner une mine mutine et enflammée ; elle avait pu laisser tomber une mèche de ses longs cheveux noirs sur sa joue de cire rosée, et fermant à demi les yeux, décroisant les bras, avoir eu l′air de me dire : « Fais de moi ce que tu veux » ; quand, au moment de me quitter, elle s′approchait pour me dire bonsoir, c′était leur douceur devenue quasi familiale que je baisais des deux côtés de son cou puissant, qu′alors je ne trouvais jamais assez brun ni d′assez gros grain, comme si ces solides qualités eussent été en rapport avec quelque bonté loyale chez Albertine. Ya podía haber dudado de Albertina antes de que volviera, haberla imaginado en el cuarto de Montjouvain: una vez en bata, sentada frente a mí, o bien, como era más frecuente, acostado yo al pie de mí cama, depositaba mis dudas en ella, se las entregaba para que me descargase de ellas, en la abdicación de un creyente que se pone a rezar. Podía haber pasado toda la noche apelotonada graciosamente como una bola sobre mi cama, jugando conmigo como una gata; podía su naricilla rosada, que ella encogía aún en la punta con una mirada coqueta que le imprimía la sutileza singular de ciertas personas un poco gruesas, darle un aspecto travieso y ardiente; podía dejar caer un mechón de su larga cabellera negra sobre la mejilla de rosada cera y, entornando los ojos, descruzando los brazos, parecer como que me decía: «Haz de mí lo que quieras»; cuando en el momento de dejarme se me acercaba para decirme adiós, era su dulzura ya casi familiar lo que yo besaba en ambos lados de su cuello fuerte, que entonces no me parecía nunca bastante moreno ni de piel bastante granulada, como si estas sólidas cualidades tuviesen relación con alguna bondad leal en Albertina.
C′était le tour d′Albertine de me dire bonsoir en m′embrassant de chaque côté du cou, sa chevelure me caressait comme une aile aux plumes aiguës et douces. Si incomparables l′un à l′autre que fussent ces deux baisers de paix, Albertine glissait dans ma bouche, en me faisant le don de sa langue, comme un don du Saint-Esprit, me remettait un viatique, me laissait une provision de calme presque aussi doux que ma mère imposant le soir, à Combray, ses lèvres sur mon front. Â…
« Viendrez-vous avec nous demain, grand méchant ? me demandait-elle avant de me quitter. — Où irez-vous ? — Cela dépendra du temps et de vous. Avez-vous seulement écrit quelque chose tantôt, mon petit chéri ? Non ? Alors, c′était bien la peine de ne pas venir vous promener. Dites, à propos, tantôt quand je suis rentrée, vous avez reconnu mon pas, vous avez deviné que c′était moi ? — Naturellement. Est-ce qu′on pourrait se tromper ? est-ce qu′on ne reconnaîtrait pas entre mille les pas de sa petite bécasse ? Qu′elle me permette de la déchausser avant qu′elle aille se coucher, cela me fera bien plaisir. Vous êtes si gentille et si rose dans toute cette blancheur de dentelles. » -¿Vendrás mañana con nosotros, malísimo? -me preguntaba antes de dejarme. -¿A dónde vais a ir? -Depende del tiempo y de ti. ¿Has escrito siquiera algo antes, queridito? ¿No? Entonces no valía la pena no haber ido de paseo. A propósito, cuando volví hace un momento, ¿reconociste mi paso, adivinaste que era yo? -Naturalmente. ¿Cómo iba a equivocarme, cómo no iba a reconocer entre mil los pasos de mi codornicilla? Permítame mi codornicilla descalzarla para irse a la cama, eso me gustará muchísimo. Estás tan bonita y tan color de rosa en toda esa blancura de encajes.
Telle était ma réponse ; au milieu des expressions charnelles, on en reconnaîtra d′autres qui étaient propres à ma mère et à ma grand′mère, car, peu à peu, je ressemblais à tous mes parents, à mon père qui — de tout autre façon que moi sans doute, car si les choses se répètent, c′est avec de grandes variations — s′intéressait si fort au temps qu′il faisait ; et pas seulement à mon père, mais de plus en plus à ma tante Léonie. Sans cela, Albertine n′eût pu être pour moi qu′une raison de sortir pour ne pas la laisser seule, sans mon contrôle. Ma tante Léonie, toute confite en dévotion et avec qui j′aurais bien juré que je n′avais pas un seul point commun, moi si passionné de plaisirs, tout différent en apparence de cette maniaque qui n′en avait jamais connu aucun et disait son chapelet toute la journée, moi qui souffrais de ne pouvoir réaliser une existence littéraire, alors qu′elle avait été la seule personne de la famille qui n′eût pu encore comprendre que lire, c′était autre chose que de passer son temps à « s′amuser », ce qui rendait, même au temps pascal, la lecture permise le dimanche, où toute occupation sérieuse est défendue, afin qu′il soit uniquement sanctifié par la prière. Or, bien que chaque jour j′en trouvasse la cause dans un malaise particulier qui me faisait si souvent rester couché, un être, non pas Albertine, non pas un être que j′aimais, mais un être plus puissant sur moi qu′un être aimé, s′était transmigré en moi, despotique au point de faire taire parfois mes soupçons jaloux, ou du moins de m′empêcher d′aller vérifier s′ils étaient fondés ou non : c′était ma tante Léonie. C′était assez que je ressemblasse avec exagération à mon père jusqu′à ne pas me contenter de consulter comme lui le baromètre, mais à devenir moi-même un baromètre vivant ; c′était assez que je me laissasse commander par ma tante Léonie pour rester à observer le temps, de ma chambre ou même de mon lit, voici de même que je parlais maintenant à Albertine, tantôt comme l′enfant que j′avais été à Combray parlant à ma mère, tantôt comme ma grand′mère me parlait. Ésta era mi respuesta; en medio de las efusiones carnales, se reconocerán otras propias de mi madre y de mi abuela. Pues, poco a poco, yo me iba pareciendo a toda mi familia, a mi padre, que-claro que de manera diferente que yo, pues si las cosas se repiten, lo hacen con grandes variaciones- tanto se interesaba por el tiempo que hacía; y no sólo a mi padre, sino cada vez más a mi tía Leontina. A no ser así, Albertina no hubiera podido ser para mí más que un motivo para salir, para no dejarla sola, sin mi control. Mi tía Leontina, tan mojigata y con la que yo hubiera jurado que no tenía ni un solo punto común, tan apasionado yo por los placeres, al revés, en apariencia, de aquella maniática que nunca había conocido ninguno y se pasaba todo el día rezando el rosario, tan contrariado yo por no poder realizar una vida literaria, mientras que ella había sido la única persona de la familia que no había podido comprender que leer era otra cosa que pasar el tiempo y «divertirse », lo que, hasta en las pascuas, hacía la lectura permitida en domingo, día en que está prohibida toda ocupación seria, con el fin de que sea únicamente santificado por la oración. Ahora bien, aunque cada día yo encontrase la causa en un malestar especial, lo que tantas veces me hacía quedarme en la cama era un ser, no Albertina, no un ser que yo amaba, sino un ser más poderoso sobre mí que un ser amado: era, transmigrada en mí, despótica hasta el punto de acallar a veces mis sospechas celosas, o al menos de impedirme ir a comprobar si eran fundadas o no, mi tía Leontina. ¿No bastaba que me pareciese con exageración a mi padre hasta el punto de no limitarme a consultar como él el barómetro, sino siendo yo mismo un barómetro vivo; que me dejase mandar por mi tía Leontina para seguir observando el tiempo, pero desde mi cuarto o hasta desde mi cama? Resulta que ahora yo hablaba a Albertina tan pronto como el niño que fui en Combray hablaba a mi madre, tan pronto como mi abuela me hablaba a mí.
Quand nous avons dépassé un certain âge, l′âme de l′enfant que nous fûmes et l′âme des morts dont nous sommes sortis viennent nous jeter à poignée leurs richesses et leurs mauvais sorts, demandant à coopérer aux nouveaux sentiments que nous éprouvons et dans lesquels, effaçant leur ancienne effigie, nous les refondons en une création originale. Tel, tout mon passé depuis mes années les plus anciennes, et par delà celles-ci, le passé de mes parents, mêlaient à mon impur amour pour Albertine la douceur d′une tendresse à la fois filiale et maternelle. Nous devons recevoir dès une certaine heure tous nos parents arrivés de si loin et assemblés autour de nous. Cuando hemos pasado de cierta edad, el niño que fuimos y el alma de los muertos de los que salimos vienen a echarnos a puñados sus bienes y sus desventuras, queriendo cooperar en los nuevos sentimientos que experimentamos y en los cuales nosotros, borrando su antigua efigie, los refundimos en una creación original. Así, todo mi pasado desde mis más lejanos años y, por encima de esto, el pasado de mis ascendientes mezclaban a mi impuro amor por Albertina la dulzura de un cariño a la vez filial y maternal. Desde una determinada hora, debemos recibir a todos nuestros antepasados llegados de tan lejos y reunidos en torno nuestro.
Avant qu′Albertine m′eût obéi et m′eût laissé enlever ses souliers, j′entr′ouvrais sa chemise. Les deux petits seins haut remontés étaient si ronds qu′ils avaient moins l′air de faire partie intégrante de son corps que d′y avoir mûri comme deux fruits ; et son ventre (dissimulant la place qui chez l′homme s′enlaidit comme du crampon resté fiché dans une statue descellée) se refermait à la jonction des cuisses, par deux valves d′une courbe aussi assoupie, aussi reposante, aussi claustrale que celle de l′horizon quand le soleil a disparu. Elle ôtait ses souliers, se couchait près de moi. Antes de que Albertina me obedeciera y se quitara los zapatos, yo le entreabría la camisa. Sus dos pequeños senos, altos, eran tan redondos que, más que parte integrante de su cuerpo, parecían haber madurado en él como dos frutos; y su vientre (disimulando el lugar que en el hombre se afea como con el soporte que queda fijo en una estatua desalojada de su sitio) se cerraba, en la unión de los muslos, con dos valvas de una curva tan suave, tan serena, tan claustral como la del horizonte cuando se ha puesto el sol. Se quitaba los zapatos, se acostaba junto a mí.
Ô grandes attitudes de l′Homme et de la Femme où cherchent à se joindre, dans l′innocence des premiers jours et avec l′humilité de l′argile, ce que la création a séparé, où ève est étonnée et soumise devant l′Homme au côté de qui elle s′éveille, comme lui-même, encore seul, devant Dieu qui l′a formé. Albertine nouait ses bras derrière ses cheveux noirs, la hanche renflée, la jambe tombante en une inflexion de col de cygne qui s′allonge et se recourbe pour revenir sur lui-même. Il n′y avait que quand elle était tout à fait sur le côté qu′on voyait un certain aspect de sa figure (si bonne et si belle de face) que je ne pouvais souffrir, crochu comme en certaines caricatures de Léonard, semblant révéler la méchanceté, l′âpreté au gain, la fourberie d′une espionne, dont la présence chez moi m′eût fait horreur et qui semblait démasquée par ces profils-là. Aussitôt je prenais la figure d′Albertine dans mes mains et je la replaçais de face. Oh grandes actitudes del Hombre y de la Mujer cuando se disponen a unir, en la inocencia de los primeros días y con la humildad del barro, lo que la creación ha separado, cuando Eva se queda sorprendida y sumisa ante el Hombre junto al cual se despierta, como él mismo, solo todavía, ante Dios que le ha formado. Albertina anudaba sus brazos tras su cabello negro, alzada la cadera, caída la pierna en una inflexión de cuello de cisne que se alarga y se curva para volver sobre sí mismo. Cuando estaba completamente de lado, había cierto aspecto de su rostro (tan bueno y tan bello de frente) que yo no podía soportar, ganchudo como ciertas caricaturas de Leonardo, pareciendo revelar la maldad, la codicia, la bellaquería de una espía cuya presencia en mi casa me hubiera horrorizado y que parecía desenmascarada por aquellos perfiles. Me apresuraba a coger la cara de Albertina en mis manos y la volvía a poner de frente.
« Soyez gentil, promettez-moi que, si vous ne venez pas demain, vous travaillerez », disait mon amie en remettant sa chemise. « Oui, mais ne mettez pas encore votre peignoir. » Quelquefois je finissais par m′endormir à côté d′elle. La chambre s′était refroidie, il fallait du bois. J′essayais de trouver la sonnette dans mon dos, je n′y arrivais pas, tâtant tous les barreaux de cuivre qui n′étaient pas ceux entre lesquels elle pendait et, à Albertine qui avait sauté du lit pour que Françoise ne nous vît pas l′un à côté de l′autre, je disais : « Non remontez une seconde, je ne peux pas trouver la sonnette. » -Sé bueno, prométeme que mañana, si no vienes, trabajarás -decía mi amiga volviendo a ponerse la camisa. -Sí, pero no te pongas todavía la bata. A veces acababa por dormirme junto a ella. La habitación se había enfriado, hacía falta leña. Yo intentaba encontrar el timbre a mi espalda, no lo conseguía, palpando todos los barrotes de cobre que no eran aquellos entre los que pendía, y le decía a Albertina, que se había bajado de la cama para que Francisca no nos viera juntos: -No, vuelve a subir un momento, no encuentro el timbre.
Instants doux, gais, innocents en apparence et où s′accumule pourtant la possibilité, en nous insoupçonnée, du désastre, ce qui fait de la vie amoureuse la plus contrastée de toutes, celle où la pluie imprévisible de soufre et de poix tombe après les moments les plus riants et où ensuite, sans avoir le courage de tirer la leçon du malheur, nous rebâtissons immédiatement sur les flancs du cratère d′où ne pourra sortir que la catastrophe. J′avais l′insouciance de ceux qui croient leur bonheur durable. Instantes dulces, alegres, inocentes en apariencia y en los que se acumula, sin embargo, la posibilidad insospechada del desastre: lo que hace de la vida amorosa la más contradictoria de todas, aquella en que la imprevisible lluvia de azufre y de pez cae después de los momentos más gozosos y en la que en seguida, sin tener el valor de sacar la lección de la desgracia, volvemos a construir inmediatamente en las laderas del cráter del que no podrá salir más que la catástrofe. Yo tenía la despreocupación de los que creen duradera su felicidad.
C′est justement parce que cette douceur a été nécessaire pour enfanter la douleur — et reviendra du reste la calmer par intermittences — que les hommes peuvent être sincères avec autrui, et même avec eux-mêmes, quand ils se glorifient de la bonté d′une femme envers eux, quoique, à tout prendre, au sein de leur liaison circule constamment, d′une façon secrète, inavouée aux autres, ou révélée involontairement par des questions, des enquêtes, une inquiétude douloureuse. Mais celle-ci n′aurait pas pu naître sans la douceur préalable, que même ensuite la douceur intermittente est nécessaire pour rendre la souffrance supportable et éviter les ruptures, la dissimulation de l′enfer secret qu′est la vie commune avec cette femme, jusqu′à l′ostentation d′une intimité qu′on prétend douce, exprime un point de vue vrai, un lien général de l′effet à la cause, un des modes selon lesquels la production de la douleur est rendue possible. Precisamente porque esta dulzura ha sido necesaria para parir el dolor -y volverá, por otra parte, a calmarla intermitentemente-, los hombres pueden ser sinceros con otro, y hasta consigo mismos, cuando se jactan de la bondad de una mujer con ellos, aunque, a lo sumo, en el seno de sus relaciones circule constantemente, de manera secreta, inconfesada a los demás, o revelada involuntariamente con preguntas, con indagaciones, una inquietud dolorosa. Pero esta inquietud no podría nacer sin la dulzura previa; incluso después es necesaria la dulzura intermitente para hacer soportable el sufrimiento y evitar las rupturas, y el disimulo del infierno secreto que es la vida común con esa mujer, hasta la ostentación de una intimidad que dicen dulce, expresa un punto de vista verdadero, una relación general entre el efecto y la causa, uno de los modos que han hecho posible la producción del dolor.
Je ne m′étonnais plus qu′Albertine fût là et dût ne sortir le lendemain qu′avec moi ou sous la protection d′Andrée. Ces habitudes de vie en commun, ces grandes lignes qui délimitaient mon existence et à l′intérieur desquelles ne pouvait pénétrer personne excepté Albertine, aussi (dans le plan futur, encore inconnu de moi, de ma vie ultérieure, comme celui qui est tracé par un architecte pour des monuments qui ne s′élèveront que bien plus tard) les lignes lointaines, parallèles à celles-ci et plus vastes, par lesquelles s′esquissait en moi, comme un ermitage isolé, la formule un peu rigide et monotone de mes amours futures, avaient été en réalité tracées cette nuit à Balbec où, dans le petit tram, après qu′Albertine m′avait révélé qui l′avait élevée, j′avais voulu à tout prix la soustraire à certaines influences et l′empêcher d′être hors de ma présence pendant quelques jours. Les jours avaient succédé aux jours, ces habitudes étaient devenues machinales, mais comme ces rites dont l′Histoire essaye de retrouver la signification, j′aurais pu dire (et ne l′aurais pas voulu), à qui m′eût demandé ce que signifiait cette vie de retraite où je me séquestrais jusqu′à ne plus aller au théâtre, qu′elle avait pour origine l′anxiété d′un soir et le besoin de me prouver à moi-même, les jours qui la suivraient, que celle dont j′avais appris la fâcheuse enfance n′aurait pas la possibilité, si elle l′avait voulu, de s′exposer aux mêmes tentations. Je ne songeais plus qu′assez rarement à ces possibilités, mais elles devaient pourtant rester vaguement présentes à ma conscience. Le fait de les détruire — ou d′y tâcher — jour par jour était sans doute la cause pourquoi il m′était doux d′embrasser ces joues qui n′étaient pas plus belles que bien d′autres ; sous toute douceur charnelle un peu profonde, il y a la permanence d′un danger. Ya no me extrañaba que Albertina estuviera allí y no fuera a salir al día siguiente más que conmigo o bajo la protección de Andrea. Aquellos hábitos de vida en común, aquellas grandes líneas que delimitaban mi existencia y en cuyo interior no podía penetrar nadie más que Albertina, y también (en el plano futuro, todavía desconocido para mí, de mi vida interior, como el que traza un arquitecto para unos monumentos que no se elevarán hasta mucho más tarde) las líneas lejanas, paralelas a éstas y más amplias, que trazaban en mí, como una ermita aislada, la fórmula un poco rígida y monótona de mis amores futuros, habían sido en realidad trazadas en Balbec aquella noche en que, cuando Albertina me reveló en el trenecillo quién la había educado, quise a todo trance sustraerla a ciertas influencias e impedirle que estuviera fuera de mi presencia durante unos días. Los días sucedieron a los días, aquellos hábitos se hicieron maquinales, pero, como esos ritos cuyo significado intenta descubrir la historia, yo hubiera podido decir (y no hubiera querido), a quien me preguntara qué significaba aquella vida retirada en que me secuestraba yo hasta el punto de no ir ya al teatro, que tenía por origen la ansiedad de una noche y la necesidad de probarme a mí mismo, los días que la siguieron, que la mujer de cuya lamentable infancia acababa de enterarme no tendría ya la posibilidad de exponerse a las mismas tentaciones, si es que lo deseaba. Ya sólo de tarde en tarde pensaba en estas posibilidades, pero, sin embargo, seguían vagamente presentes en mi conciencia. El hecho de destruirlas día por día -o de procurar destruirlas- era sin duda la causa de que me fuera tan dulce besar aquellas mejillas que no eran más bellas que otras muchas; bajo toda dulzura carnal un poco profunda, está la permanencia de un peligro.
Â… Â…
J′avais promis à Albertine que, si je ne sortais pas avec elle, je me mettrais au travail ; mais le lendemain, comme si, profitant de nos sommeils, la maison avait miraculeusement voyagé, je m′éveillais par un temps différent, sous un autre climat. On ne travaille pas au moment où on débarque dans un pays nouveau, aux conditions duquel il faut s′adapter. Or chaque jour était pour moi un pays différent. Ma paresse elle-même, sous les formes nouvelles qu′elle revêtait, comment l′eussé-je reconnue ? Había prometido a Albertina que, si no salía con ella, me pondría a trabajar. Pero al día siguiente, como si la casa, aprovechando nuestro sueño, hubiera viajado milagrosamente, me despertaba en otro tiempo diferente, en otro clima. No se trabaja cuando se desembarca en un país nuevo a cuyas condiciones hay que adaptarse. Y cada día era para mí un país diferente. Mi misma pereza, ¿cómo reconocerla bajo las nuevas formas que adoptaba?
Tantôt, par des jours irrémédiablement mauvais, disait-on, rien que la résidence dans la maison, située au milieu d′une pluie égale et continue, avait la glissante douceur, le silence calmant, l′intérêt d′une navigation ; une autre fois, par un jour clair, en restant immobile dans mon lit, c′était laisser tourner les ombres autour de moi comme d′un tronc d′arbre. A veces, en días que decían irremediablemente malos, nada más que vivir en la casa situada en medio de una lluvia monótona y continua tenía la resbaladiza dulzura, el silencio calmante, todo el interés de una navegación; otra vez, en un día claro, permanecer inmóvil en mi cama era dejar que giraran las sombras alrededor de mí como de un tronco de árbol.
D′autres fois encore, aux premières cloches d′un couvent voisin, rares comme les dévotes matinales, blanchissant à peine le ciel sombre de leurs giboulées incertaines que fondait et dispersait le vent tiède, j′avais discerné une de ces journées tempétueuses, désordonnées et douces, où les toits, mouillés d′une ondée intermittente que sèchent un souffle ou un rayon, laissent glisser en roucoulant une goutte de pluie et, en attendant que le vent recommence à tourner, lissent au soleil momentané qui les irise leurs ardoises gorge-de-pigeon ; une de ces journées remplies par tant de changements de temps, d′incidents aériens, d′orages, que le paresseux ne croit pas les avoir perdues parce qu′il s′est intéressé à l′activité qu′à défaut de lui l′atmosphère, agissant en quelque sorte à sa place, a déployée ; journées pareilles à ces temps d′émeute ou de guerre, qui ne semblent pas vides à l′écolier délaissant sa classe parce que, aux alentours du Palais de Justice ou en lisant les journaux, il a l′illusion de trouver dans les événements qui se sont produits, à défaut de la besogne qu′il n′a pas accomplie, un profit pour son intelligence et une excuse pour son oisiveté ; journées auxquelles on peut comparer celles où se passe dans notre vie quelque crise exceptionnelle et de laquelle celui qui n′a jamais rien fait croit qu′il va tirer, si elle se dénoue heureusement, des habitudes laborieuses ; par exemple, c′est le matin où il sort pour un duel qui va se dérouler dans des conditions particulièrement dangereuses ; alors, lui apparaît tout d′un coup, au moment où elle va peut-être lui être enlevée, le prix d′une vie de laquelle il aurait pu profiter pour commencer une œuvre ou seulement goûter des plaisirs, et dont il n′a su jouir en rien. « Si je pouvais ne pas être tué, se dit-il, comme je me mettrais au travail à la minute même, et aussi comme je m′amuserais. » Otras, a las primeras campanadas de un convento vecino, raras como las devotas matinales, vislumbraba uno de esos días tempestuosos, desordenados y agradables, blanqueando apenas el cielo con sus nubes indecisas que el viento tibio fundía y dispersaba, uno de esos días en que los tejados mojados por una ráfaga intermitente que seca un soplo o un rayo de sol dejan caer en un arroyo una gota de lluvia y, a la espera de que gire de nuevo el viento, alisan al momentáneo sol que les irisa sus tejas cuello de pichón; uno de esos días con tantos cambios de tiempo, tantos incidentes aéreos, tantas tormentas, que el perezoso no cree haberlos perdido porque se ha interesado en la actividad que ha desplegado, a falta de él, la atmósfera, actuando de cierta manera en su lugar; días parecidos a esos tiempos de disturbios o de guerra que al escolar que falta a la escuela no le parecen vacíos, porque en los alrededores del Palacio de justicia o leyendo los periódicos se hace la ilusión de sacar de los acontecimientos producidos, a falta del trabajo no cumplido, un provecho para su inteligencia y una justificación para su ociosidad; días, en fin, comparables a esos en que ocurre en nuestra vida alguna crisis excepcional y de la que el que no ha hecho nunca nada cree que, si termina bien, va a sacar hábitos de trabajo: por ejemplo, la mañana en que sale para un duelo que va a tener lugar en condiciones particularmente peligrosas; entonces, en el momento en que acaso va a perderla, ve de pronto el valor de una vida que hubiera podido aprovechar para comenzar una obra o simplemente para divertirse, y de la que no ha sabido sacar ningún fruto. «Si no me mataran -se dice-, ¡cómo me pondría inmediatamente a trabajar, y también cómo iba a divertirme!»
La vie a pris en effet soudain, à ses yeux, une valeur plus grande, parce qu′il met dans la vie tout ce qu′il semble qu′elle peut donner, et non pas le peu qu′il lui fait donner habituellement. Il la voit selon son désir, non telle que son expérience lui a appris qu′il savait la rendre, c′est-à-dire si médiocre ! Elle s′est, à l′instant, remplie des labeurs, des voyages, des courses de montagnes, de toutes les belles choses qu′il se dit que la funeste issue de ce duel pourra rendre impossibles, alors qu′elles l′étaient avant qu′il fût question de duel, à cause des mauvaises habitudes qui, même sans duel, auraient continué. Il revient chez lui sans avoir été même blessé, mais il retrouve les mêmes obstacles aux plaisirs, aux excursions, aux voyages, à tout ce dont il avait craint un instant d′être à jamais dépouillé par la mort ; il suffit pour cela de la vie. Quant au travail — les circonstances exceptionnelles ayant pour effet d′exalter ce qui existait préalablement dans l′homme, chez le laborieux le labeur et chez l′oisif la paresse, — il se donne congé. Y es que la vida ha tomado súbitamente para él un valor más grande, porque pone en ella todo lo que parece que la vida puede dar, y no lo poco que él le hace dar habitualmente. La ve según su deseo, no como su experiencia le ha enseñado que él sabía hacerla, es decir, tan mediocre. Se ha llenado de pronto de trabajos, de viajes, de excursiones alpinas, de todas las cosas bellas que, se dice él, podrá hacer imposible el funesto resultado de ese duelo, sin pensar que lo eran ya antes de que surgiera tal duelo, y lo eran por las malas costumbres que, sin el duelo, hubieran continuado. Vuelve a casa sin siquiera una herida. Pero encuentra los mismos obstáculos para los placeres, para las excursiones, para los viajes, para todo aquello de que, por un momento, se había creído despojado por la muerte; para esto, basta la vida. En cuanto al trabajo -pues las circunstancias excepcionales exaltan lo que existía previamente en el hombre, el trabajo en el laborioso, la pereza en el ocioso-, se otorga unas vacaciones.
Je faisais comme lui, et comme j′avais toujours fait depuis ma vieille résolution de me mettre à écrire, que j′avais prise jadis, mais qui me semblait dater d′hier, parce que j′avais considéré chaque jour l′un après l′autre comme non avenu. J′en usais de même pour celui-ci, laissant passer sans rien faire ses averses et ses éclaircies et me promettant de commencer à travailler le lendemain. Mais je n′y étais plus le même sous un ciel sans nuages ; le son doré des cloches ne contenait pas seulement, comme le miel, de la lumière, mais la sensation de la lumière et aussi la saveur fade des confitures (parce qu′à Combray il s′était souvent attardé comme une guêpe sur notre table desservie). Par ce jour de soleil éclatant, rester tout le jour les yeux clos, c′était chose permise, usitée, salubre, plaisante, saisonnière, comme tenir ses persiennes fermées contre la chaleur. Yo hacía lo que él, lo que había hecho siempre desde mi vieja resolución de ponerme a escribir, una resolución tomada tiempo atrás, pero que me parecía de ayer, porque había considerado cada día, uno tras otro, como no transcurrido. Lo mismo hacia con éste, dejando pasar sin hacer nada sus chaparrones y sus claros y prometiéndome empezar a trabajar al día siguiente. Pero bajo un cielo sin nubes ya no era el mismo; el dorado sol de las campanas no contenía solamente luz, como la miel, sino la sensación de la luz (y también el sabor insípido de las mermeladas, porque en Combray se había parado como una avispa en nuestra mesa después de retirar el servicio). En aquel día de sol resplandeciente, permanecer todo el día con los ojos cerrados era cosa permitida, usual, saludable, grata, propia de la estación, como tener las persianas cerradas contra el calor.
C′était par de tels temps qu′au début de mon second séjour à Balbec j′entendais les violons de l′orchestre entre les coulées bleuâtres de la marée montante. Combien je possédais plus Albertine aujourd′hui ! Il y avait des jours où le bruit d′une cloche qui sonnait l′heure portait sur la sphère de sa sonorité une plaque si fraîche, si puissamment étalée de mouillé ou de lumière, que c′était comme une traduction pour aveugles, ou, si l′on veut, comme une traduction musicale du charme de la pluie ou du charme du soleil. Si bien qu′à ce moment-là, les yeux fermés, dans mon lit, je me disais que tout peut se transposer et qu′un univers seulement audible pourrait être aussi varié que l′autre. Remontant paresseusement de jour en jour, comme sur une barque, et voyant apparaître devant moi toujours de nouveaux souvenirs enchantés, que je ne choisissais pas, qui, l′instant d′avant, m′étaient invisibles, et que ma mémoire me présentait l′un après l′autre sans que je puisse les choisir, je poursuivais paresseusement, sur ces espaces unis, ma promenade au soleil. En un tiempo así oía yo, al principio de mi segunda estancia en Balbec, los violines de la orquesta entre las aguas azules de la marea alta. ¡Cuánto más mía era Albertina hoy! Había días en que el toque de una campana que daba la hora llevaba en la esfera de su sonoridad una placa tan fresca, con tan fuerte relieve de agua o de luz, que era como una traducción para ciegos o, si se quiere, como una traducción musical del encanto de la lluvia o del encanto del sol. De tal suerte que, en aquel momento, con los ojos cerrados, en mi cama, me decía que todo puede transformarse y que un universo solamente audible podría ser tan variable como el otro. Remontando perezosamente cada día como en una barca, y viendo aparecer ante mí siempre nuevos recuerdos encantados, que yo no escogía, que un momento antes me eran invisibles y que mi memoria me presentaba uno tras otro sin que pudiese elegirlos, proseguía perezoso mi paseo al sol por aquellos espacios lisos.
Ces concerts matinaux de Balbec n′étaient pas anciens. Et pourtant, à ce moment relativement rapproché, je me souciais peu d′Albertine. Même, les tout premiers jours de l′arrivée, je n′avais pas connu sa présence à Balbec. Par qui donc l′avais-je apprise ? Ah ! oui, par Aimé. Il faisait un beau soleil comme celui-ci. Il était content de me revoir. Mais il n′aime pas Albertine. Tout le monde ne peut pas l′aimer. Oui, c′est lui qui m′a annoncé qu′elle était à Balbec. Comment le savait-il donc ? Ah ! il l′avait rencontrée, il lui avait trouvé mauvais genre. À ce moment, abordant le récit d′Aimé par une autre face que celle où il me l′avait fait, ma pensée, qui jusqu′ici avait navigué en souriant sur ces eaux bienheureuses, éclatait soudain, comme si elle eût heurté une mine invisible et dangereuse, insidieusement posée à ce point de ma mémoire. Il m′avait dit qu′il l′avait rencontrée, qu′il lui avait trouvé mauvais genre. Qu′avait-il voulu dire par mauvais genre ? J′avais compris genre vulgaire, parce que, pour le contredire d′avance, j′avais déclaré qu′elle avait de la distinction. Mais non, peut-être avait-il voulu dire genre gomorrhéen. Elle était avec une amie, peut-être qu′elles se tenaient par la taille, qu′elles regardaient d′autres femmes, qu′elles avaient en effet un « genre » que je n′avais jamais vu à Albertine en ma présence. Qui était l′amie ? où Aimé l′avait-il rencontrée, cette odieuse Albertine ? Aquellos conciertos matinales de Balbec no eran antiguos. Y, sin embargo, en aquel momento relativamente cercano me importaba poco Albertina. Es más, los primeros días de la llegada no me había enterado de su presencia en Balbec. ¿Por quién me enteré? ¡Ah, sí!, por Amado. Hacía un hermoso sol como éste. ¡El bueno de Amado! Estaba contento de volver a verme. Pero no quiere a Albertina. No todo el mundo puede quererla. Sí, fue él quien me dijo que Albertina estaba en Balbec. Pero ¿cómo lo sabía? ¡Ah!, la había encontrado, le había parecido de mala pinta. En aquel momento, mi pensamiento, abordando el relato de Amado por una cara distinta a la que él me presentó en el momento de hacérmelo, mi pensamiento, que hasta entonces había navegado sonriente por aquellas aguas propicias, estallaba de pronto, como si hubiera chocado con una mina invisible y peligrosa insidiosamente colocada en aquel punto de mi memoria. Me dijo que la había encontrado, que le había parecido de mala pinta. ¿Qué había querido decir con eso de mala pinta? Yo entendí que la había encontrado de pinta vulgar, pues, para contradecirle de antemano, le dije que era distinguida. Pero no, quizá quería decir del gremio gomorriano. Estaba con una amiga, quizá iban cogidas de la cintura, acaso miraban a otras mujeres, acaso tenían, en efecto, una «pinta» que yo no había visto nunca a Albertina en mi presencia ¿Quién era la amiga? ¿Dónde había visto Amado a esa odiosa Albertina?
Je tâchais de me rappeler exactement ce qu′Aimé m′avait dit, pour voir si cela pouvait se rapporter à ce que j′imaginais ou s′il avait voulu parler seulement de manières communes. Mais j′avais beau me le demander, la personne qui se posait la question et la personne qui pouvait offrir le souvenir n′étaient, hélas, qu′une seule et même personne, moi, qui se dédoublait momentanément, mais sans rien s′ajouter. J′avais beau questionner, c′était moi qui répondais, je n′apprenais rien de plus. Je ne songeais plus à Mlle Vinteuil. Né d′un soupçon nouveau, l′accès de jalousie dont je souffrais était nouveau aussi, ou plutôt il n′était que le prolongement, l′extension de ce soupçon, il avait le même théâtre, qui n′était plus Montjouvain, mais la route où Aimé avait rencontré Albertine ; pour objets, les quelques amies dont l′une ou l′autre pouvait être celle qui était avec Albertine ce jour-là. C′était peut-être une certaine Élisabeth, ou bien peut-être ces deux jeunes filles qu′Albertine avait regardées dans la glace, au Casino, quand elle n′avait pas l′air de les voir. Elle avait sans doute des relations avec elles, et d′ailleurs aussi avec Esther, la cousine de Bloch. De telles relations, si elles m′avaient été révélées par un tiers, eussent suffi pour me tuer à demi, mais comme c′était moi qui les imaginais, j′avais soin d′y ajouter assez d′incertitude pour amortir la douleur. Procuraba recordar exactamente lo que Amado me dijo, por ver si tenía relación con lo que yo imaginaba o si se refería solamente a maneras vulgares. Pero era inútil que me lo preguntara: la persona que se hacía la pregunta y la persona que podía ofrecer el recuerdo no eran, desgraciadamente, más que una sola y misma persona: yo, que me desdoblaba momentáneamente, pero sin añadir nada. Era inútil preguntar, me contestaba yo mismo, y no averiguaba nada más. Ya no pensaba en mademoiselle Vinteuil. El acceso de celos que sufría, nacido de una sospecha nueva, era nuevo también, o más bien no era más que la prolongación, la ampliación de aquella sospecha; tenía el mismo escenario, que ya no era Montjouvain, sino el camino en que Amado había visto a Albertina; el mismo objeto, las varias amigas entre las que una u otra podía ser la que estaba con Albertina aquel día. Acaso fuera una tal Isabel, o quizá aquellas dos muchachas que Albertina había mirado en el espejo del casino haciendo como que no las veía. Seguramente tenía relaciones con ellas, y también con Ester, la prima de Bloch. Si un tercero me hubiera revelado tales relaciones, eso habría bastado para medio matarme, pero como era yo quien las imaginaba tenía buen cuidado de dejarlas en la suficiente incertidumbre para atenuar el dolor.
On arrive, sous la forme de soupçons, à absorber journellement, à doses énormes, cette même idée qu′on est trompé, de laquelle une quantité très faible pourrait être mortelle, inoculée par la piqûre d′une parole déchirante. C′est sans doute pour cela, et par un dérivé de l′instinct de conservation, que le même jaloux n′hésite pas à former des soupçons atroces à propos de faits innocents, à condition, devant la première preuve qu′on lui apporte, de se refuser à l′évidence. D′ailleurs, l′amour est un mal inguérissable, comme ces diathèses où le rhumatisme ne laisse quelque répit que pour faire place à des migraines épileptiformes. Le soupçon jaloux était-il calmé, j′en voulais à Albertine de n′avoir pas été tendre, peut-être de s′être moquée de moi avec Andrée. Je pensais avec effroi à l′idée qu′elle avait dû se faire si Andrée lui avait répété toutes nos conversations, l′avenir m′apparaissait atroce. Ces tristesses ne me quittaient que si un nouveau soupçon jaloux me jetait dans d′autres recherches ou si, au contraire, les manifestations de tendresse d′Albertine me rendaient mon bonheur insignifiant. Quelle pouvait être cette jeune fille ? il faudrait que j′écrive à Aimé, que je tâche de le voir, et ensuite je contrôlerais ses dires en causant avec Albertine, en la confessant. En attendant, croyant bien que ce devait être la cousine de Bloch, je demandai à celui-ci, qui ne comprit nullement dans quel but, de me montrer seulement une photographie d′elle ou, bien plus, de me faire au besoin rencontrer avec elle. Bajo la forma de sospechas, llegamos a absorber diariamente en dosis enormes la idea de que nos engañan, esa misma idea que, inoculada en dosis muy ligeras por el picotazo de una palabra brusca, podría ser mortal. Y sin duda por esto, y por un derivado del instinto de conservación, el mismo celoso no vacila en concebir sospechas atroces a propósito de hechos inocentes, sin perjuicio de negarse a la evidencia ante la primera prueba que le presenten. Por otra parte, el amor es un mal incurable, como esas diátesis en las que el reumatismo sólo concede alguna tregua para dar paso a jaquecas epileptiformes. La sospecha celosa se había calmado, le reprochaba a Albertina no haber estado cariñosa, quizá haberse burlado de mí con Andrea. Pensaba con espanto en la idea que había debido de formarse si Andrea le había repetido todas nuestras conversaciones; el porvenir me parecía terrible. Y estos tristes pensamientos sólo me dejaban cuando una nueva sospecha me lanzaba a otras averiguaciones o cuando, por el contrario, las manifestaciones de cariño de Albertina me hacían insignificante mi felicidad. ¿Quién podría ser aquella muchacha? Tendría que escribir a Amado, que procurar verle, y luego, hablando con Albertina, confesándola, comprobaría lo que me dijera. Mientras tanto, dando por seguro que sería la prima de Bloch, pedí a éste, sin que él comprendiera en absoluto con qué fin, que me enseñara una fotografía de aquella prima o, mejor aún, que me la presentara.
Combien de personnes, de villes, de chemins, la jalousie nous rend ainsi avide de connaître ? Elle est une soif de savoir grâce à laquelle, sur des points isolés les uns des autres, nous finissons par avoir successivement toutes les notions possibles, sauf celle que nous voudrions. On ne sait jamais si un soupçon ne naîtra pas, car, tout à coup, on se rappelle une phrase qui n′était pas claire, un alibi qui n′avait pas été donné sans intention. Pourtant, on n′a pas revu la personne, mais il y a une jalousie après coup, qui ne naît qu′après l′avoir quittée, une jalousie de l′escalier. Peut-être l′habitude que j′avais prise de garder au fond de moi certains désirs, désir d′une jeune fille du monde comme celles que je voyais passer de ma fenêtre suivies de leur institutrice, et plus particulièrement de celle dont m′avait parlé Saint-Loup, qui allait dans les maisons de passe ; désir de belles femmes de chambre, et particulièrement celle de Mme Putbus ; désir d′aller à la campagne au début du printemps, revoir des aubépines, des pommiers en fleurs, des tempêtes ; désir de Venise, désir de me mettre au travail, désir de mener la vie de tout le monde ; — peut-être l′habitude de conserver en moi sans assouvissement tous ces désirs, en me contentant de la promesse, faite à moi-même, de ne pas oublier de les satisfaire un jour ; — peut-être cette habitude, vieille de tant d′années, de l′ajournement perpétuel, de ce que M. de Charlus flétrissait sous le nom de procrastination, était-elle devenue si générale en moi qu′elle s′emparait aussi de mes soupçons jaloux et, tout en me faisant prendre mentalement note que je ne manquerais pas un jour d′avoir une explication avec Albertine au sujet de la jeune fille, peut-être des jeunes filles (cette partie du récit était confuse, effacée, autant dire infranchissable, dans ma mémoire), avec laquelle ou lesquelles Aimé l′avait rencontrée, me faisait retarder cette explication. En tous cas, je n′en parlerais pas ce soir à mon amie pour ne pas risquer de lui paraître jaloux et de la fâcher. ¡Cuántas personas, cuántas ciudades, cuántos caminos deseamos conocer por causa de los celos! Los celos son una sed de saber gracias a la cual acabamos por tener sucesivamente, sobre puntos aislados unos de otros, todas las nociones posibles menos la que quisiéramos. Nunca sabemos si va a nacer una sospecha, pues de pronto recordamos una frase que no era clara, una coartada que nos dieron no sin intención. Sin embargo, no hemos vuelto a ver a la persona, pero hay unos celos a posteriori que sólo nacen después de haberla dejado, unos celos de la escalera. Acaso la costumbre que yo había tomado de guardar en el fondo de mí ciertos deseos, deseo de una muchacha de la alta sociedad como las que veía pasar desde mi ventana seguidas de su institutriz, y especialmente de aquella de que me hablara Saint-Loup, aquella que iba a las casas de citas; deseo de las doncellas guapas, y especialmente de la de madame Putbus; deseo de ir al campo al empezar la primavera por ver los espinos, los manzanos en flor, las tormentas; deseo de Venecia, deseo de ponerme a trabajar, deseo de hacer la vida de todo el mundo -acaso la costumbre de conservar en mí, sin satisfacerlos, todos esos deseos, contentándome con la promesa hecha a mí mismo de no olvidar satisfacerlos un día-, acaso esa costumbre añeja del aplazamiento perpetuo, de eso que monsieur de Charlus infamaba con el nombre de «procrastinación», había llegado a ser tan general en mí que se apoderaba también de mis sospechas celosas, y, mientras me hacía decidir mentalmente que no dejaría de tener un día una explicación con Albertina sobre la muchacha, la que fuera (quizá las muchachas, pues esta parte del relato era confusa, borrosa, tanto como decir indescifrable, en mi memoria), con la que (o con las que) Amado la había visto, me hacía aplazar esta explicación. En todo caso, esta noche no hablaría de aquello a mi amiga por no arriesgarme a parecerle celoso y enfadarla.
Pourtant, quand, le lendemain, Bloch m′eut envoyé la photographie de sa cousine Esther, je m′empressai de la faire parvenir à Aimé. Et à la même minute, je me souvins qu′Albertine m′avait refusé le matin un plaisir qui aurait pu la fatiguer en effet. Était-ce donc pour le réserver à quelque autre ? Cet après-midi peut-être ? À qui ? Pero cuando al día siguiente me envió Bloch la foto de su prima Ester, me apresuré a mandársela a Amado. Y en el mismo momento recordé que Albertina me había negado aquella mañana un placer que hubiera podido cansarla en efecto. ¿Sería quizá que lo reservaba para otro aquella tarde? ¿Para quién?
C′est ainsi qu′est interminable la jalousie, car même si l′être aimé, étant mort par exemple, ne peut plus la provoquer par ses actes, il arrive que des souvenirs postérieurement à tout événement se comportent tout à coup dans notre mémoire comme des événements eux aussi, souvenirs que nous n′avions pas éclairés jusque-là, qui nous avaient paru insignifiants, et auxquels il suffit de notre propre réflexion sur eux, sans aucun fait extérieur, pour donner un sens nouveau et terrible. On n′a pas besoin d′être deux, il suffit d′être seul dans sa chambre, à penser, pour que de nouvelles trahisons de votre maîtresse se produisent, fût-elle morte. Aussi il ne faut pas ne redouter dans l′amour, comme dans la vie habituelle, que l′avenir, mais même le passé, qui ne se réalise pour nous souvent qu′après l′avenir, et nous ne parlons pas seulement du passé que nous apprenons après coup, mais de celui que nous avons conservé depuis longtemps en nous et que tout à coup nous apprenons à lire. Así de interminables son los celos, pues incluso cuando el ser amado, ya muerto, por ejemplo, no puede provocarlos con sus actos, ocurre que, posteriormente a todo hecho, los recuerdos se comportan de pronto en nuestra memoria como hechos; unos recuerdos que no habíamos aclarado hasta entonces, que nos habían parecido insignificantes, basta nuestra propia reflexión sobre ellos para darles, sin ningún hecho exterior, un sentido nuevo y terrible. No hace falta ser dos, basta estar solo en nuestro cuarto, pensando, para que se produzcan nuevas traiciones de nuestra amada, aunque haya muerto. Por eso en el amor, como en la vida habitual, no se debe temer sólo el porvenir, sino también el pasado, que muchas veces no se realiza para nosotros hasta después del porvenir, y no hablamos solamente del pasado que conocemos inmediatamente, sino del que hemos conservado desde hace mucho tiempo en nosotros y que de pronto aprendemos a leer.
N′importe, j′étais bien heureux, l′après-midi finissant, que ne tardât pas l′heure où j′allais pouvoir demander à la présence d′Albertine l′apaisement dont j′avais besoin. Malheureusement, la soirée qui vint fut une de celles où cet apaisement ne m′était pas apporté, où le baiser qu′Albertine me donnerait en me quittant, bien différent du baiser habituel, ne me calmerait pas plus qu′autrefois celui de ma mère, les jours où elle était fâchée et où je n′osais pas la rappeler, mais où je sentais que je ne pourrais pas m′endormir. Ces soirées-là, c′étaient maintenant celles où Albertine avait formé pour le lendemain quelque projet qu′elle ne voulait pas que je connusse. Si elle me l′avait confié, j′aurais mis à assurer sa réalisation une ardeur que personne autant qu′Albertine n′eût pu m′inspirer. Mais elle ne me disait rien et n′avait, d′ailleurs, besoin de me rien dire ; dès qu′elle était rentrée, sur la porte même de ma chambre, comme elle avait encore son chapeau ou sa toque sur la tête, j′avais déjà vu le désir inconnu, rétif, acharné, indomptable. Or c′étaient souvent les soirs où j′avais attendu son retour avec les plus tendres pensées, où je comptais lui sauter au cou avec le plus de tendresse. De todos modos, ya cayendo la tarde, yo estaba muy contento de que no iba a tardar la hora en que podría encontrar en la presencia de Albertina la satisfacción que necesitaba. Desgraciadamente, la noche que llegó fue una de aquellas en que no me era otorgada esta satisfacción. En que el beso que Albertina me daría al dejarme, muy diferente del habitual, no me calmaría más que en otro tiempo el de mi madre los días en que estaba enfadada y yo no me atrevía a llamarla de nuevo, pero sentía que no podía dormir. Aquellas noches eran ahora las noches en que Albertina había hecho para el día siguiente algún proyecto que no quería que yo conociese. Si me lo hubiera confiado, yo habría puesto en asegurar su realización un entusiasmo que nadie como Albertina podría inspirarme. Pero no me decía nada y, además, no necesitaba decirme nada; en cuanto entraba, en la puerta misma de mi cuarto todavía con el sombrero o la toca en la cabeza, veía yo el deseo desconocido, disimulado, tenaz, indomable. Y esto solía ocurrir las noches en que yo había esperado su regreso con los más tiernos pensamientos, en que pensaba abrazarme a su cuello con la mayor ternura.
Hélas, ces mésententes comme j′en avais eu souvent avec mes parents, que je trouvais froids ou irrités au moment où j′accourais près d′eux, débordant de tendresse, ne sont rien auprès de celles qui se produisent entre deux amants ! La souffrance ici est bien moins superficielle, est bien plus difficile à supporter, elle a pour siège une couche plus profonde du cœur. Desgraciadamente, estos desacuerdos, como los que yo había tenido muchas veces con mis padres al encontrarlos fríos o irritados cuando yo me acercaba a ellos rebosante de cariño, no son nada comparados con los que se producen entre dos amantes. En este caso, el sufrimiento es mucho menos superficial, mucho más difícil de soportar, radica en una capa más profunda del corazón.
Ce soir-là, le projet qu′Albertine avait formé, elle fut pourtant obligée de m′en dire un mot ; je compris tout de suite qu′elle voulait aller le lendemain faire une visite à Mme Verdurin, une visite qui, en elle-même, ne m′eût en rien contrarié. Mais certainement, c′était pour y faire quelque rencontre, pour y préparer quelque plaisir. Sans cela elle n′eût pas tellement tenu à cette visite. Je veux dire, elle ne m′eût pas répété qu′elle n′y tenait pas. J′avais suivi dans mon existence une marche inverse de celle des peuples, qui ne se servent de l′écriture phonétique qu′après avoir considéré les caractères comme une suite de symboles ; moi qui, pendant tant d′années, n′avais cherché la vie et la pensée réelles des gens que dans l′énoncé direct qu′ils m′en fournissaient volontairement, par leur faute j′en étais arrivé à ne plus attacher, au contraire, d′importance qu′aux témoignages qui ne sont pas une expression rationnelle et analytique de la vérité ; les paroles elles-mêmes ne me renseignaient qu′à la condition d′être interprétées à la façon d′un afflux de sang à la figure d′une personne qui se trouble, à la façon encore d′un silence subit. Pero aquella noche Albertina no tuvo más remedio que decirme algo del proyecto que había formado; comprendí en seguida que quería ir al día siguiente a hacer a madame Verdurin una visita que, en sí misma, no me hubiera contrariado en absoluto. Pero seguramente era para ver allí a alguien, para preparar allí alguna diversión. A no ser así, no habría tenido tanto empeño en aquella visita. Quiero decir que no habría repetido que no tenía tal empeño. Yo había seguido en mi vida una marcha inversa a la de los pueblos que sólo utilizan la escritura fonética después de considerar los caracteres como una serie de símbolos; yo, que durante tantos años no había buscado la vida y el pensamiento reales de las personas más que en el enunciado directo que me ofrecían voluntariamente, había llegado por su culpa a lo contrario, a no dar importancia más que a los testimonios que no son una expresión racional y analítica de la verdad; las palabras mismas no me decían nada sino con la condición de ser interpretadas a la manera de un aflujo de sangre a la cara de una persona que se turba, también a la manera de un silencio súbito.
Tel adverbe (par exemple employé par M. de Cambremer, quand il croyait que j′étais « écrivain » et que, n′ayant pas encore parlé, racontant une visite qu′il avait faite aux Verdurin, il s′était tourné vers moi en disant : « Il y avait justement de Borelli ») jailli dans une conflagration par le rapprochement involontaire, parfois périlleux, de deux idées que l′interlocuteur n′exprimait pas et duquel, par telles méthodes d′analyse ou d′électrolyse appropriées, je pouvais les extraire, m′en disait plus qu′un discours. Un adverbio (por ejemplo, empleado por monsieur de Cambremer cuando creía que yo era «escritor» y, sin haberme hablado todavía, contando una visita que había hecho a los Verdurin, se volvió hacia mí diciéndome: «Estaba precisamente Borelli»), adverbio surgido en una conflagración por el encuentro involuntario, a veces peligroso, de dos ideas que el interlocutor no expresaba y de la que, por unos métodos adecuados de análisis o de electrolisis, podía yo deducirlas, me decía más que un discurso.
Albertine laissait parfois traîner dans ses propos tel ou tel de ces précieux amalgames, que je me hâtais de « traiter » pour les transformer en idées claires. C′est, du reste, une des choses les plus terribles pour l′amoureux que, si les faits particuliers — que seuls l′expérience, l′espionnage, entre tant de réalisations possibles, feraient connaître — sont si difficiles à trouver, la vérité, en revanche, sort si facile à percer ou seulement à pressentir. Albertina dejaba caer a veces en sus palabras una de estas preciosas amalgamas, que yo me apresuraba a «tratar» para transformarlas en ideas claras. Por lo demás, una de las cosas más terribles para el enamorado es que, si los hechos particulares -que sólo se pueden conocer por la experiencia, el espionaje, entre tantas realizaciones posibles- son tan difíciles de encontrar, en cambio, la verdad resulta fácil de penetrar o por lo menos de presentir.
Souvent je l′avais vue, à Balbec, attacher sur des jeunes filles qui passaient un regard brusque et prolongé, pareil à un attouchement et après lequel, si je les connaissais, elle me disait : « Si on les faisait venir ? J′aimerais leur dire des injures. » Et depuis quelque temps, depuis qu′elle m′avait pénétré sans doute, aucune demande d′inviter personne, aucune parole, même pas un détournement de regards, devenus sans objet et silencieux, et aussi révélateurs, avec la mine distraite et vacante dont ils étaient accompagnés, qu′autrefois leur aimantation. Or il m′était impossible de lui faire des reproches ou de lui poser des questions à propos de choses qu′elle eût déclarées si minimes, si insignifiantes, retenues par moi pour le plaisir de « chercher la petite bête ». Il est déjà difficile de dire « pourquoi avez-vous regardé telle passante », mais bien plus « pourquoi ne l′avez-vous pas regardée ». Et pourtant je savais bien, ou du moins j′aurais su, si je n′avais pas voulu croire ces affirmations d′Albertine plutôt que tous les riens inclus dans un regard, prouvés par lui et par telle ou telle contradiction dans les paroles, contradiction dont je ne m′apercevais souvent que longtemps après l′avoir quittée, qui me faisait souffrir toute la nuit, dont je n′osais plus reparler, mais qui n′en honorait pas moins de temps en temps ma mémoire de ses visites périodiques. Yo la había visto a veces en Balbec fijar en unas muchachas que pasaban una mirada brusca y prolongada, como una palpación, y después, si yo las conocía, me decía: «¿Y si las llamáramos? Me gustaría insultarlas.» Y desde hacía algún tiempo, seguramente desde que había captado mis dudas, ninguna proposición de invitar a nadie, ninguna palabra, ni siquiera una desviación de las miradas, ya sin objeto y silenciosas, y tan reveladoras, con el gesto distraído y vacante que las acompañaba, como antes fuera su imantación. Y me era imposible hacerle reproches o preguntas sobre cosas que ella hubiera declarado tan mínimas, tan insignificantes, en las que yo me había fijado sólo por el gusto de buscar tres pies al gato. Ya es difícil decir «¿por qué has mirado a esa que pasa?», pero lo es mucho más preguntar «¿por qué no la has mirado?» Y, sin embargo, yo sabía, o al menos lo habría sabido si no hubiera querido creer más bien las afirmaciones de Albertina, todo lo que aquello incluía, todo lo que demostraba, como cualquier contradicción en la conversación de la que yo no solía darme cuenta hasta mucho tiempo después de haberla dejado, que me hacía sufrir toda la noche, de la que no me atrevía ya a volver a hablar, pero que no por eso dejaba de honrar de cuando en cuando mi memoria con sus visitas periódicas.
Souvent, pour ces simples regards furtifs ou détournés, sur la plage de Balbec ou dans les rues de Paris, je pouvais parfois me demander si la personne qui les provoquait n′était pas seulement un objet de désirs au moment où elle passait, mais une ancienne connaissance, ou bien une jeune fille dont on n′avait fait que lui parler et dont, quand je l′apprenais, j′étais stupéfait qu′on lui eût parlé, tant c′était en dehors des connaissances possibles, au jugé, d′Albertine. Mais la Gomorrhe moderne est un puzzle fait de morceaux qui viennent de là où on s′y attendait le moins. C′est ainsi que je vis une fois, à Rivebelle, un grand dîner dont je connaissais par hasard, au moins de nom, les dix invitées, aussi dissemblables que possible, parfaitement rejointes cependant, si bien que je ne vis jamais dîner si homogène bien que si composite. Y aun tratándose de aquellas simples miradas furtivas o desviadas en la playa de Balbec o en las calles de París, a veces podía yo preguntarme si la persona que las provocaba no sería sólo un objeto de deseos cuando pasaba, sino una antigua conocida, o bien una muchacha de la que sólo había oído hablar, con gran asombro mío al enterarme de que le hubieran hablado de ella: tan lejos estaba, a mi juicio, de los conocimientos posibles de Albertina. Pero la Gomorra moderna es un puzzle de fragmentos procedentes de donde menos se espera. Así vi yo una vez, en Rivebelle, una gran comida a cuyos diez invitados conocía por casualidad, al menos de nombre, y que, siendo muy dispares, se acoplaban allí perfectamente, de suerte que nunca vi reunión tan homogénea, aunque tan mezclada.
Pour en revenir aux jeunes passantes, jamais Albertine ne regardait une dame âgée ou un vieillard avec tant de fixité, ou, au contraire, de réserve, et comme si elle ne voyait pas. Les maris trompés qui ne savent rien savent tout tout de même. Mais il faut un dossier plus matériellement documenté pour établir une scène de jalousie. D′ailleurs, si la jalousie nous aide à découvrir un certain penchant à mentir chez la femme que nous aimons, elle centuple ce penchant quand la femme a découvert que nous sommes jaloux. Elle ment (dans des proportions où elle ne nous a jamais menti auparavant), soit qu′elle ait pitié, ou peur, ou se dérobe instinctivement par une fuite symétrique à nos investigations. Certes il y a des amours où, dès le début, une femme légère s′est posée comme une vertu aux yeux de l′homme qui l′aime. Mais combien d′autres comprennent deux périodes parfaitement contrastées. Dans la première, la femme parle presque facilement, avec de simples atténuations, de son goût pour le plaisir, de la vie galante qu′il lui a fait mener, toutes choses qu′elle niera ensuite avec la dernière énergie au même homme, mais qu′elle a senti jaloux d′elle et l′épiant. Il en arrive à regretter le temps de ces premières confidences dont le souvenir le torture cependant. Si la femme lui en faisait encore de pareilles, elle lui fournirait presque elle-même le secret des fautes qu′il poursuit inutilement chaque jour. Et puis, quel abandon cela prouverait, quelle confiance, quelle amitié ! Si elle ne peut vivre sans le tromper, du moins le tromperait-elle en amie, en lui racontant ses plaisirs, en l′y associant. Et il regrette une telle vie que les débuts de leur amour semblaient esquisser, que sa suite a rendue impossible, faisant de cet amour quelque chose d′atrocement douloureux, qui rendra une séparation, selon les cas, ou inévitable, ou impossible. Volviendo a las jóvenes transeúntes, Albertina no hubiera mirado nunca a una señora mayor o a un viejo con tanta fijeza o, al contrario, con tanta reserva y como si no viera. Los maridos engañados, aunque no saben nada lo saben todo, sin embargo. Mas para montar una escena de celos hace falta un expediente más materialmente documentado. Por otra parte, si los celos nos ayudan a descubrir cierta inclinación a mentir en la mujer que amamos, centuplican esta inclinación cuando la mujer ha descubierto que estamos celosos. Miente (en unas proporciones en que nunca nos había mentido antes), bien por piedad o por miedo, o se escapa instintivamente en una huida simétrica a nuestras investigaciones. Cierto que hay amores en los que, desde el principio, una mujer ligera se ha presentado como una virtud a los ojos del hombre que la ama. Pero ¡cuántos otros comprenden dos períodos perfectamente contrastados! En el primero, la mujer habla casi fácilmente, con simples atenuaciones, de su inclinación al placer, de la vida galante a que esta inclinación la ha llevado, cosas todas que negará después con la mayor energía al mismo hombre al notar que está celoso de ella y que la espía. Llega a añorar el tiempo de aquellas primeras confidencias, cuyo recuerdo le tortura, sin embargo. Si la mujer le hiciera ahora otras parecidas, le descubriría ella misma el secreto de las faltas que él persigue inútilmente cada día. Y, además, ¡qué abandono demostraría esto, qué confianza, qué amistad! Si no puede vivir sin engañarle, al menos le engañaría siendo amiga, contándole sus placeres, asociándole a ellos. Y echa de menos esa vida que los comienzos de su amor parecían esbozar, que la continuación ha hecho imposible, transformando aquel amor en algo atrozmente doloroso, en algo que, según los casos, hará inevitable o imposible una separación.
Parfois l′écriture où je déchiffrais les mensonges d′Albertine, sans être idéographique, avait simplement besoin d′être lue à rebours ; c′est ainsi que ce soir elle m′avait lancé d′un air négligent ce message destiné à passer presque inaperçu : « Il serait possible que j′aille demain chez les Verdurin, je ne sais pas du tout si j′irai, je n′en ai guère envie. » Anagramme enfantin de cet aveu : « J′irai demain chez les Verdurin, c′est absolument certain, car j′y attache une extrême importance. » Cette hésitation apparente signifiait une volonté arrêtée et avait pour but de diminuer l′importance de la visite tout en me l′annonçant. Albertine employait toujours le ton dubitatif pour les résolutions irrévocables. La mienne ne l′était pas moins. Je m′arrangeai pour que la visite à Mme Verdurin n′eût pas lieu. La jalousie n′est souvent qu′un inquiet besoin de tyrannie appliqué aux choses de l′amour. J′avais sans doute hérité de mon père ce brusque désir arbitraire de menacer les êtres que j′aimais le plus dans les espérances dont ils se berçaient avec une sécurité que je voulais leur montrer trompeuse ; quand je voyais qu′Albertine avait combiné à mon insu, en se cachant de moi, le plan d′une sortie que j′eusse fait tout au monde pour lui rendre plus facile et plus agréable si elle m′en avait fait le confident, je disais négligemment, pour la faire trembler, que je comptais sortir ce jour-là. A veces la escritura en la que yo descifraba las mentiras de Albertina, sin ser ideográfica, había, simplemente, que leerla al revés; así aquella noche en que me lanzó, con aire negligente, este mensaje destinado a pasar casi inadvertido: «Acaso vaya mañana a casa de los Verdurin, no sé si iré o no, no tengo muchas ganas». Anagrama pueril de esta declaración: «Mañana iré a casa de los Verdurin, con toda seguridad, pues es importantísimo para mí». Esta duda aparente significaba una voluntad decidida y el anunciármelo tenía por objeto quitar importancia a la visita. Albertina empleaba siempre el tono dubitativo para las resoluciones irrevocables. La mía no lo era menos: me las arreglaría para que no se realizara la visita a madame Verdurin. Muchas veces los celos no son más que una inquieta necesidad de tiranía aplicada a las cosas del amor. Seguramente yo había heredado de mi padre este brusco deseo arbitrario de amenazar a las personas que más quería en las esperanzas que abrigaban con una seguridad que yo quería demostrarles engañosa; cuando veía que Albertina había combinado sin contar conmigo, a escondidas de mí, el plan de una salida que yo habría hecho todo lo posible por hacerle más fácil y más agradable si me lo hubiera contado, le decía negligentemente, para hacerla temblar, que pensaba salir aquel día.
Je me mis à suggérer à Albertine d′autres buts de promenade qui eussent rendu la visite Verdurin impossible, en des paroles empreintes d′une feinte indifférence sous laquelle je tâchai de déguiser mon énervement. Mais elle l′avait dépisté. Il rencontrait chez elle la force électrique d′une volonté contraire qui la repoussait vivement ; dans les yeux d′Albertine j′en voyais jaillir les étincelles. Au reste, à quoi bon m′attacher à ce que disaient les prunelles en ce moment ? Comment n′avais-je pas depuis longtemps remarqué que les yeux d′Albertine appartenaient à la famille de ceux qui, même chez un être médiocre, semblent faits de plusieurs morceaux à cause de tous les lieux où l′être veut se trouver — et cacher qu′il veut se trouver — ce jour-là ? Des yeux, par mensonge toujours immobiles et passifs, mais dynamiques, mesurables par les mètres ou kilomètres à franchir pour se trouver au rendez-vous voulu, implacablement voulu, des yeux qui sourient moins encore au plaisir qui les tente qu′ils ne s′auréolent de la tristesse et du découragement qu′il y aura peut-être une difficulté pour aller au rendez-vous. Entre vos mains mêmes, ces êtres-là sont des êtres de fuite. Pour comprendre les émotions qu′ils donnent et que d′autres êtres, mêmes plus beaux, ne donnent pas, il faut calculer qu′ils sont non pas immobiles, mais en mouvement, et ajouter à leur personne un signe correspondant à ce qu′en physique est le signe qui signifie vitesse. Si vous dérangez leur journée, ils vous avouent le plaisir qu′ils vous avaient caché : « Je voulais tant aller goûter à cinq heures avec telle personne que j′aime. » Eh bien, si, six mois après, vous arrivez à connaître la personne en question, vous apprendrez que jamais la jeune fille dont vous aviez dérangé les projets, qui, prise au piège, pour que vous la laissiez libre, vous avait avoué le goûter qu′elle faisait ainsi avec une personne aimée, tous les jours à l′heure où vous ne la voyiez pas, vous apprendrez que cette personne ne l′a jamais reçue, qu′elles n′ont jamais goûté ensemble, et que la jeune fille disait être très prise, par vous, précisément. Ainsi la personne avec qui elle avait confessé qu′elle avait goûter, avec qui elle vous avait supplié de la laisser goûter, cette personne, raison avouée par la nécessité, ce n′était pas elle, c′était une autre, c′était encore autre chose ! Autre chose, quoi ? Une autre, qui ? Me puse a proponer a Albertina otros paseos que imposibilitarían la visita Verdurin, con palabras teñidas de una fingida indiferencia bajo la cual trataba yo de disimular mi irritación. Pero ella la había notado. Aquella irritación encontraba en Albertina la fuerza eléctrica de una voluntad contraria que la rechazaba duramente; los ojos le echaban chispas. Pero ¿para qué fijarme en lo que decían las pupilas en aquel momento? ¿Cómo no había notado desde hacía tiempo que los ojos de Albertina pertenecían a la familia de los que (hasta en un ser mediocre) parecen hechos de varios fragmentos, debidos a todos los lugares donde el ser quiere estar -y ocultar que quiere estar- aquel día? Unos ojos por mentira siempre inmóviles y pasivos, pero dinámicos, medibles por los metros o kilómetros que han de recorrer para encontrarse en el lugar de cita querido, implacablemente querido, unos ojos que, más aún que sonreír al placer que los tienta, se aureolan con la tristeza y la decepción ante una posible dificultad para acudir a la cita. Aun entre nuestras manos, esos seres son seres fugitivos. Para comprender las emociones que dan y que otros seres, aunque sean más hermosos, no dan, hay que calcular que no están inmóviles, sino en movimiento, y añadir a su persona un signo correspondiente al que en física significa velocidad. Si les estropeamos el día, nos confiesan el placer que nos habían ocultado: «¡Me hubiera gustado tanto ir a merendar a las cinco con tal persona a la que quiero!» Bueno, pues si, pasados seis meses, llegamos a conocer a aquella persona, nos enteramos de que la muchacha a quien le chafamos el plan y que, cogida en la trampa, nos confesó, para que la dejáramos libre, que todas las tardes merendaba con una persona querida a la hora en que nosotros no la veíamos, nos enteramos de que esta persona no la ha recibido jamás, de que nunca han merendado juntas, pues la muchacha le decía que tenía un compromiso, precisamente con nosotros. De modo que la persona con la que había dicho que iba a merendar, con la que nos había suplicado que la dejáramos ir a merendar, esa persona, razón confesada por necesidad, no era ella, era también otra cosa. Otra cosa, ¿qué? Otra persona, ¿quién?
Hélas, les yeux fragmentés, portant au loin et tristes, permettraient peut-être de mesurer les distances, mais n′indiquent pas les directions. Le champ infini des possibles s′étend, et si, par hasard, le réel se présentait devant nous, il serait tellement en dehors des possibles que, dans un brusque étourdissement, allant taper contre ce mur surgi, nous tomberions à la renverse. Le mouvement et la fuite constatés ne sont même pas indispensables, il suffit que nous les induisions. Elle nous avait promis une lettre, nous étions calme, nous n′aimions plus. La lettre n′est pas venue, aucun courrier n′en apporte, que se passe-t-il ? l′anxiété renaît et l′amour. Ce sont surtout de tels êtres qui nous inspirent l′amour, pour notre désolation. Car chaque anxiété nouvelle que nous éprouvons par eux enlève à nos yeux de leur personnalité. Nous étions résignés à la souffrance, croyant aimer en dehors de nous, et nous nous apercevons que notre amour est fonction de notre tristesse, que notre amour c′est peut-être notre tristesse, et que l′objet n′en est que pour une faible part la jeune fille à la noire chevelure. Mais enfin, ce sont surtout de tels êtres qui inspirent l′amour. Desgraciadamente, los ojos fragmentados, mirando lejos y tristes, permitirán quizá medir las distancias, pero no indican las direcciones. Se extiende el campo infinito de los posibles, y si por casualidad la realidad se presentara ante nosotros, estaría tan fuera de los posibles que yendo a chocar, en un brusco aturdimiento, contra ese muro levantado, caeríamos de espaldas. Ni siquiera son indispensables el movimiento y la huida comprobados, basta que los induzcamos. Nos había prometido una carta, estábamos tranquilos, ya no amábamos. La carta no ha llegado, ningún correo la trae, «¿qué pasa?»; renace la ansiedad y renace el amor. Para desgracia nuestra, son sobre todo de esta clase de seres los que nos inspiran el amor. Pues cada nueva ansiedad que sentimos por ellos les quita personalidad para nosotros. Nos habíamos resignado al sufrimiento, creyendo amar fuera de nosotros, y nos damos cuenta de que nuestro amor es función de nuestra tristeza, de que nuestro amor es quizá nuestra tristeza, y de que el objeto de ese amor no es sino en pequeña parte la muchacha de la negra cabellera. Pero, al fin y al cabo, son sobre todó esas criaturas las que inspiran el amor.
Le plus souvent l′amour n′a pas pour objet un corps, excepté si une émotion, la peur de le perdre, l′incertitude de le retrouver se fondent en lui. Or ce genre d′anxiété a une grande affinité pour les corps. Il leur ajoute une qualité qui passe la beauté même ; ce qui est une des raisons pourquoi l′on voit des hommes, indifférents aux femmes les plus belles, en aimer passionnément certaines qui nous semblent laides. À ces êtres-là, à ces êtres de fuite, leur nature, notre inquiétude attachent des ailes. Et même auprès de nous leur regard semble nous dire qu′ils vont s′envoler. La preuve de cette beauté surpassant la beauté qu′ajoutent les ailes est que bien souvent pour nous un même être est successivement sans ailes et ailé. Que nous craignions de le perdre, nous oublions tous les autres. Sûrs de le garder, nous le comparons à ces autres, qu′aussitôt nous lui préférons. Et comme ces émotions et ces certitudes peuvent alterner d′une semaine à l′autre, un être peut une semaine se voir sacrifier tout ce qui plaisait, la semaine suivante être sacrifié, et ainsi de suite pendant très longtemps. Ce qui serait incompréhensible si nous ne savions par l′expérience que tout homme a d′avoir dans sa vie au moins une fois cessé d′aimer, oublié une femme, le peu de chose qu′est en soi-même un être quand il n′est plus, ou qu′il n′est pas encore, perméable à nos émotions. Et, bien entendu, si nous disons : êtres de fuite, c′est également vrai des êtres en prison, des femmes captives, qu′on croit qu′on ne pourra jamais avoir. Aussi les hommes détestent les entremetteuses, car elles facilitent la fuite, font briller la tentation, mais s′ils aiment au contraire une femme cloîtrée, ils recherchent volontiers les entremetteuses pour les faire sortir de leur prison et nous les amener. Dans la mesure où les unions avec les femmes qu′on enlève sont moins durables que d′autres, la cause en est que la peur de ne pas arriver à les obtenir ou l′inquiétude de les voir fuir est tout notre amour, et qu′une fois enlevées à leur mari, arrachées à leur théâtre, guéries de la tentation de nous quitter, dissociées, en un mot, de notre émotion quelle qu′elle soit, elles sont seulement elles-mêmes, c′est-à-dire presque rien, et, si longtemps convoitées, sont quittées bientôt par celui-là même qui avait si peur d′être quitté par elles. Generalmente, el objeto del amor no es un cuerpo sino cuando se funden en él una emoción, el miedo de perderlo, la inseguridad de recuperarlo. Ahora bien, esta clase de ansiedad tiene una gran afinidad para los cuerpos. Les añade una cualidad que supera a la belleza misma, y ésta es una de las razones de que algunos hombres, indiferentes ante las mujeres más bellas, amen apasionadamente a algunas que nos parecen feas. A estos seres, a estos seres de fuga, su naturaleza, nuestra inquietud, les ponen alas. E incluso cuando están con nosotros su mirada parece decirnos que van a echar a volar. La prueba de esta belleza, superior a la belleza, que añaden las alas, es que muchas veces, para nosotros, un mismo ser es sucesivamente un ser sin alas y un ser alado. Cuando tenemos miedo de perderle, olvidamos a todos los demás. Seguros de conservarle, le comparamos a esos otros que vamos a preferir en seguida. Y como estas emociones y estas certidumbres pueden alternar de una semana a otra, puede ocurrir que una semana sacrifiquemos a un ser todo lo que nos gusta y que a la semana siguiente sea él el sacrificado, y así sucesivamente durante mucho tiempo. Lo cual sería incomprensible si no supiéramos (por la experiencia que todo hombre tiene de haber dejado, por lo menos una vez en su vida, de amar a una mujer) lo poco que es en sí mismo un ser cuando ya no es o todavía no es permeable a nuestras emociones. Y, naturalmente, cuando decimos «seres de fuga», esto es igualmente aplicable a personas encarceladas, a mujeres cautivas que creemos no serán nunca nuestras. Por eso los hombres detestan a las celestinas, pues facilitan la huida, hacen relucir la tentación; pero, en cambio, si aman a una mujer enclaustrada, suelen buscar a las celestinas para hacerla salir de la prisión y llevársela. En la medida en que las uniones con las mujeres raptadas son menos duraderas que otras, se debe a que todo nuestro amor es el miedo de no llegar a conseguirlas o la inquietud de que huyan y de que, una vez separadas de su marido, arrancadas de su escenario, curadas de la tentación de dejarnos, disociadas, en una palabra, de nuestra emoción, cualquiera que ésta sea, esas mujeres ya no son más que ellas mismas, es decir, casi nada, y, durante tanto tiempo codiciadas, pronto las abandona el mismo que tanto miedo tenía de que ellas le dejaran.
J′ai dit : « Comment n′avais-je pas deviné ? » Mais ne l′avais-je pas deviné dès le premier jour à Balbec ? N′avais-je pas deviné en Albertine une de ces filles sous l′enveloppe charnelle desquelles palpitent plus d′êtres cachés, je ne dis pas que dans un jeu de cartes encore dans sa boîte, que dans une cathédrale ou un théâtre avant qu′on n′y entre, mais que dans la foule immense et renouvelée ? Non pas seulement tant d′êtres, mais le désir, le souvenir voluptueux, l′inquiète recherche de tant d′êtres. À Balbec je n′avais pas été troublé par ce que je n′avais même pas supposé qu′un jour je serais sur des pistes même fausses. N′importe ! cela avait donné pour moi à Albertine la plénitude d′un être empli jusqu′au bord par la superposition de tant d′êtres, de tant de désirs, et de souvenirs voluptueux d′êtres. Et maintenant qu′elle m′avait dit un jour « Mlle Vinteuil », j′aurais voulu non pas arracher sa robe pour voir son corps, mais, à travers son corps, voir tout ce bloc-notes de ses souvenirs et de ses prochains et ardents rendez-vous. Dije: «¿Cómo no lo adiviné?» Pero ¿no lo había adivinado desde el primer día en Balbec? ¿No había adivinado en Albertina a una de esas muchachas bajo cuya envoltura carnal palpitan más seres ocultos, no ya que en un juego de naipes todavía en su caja, en una catedral cerrada o en un teatro antes de que entremos en él, sino en la multitud inmensa y renovada? Y no sólo tantos seres, sino el deseo, el recuerdo voluptuoso, la inquietud busca tantos seres. En Balbec no me había preocupado porque ni siquiera había supuesto que un día llegaría a estar sobre unas pistas incluso falsas. No importa, esto había dado para mí a Albertina la plenitud de un ser colmado hasta el borde por la superposición de tantos seres, de tantos deseos y recuerdos voluptuosos de seres. Y ahora que me dijo un día «mademoiselle Vinteuil», yo hubiera querido no quitarle el vestido para ver su cuerpo, sino ver, a través de su cuerpo, todo aquel cuaderno de sus recuerdos y de sus próximas y ardientes citas.
Comme les choses probablement les plus insignifiantes prennent soudain une valeur extraordinaire quand un être que nous aimons (ou à qui il ne manquait que cette duplicité pour que nous l′aimions) nous les cache ! En elle-même, la souffrance ne nous donne pas forcément des sentiments d′amour ou de haine pour la personne qui la cause : un chirurgien qui nous fait mal nous reste indifférent. Mais une femme qui nous a dit pendant quelque temps que nous étions tout pour elle, sans qu′elle fût elle-même tout pour nous, une femme que nous avons plaisir à voir, à embrasser, à tenir sur nos genoux, nous nous étonnons si seulement nous éprouvons, à une brusque résistance, que nous ne disposons pas d′elle. La déception réveille alors parfois en nous le souvenir oublié d′une angoisse ancienne, que nous savons pourtant ne pas avoir été provoquée par cette femme, mais par d′autres dont les trahisons s′échelonnent sur notre passé ; au reste, comment a-t-on le courage de souhaiter vivre, comment peut-on faire un mouvement pour se préserver de la mort, dans un monde où l′amour n′est provoqué que par le mensonge et consiste seulement dans notre besoin de voir nos souffrances apaisées par l′être qui nous a fait souffrir ? Pour sortir de l′accablement qu′on éprouve quand on découvre ce mensonge et cette résistance, il y a le triste remède de chercher à agir malgré elle, à l′aide des êtres qu′on sent plus mêlés à sa vie que nous-même, sur celle qui nous résiste et qui nous ment, à ruser nous-même, à nous faire détester. Mais la souffrance d′un tel amour est de celles qui font invinciblement que le malade cherche dans un changement de position un bien-être illusoire. ¡Qué extraordinario valor toman de pronto las cosas, a veces las más insignificantes, cuando un ser al que amamos (o al que sólo faltaba esta duplicidad para que le amáramos) nos las oculta! El sufrimiento, por sí mismo, no nos inspira forzosamente sentimientos de amor o de odio por la persona que lo causa: un cirujano que nos hace daño sigue siéndonos indiferente. Pero una mujer que durante algún tiempo nos ha dicho que éramos todo para ella, sin que ella fuera todo para nosotros, una mujer que nos complace verla, besarla, tenerla sobre nuestras rodillas, a poco que sintamos, por una brusca resistencia, que no disponemos de ella, se produce en nosotros una gran extrañeza. A veces la decepción despierta en nosotros el recuerdo olvidado de una angustia antigua, aunque sabemos que no fue provocada por esta mujer, sino por otra cuyas traiciones se escalonan en nuestro pasado. Y, por cierto, ¿cómo tenemos el valor de desear vivir, cómo podemos hacer nada para preservarnos de la muerte, en un mundo en que el amor no es provocado más que por la mentira y consiste solamente en la necesidad de que calme nuestros sufrimientos la criatura que nos ha hecho sufrir? Para salir de la desesperación que sentimos cuando descubrimos esa mentira y esa resistencia, hay el triste remedio de procurar actuar, a pesar de ella, con ayuda de los seres que sabemos más dentro de su vida que nosotros mismos, sobre la que nos resiste y nos miente, a engañar nosotros mismos, a suscitar su odio. Pero el sufrimiento de un amor así es igual que el que lleva a un enfermo a buscar en un cambio de postura un bienestar ilusorio.
Ces moyens d′action ne nous manquent pas, hélas ! Et l′horreur de ces amours que l′inquiétude seule a enfantées vient de ce que nous tournons et retournons sans cesse dans notre cage des propos insignifiants ; sans compter que rarement les êtres pour qui nous les éprouvons nous plaisent physiquement d′une manière complète, puisque ce n′est pas notre goût délibéré, mais le hasard d′une minute d′angoisse, minute indéfiniment prolongée par notre faiblesse de caractère, laquelle refait chaque soir les expériences et s′abaisse à des calmants, qui choisit pour nous. Desgraciadamente, esos medios de acción no nos faltan. Y el horror de esos amores nacidos sólo de la inquietud proviene de que, en nuestra jaula, damos vueltas y más vueltas a palabras insignificantes; sin contar que los seres por quienes sentimos esos amores rara vez nos gustan físicamente de una manera completa, porque no es nuestro gusto deliberado, sino el azar de un minuto de angustia (minuto indefinidamente prolongado por una debilidad de carácter que cada noche repite experiencias y se rebaja a calmantes) quien ha elegido por nosotros.
Sans doute mon amour pour Albertine n′était pas le plus dénué de ceux jusqu′où, par manque de volonté, on peut déchoir, car il n′était pas entièrement platonique ; elle me donnait des satisfactions charnelles, et puis elle était intelligente. Mais tout cela était une superfétation. Ce qui m′occupait l′esprit n′était pas ce qu′elle avait pu dire d′intelligent, mais tel mot qui éveillait chez moi un doute sur ses actes ; j′essayais de me rappeler si elle avait dit ceci ou cela, de quel air, à quel moment, en réponse à quelle parole, de reconstituer toute la scène de son dialogue avec moi, à quel moment elle avait voulu aller chez les Verdurin, quel mot de moi avait donné à son visage l′air fâché. Il se fût agi de l′événement le plus important que je ne me fusse pas donné tant de peine pour en rétablir la vérité, en restituer l′atmosphère et la couleur juste. Sans doute ces inquiétudes, après avoir atteint un degré où elles nous sont insupportables, on arrive parfois à les calmer entièrement pour un soir. La fête où l′amie qu′on aime doit se rendre, et sur la vraie nature de laquelle notre esprit travaillait depuis des jours, nous y sommes conviés aussi, notre amie n′y a de regards et de paroles que pour nous, nous la ramenons, et nous connaissons alors, nos inquiétudes dissipées, un repos aussi complet, aussi réparateur que celui qu′on goûte parfois dans ce sommeil profond qui suit les longues marches. Et, sans doute, un tel repos vaut que nous le payions à un prix élevé. Mais n′aurait-il pas été plus simple de ne pas acheter nous-même, volontairement, l′anxiété, et plus cher encore ? D′ailleurs, nous savons bien que, si profondes que puissent être ces détentes momentanées, l′inquiétude sera tout de même la plus forte. Parfois, même, elle est renouvelée par la phrase dont le but était de nous apporter le repos. Mais, le plus souvent, nous ne faisons que changer d′inquiétude. Un des mots de la phrase qui devait nous calmer met nos soupçons sur une autre piste. Les exigences de notre jalousie et l′aveuglement de notre crédulité sont plus grands que ne pouvait supposer la femme que nous aimons. Desde luego mi amor a Albertina no era el más pobre de esos en que por falta de voluntad podemos caer, pues no era enteramente platónico; Albertina me daba satisfacciones carnales, y además era inteligente. Pero todo esto era suplementario. Lo que me ocupaba el espíritu no era cualquier cosa inteligente que ella hubiera podido decir, sino alguna palabra que suscitaba en mí una duda sobre sus actos; intentaba recordar si me había dicho esto o aquello, en qué tono, en qué momento, en respuesta a qué palabra, reconstituir toda la escena de su diálogo conmigo, en qué momento había querido ir a casa de los Verdurin, qué palabras mías le habían hecho poner cara de enfado. Tratárase del acontecimiento más importante y no me hubiera esforzado yo tanto por restablecer la verdad o reconstruir la atmósfera y el color exacto. Sin duda estas inquietudes, llegadas a un grado en que se nos hacen insoportables, a veces logramos calmarlas completamente por una noche. Cuando tanto trabaja nuestra mente por adivinar qué clase de fiesta es aquella a la que tiene que ir nuestra amiga, resulta que nos invitan también a nosotros, que nuestra amiga sólo para nosotros tiene ojos, la llevamos a casa y, disipadas nuestras inquietudes, gozamos de un reposo tan completo, tan reparador como el que disfrutamos a veces en ese sueño profundo que sigue a las largas caminatas. Y no cabe duda de que un reposo así vale la pena de pagarlo caro. Pero ¿no hubiera sido más sencillo no comprar nosotros mismos, voluntariamente, la ansiedad, y más cara todavía? Por otra parte, bien sabemos que, por profundos que puedan ser esos descansos momentáneos, la inquietud será de todos modos la más fuerte. Y aun ocurre que la renueva la frase que se proponía tranquilizarnos. Las exigencias de nuestros celos y la ceguera de nuestra credulidad son más grandes de lo que podía suponer la mujer que amamos.
Quand, spontanément, elle nous jure que tel homme n′est pour elle qu′un ami, elle nous bouleverse en nous apprenant — ce que nous ne soupçonnions pas — qu′il était pour elle un ami. Tandis qu′elle nous raconte, pour nous montrer sa sincérité, comment ils ont pris le thé ensemble, cet après-midi même, à chaque mot qu′elle dit, l′invisible, l′insoupçonné prend forme devant nous. Elle avoue qu′il lui a demandé d′être sa maîtresse, et nous souffrons le martyre qu′elle ait pu écouter ses propositions. Elle les a refusées, dit-elle. Mais tout à l′heure, en nous rappelant son récit, nous nous demanderons si le récit est bien véridique, car il y a, entre les différentes choses qu′elle nous a dites, cette absence de lien logique et nécessaire qui, plus que les faits qu′on raconte, est le signe de la vérité. Et puis elle a eu cette terrible intonation dédaigneuse : « Je lui ai dit non, catégoriquement », qui se retrouve dans toutes les classes de la société quand une femme ment. Il faut pourtant la remercier d′avoir refusé, l′encourager par notre bonté à nous faire de nouveau à l′avenir des confidences si cruelles. Tout au plus faisons-nous la remarque : « Mais s′il vous avait déjà fait des propositions, pourquoi avez-vous consenti à prendre le thé avec lui ? — Pour qu′il ne pût pas m′en vouloir et dire que je n′ai pas été gentille. » Et nous n′osons pas lui répondre qu′en refusant elle eût peut-être été plus gentille pour nous. Cuando nos jura espontáneamente que tal o cual hombre no es para ella más que un amigo, nos perturba enterándonos de que es para ella un amigo -cosa que no sospechábamos-. Mientras nos cuenta, para demostrarnos su sinceridad, que esa misma tarde tomaron el té juntos, a cada palabra que dice, el invisible, el insospechado va tomando forma ante nosotros. Nos confiesa que él le pidió que fuera su amante y sufrimos el martirio de que ella pudiera escuchar sus proposiciones. Nos dice que las rechazó. Pero dentro de un momento, recordando su relato, nos preguntaremos si esa negativa es verdadera, pues entre las diferentes cosas que nos dijo hay esa falta de vinculación lógica y necesaria que es, más que los hechos que se cuentan, el signo de la verdad. Y además tuvo ese terrible tono desdeñoso -«Le dije que no, rotundamente »-, que se encuentra en todas las clases de la sociedad cuando una mujer miente. Sin embargo, tenemos que agradecerle que se negara, animarla con nuestra bondad a que siga haciéndonos en el futuro esas confidencias tan crueles. A lo sumo, hacemos esta observación: «Pero si ya te había hecho proposiciones, ¿por qué te has prestado a tomar el té con él? -Para que no se enfadara y no me dijera que no era buena.» Y no nos atrevemos a contestarle que negándose hubiera sido quizá más buena para nosotros.
D′ailleurs, Albertine m′effrayait en me disant que j′avais raison, pour ne pas lui faire du tort, de dire que je n′étais pas son amant, puisque aussi bien, ajoutait-elle, « c′est la vérité que vous ne l′êtes pas ». Je ne l′étais peut-être pas complètement en effet, mais alors fallait-il penser que toutes les choses que nous faisions ensemble, elle les faisait aussi avec tous les hommes dont elle me jurait qu′elle n′avait pas été la maîtresse ? Vouloir connaître à tout prix ce qu′Albertine pensait, qui elle voyait, qui elle aimait, comme il était étrange que je sacrifiasse tout à ce besoin, puisque j′avais éprouvé le même besoin de savoir, au sujet de Gilberte, des noms propres, des faits, qui m′étaient maintenant si indifférents. Je me rendais bien compte qu′en elles-mêmes les actions d′Albertine n′avaient pas plus d′intérêt. Il est curieux qu′un premier amour, si, par la fragilité qu′il laisse à notre cœur, il fraye la voie aux amours suivantes, ne nous donne pas du moins, par l′identité même des symptômes et des souffrances, le moyen de les guérir. Por otra parte, Albertina me asustaba diciéndome que yo hacía bien en decir, para no perjudicarla, que no era su amante, porque además, añadía, «la verdad es que no lo eres». En efecto, quizá no lo era completamente, pero entonces, ¿había que pensar que todas las cosas que hacíamos juntos las hacía también ella con todos los hombres de los que me juraba que no era amante? ¡Querer conocer a todo trance lo que Albertina pensaba, a quién veía, a quién amaba! ¡Qué extraño era que yo sacrificase todo a esta necesidad, cuando antes, con Gilberta, la había sentido igualmente de saber nombres propios, hechos que ahora me eran tan indiferentes! Me daba muy bien cuenta de que los actos de Albertina, en sí mismos, ya no tenían interés. Es curioso que un primer amor, al abrirnos, por la fragilidad que deja en nuestro corazón, el camino para los amores siguientes, no nos dé al menos, siendo idénticos los síntomas y los sufrimientos, el medio de curarlos.
D′ailleurs, y a-t-il besoin de savoir un fait ? Ne sait-on pas d′abord d′une façon générale le mensonge et la discrétion même de ces femmes qui ont quelque chose à cacher ? Y a-t-il là possibilité d′erreur ? Elles se font une vertu de se taire, alors que nous voudrions tant les faire parler. Et nous sentons qu′à leur complice elles ont affirmé : « Je ne dis jamais rien. Ce n′est pas par moi qu′on saura quelque chose, je ne dis jamais rien. » On donne sa fortune, sa vie pour un être, et pourtant cet être, on sait bien qu′à dix ans d′intervalle, plus tôt ou plus tard, on lui refuserait cette fortune, on préférerait garder sa vie. Car alors l′être serait détaché de nous, seul, c′est-à-dire nul. Ce qui nous attache aux êtres, ce sont ces mille racines, ces fils innombrables que sont les souvenirs de la soirée de la veille, les espérances de la matinée du lendemain ; c′est cette trame continue d′habitudes dont nous ne pouvons pas nous dégager. De même qu′il y a des avares qui entassent par générosité, nous sommes des prodigues qui dépensent par avarice, et c′est moins à un être que nous sacrifions notre vie, qu′à tout ce qu′il a pu attacher autour de lui de nos heures, de nos jours, de ce à côté de quoi la vie non encore vécue, la vie relativement future, nous semble une vie plus lointaine, plus détachée, moins intime, moins nôtre. Ce qu′il faudrait, c′est se dégager de ces liens qui ont tellement plus d′importance que lui, mais ils ont pour effet de créer en nous des devoirs momentanés à son égard, devoirs qui font que nous n′osons pas le quitter de peur d′être mal jugé de lui — alors que plus tard nous oserions, car, dégagé de nous, il ne serait plus nous — et que nous ne nous créons en réalité de devoirs (dussent-ils, par une contradiction apparente, aboutir au suicide) qu′envers nous-mêmes. Por otra parte, ¿hay necesidad de saber un hecho? ¿No conocemos en primer lugar, en general, la mentira y la discreción misma de esas mujeres que tienen algo que ocultar? ¿Hay posibilidad de error? Tienen a virtud callar, cuando tanto desearíamos hacerles hablar. Y sentimos que han asegurado a su cómplice: «Nunca diré nada. No será por mí por quien se enterarán, yo no digo nunca nada.» Damos nuestra fortuna, nuestra vida a un ser, y, sin embargo, sabemos muy bien que en un plazo de diez años, más tarde o más temprano, negaríamos a ese ser nuestra fortuna, preferiríamos conservar la vida. Pues entonces ese ser quedaría desprendido de nosotros, solo, es decir, nulo. Lo que nos une a los seres son esas mil raíces, esos innumerables hilos que constituyen los recuerdos de la noche anterior, las esperanzas de la mañana siguiente; esa trama continua de hábitos de la que no podemos desprendernos. Así como hay avaros que atesoran por generosidad, nosotros somos pródigos que gastamos por avaricia, y, más que a un ser, sacrificamos nuestra vida a todo lo que ha podido fijar en torno suyo de nuestras horas, de nuestros días, de eso junto a lo cual la vida no vivida aún, la vida relativamente futura, nos parece una vida más lejana, más separada de nosotros, menos íntima, menos nuestra. Lo que haría falta es liberarse de esos lazos que tienen mucha más importancia que ese ser, pero crean en nosotros deberes momentáneos hacia él, deberes por los que no nos atrevemos a dejarle por miedo de que nos juzgue mal, mientras que más tarde nos atreveríamos, pues desprendido de nosotros ya no sería nosotros, y, en realidad, no nos creamos deberes más que con nosotros mismos (aunque por una contradicción aparente pudieran llegar al suicidio).
Si je n′aimais pas Albertine (ce dont je n′étais pas sûr), cette place qu′elle tenait auprès de moi n′avait rien d′extraordinaire : nous ne vivons qu′avec ce que nous n′aimons pas, que nous n′avons fait vivre avec nous que pour tuer l′insupportable amour, qu′il s′agisse d′une femme, d′un pays, ou encore d′une femme enfermant un pays. Même nous aurions bien peur de recommencer à aimer si l′absence se produisait de nouveau. Je n′en étais pas arrivé à ce point pour Albertine. Ses mensonges, ses aveux, me laissaient à achever la tâche d′éclaircir la vérité : ses mensonges si nombreux, parce qu′elle ne se contentait pas de mentir comme tout être qui se croit aimé, mais parce que par nature elle était, en dehors de cela, menteuse, et si changeante d′ailleurs que, même en me disant chaque fois la vérité, ce que, par exemple, elle pensait des gens, elle eût dit chaque fois des choses différentes ; ses aveux, parce que si rares, si court arrêtés, ils laissaient entre eux, en tant qu′ils concernaient le passé, de grands intervalles tout en blanc et sur toute la longueur desquels il me fallait retracer, et pour cela d′abord apprendre, sa vie. Si no amaba a Albertina (de lo que no estaba seguro), el lugar que ocupaba junto a mí no tenía nada de extraordinario: sólo vivimos con lo que no amamos, con lo que no hemos hecho vivir con nosotros más que para matar el insoportable amor, trátese de una mujer, de un país, o también de una mujer que lleva en sí un país. Y hasta tendríamos mucho miedo de volver a amar si la ausencia se produjera de nuevo. Yo no había llegado a este punto con Albertina. Sus mentiras, sus confesiones me dejaban la tarea de acabar de averiguar la verdad: sus mentiras, tan numerosas, porque no se contentaba con mentir como todo ser que se cree amado, sino que, además de esto, era mentirosa por naturaleza (y tan variable además que, aun diciéndome alguna vez la verdad, por ejemplo, sobre lo que pensaba de las gentes, hubiera dicho cada vez cosas distintas); sus confesiones, porque siendo tan raras, tan incompletas, dejaban entre ellas, cuando se referían al pasado, grandes intervalos en blanco que yo tenía que llenar, y para esto empezar por averiguar su vida.
Quant au présent, pour autant que je pouvais interpréter les paroles sibyllines de Françoise, ce n′était pas que sur des points particuliers, c′était sur tout un ensemble qu′Albertine me mentait, et je verrais « tout par un beau jour » ce que Françoise faisait semblant de savoir, ce qu′elle ne voulait pas me dire, ce que je n′osais pas lui demander. D′ailleurs, c′était sans doute par la même jalousie qu′elle avait eue jadis envers Eulalie que Françoise parlait des choses les plus invraisemblables, tellement vagues qu′on pouvait tout au plus y supposer l′insinuation, bien invraisemblable, que la pauvre captive (qui aimait les femmes) préférait un mariage avec quelqu′un qui ne semblait pas tout à fait être moi. Si cela avait été, malgré ses radiotélépathies, comment Françoise l′aurait-elle su ? Certes, les récits d′Albertine ne pouvaient nullement me fixer là-dessus, car ils étaient chaque jour aussi opposés que les couleurs d′une toupie presque arrêtée. D′ailleurs, il semblait bien que c′était surtout la haine qui faisait parler Françoise. Il n′y avait pas de jour qu′elle ne me dît et que je ne supportasse, en l′absence de ma mère, des paroles telles que : « Certes, vous êtes gentil et je n′oublierai jamais la reconnaissance que je vous dois (ceci probablement pour que je me crée des titres à sa reconnaissance), mais la maison est empestée depuis que la gentillesse a installé ici la fourberie, que l′intelligence protège la personne la plus bête qu′on ait jamais vue, que la finesse, les manières, l′esprit, la dignité en toutes choses, l′air et la réalité d′un prince se laissent faire la loi et monter le coup et me faire humilier, moi qui suis depuis quarante ans dans la famille, par le vice, par ce qu′il y a de plus vulgaire et de plus bas. » En cuanto al presente, hasta donde yo podía interpretar las palabras sibilinas de Francisca, Albertina me mentía no ya sobre asuntos particulares, sino sobre todo un conjunto, y «un buen día» vería yo lo que Francisca aparentaba saber, lo que no quería decirme, lo que yo no me atrevía a preguntarle. Por otra parte, Francisca, seguramente por los mismos celos que en otro tiempo tuvo de Eulalia, hablaba de las cosas más inverosímiles, tan vagas que, a lo sumo, se podía suponer en ellas la insinuación, muy inverosímil, de que la pobre cautiva (a la que le gustaban las mujeres) prefería una boda con alguien que no parecía ser yo. Si así fuera, ¿cómo lo habría sabido Francisca, a pesar de sus radiotelepatías? Desde luego, lo que Albertina me contaba no podía en modo alguno sacarme de dudas, pues era cada día tan opuesto como los colores de un trompo casi parado. Además, se notaba que era el odio lo que hacía hablar a Francisca. No había día en que no me dijera, yen que yo no soportase, en ausencia de mi madre, palabras como: «Desde luego usted es bueno y nunca olvidaré la gratitud que le debo -esto probablemente para que yo me cree derechos a su gratitud-, pero la casa está infectada desde que la bondad ha metido aquí a la bribonería, desde que la inteligencia protege a la más tonta que nunca se vio, desde que la finura, los modales, el espíritu, la dignidad en todo, el aire y la realidad de un príncipe se dejan imponer la ley y engatusar, mientras que a mí, que llevo cuarenta años en la familia, me humilla el vicio, lo más vulgar y lo más bajo.»
Françoise en voulait surtout à Albertine d′être commandée par quelqu′un d′autre que nous et d′un surcroît de travail de ménage, d′une fatigue qui altérant la santé de notre vieille servante, laquelle ne voulait pas, malgré cela, être aidée dans son travail, n′étant pas « une propre à rien ». Cela eût suffi à expliquer cet énervement, ces colères haineuses. Certes, elle eût voulu qu′Albertine-Esther fût bannie. C′était le vœu de Françoise. Et en la consolant cela eût déjà reposé notre vieille servante. Mais à mon avis, ce n′était pas seulement cela. Une telle haine n′avait pu naître que dans un corps surmené. Et plus encore que d′égards, Françoise avait besoin de sommeil. Lo que más rabia le daba a Francisca de Albertina era que la mandara otra persona que no fuéramos nosotros y un aumento de trabajo en la casa, un cansancio que, al alterar la salud de nuestra vieja sirvienta (que a pesar de eso no quería que nadie le ayudara, pues ella no era «una inútil»), bastaría para explicar aquella irritación, aquellas iras rencorosas. Naturalmente, hubiera querido que desapareciera Albertina-Ester. A esto aspiraba Francisca y esto la hubiera consolado y dejado tranquila. Pero creo que no era solamente esto. Un odio así sólo podía nacer en un cuerpo cansado. Y, más aún que atenciones, Francisca necesitaba sueño.
Albertine allait ôter ses affaires et, pour aviser au plus vite, j′essayai de téléphoner à Andrée ; je me saisis du récepteur, j′invoquai les divinités implacables, mais ne fis qu′exciter leur fureur qui se traduisit par ces mots : « Pas libre. » Andrée était en effet en train de causer avec quelqu′un. En attendant qu′elle eût achevé sa communication, je me demandais comment, puisque tant de peintres cherchent à renouveler les portraits féminins du xviiie siècle, où l′ingénieuse mise en scène est un prétexte aux expressions de l′attente, de la bouderie, de l′intérêt, de la rêverie, comment aucun de nos modernes Boucher ou Fragonard ne peignait, au lieu de « la lettre », ou « du clavecin », etc., cette scène qui pourrait s′appeler : « Devant le téléphone », et où naîtrait spontanément sur les lèvres de l′écouteuse un sourire d′autant plus vrai qu′il sait n′être pas vu. Enfin, Andrée m′entendit : « Vous venez prendre Albertine demain ? » et en prononçant ce nom d′Albertine, je pensais à l′envie que m′avait inspirée Swann quand il m′avait dit, le jour de la fête chez la princesse de Guermantes : « Venez voir Odette », et que j′avais pensé à ce que malgré tout il y avait de fort dans un prénom qui, aux yeux de tout le monde et d′Odette elle-même, n′avait que dans la bouche de Swann ce sens absolument possessif. Mientras Albertina iba a cambiarse de ropa, y para avisar cuanto antes, cogí el receptor del teléfono e invoqué a las divinidades implacables, pero no hice más que suscitar su furia, que se tradujo en estas palabras: «No está libre». En efecto, Andrea estaba hablando con alguien. Mientras esperaba que acabara de hablar, me preguntaba yo por qué, habiendo tantos pintores que intentan renovar los retratos femeninos del siglo XVIII en los que la ingeniosa escenografía es un pretexto para las expresiones de la espera, del enfado, del interés, del ensueño, ninguno de nuestros modernos Boucher y de los que Saniette llamaba Watteau de vapor, no pintaban, en lugar de La carta, El clavicordio, etc., esa escena que se podría llamar: «Ante el teléfono», y en la que tan espontáneamente nacería en los labios de la que está escuchando una sonrisa más verdadera, puesto que no la ven. Por fin Andrea pudo oírme: «¿Vendrá a buscar a Albertina mañana?», y al pronunciar este nombre de Albertina pensaba yo en la envidia que me inspiró Swann cuando me dijo, el día de la fiesta de la princesa de Guermantes: «Venga a ver a Odette», y yo pensé que, a pesar de todo, había fuerza en un nombre que para todo el mundo y para la misma Odette sólo en boca de Swann tenía aquel sentido absolutamente posesivo.
Qu′une telle mainmise — résumée en un vocable — sur toute une existence m′avait paru, chaque fois que j′étais amoureux, devoir être douce ! Mais, en réalité, quand on peut le dire, ou bien cela est devenu indifférent, ou bien l′habitude n′a pas émoussé la tendresse, mais elle en a changé les douceurs en douleurs. Cada vez que estaba enamorado, me parecía que debía de ser tan dulce un acto de posesión como aquél - resumido en un vocablo- sobre toda una existencia. Pero, en realidad, cuando se puede decirlo, o bien la cosa es ya indiferente, o bien la costumbre, si no ha embotado el cariño, las dulzuras se han tornado dolores.
Le mensonge est bien peu de chose, nous vivons au milieu de lui sans faire autre chose qu′en sourire, nous le pratiquons sans croire faire mal à personne, mais la jalousie en souffre et voit plus qu′il ne cache (souvent notre amie refuse de passer la soirée avec nous et va au théâtre tout simplement pour que nous ne voyions pas qu′elle a mauvaise mine). Combien, souvent, elle reste aveugle à ce que cache la vérité ! Mais elle ne peut rien obtenir, car celles qui jurent de ne pas mentir refuseraient, sous le couteau, de confesser leur caractère.Â…
Je savais que moi seul pouvais dire de cette façon-là « Albertine » à Andrée. Et pourtant pour Albertine, pour Andrée, et pour moi-même, je sentais que je n′étais rien. Et je comprenais l′impossibilité où se heurte l′amour.Yo sabía que sólo yo podría decir así «Albertina» a Andrea. Y, sin embargo, sentía que para Albertina, para Andrea y para mí mismo yo no era nada. Y comprendía la imposibilidad con que se estrella el amor.
Nous nous imaginons qu′il a pour objet un être qui peut être couché devant nous, enfermé dans un corps. Hélas ! il est l′extension de cet être à tous les points de l′espace et du temps que cet être a occupés et occupera. Si nous ne possédons pas son contact avec tel lieu, avec telle heure, nous ne le possédons pas. Or nous ne pouvons toucher tous ces points. Si encore ils nous étaient désignés, peut-être pourrions-nous nous étendre jusqu′à eux. Mais nous tâtonnons sans les trouver. De là la défiance, la jalousie, les persécutions. Nous perdons un temps précieux sur une piste absurde et nous passons sans le soupçonner à côté du vrai. Nos imaginamos que tiene por objeto un ser que puede estar acostado ante nosotros, encerrado en un cuerpo. ¡Ay! Es la prolongación de ese ser a todos los puntos del espacio y del tiempo que ese ser ha ocupado y ocupará. Si no poseemos su contacto con tal lugar, con tal hora, no poseemos a ese ser. Ahora bien, no podemos llegar a todos esos puntos. Si por lo menos nos los señalaran, acaso podríamos llegar hasta ellos. Pero andamos a tientas y no los encontramos. De aquí la desconfianza, los celos, las persecuciones. Perdemos un tiempo precioso en una pista absurda y pasamos sin sospecharlo al lado de la verdadera.
Mais déjà une des divinités irascibles, aux servantes vertigineusement agiles, s′irritait non plus que je parlasse, mais que je ne dise rien. « Mais voyons, c′est libre, depuis le temps que vous êtes en communication ; je vais vous couper. » Mais elle n′en fit rien, et tout en suscitant la présence d′Andrée, l′enveloppa, en grand poète qu′est toujours une demoiselle du téléphone, de l′atmosphère particulière à la demeure, au quartier, à la vie même de l′amie d′Albertine. « C′est vous ? » me dit Andrée dont la voix était projetée jusqu′à moi avec une vitesse instantanée par la déesse qui a le privilège de rendre les sons plus rapides que l′éclair. « Écoutez, répondis-je ; allez où vous voudrez, n′importe où, excepté chez Mme Verdurin. Il faut à tout prix en éloigner demain Albertine. — C′est que justement elle doit y aller demain. — Ah ! » Pero ya una de las divinidades irascibles con sirvientes vertiginosamente ágiles se irritaba no de que hablase, sino de que no dijese nada. « ¡Vamos a ver, está libre! Con el tiempo que lleva en comunicación, le voy a cortar.» Pero no lo hizo, y suscitando la presencia de Andrea, la envolvió, como gran poeta que es siempre una señorita telefonista, en la atmósfera especial de la casa, en el barrio, en la vida misma de la amiga de Albertina. -¿Es usted? -me dijo Andrea, cuya voz era proyectada hasta mí con instantánea rapidez por la diosa que tiene el privilegio de hacer los sonidos más veloces que el rayo. -Escuche -contesté-, vayan donde quieran, a cualquier sitio menos a casa de madame Verdurin. Mañana hay que alejar a todo trance a Albertina de esa casa. -Pero precisamente tiene que ir mañana. -¡Ah!
Mais j′étais obligé d′interrompre un instant et de faire des gestes menaçants, car si Françoise continuait — comme si c′eût été quelque chose d′aussi désagréable que la vaccine ou d′aussi périlleux que l′aéroplane — à ne pas vouloir apprendre à téléphoner, ce qui nous eût déchargés des communications qu′elle pouvait connaître sans inconvénient, en revanche, elle entrait immédiatement chez moi dès que j′étais en train d′en faire d′assez secrètes pour que je tinsse particulièrement à les lui cacher. Quand elle fut sortie de la chambre non sans s′être attardée à emporter divers objets qui y étaient depuis la veille et eussent pu y rester, sans gêner le moins du monde, une heure de plus, et pour remettre dans le feu une bûche bien inutile par la chaleur brûlante que me donnaient la présence de l′intruse et la peur de me voir « couper » par la demoiselle : « Pardonnez-moi, dis-je à Andrée, j′ai été dérangé. C′est absolument sûr qu′elle doit aller demain chez les Verdurin ? — Absolument, mais je peux lui dire que cela vous ennuie. — Non, au contraire ; ce qui est possible, c′est que je vienne avec vous. — Ah ! » fit Andrée d′une voix fort ennuyée et comme effrayée de mon audace, qui ne fit du reste que s′en affermir. « Alors, je vous quitte et pardon de vous avoir dérangée pour rien. — Mais non », dit Andrée et (comme maintenant, l′usage du téléphone étant devenu courant, autour de lui s′était développé l′enjolivement de phrases spéciales, comme jadis autour des « thés ») elle ajouta : « Cela m′a fait grand plaisir d′entendre votre voix. » Pero tenía que interrumpir un momento y hacer unos gestos amenazadores, pues Francisca, que seguía sin querer aprender a telefonear -como si fuera una cosa tan desagradable como la vacuna o tan peligrosa como el aeroplano-, lo que nos hubiera descargado de algunas comunicaciones que ella podía conocer sin inconveniente, en cambio entraba en mi cuarto tan pronto como yo estaba sosteniendo una lo bastante secreta para que me interesase particularmente ocultársela. Cuando por fin salió de la habitación, no sin remolonear para llevarse diversos objetos que estaban allí desde la víspera y allí hubieran podido seguir una hora más sin estorbar en absoluto, y para echar al fuego un leño perfectamente innecesario por el calor que me daba la presencia de la intrusa y el miedo de que la telefonista me cortara, dije a Andrea: -Perdóneme, me han interrumpido. ¿Es absolutamente seguro que Albertina tiene que ir 7 Se supone que se trata de un juego de palabras: Watteau se pronuncia aproximadamente como bateau (barco). (N. de la T) mañana a casa de los Verdurin? -Absolutamente, pero puedo decirle que a usted le molesta que vaya. -No, al contrario; es posible que yo vaya con ustedes. -¡Ah! -exclamó Andrea como contrariada y como asustada de mi audacia, que por lo demás no hizo sino afirmarse. -Bueno, la dejo, y perdone que la haya molestado para nada. -Eso no -dijo Andrea y (como ahora el uso del teléfono era ya corriente y en torno a él se había formado un adorno de frases especiales, como antes en torno a los tés) añadió-: Me ha sido muy grato oír su voz.
J′aurais pu en dire autant, et plus véridiquement qu′Andrée, car je venais d′être infiniment sensible à sa voix, n′ayant jamais remarqué jusque-là qu′elle était si différente des autres. Alors, je me rappelai d′autres voix encore, des voix de femmes surtout, les unes ralenties par la précision d′une question et l′attention de l′esprit, d′autres essoufflées, même interrompues, par le flot lyrique de ce qu′elles racontent ; je me rappelai une à une la voix de chacune des jeunes filles que j′avais connues à Balbec, puis de Gilberte, puis de ma grand′mère, puis de Mme de Guermantes ; je les trouvai toutes dissemblables, moulées sur un langage particulier à chacune, jouant toutes sur un instrument différent, et je me dis quel maigre concert doivent donner au paradis les trois ou quatre anges musiciens des vieux peintres, quand je voyais s′élever vers Dieu, par dizaines, par centaines, par milliers, l′harmonieuse et multisonore salutation de toutes les Voix. Je ne quittai pas le téléphone sans remercier, en quelques mots propitiatoires, celle qui règne sur la vitesse des sons, d′avoir bien voulu user en faveur de mes humbles paroles d′un pouvoir qui les rendait cent fois plus rapides que le tonnerre, mais mes actions de grâce restèrent sans autre réponse que d′être coupées. Yo hubiera podido decirle lo mismo, y más verídicamente que ella, pues había sido muy sensible a su voz, que hasta entonces no había notado tan diferente de las demás. Entonces recordé otras voces, sobre todo voces de mujeres, unas despaciosas, por la precisión de una pregunta y la atención de la mente, otras atropelladas, hasta cortadas, por el torrente lírico de lo que cuentan; recordé una por una la voz de cada muchacha que había conocido en Balbec, después la de Gilberta, después la de mi abuela, después la de madame de Guermantes; las encontré todas diferentes, adaptadas a un lenguaje particular de cada una, tocando todas un instrumento diferente, y pensé qué mísero concierto deben de dar en el Paraíso los tres o cuatro ángeles músicos de los antiguos pintores, cuando veía elevarse hacia Dios, por docenas, por centenares, por millares, la armoniosa y multisonora salutación de todas las Voces. No dejé el teléfono sin dar las gracias, con unas palabras propiciatorias a Aquella que reina sobre la velocidad de los sonidos, por haberse dignado usar en favor de mis humildes palabras de un poder que las hacía cien veces más rápidas que el trueno. Pero mis acciones de gracias no tuvieron otra respuesta que cortarlas.
Quand Albertine revint dans ma chambre, elle avait une robe de satin noir qui contribuait à la rendre plus pâle, à faire d′elle la Parisienne blême, ardente, étiolée par le manque d′air, l′atmosphère des foules et peut-être l′habitude du vice, et dont les yeux semblaient plus inquiets parce que ne les égayait pas la rougeur des joues. Cuando Albertina volvió a mi cuarto vestía una bata de raso negro que contribuía a acentuar su palidez, a hacer de ella la parisiense lívida, ardiente, anémica por la falta de aire, la atmósfera de las multitudes y acaso el hábito del vicio, y cuyos ojos parecían más inquietos porque no los animaba el rojo de las mejillas.
« Devinez, lui dis-je, à qui je viens de téléphoner ? À Andrée. — À Andrée ? » s′écria Albertine sur un ton bruyant, étonné, ému, qu′une nouvelle aussi simple ne comportait pas. « J′espère qu′elle a pensé à vous dire que nous avions rencontré Mme Verdurin l′autre jour. — Madame Verdurin ? je ne me rappelle pas », répondis-je en ayant l′air de penser à autre chose, à la fois pour sembler indifférent à cette rencontre et pour ne pas trahir Andrée qui m′avait dit où Albertine irait le lendemain. -Adivina -le dije- a quién acabo de telefonear: a Andrea. -¿A Andrea? -exclamó Albertina en un tono vivo, sorprendido, emocionado, impropio de una noticia tan sencilla-. Espero que se le habrá ocurrido decirte que el otro día encontramos a madame Verdurin. -¿A madame Verdurin? No recuerdo -contesté aparentando que pensaba en otra cosa, a la vez para parecer indiferente a aquel encuentro y para no vender a Andrea, que me había dicho a dónde iría Albertina al día siguiente.
Mais qui sait si elle-même, Andrée, ne me trahissait pas, et si demain elle ne raconterait pas à Albertine que je lui avais demandé de l′empêcher, coûte que coûte, d′aller chez les Verdurin, et si elle ne lui avait pas déjà révélé que je lui avais fait plusieurs fois des recommandations analogues. Elle m′avait affirmé ne les avoir jamais répétées, mais la valeur de cette affirmation était balancée dans mon esprit par l′impression que depuis quelque temps s′était retirée du visage d′Albertine la confiance qu′elle avait eue si longtemps en moi. Pero quizá Andrea me traicionaría, quizá al día siguiente contaría a Albertina que yo le había pedido que le impidiera a toda costa ir a casa de los Verdurin. Acaso le había contado ya que yo le había hecho varias veces recomendaciones análogas. Aunque me asegurara que nunca se las repitió, el valor de esta afirmación perdía peso en mi ánimo por la impresión de que, desde hacía algún tiempo, ya no veía en la cara de Albertina la confianza que durante tanto tiempo había tenido en mí.
Ce qui est curieux, c′est que, quelques jours avant cette dispute avec Albertine, j′en avais déjà eu une avec elle, mais en présence d′Andrée. Or Andrée, en donnant de bons conseils à Albertine, avait toujours l′air de lui en insinuer de mauvais. « Voyons, ne parle pas comme cela, tais-toi », disait-elle, comme au comble du bonheur. Sa figure prenait la teinte sèche de framboise rose des intendantes dévotes qui font renvoyer un à un tous les domestiques. Pendant que j′adressais à Albertine des reproches que je n′aurais pas dû, elle avait l′air de sucer avec délices un sucre d′orge. Puis elle ne pouvait retenir un rire tendre. « Viens Titine, avec moi. Tu sais que je suis ta petite soeurette chérie. » Je n′étais pas seulement exaspéré par ce déroulement doucereux, je me demandais si Andrée avait vraiment pour Albertine l′affection qu′elle prétendait. Albertine, qui connaissait Andrée plus à fond que je ne la connaissais, ayant toujours des haussements d′épaules quand je lui demandais si elle était bien sûre de l′affection d′Andrée, et m′ayant toujours répondu que personne ne l′aimait autant sur la terre, maintenant encore je suis persuadé que l′affection d′Andrée était vraie. Peut-être dans sa famille riche, mais provinciale, en trouverait-on l′équivalent dans quelques boutiques de la Place de l′Évêché, où certaines sucreries passent pour « ce qu′il y a de meilleur ». Mais je sais que pour ma part, bien qu′ayant toujours conclu au contraire, j′avais tellement l′impression qu′Andrée cherchait à faire donner sur les doigts à Albertine que mon amie me devenait aussitôt sympathique et que ma colère tombait. Â…
La souffrance dans l′amour cesse par instants, mais pour reprendre d′une façon différente. Nous pleurons de voir celle que nous aimons ne plus avoir avec nous ces élans de sympathie, ces avances amoureuses du début, nous souffrons plus encore que, les ayant perdus pour nous, elle les retrouve pour d′autres ; puis, de cette souffrance-là, nous sommes distraits par un mal nouveau plus atroce, le soupçon qu′elle nous a menti sur sa soirée de la veille, où elle nous a trompé sans doute ; ce soupçon-là aussi se dissipe, la gentillesse que nous montre notre amie nous apaise, mais alors un mot oublié nous revient à l′esprit ; on nous a dit qu′elle était ardente au plaisir ; or nous ne l′avons connue que calme ; nous essayons de nous représenter ce que furent ces frénésies avec d′autres, nous sentons le peu que nous sommes pour elle, nous remarquons un air d′ennui, de nostalgie, de tristesse pendant que nous parlons, nous remarquons comme un ciel noir les robes négligées qu′elle met quand elle est avec nous, gardant pour les autres celles avec lesquelles, au commencement, elle nous flattait. Si, au contraire, elle est tendre, quelle joie un instant ! mais en voyant cette petite langue tirée comme pour un appel, nous pensons à celles à qui il était si souvent adressé que, même peut-être auprès de moi, sans qu′Albertine pensât à elles, il était demeuré, à cause d′une trop longue habitude, un signe machinal. Puis le sentiment que nous l′ennuyons revient. Mais brusquement cette souffrance tombe à peu de chose en pensant à l′inconnu malfaisant de sa vie, aux lieux impossibles à connaître où elle a été, est peut-être encore, dans les heures où nous ne sommes pas près d′elle, si même elle ne projette pas d′y vivre définitivement, ces lieux où elle est loin de nous, pas à nous, plus heureuse qu′avec nous. Tels sont les feux tournants de la jalousie. En el amor, el sufrimiento cesa a ratos, pero para volver de una manera diferente. Lloramos al ver que la persona que amamos no tiene ya con nosotros aquellos arrebatos de simpatía, aquellos gestos amorosos del principio, y nos duele más aún que habiéndolos perdido para nosotros los tenga para otros; después, de este sufrimiento nos distrae un nuevo mal más atroz, la sospecha de que nos ha mentido sobre la noche de la víspera, y seguramente nos ha mentido; esta sospecha se disipa también, el cariño que nos demuestra nuestra amiga nos tranquiliza; pero entonces nos viene a la mente una palabra olvidada: nos dijeron que era ardiente en el placer, y sólo la hemos conocido tibia; intentamos imaginar lo que fueron sus frenesís con otros, y sentimos lo poco que somos para ella, observamos un gesto de aburrimiento, de nostalgia, de tristeza mientras hablamos, vemos como un cielo negro los vestidos descuidados que se pone cuando está con nosotros, guardando para los demás aquellos con los que al principio nos halagaba. Si, por el contrario, está cariñosa, ¡qué momento de alegría! Pero al verla sacar esa lengüita como para llamar a alguien, pensamos en aquellas a quienes tan a menudo dirigía esa llamada, que, tal vez, aun estando conmigo, sin que Albertina pensara en ellas, era ya, por un hábito muy prolongado, un signo maquinal. Luego vuelve el sentimiento de que la aburrimos. Pero, de pronto, este sufrimiento casi desaparece cuando pensamos en lo desconocido maléfico de su vida, en los lugares imposibles de conocer donde ha estado, y acaso también en las horas que no estamos con ella, y eso suponiendo que no proyecte vivir definitivamente en aquellos lugares donde está lejos de nosotros, donde no es nuestra, donde es más feliz que con nosotros. Así son las luces giratorias de los celos.
La jalousie est aussi un démon qui ne peut être exorcisé, et revient toujours incarner une nouvelle forme. Puissions-nous arriver à les exterminer toutes, à garder perpétuellement celle que nous aimons, l′Esprit du Mal prendrait alors une autre forme, plus pathétique encore, le désespoir de n′avoir obtenu la fidélité que par force, le désespoir de n′être pas aimé. Los celos son también un demonio al que no se puede exorcizar, y reaparece siempre, encarnado bajo una nueva forma. Y aunque pudiéramos llegar a exterminarlas todas, a conservar perpetuamente a la que amamos, el Espíritu del Mal tomaría entonces otra forma aún más patética, el desconsuelo de no haber logrado la fidelidad más que por la fuerza, el desconsuelo de no ser amado.
Entre Albertine et moi il y avait souvent l′obstacle d′un silence fait sans doute de griefs qu′elle taisait parce qu′elle les jugeait irréparables. Si douce qu′Albertine fût certains soirs, elle n′avait plus de ces mouvements spontanés que je lui avais connus à Balbec quand elle me disait : « Ce que vous êtes gentil tout de même ! » et que le fond de son cœur semblait venir à moi sans la réserve d′aucun des griefs qu′elle avait maintenant et qu′elle taisait, parce qu′elle les jugeait sans doute irréparables, impossibles à oublier, inavoués, mais qui n′en mettaient pas moins entre elle et moi la prudence significative de ses paroles ou l′intervalle d′un infranchissable silence. Por dulce que Albertina fuera algunas noches, ya no tenía aquellos arranques espontáneos que yo le había conocido en Balbec cuando me decía: «Pero ¡qué bueno eres!» Y el fondo de su corazón parecía venir a mí sin la reserva de ninguno de los agravios que ahora tenía y que callaba, porque seguramente los consideraba irreparables, imposibles de olvidar, inconfesados, pero que no por eso dejaban de poner entre ella y yo la prudencia significativa de sus palabras o el intervalo de un infranqueable silencio.
« Et peut-on savoir pourquoi vous avez téléphoné à Andrée ? — Pour lui demander si cela ne la contrarierait pas que je me joigne à vous demain et que j′aille ainsi faire aux Verdurin la visite que je leur promets depuis la Raspelière. — Comme vous voudrez. Mais je vous préviens qu′il y a un brouillard atroce ce soir et qu′il y en aura sûrement encore demain. Je vous dis cela parce que je ne voudrais pas que cela vous fasse mal. Vous pensez bien que pour moi je préfère que vous veniez avec nous. Du reste, ajouta-t-elle d′un air préoccupé, je ne sais pas du tout si j′irai chez les Verdurin. Ils m′ont fait tant de gentillesses qu′au fond je devraisÂ… Après vous, c′est encore les gens qui ont été les meilleurs pour moi, mais il y a des riens qui me déplaisent chez eux. Il faut absolument que j′aille au Bon Marché ou aux Trois-Quartiers acheter une guimpe blanche, car cette robe est trop noire. » -¿Y se puede saber por qué has telefoneado a Andrea? -Para preguntarle si no la molestaría que vaya mañana con vosotras a hacer a los Verdurin la visita que les tengo prometida desde la Raspelière. -Como quieras. Pero te advierto que esta noche hay una niebla tremenda y que seguramente la habrá también mañana. Te digo esto porque no quisiera que te hiciera daño. Ya Puedes suponer que, por mí, prefiero que vengas con nosotras. Además -añadió con gesto preocupado-, no sé si iré a casa de los Verdurin. Han sido tan amables conmigo que debería ir. Después de ti, son las personas que mejores han sido para mí, pero tienen algunas pequeñas cosas que no me gustan. Tengo que ir sin falta al Bon Marché o a los Trois- Quartiers a comprarme un pechero blanco, pues este vestido es demasiado oscuro.
Laisser Albertine aller seule dans un grand magasin parcouru par tant de gens qu′on frôle, pourvu de tant d′issues qu′on peut dire qu′à la sortie on n′a pas réussi à trouver sa voiture qui attendait plus loin, j′étais bien décidé à n′y pas consentir, mais j′étais surtout malheureux. Et pourtant, je ne me rendais pas compte qu′il y avait longtemps que j′aurais dû cesser de voir Albertine, car elle était entrée pour moi dans cette période lamentable où un être, disséminé dans l′espace et dans le temps, n′est plus pour vous une femme, mais une suite d′événements sur lesquels nous ne pouvons faire la lumière, une suite de problèmes insolubles, une mer que nous essayons ridiculement, comme Xercès, de battre pour la punir de ce qu′elle a englouti. Une fois cette période commencée, on est forcément vaincu. Heureux ceux qui le comprennent assez tôt pour ne pas trop prolonger une lutte inutile, épuisante, enserrée de toutes parts par les limites de l′imagination, et où la jalousie se débat si honteusement que le même homme qui jadis, si seulement les regards de celle qui était toujours à côté de lui se portaient un instant sur un autre, imaginait une intrigue, éprouvait combien de tourments, se résigne plus tard à la laisser sortir seule, quelquefois avec celui qu′il sait son amant, préférant à l′inconnaissable cette torture du moins connue ! C′est une question de rythme à adopter et qu′on suit après par habitude. Des nerveux ne pourraient pas manquer un dîner, qui font ensuite des cures de repos jamais assez longues ; des femmes récemment encore légères vivent de la pénitence. Des jaloux qui, pour épier celle qu′ils aimaient, retranchaient sur leur sommeil, sur leur repos, sentant que ses désirs à elle, le monde si vaste et si secret, le temps sont plus forts qu′eux, la laissent sortir sans eux, puis voyager, puis se séparent. La jalousie finit ainsi faute d′aliments et n′a tant duré qu′à cause d′en avoir réclamé sans cesse. J′étais bien loin de cet état. Dejar a Albertina ir sola a unos grandes almacenes en los que se roza uno con tanta gente, en los que hay tantas puertas que se puede decir que, a la salida, no se encontró el coche que estaba esperando más lejos, era cosa que yo estaba decidido a no consentir, pero, en todo caso, me sentía desgraciado. Y, sin embargo, no me daba cuenta de que debía haber dejado a Albertina hacía mucho tiempo, pues había entrado para mí en ese lamentable período en que un ser, diseminado en el espacio y en el tiempo, ya no es para nosotros una mujer, sino una serie de acontecimientos que no podemos poner en claro, una serie de problemas insolubles, un mar que, como Jerjes, queremos ridículamente azotar para castigarle por lo que se ha tragado. Una vez iniciado este período, somos inevitablemente vencidos. ¡Dichosos los que lo comprenden a tiempo para no prolongar una lucha inútil, agotadora, cerrada en todas direcciones por los límites de la imaginación y en la que los celos se debaten tan vergonzosamente que el mismo que antes, sólo con que la mujer que estaba siempre junto a él mirara un instante a otro, imaginaba una intriga y sufría grandes tormentos, se resigna después a dejarla salir sola, a veces con el hombre que él sabe que es su amante y prefiere esta tortura, al menos conocida, a otra desconocida Es cuestión de adoptar un ritmo que luego se sigue por costumbre. Nerviosos hay que no podrían perder una comida y después se someten a curas de reposo interminables; mujeres que, hace todavía poco, eran ligeras viven en la penitencia. Celosos hay que, por espiar a su amada, se acortaban el sueño y el descanso y que después -sintiendo que sus deseos de ella, el mundo tan vasto y tan secreto, el tiempo, son más fuertes- la dejan salir sin ellos, viajar después, hasta que se separan. Así, por falta de alimento, mueren los celos, y si duraron tanto fue solamente por haberlo reclamado sin cesar. Yo estaba muy lejos de este estado.
J′étais maintenant libre de faire, aussi souvent que je voulais, des promenades avec Albertine. Comme il n′avait pas tardé à s′établir autour de Paris des hangars d′aviation, qui sont pour les aéroplanes ce que les ports sont pour les vaisseaux, et que depuis le jour où, près de la Raspelière, la rencontre quasi mythologique d′un aviateur, dont le vol avait fait se cabrer mon cheval, avait été pour moi comme une image de la liberté, j′aimais souvent qu′à la fin de la journée le but de nos sorties — agréables d′ailleurs à Albertine, passionnée pour tous les sports — fût un de ces aérodromes. Nous nous y rendions, elle et moi, attirés par cette vie incessante des départs et des arrivées qui donnent tant de charme aux promenades sur les jetées, ou seulement sur la grève pour ceux qui aiment la mer, et aux flâneries autour d′un « centre d′aviation » pour ceux qui aiment le ciel. À tout moment, parmi le repos des appareils inertes et comme à l′ancre, nous en voyions un péniblement tiré par plusieurs mécaniciens, comme est traînée sur le sable une barque demandée par un touriste qui veut aller faire une randonnée en mer. Puis le moteur était mis en marche, l′appareil courait, prenait son élan, enfin, tout à coup, à angle droit, il s′élevait lentement, dans l′extase raidie, comme immobilisée, d′une vitesse horizontale soudain transformée en majestueuse et verticale ascension. Albertine ne pouvait contenir sa joie et elle demandait des explications aux mécaniciens qui, maintenant que l′appareil était à flot, rentraient. Le passager, cependant, ne tardait pas à franchir des kilomètres ; le grand esquif, sur lequel nous ne cessions pas de fixer les yeux, n′était plus dans l′azur qu′un point presque indistinct, lequel d′ailleurs reprendrait peu à peu sa matérialité, sa grandeur, son volume, quand, la durée de la promenade approchant de sa fin, le moment serait venu de rentrer au port. Et nous regardions avec envie, Albertine et moi, au moment où il sautait à terre, le promeneur qui était allé ainsi goûter au large, dans ces horizons solitaires, le calme et la limpidité du soir. Puis, soit de l′aérodrome, soit de quelque musée, de quelque église que nous étions allés visiter, nous revenions ensemble pour l′heure du dîner. Et, pourtant, je ne rentrais pas calmé comme je l′étais à Balbec par de plus rares promenades que je m′enorgueillissais de voir durer tout un après-midi et que je contemplais ensuite se détachant en beaux massifs de fleurs sur le reste de la vie d′Albertine, comme sur un ciel vide devant lequel on rêve doucement, sans pensée. Le temps d′Albertine ne m′appartenait pas alors en quantités aussi grandes qu′aujourd′hui. Pourtant, il me semblait alors bien plus à moi, parce que je tenais compte seulement — mon amour s′en réjouissant comme d′une faveur — des heures qu′elle passait avec moi ; maintenant — ma jalousie y cherchant avec inquiétude la possibilité d′une trahison — rien que des heures qu′elle passait sans moi. Ahora podía salir con Albertina siempre que quisiera. Como no tardaron en construir cerca de París hangares de aviación, que son para los aeroplanos lo que los puertos para los barcos, y como desde el día en que, cerca de la Raspelière, el encuentro casi mitológico de un aviador, cuyo vuelo hizo :asi que se encabritara mi caballo, era para mí como una imagen de la libertad, solía elegir uno de estos aeródromos para nuestros paseos del atardecer, lo que además complacía a Albertina, muy aficionada a todos los deportes. A los dos nos atraía esa vida incesante de las salidas y de las llegadas que tanto encanto dan a los paseos por las escolleras o simplemente por la arena para los que aman el mar, y en torno a un centro de aviación para los que aman el cielo. A cada momento, entre el reposo de los aparatos inertes y como anclados, veíamos uno penosamente arrastrado por varios mecánicos, como se arrastra sobre la arena una barca solicitada por un turista que quiere dar un paseo por el mar. Después ponían el motor en marcha, el aparato corría, tomaba impulso, hasta que al fin, de pronto, se elevaba lentamente en ángulo recto, en el éxtasis rígido, como inmovilizado, de una velocidad horizontal transformada de pronto en majestuosa y vertical ascensión. Albertina no podía contener su alegría y pedía explicaciones a los mecánicos que, ya a flote el aparato, regresaban. Mientras tanto, el aparato no tardaba en tragarse los kilómetros; el gran esquife, del que no apartábamos los ojos, no era ya en el azul más que un punto casi indistinto, hasta que recobraba poco a poco su materialidad, sus dimensiones, su volumen, cuando, a punto de terminar el paseo, llegaba el momento de volver a puerto. Y Albertina y yo mirábamos con envidia, en el momento en que saltaba a tierra, al paseante que había ido a gozar a sus anchas, en aquellos horizontes solitarios, de la calma y de la limpidez del atardecer. Después, fuera del aeródromo, fuera de algún museo o de alguna iglesia que hubiéramos ido a visitar, volvíamos juntos para la hora de comer. Pero yo no volvía sosegado como volvía en Balbec de paseos menos frecuentes, orgulloso de que duraran toda una tarde y que contemplaba después, destacándose en hermosos macizos de flores sobre el resto de la vida de Albertina como sobre un cielo inhabitado ante el cual soñamos dulcemente, sin pensar. Entonces, el tiempo de Albertina no me pertenecía en cantidades tan grandes como ahora. Sin embargo, me parecía mucho más mía, porque sólo contaba las horas que pasaba conmigo -mi amor las celebraba como un favor-; ahora contaba sólo las horas que pasaba sin mí, mis celos buscaban con inquietud en ellas la posibilidad de una traición.
Or, demain, elle désirerait qu′il y en eût de telles. Il faudrait choisir, ou de cesser de souffrir, ou de cesser d′aimer. Car, ainsi qu′au début il est formé par le désir, l′amour n′est entretenu plus tard que par l′anxiété douloureuse. Je sentais qu′une partie de la vie d′Albertine m′échappait. L′amour, dans l′anxiété douloureuse comme dans le désir heureux, est l′exigence d′un tout. Il ne naît, il ne subsiste que si une partie reste à conquérir. On n′aime que ce qu′on ne possède pas tout entier. Albertine mentait en me disant qu′elle n′irait sans doute pas voir les Verdurin, comme je mentais en disant que je voulais aller chez eux. Elle cherchait seulement à m′empêcher de sortir avec elle, et moi, par l′annonce brusque de ce projet que je ne comptais nullement mettre à exécution, à toucher en elle le point que je devinais le plus sensible, à traquer le désir qu′elle cachait et à la forcer à avouer que ma présence auprès d′elle demain l′empêcherait de le satisfaire. Elle l′avait fait, en somme, en cessant brusquement de vouloir aller chez les Verdurin. Y mañana ella desearía, sin duda, que hubiera horas de éstas. Habría que elegir entre dejar de sufrir o dejar de amar. Pues así como al principio el amor está formado de deseos, más tarde sólo lo sostiene la ansiedad dolorosa. Sentía que una parte de la vida de Albertina se me escapaba. El amor, en la ansiedad dolorosa como en el deseo feliz, es la exigencia de un todo. Sólo nace, sólo subsiste si queda una parte por conquistar. Sólo se ama lo que no se posee por entero. Albertina mentía al decirme que seguramente no iría a ver a los Verdurin, como mentía yo al decir que quería ir a su casa. Ella quería solamente impedirme que saliera con ella, y yo, con la brusca notificación de aquel proyecto que no pensaba en absoluto cumplir, quería tocar en ella el punto que adivinaba más sensible, acosar el deseo que ocultaba y obligarla a confesar que mi presencia junto a ella le impediría mañana satisfacerlo. En realidad, lo había hecho al decir bruscamente que no quería ir a casa de los Verdurin.
« Si vous ne voulez pas venir chez les Verdurin, lui dis-je, il y a au Trocadéro une superbe représentation à bénéfice. » Elle écouta mon conseil d′y aller d′un air dolent. Je recommençai à être dur avec elle comme à Balbec, au temps de ma première jalousie. Son visage reflétait une déception, et j′employais à blâmer mon amie les mêmes raisons qui m′avaient été si souvent opposées par mes parents, quand j′étais petit, et qui avaient paru inintelligentes et cruelles à mon enfance incomprise. « Non, malgré votre air triste, disais-je à Albertine, je ne peux pas vous plaindre ; je vous plaindrais si vous étiez malade, s′il vous était arrivé un malheur, si vous aviez perdu un parent ; ce qui ne vous ferait peut-être aucune peine étant donné le gaspillage de fausse sensibilité que vous faites pour rien. D′ailleurs, je n′apprécie pas la sensibilité des gens qui prétendent tant nous aimer sans être capables de nous rendre le plus léger service et que leur pensée, tournée vers nous, laisse si distraits qu′ils oublient d′emporter la lettre que nous leur avons confiée et d′où notre avenir dépend. » -Si no quieres ir a casa de los Verdurin -le dije-, en el Trocadero dan una magnífica función de beneficio. Escuchó con aire doliente mi consejo de ir a aquella fun:ión. Volví a ser duro con ella como en Balbec, en los tiempos de mis primeros celos. Su cara reflejaba una decepción, y yo empleaba en censurar a mi amiga las mismas razones :on que me censuraban a mí mis padres cuando era pequeño y que a mi infancia incomprendida le habían parecido ininteligentes y crueles. -No, a pesar de tu gesto de tristeza -le decía a Albertina-, no puedo compadecerte; te compadecería si estuvieras enferma, si te hubiera ocurrido una desgracia, si hubieras perdido a una persona de la familia; lo que quizá no te daría ninguna pena, teniendo en cuenta el derroche de falsa sensibilidad que haces por nada. Además, yo no aprecio la sensibilidad de las personas que nos dicen que nos quieren y no son capaces de hacernos el más pequeño favor y que tan poco piensan en nosotros que olvidan llevar la carta que les hemos encomendado y de la que depende nuestro porvenir.
Ces paroles — une grande partie de ce que nous disons n′étant qu′une récitation, — je les avais toutes entendu prononcer à ma mère, laquelle m′expliquait volontiers qu′il ne fallait pas confondre la véritable sensibilité, ce que, disait-elle, les Allemands, dont elle admirait beaucoup la langue, malgré l′horreur de mon père pour cette nation, appelaient « Empfindung », et la sensiblerie « Empfindelei ». Elle était allée, une fois que je pleurais, jusqu′à me dire que Néron était peut-être nerveux et n′était pas meilleur pour cela. Au vrai, comme ces plantes qui se dédoublent en poussant, en regard de l′enfant sensitif que j′avais uniquement été, lui faisait face maintenant un homme opposé, plein de bon sens, de sévérité pour la sensibilité maladive des autres, un homme ressemblant à ce que mes parents avaient été pour moi. Sans doute, chacun devant faire continuer en lui la vie des siens, l′homme pondéré et railleur qui n′existait pas en moi au début avait rejoint le sensible, et il était naturel que je fusse à mon tour tel que mes parents avaient été. Estas palabras -pues una gran parte de lo que decimos no es más que una recitación- se las había oído yo mucho a mi madre, la cual (muy amiga de explicarme que no se debía confundir la verdadera sensibilidad con la sensiblería, lo que, decía ella, los alemanes, cuya lengua admiraba mucho mi madre a pesar del horror de mi abuelo por esta nación, llamaban Empfindungy Empfindelei), una vez que yo estaba llorando, llegó a decirme que Nerón era quizá nervioso y no por eso era mejor persona. En realidad, como ocurre con esas plantas que se desdoblan al crecer, al niño sensitivo que yo había sido se enfrentaba ahora un hombre opuesto, lleno de buen sentido, de severidad para la sensibilidad enfermiza de los demás, un hombre parecido a lo que mis padres habían sido para mí. Como todos debemos continuar en nosotros la vida de los nuestros, sin duda el hombre ponderado y burlón que no existía en mí al principio se había incorporado al hombre sensible, y era natural que así fuera, porque así habían sido mis padres.
De plus, au moment où ce nouveau moi se formait, il trouvait son langage tout prêt dans le souvenir de celui, ironique et grondeur, qu′on m′avait tenu, que j′avais maintenant à tenir aux autres, et qui sortait tout naturellement de ma bouche, soit que je l′évoquasse par mimétisme et association de souvenirs, soit aussi que les délicates et mystérieuses incantations du pouvoir génésique eussent en moi, à mon insu, dessiné comme sur la feuille d′une plante les mêmes intonations, les mêmes gestes, les mêmes attitudes qu′avaient eus ceux dont j′étais sorti. Car quelquefois, en train de faire l′homme sage quand je parlais à Albertine, il me semblait entendre ma grand′mère ; du reste, n′était-il pas arrivé à ma mère (tant d′obscurs courants inconscients infléchissaient en moi jusqu′aux plus petits mouvements de mes doigts eux-mêmes entraînés dans les mêmes cycles que ceux de mes parents) de croire que c′était mon père qui entrait, tant j′avais la même manière de frapper que lui. Por otra parte, al formarse este nuevo ser, encontraba su lenguaje ya preparado en el recuerdo del otro, irónico y reparón, con que me habían hablado, en el que ahora hablaba yo a los demás, y que salía de mi boca con toda naturalidad, bien porque yo lo evocase por mimetismo y asociación de recuerdos, o porque también las delicadas y misteriosas incrustaciones del poder genésico hubiesen dibujado en mí, sin intervención mía, como en la hoja de una planta, las mismas entonaciones, los mismos gestos, las mismas actitudes que habían tenido los que me dieron vida. ¿No había llegado mi madre a creer (de tal manera unas oscuras corrientes subconscientes orientaban en mí hasta los más pequeños movimientos de mis dedos ya impulsados a los mismos ciclos que mis padres) que era mi padre quien entraba, tan igual a la suya era mi manera de llamar?
D′autre part, l′accouplement des éléments contraires est la loi de la vie, le principe de la fécondation, et, comme on verra, la cause de bien des malheurs. Habituellement, on déteste ce qui nous est semblable, et nos propres défauts vus du dehors nous exaspèrent. Combien plus encore quand quelqu′un qui a passé l′âge où on les exprime naîµ¥ment et qui, par exemple, s′est fait dans les moments les plus brûlants un visage de glace, exècre-t-il les mêmes défauts, si c′est un autre, plus jeune, ou plus na ou plus sot, qui les exprime ! Il y a des sensibles pour qui la vue dans les yeux des autres des larmes qu′eux-mêmes retiennent est exaspérante. C′est la trop grande ressemblance qui fait que, malgré l′affection, et parfois plus l′affection est grande, la division règne dans les familles. Por otra parte, el acoplamiento de los elementos contrarios es la ley de la vida, el principio de la fecundación y, como veremos, la causa de muchos males. Habitualmente detestamos lo que se nos parece, y nuestros propios defectos, vistos desde fuera, nos exasperan. Cuánto más aún una persona que ha pasado la edad en que se expresan ingenuamente esos defectos y que, por ejemplo, ha adoptado en los momentos más ardientes un semblante de hielo, execra esos mismos defectos si es otro, más joven, o más ingenuo, o más tonto, quien los expresa. Hay sensibles para quienes es exasperante ver en los ojos de otro las lágrimas que ellos mismos retienen. Es la excesiva semejanza lo que hace que, a pesar del afecto, y a veces cuanto mayor es el afecto, reine la división en las familias.
Peut-être chez moi, et chez beaucoup, le second homme que j′étais devenu était-il simplement une face du premier, exalté et sensible du côté de soi-même, sage Mentor pour les autres. Peut-être en était-il ainsi chez mes parents selon qu′on les considérait par rapport à moi ou en eux-mêmes. Et pour ma grand′mère et ma mère, il était trop visible que leur sévérité pour moi était voulue par elles, et même leur coûtait, mais peut-être, chez mon père lui-même, la froideur n′était-elle qu′un aspect extérieur de sa sensibilité ? Car c′est peut-être la vérité humaine de ce double aspect : aspect du côté de la vie intérieure, aspect du côté des rapports sociaux, qu′on exprimait dans ces mots, qui me paraissaient autrefois aussi faux dans leur contenu que pleins de banalité dans leur forme, quand on disait en parlant de mon père : « Sous sa froideur glaciale, il cache une sensibilité extraordinaire ; ce qu′il a surtout, c′est la pudeur de sa sensibilité. » Acaso en mí y en muchos, el segundo hombre que yo había llegado a ser era simplemente una parte del primero, exaltado y sensible para sí mismo, severo Mentor para los demás. Acaso ocurría esto en mis padres según que se los considerara con relación a mí o en sí mismos. Y en cuanto a mi abuela y a mi madre, se veía muy bien que su severidad para mí era deliberada, y hasta les resultaba penosa, y quizá :n mi mismo padre la frialdad no era más que un aspecto exterior de su sensibilidad. Pues acaso es la verdad humana de este doble aspecto, aspecto del lado de la vida interior, aspecto del lado de las relaciones sociales, lo que expresaban aquellas palabras, que en otro tiempo me parecieran tan falsas en su contenido como triviales en su forma, cuando decían, hablando de mi padre: «Bajo su frialdad glacial, oculta ana sensibilidad extraordinaria; lo que tiene, sobre todo, es el pudor de su sensibilidad».
Ne cachait-il pas, au fond, d′incessants et secrets orages, ce calme au besoin semé de réflexions sentencieuses, d′ironie pour les manifestations maladroites de la sensibilité, et qui était le sien, mais que moi aussi, maintenant, j′affectais vis-à-vis de tout le monde et dont surtout je ne me départais pas dans certaines circonstances vis-à-vis d′Albertine ? ¿No escondía, en el fondo, incesantes y secretas tempestades aquella calma llena, llegado el caso, de reflexiones sentenciosas, de ironía para las manifestaciones torpes de la sensibilidad, aquella calma suya, pero que también afectaba yo ahora ante todo el mundo, y que sobre todo adoptaba siempre, en ciertas circunstancias, con Albertina?
Je crois que vraiment, ce jour-là, j′allais décider notre séparation et partir pour Venise. Ce qui me réenchaîna à ma liaison tint à la Normandie, non qu′elle manifestât quelque intention d′aller dans ce pays où j′avais été jaloux d′elle (car j′avais cette chance que jamais ses projets ne touchaient aux points douloureux de mon souvenir), mais parce qu′ayant dit : « C′est comme si je vous parlais de l′amie de votre tante qui habitait Infreville », elle répondit avec colère, heureuse comme toute personne qui discute et qui veut avoir pour soi le plus d′arguments possible, de me montrer que j′étais dans le faux et elle dans le vrai : « Mais jamais ma tante n′a connu personne à Infreville, et moi-même je n′y suis jamais allée. » Creo verdaderamente que «aquel día» iba a decidir nuestra separación e irme a Venecia. Lo que me ató de nuevo a Albertina fue Normandía, no porque ella manifestara alguna intención de ir a este país donde tuve celos de ella (pues yo tenía la suerte de que sus proyectos no tocaran nunca los puntos dolorosos de mi recuerdo), sino porque al decirle yo: «Es como si te hablara de la amiga de tu tía que vivía en Infreville», contestó con rabia, satisfecha como toda persona que discute y que quiere tener la mayor cantidad posible de argumentos, demostrarme que yo me equivocaba y ella no: «Pero mi tía no ha conocido nunca a nadie en Infreville y yo no he estado nunca allí».
Elle avait oublié le mensonge qu′elle m′avait fait un soir sur la dame susceptible chez qui c′était de toute nécessité d′aller prendre le thé, dût-elle en allant voir cette dame perdre mon amitié et se donner la mort. Je ne lui rappelai pas son mensonge. Mais il m′accabla. Et je remis encore à une autre fois la rupture. Il n′y a pas besoin de sincérité, ni même d′adresse, dans le mensonge, pour être aimé. J′appelle ici amour une torture réciproque. Je ne trouvais nullement répréhensible, ce soir, de lui parler comme ma grand′mère, si parfaite, l′avait fait avec moi, ni, pour lui avoir dit que je l′accompagnerais chez les Verdurin, d′avoir adopté la façon brusque de mon père qui ne nous signifiait jamais une décision que de la façon qui pouvait nous causer le maximum d′une agitation en disproportion, à ce degré, avec cette décision elle-même. De sorte qu′il avait beau jeu à nous trouver absurdes de montrer pour si peu de chose une telle désolation, qui, en effet, répondait à la commotion qu′il nous avait donnée. Comme — de même que la sagesse inflexible de ma grand′mère — ces velléités arbitraires de mon père étaient venues chez moi compléter la nature sensible, à laquelle elles étaient restées si longtemps extérieures et que, pendant toute mon enfance, elles avaient fait tant souffrir, cette nature sensible les renseignait fort exactement sur les points qu′elles devaient viser efficacement : il n′y a pas de meilleur indicateur qu′un ancien voleur, ou qu′un sujet de la nation qu′on combat. Dans certaines familles menteuses, un frère venu voir son frère sans raison apparente et lui demandant dans une incidente, sur le pas de la porte, en s′en allant, un renseignement qu′il n′a même pas l′air d′écouter, signifie par cela même à son frère que ce renseignement était le but de sa visite, car le frère connaît bien ces airs détachés, ces mots dits comme entre parenthèses, à la dernière seconde, car il les a souvent employés lui-même. Or il y a aussi des familles pathologiques, des sensibilités apparentées, des tempéraments fraternels, initiés à cette tacite langue qui fait qu′en famille on se comprend sans se parler. Aussi, qui donc peut plus qu′un nerveux être énervant ? Et puis, il y avait peut-être à ma conduite, dans ces cas-là, une cause plus générale, plus profonde. C′est que, dans ces moments brefs, mais inévitables, où l′on déteste quelqu′un qu′on aime — ces moments qui durent parfois toute la vie avec les gens qu′on n′aime pas — on ne veut pas paraître bon pour ne pas être plaint, mais à la fois le plus méchant et le plus heureux possible pour que votre bonheur soit vraiment haî²³able et ulcère l′âme de l′ennemi occasionnel ou durable. Devant combien de gens ne me suis-je pas mensongèrement calomnié, rien que pour que mes « succès » leur parussent immoraux et les fissent plus enrager ! Ce qu′il faudrait, c′est suivre la voie inverse, c′est montrer sans fierté qu′on a de bons sentiments, au lieu de s′en cacher si fort. Et ce serait facile si on savait ne jamais haî°¬ aimer toujours. Car, alors, on serait si heureux de ne dire que les choses qui peuvent rendre heureux les autres, les attendrir, vous en faire aimer ! Había olvidado la mentira que me dijo una noche sobre la señora susceptible a cuya casa no tenía más remedio que ir a tomar el té, aunque para ello hubiera de perder mi amistad y suicidarse. No le recordé su mentira; pero me abrumó. Y de nuevo dejé la ruptura para otra vez. Para ser amado, no se necesita sinceridad, ni siquiera habilidad en la mentira. Yo llamo aquí amor a una tortura recíproca. Aquella noche no me parecía en absoluto reprensible hablarle como mi abuela, tan perfecta, me hablaba a mí, ni, para decirle que la acompañaría a casa de los Verdurin, haber adoptado la manera brusca de mi padre, que cuando nos comunicaba una decisión lo hacía siempre en el tono que pudiera causarnos la mayor agitación posible, una agitación desproporcionada, en tal grado, con la decisión misma. Lo que le permitía después encontrarnos absurdos porque manifestábamos por tan poca cosa tanta desolación que, en realidad, respondía a la conmoción que él nos había dado. Y si -como la sensatez demasiado inflexible de mi abuela- estas veleidades arbitrarias de mi padre habían venido a completar en mí la naturaleza sensible a la que durante tanto tiempo permanecieron ajenas y a la que en toda mi infancia tanto hicieron sufrir, esta naturaleza sensible las informaba muy exactamente sobre los puntos en que debían actuar eficazmente: no hay mejor guía que un antiguo ladrón o que un individuo de la nación a la que se combate. En ciertas familias mentirosas, un hermano que va a ver a su hermano sin razón aparente y que al marcharse, ya en la puerta, le pide incidentalmente un informe que ni siquiera parece escuchar, demuestra por esto mismo a su hermano que ese informe era la finalidad de su visita, pues el hermano conoce bien esos aires indiferentes, esas palabras dichas como entre paréntesis, en el último segundo, porque él mismo ha hecho a menudo lo mismo. Y hay también familias patológicas, sensibilidades emparentadas, temperamentos fraternales, iniciados en esa tácita lengua común con la que una familia se entiende sin hablar. Así, pues, ¿puede haber alguien más enervante que un nervioso? Y, además, quizá había en mi conducta, en estos casos, una causa más general, más pro- i funda. Es que en esos momentos breves, pero inevitables, en que detestamos a una persona a la que amamos - esos momentos que a veces duran toda la vida con las personas que no amamos- no queremos parecer buenos para que no nos compadezcan, sino, a la vez, lo más malos y lo más dichosos posible para que nuestra felicidad sea verdaderamente odiosa y ulcere el alma del enemigo ocasional o permanente. ¡Ante cuántas personas me he calumniado yo falsamente, sólo para que mis «éxitos» les pareciesen más inmorales y les diesen más rabia! Lo que habría que hacer es seguir el camino inverso, demostrar sin orgullo que se tienen buenos sentimientos, en lugar de ocultarlos tanto. Y sería fácil si supiéramos no odiar nunca, amar siempre. Pues entonces ¡nos haría tan felices decir las cosas que pueden hacer felices a los demás, enternecerlos, hacer que nos amen!
Certes, j′avais quelques remords d′être aussi irritant à l′égard d′Albertine, et je me disais : « Si je ne l′aimais pas, elle m′aurait plus de gratitude, car je ne serais pas méchant avec elle ; mais non, cela se compenserait, car je serais aussi moins gentil. » Et j′aurais pu, pour me justifier, lui dire que je l′aimais. Mais l′aveu de cet amour, outre qu′il n′eût rien appris à Albertine, l′eût peut-être plus refroidie à mon égard que les duretés et les fourberies dont l′amour était justement la seule excuse. Être dur et fourbe envers ce qu′on aime est si naturel ! Si l′intérêt que nous témoignons aux autres ne nous empêche pas d′être doux avec eux et complaisants à ce qu′ils désirent, c′est que cet intérêt est mensonger. Autrui nous est indifférent et l′indifférence n′invite pas à la méchanceté. Claro que sentía cierto remordimiento de estar tan irritante con Albertina, y me decía: «Si no la amara, me tendría más gratitud, pues no sería malo con ella; pero no, se compensaría, pues también sería menos bueno». Y para justificarme hubiera podido decirle que la amaba, pero la confesión de este amor, aparte de que no hubiera sido nada buena para Albertina, quizá la hubiese enfriado conmigo más que las durezas y las trapacerías cuya única disculpa era precisamente el amor. ¡Es tan natural ser duro y trapacero con la persona amada! Si el interés que demostramos a los demás no nos impide ser atentos con ellos y complacientes con lo que desean, es porque ese interés es falso. El otro nos es indiferente, y la indiferencia no invita a la maldad.
La soirée passait. Avant qu′Albertine allât se coucher, il n′y avait pas grand temps à perdre si nous voulions faire la paix, recommencer à nous embrasser. Aucun de nous deux n′en avait encore pris l′initiative. Sentant qu′elle était, de toute façon, fâchée, j′en profitai pour lui parler d′Esther Lévy. « Bloch m′a dit (ce qui n′était pas vrai) que vous aviez bien connu sa cousine Esther. — Je ne la reconnaîtrais même pas », dit Albertine d′un air vague. « J′ai vu sa photographie », ajoutai-je en colère. Je ne regardais pas Albertine en disant cela, de sorte que je ne vis pas son expression, qui eût été sa seule réponse, car elle ne dit rien. Pasaba la noche; antes que Albertina fuera a acostarse, no había mucho tiempo que perder si queríamos hacer las paces, volver a besarnos. Ninguno de los dos había tomado aún la iniciativa. Notando que de todas maneras ya estaba enfadada, aproveché para hablarle de Esther Levy. -Me ha dicho Bloch -lo que no era cierto- que conocías muy bien a su prima Esther. - Ni siquiera la reconocería -contestó en un tono indiferente. -Yo he visto su fotografía -añadí irritado. Al decir esto, no miraba a Albertina, de modo que no vi su expresión, que hubiera sido su única respuesta, pues no dijo nada.
Ce n′était plus l′apaisement du baiser de ma mère à Combray, que j′éprouvais auprès d′Albertine, ces soirs-là, mais, au contraire, l′angoisse de ceux où ma mère me disait à peine bonsoir, ou même ne montait pas dans ma chambre, soit qu′elle fût fâchée contre moi ou retenue par des invités. Cette angoisse — non pas seulement sa transposition dans l′amour — non, cette angoisse elle-même qui s′était un temps spécialisée dans l′amour, qui avait été affectée à lui seul quand le partage, la division des passions s′était opérée, maintenant semblait de nouveau s′étendre à toutes, redevenue indivise de même que dans mon enfance, comme si tous mes sentiments, qui tremblaient de ne pouvoir garder Albertine auprès de mon lit à la fois comme une maîtresse, comme une sœur, comme une fille, comme une mère aussi, du bonsoir quotidien de laquelle je recommençais à éprouver le puéril besoin, avaient commencé de se rassembler, de s′unifier dans le soir prématuré de ma vie, qui semblait devoir être aussi brève qu′un jour d′hiver. Mais si j′éprouvais l′angoisse de mon enfance, le changement de l′être qui me la faisait éprouver, la différence de sentiment qu′il m′inspirait, la transformation même de mon caractère, me rendaient impossible d′en réclamer l′apaisement à Albertine comme autrefois à ma mère. Aquellas noches ya no era el sosiego del beso de mi madre en Combray lo que yo sentía junto a Albertina, sino, por el contrario, la angustia de las noches en que mi madre apenas me decía adiós o ni siquiera subía a mi cuarto, fuera porque estuviese enfadada conmigo o porque la retuvieran los invitados. Aquella angustia, no su trasposición al amor, no, aquella angustia misma, que en un tiempo se había especializado en el amor, y que al hacer el reparto, al efectuar la división de las pasiones, fue asignada sólo a él, ahora parecía extenderse de nuevo a todas, indivisa otra vez, lo mismo que en mi infancia, como si todos mis sentimientos, que temblaban de no poder conservar a Albertina junto a mi cama a la vez como una amante, como una hermana, como una hija, también como una madre del cotidiano beso de despedida, como una madre de la que volvía a sentir la pueril necesidad, hubieran empezado a concentrarse, a unificarse en la noche prematura de mi vida, que parecía iba a ser tan corta como un día de invierno. Pero si bien sentía la angustia de mi infancia, el cambio del ser que me hacía sentirla, la diferencia de sentimiento que me inspiraba, la transformación misma de mi carácter, me impedían absolutamente pedirle a Albertina el sosiego como antaño a mi madre.
Je ne savais plus dire : je suis triste. Je me bornais, la mort dans l′âme, à parler de choses indifférentes qui ne me faisaient faire aucun progrès vers une solution heureuse. Je piétinais sur place dans de douloureuses banalités. Et avec cet égoî²­e intellectuel qui, pour peu qu′une vérité insignifiante se rapporte à notre amour, nous en fait faire un grand honneur à celui qui l′a trouvée, peut-être aussi fortuitement que la tireuse de cartes qui nous a annoncé un fait banal, mais qui s′est depuis réalisé, je n′étais pas loin de croire Françoise supérieure à Bergotte et à Elstir parce qu′elle m′avait dit, à Balbec : « Cette fille-là ne vous causera que du chagrin. » No sabía decir: estoy triste. Me limitaba a hablar, con la muerte en el alma, de cosas indiferentes que no me hacían adelantar nada hacia una solución feliz; me debatía, sin moverme del sitio, en dolorosas trivialidades. con ese egoísmo intelectual que, a poca relación que una verdad insignificante tenga con nuestro amor, nos lleva a hacer un gran honor al que la ha encontrado, acaso tan fortuitamente como la echadora de cartas que nos anunció un hecho, un hecho trivial, pero que se ha realizado después, no estaba yo lejos de creer a Francisca superior a Bergotte y a Elstir porque me había dicho en Balbec: «Esa moza no le va a causar más que disgustos».
Chaque minute me rapprochait du bonsoir d′Albertine, qu′elle me disait enfin. Mais, ce soir, son baiser, d′où elle-même était absente et qui ne me rencontrait pas, me laissait si anxieux que, le cœur palpitant, je la regardais aller jusqu′à la porte en pensant : « Si je veux trouver un prétexte pour la rappeler, la retenir, faire la paix, il faut se hâter, elle n′a plus que quelques pas à faire pour être sortie de la chambre, plus que deux, plus qu′un, elle tourne le bouton ; elle ouvre, c′est trop tard, elle a refermé la porte ! » Peut-être pas trop tard, tout de même. Comme jadis à Combray, quand ma mère m′avait quitté sans m′avoir calmé par son baiser, je voulais m′élancer sur les pas d′Albertine, je sentais qu′il n′y aurait plus de paix pour moi avant que je l′eusse revue, que ce revoir allait devenir quelque chose d′immense qu′il n′avait pas encore été jusqu′ici, et que, si je ne réussissais pas tout seul à me débarrasser de cette tristesse, je prendrais peut-être la honteuse habitude d′aller mendier auprès d′Albertine. Je sautais hors du lit quand elle était déjà dans sa chambre, je passais et repassais dans le couloir, espérant qu′elle sortirait et m′appellerait ; je restais immobile devant sa porte pour ne pas risquer de ne pas entendre un faible appel, je rentrais un instant dans ma chambre regarder si mon amie n′aurait pas par bonheur oublié un mouchoir, un sac, quelque chose dont j′aurais pu paraître avoir peur que cela lui manquât et qui m′eût donné le prétexte d′aller chez elle. Non, rien. Je revenais me poster devant sa porte, mais dans la fente de celle-ci il n′y avait plus de lumière. Albertine avait éteint, elle était couchée, je restais là immobile, espérant je ne sais quelle chance qui ne venait pas ; et longtemps après, glacé, je revenais me mettre sous mes couvertures et pleurais tout le reste de la nuit. Cada minuto me recordaba la despedida de Albertina, que al fin se despedía. Pero aquella noche su beso, del que ella misma estaba ausente y que a mí no me encontraba, me dejaba tan ansioso que, con el corazón palpitante, pensaba mirándola ir hacia la puerta: «Si quiero encontrar un pretexto para llamarla, retenerla, hacer las paces, tengo que apresurarme, ya no le faltan más que unos pasos para salir de la habitación, nada más que dos, nada más que uno, agarra el picaporte, abre, es demasiado tarde, ya ha cerrado la puerta». Aunque quizá no demasiado tarde. Como antaño en Combray, cuando mi madre me dejaba sin calmarme con su beso, quería yo correr tras Albertina, sentía que no habría paz para mí antes de volver a verla, que ese volver a verla iba a ser algo inmenso que aún no había sido y que, si no lograba yo solo liberarme de aquella tristeza, tomaría quizá la vergonzosa costumbre de ir a mendigar a Albertina; cuando ella estaba ya en su cuarto, me tiraba de la cama, salía y volvía a salir al pasillo, esperando que ella asomara y me llamase; permanecía inmóvil ante su puerta por no arriesgarme a no oír una débil llamada, volvía un momento a mi cuarto a ver si, por suerte, mi amiga había olvidado el pañuelo, el bolso, cualquier cosa que yo pudiera aparentar que echaría de menos y sirviera de pretexto para ir a llevárselo. No, nada. Volvía a apostarme ante su puerta, pero ya no se veía luz por la rendija. Albertina había apagado, se había acostado, y yo seguía allí quieto, esperando no sé qué oportunidad que no llegaba; y al cabo de mucho tiempo, muerto de frío, volvía a meterme bajo las mantas y me pasaba llorando todo el resto de la noche.
Aussi parfois, certains soirs, j′eus recours à une ruse qui me donnait le baiser d′Albertine. Sachant combien, dès qu′elle était étendue, son ensommeillement était rapide (elle le savait aussi, car, instinctivement, dès qu′elle s′étendait, elle ôtait ses mules, que je lui avais données, et sa bague, qu′elle posait à côté d′elle comme elle faisait dans sa chambre avant de se coucher), sachant combien son sommeil était profond, son réveil tendre, je prenais un prétexte pour aller chercher quelque chose, je la faisais étendre sur mon lit. Quand je revenais elle était endormie, et je voyais devant moi cette autre femme qu′elle devenait dès qu′elle était entièrement de face. Mais elle changeait bien vite de personnalité, car je m′allongeais à côté d′elle et la retrouvais de profil. Je pouvais mettre ma main dans sa main, sur son épaule, sur sa joue. Albertine continuait de dormir. En noches así, a veces recurrí a un ardid qué me valía el beso de Albertina. Sabiendo lo pronto que se dormía en cuanto se acostaba (también lo sabía ella, pues al acostarse se quitaba instintivamente las chinelas que yo le había regalado y la sortija, poniéndolo a su lado como lo hacía en su cuarto antes de acostarse), sabiendo lo profundo que era su sueño y lo tierno que era su despertar, yo inventaba un pretexto para ir a buscar algo y la hacía echarse en mi cama. Cuando volvía la encontraba dormida, y veía ante mí aquella otra mujer en que se convertía cuando estaba por completo de frente. Pero en seguida cambiaba de personalidad, pues me acostaba a su lado y volvía a verla de perfil.
Je pouvais prendre sa tête, la renverser, la poser contre mes lèvres, entourer mon cou de ses bras, elle continuait à dormir comme une montre qui ne s′arrête pas, comme une bête qui continue de vivre, quelque position qu′on lui donne, comme une plante grimpante, un volubilis qui continue de pousser ses branches quelque appui qu′on lui donne. Seul son souffle était modifié par chacun de mes attouchements, comme si elle eût été un instrument dont j′eusse joué et à qui je faisais exécuter des modulations en tirant de l′une, puis de l′autre de ses cordes, des notes différentes. Ma jalousie s′apaisait, car je sentais Albertine devenue un être qui respire, qui n′est pas autre chose, comme le signifiait ce souffle régulier par où s′exprime cette pure fonction physiologique, qui, tout fluide, n′a l′épaisseur ni de la parole, ni du silence ; et dans son ignorance de tout mal, son haleine, tirée plutôt d′un roseau creusé que d′un être humain, était vraiment paradisiaque, était le pur chant des anges pour moi qui, dans ces moments-là, sentais Albertine soustraite à tout, non pas seulement matériellement, mais moralement, Et dans ce souffle pourtant, je me disais tout à coup que peut-être bien des noms humains, apportés par la mémoire, devaient se jouer. Parfois même, à cette musique la voix humaine s′ajoutait. Albertine prononçait quelques mots. Comme j′aurais voulu en saisir le sens ! Il arrivait que le nom d′une personne dont nous avions parlé, et qui excitait ma jalousie vînt à ses lèvres, mais sans me rendre malheureux, car le souvenir qu′il y amenait semblait n′être que celui des conversations qu′elle avait eues à ce sujet avec moi. Pourtant, un soir où, les yeux fermés, elle s′éveillait à demi, elle dit tendrement en s′adressant à moi : « Andrée. » Je dissimulai mon émotion. « Tu rêves, je ne suis pas Andrée », lui dis-je en riant. Elle sourit aussi : « Mais non, je voulais te demander ce que t′avait dit tantôt Andrée. — J′aurais cru plutôt que tu avais été couchée comme cela près d′elle. — Mais non, jamais », me dit-elle. Seulement, avant de me répondre cela, elle avait un instant caché sa figure dans ses mains. Ses silences n′étaient donc que des voiles, ses tendresses de surface ne faisaient donc que retenir au fond mille souvenirs qui m′eussent déchiré, sa vie était donc pleine de ces faits dont le récit moqueur, la rieuse chronique constituent nos bavardages quotidiens au sujet des autres, des indifférents, mais qui, tant qu′un être reste fourvoyé dans notre cœur, nous semblent un éclaircissement si précieux de sa vie que, pour connaître ce monde sous-jacent, nous donnerions volontiers la nôtre. Alors son sommeil m′apparaissait comme un monde merveilleux et magique où par instant s′élève, du fond de l′élément à peine translucide, l′aveu d′un secret qu′on ne comprendra pas. Mais d′ordinaire, quand Albertine dormait, elle semblait avoir retrouvé son innocence. Dans l′attitude que je lui avais donnée, mais que dans son sommeil elle avait vite faite sienne, elle avait l′air de se confier à moi ! Sa figure avait perdu toute expression de ruse ou de vulgarité, et entre elle et moi, vers qui elle levait son bras, sur qui elle reposait sa main, il semblait y avoir un abandon entier, un indissoluble attachement. Son sommeil, d′ailleurs, ne la séparait pas de moi et laissait subsister en elle la notion de notre tendresse ; il avait plutôt pour effet d′abolir le reste ; je l′embrassais, je lui disais que j′allais faire quelques pas dehors, elle entr′ouvrait les yeux, me disait, d′un air étonné — et, en effet, c′était déjà la nuit : — « Mais où vas-tu comme cela, mon chéri ? », en me donnant mon prénom, et aussitôt se rendormait. Son sommeil n′était qu′une sorte d′effacement du reste de la vie, qu′un silence uni sur lequel prenaient de temps à autre leur vol des paroles familières de tendresse. En les rapprochant les unes des autres, on eût composé la conversation sans alliage, l′intimité secrète d′un pur amour. Ce sommeil si calme me ravissait comme ravit une mère, qui lui en fait une qualité, le bon sommeil de son enfant. Et son sommeil était d′un enfant, en effet. Son réveil aussi, et si naturel, si tendre, avant même qu′elle eût su où elle était, que je me demandais parfois avec épouvante si elle avait eu l′habitude, avant de vivre chez moi, de ne pas dormir seule et de trouver en ouvrant les yeux quelqu′un à ses côtés. Mais sa grâce enfantine était plus forte. Comme une mère encore, je m′émerveillais qu′elle s′éveillât toujours de si bonne humeur. Au bout de quelques instants, elle reprenait conscience, avait des mots charmants, non rattachés les uns aux autres, de simples pépiements. Par une sorte de chassé-croisé, son cou habituellement peu remarqué, maintenant presque trop beau, avait pris l′immense importance que ses yeux clos par le sommeil avaient perdue, ses yeux, mes interlocuteurs habituels et à qui je ne pouvais plus m′adresser depuis la retombée des paupières. De même que les yeux clos donnent une beauté innocente et grave au visage, en supprimant tout ce que n′expriment que trop les regards, il y avait dans les paroles, non sans signification, mais entrecoupées de silence, qu′Albertine avait au réveil, une pure beauté, qui n′est pas à tout moment souillée, comme est la conversation, d′habitudes verbales, de rengaines, de traces de défauts. Du reste, quand je m′étais décidé à éveiller Albertine, j′avais pu le faire sans crainte, je savais que son réveil ne serait nullement en rapport avec la soirée que nous venions de passer, mais sortirait de son sommeil comme de la nuit sort le matin. Dès qu′elle avait entr′ouvert les yeux en souriant, elle m′avait tendu sa bouche, et avant qu′elle eût encore rien dit, j′en avais goûté la fraîcheur, apaisante comme celle d′un jardin encore silencieux avant le lever du jour. Podía cogerle la cabeza, levantarla, posarla contra mis labios, rodear mi cuello con sus brazos; ella seguía durmiendo como un reloj que no se para, como una planta trepadora, un volubilis que sigue echando ramas con cualquier apoyo que se le dé. Sólo su aliento variaba con cada uno de mis toques, como si fuera un instrumento en el que ejecutara yo modulaciones sacando de una de sus cuerdas, de otra después, diferentes notas. Mis celos se calmaban, pues sentía a Albertina convertida en un ser que respira, que no es otra cosa, como lo indicaba el hálito regular con que se expresa esa pura función fisiológica que, toda fluida, no tiene ni el espesor de la palabra, ni el del silencio y, en su ignorancia de todo mal, aliento sacado de una caña hueca más que de un ser humano, verdaderamente paradisíaco para mí, que en aquellos momentos sentía a Albertina sustraída a todo no sólo materialmente, sino moralmente, era el puro canto de los ángeles. Y, sin embargo, me decía de pronto que en aquel aliento debían de sonar quizá muchos nombres humanos llamados por la memoria. Y aun a veces, a aquella música se añadía la voz humana. Albertina pronunciaba unas palabras. ¡Cuánto hubiera querido yo captar su sentido! Ocurría que a sus labios venía el nombre de una persona de la que habíamos hablado y que suscitaba mis celos, pero sin hacerme sufrir, pues el recuerdo que traía aquel nombre parecía no ser otro que el de las conversaciones que sobre él había tenido conmigo. Pero una noche, despertándose a medias, con los ojos cerrados, me dijo tiernamente dirigiéndose hacia mí: «Andrea». Disimulé mi emoción. -Estás soñando, yo no soy Andrea -le dije riendo. Ella sonrió también: -No, quería preguntarte qué te había dicho Andrea antes. -Yo habría creído más bien que habías estado como ahora acostada a su lado. -Pues no, nunca -me dijo. Pero antes de contestarme esto se tapó un momento la cara con las manos. Luego sus silencios no eran más que veladuras, luego sus cariños de superficie no hacían más que retener en el fondo mil recuerdos que me hubieran destrozado, luego su vida estaba llena de esos hechos cuyo relato burlón, cuya crónica humorística constituye nuestros cotilleos cotidianos sobre los demás, sobre los que nos son indiferentes, pero que cuando un ser no está bien claro en nuestro corazón, nos parecen un esclarecimiento tan precioso de su vida que por conocer ese mundo subyacente daríamos de buen grado la nuestra. Entonces veía su sueño como un mundo maravilloso y mágico en el que va surgiendo por momentos, desde el fondo del elemento apenas traslúcido, la confesión de un secreto que no entenderemos. Pero, generalmente, cuando Albertina dormía parecía haber recobrado su inocencia. En la actitud en que yo la había puesto, pero que en seguida ella hacía suya en el sueño, parecía confiarse a mí. Su semblante había perdido toda expresión de astucia o de vulgaridad, y entre ella y yo, levantado su brazo hacia mí, posada en mí su mano, parecía haber un completo abandono, una indisoluble unión. Su sueño no la separaba de mí y dejaba subsistir en ella la noción de nuestro cariño; más bien producía el efecto de abolir todo lo demás; yo la besaba, le decía que iba a dar una vuelta, ella entreabría los ojos y me decía sorprendida -y, en efecto, era ya de noche-: «Pero ¿adónde vas así, querido?» (llamándome por mi nombre de pila), y se volvía a dormir en seguida. Su sueño no era más que una especie de anulación del resto de la vida, nada más que un silencio compacto sobre el que, de cuando en cuando, emprendían el vuelo palabras familiares de cariño. Enlazando unas con otras, se hubiera compuesto la conversación sin mezcla, la intimidad secreta de un puro amor. Este sueño tan tranquilo me encantaba como encanta a una madre, que lo interpreta como una cualidad, el buen sueño de su niño. Y, en efecto, el sueño de Albertina era el sueño de un niño. También su despertar, y tan natural, tan tierno, incluso antes de que ella supiera dónde estaba, que a veces me preguntaba yo con espanto si Albertina había tenido la costumbre, antes de vivir en mi casa, de no dormir sola y de encontrar, al abrir los ojos, a alguien a su lado. Pero su gracia infantil era más fuerte. Yo me maravillaba, también como una madre, de que se despertara siempre de tan buen humor. Al cabo de unos momentos iba recobrando la conciencia, decía palabras encantadoras, no ligadas las unas a las otras, simple piar de pájaro. Por una especie de sustitución, su cuello, habitualmente poco notable, ahora casi demasiado bello, había tomado la inmensa importancia que sus ojos, cerrados por el sueño, habían perdido, sus ojos, mis interlocutores habituales y a los que, cerrados los párpados, ya no podía dirigirme. De la misma manera que los ojos cerrados dan al rostro una belleza inocente y grave suprimiendo lo que las miradas expresan demasiado, las palabras no sin significación, pero entrecortadas de silencio, que Albertina pronunciaba al despertar tenían una pura belleza no maculada a cada momento, como la conversación, con hábitos verbales, con muletillas, con huellas de defectos. Además, cuando me decidía a despertar a Albertina, podía hacerlo sin temor, pues sabía que su despertar no tendría ninguna relación con la velada que acabábamos de pasar, sino que surgiría de su sueño como de la noche surge la mañana. En cuanto abría los ojos sonriendo, me ofrecía su boca, y antes de que dijera nada, gustaba yo su frescor, sedante como el de un jardín todavía silencioso antes de salir el sol.
Le lendemain de cette soirée où Albertine m′avait dit qu′elle irait peut-être, puis qu′elle n′irait pas chez les Verdurin, je m′éveillai de bonne heure, et, encore à demi endormi, ma joie m′apprit qu′il y avait, interpolé dans l′hiver, un jour de printemps. Dehors, des thèmes populaires finement écrits pour des instruments variés, depuis la corne du raccommodeur de porcelaine, ou la trompette du rempailleur de chaises, jusqu′à la flûte du chevrier, qui paraissait dans un beau jour être un pâtre de Sicile, orchestraient légèrement l′air matinal, en une « ouverture pour un jour de fête ». L′ou ce sens délicieux, nous apporte la compagnie de la rue, dont elle nous retrace toutes les lignes, dessine toutes les formes qui y passent, nous en montrant la couleur. Les rideaux de fer du boulanger, du crémier, lesquels s′étaient hier abaissés le soir sur toutes les possibilités de bonheur féminin, se levaient maintenant comme les légères poulies d′un navire qui appareille et va filer, traversant la mer transparente, sur un rêve de jeunes employées. Ce bruit du rideau de fer qu′on lève eût peut-être été mon seul plaisir dans un quartier différent. Dans celui-ci cent autres faisaient ma joie, desquels je n′aurais pas voulu perdre un seul en restant trop tard endormi. C′est l′enchantement des vieux quartiers aristocratiques d′être, à côté de cela, populaires. Comme parfois les cathédrales en eurent non loin de leur portail (à qui il arriva même d′en garder le nom, comme celui de la cathédrale de Rouen, appelé des « Libraires », parce que contre lui ceux-ci exposaient en plein vent leur marchandise) divers petits métiers, mais ambulants, passaient devant le noble hôtel de Guermantes, et faisaient penser par moments à la France ecclésiastique d′autrefois. Car l′appel qu′ils lançaient aux petites maisons voisines n′avait, à de rares exceptions près, rien d′une chanson. Il en différait autant que la déclamation — à peine colorée par des variations insensibles — de Boris Godounow et de Pelléas ; mais d′autre part rappelait la psalmodie d′un prêtre au cours d′offices dont ces scènes de la rue ne sont que la contre-partie bon enfant, foraine, et pourtant à demi liturgique. Jamais je n′y avais pris tant de plaisir que depuis qu′Albertine habitait avec moi ; elles me semblaient comme un signal joyeux de son éveil et, en m′intéressant à la vie du dehors, me faisaient mieux sentir l′apaisante vertu d′une chère présence, aussi constante que je la souhaitais. Certaines des nourritures criées dans la rue, et que personnellement je détestais, étaient fort au goût d′Albertine, si bien que Françoise en envoyait acheter par son jeune valet, peut-être un peu humilié d′être confondu dans la foule plébéienne. Bien distincts dans ce quartier si tranquille (où les bruits n′étaient plus un motif de tristesse pour Françoise et en étaient devenus un de douceur pour moi) m′arrivaient, chacun avec sa modulation différente, des récitatifs déclamés par ces gens du peuple comme ils le seraient dans la musique, si populaire, de Boris, où une intonation initiale est à peine altérée par l′inflexion d′une note qui se penche sur une autre, musique de la foule, qui est plutôt un langage qu′une musique. C′était : « ah le bigorneau, deux sous le bigorneau », qui faisait se précipiter vers les cornets où on vendait ces affreux petits coquillages, qui, s′il n′y avait pas eu Albertine, m′eussent répugné, non moins d′ailleurs que les escargots que j′entendais vendre à la même heure. Ici c′était bien encore à la déclamation à peine lyrique de Moussorgsky que faisait penser le marchand, mais pas à elle seulement. Car après avoir presque « parlé » : « les escargots, ils sont frais, ils sont beaux », c′était avec la tristesse et le vague de Maeterlinck, musicalement transposés par Debussy, que le marchand d′escargots, dans un de ces douloureux finales par où l′auteur de Pelléas s′apparente à Rameau : « Si je dois être vaincue, est-ce à toi d′être mon vainqueur ? » ajoutait avec une chantante mélancolie : « On les vend six sous la douzaineÂ… » Al día siguiente de aquella noche en que Albertina me dijo que acaso iría y después que no iría a casa de los Verdurin, me desperté temprano y, todavía medio dormido, mi alegría me dijo que iba a hacer, interpolado en el invierno, un día de primavera. Fuera, los temas populares finamente escritos para instrumentos varios, desde la corneta del que arregla cacharros de cocina, o la trompeta del que pone asientos en las sillas, hasta la flauta del cabrero, que en un buen día parecía un pastor de Sicilia, orquestaban ligeramente el aire matinal, en una «obertura para un día de fiesta». El oído, ese sentido delicioso, nos trae la compañía de la calle, trazándonos todas sus líneas, dibujando todas las formas que por ella pasan, mostrándonos su color. Las «cortinas» de hierro del panadero, del lechero, que ayer se bajaron sobre todas las posibilidades de felicidad femenina, se alzaban ahora, como las ligeras poleas de un navío que apareja y se dispone a zarpar, atravesando el mar transparente, sobre un sueño de jóvenes empleadas. Este ruido de cortina que se levanta hubiera sido quizá mi único placer en un barrio diferente. En éste, otros cien me alegraban, otros cien de los que no hubiera querido perder ni uno quedándome dormido demasiado tiempo. En esto radica el encanto de los viejos barrios aristocráticos: en ser al mismo tiempo populares. Así como al lado de las catedrales había a veces, junto al pórtico, diversos pequeños oficios (y a veces conservaron el nombre de éstos, como el de la catedral de Ruan, llamado de los «Libreros», porque éstos exponían contra él, al aire libre, su mercancía), otros pequeños oficios, pero ambulantes, pasaban delante del noble hotel de Guermantes y recordaban a veces la Francia eclesiástica de otras épocas. Pues el gracioso pregón que lanzaban a las casitas vecinas no tenía, con raras excepciones, nada de una canción. Tanto como de la declamación -apenas esmaltada de insensibles variaciones- difería de Boris Godunov y de Pelléas; pero por otra parte recordaba la salmodia de un sacerdote de unas ceremonias que tienen en las escenas de la calle una contrapartida inocente, ferial, y, sin embargo, semilitúrgica. Nunca me habían gustado tanto aquellos pregones como desde que Albertina vivía conmigo; me parecían como una gozosa señal de su despertar e, interesándome en la vida de la calle, me hacían sentir mejor la sedante virtud de una presencia querida, tan constante como yo la deseaba. Algunos de los alimentos pregonados en la calle, y que yo personalmente detestaba, le gustaban mucho a Albertina, tanto que Francisca mandaba a comprarlos por el criadito, quizá un poco humillado de verse confundido con la multitud plebeya. En aquel barrio tan tranquilo (donde los ruidos no eran ya para Francisca un motivo de tristeza y lo eran de alegría para mí) me llegaban muy distintos, cada uno con su modulación diferente, unos recitativos declamados por aquella gente del pueblo como se declamarían en la música, tan popular, de Boris, donde una entonación inicial apenas es alterada por la inflexión de una nota que se inclina sobre otra música de la multitud que es más bien un lenguaje que una música. El pregón «¡A los buenos bígaros, dos perrillas el bígaro!» hacía que se precipitara la gente hacia los cucuruchos en que vendían esos horribles moluscos que, de no ser por Albertina, me hubieran repugnado, lo mismo que los caracoles que oía vender a la misma hora. También aquí el vendedor hacía pensar en la declamación apenas lírica de Musorgski, pero no solamente en ella. Pues después de decir en tono solamente «hablado»: «¡Caracoles, caracoles frescos, hermosos!», el vendedor de caracoles, con la tristeza y la vaguedad de Maeterlinck, musicalmente traspuestas por Debussy, en uno de esos dolorosos finales en que el autor de Pelléas se parece a Rameau: «Si yo he de ser vencido, ¿serás tú mi vencedor?», añadía con una cantarina melancolía: «A seis perrillas la docena...»
Il m′a toujours été difficile de comprendre pourquoi ces mots fort clairs étaient soupirés sur un ton si peu approprié, mystérieux, comme le secret qui fait que tout le monde a l′air triste dans le vieux palais où Mélisande n′a pas réussi à apporter la joie, et profond comme une pensée du vieillard Arkel qui cherche à proférer, dans des mots très simples, toute la sagesse et la destinée. Les notes mêmes sur lesquelles s′élève, avec une douceur grandissante, la voix du vieux roi d′Allemonde ou de Goland, pour dire : « On ne sait pas ce qu′il y a ici, cela peut paraître étrange, il n′y a peut-être pas d′événements inutiles », ou bien : « Il ne faut pas s′effrayer, c′était un pauvre petit être mystérieux, comme tout le monde », étaient celles qui servaient au marchand d′escargots pour reprendre, en une cantilène indéfinie : « On les vend six sous la douzaineÂ… » Mais cette lamentation métaphysique n′avait pas le temps d′expirer au bord de l′infini, elle était interrompue par une vive trompette. Cette fois il ne s′agissait pas de mangeailles, les paroles du libretto étaient : « Tond les chiens, coupe les chats, les queues et les oreilles. » Siempre me fue difícil comprender por qué estas palabras tan claras las suspiraba el hombre en un tono tan poco adecuado, misterioso como el secreto que pone a todo el mundo triste en el viejo palacio al que Melisanda no ha logrado llevar la alegría, y profundo como un pensamiento del anciano Arkel que procura proferir en palabras muy sencillas toda la sabiduría y el destino. Las mismas notas sobre las que se eleva, con creciente dulzura, la voz del viejo rey de Allemonde o de Golaud para decir: «No se sabe qué es lo que hay aquí. Esto puede parecer extraño. Acaso no hay acontecimientos inútiles», o bien: «No te asustes... Era un pobre ser misterioso, como todo el mundo», eran las notas que servían al vendedor de caracoles para repetir, en una cantilena indefinida: «A seis perrillas la docena...» Pero este lamento metafísico no tenía tiempo de expirar al borde del infinito, pues lo interrumpía por una aguda trompeta. Esta vez no se trataba de cosa de comer; las palabras del libreto eran: «Se esquilan perros, se pelan gatos, se cortan rabos y orejas».
Certes, la fantaisie, l′esprit de chaque marchand ou marchande, introduisaient souvent des variantes dans les paroles de toutes ces musiques que j′entendais de mon lit. Pourtant un arrêt rituel mettant un silence au milieu d′un mot, surtout quand il était répété deux fois, évoquait constamment le souvenir des vieilles églises. Dans sa petite voiture conduite par une ânesse, qu′il arrêtait devant chaque maison pour entrer dans les cours, le marchand d′habits, portant un fouet, psalmodiait : « Habits, marchand d′habits, haÂ… bits » avec la même pause entre les deux dernières syllabes d′habits que s′il eût entonné en plain-chant : « Per omnia saecula saeculoÂ… rum » ou : « Requiescat in paÂ… ce », bien qu′il ne dût pas croire à l′éternité de ses habits et ne les offrît pas non plus comme linceuls pour le suprême repos dans la paix. Et de même, comme les motifs commençaient à s′entre-croiser dès cette heure matinale, une marchande de quatre-saisons, poussant sa voiturette, usait pour sa litanie de la division grégorienne : Claro que la fantasía, el ingenio de cada vendedor o vendedora, solían introducir variantes en todas estas músicas que yo oía desde mi cama. Sin embargo, una interrupción ritual que ponía un silencio en medio de la palabra, sobre todo cuando se repetía dos veces, evocaba constantemente el recuerdo de las viejas iglesias. El vendedor de prendas de vestir, con su látigo, en su carrito conducido por una burra, que paraba delante de cada casa para entrar en los patios, salmodiaba: «Ropa, vendo ropa, ro... pa», con la misma pausa entre las dos sílabas de ropa que si estuviera entonando en pleno canto: per omnia saecula saeculo... rum o Requiescat in pa... ce, aunque no creyera en la eternidad de su ropa y no la ofreciera tampoco como sudarios para el supremo descanso en paz. Y de la misma manera, como los motivos comenzaban a entrecruzarse en aquella hora matinal, una verdulera, empujando su carretilla, se valía para su letanía de la división gregoriana:
À la tendresse, à la verduresse
Artichauts tendres et beaux
ArtiÂ… chauts,

bien qu′elle fût vraisemblablement ignorante de l′antiphonaire et des sept tons qui symbolisent, quatre les sciences du quadrivium et trois celles du trivium.
À la tendresse, à la verduresse
Artichauts tendres et beaux
ArtiÂ… chauts,

aunque seguramente ignoraba el antifoniario y los siete tonos que simbolizan, cuatro de ellos las ciencias del quadrivium y tres las del trivium.
Tirant d′un flûtiau, d′une cornemuse, des airs de son pays méridional dont la lumière s′accordait bien avec les beaux jours, un homme en blouse, tenant à la main un nerf de bœuf et coiffé d′un béret basque, s′arrêtait devant les maisons. C′était le chevrier avec deux chiens et, devant lui, son troupeau de chèvres. Comme il venait de loin il passait assez tard dans notre quartier ; et les femmes accouraient avec un bol pour recueillir le lait qui devait donner la force à leurs petits. Mais aux airs pyrénéens de ce bienfaisant pasteur se mêlait déjà la cloche du repasseur, lequel criait : « Couteaux, ciseaux, rasoirs. » Avec lui ne pouvait lutter le repasseur de scies, car, dépourvu d′instrument, il se contentait d′appeler : « Avez-vous des scies à repasser, v′là le repasseur », tandis que, plus gai, le rétameur, après avoir énuméré les chaudrons, les casseroles, tout ce qu′il étamait, entonnait le refrain : « Tam, tam, tam, c′est moi qui rétame, même le macadam, c′est moi qui mets des fonds partout, qui bouche tous les trous, trou, trou, trou » ; et de petits Italiens, portant de grandes boîtes de fer peintes en rouge où les numéros — perdants et gagnants — étaient marqués, et jouant d′une crécelle, proposaient : « Amusez-vous, mesdames, v′là le plaisir. » Sacando de un flautín o de una cornamusa unos aires de su país meridional, cuya luz rimaba bien con los días buenos, un hombre de blusa, llevando en la mano una correa de buey y tocado con una boina vasca, se paraba delante de las casas. Era el cabrero, con dos perros y, delante de él, su rebaño de cabras. Como venía de lejos, pasaba bastante tarde por nuestro barrio, y las mujeres acudían con un tazón para coger la leche que iba a fortalecer a sus pequeños. Pero a los sones pirenaicos de aquel benéfico pastor se mezclaba ya la campanilla del afilador, el cual gritaba: «¡Cuchillos, tijeras, navajas de afeitar!» Con él no podía luchar el afilador de sierras, pues éste, desprovisto de instrumento, se contentaba con gritar: «Tenéis sierras que afilar, el afilador», mientras que el estañador, más alegre, después de enumerar las calderas, las cacerolas, todo lo que estañaba, entonaba el refrán: Tam, tam, tam, C′est moi qui rétame, Même le macadam, C′est moi qui mets des fonds partout, Qui bouche tous les trous, Trou, trou, trou. Y unos italianos pequeños, con unas grandes cajas de hierro pintadas de rojo que llevaban marcados los números -perdedores y ganadores-, y tocando una carraca, proponían: «Diviértanse, señoras, aquí está la diversión».
Françoise m′apporta le Figaro. Un seul coup d′œil me permit de me rendre compte que mon article n′avait toujours pas passé. Elle me dit qu′Albertine demandait si elle ne pouvait pas entrer chez moi et me faisait dire qu′en tous cas elle avait renoncé à faire sa visite chez les Verdurin et comptait aller, comme je le lui avais conseillé, à la matinée « extraordinaire » du Trocadéro — ce qu′on appellerait aujourd′hui, en bien moins important toutefois, une matinée de gala — après une petite promenade à cheval qu′elle devait faire avec Andrée. Maintenant que je savais qu′elle avait renoncé à son désir, peut-être mauvais, d′aller voir Mme Verdurin, je dis en riant : « Qu′elle vienne », et je me dis qu′elle pouvait aller où elle voulait et que cela m′était bien égal. Je savais qu′à la fin de l′après-midi, quand viendrait le crépuscule, je serais sans doute un autre homme triste, attachant aux moindres allées et venues d′Albertine une importance qu′elles n′avaient pas à cette heure matinale et quand il faisait si beau temps. Car mon insouciance était suivie par la claire notion de sa cause, mais n′en était pas altérée. « Françoise m′a assuré que vous étiez éveillé et que je ne vous dérangerais pas », me dit Albertine en entrant. Et, comme avec celle de me faire froid en ouvrant sa fenêtre à un moment mal choisi, la plus grande peur d′Albertine était d′entrer chez moi quand je sommeillais : « J′espère que je n′ai pas eu tort, ajouta-t-elle. Je craignais que vous ne me disiez : « Quel mortel insolent vient chercher le trépas ? » Et elle rit de ce rire qui me troublait tant. Je lui répondis sur le même ton de plaisanterie : « Est-ce pour vous qu′est fait cet ordre si sévère ? » Et de peur qu′elle l′enfreignît jamais j′ajoutai : « Quoique je serais furieux que vous me réveilliez. — Je sais, je sais, n′ayez pas peur », me dit Albertine. Et pour adoucir j′ajoutai, en continuant à jouer avec elle la scène d′Esther, tandis que dans la rue continuaient les cris rendus tout à fait confus par notre conversation : « Je ne trouve qu′en vous je ne sais quelle grâce qui me charme toujours et jamais ne me lasse » (et à part moi je pensais : « si, elle me lasse bien souvent »). Et me rappelant ce qu′elle avait dit la veille, tout en la remerciant avec exagération d′avoir renoncé aux Verdurin, afin qu′une autre fois elle m′obéît de même pour telle ou telle chose, je dis : « Albertine, vous vous méfiez de moi qui vous aime et vous avez confiance en des gens qui ne vous aiment pas » (comme s′il n′était pas naturel de se méfier des gens qui vous aiment et qui seuls ont intérêt à vous mentir pour savoir, pour empêcher), et j′ajoutai ces paroles mensongères : « Vous ne croyez pas au fond que je vous aime, c′est drôle. En effet je ne vous adore pas. » Elle mentit à son tour en disant qu′elle ne se fiait qu′à moi, et fut sincère ensuite en assurant qu′elle savait bien que je l′aimais. Mais cette affirmation ne semblait pas impliquer qu′elle ne me crût pas menteur et l′épiant. Et elle semblait me pardonner, comme si elle eût vu là la conséquence insupportable d′un grand amour ou comme si elle-même se fût trouvée moins bonne. « Je vous en prie, ma petite chérie, pas de haute voltige comme vous avez fait l′autre jour. Pensez, Albertine, s′il vous arrivait un accident ! » Je ne lui souhaitais naturellement aucun mal. Mais quel plaisir si, avec ses chevaux, elle avait eu la bonne idée de partir je ne sais où, où elle se serait plu, et de ne plus jamais revenir à la maison. Comme cela eût tout simplifié qu′elle allât vivre heureuse ailleurs, je ne tenais même pas à savoir où. « Oh ! je sais bien que vous ne me survivriez pas quarante-huit heures, que vous vous tueriez. » Francisca me trajo Le Figaro. De una sola ojeada me di cuenta de que tampoco publicaba mi artículo. Me dijo que Albertina preguntaba si podía entrar en mi cuarto y me avisaba que, en todo caso, había renunciado a la visita a los Verdurin y pensaba ir, como yo le había aconsejado, a la función «extraordinaria» del Trocadero -lo que hoy se llamaría, con mucha menos importancia, sin embargo, una matinée de gala- después de un pequeño paseo a caballo que iba a dar con Andrea. Ahora que yo sabía que Albertina había renunciado a su deseo, tal vez malo, de ir a ver a madame Verdurin, dije riendo: «¡Que venga!, y pensé que podía ir donde quisiera y que me daba lo mismo. Sabía que al final de la tarde, al llegar el crepúsculo, sería seguramente otro hombre, triste, dando a las menores idas y venidas de Albertina una importancia que no tenían a esta hora matinal y cuando hacía tan buen tiempo. Pues a mi despreocupación seguía la clara noción de su causa, pero ésta no alteraba aquélla. -Francisca me dijo que estabas despierto y que no te molestaba -dijo Albertina al entrar. Y como el mayor temor de Albertina, junto con el de que yo tuviera frío al abrir ella su ventana en un momento inadecuado, era entrar en mi cuarto cuando estaba dormido, añadió-: Espero no haber hecho mal. Tenía miedo de que me dijeras: Quel mortel insolent vient chercher le trépas?8 8 «¿Qué insolente mortal viene a buscar su muerte Y se rió con aquella risa que tanto me alteraba. Le contesté en el mismo tono de broma: Est-ce pour vous qu′est fait cet ordre si sévère?9 Y por miedo de que la infringiera alguna vez, añadí: -Aunque me daría mucha rabia que me despertaras. -Ya lo sé, ya lo sé, no temas -me dijo Albertina. Y para dulcificar la cosa, añadí, siguiendo la representación con ella de la escena de Esther, mientras en la calle continuaban los pregones, muy confusos ahora por nuestra conversación: Je ne trouve qu′en vous je ne sais quelle grâce Qui me charme toujours et jamais ne me lasse10 (y pensaba para mí: «Sí, me cansa muy a menudo»). Y recordando lo que me había dicho la víspera, al mismo tiempo que le daba con exageración las gracias por haber renunciado a los Verdurin, le dije, para que otra vez me obedeciera también en alguna otra cosa: -Albertina, desconfías de mí, que te quiero, y tienes confianza en personas que no te quieren -como si no fuera natural desconfiar de las personas que nos quieren y que son las que tienen interés en mentirnos para saber, para impedir, y añadí estas palabras mentirosas-: En el fondo, no crees que te quiero, es curioso. En efecto, no te adoro. Albertina mintió a su vez al decirme que no se fiaba de nadie más que de mí, y después fue sincera al asegurar que sabía muy bien que la quería. Pero esta afirmación no parecía implicar que no creyera que yo mentía y que la espiaba. Y sabía perdonarme, como si viera en ello la consecuencia insoportable de un gran amor o como si ella misma se encontrara menos buena. -Por favor, niña mía, nada de alardes ecuestres como el otro día. ¡Figúrate, Albertina, si te ocurriera un accidente! No le deseaba, naturalmente, ningún mal. Pero ¡qué suerte si se le ocurriera un día la buena idea de partir con sus caballos a cualquier sitio, que le gustara aquel sitio y no volviera nunca más a casa! ¡Cómo se simplificaría todo si se fuera a vivir, dichosa, lejos, sin que a mí me interesara siquiera saber dónde! -¡Oh!, estoy segura de que no me sobrevivirías ni cuarenta y ocho horas, de que te matarías.
Ainsi échangeâmes-nous des paroles menteuses. Mais une vérité plus profonde que celle que nous dirions si nous étions sincères peut quelquefois être exprimée et annoncée par une autre voie que celle de la sincérité. « Cela ne vous gêne pas, tous ces bruits du dehors ? me demanda-t-elle, moi je les adore. Mais vous qui avez déjà le sommeil si léger ! » Je l′avais, au contraire, parfois très profond (comme je l′ai déjà dit, mais comme l′événement qui va suivre me force à le rappeler), et surtout quand je m′endormais seulement le matin. Comme un tel sommeil a été — en moyenne — quatre fois plus reposant, il paraît à celui qui vient de dormir avoir été quatre fois plus long, alors qu′il fut quatre fois plus court. Magnifique erreur d′une multiplication par seize, qui donne tant de beauté au réveil et introduit dans la vie une véritable novation, pareille à ces grands changements de rythmes qui en musique font que, dans un andante, une croche contient autant de durée qu′une blanche dans un prestissimo, et qui sont inconnus à l′état de veille. La vie y est presque toujours la même, d′où les déceptions du voyage. Il semble bien que le rêve soit fait, pourtant, avec la matière la plus grossière de la vie, mais cette matière y est traitée, malaxée de telle sorte, avec un étirement dû à ce qu′aucune des limites horaires de l′état de veille ne l′empêche de s′effiler jusqu′à des hauteurs énormes, qu′on ne la reconnaît pas. Les matins où cette fortune m′était advenue, où le coup d′éponge du sommeil avait effacé de mon cerveau les signes des occupations quotidiennes qui y sont tracés comme sur un tableau noir, il me fallait faire revivre ma mémoire ; à force de volonté on peut rapprendre ce que l′amnésie du sommeil ou d′une attaque a fait oublier et qui renaît peu à peu au fur et à mesure que les yeux s′ouvrent ou que la paralysie disparaît. J′avais vécu tant d′heures en quelques minutes que, voulant tenir à Françoise que j′appelais un langage conforme à la réalité et réglé sur l′heure, j′étais obligé d′user de tout mon pouvoir interne de compression pour ne pas dire : « Eh bien Françoise, nous voici à cinq heures du soir et je ne vous ai pas vue depuis hier après-midi. » Et pour refouler mes rêves, en contradiction avec eux et en me mentant à moi-même, je disais effrontément, et en me réduisant de toutes mes forces au silence, des paroles contraires : « Françoise il est bien dix heures ! » Je ne disais même pas dix heures du matin, mais simplement dix heures, pour que ces « dix heures » si incroyables eussent l′air prononcées d′un ton plus naturel. Pourtant dire ces paroles, au lieu de celles que continuait à penser le dormeur à peine éveillé que j′étais encore, me demandait le même effort d′équilibre qu′à quelqu′un qui, sautant d′un train en marche et courant un instant le long de la voie, réussit pourtant à ne pas tomber. Il court un instant parce que le milieu qu′il quitte était un milieu animé d′une grande vitesse, et très dissemblable du sol inerte auquel ses pieds ont quelque difficulté à se faire. Así fuimos cruzando palabras mentirosas. Pero una ver dad más profunda que la que diríamos si fuéramos sinceros podemos a veces expresarla y anunciarla por una vía que no es la de la sinceridad. -¿No te molestan todos esos ruidos de fuera? -me preguntó-. A mí me encantan, pero a ti que tienes el sueño tan ligero... A veces lo tenía muy profundo (como ya he dicho, pero lo que va a seguir me obliga a recordarlo), y sobre todo cuando no me dormía hasta la madrugada. Como un sueño de éstos es, por término medio, cuatro veces más reparador, al que se despierta de él le parece que ha sido cuatro veces más largo, cuando ha sido cuatro veces más corto. Magnífico 9 ?» «¿Acaso para ti se dio orden tan severa?» 10 «Solamente en ti encuentro la indefinible gracia 1 que siempre me embelesa y que jamás me cansa.» error de una multiplicación por dieciséis, que tanta belleza da al despertar e introduce en la vida una verdadera innovación, parecida a esos grandes cambios de ritmo musical en virtud de los cuales una corchea contiene en un andante tanta duración como una blanca en un prestissimo, y que en el estado de vigilia son desconocidos. En ella, la vida es casi siempre la misma, de aquí las decepciones del viaje. Sin embargo, parece que el sueño esté hecho a veces con la materia más grosera de la vida, pero, en él, esta materia está «tratada», trabajada de tal modo -con un alargamiento debido a que ninguno de los límites horarios del estado de vigilia le impide llegar a alturas insólitas- que no se la reconoce. Las mañanas en que me tocaba esta fortuna, en que la esponja del sueño había borrado de mi cerebro los signos de las ocupaciones cotidianas trazados en él como en una pizarra, tenía que hacer revivir mi memoria; a fuerza de voluntad podemos recuperar lo que la amnesia del sueño o un ataque nos ha hecho olvidar y que va renaciendo poco a poco a medida que abrimos los ojos o que desaparece la parálisis. Llamaba a Francisca y quería hablarle en un lenguaje adecuado a la realidad y al momento, pero había vivido tantas horas en unos instantes que tenía que recurrir a todo mi poder interno de comprensión para no decir: «Bueno, Francisca, son las cinco de la tarde y no la he visto desde ayer». Y para dominar mis sueños, en contradicción con ellos y mintiéndome a mí mismo, y obligándome con todas mis fuerzas al silencio, decía descaradamente palabras contrarias: «¡Francisca, son las diez!» Ni siquiera decía las diez de la mañana, sino simplemente las diez, para que aquellas «diez» tan increíbles pareciesen pronunciadas en un tono más natural. Sin embargo, decir estas palabras, en lugar de las que seguía pensando el durmiente apenas despertado que yo era todavía, me exigía el mismo esfuerzo de equilibrio que a una persona que, saltando de un tren en marcha y corriendo un momento a lo largo de la vía, lograra no caerse. Corre un momento porque el medio que deja era un medio animado de gran velocidad y muy diferente de este otro suelo inerte, al que a sus pies les es difícil acostumbrarse.
De ce que le monde du rêve n′est pas le monde de la veille, il ne s′ensuit pas que le monde de la veille soit moins vrai ; au contraire. Dans le monde du sommeil, nos perceptions sont tellement surchargées, chacune épaissie par une superposée qui la double, l′aveugle inutilement, que nous ne savons même pas distinguer ce qui se passe dans l′étourdissement du réveil : était-ce Françoise qui était venue, ou moi qui, las de l′appeler, allais vers elle ? Le silence à ce moment-là était le seul moyen de ne rien révéler, comme au moment où l′on est arrêté par un juge instruit de circonstances vous concernant, mais dans la confidence desquelles on n′a pas été mis. Était-ce Françoise qui était venue, était-ce moi qui avais appelé ? N′était-ce même pas Françoise qui dormait, et moi qui venais de l′éveiller ? bien plus, Françoise n′était-elle pas enfermée dans ma poitrine, la distinction des personnes et leur interaction existant à peine dans cette brune obscurité où la réalité est aussi peu translucide que dans le corps d′un porc-épic et où la perception quasi nulle peut peut-être donner l′idée de celle de certains animaux ? Au reste, même dans la limpide folie qui précède ces sommeils plus lourds, si des fragments de sagesse flottent lumineusement, si les noms de Taine, de George Eliot n′y sont pas ignorés, il n′en reste pas moins au monde de la veille cette supériorité d′être, chaque matin, possible à continuer, et non chaque soir le rêve. Mais il est peut-être d′autres mondes plus réels que celui de la veille. Encore avons-nous vu que, même celui-là, chaque révolution dans les arts le transforme, et bien plus, dans le même temps, le degré d′aptitude ou de culture qui différencie un artiste d′un sot ignorant. Del hecho de que el mundo del sueño no sea el mundo de la vigilia no se deduce que el mundo de la vigilia sea menos verdadero, al contrario. En el mundo del sueño, nuestras percepciones están tan sobrecargadas, expresada cada una por otra superpuesta que la duplica y la ciega inútilmente, que, en el aturdimiento del despertar, ni siquiera sabemos distinguir lo que pasa; ¿había venido Francisca, o era que yo, cansado de llamarla, iba a buscarla? En aquel momento el silencio era el único medio de no revelar nada, como en el momento en que nos detiene un juez enterado de circunstancias que nos conciernen, pero de las que no nos informan. ¿Había venido Francisca?, ¿la había llamado yo? E incluso, ¿no sería Francisca quien dormía y yo quien acababa de despertarla? Más aún, ¿no estaba Francisca encerrada en mi pecho, pues la distinción de las personas y su interacción apenas existen en esa parda oscuridad donde la realidad es tan poco traslúcida como en el cuerpo de un puercoespín y donde la percepción puede quizá dar idea de la de ciertos animales? Por otra parte, hasta en la límpida locura que precede a esos sueños más pesados, si flotan luminosamente unos fragmentos de sentido, si no se ignoran los nombres de Taire, de George Eliot, no por eso deja de tener el mundo de la vigilia esa superioridad de poder continuar el sueño cada mañana, y no cada noche. Pero acaso hay otros mundos más reales que el de la vigilia. Y aun hemos visto que hasta éste, cada revolución en las artes le transforma, mucho más, en el mismo tiempo, el grado de aptitud o de cultura que diferencia a un artista de un necio ignorante.
Et souvent une heure de sommeil de trop est une attaque de paralysie après laquelle il faut retrouver l′usage de ses membres, apprendre à parler. La volonté n′y réussirait pas. On a trop dormi, on n′est plus. Le réveil est à peine senti mécaniquement, et sans conscience, comme peut l′être dans un tuyau la fermeture d′un robinet. Une vie plus inanimée que celle de la méduse succède, où l′on croirait aussi bien qu′on est tiré du fond des mers ou revenu du bagne, si seulement l′on pouvait penser quelque chose. Mais alors, du haut du ciel la déesse Mnémotechnie se penche et nous tend sous la forme : « habitude de demander son café au lait » l′espoir de la résurrection. Y con frecuencia una hora de sueño de más es un ataque de parálisis después del cual hay que recuperar el uso de los miembros, aprender de nuevo a hablar. La voluntad no lo conseguiría. Hemos dormido demasiado, ya no somos. El despertar lo sentimos apenas mecánicamente, y sin conciencia, como quizá en una tubería el cierre de un grifo. Sucede una vida más inanimada que la de la medusa, una vida en la que, suponiendo que pudiéramos pensar algo, nos parecería salir del fondo de los mares o volver de presidio. Pero entonces, desde lo alto del cielo, se inclina sobre nosotros la diosa Mnemotecnia y nos tiende, en forma de «hábito de pedir el café con leche», la esperanza de la resurrección.
Encore le don subit de la mémoire n′est-il pas toujours aussi simple. On a souvent près de soi, dans ces premières minutes où l′on se laisse glisser au réveil, une variété de réalités diverses où l′on croit pouvoir choisir comme dans un jeu de cartes. C′est vendredi matin et on rentre de promenade, ou bien c′est l′heure du thé au bord de la mer. L′idée du sommeil et qu′on est couché en chemise de nuit est souvent la dernière qui se présente à vous. Â…
La résurrection ne vient pas tout de suite ; on croit avoir sonné, on ne l′a pas fait, on agite des propos déments. Le mouvement seul rend la pensée, et quand on a effectivement pressé la poire électrique, on peut dire avec lenteur mais nettement : « Il est bien dix heures, Françoise, donnez-moi mon café au lait. » Ô miracle ! Françoise n′avait pu soupçonner la mer d′irréel qui me baignait encore tout entier et à travers laquelle j′avais eu l′énergie de faire passer mon étrange question. Elle me répondait en effet : « Il est dix heures dix. » Ce qui me donnait une apparence raisonnable et me permettait de ne pas laisser apercevoir les conversations bizarres qui m′avaient interminablement bercé, les jours où ce n′était pas une montagne de néant qui m′avait retiré la vie. À force de volonté, je m′étais réintégré dans le réel. Je jouissais encore des débris du sommeil, c′est-à-dire de la seule invention, du seul renouvellement qui existe dans la manière de conter, toutes les narrations à l′état de veille, fussent-elles embellies par la littérature, ne comportant pas ces mystérieuses différences d′où dérive la beauté. Il est aisé de parler de celle que crée l′opium. Mais pour un homme habitué à ne dormir qu′avec des drogues, une heure inattendue de sommeil naturel découvrira l′immensité matinale d′un paysage aussi mystérieux et plus frais. En faisant varier l′heure, l′endroit où on s′endort, en provoquant le sommeil d′une manière artificielle, ou au contraire en revenant pour un jour au sommeil naturel — le plus étrange de tous pour quiconque a l′habitude de dormir avec des soporifiques — on arrive à obtenir des variétés de sommeil mille fois plus nombreuses que, jardinier, on n′obtiendrait de variétés d′œillets ou de roses. Les jardiniers obtiennent des fleurs qui sont des rêves délicieux, d′autres aussi qui ressemblent à des cauchemars. Quand je m′endormais d′une certaine façon, je me réveillais grelottant, croyant que j′avais la rougeole ou, chose bien plus douloureuse, que ma grand′mère (à qui je ne pensais plus jamais) souffrait parce que je m′étais moqué d′elle le jour où, à Balbec, croyant mourir, elle avait voulu que j′eusse une photographie d′elle. Vite, bien que réveillé, je voulais aller lui expliquer qu′elle ne m′avait pas compris. Mais, déjà, je me réchauffais. Le pronostic de rougeole était écarté et ma grand′mère si éloignée de moi qu′elle ne faisait plus souffrir mon cœur. Parfois sur ces sommeils différents s′abattait une obscurité subite. J′avais peur en prolongeant ma promenade dans une avenue entièrement noire, où j′entendais passer des rôdeurs. Tout à coup une discussion s′élevait entre un agent et une de ces femmes qui exerçaient souvent le métier de conduire et qu′on prend de loin pour de jeunes cochers. Sur son siège entouré de ténèbres je ne la voyais pas, mais elle parlait, et dans sa voix je lisais les perfections de son visage et la jeunesse de son corps. Je marchais vers elle, dans l′obscurité, pour monter dans son coupé avant qu′elle ne repartît. C′était loin. Heureusement, la discussion avec l′agent se prolongeait. Je rattrapais la voiture encore arrêtée. Cette partie de l′avenue s′éclairait de réverbères. La conductrice devenait visible. C′était bien une femme, mais vieille, grande et forte, avec des cheveux blancs s′échappant de sa casquette, et une lèpre rouge sur la figure. Je m′éloignais en pensant : « En est-il ainsi de la jeunesse des femmes ? Celles que nous avons rencontrées, si, brusquement, nous désirons les revoir, sont-elles devenues vieilles ? La jeune femme qu′on désire est-elle comme un emploi de théâtre où, par la défaillance des créatrices du rôle, on est obligé de le confier à de nouvelles étoiles ? Mais alors ce n′est plus la même. » La resurrección no llega en seguida; creemos haber llamado, no lo hemos hecho, se trata de ideas demenciales. Sólo el movimiento restablece el pensamiento, y cuando hemos apretado de verdad la pera eléctrica, podemos decir con lentitud, pero claramente: «Son las diez. Francisca, tráigame el café con leche.» ¡Oh milagro! Francisca no podía sospechar el mar de irrealidad que me bañaba todavía todo entero y a través del cual había tenido la energía de hacer pasar mi extraña pregunta. Pues me contestaba: «Son las diez», lo que me daba una apariencia razonable y me permitía no dejar notar las extrañas conversaciones que me habían mecido interminablemente (los días en que no era una montaña de vacío que me quitaba toda vida). A fuerza de voluntad, me reintegraba a la realidad. Gozaba todavía de los restos del sueño, es decir, de la única invención, de la única renovación que existe en la manera de contar, pues ninguna narración en estado de vigilia, aunque sea embellecida por la literatura, tiene esas misteriosas diferencias de las que nace la belleza. Es fácil hablar de la que crea el opio. Mas para un hombre habituado a no dormir sino con drogas, una hora inesperada de sueño natural descubrirá la inmensidad matinal de un paisaje no menos misterioso y más lozano. Variando la hora, el lugar donde dormimos, provocando el sueño de una manera artificial, o, al contrario, volviendo por un día al sueño natural -el más extraño de todos para quien tiene el hábito de dormir con soporíferos-, se llega a obtener variedades de sueño mil veces más numerosas que las que obtendría un floricultor de claveles o de rosas. Los floricultores obtienen flores que son sueños deliciosos, también otras que parecen pesadillas. Cuando me dormía de cierta manera, me despertaba tiritando, creyendo que tenía el sarampión o, lo que era más doloroso aún, que mi abuela (en la que ya no pensaba nunca) sufría porque me había burlado de ella un día en que, en Balbec, creyendo que se iba a morir, quiso que yo tuviese una fotografía suya. En seguida, aunque despierto, quería ir a explicarle que no me había entendido. Pero ya no tiritaba. Quedaba descartado el pronóstico de sarampión, y mi abuela tan alejada de mí que ya no hacía sufrir a mi corazón. A veces, una oscuridad súbita se abatía sobre estos sueños diferentes. Yo tenía miedo prolongando mi paseo en una avenida completamente oscura, por la que oía pasar rondadores. De pronto surgía una discusión entre un guardia y una de esas mujeres que solían ejercer el oficio de conducir y que, de lejos, tomamos por jóvenes cocheros. En su pescante rodeado de tinieblas yo no la veía, pero ella hablaba y en su voz leía yo las perfecciones de su rostro y la juventud de su cuerpo. Avanzaba hacia ella en la oscuridad para subir a su carruaje antes de que reanudara la marcha. Estaba lejos. Afortunadamente, se prolongaba la discusión con el guardia. Yo alcanzaba el coche, todavía parado. Esta parte de la avenida estaba alumbrada con reverberos. Ahora la conductora era visible. Desde luego era una mujer, pero vieja, alta y gorda, con un pelo blanco que se salía del gorro y una erupción roja en la cara. Me alejaba pensando: «¿Ocurre esto con la juventud de las mujeres? Si de pronto deseamos volver a ver a las que hemos conocido, ¿son ya viejas? ¿Acaso la mujer que deseamos es como un papel de teatro que cuando decaen sus creadoras hay que encomendarlo a nuevas estrellas? Pero entonces ya no es la misma.»
Puis une tristesse m′envahissait. Nous avons ainsi dans notre sommeil de nombreuses Pitiés, comme les « Pieta » de la Renaissance, mais non point comme elles exécutées dans le marbre, inconsistantes au contraire. Elles ont leur utilité cependant, qui est de nous faire souvenir d′une certaine vue plus attendrie, plus humaine des choses, qu′on est trop tenté d′oublier dans le bon sens glacé, parfois plein d′hostilité, de la veille. Ainsi m′était rappelée la promesse que je m′étais faite, à Balbec de garder toujours la pitié de Françoise. Et pour toute cette matinée au moins je saurais m′efforcer de ne pas être irrité des querelles de Françoise et du maître d′hôtel, d′être doux avec Françoise à qui les autres donnaient si peu de bonté. Cette matinée seulement, et il faudrait tâcher de me faire un code un peu plus stable ; car, de même que les peuples ne sont pas longtemps gouvernés par une politique de pur sentiment, les hommes ne le sont pas par le souvenir de leurs rêves. Déjà celui-ci commençait à s′envoler. En cherchant à me le rappeler pour le peindre je le faisais fuir plus vite. Mes paupières n′étaient plus aussi fortement scellées sur mes yeux. Si j′essayais de reconstituer mon rêve, elles s′ouvriraient tout à fait. À tout moment il faut choisir entre la santé, la sagesse d′une part, et de l′autre les plaisirs spirituels. J′ai toujours eu la lâcheté de choisir la première part. Au reste, le périlleux pouvoir auquel je renonçais l′était plus encore qu′on ne le croit. Les pitiés, les rêves ne s′envolent pas seuls. À varier ainsi les conditions dans lesquelles on s′endort ce ne sont pas les rêves seuls qui s′évanouissent ; mais pour de longs jours, pour des années quelquefois, la faculté non seulement de rêver mais de s′endormir. Le sommeil est divin mais peu stable, le plus léger choc le rend volatil. Ami des habitudes, elles le retiennent chaque soir, plus fixes que lui, à son lieu consacré, elles le préservent de tout heurt ; mais si on les déplace, s′il n′est plus assujetti, il s′évanouit comme une vapeur. Il ressemble à la jeunesse et aux amours, on ne le retrouve plus. Y me invadía la tristeza. Resulta, pues, que en nuestro sueño tenemos numerosas Piedades, como las Pietà del Renacimiento, pero no ejecutadas en mármol como ellas, al contrario: inconsistentes. Sin embargo, tienen su utilidad, la de hacernos recordar cierta visión de las cosas más tierna, más humana, visión que tendemos demasiado a olvidar en la cordura gélida, a veces llena de hostilidad, de la víspera. Así me hicieron recordar a mí la promesa que a mí mismo me hiciera, en Balbec, de conservar siempre la compasión por Francisca. Y al menos durante toda esta mañana me esforzaría por no irritarme con las querellas de Francisca y del mayordomo del hotel, por ser bueno con Francisca, a quien tan poca bondad dedicaban los otros. Esta mañana solamente, y tendría que procurar hacerme una ley más estable; pues así como los pueblos no son mucho tiempo gobernados por una política de puro sentimiento, los hombres no se gobiernan por el recuerdo de sus sueños. Ya aquél comenzaba a esfumarse. Procurando recordarle para pintarle, le hacía huir más de prisa. Mis párpados no estaban ya tan fuertemente cerrados sobre mis ojos. Si intentaba reconstruir mi sueño, se abrirían por completo. En todo momento hay que elegir entre la salud, la cordura por una parte y los goces espirituales por otra. Yo he tenido siempre la cobardía de elegir la primera parte. Por lo demás, el peligroso poder a que renunciaba lo era más aún de lo que se cree. Las compasiones, los sueños, no se esfuman solos. Al variar las condiciones en las que nos hemos dormido, no se desvanecen solamente los sueños, sino también, por muchos días, a veces por años, la facultad no sólo de soñar, sino de dormir. El dormir es divino, pero poco estable; el más ligero choque lo volatiliza. Amigo del hábito, éste le retiene cada noche, más fijo que él, en su lugar consagrado, le preserva de todo choque; pero si le cambian de lugar, si ya no está sujeto, se desvanece como el humo. Es como la juventud y como los amores, que no se recuperan.
Dans ces divers sommeils, comme en musique encore, c′était l′augmentation ou la diminution de l′intervalle qui créait la beauté. Je jouissais d′elle mais, en revanche, j′avais perdu dans ce sommeil, quoique bref, une bonne partie des cris où nous est rendue sensible la vie circulante des métiers, des nourritures de Paris. Aussi, d′habitude (sans prévoir, hélas ! le drame que de tels réveils tardifs et mes lois draconiennes et persanes d′Assuérus racinien devaient bientôt amener pour moi) je m′efforçais de m′éveiller de bonne heure pour ne rien perdre de ces cris. En estos diversos sueños, también como en música, era el aumento o la disminución del intervalo lo que creaba la belleza. Yo gozaba de ella, pero en cambio había perdido en ese sueño, aunque breve, una parte de los pregones en los que se nos hace sensible la vida circulante de los oficios, de los alimentos de París. Por eso (sin prever, por desgracia, el drama que iban a traer para mí aquellos despertares tardíos y mis dispersas leyes draconianas de Asuero raciniano) generalmente me esforzaba por despertarme temprano para no perder nada de aquellos pregones.
En plus du plaisir de savoir le goût qu′Albertine avait pour eux et de sortir moi-même tout en restant couché, j′entendais en eux comme le symbole de l′atmosphère du dehors, de la dangereuse vie remuante au sein de laquelle je ne la laissais circuler que sous ma tutelle, dans un prolongement extérieur de la séquestration, et d′où je la retirais à l′heure que je voulais pour rentrer auprès de moi. Aussi fut-ce le plus sincèrement du monde que je pus répondre à Albertine : « Au contraire, ils me plaisent parce que je sais que vous les aimez. — À la barque, les huîtres, à la barque. — Oh ! des huîtres, j′en ai si envie ! » Heureusement, Albertine, moitié inconstance, moitié docilité, oubliait vite ce qu′elle avait désiré, et avant que j′eusse eu le temps de lui dire qu′elle les aurait meilleures chez Prunier, elle voulait successivement tout ce qu′elle entendait crier par la marchande de poissons : « À la crevette, à la bonne crevette, j′ai de la raie toute en vie, toute en vie. — Merlans à frire, à frire. — Il arrive le maquereau, maquereau frais, maquereau nouveau. — Voilà le maquereau, mesdames, il est beau le maquereau. — À la moule fraîche et bonne, à la moule ! » Malgré moi, l′avertissement : « Il arrive le maquereau » me faisait frémir. Mais comme cet avertissement ne pouvait s′appliquer, me semblait-il, à notre chauffeur, je ne songeais qu′au poisson que je détestais, mon inquiétude ne durait pas. « Ah ! des moules, dit Albertine, j′aimerais tant manger des moules. — Mon chéri ! c′était pour Balbec, ici ça ne vaut rien ; d′ailleurs, je vous en prie, rappelez-vous ce que vous a dit Cottard au sujet des moules. » Mais mon observation était d′autant plus malencontreuse que la marchande des quatre-saisons suivante annonçait quelque chose que Cottard défendait bien plus encore : Aparte el placer de saber lo que le gustaban a Albertina y de salir yo mismo sin dejar de permanecer acostado, veía en ellos como el símbolo de la atmósfera de la calle, de la peligrosa vida bulliciosa en la que yo no la dejaba circular sino bajo mi tutela, en una prolongación exterior del secuestro, y de donde la retiraba a la hora que quería para hacerla volver a mi lado. Por eso pude contestar a Albertina con la mayor sinceridad del mundo: -Al contrario, me gustan porque sé que te gustan a ti. «¡Ostras en el barco, ostras! » -¡Ostras, qué ganas tenía de ellas! Por fortuna, Albertina, mitad por inconstancia, mitad por docilidad, olvidaba pronto lo que había deseado, y sin darme tiempo a decirle que las tendría mejores en Prunier, quería sucesivamente todo lo que pregonaba la pescadera: «¡Quisquillas, a las buenas quisquillas; llevo raya viva, vivita y coleando!... ¡Bacaladillos de freír!... ¡Caballas, caballas frescas, fresquitas, qué ricas las caballas, señoras!... ¡Mejillones, mejillones frescos, mejillones!... » Sin poder evitarlo, el pregón de la llegada de las caballas me hacía estremecerme. Pero como este anuncio no se podía aplicar, me parecía, a nuestro chófer, yo no pensaba más que en el pez que detestaba, y mi inquietud era pasajera. -¡Mejillones -dijo Albertina-, cómo me gustaría comer mejillones! -Pero, querida, eso es bueno para Balbec, aquí no valen nada; además, acuérdate de lo que te dijo Cottard de los mejillones. Pero mi observación resultaba más inoportuna porque la siguiente vendedora ambulante pregonaba una cosa que Cottard prohibía mucho más aún:
À la romaine, à la romaine !{BR> On ne la vend pas, on la promène.
À la romaine, à la romaine !{BR> On ne la vend pas, on la promène.
Pourtant Albertine me consentait le sacrifice de la romaine pourvu que je lui promisse de faire acheter, dans quelques jours, à la marchande qui crie : « J′ai de la belle asperge d′Argenteuil, j′ai de la belle asperge. » Une voix mystérieuse, et de qui l′on eût attendu des propositions plus étranges, insinuait : « Tonneaux, tonneaux. » On était obligé de rester sur la déception qu′il ne fût question que de tonneaux, car ce mot même était presque entièrement couvert par l′appel : « Vitri, vitri-er, carreaux cassés, voilà le vitrier, vitri-er », division grégorienne qui me rappela moins cependant la liturgie que ne fit l′appel du marchand de chiffons, reproduisant sans le savoir une de ces brusques interruptions de sonorité, au milieu d′une prière, qui sont assez fréquentes sur le rituel de l′Église : « Praeceptis salutaribus moniti et divina institutione formati audemus dicere », dit le prêtre en terminant vivement sur « dicere ». Sans irrévérence, comme le peuple pieux du moyen âge, sur le parvis même de l′église, jouait les farces et les soties, c′est à ce « dicere » que fait penser ce marchand de chiffons, quand, après avoir traîné sur les mots, il dit la dernière syllabe avec une brusquerie digne de l′accentuation réglée par le grand pape du viie siècle : « Chiffons, ferrailles à vendre » (tout cela psalmodié avec lenteur ainsi que ces deux syllabes qui suivent, alors que la dernière finit plus vivement que « dicere »), « peaux d′ la-pins. — La Valence, la belle Valence, la fraîche orange. » Les modestes poireaux eux-mêmes : « Voilà d′beaux poireaux », les oignons : « Huit sous mon oignon », déferlaient pour moi comme un écho des vagues où, libre, Albertine eût pu se perdre, et prenaient ainsi la douceur d′un « suave mari magno ». « Voilà des carottes à deux ronds la botte. — Oh ! s′écria Albertine, des choux, des carottes, des oranges. Voilà rien que des choses que j′ai envie de manger. Faites-en acheter par Françoise. Elle fera les carottes à la crème. Et puis ce sera gentil de manger tout ça ensemble. Ce sera tous ces bruits que nous entendons, transformés en un bon repas. Pero Albertina me hacía el sacrificio de la lechuga romana con tal que a los pocos días mandara a comprarle a la vendedora que pregona: «¡A los buenos espárragos de Argenteuil, a los buenos espárragos!» Una voz misteriosa, y de la que se hubieran esperado ofertas más extrañas, insinuaba: «¡Barriles, barriles!» Teníamos que quedarnos en la decepción de que no se tratara más que de barriles, pues esta palabra quedaba enteramente cubierta por el pregón: «¡Vidri, vidri-ero, cristales rotos, el vidriero, el vidri-ero!», división gregoriana que, sin embargo, me recordó la liturgia menos de lo que me la recordaba el trapero, reproduciendo sin saberlo una de esas bruscas interrupciones de la sonoridad en medio de una plegaria tan frecuentes en el ritual de la Iglesia: Praeceptis salutaribus moniti et divina institutione formati, audemus dicere, dijo el sacerdote terminando bruscamente en el dicere. Sin irreverencia, así como el pueblo piadoso de la Edad Media, en el recinto mismo de la iglesia, representaba las farsas y los pasos, en este dicere hace pensar el trapero cuando, después de retornear las palabras, emite la última sílaba con una brusquedad digna de la acentuación reglamentada por el gran papa del siglo vii: «Se compran trapos, chatarra -todo esto salmodiado con lentitud, así como las dos silabas siguientes, mientras que la última acaba más bruscamente que dicere-, pieles de co-nejo». «Valencia, la bella Valencia, la fresca naranja», hasta los modestos puerros («¡a los buenos puerros!»), cebollas («¡a ocho perrillas las cebollas!») desfilaban para mí como un eco de las olas en que Albertina, libre, hubiera podido perderse, y adquirían así la dulzura de un Suave mari magno. Voilà des carottes A deux ronds la botte. -¡Oh -exclamó Albertina-, repollos, zanahorias, naranjas...! Todo son cosas que tengo ganas de comer. Manda a Francisca a comprarlas. Pondrá las zanahorias con salsa blanca. ¡Y qué bueno comer todo eso junto! Será todos esos pregones que escuchamos transformados en una buena comida.
— Ah ! je vous en prie, demandez à Françoise de faire plutôt une raie au beurre noir. C′est si bon ! — Ma petite chérie, c′est convenu, ne restez pas ; sans cela c′est tout ce que poussent les marchandes de quatre-saisons que vous demanderez. — C′est dit, je pars, mais je ne veux plus jamais pour nos dîners que des choses dont nous aurons entendu le cri. C′est trop amusant. Et dire qu′il faut attendre encore deux mois pour que nous entendions : « Haricots verts et tendres, haricots, v′là l′haricot vert. » Comme c′est bien dit : Tendres haricots ! vous savez que je les veux tout fins, tout fins, ruisselants de vinaigrette ; on ne dirait pas qu′on les mange, c′est frais comme une rosée. Hélas ! c′est comme pour les petits cœurs à la crème, c′est encore bien loin : « Bon fromage à la cré, à la cré, bon fromage. » Et le chasselas de Fontainebleau : « J′ai du beau chasselas. » Et je pensais avec effroi à tout ce temps que j′aurais à rester avec elle jusqu′au temps du chasselas. « Écoutez, je dis que je ne veux plus que les choses que nous aurons entendu crier, mais je fais naturellement des exceptions. Aussi il n′y aurait rien d′impossible à ce que je passe chez Rebattet commander une glace pour nous deux. Vous me direz que ce n′est pas encore la saison, mais j′en ai une envie ! » Je fus agité par le projet de Rebattet, rendu plus certain et suspect pour moi à cause des mots : « il n′y aurait rien d′impossible. » C′était le jour où les Verdurin recevaient, et depuis que Swann leur avait appris que c′était la meilleure maison, c′était chez Rebattet qu′ils commandaient glaces et petits fours. « Je ne fais aucune objection à une glace, mon Albertine chérie, mais laissez-moi vous la commander, je ne sais pas moi-même si ce sera chez Poiré-Blanche, chez Rebattet, au Ritz, enfin je verrai. — Vous sortez donc ? », me dit-elle d′un air méfiant. Elle prétendait toujours qu′elle serait enchantée que je sortisse davantage, mais si un mot de moi pouvait laisser supposer que je ne resterais pas à la maison, son air inquiet donnait à penser que la joie qu′elle aurait à me voir sortir sans cesse, n′était peut-être pas très sincère. « Je sortirai peut-être, peut-être pas, vous savez bien que je ne fais jamais de projets d′avance. En tous les cas, les glaces ne sont pas une chose qu′on crie, qu′on pousse dans les rues, pourquoi en voulez-vous ? » Et alors elle me répondit par ces paroles qui me montrèrent en effet combien d′intelligence et de goût latent s′étaient brusquement développés en elle depuis Balbec, par ces paroles du genre de celles qu′elle prétendait dues uniquement à mon influence, à la constante cohabitation avec moi, ces paroles que, pourtant, je n′aurais jamais dites, comme si quelque défense m′était faite par quelqu′un d′inconnu de jamais user dans la conversation de formes littéraires. Peut-être l′avenir ne devait-il pas être le même pour Albertine et pour moi. J′en eus presque le pressentiment en la voyant se hâter d′employer, en parlant, des images si écrites et qui me semblaient réservées pour un autre usage plus sacré et que j′ignorais encore. Elle me dit (et je fus, malgré tout, profondément attendri car je pensai : certes je ne parlerais pas comme elle, mais, tout de même, sans moi elle ne parlerait pas ainsi, elle a subi profondément mon influence, elle ne peut donc pas ne pas m′aimer, elle est mon œuvre) : « Ce que j′aime dans ces nourritures criées, c′est qu′une chose entendue comme une rhapsodie change de nature à table et s′adresse à mon palais. Pour les glaces (car j′espère bien que vous ne m′en commanderez que prises dans ces moules démodés qui ont toutes les formes d′architecture possible), toutes les fois que j′en prends, temples, églises, obélisques, rochers, c′est comme une géographie pittoresque que je regarde d′abord et dont je convertis ensuite les monuments de framboise ou de vanille en fraîcheur dans mon gosier. » Je trouvais que c′était un peu trop bien dit, mais elle sentit que je trouvais que c′était bien dit et elle continua, en s′arrêtant un instant, quand sa comparaison était réussie, pour rire de son beau rire qui m′était si cruel parce qu′il était si voluptueux : « Mon Dieu, à l′hôtel Ritz je crains bien que vous ne trouviez des colonnes Vendôme de glace, de glace au chocolat ou à la framboise, et alors il en faut plusieurs pour que cela ait l′air de colonnes votives ou de pylônes élevés dans une allée à la gloire de la Fraîcheur. Ils font aussi des obélisques de framboise qui se dresseront de place en place dans le désert brûlant de ma soif et dont je ferai fondre le granit rose au fond de ma gorge qu′elles désaltéreront mieux que des oasis (et ici le rire profond éclata, soit de satisfaction de si bien parler, soit par moquerie d′elle-même de s′exprimer par images si suivies, soit, hélas ! par volupté physique de sentir en elle quelque chose de si bon, de si frais, qui lui causait l′équivalent d′une jouissance). Ces pics de glace du Ritz ont quelquefois l′air du mont Rose, et même, si la glace est au citron, je ne déteste pas qu′elle n′ait pas de forme monumentale, qu′elle soit irrégulière, abrupte, comme une montagne d′Elstir. Il ne faut pas qu′elle soit trop blanche alors, mais un peu jaunâtre, avec cet air de neige sale et blafarde qu′ont les montagnes d′Elstir. La glace a beau ne pas être grande, qu′une demi-glace si vous voulez, ces glaces au citron-là sont tout de même des montagnes réduites à une échelle toute petite, mais l′imagination rétablit les proportions, comme pour ces petits arbres japonais nains qu′on sent très bien être tout de même des cèdres, des chênes, des mancenilliers ; si bien qu′en en plaçant quelques-uns le long d′une petite rigole, dans ma chambre, j′aurais une immense forêt descendant vers un fleuve et où les petits enfants se perdraient. De même, au pied de ma demi-glace jaunâtre au citron, je vois très bien des postillons, des voyageurs, des chaises de poste sur lesquels ma langue se charge de faire rouler de glaciales avalanches qui les engloutiront (la volupté cruelle avec laquelle elle dit cela excita ma jalousie) ; de même, ajouta-t-elle, que je me charge avec mes lèvres de détruire, pilier par pilier, ces églises vénitiennes d′un porphyre qui est de la fraise et de faire tomber sur les fidèles ce que j′aurai épargné. Oui, tous ces monuments passeront de leur place de pierre dans ma poitrine où leur fraîcheur fondante palpite déjà. Mais tenez, même sans glaces, rien n′est excitant et ne donne soif comme les annonces des sources thermales. À Montjouvain, chez Mlle Vinteuil, il n′y avait pas de bon glacier dans le voisinage, mais nous faisions dans le jardin notre tour de France en buvant chaque jour une autre eau minérale gazeuse, comme l′eau de Vichy qui, dès qu′on la verse, soulève des profondeurs du verre un nuage blanc qui vient s′assoupir et se dissiper si on ne boit pas assez vite. » Mais entendre parler de Montjouvain m′était trop pénible, je l′interrompais. « Je vous ennuie, adieu, mon chéri. » Quel changement depuis Balbec où je défie Elstir lui-même d′avoir pu deviner en Albertine ces richesses de poésie, d′une poésie moins étrange, moins personnelle que celle de Céleste Albaret par exemple. Jamais Albertine n′aurait trouvé ce que Céleste me disait ; mais l′amour, même quand il semble sur le point de finir, est partial. Je préférais la géographie pittoresque des sorbets, dont la grâce assez facile me semblait une raison d′aimer Albertine et une preuve que j′avais du pouvoir sur elle, qu′elle m′aimait. «¡A la raya viva, vivita!» -¡Anda, dile a Francisca que haga más bien raya au beurre noir!, ¡es tan bueno! -Bien, hijita, vete. Si no, vas a pedir todo lo que llevan los vendedores ambulantes -Pues sí, me voy, pero no quiero que comamos nunca más que cosas que hayamos oído pregonar. Es divertidísimo. Lástima que tengamos que esperar todavía dos meses para oír: «Judías verdes y tiernas, judías verdes!» Qué bien lo dicen: judías tiernas. Ya sabes que me gustan muy finas, muy finas, chorreando vinagreta; no parecen cosa de comer, son como rocío. Como los corazoncitos a la crema, todavía tardarán mucho: «¡Al buen queso a la cre, queso a la cre, al buen queso!» Y las uvas de Fontainebleau: «¡Llevo uvas dulces! » Y yo pensaba con espanto en todo el tiempo que tendría que pasar con ella hasta la época de las uvas. -Oye, te he dicho que no quiero más que las cosas que hayamos oído pregonar, pero, claro, hago excepciones. De modo que no sería imposible que pase por Rebattet a encargar un helado para nosotros dos. Dirás que todavía no es el tiempo, pero tengo unas ganas de helado... Me perturbó aquel proyecto de Rebattet, más cierto y sospechoso para mí por las palabras «no sería imposible». Era el día en que recibían los Verdurin, y desde que Swann les dijera que Rebattet era la mejor casa encargaban allí los helados ylos pasteles. -No me opongo a un helado, querida Albertina, pero déjame que lo encargue yo, no sé si será en Poiré-Blanche, en Rebattet o en el Ritz, ya veremos. -¿Es que vas a salir? -me preguntó con aire de desconfianza. Siempre decía que le gustaría mucho que saliese más, pero si yo decía una palabra dando a entender que no me iba a quedar en casa, su visible inquietud hacía pensar que no era quizá muy sincera su alegría de verme salir mucho. -Puede que salga o puede que no, ya sabes que no hago nunca proyectos de antemano. En todo caso, los helados no los pregonan en la calle, ¿por qué los quieres? Me contestó con palabras que me demostraban cómo se habían desarrollado de pronto en ella, desde Balbec, una inteligencia y un gusto latente, palabras que ella decía debidas únicamente a mi influencia, a la constante cohabitación conmigo, palabras que, sin embargo, yo no habría dicho jamás, como si algún desconocido me hubiera prohibido usar nunca en la conversación formas literarias. Acaso el futuro no iba a ser el mismo para Albertina y para mí. Tuve casi el presentimiento de esto al ver cómo se apresuraba a emplear, hablando, unas imágenes tan escritas y que me parecían reservadas para otro uso más sagrado y que yo ignoraba todavía. Me dijo (y a pesar de todo me conmovió, pues pensaba: cierto que yo no hablaría como ella, pero, por otra parte, ella no hablaría así sin mí, ha recibido profundamente mi influencia, de modo que no puede no amarme, es mi obra): -Lo que me gusta en esas cosas de comer pregonadas es que una cosa oída como una rapsodia cambia de naturaleza en la mesa y se dirige a mi paladar. Y los helados (pues espero que me los encargarás en esos moldes antiguos que tienen todas las formas de arquitectura imaginables), cada vez que los tomo, sean templos, iglesias, obeliscos, rocas, es como mirar una geografía pintoresca y después convertir los monumentos de frambuesa o de vainilla en frescor en mi garganta. A mí me parecía aquello demasiado bien dicho, pero ella notó que le parecía bien dicho y continuó, deteniéndose un poco, cuando hacía una buena comparación, para soltar aquella hermosa risa suya que tanto me dolía por ser tan voluptuosa. -Pero en el hotel Ritz temo que no encuentres columnas Vendôme de helado de chocolate o de frambuesa, y entonces hacen falta varios para que parezcan columnas votivas o pilares elevados en un paseo a la gloria del Frescor. Hacen también obeliscos de frambuesa que se alzarán de tramo en tramo en el desierto ardiente de mi ser y cuyo granito rosa se fundirá en el fondo de mi garganta, apagando su sed mejor que lo hiciera un oasis -y aquí estalló la risa profunda, bien de satisfacción de hablar tan bien, bien por burla de ella misma por expresarse en imágenes tan seguidas, bien, ¡ay!, por voluptuosidad física de sentir en ella algo tan bueno, tan fresco, que le causaba el equivalente de un goce-. Esos picos de hielo del Ritz parecen a veces el monte Rosa, y hasta no me disgusta, si el helado es de limón, que no tenga forma de monumento, que sea irregular, abrupto, como una montaña de Elstir. Entonces no debe ser demasiado blanco, sino un poco amarillento, con esa apariencia de nieve sucia y blanducha que tienen las montañas de Elstir. Aunque el helado no sea muy grande, aunque sea medio helado, esos helados de limón son siempre montañas reducidas a una escala muy pequeña, pero la imaginación restablece las proporciones, como en esos árboles japoneses enanos que, enanos y todo, notamos que son cedros, encinas, manzanillos, de tal manera que poniendo algunos a lo largo de un canalito, en mi cuarto, tendría un inmenso bosque descendiendo hacia un río y en el que se perderían los niños. Y al pie de mi medio helado amarillento de limón, veo muy bien postillones, viajeros, sillas de posta por las que mi lengua se encarga de hacer rodar unos aludes de nieve que se las tragarán -la voluptuosidad cruel con que decía aquello me dio celos-; y también -añadió- que me encargo de destruir con mis labios, columna por columna, esas iglesias venecianas de un pórfido que es fresa y de derribar sobre los fieles las que dejara en pie. Sí, todos esos monumentos pasarán de su lugar de piedra a mi pecho, donde palpita ya su licuado frescor. Pero mira, aun sin helados, nada tan excitante y que dé tanta sed como los anuncios de las fuentes termales. En Montjouvain, en casa de mademoiselle Vinteuil, no vendían buenos helados cerca, pero dábamos en el jardín la vuelta a Francia bebiendo cada día un agua mineral gaseosa distinta, como el agua de Vichy, que al echarla en el vaso levanta en sus profundidades una nube blanca que se duerme y se disipa si no bebemos en seguida. Pero oírla hablar de Montjouvain me era demasiado penoso, y la interrumpí. -Te estoy aburriendo; adiós, querido. ¡Qué cambio desde Balbec, cuando yo desafié al mismo Elstir por haber podido adivinar en Albertina aquellas riquezas de poesía, de una poesía extraña, menos personal que la de Celeste Albaret, por ejemplo! Albertina no hubiera encontrado nunca lo que Celeste me decía; pero el amor, incluso cuando parece a punto de acabar, es parcial. Yo prefería la geografía pintoresca de los sorbetes, cuya gracia bastante fácil me parecía una razón para amar a Albertina y una prueba de que yo ejercía un poder sobre ella, de que me amaba.
Une fois Albertine sortie, je sentis quelle fatigue était pour moi cette présence perpétuelle, insatiable de mouvement et de vie, qui troublait mon sommeil par ses mouvements, me faisait vivre dans un refroidissement perpétuel par les portes qu′elle laissait ouvertes, me forçait — pour trouver des prétextes qui justifiassent de ne pas l′accompagner, sans pourtant paraître trop malade, et d′autre part pour la faire accompagner — à déployer chaque jour plus d′ingéniosité que Shéhérazade. Malheureusement si, par une même ingéniosité, la conteuse persane retardait sa mort, je hâtais la mienne. Il y a ainsi dans la vie certaines situations qui ne sont pas toutes créées, comme celle-là, par la jalousie amoureuse et une santé précaire qui ne permet pas de partager la vie d′un être actif et jeune, mais où tout de même le problème de continuer la vie en commun ou de revenir à la vie séparée d′autrefois se pose d′une façon presque médicale : auquel des deux sortes de repos faut-il se sacrifier (en continuant le surmenage quotidien, ou en revenant aux angoisses de l′absence ?) à celui du cerveau ou à celui du cœur ? Cuando Albertina se marchaba, me daba cuenta de la fatiga que era para mí aquella presencia perpetua, insaciable de movimiento y de vida, que me turbaba el sueño con sus movimientos, que me hacía vivir en un enfriamiento perpetuo por las puertas que dejaba abiertas, que -para encontrar pretextos que justificasen el no acompañarla, sin parecer enfermo, y por otra parte para que alguien la acompañara- me obligaba a desplegar cada día más ingenio que Shehrazada. Desgraciadamente, si la condesa persa retardaba su muerte con un ardid ingenioso, yo, con el mismo, apresuraba la mía. Hay así en la vida ciertas situaciones que no todas son creadas, como ésta, por los celos amorosos y una salud precaria que no permite compartir la vida de un ser activo y joven, pero en las que, sin embargo, el problema de continuar la vida en común o de volver a la vida separada de antes se plantea de una manera casi médica: hay que sacrificarse a dos clases de reposo (continuando la fatiga cotidiana o volviendo a las angustias de la ausencia) -¿al del cerebro o al del corazón?
J′étais, en tous cas, bien content qu′Andrée accompagnât Albertine au Trocadéro, car de récents et d′ailleurs minuscules incidents faisaient qu′ayant, bien entendu, la même confiance dans l′honnêteté du chauffeur, sa vigilance, ou du moins la perspicacité de sa vigilance, ne me semblait plus tout à fait aussi grande qu′autrefois. C′est ainsi que, tout dernièrement, ayant envoyé Albertine seule avec lui à Versailles, Albertine m′avait dit avoir déjeuné aux Réservoirs ; comme le chauffeur m′avait parlé du restaurant Vatel, le jour où je relevai cette contradiction je pris un prétexte pour descendre parler au mécanicien (toujours le même, celui que nous avons vu à Balbec) pendant qu′Albertine s′habillait. « Vous m′avez dit que vous aviez déjeuné à Vatel, Mlle Albertine me parle des Réservoirs. Qu′est-ce que cela veut dire ? » Le mécanicien me répondit : « Ah ! j′ai dit que j′avais déjeuné au Vatel, mais je ne peux pas savoir où Mademoiselle a déjeuné. Elle m′a quitté en arrivant à Versailles pour prendre un fiacre à cheval, ce qu′elle préfère quand ce n′est pas pour faire de la route. » Déjà j′enrageais en pensant qu′elle avait été seule ; enfin ce n′était que le temps de déjeuner. « Vous auriez pu, dis-je d′un air de gentillesse (car je ne voulais pas paraître faire positivement surveiller Albertine, ce qui eût été humiliant pour moi, et doublement, puisque cela eût signifié qu′elle me cachait ses actions), déjeuner, je ne dis pas avec elle, mais au même restaurant ? — Mais elle m′avait demandé d′être seulement à six heures du soir à la Place d′Armes. Je ne devais pas aller la chercher à la sortie de son déjeuner. — Ah ! » fis-je en tâchant de dissimuler mon accablement. Et je remontai. Ainsi c′était plus de sept heures de suite qu′Albertine avait été seule, livrée à elle-même. Je savais bien, il est vrai, que le fiacre n′avait pas été un simple expédient pour se débarrasser de la surveillance du chauffeur. En ville, Albertine aimait mieux flâner en fiacre, elle disait qu′on voyait bien, que l′air était plus doux. Malgré cela elle avait passé sept heures sur lesquelles je ne saurais jamais rien. Et je n′osais pas penser à la façon dont elle avait dû les employer. Je trouvai que le mécanicien avait été bien maladroit, mais ma confiance en lui fut désormais complète. Car s′il eût été le moins du monde de mèche avec Albertine, il ne m′eût jamais avoué qu′il l′avait laissée libre de onze heures du matin à six heures du soir. Il n′y aurait eu qu′une autre explication, mais absurde, de cet aveu du chauffeur. C′est qu′une brouille entre lui et Albertine lui eût donné le désir, en me faisant une petite révélation, de montrer à mon amie qu′il était homme à parler et que si, après le premier avertissement tout bénin, elle ne marchait pas droit selon ce qu′il voulait, il mangerait carrément le morceau. Mais cette explication était absurde ; il fallait d′abord supposer une brouille inexistante entre Albertine et lui, et ensuite donner une nature de maître-chanteur à ce beau mécanicien qui s′était toujours montré si affable et si bon garçon. Dès le surlendemain, du reste, je vis que, plus que je ne l′avais cru un instant dans ma soupçonneuse folie, il savait exercer sur Albertine une surveillance discrète et perspicace. Car ayant pu le prendre à part et lui parler de ce qu′il m′avait dit de Versailles, je lui disais d′un air amical et dégagé : « Cette promenade à Versailles dont vous me parliez avant-hier, c′était parfait comme cela, vous avez été parfait comme toujours. Mais à titre de petite indication, sans importance du reste, j′ai une telle responsabilité depuis que Mme Bontemps a mis sa nièce sous ma garde, j′ai tellement peur des accidents, je me reproche tant de ne pas l′accompagner, que j′aime mieux que ce soit vous, vous tellement sûr, si merveilleusement adroit, à qui il ne peut pas arriver d′accident, qui conduisiez partout Mlle Albertine. Comme cela je ne crains rien. » Le charmant mécanicien apostolique sourit finement, la main posée sur sa roue en forme de croix de consécration. Puis il me dit ces paroles qui (chassant les inquiétudes de mon cœur où elles furent aussitôt remplacées par la joie) me donnèrent envie de lui sauter au cou : « N′ayez crainte, me dit-il. Il ne peut rien lui arriver car, quand mon volant ne la promène pas, mon œil la suit partout. À Versailles, sans avoir l′air de rien j′ai visité la ville pour ainsi dire avec elle. Des Réservoirs, elle est allée au Château, du Château aux Trianons, toujours moi la suivant sans avoir l′air de la voir, et le plus fort c′est qu′elle ne m′a pas vu. Oh ! elle m′aurait vu, ç′aurait été un petit malheur. C′était si naturel qu′ayant toute la journée devant moi à rien faire je visite aussi le Château. D′autant plus que Mademoiselle n′a certainement pas été sans remarquer que j′ai de la lecture et que je m′intéresse à toutes les vieilles curiosités (c′était vrai, j′aurais même été surpris si j′avais su qu′il était ami de Morel, tant il dépassait le violoniste en finesse et en goût). Mais enfin elle ne m′a pas vu. — Elle a dû rencontrer, du reste, des amies car elle en a plusieurs à Versailles. — Non, elle était toujours seule. — On doit la regarder alors, une jeune fille éclatante et toute seule ! — Sûr qu′on la regarde, mais elle n′en sait quasiment rien ; elle est tout le temps les yeux dans son guide, puis levés sur les tableaux. » Le récit du chauffeur me sembla d′autant plus exact que c′était, en effet, une « carte » représentant le Château et une autre représentant les Trianons qu′Albertine m′avait envoyées le jour de sa promenade. L′attention avec laquelle le gentil chauffeur en avait suivi chaque pas me toucha beaucoup. Comment aurais-je supposé que cette rectification — sous forme d′ample complément à son dire de l′avant-veille — venait de ce qu′entre ces deux jours Albertine, alarmée que le chauffeur m′eût parlé, s′était soumise, avait fait la paix avec lui. Ce soupçon ne me vint même pas. Il est certain que ce récit du mécanicien, en m′ôtant toute crainte qu′Albertine m′eût trompé, me refroidit tout naturellement à l′égard de mon amie et me rendit moins intéressante la journée qu′elle avait passée à Versailles. Je crois pourtant que les explications du chauffeur, qui, en innocentant Albertine, me la rendaient encore plus ennuyeuse, n′auraient peut-être pas suffi à me calmer si vite. Deux petits boutons que, pendant quelques jours, mon amie eut au front réussirent peut-être mieux encore à modifier les sentiments de mon cœur. Enfin ceux-ci se détournèrent encore plus d′elle (au point de ne me rappeler son existence que quand je la voyais) par la confidence singulière que me fit la femme de chambre de Gilberte, rencontrée par hasard. J′appris que, quand j′allais tous les jours chez Gilberte, elle aimait un jeune homme qu′elle voyait beaucoup plus que moi. J′en avais eu un instant le soupçon à cette époque, et même j′avais alors interrogé cette même femme de chambre. Mais comme elle savait que j′étais épris de Gilberte, elle avait nié, juré que jamais Mlle Swann n′avait vu ce jeune homme. Mais maintenant, sachant que mon amour était mort depuis si longtemps, que depuis des années j′avais laissé toutes ses lettres sans réponse — et peut-être aussi parce qu′elle n′était plus au service de la jeune fille — d′elle-même elle me raconta tout au long l′épisode amoureux que je n′avais pas su. Cela lui semblait tout naturel. Je crus, me rappelant ses serments d′alors, qu′elle n′avait pas été au courant. Pas du tout, c′est elle-même, sur l′ordre de Mme Swann, qui allait prévenir le jeune homme dès que celle que j′aimais était seule. Que j′aimais alorsÂ… Mais je me demandai si mon amour d′autrefois était aussi mort que je le croyais, car ce récit me fut pénible. Comme je ne crois pas que la jalousie puisse réveiller un amour mort, je supposai que ma triste impression était due, en partie du moins, à mon amour-propre blessé, car plusieurs personnes que je n′aimais pas, et qui à cette époque, et même un peu plus tard — cela a bien changé depuis — affectaient à mon endroit une attitude méprisante, savaient parfaitement, pendant que j′étais amoureux de Gilberte, que j′étais dupe. Et cela me fit même me demander rétrospectivement si dans mon amour pour Gilberte il n′y avait pas eu une part d′amour-propre, puisque je souffrais tant maintenant de voir que toutes les heures de tendresse qui m′avaient rendu si heureux étaient connues pour une véritable tromperie de mon amie à mes dépens, par des gens que je n′aimais pas. En tous cas, amour ou amour-propre, Gilberte était presque morte en moi, mais pas entièrement, et cet ennui acheva de m′empêcher de me soucier outre mesure d′Albertine, qui tenait une si étroite partie dans mon cœur. Néanmoins, pour en revenir à elle (après une si longue parenthèse) et à sa promenade à Versailles, les cartes postales de Versailles (peut-on donc avoir ainsi simultanément le cœur pris en écharpe par deux jalousies entre-croisées se rapportant chacune à une personne différente ?) me donnaient une impression un peu désagréable chaque fois qu′en rangeant des papiers mes yeux tombaient sur elles. Et je songeais que, si le mécanicien n′avait pas été un si brave homme, la concordance de son deuxième récit avec les « cartes » d′Albertine n′eût pas signifié grand′chose, car qu′est-ce qu′on vous envoie d′abord de Versailles sinon le Château et les Trianons, à moins que la carte ne soit choisie par quelque raffiné, amoureux d′une certaine statue, ou par quelque imbécile élisant comme vue la station du tramway à chevaux ou la gare des Chantiers ? Encore ai-je tort de dire un imbécile, de telles cartes postales n′ayant pas toujours été achetées par l′un d′eux au hasard, pour l′intérêt de venir à Versailles. Pendant deux ans les hommes intelligents, les artistes trouvèrent Sienne, Venise, Grenade, une scie, et disaient du moindre omnibus, de tous les wagons : « Voilà qui est beau. » Puis ce goût passa comme les autres. Je ne sais même pas si on n′en revint pas au « sacrilège qu′il y a de détruire les nobles choses du passé ». En tous cas, un wagon de première classe cessa d′être considéré a priori comme plus beau que Saint-Marc de Venise. On disait pourtant : « C′est là qu′est la vie, le retour en arrière est une chose factice », mais sans tirer de conclusion nette. À tout hasard, et tout en faisant pleine confiance au chauffeur, et pour qu′Albertine ne pût pas le plaquer sans qu′il osât refuser par crainte de passer pour espion, je ne la laissai plus sortir qu′avec le renfort d′Andrée, alors que pendant un temps le chauffeur m′avait suffi. Je l′avais même laissée alors (ce que je n′aurais plus osé faire depuis) s′absenter pendant trois jours, seule avec le chauffeur, et aller jusqu′auprès de Balbec, tant elle avait envie de faire de la route sur simple châssis, en grande vitesse. Trois jours où j′avais été bien tranquille, bien que la pluie de cartes qu′elle m′avait envoyée ne me fût parvenue, à cause du détestable fonctionnement de ces postes bretonnes (bonnes l′été, mais sans doute désorganisées l′hiver), que huit jours après le retour d′Albertine et du chauffeur, si vaillants que, le matin même de leur retour, ils reprirent, comme si de rien n′était, leur promenade quotidienne. J′étais ravi qu′Albertine allât aujourd′hui au Trocadéro, à cette matinée « extraordinaire », mais surtout rassuré qu′elle y eût une compagne, Andrée. En todo caso, yo estaba muy contento de que Andrea acompañara a Albertina al Trocadero; por algunos accidentes recientes, y minúsculos por lo demás, aunque teniendo la misma confianza en la honradez del chófer, su vigilancia, o al menos la perspicacia de su vigilancia, ya no me parecía tan grande como antes. Hacía poco, un día que mandé a Albertina sola con él a Versalles, Albertina me dijo que había almorzado en el Réservoirs; como el chófer me había hablado del restaurante Vatel, cuando observé esta contradicción busqué un pretexto para bajar a hablar al mecánico (siempre el mismo, el que vimos en Balbec) mientras Albertina se vestía. -Me dijo usted que habían almorzado en Vatel, y la señorita Albertina me habla del Réservoirs. ¿Qué significa eso? El mecánico me contestó: -Bueno, yo dije que había almorzado en Vatel, pero no puedo saber dónde almorzó la señorita. Me dejó al llegar a Versalles para tomar un coche de caballos, que lo prefiere cuando no es para ir por carretera. Yo estaba muerto de rabia pensando que había estado sola; pero era ya hora de almorzar. -Podía usted -le dije amablemente, pues no quería que se viera mi propósito de hacer vigilar a Albertina, lo que sería humillante para mí, y doblemente, pues eso significaba que ella me ocultaba lo que hacía- haber almorzado, no digo que con ella, pero en el mismo restaurante. -Pero me dijo que no estuviera hasta las seis de la tarde en la Plaza de Armas. No tenía que ir a buscarla a la salida del almuerzo -¡Ah! -exclamé procurando disimular mi disgusto. Y subí. De modo que Albertina había estado más de siete horas sola, entregada a sí misma. Verdad es que yo sabía bien que el fiacre no habría sido un simple medio de librarse de la vigilancia del chófer. Pero de todos modos había pasado siete horas de las que yo no sabría nunca nada. Y no me atrevía a pensar en cómo las había empleado. Me parecía que el mecánico había sido muy torpe, pero desde entonces tuve en él una confianza absoluta. Pues a poco de acuerdo que hubiera estado con Albertina, nunca me habría dicho que la había dejado libre desde las once de la mañana hasta las seis de la tarde. Sólo cabía una explicación, pero absurda, de aquella confesión del chófer: que un enfado entre él y Albertina le moviera a demostrar a mi amiga, haciéndome a mí una pequeña revelación, que era hombre capaz de hablar y que si, después de la primera y muy benigna advertencia, no andaba derecha a gusto de él, hablaría claro. Pero esta explicación era absurda; había que empezar por suponer un enfado inexistente entre Albertina y él, y después atribuir una índole de chantajista a aquel buen mecánico que siempre había sido tan afable y tan buen muchacho. Además, al día siguiente vi que, contra lo que yo creí por un momento en mi desconfiada locura, sabía ejercer sobre Albertina una vigilancia discreta y perspicaz. Pues hablándole a solas de lo que me había dicho de Versalles, le dije en un tono amistoso y como sin darle importancia: -Ese paseo a Versalles de que me habló antes de ayer estuvo muy bien, usted se condujo perfectamente, como siempre. Pero, como una pequeña indicación sin importancia, le diré que, desde que madame Bontemps puso a su sobrina bajo mi cuidado, tengo tal responsabilidad, tanto miedo de que ocurra algún accidente, me reprocho tanto no acompañarla, que prefiero que sea usted, tan seguro, tan maravillosamente diestro que no le puede ocurrir ningún accidente, el que lleve a todas partes a la señorita Albertina. Así no tendré ningún miedo. El simpático mecánico apostólico sonrió astutamente, con la mano posada sobre su rueda en forma de cruz de consagración. Luego me dijo estas palabras que (disipando las inquietudes de mi corazón, donde fueron inmediatamente sustituidas por la alegría) me dieron ganas de abrazarle: -No tenga miedo -me dijo-. No puede ocurrirle nada, pues cuando no la pasea mi volante, la siguen mis ojos a todas partes. En Versalles, como si no hiciera nada, visité la ciudad como quien dice con ella. Del Réservoirs fue al Palacio, del Palacio a los Trianones, siguiéndola yo siempre como si no la viera, y lo más grande es que ella no me vio. Bueno, aunque me hubiera visto, la cosa no habría sido grave. Era muy natural que, teniendo todo el día libre, yo visitara también el Palacio. Sobre todo que la señorita no ha dejado de notar que yo he leído y me interesan todas las viejas curiosidades -esto era verdad, y hasta me habría sorprendido si hubiera sabido que era amigo de Morel, pues superaba mucho al violinista en inteligencia y en gusto-. Pero, en fin, no me vio. -La señorita debió de estar con amigas, pues tiene varias en Versalles. -No, estaba siempre sola. -Entonces la mirarían, ¡una muchacha tan guapa y sola! -Claro que la miran, pero ella casi ni se entera; está todo el tiempo con los ojos en la guía y luego los levanta para mirar los cuadros. La versión del chófer me pareció aún más exacta porque, en efecto, Albertina me envió aquel día de su paseo una postal del Palacio y otra de los Trianones. La atención con que el simpático chófer había seguido cada paso de Albertina me impresionó mucho. ¿Cómo iba a suponer yo que esta rectificación -en forma de amplio complemento de lo que me había dicho la antevíspera- se debía a que, entre aquellos dos días, Albertina, alarmada de que el chófer me hubiera hablado, se había sometido, había hecho las paces con él? Esta sospecha ni siquiera se me ocurrió. Verdad es que lo que me contó el mecánico, borrando todo temor de que Albertina me hubiera engañado, me enfrió muy naturalmente en cuanto a mi amiga y le quitó para mí todo interés al día que pasó en Versalles. Sin embargo, creo que las explicaciones del chófer, que, borrando toda posible culpa de Albertina, me la hacían aún más aburrida, quizá no habrían bastado para calmarme tan pronto. Acaso influyeron más en el cambio de mis sentimientos dos granitos que mi amiga tuvo en la frente durante unos días. Y estos sentimientos me apartaron más aún de ella (hasta el punto de no acordarme de su existencia más que cuando la veía) por la singular confidencia que me hizo la doncella de Gilberta, a la que encontré por casualidad. Me dijo que cuando yo iba todos los días a casa de Gilberta amaba a un joven al que veía mucho más que a mí. Yo lo había sospechado por un momento en aquella época, y hasta había interrogado entonces a esta misma doncella. Pero como sabía que estaba enamorado de Gilberta, lo negó, jurándome que mademoiselle Swann no había visto nunca a aquel joven. Pero ahora, sabiendo que mi amor había muerto hacía ya tiempo, que llevaba años sin contestar a sus cartas -y quizá también porque ella ya no estaba al servicio de la muchacha-, me contó espontáneamente y con todo detalle el episodio amoroso que yo no había sabido. Esto me parecía muy natural. Yo, recordando sus juramentos de entonces, creí que en aquella época no lo sabía. Nada de eso: era ella misma quien, por orden de mademoiselle Swann, iba a avisar al joven en cuanto la que yo amaba estaba sola. La que yo amaba entonces... Pero me pregunté si mi antiguo amor estaba tan muerto como yo creía, pues lo que me contó la doncella me hizo daño. Como no creo que los celos puedan resucitar un amor muerto, supuse que mi triste impresión se debía, al menos en parte, a mi amor propio herido, pues varias personas a las que no quería y que en aquella época, e incluso un poco después -esto ha cambiado mucho desde entonces-, adoptaban conmigo una actitud despectiva, sabían perfectamente, cuando estaba enamorado de Gilberta, que me engañaba. Y esto llegó a hacerme pensar retrospectivamente si en mi amor por Gilberta no habría habido una parte de amor propio, puesto que ahora me dolía tanto ver que unas personas a las que yo no quería sabían que todas aquellas horas de amor que tan feliz me hicieron fueron un verdadero engaño por parte de mi amiga a costa mía. En todo caso, fuera amor o amor propio, Gilberta casi había muerto para mí, pero no del todo, y esta contrariedad acabó de impedir que me preocupara demasiado por Albertina, que tan poco lugar ocupaba en mi corazón. Sin embargo, volviendo a ella (después de tan largo paréntesis) y a su excursión a Versalles, las postales de Versalles (¿se puede, pues, tener simultáneamente el corazón cogido entre dos celos cruzados que se refieren a dos personas diferentes?) me daban una impresión un poco desagradable cada vez que, arreglando papeles, caían mis ojos sobre ellas. Y pensaba que si el mecánico no fuera tan buena persona, la concordancia de su segunda explicación con las postales de Albertina no significaría gran cosa, pues lo primero que se envía de Versalles es el Palacio y los Trianones, a no ser que la postal la elija un refinado, enamorado de una determinada estatua, o un imbécil que escoge la estación del tranvía de caballos o la estación de Chantiers. Y hago mal en decir un imbécil, pues este tipo de postales no siempre las compra un imbécil, al azar, por el interés de ir a Versalles. Durante dos años los hombres inteligentes, los artistas, dieron en decir que Siena, Venecia, Granada, eran una lata, mientras que ante cualquier ómnibus, ante cualquier tren, exclamaban: «¡Qué bello!» Después este gusto pasó como los demás. No sé si no se volvió hasta el «sacrilegio que es destruir las nobles cosas del pasado». En todo caso, se dejó de considerar a priori un vagón de primera clase más bello que San Marcos de Venecia. Sin embargo, se decía: «La vida está aquí, la vuelta al pasado es una cosa falsa», pero sin sacar una conclusión rotunda. Por si acaso, y con plena confianza en el chófer, pero para que Albertina no pudiera plantarle sin que él se atreviera a resistirse por miedo a pasar por espía, ya no la dejaba salir si no era con el refuerzo de Andrea, cuando, durante un tiempo, me había bastado el chófer. Hasta había permitido (lo que después no me hubiera atrevido a hacer) que se ausentara durante tres días sola con el chófer y llegara hasta cerca de Balbec, tanto le gustaba rodar por la carretera a gran velocidad sobre un simple chasis. Tres días que pasé bien tranquilo, aunque la lluvia de postales que me envió no la recibí, debido al detestable funcionamiento de los correos bretones (buenos en verano, pero sin duda desorganizados en invierno) hasta ocho días después del retorno de Albertina y del chófer, tan valientes que la misma mañana del regreso reanudaron, como si tal cosa, el paseo cotidiano. Yo estaba encantado de que Albertina fuera al Trocadero, a aquella matinée «extraordinaria», pero estaba sobre todo tranquilo porque iba con una compañera, con Andrea.
Laissant ces pensées, maintenant qu′Albertine était sortie, j′allai me mettre un instant à la fenêtre. Il y eut d′abord un silence, où le sifflet du marchand de tripes et la corne du tramway firent résonner l′air à des octaves différentes, comme un accordeur de piano aveugle. Puis peu à peu devinrent distincts les motifs entre-croisés auxquels de nouveaux s′ajoutaient. Il y avait aussi un autre sifflet, appel d′un marchand dont je n′ai jamais su ce qu′il vendait, sifflet qui, lui, était exactement pareil à celui d′un tramway, et comme il n′était pas emporté par la vitesse on croyait à un seul tramway, non doué de mouvement, ou en panne, immobilisé, criant à petits intervalles, comme un animal qui meurt. Et il me semblait que, si jamais je devais quitter ce quartier aristocratique — à moins que ce ne fût pour un tout à fait populaire — les rues et boulevards du centre (où la fruiterie, la poissonnerie, etcÂ… stabilisées dans de grandes maisons d′alimentation, rendraient inutiles les cris des marchands, qui n′eussent pas, du reste, réussi à se faire entendre) me sembleraient bien mornes, bien inhabitables, dépouillés, décantés de toutes ces litanies des petits métiers et des ambulantes mangeailles, privés de l′orchestre qui venait me charmer dès le matin. Sur le trottoir une femme peu élégante (ou obéissant à une mode laide) passait, trop claire dans un paletot sac en poil de chèvre ; mais non, ce n′était pas une femme, c′était un chauffeur qui, enveloppé dans sa peau de bique, gagnait à pied son garage. Échappés des grands hôtels, les chasseurs ailés, aux teintes changeantes, filaient vers les gares, au ras de leur bicyclette, pour rejoindre les voyageurs au train du matin. Le ronflement d′un violon était dû parfois au passage d′une automobile, parfois à ce que je n′avais pas mis assez d′eau dans ma bouillotte électrique. Au milieu de la symphonie détonnait un « air » démodé : remplaçant la vendeuse de bonbons qui accompagnait d′habitude son air avec une crécelle, le marchand de jouets, au mirliton duquel était attaché un pantin qu′il faisait mouvoir en tous sens, promenait d′autres pantins et, sans souci de la déclamation rituelle de Grégoire le Grand, de la déclamation réformée de Palestrina et de la déclamation lyrique des modernes, entonnait à pleine voix, partisan attardé de la pure mélodie : « Allons les papas, allons les mamans, contentez vos petits enfants ; c′est moi qui les fais, c′est moi qui les vends, et c′est moi qui boulotte l′argent. Tra la la la. Tra la la lalaire, tra la la la la la la. Allons les petits ! » De petits Italiens, coiffés d′un béret, n′essayaient pas de lutter avec cet aria vivace, et c′est sans rien dire qu′ils offraient de petites statuettes. Cependant qu′un petit fifre réduisait le marchand de jouets à s′éloigner et à chanter plus confusément, quoique presto : « Allons les papas, allons les mamans. » Le petit fifre était-il un de ces dragons que j′entendais le matin à Doncières ? Non, car ce qui suivait c′étaient ces mots : « Voilà le réparateur de face et de porcelaine. Je répare le verre, le marbre, le cristal, l′os, l′ivoire et objets d′antiquité. Voilà le réparateur. » Dans une boucherie, où à gauche était une auréole de soleil, et à droite un bœuf entier pendu, un garçon boucher, très grand et très mince, aux cheveux blonds, son cou sortant d′un col bleu ciel, mettait une rapidité vertigineuse et une religieuse conscience à mettre d′un côté les filets de bœuf exquis, de l′autre de la culotte de dernier ordre, les plaçait dans d′éblouissantes balances surmontées d′une croix, d′où retombaient de belles chaînettes, et — bien qu′il ne fît ensuite que disposer, pour l′étalage, des rognons, des tournedos, des entrecôtes — donnait en réalité beaucoup plus l′impression d′un bel ange qui, au jour du Jugement dernier, préparera pour Dieu, selon leur qualité, la séparation des bons et des méchants et la pesée des âmes. Et de nouveau le fifre grêle et fin montait dans l′air, annonciateur non plus des destructions que redoutait Françoise chaque fois que défilait un régiment de cavalerie, mais de « réparations » promises par un « antiquaire » naou gouailleur, et qui, en tous cas fort éclectique, loin de se spécialiser, avait pour objets de son art les matières les plus diverses. Les petites porteuses de pain se hâtaient d′enfiler dans leur panier les flûtes destinées au « grand déjeuner » et, à leurs crochets, les laitières attachaient vivement les bouteilles de lait. La vue nostalgique que j′avais de ces petites filles, pouvais-je la croire bien exacte ? N′eût-elle pas été autre si j′avais pu garder immobile quelques instants auprès de moi une de celles que, de la hauteur de ma fenêtre, je ne voyais que dans la boutique ou en fuite ? Pour évaluer la perte que me faisait éprouver la réclusion, c′est-à-dire la richesse que m′offrait la journée, il eût fallu intercepter dans le long déroulement de la frise animée quelque fillette portant son linge ou son lait, la faire passer un moment, comme une silhouette d′un décor mobile entre les portants, dans le cadre de ma porte, et la retenir sous mes yeux, non sans obtenir sur elle quelque renseignement qui me permît de la retrouver un jour et pareille, cette fiche signalétique que les ornithologues ou les ichtyologues attachent, avant de leur rendre la liberté, sous le ventre des oiseaux ou des poissons dont ils veulent pouvoir identifier les migrations. Dejando estos pensamientos, ahora que Albertina había salido me asomé un momento a la ventana. Rompió el silencio el silbato del tropicallero y la corneta del tranvía, haciendo resonar el aire en octavas diferentes como un afinador de pianos ciego. Después se fueron definiendo los motivos entrecruzados y sumándose a ellos otros nuevos. Se oía también otro silbato, reclamo de un vendedor que nunca supe lo que vendía, silbato este exactamente igual que el del tranvía, y, como no se lo llevaba la velocidad, producía el efecto de un solo tranvía no dotado de movimiento o averiado, gritando a pequeños intervalos, como un animal moribundo. Y me parecía que si alguna vez llegara a dejar aquel barrio aristocrático -de no hacerlo por uno verdaderamente popular-, las calles y los bulevares del centro (donde la frutería, la pescadería, etc., estabilizadas en grandes casas de alimentación, hacían inútiles los pregones de los vendedores ambulantes, que además no hubieran logrado hacerse oír) me parecerían muy tristes, inhabitables, despojados, decantados de todas aquellas letanías de los pequeños oficios y de los comestibles ambulantes, privados de la orquesta que venía a encantarme cada mañana. Pasaba por la acera una mujer poco elegante (obediente a una moda fea), demasiado clara en un abrigo saco de piel de cabra; pero no, no era una mujer, era un chófer que, envuelto en su piel de cabra, se dirigía a pie a su garaje. Los botones de los grandes hoteles, uniformados de distintos colores, se dirigían alados a las estaciones, en sus bicicletas, al encuentro de los viajeros del tren de la mañana. El sonar de un violín procedía a veces del paso de un automóvil, a veces de que yo no había puesto bastante agua en mi calentador eléctrico. En medio de la sinfonía detonaba un «aire» pasado de moda: reemplazando a la vendedora de caramelos que solía acompañar su sonsonete con una carraca, el vendedor de juguetes, que llevaba colgado del mirlitón un muñeco y que lo movía en todos sentidos, paseaba otros muñecos y, sin cuidarse de la declamación ritual de Gregorio el Grande, de la declamación reformada de Palestrina y de la declamación lírica de los modernos, entonaba a voz en cuello, partidario rezagado de la pura melodía: Allons les papas, allons les mamans, Contentez vos petits enfants; C′est moi qui les fais, c′est moi qui les vends, Et c′est moi qui boulotte l′argent. Tra la la. Tra la la la laire. Tra la la la la la la. Allons les petits! Unos italianos pequeños, con un bonete en la cabeza, no intentaban luchar con esta aria vivace, y sin decir nada ofrecían estatuillas. Y un pequeño pífano obligaba al vendedor de juguetes a alejarse cantando más confusamente, aunque presto: «Aquí los papás, aquí las mamás». ¿Era el pequeño pífano uno de aquellos dragones que yo oía por la mañana en Doncières? No, pues lo que seguía eran estas palabras: «¡El lañador de loza y porcelana! Arreglo vidrio, mármol, cristal, hueso, marfil y objetos antiguos. ¡El lañador!» En una carnicería que tenía a la izquierda una aureola de sol y a la derecha una vaca entera colgada, un carnicero muy alto y muy delgado, rubio, con un cuello azul cielo, ponía una rapidez vertiginosa y una religiosa conciencia en separar a un lado los filetes exquisitos y a otro la carne de tercera clase, y -aunque después no hiciera otra cosa que disponer, para el escaparate, riñones, solomillo, lomo- en realidad daba mucho más la impresión de un hermoso ángel que el día del juicio final estuviera preparando para Dios, según su cualidad, la separación de buenos y de malos y el peso de las almas. Y de nuevo ascendía en el aire el pífano tenue y fino anunciando no ya las destrucciones que temía Francisca cada vez que desfilaba un regimiento de caballería, sino «reparaciones» prometidas por un «anticuario» ingenuo y burlón y que, en todo caso muy ecléctico, lejos de especializarse, su arte abarcaba las más diversas materias. Las repartidoras de pan se apresuraban a colocar en sus cestas las «flautas» destinadas al almuerzo, mientras las lecheras colgaban con ligereza las botellas de leche de sus ganchos. ¿Era exacta la visión nostálgica que yo tenía de aquellas muchachas? ¿No sería diferente si hubiera podido mantener inmóvil junto a mí por un momento a una de las que sólo veía, desde lo alto de mi ventana, en la tienda o caminando de prisa por la calle? Para valorar lo que me hacía perder la reflexión, es decir, la riqueza que el día me deparaba, habría sido preciso interceptar en el largo desfile de aquel friso animado a alguna muchachita portadora de la ropa o de la leche, hacerla pasar un momento, como la silueta de un decorado móvil entre los montantes, en el marco de mi puerta, y retenerla ante mis ojos no sin pedirle algunas señas que me permitieran volver a encontrarla un día e igual que ahora: esa ficha definitoria que los ornitólogos o los ictiólogos fijan en el vientre de los pájaros o de los peces antes de ponerlos en libertad para poder seguir sus migraciones.
Aussi, dis-je à Françoise que, pour une course que j′avais à faire, elle voulût m′envoyer, s′il en venait quelqu′une, telle ou telle de ces petites qui venaient sans cesse chercher et rapporter le linge, le pain, ou les carafes de lait, et par lesquelles souvent elle faisait faire des commissions. J′étais pareil en cela à Elstir qui, obligé de rester enfermé dans son atelier, certains jours de printemps où savoir que les bois étaient pleins de violettes lui donnait une telle fringale d′en regarder, envoyait sa concierge lui en acheter un bouquet ; alors ce n′est pas la table sur laquelle il avait posé le petit modèle végétal, mais tout le tapis des sous-bois où il avait vu autrefois, par milliers, les tiges serpentines, fléchissant sous leur bec bleu, qu′Elstir croyait avoir sous les yeux, comme une zone imaginaire qu′enclavait dans son atelier la limpide odeur de la fleur évocatrice. Por eso le dije a Francisca que tenía que mandar a un recado y que me enviara a una de aquellas muchachitas que venían continuamente a buscar y a traer la ropa, el pan o las botellas de leche, y a las que ella solía encomendar algún encargo. En esto me parecía a Elstir, que, obligado a permanecer encerrado en su taller algunos días de primavera en los que, sabiendo que los bosques estaban llenos de violetas, le daban unas ganas locas de verlas, mandaba a la portera a comprarle un ramillete; y entonces no era la mesa en la que había posado el pequeño modelo vegetal, sino toda la alfombra del bosque donde había visto antes, a millares, los tallos serpentinos, vencidos bajo su pico azul, lo que Elstir creía tener ante los ojos, como una zona imaginaria que ponía en su taller el límpido olor de la flor evocadora.
De blanchisseuse, un dimanche, il ne fallait pas penser qu′il en vînt. Quant à la porteuse de pain, par une mauvaise chance, elle avait sonné pendant que Françoise n′était pas là, avait laissé ses flûtes dans la corbeille, sur le palier, et s′était sauvée. La fruitière ne viendrait que bien plus tard. Une fois, j′étais entré commander un fromage chez le crémier, et au milieu des petites employées j′en avais remarqué une, vraie extravagance blonde, haute de taille bien que puérile, et qui, au milieu des autres porteuses, semblait rêver, dans une attitude assez fière. Je ne l′avais vue que de loin, et en passant si vite que je n′aurais pu dire comment elle était, sinon qu′elle avait dû pousser trop vite et que sa tête portait une toison donnant l′impression bien moins des particularités capillaires que d′une stylisation sculpturale des méandres isolés de névés parallèles. C′est tout ce que j′avais distingué, ainsi qu′un nez très dessiné (chose rare chez une enfant) dans une figure maigre et qui rappelait le bec des petits des vautours. D′ailleurs, le groupement autour d′elle de ses camarades n′avait pas été seul à m′empêcher de la bien voir, mais aussi l′incertitude des sentiments que je pouvais, à première vue et ensuite, lui inspirer, qu′ils fussent de fierté farouche, ou d′ironie, ou d′un dédain exprimé plus tard à ses amies. Ces suppositions alternatives, que j′avais faites, en une seconde, à son sujet, avaient épaissi autour d′elle l′atmosphère trouble où elle se dérobait, comme une déesse dans la nue que fait trembler la foudre. Car l′incertitude morale est une cause plus grande de difficulté à une exacte perception visuelle que ne serait un défaut matériel de l′œil. En cette trop maigre jeune personne, qui frappait aussi trop l′attention, l′excès de ce qu′un autre eût peut-être appelé les charmes était justement ce qui était pour me déplaire, mais avait tout de même eu pour résultat de m′empêcher même d′apercevoir rien, à plus forte raison de me rien rappeler, des autres petites crémières, que le nez arqué de celle-ci, et son regard — chose si peu agréable — pensif, personnel, ayant l′air de juger, avaient plongées dans la nuit, à la façon d′un éclair blond qui enténèbre le paysage environnant. Et ainsi, de ma visite pour commander un fromage chez le crémier, je ne m′étais rappelé (si on peut dire se rappeler à propos d′un visage si mal regardé qu′on adapte dix fois au néant du visage un nez différent), je ne m′étais rappelé que la petite qui m′avait déplu. Cela suffit à faire commencer un amour. Pourtant j′eusse oublié l′extravagance blonde et n′aurais jamais souhaité de la revoir si Françoise ne m′avait dit que, quoique bien gamine, cette petite était délurée et allait quitter sa patronne parce que, trop coquette, elle devait de l′argent dans le quartier. On a dit que la beauté est une promesse de bonheur. Inversement la possibilité du plaisir peut être un commencement de beauté. La lavandera no había que pensar que viniera un domingo. En cuanto a la panadera, había llamado, mala suerte, cuando Francisca no estaba allí, había dejado las «flautas» en la cesta, en el descansillo, y se había marchado. La frutera no vendría hasta más tarde. Una vez que entré en la mantequería a comprar queso, me llamó la atención entre las dependientas una verdadera extravagancia rubia, muy alta, aunque infantil, y que, en medio de las demás, parecía estar soñando, en una actitud bastante orgullosa. La vi sólo de lejos y pasó tan de prisa que no hubiera podido decir cómo era, sólo que había debido de crecer demasiado de prisa y que llevaba en la cabeza un toisón que daba idea, mucho más que de las particularidades capilares, de una estilización escultórica de los meandros aislados de unos ventisqueros paralelos. Sólo había distinguido esto y una nariz muy dibujada (cosa rara en una niña) en un rostro flaco y que recordaba el pico de las crías de buitre. Por otra parte, no fueron sólo las compañeras agrupadas a su alrededor lo que me impidió verla, sino también la incertidumbre de los sentimientos que, a primera vista y después, podía yo inspirarle, si de orgullo arisco, o de ironía, o de un desdén que expresaría después a sus amigas. Estas suposiciones que alternativamente hice sobre ella en un segundo, espesaron en torno suyo la atmósfera turbia en que se me perdía, como una diosa en la nube que el rayo hace temblar. Pues la incertidumbre moral dificulta una exacta percepción visual más de lo que pudiera dificultarla un defecto material de la vista. En aquella jovenzuela demasiado flaca que por eso llamaba más la atención, el exceso de lo que otro llamaría quizá encantos era precisamente propio para desagradarme a mí, pero, sin embargo, su resultado fue no dejarme ver nada, y mucho menos recordar, de las otras pequeñas dependientas, que la naricilla arqueada de ésta, su mirar pensativo, personal, como de juez -cosa tan poco agradable-, habían sumergido en la noche, como un rayo rubio que entenebrece el paisaje circundante. Y así, de mi visita para encargar queso en la mantequería sólo recordaba (si «recordar» puede decirse tratándose de un rostro tan mal mirado que, no teniéndole delante se le aplica diez veces una nariz diferente), sólo recordaba a la pequeña que me había desagradado. Esto basta para iniciar un amor. Pero habría olvidado a la extravagancia rubia y nunca deseara volver a verla si Francisca no me hubiera dicho que aquella pequeña, aunque muy jovenzuela, era despabilada e iba a dejar a la patrona porque, demasiado coqueta, debía dinero en el barrio. Se ha dicho que la belleza es una promesa de felicidad. Inversamente, la posibilidad del placer puede ser un comienzo de belleza.
Je me mis à lire la lettre de maman. À travers ses citations de Mme de Sévigné : « Si mes pensées ne sont pas tout à fait noires à Combray, elles sont au moins d′un gris brun ; je pense à toi à tout moment ; je te souhaite ; ta santé, tes affaires, ton éloignement, que penses-tu que tout cela puisse faire entre chien et loup ? » je sentais que ma mère était ennuyée de voir que le séjour d′Albertine à la maison se prolonger et s′affermir, quoique non encore déclarées à la fiancée mes intentions de mariage. Elle ne me le disait pas plus directement parce qu′elle craignait que je laissasse traîner mes lettres. Encore, si voilées qu′elles fussent, me reprochait-elle de ne pas l′avertir immédiatement, après chacune, que je l′avais reçue : « Tu sais bien que Mme de Sévigné disait : « Quand on est loin on ne se moque plus des lettres qui commencent par : j′ai reçu la vôtre. » Sans parler de ce qui l′inquiétait le plus, elle se disait fâchée de mes grandes dépenses : « À quoi peut passer tout ton argent ? Je suis déjà assez tourmentée de ce que, comme Charles de Sévigné, tu ne saches pas ce que tu veux et que tu sois « deux ou trois hommes à la fois », mais tâche au moins de ne pas être comme lui pour la dépense, et que je ne puisse pas dire de toi : « il a trouvé le moyen de dépenser sans paraître, de perdre sans jouer et de payer sans s′acquitter. » Je venais de finir le mot de maman quand Françoise revint me dire qu′elle avait justement là la petite laitière un peu trop hardie dont elle m′avait parlé. « Elle pourra très bien porter la lettre de Monsieur, et faire les courses si ce n′est pas trop loin. Monsieur va voir, elle a l′air d′un petit Chaperon rouge. » Françoise alla la chercher et je l′entendis qui la guidait en lui disant : « Hé bien, voyons, tu as peur parce qu′il y a un couloir, bougre de truffe, je te croyais moins empruntée. Faut-il que je te mène par la main ? » Et Françoise, en bonne et honnête servante qui entendait faire respecter son maître comme elle le respecte elle-même, s′était drapée de cette majesté qui anoblit les entremetteuses dans les tableaux de vieux maîtres, où, à côté d′elles, s′effacent, presque dans l′insignifiance, la maîtresse et l′amant. Mais Elstir, quand il les regardait, n′avait pas à se préoccuper de ce que faisaient les violettes. L′entrée de la petite laitière m′ôta aussitôt mon calme de contemplateur, je ne songeai plus qu′à rendre vraisemblable la fable de la lettre à lui faire porter, et je me mis à écrire rapidement sans oser la regarder qu′à peine, pour ne pas paraître l′avoir fait entrer pour cela. Elle était parée pour moi de ce charme de l′inconnu qui ne se serait pas ajouté pour moi à une jolie fille trouvée dans ces maisons où elles vous attendent. Elle n′était ni nue ni déguisée, mais une vraie crémière, une de celles qu′on s′imagine si jolies quand on n′a pas le temps de s′approcher d′elles ; elle était un peu de ce qui fait l′éternel désir, l′éternel regret de la vie, dont le double courant est enfin détourné, amené auprès de nous. Double, car s′il s′agit d′inconnu, d′un être deviné devoir être divin d′après sa stature, ses proportions, son indifférent regard, son calme hautain, d′autre part on veut cette femme bien spécialisée dans sa profession, nous permettant de nous évader dans ce monde qu′un costume particulier nous fait romanesquement croire différent. Au reste, si l′on cherche à faire tenir dans une formule la loi de nos curiosités amoureuses, il faudrait la chercher dans le maximum d′écart entre une femme aperçue et une femme approchée, caressée. Si les femmes de ce qu′on appelait autrefois les maisons closes, si les cocottes elles-mêmes (à condition que nous sachions qu′elles sont des cocottes) nous attirent si peu, ce n′est pas qu′elles soient moins belles que d′autres, c′est qu′elles sont toutes prêtes ; que ce qu′on cherche précisément à atteindre, elles nous l′offrent déjà ; c′est qu′elles ne sont pas des conquêtes. L′écart, là, est à son minimum. Une grue nous sourit déjà dans la rue comme elle le fera près de nous. Nous sommes des sculpteurs, nous voulons obtenir d′une femme une statue entièrement différente de celle qu′elle nous a présentée. Nous avons vu une jeune fille indifférente, insolente, au bord de la mer ; nous avons vu une vendeuse sérieuse et active à son comptoir, qui nous répondra sèchement, ne fût-ce que pour ne pas être l′objet des moqueries de ses copines ; une marchande de fruits qui nous répond à peine. Hé bien ! nous n′avons de cesse que nous puissions expérimenter si la fière jeune fille au bord de la mer, si la vendeuse à cheval sur le qu′en-dira-t-on, si la distraite marchande de fruits ne sont pas susceptibles, à la suite de manèges adroits de notre part, de laisser fléchir leur attitude rectiligne, d′entourer notre cou de leurs bras qui portaient les fruits, d′incliner sur notre bouche, avec un sourire consentant, des yeux jusque-là glacés ou distraits — ô beauté des yeux sévères ! — aux heures du travail où l′ouvrière craignait tant la médisance de ses compagnes, des yeux qui fuyaient nos obsédants regards et qui maintenant que nous l′avons vue seule à seul, font plier leurs prunelles sous le poids ensoleillé du rire quand nous parlons de faire l′amour. Entre la vendeuse, la blanchisseuse attentive à repasser, la marchande de fruits, la crémière — et cette même fillette qui va devenir notre maîtresse — le maximum d′écart est atteint, tendu encore à ses extrêmes limites, et varié par ces gestes habituels de la profession qui font des bras, pendant la durée du labeur, quelque chose d′aussi différent que possible comme arabesque de ces souples liens qui déjà, chaque soir, s′enlacent à notre cou tandis que la bouche s′apprête pour le baiser. Aussi passons-nous toute notre vie en inquiètes démarches sans cesse renouvelées auprès des filles sérieuses et que leur métier semble éloigner de nous. Une fois dans nos bras, elles ne sont plus ce qu′elles étaient, cette distance que nous rêvions de franchir est supprimée. Mais on recommence avec d′autres femmes, on donne à ces entreprises tout son temps, tout son argent, toutes ses forces, on crève de rage contre le cocher trop lent qui va peut-être nous faire manquer notre premier rendez-vous, on a la fièvre. Ce premier rendez-vous, on sait pourtant qu′il accomplira l′évanouissement d′une illusion. Il n′importe tant que l′illusion dure ; on veut voir si on peut la changer en réalité, et alors on pense à la blanchisseuse dont on a remarqué la froideur. La curiosité amoureuse est comme celle qu′excitent en nous les noms de pays ; toujours déçue, elle renaît et reste toujours insatiable. Me puse a leer la carta de mamá. A través de sus citas de madame de Sévigné («Si mis pensamientos no son enteramente negros en Combray, son por lo menos de un gris oscuro; pienso en ti constantemente; te añoro con afán; tu salud, tus asuntos, tu lejanía, ¿qué crees tú que puede importar todo esto entre perro y lobo?») notaba yo que a mi madre la contrariaba que se prolongara la estancia de Albertina en la casa y se afianzaran, aunque no declaradas todavía a la novia, mis intenciones de casarme con ella. No me lo decía directamente por miedo de que yo dejase sus cartas a la vista. Y, por veladas que fuesen, me reprochaba no acusarle recibo de ellas en seguida: «Ya sabes que madame de Sévigné decía: "Cuando se está lejos no se burla uno de las cartas que comienzan por: recibí la tuya".» Sin hablar de lo que más la preocupaba, se decía contrariada por mis grandes gastos: «¿Adónde va a parar todo ese dinero? Ya me duele bastante que, como Carlos de Sévigné, no sepas lo que quieres y que seas "dos o tres hombres a la vez", pero procura al menos no ser como él en el derroche y que no pueda decir yo de ti: ha encontrado el medio de gastar sin parecerlo, de perder sin jugar y de pagar sin salir de deudas.» Acababa de terminar la carta de mamá cuando entró Francisca a decirme que precisamente estaba allí la pequeña lechera un poco demasiado atrevida de que ella me había hablado. -Podrá muy bien llevar la carta del señor y hacer los recados si no es demasiado lejos. Ya verá el señor, parece una Caperucita Roja. Francisca fue a buscarla y oí que le decía mientras la guiaba: -Vamos, tienes miedo porque hay un pasillo, pedazo de tonta, te creía más espabilada. ¿Es que voy a tener que llevarte de la mano? Y Francisca, como buena y honrada sirvienta que quiere hacer respetar a su maestro como lo respeta ella misma, se envolvió en esa majestad que ennoblece a las celestinas en los cuadros de los antiguos maestros, donde, junto a ellas, se esfuman casi en la insignificancia los amantes. Cuando Elstir miraba las violetas, no tenía que preocuparse de lo que las violetas hacían. La entrada de la lecherita me quitó en seguida mi calma de contemplador; ya no pensé más que en hacer verosímil la fábula de la carta que tenía que llevar y me puse a escribir rápidamente sin apenas atreverme a mirarla, no fuera a parecer que la había llamado para eso. Estaba para mí adornada con ese encanto de lo desconocido que no tendría una profesional encontrada en esas casas donde las profesionales nos esperan. No estaba ni desnuda ni disfrazada, era una auténtica lechera, una de esas que imaginamos tan bonitas cuando no tenemos tiempo de acercarnos a ellas; era un poco de lo que constituye el eterno deseo, el eterno afán de la vida, cuya doble corriente es al fin desviada, dirigida a nosotros. Doble porque se trata de lo desconocido, de un ser que suponemos que debe de ser divino por su estatura, sus proporciones, su mirar indiferente, su altiva calma, mientras que, por otra parte, queremos a esta mujer bien especializada en su profesión, capaz de permitirnos la evasión en ese mundo que el disfraz nos hace ver, novelescamente, diferente. Por otra parte, si queremos reducir a una fórmula la ley de nuestras curiosidades amorosas, tendríamos que buscarla en la máxima diferencia entre una mujer vista y una mujer tocada, acariciada. Si las mujeres de lo que en otro tiempo se llamaban casas cerradas, si las mismas cocottes (siempre que no sepamos que son cocottes) nos atraen tan poco, no es que sean menos bellas que las otras, es que están siempre dispuestas, que lo que queremos precisamente conseguir nos lo ofrecen ya; es que no son conquistas. Aquí, la diferencia es mínima. Una prostituta nos sonríe ya en la calle lo mismo que nos sonreirá dentro de la casa. Somos escultores. Queremos sacar de una mujer una estatua completamente diferente de la que ella nos ha presentado. Hemos visto una muchacha indiferente, insolente a la orilla del mar, hemos visto una vendedora seria y activa en su mostrador que nos responderá secamente aunque sólo sea para que no se burlen de ella sus compañeras, una verdulera que apenas nos contesta. Bueno, pues inmediatamente queremos experimentar si la orgullosa muchacha de la orilla del mar, si la vendedora encastillada en el qué dirán, si la distraída verdulera no llegarán, como resultado de nuestros manejos, a ceder en su actitud rectilínea, a rodear nuestro cuello con aquellos brazos que llevaban la fruta, a inclinar sobre nuestra boca, con una sonrisa consentidora, unos ojos hasta entonces fríos o distraídos -¡oh belleza de los ojos severos a las horas del trabajo en que la obrera tanto temía la maledicencia de sus compañeras, de los ojos que evitaban nuestras obsesivas miradas y que ahora que la vemos a solas contraen las pupilas bajo el soleado peso de la risa cuando hablamos de hacer el amor!-. Entre la vendedora, la lavandera que no aparta la vista de la plancha, la verdulera, la lechera y esta misma muchachita que va a ser nuestra amante se ha producido la máxima distancia, tensa aún en sus extremos límites y variada por esos gestos habituales de la profesión que, mientras dura la labor, hacen de los brazos algo tan sumamente diferente de esos leves lazos que ya, como arabescos, se enlazan cada noche a nuestro cuello mientras la boca se dispone para el beso. Por eso nos pasamos la vida en inquietos afanes constantemente repetidos tras las muchachas serias y a las que su oficio parece alejar de nosotros. Una vez en nuestros brazos, ya no son lo que eran, ha quedado suprimida la distancia que soñábamos franquear. Pero volvemos a empezar con otras mujeres, dedicamos a estas empresas todo nuestro tiempo, todo nuestro dinero, todas nuestras fuerzas, nos morimos de rabia contra el cochero demasiado lento que acaso va a hacernos perder la primera cita, estamos febriles. Sabemos, sin embargo, que esa primera cita marcará el fin de una ilusión. No importa: mientras la ilusión dura, queremos ver si se puede transformar en realidad, y entonces pensamos en la lavandera que hemos visto tan fría. La curiosidad amorosa es como la que suscitan en nosotros los nombres de países: siempre defraudada, renace y permanece siempre insaciable.
Hélas ! une fois auprès de moi, la blonde crémière aux mèches striées, dépouillée de tant d′imagination et de désirs éveillés en moi, se trouva réduite à elle-même. Le nuage frémissant de mes suppositions ne l′enveloppait plus d′un vertige. Elle prenait un air tout penaud de n′avoir plus (au lieu des dix, des vingt, que je me rappelais tour à tour sans pouvoir fixer mon souvenir) qu′un seul nez, plus rond que je ne l′avais cru, qui donnait une idée de bêtise et avait en tous cas perdu le pouvoir de se multiplier. Ce vol capturé, inerte, anéanti, incapable de rien ajouter à sa pauvre évidence, n′avait plus mon imagination pour collaborer avec lui. Tombé dans le réel immobile, je tâchai de rebondir ; les joues, non aperçues de la boutique, me parurent si jolies que j′en fus intimidé, et pour me donner une contenance, je dis à la petite crémière : « Seriez-vous assez bonne pour me passer le Figaro qui est là, il faut que je regarde le nom de l′endroit où je veux vous envoyer. » Aussitôt, en prenant le journal, elle découvrit jusqu′au coude la manche rouge de sa jaquette et me tendit la feuille conservatrice d′un geste adroit et gentil qui me plut par sa rapidité familière, son apparence moelleuse et sa couleur écarlate. Pendant que j′ouvrais le Figaro, pour dire quelque chose et sans lever les yeux, je demandai à la petite : « Comment s′appelle ce que vous portez là en tricot rouge, c′est très joli. » Elle me répondit : « C′est mon golf. » Car, par une déchéance habituelle à toutes les modes, les vêtements et les mots qui, il y a quelques années, semblaient appartenir au monde relativement élégant des amies d′Albertine, étaient maintenant le lot des ouvrières. « Ça ne vous gênerait vraiment pas trop, dis-je en faisant semblant de chercher dans le Figaro, que je vous envoie même un peu loin ? » Dès que j′eus ainsi l′air de trouver pénible le service qu′elle me rendrait en faisant une course, aussitôt elle commença à trouver que c′était gênant pour elle. « C′est que je dois aller tantôt me promener en vélo. Dame, nous n′avons que le dimanche. — Mais vous n′avez pas froid, nu-tête comme cela ? — Ah ! je ne serai pas nu-tête, j′aurai mon polo, et je pourrais m′en passer avec tous mes cheveux. » Je levai les yeux sur les mèches flavescentes et frisées, et je sentis que leur tourbillon m′emportait, le cœur battant, dans la lumière et les rafales d′un ouragan de beauté. Je continuais à regarder le journal, mais bien que ce ne fût que pour me donner une contenance et me faire gagner du temps, tout en ne faisant que semblant de lire, je comprenais tout de même le sens des mots qui étaient sous mes yeux, et ceux-ci me frappaient : « Au programme de la matinée que nous avons annoncée et qui sera donnée cet après-midi dans la salle des fêtes du Trocadéro, il faut ajouter le nom de Mlle Léa qui a accepté d′y paraître dans les Fourberies de Nérine. Elle tiendra, bien entendu, le rôle de Nérine où elle est étourdissante de verve et d′ensorceleuse gaîté. » Ce fut comme si on avait brutalement arraché de mon cœur le pansement sous lequel il avait commencé, depuis mon retour de Balbec, à se cicatriser. Le flux de mes angoisses s′échappa à torrents. Léa c′était la comédienne amie des deux jeunes filles de Balbec qu′Albertine, sans avoir l′air de les voir, avait un après-midi, au Casino, regardées dans la glace. Il est vrai qu′à Balbec, Albertine, au nom de Léa, avait pris un ton de componction particulier pour me dire, presque choquée qu′on pût soupçonner une telle vertu : « Oh non, ce n′est pas du tout une femme comme ça, c′est une femme très bien. » Malheureusement pour moi, quand Albertine émettait une affirmation de ce genre, ce n′était jamais que le premier stade d′affirmations différentes. Peu après la première, venait cette deuxième : « Je ne la connais pas. » En troisième lieu, quand Albertine m′avait parlé d′une telle personne « insoupçonnable » et que (secundo) elle ne connaissait pas, elle oubliait peu à peu, d′abord avoir dit qu′elle ne la connaissait pas, et, dans une phrase où elle se « coupait » sans le savoir, racontait qu′elle la connaissait. Ce premier oubli consommé et la nouvelle affirmation ayant été émise, un deuxième oubli commençait, celui que la personne était insoupçonnable. « Est-ce qu′une telle, demandais-je, n′a pas de telles mœurs ? — Mais voyons, naturellement, c′est connu comme tout ! » Aussitôt le ton de componction reprenait pour une affirmation qui était un vague écho, fort amoindri, de la toute première : « Je dois dire qu′avec moi elle a toujours été d′une convenance parfaite. Naturellement, elle savait que je l′aurais remisée et de la belle manière. Mais enfin cela ne fait rien. Je suis obligée de lui être reconnaissante du vrai respect qu′elle m′a toujours témoigné. On voit qu′elle savait à qui elle avait affaire. » On se rappelle la vérité parce qu′elle a un nom, des racines anciennes ; mais un mensonge improvisé s′oublie vite. Albertine oubliait ce dernier mensonge-là, le quatrième, et, un jour où elle voulait gagner ma confiance par des confidences, elle se laissait aller à me dire de la même personne, au début si comme il faut et qu′elle ne connaissait pas : « Elle a eu le béguin pour moi. Trois ou quatre fois elle m′a demandé de l′accompagner jusque chez elle et de monter la voir. L′accompagner, je n′y voyais pas de mal, devant tout le monde, en plein jour, en plein air. Mais, arrivée à sa porte, je trouvais toujours un prétexte et je ne suis jamais montée. » Quelque temps après, Albertine faisait allusion à la beauté des objets qu′on voyait chez la même dame. D′approximation en approximation on fût sans doute arrivé à lui faire dire la vérité, qui était peut-être moins grave que je n′étais porté à le croire, car, peut-être, facile avec les femmes, préférait-elle un amant, et, maintenant que j′étais le sien, n′eût-elle pas songé à Léa. En tous cas, pour cette dernière je n′en étais qu′à la première affirmation et j′ignorais si Albertine la connaissait. Déjà, en tous cas pour bien des femmes, il m′eût suffi de rassembler devant mon amie, en une synthèse, ses affirmations contradictoires pour la convaincre de ses fautes (fautes qui sont bien plus aisées, comme les lois astronomiques, à dégager par le raisonnement, qu′à observer, qu′à surprendre dans la réalité). Mais elle aurait encore mieux aimé dire qu′elle avait menti quand elle avait émis une de ces affirmations, dont ainsi le retrait ferait écrouler tout mon système, plutôt que de reconnaître que tout ce qu′elle avait raconté dès le début n′était qu′un tissu de contes mensongers. Il en est de semblables dans les Mille et une Nuits, et qui nous y charment. Ils nous font souffrir dans une personne que nous aimons, et à cause de cela nous permettent d′entrer un peu plus avant dans la connaissance de la nature humaine au lieu de nous contenter de nous jouer à sa surface. Le chagrin pénètre en nous et nous force par la curiosité douloureuse à pénétrer. D′où des vérités que nous ne nous sentons pas le droit de cacher, si bien qu′un athée moribond qui les a découvertes, assuré du néant, insoucieux de la gloire, use pourtant ses dernières heures à tâcher de les faire connaître. Desgraciadamente, la rubia lechera de mechones estriados, una vez junto a mí, una vez despojada de tanta imaginación y de tantos deseos despertados en mí, quedó reducida a sí misma. Ya no la envolvía en un vértigo la nube estremecida de mis suposiciones. Tomaba un aire muy avergonzado de no tener ya más que una nariz (en vez de diez, de veinte, que yo recordaba sucesivamente sin poder fijar mi recuerdo), una sola nariz más redonda de lo que yo creía, que daba una idea de estupidez y, en todo caso, había perdido la facultad de multiplicarse. Ante este vuelo capturado, inerte yo, anulado, incapaz de realzar en nada su pobre evidencia, no tenía ya imaginación para colaborar con él. Caído en la realidad inmóvil, yo intentaba resurgir; las mejillas, que no había visto en la tienda, me parecieron tan bonitas que me intimidaron, y, para darme aplomo, dije a la lecherita: -¿Me hace el favor de darme Le Figaro que está ahí? Tengo que mirar el nombre del lugar a donde quiero mandarla. Y cogiendo en seguida el periódico, descubrió la manga roja de su chaqueta y me tendió el diario conservador con un movimiento ágil y gentil que me gustó por su rapidez familiar, su apariencia suave y su color escarlata. Abriendo Le Figaro, por decir algo y sin alzar los ojos, pregunté a la muchacha: -¿Cómo se llama esa prenda de punto rojo que lleva usted? Es muy bonita. Me contestó: -Es un golf Pues por un descenso propio de todas las modas, los vestidos y las palabras que hace unos años parecían pertenecer al mundo relativamente elegante de las amigas de Albertina ahora los usaban las obreras. -¿De veras no le causará mucho trastorno -le dije haciendo como que buscaba en Le Figaro- que la mande aunque sea un poco lejos? En cuanto aparenté que me parecía penoso el servicio que me iba a hacer, comenzó a encontrar que era molesto para ella. -Es que dentro de un rato voy a ir a pasear en bici. Para eso no tenemos más que el domingo. -Pero ¿no tiene frío así, sin nada en la cabeza? -No iré sin nada en la cabeza, llevaré mi polo, y además, con tanto pelo como tengo, podría pasar sin él. Alcé los ojos hacia los mechones flavescentes y rizados, y sentí que su remolino me arrastraba, palpitante el corazón, en la luz y en las ráfagas de un huracán de belleza. Seguía mirando el periódico, pero aunque sólo fuera por darme aplomo y ganar tiempo, haciendo como que leía, entendía el sentido de las palabras que estaban bajo mis ojos y me impresionaban: «En el programa de la matinée que hemos anunciado que se celebrará esta tarde en la sala de fiestas del Trocadero, hay que añadir el nombre de mademoiselle Léa, que ha accedido a actuar en Les fourberies de Nérine. Hará, naturalmente, el papel de Nérine, en el que está deliciosa de gracia y de arrebatadora alegría.» Fue como si me hubieran arrancado brutalmente del corazón la venda bajo la cual había comenzado a cicatrizarse desde mi regreso de Balbec. Se desbordó a torrentes el flujo de mis angustias. Léa era la actriz amiga de las dos muchachas que Albertina, pareciendo que no las veía, había estado mirando en el espejo del casino una tarde. Verdad es que en Balbec, Albertina, al oír el nombre de Léa, tomó un tono especial de compunción para decirme, casi ofendida de que se pudiera sospechar de semejante virtud: «¡Oh, no!, no es en absoluto una mujer de ésas, es una mujer como se debe». Desgraciadamente para mí, cuando Albertina emitía una afirmación de este tipo, era siempre la primera fase de afirmaciones diferentes. Poco después de la primera, venía la segunda: «Yo no la conozco». Tercio, cuando Albertina me hablaba de una persona así, «libre de toda sospecha» y que (secundo) «ella no conocía», olvidaba luego: primero, que había dicho que la conocía, y, en una frase en la que se contradecía sin saberlo, contaba que la conocía. Consumado este primer olvido y emitida la nueva afirmación, se planteaba un segundo olvido, el de que la persona estaba libre de toda sospecha. -¿Es que Fulana -preguntaba yo- no tiene esas costumbres? -¡Pues claro, es sabidísimo! En seguida volvía a tomar el tono compungido con una afirmación que era un vago eco muy atenuado de la primera: -Debo decir que conmigo ha sido siempre de una corrección perfecta. Naturalmente, ella sabía que yo la hubiera rechazado, y de qué manera. Pero de todas maneras tengo que estarle agradecida por el verdadero respeto que siempre me ha demostrado. Se ve que sabía bien con quién trataba. La verdad la recordamos porque tiene un nombre, raíces antiguas; pero una mentira improvisada se olvida en seguida. Albertina olvidaba aquella última mentira, la cuarta, y un día en que intentaba ganar mi confianza haciéndome ciertas confidencias, me decía de la misma persona, tan correcta al principio y de la que había dicho que no la conocía: -Se ha encaprichado por mí. Tres o cuatro veces me ha pedido que la acompañara hasta su casa y subiera. Acompañarla, yo no veía ningún mal en ello, delante de todo el mundo, en pleno día, en la calle. Pero al llegar a su puerta siempre encontraba un pretexto y nunca subí. Al poco tiempo, Albertina ponderaba los objetos que la misma señora tenía en su casa. De aproximación en aproximación, seguramente habría podido sacarle la verdad, una verdad que acaso no era tan grave como yo me inclinaba a creer, pues quizá, fácil con las mujeres, prefería un amante, y ahora que su amante era yo no pensaría en Léa. En todo caso, en lo que a ésta se refiere, no habíamos pasado de la primera afirmación, y yo ignoraba si Albertina la conocía. Mas para el caso era igual. Había que impedir a todo trance que Albertina pudiera encontrar en el Trocadero a aquella persona conocida o conocerla si no la conocía. Digo que no sabía si conocía a Léa o no; sin embargo, debía de saberlo en Balbec por la misma Albertina. Y es que el olvido borraba en mí, tanto como en Albertina, gran parte de las cosas que me había dicho. Pues la memoria, en vez de un ejemplar duplicado, siempre presente ante nuestros ojos, de los diversos hechos de nuestra vida, es más bien un vacío del que de cuando en cuando una similitud actual nos permite sacar, resucitados, recuerdos muertos; pero hay, además, mil pequeños hechos que no han caído en esa virtualidad de «Ya me hubiera bastado, por lo menos en cuanto a muchas mujeres, reunir ante mi amiga, en una síntesis, sus afirmaciones contradictorias para convencerla de sus faltas (faltas que, como las leyes astronómicas, son más fáciles de deducir mediante el razonamiento que de observar, que de sorprender en la realidad). Pero mi amiga hubiera preferido decir que había mentido cuando hizo una de aquellas afirmaciones, que una vez anulada derrumbaría todo mi sistema, antes que reconocer que todo lo que había contado desde el principio no era más que un amasijo de cuentos mentirosos. Parecidos los hay en Las mil y una noches y nos encantan. En una persona a la que amamos nos hacen sufrir, y por eso nos permiten internarnos un poco más en el conocimiento de la naturaleza humana en vez de contentarnos con engañarnos en su superficie. Nos penetra la pena y, por la curiosidad dolorosa, nos obliga a penetrar. De aquí ciertas verdades que no nos creemos con derecho a ocultar, y un ateo moribundo que las ha descubierto, aunque seguro de la nada, sin la preocupación de la gloria, dedica sus últimas horas a procurar darlas a conocer»
Sans doute je n′en étais qu′à la première de ces affirmations pour Léa. J′ignorais même si Albertine la connaissait ou non. N′importe, cela revenait au même. Il fallait à tout prix éviter qu′au Trocadéro elle pût retrouver cette connaissance, ou faire la connaissance de cette inconnue. Je dis que je ne savais si elle connaissait Léa ou non ; j′avais dû pourtant l′apprendre à Balbec, d′Albertine elle-même. Car l′oubli anéantissait aussi bien chez moi que chez Albertine une grande part des choses qu′elle m′avait affirmées. La mémoire, au lieu d′un exemplaire en double, toujours présent à nos yeux, des divers faits de notre vie, est plutôt un néant d′où par instant une similitude actuelle nous permet de tirer, ressuscités, des souvenirs morts ; mais encore il y a mille petits faits qui ne sont pas tombés dans cette virtualité de la mémoire, et qui resteront à jamais incontrôlables pour nous. Tout ce que nous ignorons se rapporter à la vie réelle de la personne que nous aimons, nous n′y faisons aucune attention, nous oublions aussitôt ce qu′elle nous a dit à propos de tel fait ou de telles gens que nous ne connaissons pas, et l′air qu′elle avait en nous le disant. Aussi, quand ensuite notre jalousie est excitée par ces mêmes gens, pour savoir si elle ne se trompe pas, si c′est bien à eux qu′elle doit rapporter telle hâte que notre maîtresse a de sortir, tel mécontentement que nous l′en ayons privée en rentrant trop tôt, notre jalousie, fouillant le passé pour en tirer des indications, n′y trouve rien ; toujours rétrospective, elle est comme un historien qui aurait à faire une histoire pour laquelle il n′est aucun document ; toujours en retard, elle se précipite comme un taureau furieux là où ne se trouve pas l′être fier et brillant qui l′irrite de ses piqûres et dont la foule cruelle admire la magnificence et la ruse. La jalousie se débat dans le vide, incertaine comme nous le sommes dans ces rêves où nous souffrons de ne pas trouver dans sa maison vide une personne que nous avons bien connue dans la vie, mais qui peut-être en est ici une autre et a seulement emprunté les traits d′un autre personnage, incertaine comme nous le sommes plus encore après le réveil quand nous cherchons à identifier tel ou tel détail de notre rêve. Quel air avait notre amie en nous disant cela ; n′avait-elle pas l′air heureux, ne sifflait-elle même pas, ce qu′elle ne fait que quand elle a quelque pensée amoureuse ? Au temps de l′amour, pour peu que notre présence l′importune et l′irrite, ne nous a-t-elle pas dit une chose qui se trouve en contradiction avec ce qu′elle nous affirme maintenant, qu′elle connaît ou ne connaît pas telle personne ? Nous ne le savons pas, nous ne le saurons jamais ; nous nous acharnons à chercher les débris inconsistants d′un rêve, et pendant ce temps notre vie avec notre maîtresse continue, notre vie distraite devant ce que nous ignorons être important pour nous, attentive à ce qui ne l′est peut-être pas, encauchemardée par des êtres qui sont sans rapports réels avec nous, pleine d′oublis, de lacunes, d′anxiétés vaines, notre vie pareille à un songe. Mas para el caso era igual. Había que impedir a todo trance que Albertina pudiera encontrar en el Trocadero a aquella persona conocida o conocerla si no la conocía. Digo que no sabía si conocía a Léa o no; sin embargo, debía de saberlo en Balbec por la misma Albertina. Y es que el olvido borraba en mí, tanto como en Albertina, gran parte de las cosas que me había dicho. Pues la memoria, en vez de un ejemplar duplicado, siempre presente ante nuestros ojos, de los diversos hechos de nuestra vida, es más bien un vacío del que de cuando en cuando una similitud actual nos permite sacar, resucitados, recuerdos muertos; pero hay, además, mil pequeños hechos que no han caído en esa virtualidad de la memoria y que permanecerán siempre incontrolables para nosotros. No prestamos ninguna atención a lo que ignoramos de la vida real en torno a la persona amada, olvidamos inmediatamente lo que nos ha dicho de un hecho o de unas personas que no conocemos, así como su actitud al decírnoslo. Por eso cuando, posteriormente, esas mismas personas suscitan nuestros celos, para saber si no se engañan, si es a ellas a quien deben achacar una impaciencia de la amada por salir, un descontento de que se lo hayamos impedido volviendo demasiado pronto, nuestros celos, hurgando en el pasado para sacar deducciones, no encuentran nada en él; siempre retrospectivos, son como un historiador que se pone a escribir una historia para la cual no hay ningún documento; siempre retrasados, se precipitan como un toro furioso allí donde no se encuentra la persona orgullosa y brillante que los irrita con sus picaduras y cuya magnificencia, cuya astucia, admira la multitud cruel. Los celos se debaten en el vacío, inciertos como lo estamos en esos sueños en los que sufrimos por no encontrar eri su casa vacía a una persona que hemos conocido bien en la vida, pero que aquí acaso es otra que ha tomado solamente el exterior de otro personaje, inciertos como lo estamos más aún cuando, ya despiertos, intentamos identificar tal o cual detalle de nuestro sueño. ¿Cómo estaba nuestra amiga al decirnos aquello? ¿No parecía muy contenta, hasta silbando, cosa que hace solamente cuando tiene algún pensamiento amoroso y nuestra presencia la importuna y la irrita? ¿No nos dijo una cosa que está en contradicción con lo que nos dice ahora, que conocía o no conocía a tal persona? No lo sabemos, no lo sabremos nunca. Nos esforzamos en buscar los retazos inconsistentes de un sueño, y mientras tanto nuestra vida con nuestra amante continúa, nuestra vida distraída ante lo que ignoramos que es importante para nosotros, atenta a lo que acaso no lo es, obsesionada con seres que no tienen verdadera relación con nosotros, llena de olvidos, de lagunas, de vanas ansiedades, nuestra vida semejante a un sueño.
Je m′aperçus que la petite laitière était toujours là. Je lui dis que décidément ce serait bien loin, que je n′avais pas besoin d′elle. Aussitôt elle trouva aussi que ce serait trop gênant : « Il y a un beau match tantôt, je ne voudrais pas le manquer. » Je sentis qu′elle devait déjà aimer les sports et que dans quelques années elle dirait : vivre sa vie. Je lui dis que décidément je n′avais pas besoin d′elle et je lui donnai cinq francs. Aussitôt, s′y attendant si peu, et se disant que, si elle avait cinq francs pour ne rien faire, elle aurait beaucoup pour ma course, elle commença à trouver que son match n′avait pas d′importance. « J′aurais bien fait votre course. On peut toujours s′arranger. » Mais je la poussai vers la porte, j′avais besoin d′être seul, il fallait à tout prix empêcher qu′Albertine pût retrouver au Trocadéro les amies de Léa. Il le fallait, il fallait y réussir ; à vrai dire je ne savais pas encore comment, et pendant ces premiers instants j′ouvrais mes mains, les regardais, faisais craquer les jointures de mes doigts, soit que l′esprit qui ne peut trouver ce qu′il cherche, pris de paresse, s′accorde de faire halte pendant un instant, où les choses les plus indifférentes lui apparaissent distinctement, comme ces pointes d′herbe des talus qu′on voit du wagon trembler au vent, quand le train s′arrête en rase campagne — immobilité qui n′est pas toujours plus féconde que celle de la bête capturée qui, paralysée par la peur ou fascinée, regarde sans bouger — soit que je tinsse tout préparé mon corps — avec mon intelligence au dedans et en celle-ci les moyens d′action sur telle ou telle personne — comme n′étant plus qu′une arme d′où partirait le coup qui séparerait Albertine de Léa et de ses deux amies. Certes, le matin, quand Françoise était venue me dire qu′Albertine irait au Trocadéro, je m′étais dit : « Albertine peut bien faire ce qu′elle veut », et j′avais cru que jusqu′au soir, par ce temps radieux, ses actions resteraient pour moi sans importance perceptible ; mais ce n′était pas seulement le soleil matinal, comme je l′avais pensé, qui m′avait rendu si insouciant ; c′était parce que, ayant obligé Albertine à renoncer aux projets qu′elle pouvait peut-être amorcer ou même réaliser chez les Verdurin, et l′ayant réduite à aller à une matinée que j′avais choisie moi-même et en vue de laquelle elle n′avait pu rien préparer, je savais que ce qu′elle ferait serait forcément innocent. De même, si Albertine avait dit quelques instants plus tard : « Si je me tue, cela m′est bien égal », c′était parce qu′elle était persuadée qu′elle ne se tuerait pas. Devant moi, devant Albertine, il y avait en ce matin (bien plus que l′ensoleillement du jour) ce milieu que nous ne voyons pas, mais par l′intermédiaire translucide et changeant duquel nous voyions, moi ses actions, elle l′importance de sa propre vie, c′est-à-dire ces croyances que nous ne percevons pas, mais qui ne sont pas plus assimilables à un pur vide que n′est l′air qui nous entoure ; composant autour de nous une atmosphère variable, parfois excellente, souvent irrespirable, elles mériteraient d′être relevées et notées avec autant de soin que la température, la pression barométrique, la saison, car nos jours ont leur originalité, physique et morale. La croyance, non remarquée ce matin par moi et dont pourtant j′avais été joyeusement enveloppé jusqu′au moment où j′avais rouvert le Figaro, qu′Albertine ne ferait rien que d′inoffensif, cette croyance venait de disparaître. Je ne vivais plus dans la belle journée, mais dans une journée créée au sein de la première par l′inquiétude qu′Albertine renouât avec Léa, et plus facilement encore avec les deux jeunes filles, si elles allaient, comme cela me semblait probable, applaudir l′actrice au Trocadéro, où il ne leur serait pas difficile, dans un entr′acte, de retrouver Albertine. Je ne songeais plus à Mlle Vinteuil ; le nom de Léa m′avait fait revoir, pour en être jaloux, l′image d′Albertine au Casino près des deux jeunes filles. Car je ne possédais dans ma mémoire que des séries d′Albertine séparées les unes des autres, incomplètes, des profils, des instantanés ; aussi ma jalousie se confinait-elle à une expression discontinue, à la fois fugitive et fixée, et aux êtres qui l′avaient amenée sur la figure d′Albertine. Je me rappelais celle-ci quand, à Balbec, elle était trop regardée par les deux jeunes filles ou par des femmes de ce genre ; je me rappelais la souffrance que j′éprouvais à voir parcourir, par des regards actifs comme ceux d′un peintre qui veut prendre un croquis, le visage entièrement recouvert par eux et qui, à cause de ma présence sans doute, subissait ce contact sans avoir l′air de s′en apercevoir, avec une passivité peut-être clandestinement voluptueuse. Et avant qu′elle se ressaisît et me parlât, il y avait une seconde pendant laquelle Albertine ne bougeait pas, souriait dans le vide, avec le même air de naturel feint et de plaisir dissimulé que si on avait été en train de faire sa photographie ; ou même pour choisir devant l′objectif une pose plus fringante — celle même qu′elle avait prise à Doncières quand nous nous promenions avec Saint-Loup : riant et passant sa langue sur ses lèvres, elle faisait semblant d′agacer un chien. Certes, à ces moments, elle n′était nullement la même que quand c′était elle qui était intéressée par des fillettes qui passaient. Dans ce dernier cas, au contraire, son regard étroit et velouté se fixait, se collait sur la passante, si adhérent, si corrosif, qu′il semblait qu′en se retirant il aurait dû emporter la peau. Mais en ce moment ce regard-là, qui du moins lui donnait quelque chose de sérieux, jusqu′à la faire paraître souffrante, m′avait semblé doux auprès du regard atone et heureux qu′elle avait près des deux jeunes filles, et j′aurais préféré la sombre expression du désir, qu′elle ressentait peut-être quelquefois, à la riante expression causée par le désir qu′elle inspirait. Elle avait beau essayer de voiler la conscience qu′elle en avait, celle-ci la baignait, l′enveloppait, vaporeuse, voluptueuse, faisait paraître sa figure toute rose. Mais tout ce qu′Albertine tenait à ces moments-là en suspens en elle, qui irradiait autour d′elle et me faisait tant souffrir, qui sait si, hors de ma présence, elle continuerait à le taire, si aux avances des deux jeunes filles, maintenant que je n′étais pas là, elle ne répondrait pas audacieusement. Certes, ces souvenirs me causaient une grande douleur, ils étaient comme un aveu total des goûts d′Albertine, une confession générale de son infidélité contre quoi ne pouvaient prévaloir les serments particuliers qu′elle me faisait, auxquels je voulais croire, les résultats négatifs de mes incomplètes enquêtes, les assurances, peut-être faites de connivence avec elle, d′Andrée. Albertine pouvait me nier ses trahisons particulières ; par des mots qui lui échappaient, plus forts que les déclarations contraires, par ces regards seuls, elle avait fait l′aveu de ce qu′elle eût voulu cacher, bien plus que de faits particuliers, de ce qu′elle se fût fait tuer plutôt que de reconnaître : de son penchant. Car aucun être ne veut livrer son âme. Malgré la douleur que ces souvenirs me causaient, aurais-je pu nier que c′était le programme de la matinée du Trocadéro qui avait réveillé mon besoin d′Albertine ? Elle était de ces femmes à qui leurs fautes pourraient au besoin tenir lieu de charme, et autant que leurs fautes, leur bonté qui y succède et ramène en nous cette douceur qu′avec elles, comme un malade qui n′est jamais bien portant deux jours de suite, nous sommes sans cesse obligés de reconquérir. D′ailleurs, plus même que leurs fautes pendant que nous les aimons, il y a leurs fautes avant que nous les connaissions, et la première de toutes : leur nature. Ce qui rend douloureuses de telles amours, en effet, c′est qu′il leur préexiste une espèce de péché originel de la femme, un péché qui nous les fait aimer, de sorte que, quand nous l′oublions, nous avons moins besoin d′elle et que, pour recommencer à aimer, il faut recommencer à souffrir. En ce moment, qu′elle ne retrouvât pas les deux jeunes files et savoir si elle connaissait Léa ou non était ce qui me préoccupait le plus, en dépit de ce qu′on ne devrait pas s′intéresser aux faits particuliers autrement qu′à cause de leur signification générale, et malgré la puérilité qu′il y a, aussi grande que celle du voyage ou du désir de connaître des femmes, de fragmenter sa curiosité sur ce qui, du torrent invisible des réalités cruelles qui nous resteront toujours inconnues, a fortuitement cristallisé dans notre esprit. D′ailleurs, arriverions-nous à détruire cette cristallisation qu′elle serait remplacée par une autre aussitôt. Hier je craignais qu′Albertine n′allât chez Mme Verdurin. Maintenant je n′étais plus préoccupé que de Léa. La jalousie, qui a un bandeau sur les yeux, n′est pas seulement impuissante à rien découvrir dans les ténèbres qui l′enveloppent, elle est encore un de ces supplices où la tâche est à recommencer sans cesse, comme celle des Danas, comme celle d′Ixion. Même si ses amies n′étaient pas là, quelle impression pouvait faire sur elle Léa embellie par le travestissement, glorifiée par le succès ? quelles rêveries laisserait-elle à Albertine ? quels désirs qui, même refrénés, lui donneraient le dégoût d′une vie chez moi où elle ne pouvait les assouvir ? Me di cuenta de que la lecherita seguía allí. Le dije que, decididamente, aquello estaba muy lejos, que no la necesitaba. Entonces a ella le pareció también que hubiera sido demasiado molesto: -Dentro de poco empieza un buen partido, no quisiera perderlo. Me di cuenta de que aquella muchacha debía de decir ya: afición a los deportes, y que a los pocos años diría: vivir su vida. Le dije que, decididamente, no la necesitaba y le di cinco francos. Como no lo esperaba, inmediatamente pensó que si le había dado cinco francos por no hacer nada, le hubiera dado mucho por el recado, y empezó a considerar que su partido no tenía importancia. -Hubiera podido hacerle el recado. Podemos arreglarnos. Pero la empujé hacia la puerta, necesitaba estar solo; había que impedir a todo trance que Albertina se encontrara en el Trocadero con las amigas de Léa. Había que evitarlo, había que evitarlo a todo trance; a decir verdad, yo no sabía aún de qué manera, y en los primeros momentos abría las manos, las miraba, hacía chascar las articulaciones de los dedos, bien porque la mente que no puede encontrar lo que busca se empereza y se concede un alto de un momento en el que las cosas más indiferentes se le aparecen claras, como esas hierbas de las laderas que desde el vagón vemos temblar al viento cuando el tren se detiene en pleno campo (inmovilidad no siempre más fecunda que la del animal capturado que paralizado por el miedo o fascinado mira sin moverse), bien porque yo tuviese ya dispuesto mi cuerpo -con mi inteligencia dentro y en ésta los medios de acción sobre tal o cual persona- como si no fuera ya más que un arma de la que partiría el disparo que iba a separar a Albertina de Léa y de sus dos amigas. Cierto que cuando Francisca vino por la mañana a decirme que Albertina iba a ir al Trocadero me dije: «Albertina puede hacer lo que le dé la gana», y creí que hasta la noche, con aquel tiempo radiante, lo que Albertina hiciera no tendría para mí importancia perceptible. Pero no era solamente el sol mañanero, como yo pensé, lo que me dio aquella indiferencia; era porque, después de obligar a Albertina a renunciar a los proyectos que acaso podía iniciar o incluso realizar con los Verdurin, y de reducirla a ir a una matinée que yo mismo había elegido y para la que ella no había podido preparar nada, sabía que lo que hiciera sería forzosamente inocente. De la misma manera, si Albertina había dicho poco después: «Si me mato, me importa poco», era porque estaba segura de que no se mataría. Aquella mañana había ante mí, ante Albertina (mucho más que el claro sol del día), ese medio que no vemos, pero a través del cual, traslúcido y cambiante, percibíamos: yo, sus actos; ella, la importancia de su propia vida; es decir, esas creencias invisibles, pero no más asimilables a un puro vacío de lo que lo es el aire que nos rodea; crean en torno a nosotros una atmósfera variable, excelente a veces, y respirable con frecuencia, y merecerían ser observadas y anotadas con tanto cuidado como la temperatura, la presión barométrica, la estación, pues nuestros días tienen su originalidad física y moral. La creencia -no advertida aquella mañana por mí, pero que, sin embargo, me había vuelto gozosamente hasta el momento en que abrí Le Figaro- de que Albertina no haría nada que no fuera inofensivo, aquella creencia acababa de desaparecer. Ya no vivía yo en el hermoso día, sino en un día creado dentro del primero por la inquietud de que Albertina reanudara relaciones con Léa, y más fácilmente aún con las dos muchachas si, como me parecía probable, iban a aplaudir a la actriz en el Trocadero, donde no les sería difícil encontrarse con Albertina en un entreacto. Ya no pensaba en mademoiselle Vinteuil; el nombre de Léa me había hecho volver a ver, renovando mis celos, la imagen de Albertina en el casino cerca de las dos muchachas. Pues yo no tenía en la memoria más que series de Albertinas separadas unas de otras, incompletas, perfiles, instantáneas; en consecuencia, mis celos se confinaban en una expresión discontinua, a la vez fugitiva y fija, y en los seres que la habían llevado al rostro de Albertina. Recordaba a ésta cuando, en Balbec, la miraban demasiado las dos muchachas u otras mujeres de este género; recordaba lo que me hacía sufrir verla recorrer con miradas activas, como las de un pintor que quiere tomar un apunte, el rostro enteramente cubierto por ella y que, sin duda debido a mi presencia, sufría aquel contacto sin aparentar que se daba cuenta de él con una pasividad acaso clandestinamente voluptuosa. Y antes de que se tranquilizara y me hablara, mediaba un segundo durante el cual Albertina no se movía, sonreía en el vacío, con el mismo aire de naturalidad fingida y de placer disimulado que si la estuvieran retratando, o incluso para elegir ante el objetivo una pose más vivaz -la misma que había adoptado en Doncières cuando paseábamos con Saint-Loup: sonriendo y pasándose la lengua por los labios, parecía estar excitando a un perro-. Desde luego en tales momentos no era en absoluto la misma que cuando miraba con interés a las muchachitas que pasaban. En este caso, por el contrario, sus ojos entornados y dulces se clavaban, se pegaban a la muchacha que pasaba, tan adherentes, tan corrosivos, que parecía que al retirarlos iban a llevarse la piel. Pero en este momento aquella mirada, que al menos le daba algo de seriedad, hasta el punto de parecer enferma, me pareció dulce comparada con la mirada atónita y feliz que dirigía a las dos muchachas, y hubiera preferido la sombría expresión del deseo que quizá sentía algunas veces a la gozosa expresión causada por el deseo que ella inspiraba. Por más que disimulara la conciencia que tenía de este deseo, esa conciencia la bañaba, la envolvía, vaporosa, voluptuosa, patente en el rosa muy vivo de su cara. Pero quién sabe si todo lo que Albertina tenía ahora en suspenso dentro de ella, lo que irradiaba en torno suyo y tanto me hacía sufrir, quién sabe si fuera de mi presencia seguiría callándolo, si, cuando no estuviera yo a su lado, no respondería audazmente a las insinuaciones de las dos muchachas. Estos recuerdos me causaban gran dolor, eran como una confesión total de los gustos de Albertina, una confesión general de su infidelidad, contra la que no podían prevalecer los juramentos particulares de Albertina en los que yo quería creer, los resultados negativos de mis incompletas averiguaciones, las seguridades de Andrea, dadas quizá en connivencia con Albertina. Albertina podía negarme sus traiciones particulares; con Palabras que se le escapaban, más fuertes que las declaraciones contrarias, simplemente con aquellas miradas, había confesado lo que quería ocultar, mucho más que hechos particulares, lo que antes se hubiera dejado matar que reconocerlo: su inclinación. Pues ninguna persona quiere descubrir su alma. A pesar del dolor que estos recuerdos me causaban, ¿cómo negar que era el programa de la matinée del Trocadero lo que había despertado mi necesidad de Albertina? Era de esas mujeres cuyas faltas podrían, llegado el caso, pasar por encantos, y, como sus faltas, la bondad que las sucede y nos devuelve esa dulzura que con ellas nos vemos obligados a reconquistar, como un enfermo que nunca está bien dos días seguidos. Por otra parte, más aún que sus faltas cuando las amamos, hay sus faltas antes de conocerlas, y la primera de todas su naturaleza. En efecto, lo que hace dolorosos estos amores es que les preexiste una especie de pecado original de la mujer, un pecado que nos hace amarlas, de suerte que cuando lo olvidamos las necesitamos menos y que para volver a amarlas hay que volver a sufrir. En este momento lo que más me preocupaba era que no se encontrara con las dos muchachas y saber si conocía o no a Léa, aunque no debieran interesarnos los hechos particulares sino por su significado general, y a pesar de la puerilidad, tan grande como la del viaje o la del deseo de conocer mujeres que hay en fragmentar la curiosidad en lo que del invisible torrente de las realidades crueles que siempre nos serán desconocidas ha cristalizado fortuitamente en nuestro espíritu. Por otra parte, aunque lográramos destruirlo, sería inmediatamente reemplazado por otra cosa. Ayer yo temía que Albertina fuera a casa de madame Verdurin. Ahora sólo me preocupaba Léa. Los celos, que tienen una venda en los ojos, no sólo son impotentes para ver nada en las tinieblas que los rodean, son también uno de esos suplicios en los que hay que recomenzar siempre la tarea, como la de las Danaides, como la de Ixión. Aunque no estuvieran allí las dos muchachas, ¡qué impresión podía hacerle a Albertina, embellecida por su papel, glorificada por el éxito!, ¡qué sueños dejaría en Albertina, qué deseos que, aun refrenados en mi casa, le darían la contrariedad de una vida en la que no podía satisfacerlos!
D′ailleurs, qui sait si elle ne connaissait pas Léa et n′irait pas la voir dans sa loge ? et même, si Léa ne la connaissait pas, qui m′assurait que, l′ayant en tous cas aperçue à Balbec, elle ne la reconnaîtrait pas et ne lui ferait pas de la scène un signe qui autoriserait Albertine à se faire ouvrir la porte des coulisses ? Un danger semble très évitable quand il est conjuré. Celui-ci ne l′était pas encore, j′avais peur qu′il ne pût pas l′être, et il me semblait d′autant plus terrible. Et pourtant, cet amour pour Albertine, que je sentais presque s′évanouir quand j′essayais de le réaliser, la violence de ma douleur en ce moment semblait en quelque sorte m′en donner la preuve. Je n′avais plus souci de rien d′autre, je ne pensais qu′aux moyens de l′empêcher de rester au Trocadéro, j′aurais offert n′importe quelle somme à Léa pour qu′elle n′y allât pas. Si donc on prouve sa préférence par l′action qu′on accomplit plus que par l′idée qu′on forme, j′aurais aimé Albertine. Mais cette reprise de ma souffrance ne donnait pas plus de consistance en moi à l′image d′Albertine. Elle causait mes maux comme une divinité qui reste invisible. Faisant mille conjectures, je cherchais à parer à ma souffrance sans réaliser pour cela mon amour. D′abord il fallait être certain que Léa allât vraiment au Trocadéro. Après avoir congédié la laitière, je téléphonai à Bloch, lié lui aussi avec Léa, pour le lui demander. Il n′en savait rien et parut étonné que cela pût m′intéresser. Je pensai qu′il me fallait aller vite, que Françoise était tout habillée et moi pas, et, pendant que moi-même je me levais, je lui fis prendre une automobile ; elle devait aller au Trocadéro, prendre un billet, chercher Albertine partout dans la salle, et lui remettre un mot de moi. Dans ce mot, je lui disais que j′étais bouleversé par une lettre reçue à l′instant de la même dame à cause de qui elle savait que j′avais été si malheureux une nuit à Balbec. Je lui rappelais que le lendemain elle m′avait reproché de ne pas l′avoir fait appeler. Aussi je me permettais, lui disais-je, de lui demander de me sacrifier sa matinée et de venir me chercher pour aller prendre un peu l′air ensemble afin de tâcher de me remettre. Mais comme j′en avais pour assez longtemps avant d′être habillé et prêt, elle me ferait plaisir de profiter de la présence de Françoise pour aller acheter aux Trois-Quartiers (ce magasin, étant plus petit, m′inquiétait moins que le Bon Marché) la guimpe de tulle blanc dont elle avait besoin. Mon mot n′était probablement pas inutile. À vrai dire, je ne savais rien qu′eût fait Albertine, depuis que je la connaissais, ni même avant. Mais dans sa conversation (Albertine aurait pu, si je lui en eusse parlé, dire que j′avais mal entendu), il y avait certaines contradictions, certaines retouches qui me semblaient aussi décisives qu′un flagrant délit, mais moins utilisables contre Albertine qui, souvent, prise en fraude comme un enfant, grâce à de brusques redressements stratégiques, avait chaque fois rendu vaines mes cruelles attaques et rétabli la situation. Cruelles surtout pour moi. Elle usait, non par raffinement de style, mais pour réparer ses imprudences, de ces brusques sautes de syntaxe ressemblant un peu à ce que les grammairiens appellent anacoluthe ou je ne sais comment. S′étant laissée aller, en parlant femmes, à dire : « Je me rappelle que dernièrement je », brusquement, après un « quart de soupir », « je » devenait « elle », c′était une chose qu′elle avait aperçue en promeneuse innocente, et nullement accomplie. Ce n′était pas elle qui était le sujet de l′action. J′aurais voulu me rappeler exactement le commencement de la phrase pour conclure moi-même, puisqu′elle lâchait pied, à ce qu′en eût été la fin. Mais comme j′avais attendu cette fin, je me rappelais mal le commencement, que peut-être mon air d′intérêt lui avait fait dévier, et je restais anxieux de sa pensée vraie, de son souvenir véridique. Il en est malheureusement des commencements d′un mensonge de notre maîtresse comme des commencements de notre propre amour, ou d′une vocation. Ils se forment, se conglomèrent, ils passent, inaperçus de notre propre attention. Quand on veut se rappeler de quelle façon on a commencé d′aimer une femme, on aime déjà ; les rêveries d′avant, on ne se disait pas : c′est le prélude d′un amour, faisons attention ; et elles avançaient par surprise, à peine remarquées de nous. De même, sauf des cas relativement assez rares, ce n′est guère que pour la commodité du récit que j′ai souvent opposé ici un dire mensonger d′Albertine à son assertion première sur le même sujet. Cette assertion première, souvent, ne lisant pas dans l′avenir et ne devinant pas quelle affirmation contradictoire lui ferait pendant, elle s′était glissée inaperçue, entendue certes de mes oreilles, mais sans que je l′isolasse de la continuité des paroles d′Albertine. Plus tard, devant le mensonge parlant, ou pris d′un doute anxieux, j′aurais voulu me rappeler ; c′était en vain ; ma mémoire n′avait pas été prévenue à temps ; elle avait cru inutile de garder copie. Además, ¿quién sabe si no conocía a Léa y no iría a verla a su camerino? Y aunque no la conociera, ¿quién me aseguraba que habiéndola visto, desde luego, en Balbec no la reconocería y no le haría desde el escenario una seña que autorizara a Albertina a que le abrieran la puerta de entre bastidores? Un peligro parece muy evitable cuando ha sido conjurado. Éste no lo había sido todavía, yo tenía miedo de que no se pudiera conjurar, y por eso me parecía más terrible. Y, sin embargo, la violencia de mi dolor en este momento parecía en cierto modo darme la prueba de mi amor a Albertina, aquel amor que casi desaparecía cuando intentaba realizarlo. Ya no pensaba en ninguna otra cosa, sólo en los medios de impedir que se quedara en el Trocadero, y habría ofrecido mucho dinero a Léa por que no fuera. Así, pues, si la preferencia se demuestra por la acción que realizamos más que por la idea que nos formamos, yo habría amado a Albertina. Pero este renacimiento de mi dolor no daba en mí más consistencia a la imagen de Albertina. Causaba mis males como una divinidad que permanece invisible. Con mil conjeturas, procuraba hacer frente a mi dolor sin por eso realizar mi amor. En primer lugar había que estar seguro de que Léa iba a ir verdaderamente al Trocadero. Después de despedir a la lechera dándole dos francos, telefoneé a Bloch, que también conocía a Léa, para preguntárselo. No sabía nada y pareció extrañarle que esto pudiera interesarme. Pensé que tenía que darme prisa, que Francisca estaba ya vestida y yo no, y mientras me lavaba le hice tomar un automóvil; tenía que ir al Trocadero, sacar una entrada, buscar a Albertina en la sala y entregarle unas letras mías. En ellas le decía que estaba muy inquieto porque acababa de recibir una carta de aquella dama por la cual había sufrido tanto una noche en Balbec, como ella sabía. Le recordé que al día siguiente ella, Albertina, me había reprochado que no mandara a buscarla. Por eso me permitía pedirle que me sacrificara la matinée y viniera a buscarme para ir a tomar juntos el aire a ver si me reponía. Pero como tardaría bastante tiempo en vestirme y prepararme, me gustaría mucho que aprovechara la presencia de Francisca para ir a comprar a los Trois-Quartiers (pues este almacén, por ser más pequeño, me inquietaba menos que el Bon Marché) el camisolín de tul blanco que necesitaba./ Probablemente, mi carta no era inútil. En realidad, yo no sabía nada de lo que había hecho Albertina desde que yo la conocía, ni tampoco antes. Pero en su conversación (Albertina habría podido decir, si yo le hubiese hablado de ellas, que había entendido mal) había ciertas contradicciones, ciertos retoques que me parecían tan decisivos como un flagrante delito, pero menos utilizables contra Albertina, que muchas veces, cogida en fraude como un niño, con aquella brusca retirada estratégica, había rechazado cada vez mis duros ataques y restablecido la situación. Duros para mí. No por refinamiento de estilo, sino para reparar sus imprudencias, Albertina recurría a esos bruscos saltos de sintaxis que se parecen un poco a lo que los gramáticos llaman anacoluto o no sé cómo. Un día, hablando de mujeres, se le escapó decir: «Recuerdo que, hace poco, yo ...»; y como bruscamente, después de un «cuarto de suspiro», el «yo» se transformaba en «ella»: era una cosa que ella había visto como paseante inocente, y en modo alguno realizada. No era ella el sujeto de la acción. Me hubiera gustado recordar exactamente el principio de la frase para deducir yo mismo el final, ya que ella recogía velas. Pero como yo esperaba este final, recordaba mal el comienzo, que acaso mi interés le había hecho desviar, y me quedaba ansioso de su verdadero pensamiento, de su recuerdo verídico. Desgraciadamente, con los comienzos de una mentira de nuestra amada ocurre como con los comienzos de nuestro propio amor o de una vocación. Se forman, se conglomeran, pasan inadvertidos a nuestra propia atención. Cuando queremos recordar cómo comenzamos a amar a una mujer, ya la amamos; en los deliquios de antes, no nos decíamos: esto es el preludio de un amor, pongamos atención; y avanzaban por sorpresa, sin que apenas los notáramos. De igual modo, salvo en casos relativamente bastante raros, puede decirse que sólo por comodidad del relato he enfrentado aquí a veces un dicho mentiroso de Albertina con su aserción primera (sobre el mismo asunto). Esta primera aserción, como yo no leía en el futuro y no adivinaba la afirmación contradictoria que la iba a acompañar después, solía pasarme inadvertida, oyéndola con los oídos, pero sin aislarla de la continuidad de las palabras de Albertina. Después, ante la mentira patente, o presa de una duda ansiosa, habría querido recordar, pero en vano: mi memoria no había sido advertida a tiempo y había creído inútil guardar copia.
Je recommandai à Françoise, quand elle aurait fait sortir Albertine de la salle, de m′en avertir par téléphone et de la ramener, contente ou non. « Il ne manquerait plus que cela qu′elle ne soit pas contente de venir voir Monsieur, répondit Françoise. — Mais je ne sais pas si elle aime tant que cela me voir. — Il faudrait qu′elle soit bien ingrate », reprit Françoise, en qui Albertine renouvelait, après tant d′années, le même supplice d′envie que lui avait causé jadis Eulalie auprès de ma tante. Ignorant que la situation d′Albertine auprès de moi n′avait pas été cherchée par elle mais voulue par moi (ce que, par amour-propre et pour faire enrager Françoise, j′aimais autant lui cacher), elle admirait et exécrait son habileté, l′appelait, quand elle parlait d′elle aux autres domestiques, une « comédienne », une « enjôleuse » qui faisait de moi ce qu′elle voulait. Elle n′osait pas encore entrer en guerre contre elle, lui faisait bon visage, et se faisait mérite auprès de moi des services qu′elle me rendait dans ses relations avec moi, pensant qu′il était inutile de me rien dire et qu′elle n′arriverait à rien, mais à l′affût d′une occasion ; si jamais elle découvrait dans la situation d′Albertine une fissure, elle se promettait bien de l′élargir et de nous séparer complètement. « Bien ingrate ? Mais non, Françoise, c′est moi qui me trouve ingrat, vous ne savez pas comme elle est bonne pour moi. (Il m′était si doux d′avoir l′air d′être aimé !) Partez vite. — Je vais me cavaler et presto. » L′influence de sa fille commençait à altérer un peu le vocabulaire de Françoise. Ainsi perdent leur pureté toutes les langues par l′adjonction de termes nouveaux. Cette décadence du parler de Françoise, que j′avais connu à ses belles époques, j′en étais, du reste, indirectement responsable. La fille de Françoise n′aurait pas fait dégénérer jusqu′au plus bas jargon le langage classique de sa mère, si elle s′était contentée de parler patois avec elle. Elle ne s′en était jamais privée, et quand elles étaient toutes deux auprès de moi, si elles avaient des choses secrètes à se dire, au lieu d′aller s′enfermer dans la cuisine elles se faisaient, en plein milieu de ma chambre, une protection plus infranchissable que la porte la mieux fermée, en parlant patois. Je supposais seulement que la mère et la fille ne vivaient pas toujours en très bonne intelligence, si j′en jugeais par la fréquence avec laquelle revenait le seul mot que je pusse distinguer : m′esasperat (à moins que l′objet de cette exaspération ne fût moi). Malheureusement la langue la plus inconnue finit par s′apprendre quand on l′entend toujours parler. Je regrettai que ce fût le patois, car j′arrivais à le savoir et n′aurais pas moins bien appris si Françoise avait eu l′habitude de s′exprimer en persan. Françoise, quand elle s′aperçut de mes progrès, eut beau accélérer son débit, et sa fille pareillement, rien n′y fit. La mère fut désolée que je comprisse le patois, puis contente de me l′entendre parler. À vrai dire, ce contentement, c′était de la moquerie, car bien que j′eusse fini par le prononcer à peu près comme elle, elle trouvait entre nos deux prononciations des abîmes qui la ravissaient et se mit à regretter de ne plus voir des gens de son pays auxquels elle n′avait jamais pensé depuis bien des années et qui, paraît-il, se seraient tordus d′un rire qu′elle eût voulu entendre, en m′écoutant parler si mal le patois. Cette seule idée la remplissait de gaîté et de regret, et elle énumérait tel ou tel paysan qui en aurait eu des larmes de rire. En tous cas, aucune joie ne mélangea la tristesse que, même le prononçant mal, je le comprisse bien. Les clefs deviennent inutiles quand celui qu′on veut empêcher d′entrer peut se servir d′un passe-partout ou d′une pince-monseigneur. Le patois devenant une défense sans valeur, elle se mit à parler avec sa fille un français qui devint bien vite celui des plus basses époques. Recomendé a Francisca que, cuando hiciera salir a Albertina del teatro, me avisara por teléfono y la trajera, contenta o no. -No faltaría más que eso, que no estuviera contenta de venir a ver al señor -contestó Francisca. -Pero yo no sé si le gusta tanto verme. -Bien ingrata tenía que ser -replicó Francisca, en quien Albertina renovaba, al cabo de tantos años, el mismo suplicio de envidia que en otro tiempo le causara Eulalia con relación a mi tía. Ignorando que la situación de Albertina conmigo no la había buscado ella, sino que la había querido yo (lo que yo prefería ocultarle, por amor propio y por hacerla rabiar), Francisca admiraba y execraba su habilidad, y cuando hablaba de ella a los otros criados, la llamaba «comedianta», «trapacera», que hacía de mí lo que quería. Aún no se atrevía a declararle la guerra, le ponía buena cara y hacía valer ante mí como un mérito los servicios que le hacía en sus relaciones conmigo, pensando que era inútil decirle nada y que nada conseguiría, pero al acecho de una ocasión; y si alguna vez llegaba a descubrir una fisura en la situación de Albertina, se prometía ensancharla y separarnos completamente. -¿Ingrata? No, Francisca, soy yo el que me considero ingrato, no sabe usted lo buena que es conmigo -¡me era tan dulce pasar por ser amado!-. Vaya en seguida. -Allá voy, y presto. La influencia de su hija empezaba a alterar un poco el vocabulario de Francisca. Así pierden su pureza todas las lenguas por adjunción de términos nuevos. De esta decadencia del habla de Francisca, que yo había conocido en sus buenos tiempos, era yo indirectamente responsable. La hija de Francisca no habría hecho degenerar hasta la más baja de las jergas el lenguaje clásico de su madre si se hubiera limitado a hablar el dialecto con ella. Nunca se había privado de hacerlo, y cuando estaban las dos conmigo, si tenían cosas secretas que decirse, en vez de ir a encerrarse en la cocina, se buscaban, hablando en dialecto en mitad de mi cuarto, una protección más infranqueable que la puerta mejor cerrada. A lo más que llegaba yo era a suponer que madre e hija no siempre vivían en buena armonía, a juzgar por la frecuencia con que repetían la única palabra que yo podía distinguir: m′esasperate (a menos que fuese yo el objeto de aquella exasperación). Desgraciadamente, la lengua más desconocida acabamos por aprenderla cuando oímos hablarla siempre. Yo lamenté que fuera el dialecto, pues llegué a saberlo, y lo mismo habría aprendido el persa si Francisca hubiera tenido la costumbre de expresarse en esta lengua. Cuando se dio cuenta de mis progresos, de nada sirvió que ella y su hija hablaran más de prisa. A la madre le disgustó muchísimo que yo entendiese el dialecto, pero después estaba muy contenta de oírme hablarlo. En realidad, este contento era más bien burla, pues aunque acabé por pronunciar aproximadamente como ella, ella encontraba entre nuestras dos pronunciaciones unos abismos que la encantaban y dio en lamentar no ver ya a algunas personas de su tierra en las que no había pensado nunca desde hacía años y que, al parecer, se habrían tronchado de risa, una risa que a ella le hubiera gustado oír, al oírme hablar tan mal el dialecto. Sólo pensarlo la llenaba de alegría y de pesar, y nombraba a tal o cual paisano suyo que habría llorado de risa. En todo caso, ninguna alegría atenuó la tristeza de que, aun pronunciando mal, la entendiera bien. Las llaves resultan inútiles cuando aquel a quien se quiere impedir que entre puede servirse de una llave universal o de una ganzúa. El dialecto era ya una defensa vulnerable, y Francisca se puso a hablar con su hija un francés que al poco tiempo era el francés de las bajas épocas.
J′étais prêt, Françoise n′avait pas encore téléphoné ; fallait-il partir sans attendre ? Mais qui sait si elle trouverait Albertine ? si celle-ci ne serait pas dans les coulisses ? si même, rencontrée par Françoise, elle se laisserait ramener ? Une demi-heure plus tard le tintement du téléphone retentit et dans mon cœur battaient tumultueusement l′espérance et la crainte. C′étaient, sur l′ordre d′un employé de téléphone, un escadron volant de sons qui avec une vitesse instantanée m′apportaient les paroles du téléphoniste, non celles de Françoise qu′une timidité et une mélancolie ancestrales, appliquées à un objet inconnu de ses pères, empêchaient de s′approcher d′un récepteur, quitte à visiter des contagieux. Elle avait trouvé au promenoir Albertine seule, qui, étant allée seulement prévenir Andrée qu′elle ne restait pas, avait rejoint aussitôt Françoise. « Elle n′était pas fâchée ? Ah ! pardon ! Demandez à cette dame si cette demoiselle n′était pas fâchée ?Â… — Cette dame me dit de vous dire que non pas du tout, que c′était tout le contraire ; en tous cas, si elle n′était pas contente ça ne se connaissait pas. Elles partent maintenant aux Trois-Quartiers et seront rentrées à deux heures. » Je compris que deux heures signifiait trois heures, car il était plus de deux heures. Mais c′était chez Françoise un de ces défauts particuliers, permanents, inguérissables, que nous appelons maladies, de ne pouvoir jamais regarder ni dire l′heure exactement. Je n′ai jamais pu comprendre ce qui se passait dans sa tête. Quand Françoise, ayant regardé sa montre, s′il était deux heures disait : il est une heure, ou il est trois heures, je n′ai jamais pu comprendre si le phénomène qui avait lieu alors avait pour siège la vue de Françoise, ou sa pensée, ou son langage ; ce qui est certain, c′est que ce phénomène avait toujours lieu. L′humanité est très vieille. L′hérédité, les croisements ont donné une force immuable à de mauvaises habitudes, à des réflexes vicieux. Une personne éternue et râle parce qu′elle passe près d′un rosier ; une autre a une éruption à l′odeur de la peinture fraîche ; beaucoup des coliques s′il faut partir en voyage, et des petits-fils de voleurs, qui sont millionnaires et généreux, ne peuvent résister à vous voler cinquante francs. Quant à savoir en quoi consistait l′impossibilité où était Françoise de dire l′heure exactement, ce n′est pas elle qui m′a jamais fourni aucune lumière à cet égard. Car, malgré la colère où ces réponses inexactes me mettaient d′habitude, Françoise ne cherchait ni à s′excuser de son erreur, ni à l′expliquer. Elle restait muette, avait l′air de ne pas m′entendre, ce qui achevait de m′exaspérer. J′aurais voulu entendre une parole de justification, ne fût-ce que pour la battre en brèche ; mais rien, un silence indifférent. En tous cas, pour ce qui était d′aujourd′hui il n′y avait pas de doute, Albertine allait rentrer avec Françoise à trois heures, Albertine ne verrait ni Léa ni ses amies. Alors ce danger qu′elle renouât des relations avec elles étant conjuré, il perdit aussitôt à mes yeux de son importance et je m′étonnai, en voyant avec quelle facilité il l′avait été, d′avoir cru que je ne réussirais pas à ce qu′il le fût. J′éprouvai un vif mouvement de reconnaissance pour Albertine qui, je le voyais, n′était pas allée au Trocadéro pour les amies de Léa, et qui me montrait, en quittant la matinée et en rentrant sur un signe de moi, qu′elle m′appartenait plus que je ne me le figurais. Il fut plus grand encore quand un cycliste me porta un mot d′elle pour que je prisse patience, et où il y avait de ces gentilles expressions qui lui étaient familières : « Mon chéri et cher Marcel, j′arrive moins vite que ce cycliste dont je voudrais bien prendre la bécane pour être plus tôt près de vous. Comment pouvez-vous croire que je puisse être fâchée et que quelque chose puisse m′amuser autant que d′être avec vous ! ce sera gentil de sortir tous les deux, ce serait encore plus gentil de ne jamais sortir que tous les deux. Quelles idées vous faites-vous donc ? Quel Marcel ! Quel Marcel ! Toute à vous, ton Albertine. » Yo estaba ya preparado y Francisca no había telefoneado todavía. ¿Debería irme sin esperar? Pero ¿y si Francisca no encontraba a Albertina, si ésta no estaba entre bastidores, si, aunque la encontrara, no accedía a venir? Pasada media hora sonó el timbre del teléfono, y en mi corazón latían tumultuosamente la esperanza y el miedo. Era, a la orden de un empleado del teléfono, un escuadrón volante de sonidos que, con una velocidad instantánea, me traían las palabras del telefonista, no las de Francisca, a quien una timidez y una melancolía ancestrales, aplicadas a un objeto desconocido por sus padres, impedían aproximarse a un receptor, aunque dispuesta a visitar a enfermos contagiosos. Había encontrado en el promenoir a Albertina sola, y como sólo había ido a decir a Andrea que no se iba a quedar volvió en seguida con Francisca. -¿No estaba enfadada? -¡Vaya! ¡Pregunte a esta señora si la señorita estaba enfadada!... -Esta señora me dice que le diga que no, en absoluto, que todo lo contrario; por lo menos, si no estaba contenta, no se le notaba. Ahora van a ir a los Trois-Quartiers y vendrán a las dos. Comprendí que las dos serían las tres, pues las dos habían pasado ya. Pero uno de los defectos particulares de Francisca, permanentes, incurables, de esos que llamamos enfermedades, era no poder nunca mirar ni decir la hora exacta. Cuando Francisca, mirando el reloj, si eran las dos decía: es la una, o son las tres, nunca pude comprender si el fenómeno que se producía residía en la vista de Francisca, o en su pensamiento, o en su lenguaje; lo cierto es que este fenómeno se producía siempre. La humanidad es muy vieja. La herencia, los cruces han dado una fuerza insuperable a malos hábitos, a reflejos viciosos Una persona estornuda o jadea porque pasa cerca de un rosal; a otra le sale una erupción cuando huele pintura fresca; a muchos les da un cólico cuando tienen que salir de viaje, y hay nietos de ladrones que, siendo millonarios y generosos, no pueden resistir la tentación de robarnos cincuenta francos. En cuanto a saber por qué Francisca no podía decir nunca la hora exacta, nunca me dio ella ninguna luz al respecto. Pues a pesar de la ira que sus respuestas inexactas solían producirme, Francisca no intentaba ni disculparse de su error ni explicarlo. Permanecía muda, parecía no oírme, lo que me exasperaba más aún. Yo hubiera querido oír unas palabras de justificación, aunque sólo fuera para rebatirlas; pero nada, un silencio indiferente. En todo caso, ahora no había duda: Albertina volvería con Francisca a las tres, Albertina no vería a Léa ni a sus amigas. Y ahora que se había conjurado el peligro de que reanudara relaciones con ellas, perdió inmediatamente toda importancia para mí y, ante la facilidad con que se conjuró, me extrañaba haber creído que no se iba a conjurar. Sentí un vivo impulso de gratitud hacia Albertina que, ya lo veía, no había ido al Trocadero por las amigas de Léa y que al dejar la matinée y volver a una simple indicación mía me demostraba que me pertenecía, hasta para el futuro, más de lo que yo me figuraba. Y mi gratitud fue aún mayor cuando un ciclista me trajo una esquela de Albertina pidiéndome que tuviera paciencia y con las cariñosas expresiones que le eran familiares: «Mi queridísimo Marcelo, llegaré un poco después que ese ciclista al que le quisiera quitar la bicicleta para estar más pronto a tu lado. ¿Cómo puedes creer que pudiera enfadarme y que haya algo más divertido para mí que estar contigo? Sería estupendo salir los dos, y más estupendo todavía no salir nunca más que juntos. ¡Qué cosas se te ocurren! ¡Qué Marcelo! ¡Qué Marcelo! Tuya, toda tuya, Albertina.»
Les robes même que je lui achetais, le yacht dont je lui avais parlé, les peignoirs de Fortuny, tout cela ayant dans cette obéissance d′Albertine, non pas sa compensation, mais son complément, m′apparaissait comme autant de privilèges que j′exerçais ; car les devoirs et les charges d′un maître font partie de sa domination, et le définissent, le prouvent tout autant que ses droits. Et ces droits qu′elle me reconnaissait donnaient précisément à mes charges leur véritable caractère : j′avais une femme à moi qui, au premier mot que je lui envoyais à l′improviste, me faisait téléphoner avec déférence qu′elle revenait, qu′elle se laissait ramener, aussitôt. J′étais plus maître que je n′avais cru. Plus maître, c′est-à-dire plus esclave. Je n′avais plus aucune impatience de voir Albertine. La certitude qu′elle était en train de faire une course avec Françoise, ou qu′elle reviendrait avec celle-ci à un moment prochain et que j′eusse volontiers prorogé, éclairait comme un astre radieux et paisible un temps que j′eusse eu maintenant bien plus de plaisir à passer seul. Mon amour pour Albertine m′avait fait lever et me préparer pour sortir, mais il m′empêcherait de jouir de ma sortie. Je pensais que par ce dimanche-là, des petites ouvrières, des midinettes, des cocottes, devaient se promener au Bois. Et avec ces mots de midinettes, de petites ouvrières (comme cela m′était souvent arrivé avec un nom propre, un nom de jeune fille lu dans le compte rendu d′un bal), avec l′image d′un corsage blanc, d′une jupe courte, parce que derrière cela je mettais une personne inconnue et qui pourrait m′aimer, je fabriquais tout seul des femmes désirables, et je me disais : « Comme elles doivent être bien ! » Mais à quoi me servirait-il qu′elles le fussent puisque je ne sortirais pas seul ? Profitant de ce que j′étais encore seul, et fermant à demi les rideaux pour que le soleil ne m′empêchât pas de lire les notes, je m′assis au piano et ouvris au hasard la sonate de Vinteuil qui y était posée, et je me mis à jouer ; parce que l′arrivée d′Albertine étant encore un peu éloignée, mais en revanche tout à fait certaine, j′avais à la fois du temps et de la tranquillité d′esprit. Baigné dans l′attente pleine de sécurité de son retour avec Françoise et la confiance en sa docilité comme dans la béatitude d′une lumière intérieure aussi réchauffante que celle du dehors, je pouvais disposer de ma pensée, la détacher un moment d′Albertine, l′appliquer à la sonate. Même en celle-ci, je ne m′attachai pas à remarquer combien la combinaison du motif voluptueux et du motif anxieux répondait davantage maintenant à mon amour pour Albertine, duquel la jalousie avait été si longtemps absente que j′avais pu confesser à Swann mon ignorance de ce sentiment. Non, prenant la sonate à un autre point de vue, la regardant en soi-même comme l′œuvre d′un grand artiste, j′étais ramené par le flot sonore vers les jours de Combray — je ne veux pas dire de Montjouvain et du côté de Méséglise, mais des promenades du côté de Guermantes — où j′avais moi-même désiré d′être un artiste. En abandonnant, en fait, cette ambition, avais-je renoncé à quelque chose de réel ? La vie pouvait-elle me consoler de l′art ? y avait-il dans l′art une réalité plus profonde où notre personnalité véritable trouve une expression que ne lui donnent pas les actions de la vie ? Chaque grand artiste semble, en effet, si différent des autres, et nous donne tant cette sensation de l′individualité que nous cherchons en vain dans l′existence quotidienne. Au moment où je pensais cela, une mesure de la sonate me frappa, mesure que je connaissais bien pourtant, mais parfois l′attention éclaire différemment des choses connues pourtant depuis longtemps et où nous remarquons ce que nous n′avions jamais vu. En jouant cette mesure, et bien que Vinteuil fût là en train d′exprimer un rêve qui fût resté tout à fait étranger à Wagner, je ne pus m′empêcher de murmurer : « Tristan », avec le sourire qu′a l′ami d′une famille retrouvant quelque chose de l′al dans une intonation, un geste du petit-fils qui ne l′a pas connu. Et comme on regarde alors une photographie qui permet de préciser la ressemblance, par-dessus la sonate de Vinteuil, j′installai sur le pupitre la partition de Tristan, dont on donnait justement cet après-midi-là des fragments au concert Lamoureux. Je n′avais, à admirer le maître de Bayreuth, aucun des scrupules de ceux à qui, comme à Nietzsche, le devoir dicte de fuir, dans l′art comme dans la vie, la beauté qui les tente, et qui s′arrachent à Tristan comme ils renient Parsifal et, par ascétisme spirituel, de mortification en mortification parviennent, en suivant le plus sanglant des chemins de croix, à s′élever jusqu′à la pure connaissance et à l′adoration parfaite du Postillon de Longjumeau. Je me rendais compte de tout ce qu′a de réel l′œuvre de Wagner, en revoyant ces thèmes insistants et fugaces qui visitent un acte, ne s′éloignent que pour revenir, et, parfois lointains, assoupis, presque détachés, sont, à d′autres moments, tout en restant vagues, si pressants et si proches, si internes, si organiques, si viscéraux qu′on dirait la reprise moins d′un motif que d′une névralgie. Hasta los vestidos que yo le compraba, el yate de que le había hablado, los vestidos de Fortuny, todo esto que tenía en aquella obediencia de Albertina, no su compensación, sino su complemento, me parecían privilegios que yo ejercía; pues los deberes y las cargas de un amo forman parte de su dominio y lo definen, lo atestiguan tanto como sus derechos. Y estos derechos que ella me reconocía daban precisamente a mis cargas su verdadero carácter: yo tenía una mujer mía que, a la primera palabra que yo le enviaba de improviso, me mandaba con deferencia un recado telefónico diciéndome que venía en seguida, que se dejaba traer en seguida. Era más dueño de lo que había creído. Más dueño, o sea, más esclavo. Ya no tenía ninguna prisa de ver a Albertina. La seguridad de que estaba haciendo una compra con Francisca, de que iba a venir con ésta dentro de un momento, un momento que yo hubiera aplazado de buena gana, alumbraba como un astro radiante y sereno un tiempo que ahora me hubiera gustado mucho más pasarlo solo. Mi amor a Albertina me había hecho levantarme y prepararme para salir, pero me impediría gozar de mi salida. Pensaba yo que, en un domingo como aquél, debían de estar paseando por el Bois las menestralas, las modistillas, las cocottes. Y con estas palabras de modistillas, de menestralas (como me solía ocurrir con un nombre propio, un nombre de muchacha leído en la reseña de un baile) con la imagen de una blusa blanca, de una falda corta, porque detrás de todo esto ponía yo una persona desconocida y que podría amarme, fabricaba yo solo mujeres deseables y me decía: «¡Qué bien deben de estar! » Pero ¿de qué me serviría que estuviesen muy bien, si no iba a salir solo? Aprovechando el estar solo aún, y cerrando a medias las cortinas para que el sol no me impidiera leer las notas, me senté al piano y abrí al azar la Sonata de Vinteuil, que estaba en el atril, y me puse a tocar; como la llegada de Albertina estaba todavía un poco lejos, pero, en cambio, era completamente segura, tenía a la vez tiempo y tranquilidad de espíritu. Bañado en la espera plena de seguridad de su regreso con Francisca y en la confianza en su docilidad como en la beatitud de una luz interior tan cálida como la del exterior, podía disponer de mi pensamiento, apartarlo un momento de Albertina, aplicarlo a la Sonata. Ni siquiera me paraba a observar en ésta cómo la combinación del motivo voluptuoso y del motivo ansioso respondía mejor ahora a mi amor a Albertina, tan exento de celos durante mucho tiempo que había podido confesar a Swann mi ignorancia de este sentimiento. No, tomando la Sonata de otra manera, considerándola en sí misma como obra de un gran artista, la corriente sonora me llevaba hacia los días de Combray -no quiero decir de Montjouvain y de la parte de Méséglise, sino los paseos por la parte de Guermantes- en que deseaba ser yo mismo un artista Al abandonar, de hecho, esta ambición, ¿había renunciado a algo real? ¿Podía la vida consolarme del arte? ¿Había en el arte una realidad más profunda en la que nuestra verdadera personalidad encuentra una expresión que no le dan las acciones de la vida? ¿Y es que todo gran artista parece tan diferente de los demás y nos da tal sensación de la individualidad que en vano buscamos en la existencia cotidiana? Mientras pensaba esto, me impresionó un compás de la Sonata, un compás que conocía bien, sin embargo, pero a veces la atención ilumina de modo diferente cosas que conocemos desde hace mucho tiempo y en las que, de pronto, vemos lo que nunca habíamos visto. Tocando este compás, y aunque Vinteuil expresara en él un sueño completamente ajeno a Wagner, no pude menos de murmurar: Tristán, con la sonrisa del amigo de una familia al encontrar algo del abuelo en una entonación, en un gesto del nieto que no le ha conocido. Y como quien mira entonces una fotografía que permite precisar el parecido, coloqué en el atril, encima de la Sonata de Vinteuil, la partitura de Tristán, de la que precisamente tocaban aquel día unos fragmentos en el concierto Lamoureux. No tenía yo, al admirar al maestro de Bayreuth, ninguno de los escrúpulos de los que, como Nietzsche, se creen en el deber de huir, en el arte como en la vida, de la belleza que los tienta, que se arrancan de Tristán como reniegan de Parsifal y, por ascetismo espiritual, de mortificación en mortificación, siguiendo el más cruento de los caminos de cruz, llegan a elevarse hasta el puro conocimiento y a la adoración perfecta del Postillon de Long jumeau. Me daba cuenta de todo lo que hay de real en la obra de Wagner, al ver esos temas insistentes y fugaces que visitan un acto, que no se alejan sino para volver, y, lejanos a veces, adormecidos, desprendidos casi, en otros momentos, sin dejar de ser vagos, son tan apremiantes y tan próximos, tan internos, tan orgánicos que dijérase la reincidencia de una neuralgia más que de un motivo.
La musique, bien différente en cela de la société d′Albertine, m′aidait à descendre en moi-même, à y découvrir du nouveau : la variété que j′avais en vain cherchée dans la vie, dans le voyage, dont pourtant la nostalgie m′était donnée par ce flot sonore qui faisait mourir à côté de moi ses vagues ensoleillées. Diversité double. Comme le spectre extériorise pour nous la composition de la lumière, l′harmonie d′un Wagner, la couleur d′un Elstir nous permettent de connaître cette essence qualitative des sensations d′un autre où l′amour pour un autre être ne nous fait pas pénétrer. Puis diversité au sein de l′œuvre même, par le seul moyen qu′il y a d′être effectivement divers : réunir diverses individualités. Là où un petit musicien prétendrait qu′il peint un écuyer, un chevalier, alors qu′il leur ferait chanter la même musique, au contraire, sous chaque dénomination, Wagner met une réalité différente, et chaque fois que paraît un écuyer, c′est une figure particulière, à la fois compliquée et simpliste, qui, avec un entrechoc de lignes joyeux et féodal, s′inscrit dans l′immensité sonore. D′où la plénitude d′une musique que remplissent en effet tant de musiques dont chacune est un être. Un être ou l′impression que nous donne un aspect momentané de la nature. Même ce qui est le plus indépendant du sentiment qu′elle nous fait éprouver garde sa réalité extérieure et entièrement définie ; le chant d′un oiseau, la sonnerie du cor d′un chasseur, l′air que joue un pâtre sur son chalumeau, découpent à l′horizon leur silhouette sonore. Certes, Wagner allait la rapprocher, s′en saisir, la faire entrer dans un orchestre, l′asservir aux plus hautes idées musicales, mais en respectant toutefois son originalité première comme un huchier les fibres, l′essence particulière du bois qu′il sculpte. La música, muy diferente en esto a la compañía de Albertina, me ayudaba a entrar en mí mismo, a descubrir en mí algo nuevo: la variedad que en vano había buscado en la vida, en el viaje, cuya nostalgia me daba, sin embargo, aquella corriente sonora que hacía morir a mi lado sus olas soleadas. Diversidad doble. Lo mismo que el espectro exterioriza para nosotros la composición de la luz, la armonía de un Wagner, el color de un Elstir nos permiten conocer esa esencia cualitativa de las sensaciones de otro en las que el amor a otro no nos hace penetrar. Diversidad también dentro de la obra misma, por el único medio que hay de ser efectivamente diverso: reunir diversas individualidades. Allí donde un músico cualquiera pretendería que pinta un escudero, un caballero, cuando les hace cantar la misma música, Wagner, por el contrario, pone bajo cada denominación una realidad diferente, y cada vez que aparece su escudero es una figura particular, a la vez complicada y simplista, que con un entrechoque de líneas jocundo y feudal se inscribe en la inmensidad sonora. De aquí la plenitud de una música llena, en efecto, de tantas músicas cada una de las cuales es un ser. Un ser o la impresión que da un aspecto momentáneo de la naturaleza. Hasta lo que es en ella lo más independiente del sentimiento que nos hace experimentar conserva su realidad exterior y perfectamente definida; el canto de un pájaro, el toque de corneta de un cazador, el son que toca un pastor con su flauta, perfilan en el horizonte su silueta sonora. Cierto que Wagner iba a acercarse a ella, a apoderarse de ella, a hacerla entrar en una orquesta, a someterla a las más altas ideas musicales, pero respetando, sin embargo, su originalidad primera como un tallista las fibras, la esencia especial de la madera que esculpe.
Mais malgré la richesse de ces œuvres où la contemplation de la nature a sa place à côté de l′action, à côté d′individus qui ne sont pas que des noms de personnages, je songeais combien tout de même ces œuvres participent à ce caractère d′être — bien que merveilleusement — toujours incomplètes, qui est le caractère de toutes les grandes œuvres du xixe siècle, du xixe siècle dont les plus grands écrivains ont manqué leurs livres, mais, se regardant travailler comme s′ils étaient à la fois l′ouvrier et le juge, ont tiré de cette autocontemplation une beauté nouvelle extérieure et supérieure à l′œuvre, lui imposant rétroactivement une unité, une grandeur qu′elle n′a pas. Sans s′arrêter à celui qui a vu après coup dans ses romans une Comédie Humaine, ni à ceux qui appelèrent des poèmes ou des essais disparates La Légende des siècles et La Bible de l′Humanité, ne peut-on pas dire, pourtant, de ce dernier qu′il incarne si bien le xixe siècle que, les plus grandes beautés de Michelet, il ne faut pas tant les chercher dans son œuvre même que dans les attitudes qu′il prend en face de son œuvre, non pas dans son Histoire de France ou dans son Histoire de la Révolution, mais dans ses préfaces à ses livres. Préfaces, c′est-à-dire pages écrites après eux, où il les considère, et auxquelles il faut joindre çà et là quelques phrases, commençant d′habitude par un « Le dirai-je » qui n′est pas une précaution de savant, mais une cadence de musicien. L′autre musicien, celui qui me ravissait en ce moment, Wagner, tirant de ses tiroirs un morceau délicieux pour le faire entrer comme thème rétrospectivement nécessaire dans une œuvre à laquelle il ne songeait pas au moment où il l′avait composé, puis ayant composé un premier opéra mythologique, puis un second, puis d′autres encore, et s′apercevant tout à coup qu′il venait de faire une tétralogie, dut éprouver un peu de la même ivresse que Balzac quand, jetant sur ses ouvrages le regard à la fois d′un étranger et d′un père, trouvant à celui-ci la pureté de Raphaël, à cet autre la simplicité de l′Évangile, il s′avisa brusquement, en projetant sur eux une illumination rétrospective, qu′ils seraient plus beaux réunis en un cycle où les mêmes personnages reviendraient, et ajouta à son œuvre, en ce raccord, un coup de pinceau, le dernier et le plus sublime. Unité ultérieure, non factice, sinon elle fût tombée en poussière comme tant de systématisations d′écrivains médiocres qui, à grand renfort de titres et de sous-titres, se donnent l′apparence d′avoir poursuivi un seul et transcendant dessein. Non factice, peut-être même plus réelle d′être ultérieure, d′être née d′un moment d′enthousiasme où elle est découverte entre des morceaux qui n′ont plus qu′à se rejoindre. Unité qui s′ignorait, donc vitale et non logique, qui n′a pas proscrit la variété, refroidi l′exécution. Elle surgit (mais s′appliquant cette fois à l′ensemble) comme tel morceau composé à part, né d′une inspiration, non exigé par le développement artificiel d′une thèse, et qui vient s′intégrer au reste. Avant le grand mouvement d′orchestre qui précède le retour d′Yseult, c′est l′œuvre elle-même qui a attiré à soi l′air de chalumeau à demi oublié d′un pâtre. Et, sans doute, autant la progression de l′orchestre à l′approche de la nef, quand il s′empare de ces notes du chalumeau, les transforme, les associe à son ivresse, brise leur rythme, éclaire leur tonalité, accélère leur mouvement, multiplie leur instrumentation, autant sans doute Wagner lui-même a eu de joie quand il découvrit dans sa mémoire l′air d′un pâtre, l′agrégea à son œuvre, lui donna toute sa signification. Cette joie, du reste, ne l′abandonne jamais. Chez lui, quelle que soit la tristesse du poète, elle est consolée, surpassée — c′est-à-dire malheureusement vite détruite — par l′allégresse du fabricateur. Mais alors, autant que par l′identité que j′avais remarquée tout à l′heure entre la phrase de Vinteuil et celle de Wagner, j′étais troublé par cette habileté vulcanienne. Serait-ce elle qui donnerait chez les grands artistes l′illusion d′une originalité foncière, irréductible en apparence, reflet d′une réalité plus qu′humaine, en fait produit d′un labeur industrieux ? Si l′art n′est que cela, il n′est pas plus réel que la vie, et je n′avais pas tant de regrets à avoir. Je continuais à jouer Tristan. Séparé de Wagner par la cloison sonore, je l′entendais exulter, m′inviter à partager sa joie, j′entendais redoubler le rire immortellement jeune et les coups de marteau de Siegfried ; du reste, plus merveilleusement frappées étaient ces phrases, plus librement l′habileté technique de l′ouvrier servait à leur faire quitter la terre, oiseaux pareils non au cygne de Lohengrin mais à cet aéroplane que j′avais vu à Balbec changer son énergie en élévation, planer au-dessus des flots, et se perdre dans le ciel. Peut-être, comme les oiseaux qui montent le plus haut, qui volent le plus vite, ont une aile plus puissante, fallait-il de ces appareils vraiment matériels pour explorer l′infini, de ces cent vingt chevaux marque Mystère, où pourtant, si haut qu′on plane, on est un peu empêché de goûter le silence des espaces par le puissant ronflement du moteur ! Pero a pesar de la riqueza de esas obras en las que se encuentra la contemplación de la naturaleza al lado de la acción, al lado de individuos que no son solamente nombres de personajes, pensaba yo hasta qué punto participan, sin embargo, sus obras de ese carácter de ser siempre incompletas -aunque maravillosamente- que es el carácter de todas las grandes obras del siglo xix; de ese siglo xix cuyos más grandes escritores han fallado sus libros, pero mirándose trabajar como si fueran a la vez el obrero y el juez, han sacado de esta autocontemplación una belleza exterior nueva y superior a la obra, imponiéndole retroactivamente una unidad, una grandeza que no tiene. Sin detenernos en el que vio a posteriori en sus novelas una Comedia humana, ni en los que a unos poemas o a unos ensayos disparatados les llamaron La leyenda de los siglos y La biblia de la humanidad, ¿no podemos, sin embargo, decir de este que tan bien encarna el siglo XIX que las mayores bellezas de Michelet hay que buscarlas, más que en su obra misma, en las actitudes que toma ante ella; no en su Historia de Francia o en su Historia de la Revolución, sino en sus prefacios a estos dos libros? Prefacios, es decir, páginas escritas después de los libros y en los que los juzga, y a los que hay que añadir acá y allá algunas frases que comienzan generalmente por un «ame atreveré a decirlo?» que no es una precaución de sabio, sino una cadencia de músico. El otro músico, el que me embelesaba en este momento, Wagner, sacando de sus cajones un trozo delicioso para ponerlo como tema retrospectivamente necesario en una obra en la que no pensaba en el momento de componerlo, componiendo después una primera ópera mitológica, luego otra, otras más, y dándose cuenta de pronto de que acababa de hacer una Tetralogía, debió de sentir un poco de la misma embriaguez que Balzac cuando éste, echando a sus obras la mirada de un extraño y de un padre a la vez, encontrando en una la pureza de Rafael, en otra la sencillez del Evangelio, se le ocurrió de pronto, proyectando sobre ella una iluminación retrospectiva, que serían más bellas reunidas en un ciclo en el que reaparecieran los mismos personajes, y dio a su obra, así acoplada, una pincelada, la última y la más sublime. Unidad interior, no falsa, pues se hubiera derrumbado como tantas sistematizaciones de escritores mediocres que, con gran refuerzo de títulos y de subtítulos, aparentan haber perseguido un solo y trascendental propósito. No falsa, quizá hasta más real por ser ulterior, por haber nacido en un momento de entusiasmo, descubierta entre fragmentos a los que no les falta más que juntarse; unidad que se ignoraba, luego es vital y no lógica, unidad que no ha proscrito la variedad, que no ha enfriado la ejecución. Es como un fragmento compuesto aparte (pero aplicado esta vez al conjunto), nacido de una inspiración, no exigido por el desarrollo artificial de una tesis y que viene a incorporarse al resto. Antes del gran movimiento de orquesta que precede al retorno de Isolda, la misma obra ha atraído a sí el son de flauta medio olvidado de un pastor. Y, sin duda, así como la progresión de la orquesta al acercarse la nave, cuando se apodera de estas notas de la flauta, las transforma, las asocia a su exaltación, rompe su ritmo, ilumina su tonalidad, acelera su movimiento, multiplica su instrumentación, así el propio Wagner exultó de alegría cuando descubrió en su memoria el son del pastor, lo agregó a su obra, le dio todo su significado. Por lo demás, esta alegría no le abandonó nunca. En él, cualquiera que sea la tristeza del poeta, queda consolada, superada -es decir, desgraciadamente, un poco destruida-, por el gozo del creador. Pero entonces esta habilidad vulcánica me perturbaba tanto como la identidad que antes observara entre la frase de Vinteuil y la de Wagner. ¿Será esa habilidad la que da a los grandes artistas la ilusión de una originalidad profunda, irreductible, reflejo, en apariencia, de una realidad sobrehumana, pero producto de un trabajo industrioso? Si el arte no es más que esto, no es más real que la vida, y yo no tenía por qué lamentar tanto no dedicarme a él. Seguía tocando Tristán. Separado de Wagner por el tabique sonoro, le oía exultar, invitarme a compartir su gozo, oía redoblar la risa inmortalmente joven y los martillazos de Sigfrido; por otra parte, cuanto más maravillosamente trazadas eran aquellas frases, la habilidad técnica del obrero no servía más que para hacerlas dejar más libremente la tierra, pájaros semejantes no al cisne de Lohengrin, sino a aquel aeroplano que vi en Balbec transformar su energía en elevación, planear sobre las olas y perderse en el cielo. Quizá, como los pájaros que suben más alto, que vuelan más de prisa, que tienen unas alas más poderosas, hacían falta esos aparatos verdaderamente materiales para explorar el infinito, esos ciento veinte caballos marca Mystère, en los que, sin embargo, por alto que planeemos, no podemos del todo gustar el silencio de los espacios porque nos lo impide el estruendo del motor.
Je ne sais pourquoi le cours de mes rêveries, qui avait suivi jusque-là des souvenirs de musique, se détourna sur ceux qui en ont été, à notre époque, les meilleurs exécutants, et parmi lesquels, le surfaisant un peu, je faisais figurer Morel. Aussitôt ma pensée fit un brusque crochet, et c′est au caractère de Morel, à certaines des singularités de ce caractère, que je me mis à songer. Au reste — et cela pouvait se conjoindre, mais non se confondre avec la neurasthénie qui le rongeait — Morel avait l′habitude de parler de sa vie, mais en présentait une image si enténébrée qu′il était très difficile de rien distinguer. Il se mettait, par exemple, à la complète disposition de M. de Charlus à condition de garder ses soirées libres, car il désirait pouvoir, après le dîner, aller suivre un cours d′algèbre. M. de Charlus autorisait, mais demandait à le voir après. « Impossible, c′est une vieille peinture italienne » (cette plaisanterie n′a aucun sens, transcrite ainsi ; mais M. de Charlus ayant fait lire à Morel l′Éducation sentimentale, à l′avant-dernier chapitre duquel Frédéric Moreau dit cette phrase, par plaisanterie Morel ne prononçait jamais le mot « impossible » sans le faire suivre de ceux-ci : « c′est une vieille peinture italienne »), le cours dure fort tard, et c′est déjà un grand dérangement pour le professeur qui, naturellement, serait froissé. — Mais il n′y a même pas besoin de cours, l′algèbre ce n′est pas la natation ni même l′anglais, cela s′apprend aussi bien dans un livre », répliquait M. de Charlus, qui avait deviné aussitôt dans le cours d′algèbre une de ces images où on ne pouvait rien débrouiller du tout. C′était peut-être une coucherie avec une femme, ou, si Morel cherchait à gagner de l′argent par des moyens louches et s′était affilié à la police secrète, une expédition avec des agents de la sûreté, et qui sait ? pis encore, l′attente d′un gigolo dont on pourra avoir besoin dans une maison de prostitution. « Bien plus facilement même, dans un livre, répondait Morel à M. de Charlus, car on ne comprend rien à un cours d′algèbre. — Alors pourquoi ne l′étudies-tu pas plutôt chez moi où tu es tellement plus confortablement ? », aurait pu répondre M. de Charlus, mais il s′en gardait bien, sachant qu′aussitôt, gardant seulement le même caractère nécessaire de réserver les heures du soir, le cours d′algèbre imaginé se fût changé immédiatement en une obligatoire leçon de danse ou de dessin. En quoi M. de Charlus put s′apercevoir qu′il se trompait, en partie du moins, Morel s′occupant souvent chez le baron à résoudre des équations. M. de Charlus objecta bien que l′algèbre ne pouvait guère servir à un violoniste. Morel riposta qu′elle était une distraction pour passer le temps et combattre la neurasthénie. Sans doute M. de Charlus eût pu chercher à se renseigner, à apprendre ce qu′étaient, au vrai, ces mystérieux et inéluctables cours d′algèbre qui ne se donnaient que la nuit. Mais pour s′occuper de dévider l′écheveau des occupations de Morel, M. de Charlus était trop engagé dans celles du monde. Les visites reçues ou faites, le temps passé au cercle, les dîners en ville, les soirées au théâtre l′empêchaient d′y penser, ainsi qu′à cette méchanceté violente et sournoise que Morel avait à la fois, disait-on, laissé éclater et dissimulée dans les milieux successifs, les différentes villes par où il avait passé, et où on ne parlait de lui qu′avec un frisson, en baissant la voix, et sans oser rien raconter. No sé por qué el curso de mis pensamientos, que había seguido hasta entonces recuerdos de música, se desvió hacia los que han sido en nuestra época los mejores ejecutantes, y entre los cuales, favoreciéndole un poco, incluía a Morel. Mi pensamiento dio en seguida una vuelta brusca y me puse a pensar en el carácter de Morel, en ciertas particularidades de este carácter. Por lo demás -y esto podía coincidir, pero no confundirse con la neurastenia que le reconcomía-, Morel tenía la costumbre de hablar de su vida, pero la presentaba en una imagen tan oscura que era difícil distinguir nada en ella. Se ponía, por ejemplo, a la entera disposición de monsieur de Charlus con la condición de tener las noches libres, pues quería ir después de cenar a un curso de álgebra. Monsieur de Charlus accedía, pero quería verle después. -Imposible, es una antigua pintura italiana -esta broma, así transcrita, no tiene ningún sentido; pero monsieur de Charlus había hecho leer a Morel L′éducation sentimentale, en cuyo penúltimo capítulo dice esta frase Federico Moreau, y Morel no pronunciaba nunca la palabra «imposible» sin añadir estas otras: «es una antigua pintura italiana»-, porque la clase suele acabar muy tarde, y ya es bastante molestia para el profesor, que, naturalmente, se sentiría desairado... -Pero ni siquiera hay necesidad de ese curso, el álgebra no es la natación ni siquiera el inglés, eso se aprende lo mismo en un libro -replicaba monsieur de Charlus, que había adivinado en seguida en el curso de álgebra una de esas imágenes en las que no hay manera de ver nada claro. Era quizá un lío con una mujer, o, si Morel quería ganar dinero con medios sucios y se había afiliado a la policía secreta, una expedición con agentes de seguridad o, quién sabe, acaso peor aún, la espera de un chulo que pudieran necesitar en una casa de prostitución. -Hasta más fácilmente en un libro -contestaba Morel a monsieur de Charlus-, pues en la clase no se entiende nada. -Entonces, ¿por qué no lo estudias mejor en mi casa, donde tienes mucha más comodidad -hubiera podido contestar monsieur de Charlus, pero se libraba muy bien de hacerlo, porque sabía que el curso de álgebra imaginado se habría cambiado inmediatamente en una obligatoria lección de baile o de dibujo, sólo que conservando la misma condición necesaria de reservar las horas de la noche. En lo que, según pudo observar monsieur de Charlus, se equivocaba, al menos en parte: Morel se dedicaba a veces en casa del barón a resolver ecuaciones. Monsieur de Charlus no dejó de objetar que el álgebra servía de muy poco para un violinista. Morel replicó que era una distracción para pasar el tiempo y combatir la neurastenia. Claro es que monsieur de Charlus hubiera podido intentar enterarse de lo que eran en realidad aquellos misteriosos e ineluctables cursos de álgebra que no se daban más que por la noche. Pero monsieur de Charlus estaba demasiado ocupado en desenredar las madejas del gran mundo para ponerse a desenredar las de las ocupaciones de Morel. Las visitas que recibía o hacía, el tiempo que pasaba en el círculo, las invitaciones a comer, el teatro le impedían pensar en aquello, así como en aquella maldad, violenta y solapada a la vez, que, según decían, había manifestado Morel y que disimulaban en los medios sucesivos, en las diferentes ciudades por donde había pasado, y en las que se hablaba de él con un estremecimiento, bajando la voz y sin atreverse a contar nada.
Ce fut malheureusement un des éclats de cette nervosité méchante qu′il me fut donné, ce jour-là, d′entendre, comme, ayant quitté le piano, j′étais descendu dans la cour pour aller au-devant d′Albertine qui n′arrivait pas. En passant devant la boutique de Jupien, où Morel et celle que je croyais devoir être bientôt sa femme étaient seuls, Morel criait à tue-tête, ce qui faisait sortir de lui un accent que je ne lui connaissais pas, paysan, refoulé d′habitude, et extrêmement étrange. Les paroles ne l′étaient pas moins, fautives au point de vue du français, mais il connaissait tout imparfaitement. « Voulez-vous sortir, grand pied de grue, grand pied de grue, grand pied de grue » répétait-il à la pauvre petite qui certainement, au début, n′avait pas compris ce qu′il voulait dire, puis qui, tremblante et fière, restait immobile devant lui. « Je vous ai dit de sortir, grand pied de grue, grand pied de grue ; allez chercher votre oncle pour que je lui dise ce que vous êtes, putain. » Juste à ce moment la voix de Jupien, qui rentrait en causant avec un de ses amis, se fit entendre dans la cour, et comme je savais que Morel était extrêmement poltron, je trouvai inutile de joindre mes forces à celles de Jupien et de son ami, lesquels dans un instant seraient dans la boutique, et je remontai pour éviter Morel qui, bien qu′ayant feint de tant désirer qu′on fît venir Jupien (probablement pour effrayer et dominer la petite par un chantage ne reposant peut-être sur rien), se hâta de sortir dès qu′il l′entendit dans la cour. Les paroles rapportées ne sont rien, elles n′expliqueraient pas le battement de cœur avec lequel je remontai. Ces scènes auxquelles nous assistons dans la vie trouvent un élément de force incalculable dans ce que les militaires appellent, en matière d′offensive, le bénéfice de la surprise, et j′avais beau éprouver tant de calme douceur à savoir qu′Albertine, au lieu de rester au Trocadéro, allait rentrer auprès de moi, je n′en avais pas moins dans l′oreille l′accent de ces mots dix fois répétés : « grand pied de grue, grand pied de grue », qui m′avaient bouleversé. Desgraciadamente, me tocó oír aquel día uno de aquellos arrebatos de nerviosismo malévolo, cuando, dejando el piano, bajé al patio para ir al encuentro de Albertina, que no llegaba. Al pasar por delante del taller de Jupien, donde estaban solos Morel y la que yo creía que iba a ser pronto su mujer, Morel hablaba a voz en grito, descubriendo un acento que yo no le conocía, un acento campesino, habitualmente contenido y sumamente extraño. No lo eran menos las palabras, defectuosas como francés, pero Morel lo sabía todo imperfectamente. «¡Fuera de aquí, so zorra, so zorra, so zorra!», repetía ala pobre muchacha, que, al principio, seguramente no entendía lo que quería decir, y trémula y digna, seguía inmóvil delante de él. «¡Te he dicho que te largues, so zorra, so zorra!; anda, vete a buscar a tu tío para que yo le diga lo que eres, so puta.» En este preciso momento se oyó en el patio la voz de Jupien, que volvía hablando con un amigo, y como yo sabía que Morel era muy cobarde, me pareció innecesario sumar mis fuerzas a las de Jupien y su amigo, que en un momento estarían en el taller, y subí para no encontrarme con Morel, que aunque tanto reclamara la presencia de Jupien (probablemente para asustar y dominar a la pequeña con un chantaje sin ninguna base), se apresuró a salir en cuanto le oyó en el patio. Las palabras aquí recogidas no son nada, no explicarían mi agitación en aquel momento. En estas escenas que la vida nos ofrece juega con una fuerza incalculable lo que los militares llaman, en materia de ofensiva, la ventaja de la sorpresa, y a pesar de la serena dulzura que sentía porque Albertina, en vez de quedarse en el Trocadero, iba a volver a mi lado, me martilleaba en el oído el acento de aquellas palabras diez veces repetidas -«so zorra, so zorra»- que tanto me alteraron.
Peu à peu mon agitation se calma, Albertine allait rentrer. Je l′entendrais sonner à la porte dans un instant. Je sentais que ma vie n′était plus comme elle aurait pu être, et qu′avoir ainsi une femme avec qui, tout naturellement, quand elle allait être de retour, je devrais sortir, vers l′embellissement de qui allaient être de plus en plus détournées les forces et l′activité de mon être, faisait de moi comme une tige accrue, mais alourdie par le fruit opulent en qui passent toutes ses réserves. Contrastant avec l′anxiété que j′avais encore il y a une heure, le calme que me causait le retour d′Albertine était plus vaste que celui que j′avais ressenti le matin, avant son départ. Anticipant sur l′avenir, dont la docilité de mon amie me rendait à peu près maître, plus résistant, comme rempli et stabilisé par la présence imminente, importune, inévitable et douce, c′était le calme (nous dispensant de chercher le bonheur en nous-mêmes) qui naît d′un sentiment familial et d′un bonheur domestique. Familial et domestique : tel fut encore, non moins que le sentiment qui avait amené tant de paix en moi tandis que j′attendais Albertine, celui que j′éprouvai ensuite en me promenant avec elle. Elle ôta un instant son gant, soit pour toucher ma main, soit pour m′éblouir en me laissant voir à son petit doigt, à côté de celle donnée par Mme Bontemps, une bague où s′étendait la large et liquide nappe d′une claire feuille de rubis : « Encore une nouvelle bague, Albertine. Votre tante est d′une générosité ! — Non, celle-là ce n′est pas ma tante, dit-elle en riant. C′est moi qui l′ai achetée, comme, grâce à vous, je peux faire de grandes économies. Je ne sais même pas à qui elle a appartenu. Un voyageur qui n′avait pas d′argent la laissa au propriétaire d′un hôtel où j′étais descendue au Mans. Il ne savait qu′en faire et l′aurait vendue bien au-dessous de sa valeur. Mais elle était encore bien trop chère pour moi. Maintenant que, grâce à vous, je deviens une dame chic, je lui ai fait demander s′il l′avait encore. Et la voici. — Cela fait bien des bagues, Albertine. Où mettrez-vous celle que je vais vous donner ? En tous cas, celle-ci est très jolie ; je ne peux pas distinguer les ciselures autour du rubis, on dirait une tête d′homme grimaçante. Mais je n′ai pas une assez bonne vue. — Vous l′auriez meilleure que cela ne vous avancerait pas beaucoup. Je ne distingue pas non plus. » Jadis il m′était souvent arrivé, en lisant des Mémoires, un roman, où un homme sort toujours avec une femme, goûte avec elle, de désirer pouvoir faire ainsi. J′avais cru parfois y réussir, par exemple en emmenant avec moi la maîtresse de Saint-Loup, en allant dîner avec elle. Mais j′avais beau appeler à mon secours l′idée que je jouais bien à ce moment-là le personnage que j′avais envié dans le roman, cette idée me persuadait que je devais avoir du plaisir auprès de Rachel, et ne m′en donnait pas. C′est que, chaque fois que nous voulons imiter quelque chose qui fut vraiment réel, nous oublions que ce quelque chose fut produit non par la volonté d′imiter, mais par une force inconsciente, et réelle, elle aussi ; mais cette impression particulière que n′avait pu me donner tout mon désir d′éprouver un plaisir délicat à me promener avec Rachel, voici maintenant que je l′éprouvais sans l′avoir cherchée le moins du monde, mais pour des raisons tout autres, sincères, profondes ; pour citer un exemple, pour cette raison que ma jalousie m′empêchait d′être loin d′Albertine, et, du moment que je pouvais sortir, de la laisser aller se promener sans moi. Je ne l′éprouvais que maintenant parce que la connaissance est non des choses extérieures qu′on veut observer, mais des sensations involontaires ; parce qu′autrefois une femme avait beau être dans la même voiture que moi, elle n′était pas en réalité à côté de moi tant que ne l′y recréait pas à tout instant un besoin d′elle comme j′en avais un d′Albertine, tant que la caresse constante de mon regard ne lui rendait pas sans cesse ces teintes qui demandent à être perpétuellement rafraîchies, tant que les sens, même apaisés mais qui se souviennent, ne mettaient pas sous ces couleurs la saveur et la consistance, tant qu′unie aux sens et à l′imagination qui les exalte, la jalousie ne maintenait pas cette femme en équilibre auprès de moi par une attraction compensée aussi puissante que la loi de la gravitation. Notre voiture descendait vite les boulevards, les avenues, dont les hôtels en rangée, rose congélation de soleil et de froid, me rappelaient mes visites chez Mme Swann doucement éclairées par les chrysanthèmes en attendant l′heure des lampes. Me fui calmando poco a poco. Iba a volver Albertina. La oiría llamar a la puerta en seguida. Sentía que mi vida no era ya lo que hubiera podido ser, y que tener una mujer con la que, naturalmente, reglamentariamente, habría de salir cuando ella regresara, una mujer a cuyo embellecimiento iban a desviarse cada vez más las fuerzas y la actividad de mi ser, me convertía en una planta enriquecida, pero cargada con el peso del opulento fruto que se lleva todas sus reservas. Contrastando con la ansiedad que sentía una hora antes, la calma que me daba el regreso de Albertina era más grande que la que había sentido por la mañana, antes de que se fuera. Anticipándome al futuro del que puede decirse que era dueño, por la docilidad de mi amiga, más resistente, como colmada y estabilizada por la presencia inminente, importuna, inevitable y dulce, era la calma que nace de un sentimiento familiar y de una felicidad doméstica, dispensándonos de buscarla en nosotros mismos. Familiar y doméstica: así fue también, no menos que el sentimiento que tanta paz me dio mientras esperaba a Albertina, la felicidad que sentí luego paseando con ella. Se quitó el guante, no sé si para tocar mi mano o para deslumbrarme enseñándome en su dedo meñique, junto a la que le había regalado madame Bontemps, una sortija que ostentaba la ancha y líquida lámina de una hoja de rubíes. -¿Otra sortija, Albertina? ¡Qué generosa es tu tía! -No, ésta no me la ha regalado mi tía -dijo riendo-. Me la he comprado yo, porque, gracias a ti, puedo hacer grandes ahorros. Ni siquiera sé a quién pertenecía. Un viajero que no tenía dinero la dejó al dueño de un hotel de Mans donde yo me hospedé. No sabía qué hacer con ella y la hubiera vendido por mucho menos de lo que vale. Pero aun así era muy cara para mí. Ahora que, gracias a ti, me he vuelto señora elegante, le mandé a preguntar si aún la tenía. Y aquí está. -Muchas sortijas son ésas, Albertina. ¿Dónde te vas a poner la que yo te voy a regalar? Desde luego, ésta es muy bonita; no puedo distinguir el cincelado que rodea el rubí, parece una cabeza de hombre gesticulante. Pero no veo muy bien. -Aunque vieras muy bien no adelantarías mucho. Tampoco yo distingo nada. Recuerdo que en otro tiempo, leyendo unas memorias, una novela, donde un hombre sale siempre con una mujer, merienda con ella, solía yo desear hacer lo mismo. A veces creí cumplir este deseo, por ejemplo, yendo a cenar con la amante de Saint-Loup. Pero por más que llamara en mi ayuda a la idea de que en aquel momento estaba representando al personaje envidiado en la novela, esta idea me convencía de que debía sentir placer al lado de Raquel, pero no lo sentía. Y es que siempre que queremos imitar algo que fue verdaderamente real olvidamos que ese algo nació no de la voluntad de imitar, sino de una fuerza inconsciente, y real también ella; pero esta impresión particular que no me diera todo mi deseo de gozar un placer delicado saliendo con Raquel, la sentía ahora sin haberla buscado en absoluto, la sentía por razones muy distintas, sinceras, profundas; por citar una, la razón de que mis celos me impedían estar lejos de Albertina, y, pudiendo yo salir, dejarla ir de paseo sin mí. No la había sentido hasta ahora, porque el conocimiento no viene de las cosas exteriores que queremos observar, sino de sensaciones involuntarias; pues aunque en otro tiempo una mujer estuviera en el mismo coche que yo, no estaba realmente junto a mí mientras no la recreara en todo momento una necesidad de ella como la que yo sentía de Albertina, mientras la caricia constante de mi mirada no le diera sin tregua esos colores que hay que renovar perpetuamente, mientras los sentidos, que aunque satisfechos se acuerdan, no ponían bajo estos colores sabor y consistencia, mientras los celos, unidos a los sentidos y a la imaginación, no mantienen a esa mujer en equilibrio junto a nuestro lado por una atracción compensada tan poderosa como la ley de la gravitación. Nuestro coche descendía rápido los bulevares, las avenidas, cuyos hoteles sencillos, rosada congelación de sol y de frío, me recordaban mis visitas a madame Swann dulcemente alumbradas por los crisantemos mientras llegaba la hora de las lámparas.
J′avais à peine le temps d′apercevoir, aussi séparé d′elles derrière la vitre de l′auto que je l′aurais été derrière la fenêtre de ma chambre, une jeune fruitière, une crémière, debout devant sa porte, illuminée par le beau temps, comme une héroî­¥ que mon désir suffisait à engager dans des péripéties délicieuses, au seuil d′un roman que je ne connaîtrais pas. Car je ne pouvais demander à Albertine de m′arrêter, et déjà n′étaient plus visibles les jeunes femmes dont mes yeux avaient à peine distingué les traits et caressé la fraîcheur dans la blonde vapeur où elles étaient baignées. L′émotion dont je me sentais saisi en apercevant la fille d′un marchand de vins à sa caisse ou une blanchisseuse causant dans la rue était l′émotion qu′on a à reconnaître des Déesses. Depuis que l′Olympe n′existe plus, ses habitants vivent sur la terre. Et quand, faisant un tableau mythologique, les peintres ont fait poser pour Vénus ou Cérès des filles du peuple exerçant les plus vulgaires métiers, bien loin de commettre un sacrilège, ils n′ont fait que leur ajouter, que leur rendre la qualité, les attributs divins dont elles étaient dépouillées. « Comment vous a semblé le Trocadéro, petite folle ? — Je suis rudement contente de l′avoir quitté pour venir avec vous. Comme monument c′est assez moche, n′est-ce pas ? C′est de Davioud, je crois. — Mais comme ma petite Albertine s′instruit ! En effet, c′est de Davioud, mais je l′avais oublié. — Pendant que vous dormez je lis vos livres, grand paresseux. — Petite, voilà, vous changez tellement vite et vous devenez tellement intelligente (c′était vrai, mais, de plus, je n′étais pas fâché qu′elle eût la satisfaction, à défaut d′autres, de se dire que, du moins, le temps qu′elle passait chez moi n′était pas entièrement perdu pour elle) que je vous dirais, au besoin, des choses qui seraient généralement considérées comme fausses et qui correspondent à une vérité que je cherche. Vous savez ce que c′est que l′impressionnisme ? — Très bien. — Eh ! bien, voyez ce que je veux dire : vous vous rappelez l′église de Marcouville l′Orgueilleuse qu′Elstir n′aimait pas parce qu′elle était neuve ? Est-ce qu′il n′est pas en contradiction avec son propre impressionnisme quand il retire ainsi ces monuments de l′impression globale où ils sont compris pour les amener hors de la lumière où ils sont dissous et examiner en archéologue leur valeur intrinsèque ? Quand il peint, est-ce qu′un hôpital, une école, une affiche sur un mur ne sont pas de la même valeur qu′une cathédrale inestimable, qui est à côté, dans une image indivisible ? Rappelez-vous comme la façade était cuite par le soleil, comme le relief de ces saints de Marcouville surnageait dans la lumière. Qu′importe qu′un monument soit neuf s′il paraît vieux, et même s′il ne le paraît pas. Ce que les vieux quartiers contiennent de poésie a été extrait jusqu′à la dernière goutte, mais certaines maisons nouvellement bâties pour de petits bourgeois cossus, dans des quartiers neufs, où la pierre trop blanche est fraîchement sciée, ne déchirent-elles pas l′air torride de midi en juillet, à l′heure où les commerçants reviennent déjeuner dans la banlieue, d′un cri aussi acide que l′odeur des cerises attendant que le déjeuner soit servi dans la salle à manger obscure, où les prismes de verre pour poser les couteaux projettent des feux multicolores et aussi beaux que les verrières de Chartres ? — Ce que vous êtes gentil ! Si je deviens jamais intelligente, ce sera grâce à vous. — Pourquoi, dans une belle journée, détacher ses yeux du Trocadéro dont les tours en cou de girafe font penser à la Chartreuse de Pavie ? — Il m′a rappelé aussi, dominant comme cela sur son tertre, une reproduction de Mantegna que vous avez, je crois que c′est Saint-Sébastien, où il y a au fond une ville en amphithéâtre et où on jurerait qu′il y a le Trocadéro. — Vous voyez bien ! Mais comment avez-vous vu la reproduction de Mantegna ? Vous êtes renversante ? » Nous étions arrivés dans des quartiers plus populaires, et l′érection d′une Vénus ancillaire derrière chaque comptoir faisait de lui comme un autel suburbain au pied duquel j′aurais voulu passer ma vie. Apenas tenía tiempo de divisar, tan separado de ella tras el cristal del auto como lo estaría tras la ventana de mi habitación, a una joven frutera, a una lechera, de pie delante de su puerta, iluminada por el hermoso tiempo, como una heroína que mi deseo bastaba para complicarla en peripecias deliciosas, en el umbral de una novela que no iba a conocer. Pues no podía pedir a Albertina que me dejara allí, y quedaban atrás, invisibles ya, aquellas jóvenes, sin que mis ojos hubieran tenido apenas tiempo de distinguir sus rostros y acariciar su lozanía en el rubio vapor que las bañaba. La emoción que me sobrecogía al ver a la hija de un tabernero en la caja o a una lavandera charlando en la calle, era como la emoción de encontrar a unas diosas. Desde que ya no existe el Olimpo, sus habitantes viven en la tierra. Y cuando los pintores pintan un cuadro mitológico, toman de modelo para Venus o Ceres a muchachas del pueblo que ejercen los oficios más vulgares, con lo que, lejos de conocer un sacrilegio, no hacen más que restituirles la caridad, los atributos divinos de que fueron despojadas. -¿Qué te ha parecido el Trocadero, locuela? -Estoy contentísima de haberlo dejado para venir contigo. Creo que es de Davioud. -¡Cuánto aprende mi Albertinita! En efecto, es de Davioud, pero yo lo había olvidado. -Mientras tú duermes, yo leo tus libros, gran perezoso. Como monumento es bastante feo, ¿verdad? -Mira, pequeña, estás cambiando tan de prisa y te estás volviendo tan inteligente -era verdad, pero además no me disgustaba que, a falta de otras, tuviera la satisfacción de pensar que el tiempo que pasaba conmigo no era tiempo completamente perdido para ellaque te diría a lo mejor cosas que generalmente se consideran falsas, pero que corresponden a una verdad que yo busco. ¿Sabes qué es el impresionismo? -Muy bien. -Bueno, pues verás lo que quiero decir: ¿te acuerdas de la iglesia de Marcouville l′Orgueilleuse que a Elstir no le gustaba porque era nueva? ¿No se contradice un poco con su propio impresionismo cuando excluye así los monumentos de la impresión global en que están comprendidos, los lleva fuera de la luz en que se funden y examina como arqueólogo su valor intrínseco? ¿Acaso cuando está pintando un hospital, una escuela, un letrero en una pared no tienen el mismo valor que una catedral inestimable que está al lado, en una imagen indivisible? Recuerda aquella fachada recocida por el sol, el relieve de aquellos santos de Marcouville sobrenadando en la luz. ¿Qué importa que un monumento sea nuevo si parece viejo, y aunque no lo parezca? La poesía que contienen los viejos barrios ha sido extraída hasta la última gota, pero algunas casas recién construidas por pequeños burgueses atildados, en barrios nuevos, con su piedra demasiado blanca y recién labrada, ¿no desgarran el aire tórrido del mediodía en julio, a la hora en que los comerciantes vuelven a almorzar a las afueras, con un grito tan agrio como el olor de las cerezas esperando que se sirva el almuerzo en el comedor oscuro, donde los prismas de cristal para apoyar los cuchillos proyectan luces multicolores y tan bellas como las vidrieras de Chartres? -¡Qué bueno eres! Si alguna vez llego a ser inteligente, será gracias a ti. -¿Por qué, en un día hermoso, apartar los ojos del Trocadero, cuyas torres en cuello de jirafa recuerdan la cartuja de Pavía? -También me ha recordado, dominando así sobre su alto, una reproducción de Mantegna que tú tienes, creo que es San Sebastián, donde hay en el fondo una ciudad en anfiteatro y donde yo juraría que está el Trocadero. -¡Está bien observado! Pero ¿cómo has visto la reproducción de Mantegna? Eres pasmosa. Habíamos llegado a los barrios más populares, y una Venus anciliar detrás de cada mostrador lo convertía en una especie de altar suburbano al pie del cual me hubiera gustado pasar la vida.
Comme on fait à la veille d′une mort prématurée, je dressais le compte des plaisirs dont me privait le point final qu′Albertine mettait à ma liberté. À Passy, ce fut sur la chaussée même, à cause de l′encombrement, que des jeunes filles se tenant par la taille m′émerveillèrent de leur sourire. Je n′eus pas le temps de le bien distinguer, mais il était peu probable que je le surfisse ; dans toute foule, en effet, dans toute foule jeune, il n′est pas rare que l′on rencontre l′effigie d′un noble profil. De sorte que ces cohues populaires des jours de fête sont pour le voluptueux aussi précieuses que pour l′archéologue le désordre d′une terre où une fouille fait apparaître des médailles antiques. Nous arrivâmes au Bois. Je pensais que, si Albertine n′était pas sortie avec moi, je pourrais en ce moment, au cirque des Champs-Élysées, entendre la tempête wagnérienne faire gémir tous les cordages de l′orchestre, attirer à elle, comme une écume légère, l′air de chalumeau que j′avais joué tout à l′heure, le faire voler, le pétrir, le déformer, le diviser, l′entraîner dans un tourbillon grandissant. Du moins je voulus que notre promenade fût courte et que nous rentrions de bonne heure, car, sans en parler à Albertine, j′avais décidé d′aller le soir chez les Verdurin. Ils m′avaient envoyé dernièrement une invitation que j′avais jetée au panier avec toutes les autres. Mais je me ravisais pour ce soir, car je voulais tâcher d′apprendre quelles personnes Albertine avait pu espérer rencontrer l′après-midi chez eux. À vrai dire, j′en étais arrivé avec Albertine à ce moment où, si tout continue de même, si les choses se passent normalement, une femme ne sert plus pour nous que de transition avec une autre femme. Elle tient à notre cœur encore, mais bien peu ; nous avons hâte d′aller chaque soir trouver des inconnues, et surtout des inconnues connues d′elle, lesquelles pourront nous raconter sa vie. Elle, en effet, nous avons possédé, épuisé tout ce qu′elle a consenti à nous livrer d′elle-même. Sa vie, c′est elle-même encore, mais justement la partie que nous ne connaissons pas, les choses sur quoi nous l′avons vainement interrogée et que nous pourrons recueillir sur des lèvres neuves. Como se hace la víspera de una muerte prematura hacía yo la cuenta de los placeres de que me privaba el punto final puesto por Albertina a mi libertad. En Passy fue en la calzada misma, a causa del atasco, donde me maravillaron con su sonrisa unas muchachas enlazadas de la cintura. No tuve tiempo de verlas bien, pero era poco probable que yo inventara aquella sonrisa; no es raro encontrar en toda multitud, en toda multitud joven, un perfil noble. De suerte que esas aglomeraciones populares de los días festivos son para el voluptuoso tan preciosas como para el arqueólogo el desorden de una tierra donde una excavación descubre unas medallas antiguas. Llegamos al Bois. Pensaba que, si Albertina no hubiera salido conmigo, podría estar yo en aquel momento escuchando en el circo de los Champs-Elysées la tempestad wagneriana haciendo gemir todas las cuerdas de la orquesta, atrayendo hacia ella, como ligera espuma, el son de flauta que yo había tocado hacía un momento, echándolo a volar, amasándolo, deformándolo, dividiéndolo, arrastrándolo a un torbellino in crescendo. Al menos procuré que el paseo fuera corto y que volviéramos temprano, pues, sin decírselo a Albertina, había decidido ir por la noche a casa de los Verdurin. Me habían mandado recientemente una invitación que eché al cesto con todas las demás. Pero cambié de intención para aquella noche, porque quería tratar de averiguar qué personas esperaba encontrar Albertina en aquella casa. A decir verdad, yo había llegado con Albertina a ese momento en que (si todo continúa lo mismo, si las cosas ocurren normalmente) una mujer ya no nos sirve más que de transición hacia otra mujer. Todavía está en nuestro corazón, pero muy poco; tenemos prisa de ir todas las noches en pos de desconocidas, y sobre todo de desconocidas conocidas de ella que podrán contarnos su vida. Y es que ya hemos poseído, ya hemos agotado todo lo que ella ha querido entregarnos de sí misma. Su vida es también ella misma, pero precisamente la parte que no conocemos, las cosas sobre las que la hemos interrogado en vano y que sólo de labios nuevos podremos recoger.
Si ma vie avec Albertine devait m′empêcher d′aller à Venise, de voyager, du moins j′aurais pu tantôt, si j′avais été seul, connaître les jeunes midinettes éparses dans l′ensoleillement de ce beau dimanche, et dans la beauté de qui je faisais entrer pour une grande part la vie inconnue qui les animait. Les yeux qu′on voit ne sont-ils pas tout pénétrés par un regard dont on ne sait pas les images, les souvenirs, les attentes, les dédains qu′il porte et dont on ne peut pas les séparer ? Cette existence, qui est celle de l′être qui passe, ne donnera-t-elle pas, selon ce qu′elle est, une valeur variable au froncement de ces sourcils, à la dilatation de ces narines ? La présence d′Albertine me privait d′aller à elles, et peut-être ainsi de cesser de les désirer. Celui qui veut entretenir en soi le désir de continuer à vivre et la croyance en quelque chose de plus délicieux que les choses habituelles doit se promener, car les rues, les avenues, sont pleines de Déesses. Mais les Déesses ne se laissent pas approcher. Çà et là, entre les arbres, à l′entrée de quelque café, une servante veillait comme une nymphe à l′orée d′un bois sacré, tandis qu′au fond trois jeunes filles étaient assises à côté de l′arc immense de leurs bicyclettes posées à côté d′elles, comme trois immortelles accoudées au nuage ou au coursier fabuleux sur lesquels elles accomplissaient leurs voyages mythologiques. Je remarquais que chaque fois qu′Albertine les regardait un instant, toutes ces filles, avec une attention profonde, se retournaient aussitôt vers moi. Mais je n′étais trop tourmenté ni par l′intensité de cette contemplation, ni par sa brièveté que l′intensité compensait ; en effet, pour cette dernière, il arrivait souvent qu′Albertine, soit fatigue, soit manière de regarder particulière à un être attentif, considérait ainsi, dans une sorte de méditation, fût-ce mon père, fût-ce Françoise ; et quant à sa vitesse à se retourner vers moi, elle pouvait être motivée par le fait qu′Albertine, connaissant mes soupçons, pouvait vouloir, même s′ils n′étaient pas justifiés, éviter de leur donner prise. Cette attention, d′ailleurs, qui m′eût semblé criminelle de la part d′Albertine (et tout autant si elle avait eu pour objet des jeunes gens), je l′attachais, sans me croire un instant coupable et en trouvant presque qu′Albertine l′était en m′empêchant par sa présence, de m′arrêter et de descendre vers elles, sur toutes les midinettes. On trouve innocent de désirer et atroce que l′autre désire. Et ce contraste entre ce qui concerne ou bien nous ou bien celle que nous aimons n′a pas trait au désir seulement, mais aussi au mensonge. Quelle chose plus usuelle que lui, qu′il s′agisse de masquer, par exemple, les faiblesses quotidiennes d′une santé qu′on veut faire croire forte, de dissimuler un vice, ou d′aller, sans froisser autrui, à la chose que l′on préfère ? Il est l′instrument de conservation le plus nécessaire et le plus employé. Or c′est lui que nous avons la prétention de bannir de la vie de celle que nous aimons, c′est lui que nous épions, que nous flairons, que nous détestons partout. Il nous bouleverse, il suffit à amener une rupture, il nous semble cacher les plus grandes fautes, à moins qu′il ne les cache si bien que nous ne les soupçonnions pas. Étrange état que celui où nous sommes à ce point sensibles à un agent pathogène que son pullulement universel rend inoffensif aux autres et si grave pour le malheureux qui ne se trouve plus avoir d′immunité contre lui ! Ya que mi vida con Albertina me impedía ir a Venecia, viajar, podía al menos, si estuviera solo, conocer a las modistillas dispersas al sol de aquel hermoso domingo, y en cuya belleza ponía yo en gran parte la vida desconocida que las animaba. ¿No están los ojos que vemos transidos de una mirada de la que desconocemos las imágenes, los recuerdos, las esperas, los desdenes que lleva en sí y de los que no podemos separarlos? Esa existencia del ser que pasa ¿no da, según lo que es, un valor variable al fruncimiento de sus cejas, a la dilatación de las ventanas de su nariz? La presencia de Albertina me privaba de ir a ellas, y acaso así me impedía dejar de desearlas. El que quiere mantener en sí el deseo de seguir viviendo y la creencia en algo más delicioso que las cosas habituales, debe pasear, pues las calles, las avenidas, están llenas de diosas. Pero las diosas no se dejan abordar. Aquí y allá, entre los árboles, a la puerta de un café, una sirvienta velaba como una ninfa a la orilla del bosque sagrado, mientras en el fondo tres muchachas estaban sentadas junto al inmenso arco de sus bicicletas posadas junto a ellas, como tres inmortales acodadas en la nube o en el corcel fabuloso sobre el cual realizan sus viajes mitológicos. Observé que cada vez que Albertina miraba un instante a todas aquellas muchachas con profunda atención, se volvía en seguida a mirarme a mí. Pero a mí no me atormentaba demasiado ni la intensidad de esta contemplación ni su brevedad, que la intensidad compensaba; pues, en efecto, Albertina, fuera por fatiga, fuera su manera particular de mirar a un ser atento, miraba así con intensidad, en una especie de meditación, lo mismo a mi padre que a Francisca; y en cuanto a la rapidez con que se volvía a mirarme a mí, podía ser motivada por el hecho de que Albertina, conociendo mis sospechas, y aunque no fueran justificadas, quisiera evitar darles motivo. Por lo demás, esa atención que me hubiera parecido criminal en Albertina (y lo mismo si fuera dirigida a muchachos), la ponía yo, sin creerme culpable ni por un momento -y pensando casi que Albertina lo era al impedirme con su presencia pararme y apearme-, en todas las muchachas que pasaban. Nos parece inocente desear y atroz que el otro desee. Y este contraste entre lo que nos concierne a nosotros y lo que concierne a la que amamos no se manifiesta sólo en el deseo, sino también en la mentira. Nada más corriente que ésta, trátese, por ejemplo, de disimular los fallos cotidianos de una salud que queremos hacer pasar por fuerte, de ocultar un vicio o de ir, sin herir a otro, a la cosa que preferimos. Esa mentira es el instrumento de conservación más necesario y más empleado. Y, sin embargo, tenemos la pretensión de suprimirlo en la vida de la mujer que amamos, le espiamos, le olfateamos, le detestamos en todo. Nos subleva, basta para provocar una ruptura, nos parece que oculta las mayores faltas, a no ser que las oculte tan bien que no las sospechemos. Extraño estado este en el que hasta tal punto somos sensibles a un agente patógeno que su pululación universal hace inofensivo a los demás y tan grave para el desdichado que ya no tiene inmunidad contra él.
La vie de ces jolies filles (à cause de mes longues périodes de réclusion j′en rencontrais si rarement) me paraissait, ainsi qu′à tous ceux chez qui la facilité des réalisations n′a pas amorti la puissance de concevoir, quelque chose d′aussi différent de ce que je connaissais, d′aussi désirable que les villes les plus merveilleuses que promet le voyage. Como por mis largos períodos de reclusión veía tan rara vez a esas muchachas, su vida me parecía -así ocurre a todos aquellos en quienes la facilidad de las realizaciones no ha amortiguado el poder de concebir- algo tan diferente de lo que yo conocía, y tan deseable, como las ciudades más maravillosas que el viaje promete.
La déception éprouvée auprès des femmes que j′avais connues, dans les villes où j′étais allé, ne m′empêchait pas de me laisser prendre à l′attrait des nouvelles et de croire à leur réalité ; aussi de même que voir Venise — Venise dont le temps printanier me donnait aussi la nostalgie et que le mariage avec Albertine m′empêcherait de connaître — voir Venise dans un panorama que Ski eût peut-être déclaré plus joli de tons que la ville réelle, ne m′eût en rien remplacé le voyage à Venise, dont la longueur déterminée sans que j′y fusse pour rien me semblait indispensable à franchir ; de même, si jolie fût-elle, la midinette qu′une entremetteuse m′eût artificiellement procurée n′eût nullement pu se substituer pour moi à celle qui, la taille dégingandée, passait en ce moment sous les arbres en riant avec une amie. Celle que j′eusse trouvée dans une maison de passe, eût-elle été plus jolie que cela, n′eût pas été la même chose, parce que nous ne regardons pas les yeux d′une fille que nous ne connaissons pas comme nous ferions d′une petite plaque d′opale ou d′agate. Nous savons que le petit rayon qui les irise ou les grains de brillant qui les font étinceler sont tout ce que nous pouvons voir d′une pensée, d′une volonté, d′une mémoire où résident la maison familiale que nous ne connaissons pas, les amis chers que nous envions. Arriver à nous emparer de tout cela, qui est si difficile, si rétif, c′est ce qui donne sa valeur au regard bien plus que sa seule beauté matérielle (par quoi peut être expliqué qu′un même jeune homme éveille tout un roman dans l′imagination d′une femme qui a entendu dire qu′il était le prince de Galles, alors qu′elle ne fait plus attention à lui quand elle apprend qu′elle s′est trompée) ; trouver la midinette dans la maison de passe, c′est la trouver vidée de cette vie inconnue qui la pénètre et que nous aspirons à posséder avec elle ; c′est nous approcher d′yeux devenus en effet de simples pierres précieuses, d′un nez dont le froncement est aussi dénué de signification que celui d′une fleur. Non, cette midinette inconnue et qui passait là, il me semblait aussi indispensable, si je voulais continuer à croire à sa réalité, d′essayer ses résistances — en y adaptant mes directions, en allant au-devant d′un affront, en revenant à la charge, en obtenant un rendez-vous, en l′attendant à la sortie des ateliers, en connaissant, épisode par épisode, ce qui composait la vie de cette petite, en traversant ce dont s′enveloppait pour elle le plaisir que je cherchais et la distance que ses habitudes différentes et sa vie spéciale mettaient entre moi et l′attention, la faveur que je voulais atteindre et capter — que de faire un long trajet en chemin de fer si je voulais croire à la réalité de la Venise que je verrais et qui ne serait pas qu′un spectacle d′exposition universelle. Mais ces similitudes mêmes du désir et du voyage firent que je me promis de serrer un jour d′un peu plus près la nature de cette force invisible mais aussi puissante que les croyances, ou, dans le monde physique, que la pression atmosphérique, qui portait si haut les cités, les femmes, tant que je ne les connaissais pas, et qui se dérobait sous elles dès que je les avais approchées, les faisait tomber aussitôt à plat sur le terre à terre de la plus triviale réalité. La decepción experimentada con las mujeres que había conocido o en las ciudades donde había estado no me impedía dejarme captar por las nuevas y creer en su realidad. Por eso, así como ver Venecia -Venecia, que aquel tiempo primaveral me hacía añorar y que la boda con Albertina me impediría conocer-, así como ver Venecia en un panorama que acaso Ski consideraría más bello de tonos que la ciudad real no reemplazaría en absoluto para mí el viaje a Venecia, cuyo trayecto determinado sin la menor intervención por mi parte me parecía indispensable recorrer, de la misma manera la muchachita que una celestina me procurara artificialmente, por bonita que fuera, no podría sustituir en modo alguno para mí a la que, desgarbada, pasaba en este momento bajo los árboles riendo con una amiga. Aunque la que podía encontrar en una casa de citas fuera más bonita, no era lo mismo, porque no miramos los ojos de una muchacha que no conocemos como miraríamos una pequeña placa de ópalo o de ágata. Sabemos que el rayito de luz que los irisa o los puntitos brillantes que les hacen centellear son lo único que podemos ver de un pensamiento, de una voluntad, de una memoria donde residen la casa familiar que no conocemos, los amigos queridos que envidiamos. Llegar a apoderarnos de todo esto, tan difícil, tan reacio, es lo que da valor a la mirada, mucho más que su sola belleza material (lo que puede explicar que un joven suscite toda una novela en la imaginación de una mujer que ha oído decir que era el príncipe de Gales, y ya no le interese nada cuando se entera de que estaba engañada). Encontrar a la muchacha en la casa de citas es encontrarla desposeída de esa vida ignorada que la penetra yque aspiramos a poseer poseyéndola a ella; es acercarnos a unos ojos que ya no son, en realidad, sino simples piedras preciosas, a una nariz cuyo gesto está tan desprovisto de significado como el de una flor. No, de lo que Albertina me privaba precisamente era de aquella muchacha desconocida que pasaba, cuando, para seguir creyendo en su realidad, me parecía tan indispensable como hacer un largo trayecto en tren para creer en la realidad de Pisa que yo veía que no sería más que un espectáculo de exposición universal, aguantar sus resistencias adaptando a ellas mis proyectos, encajando una afrenta, volviendo a la carga, esperándola a la salida del taller, conociendo episodio por episodio en la vida de aquella pequeña, atravesando lo que envolvía para ella el placer que yo buscaba y la distancia que sus hábitos diferentes y su vida especial ponían entre ella y yo, y la atención, el favor que yo quería alcanzar y captar. Pero estas mismas similitudes del deseo y del viaje me hicieron prometerme inquirir un poco más de cerca la naturaleza de esa fuerza, invisible pero tan fuerte como las creencias, o, en el mundo físico, como la presión atmosférica, que tanto realzaba las ciudades y las mujeres mientras yo no las conocía y que al acercarme a ellas se derrumbaban, cayendo en la más trivial realidad.
Plus loin une autre fillette était agenouillée près de sa bicyclette qu′elle arrangeait. Une fois la réparation faite, la jeune coureuse monta sur sa bicyclette, mais sans l′enfourcher comme eût fait un homme. Pendant un instant la bicyclette tangua, et le jeune corps semblait s′être accru d′une voile, d′une aile immense ; et bientôt nous vîmes s′éloigner à toute vitesse la jeune créature mi-humaine, mi-ailée, ange ou péri, poursuivant son voyage. Más lejos, otra muchachita estaba arrodillada arreglando su bicicleta. Una vez reparada, subió a ella, pero no a horcajadas como un hombre. La bicicleta se tambaleó por un momento, el cuerpo joven pareció prolongado por un velo, por una inmensa ala, y la tierna criatura medio humana, medio alada, ángel o hada, se alejó, continuando su viaje.
Voilà ce dont une vie avec Albertine me privait justement. Dont elle me privait ? N′aurais-je pas dû penser : dont elle me gratifiait au contraire ? Si Albertine n′avait pas vécu avec moi, avait été libre, j′eusse imaginé, et avec raison, toutes ces femmes comme des objets possibles, probables, de son désir, de son plaisir. Elles me fussent apparues comme ces danseuses qui, dans un ballet diabolique, représentant les Tentations pour un être, lancent leurs flèches au cœur d′un autre être. Les midinettes, les jeunes filles, les comédiennes, comme je les aurais ha ! Objet d′horreur, elles eussent été exceptées pour moi de la beauté de l′univers. Le servage d′Albertine, en me permettant de ne plus souffrir par elles, les restituait à la beauté du monde. Inoffensives, ayant perdu l′aiguillon qui met au cœur la jalousie, il m′était loisible de les admirer, de les caresser du regard, un autre jour plus intimement peut-être. En enfermant Albertine, j′avais du même coup rendu à l′univers toutes ces ailes chatoyantes qui bruissent dans les promenades, dans les bals, dans les théâtres, et qui redevenaient tentatrices pour moi, parce qu′elles ne pouvaient plus succomber à leur tentation. Elles faisaient la beauté du monde. Elles avaient fait jadis celle d′Albertine. C′est parce que je l′avais vue comme un oiseau mystérieux, puis comme une grande actrice de la plage, désirée, obtenue peut-être, que je l′avais trouvée merveilleuse. Une fois captif chez moi l′oiseau que j′avais vu un soir marcher à pas comptés sur la digue, entouré de la congrégation des autres jeunes filles pareilles à des mouettes venues on ne sait d′où, Albertine avait perdu toutes ses couleurs, avec toutes les chances qu′avaient les autres de l′avoir à eux. Elle avait peu à peu perdu sa beauté. Il fallait des promenades comme celles-là, où je l′imaginais, sans moi, accostée par telle femme ou tel jeune homme, pour que je la revisse dans la splendeur de la plage, bien que ma jalousie fût sur un autre plan que le déclin des plaisirs de mon imagination. Mais, malgré ces brusques sursauts où, désirée par d′autres, elle me redevenait belle, je pouvais très bien diviser son séjour chez moi en deux périodes : la première où elle était encore, quoique moins chaque jour, la chatoyante actrice de la plage ; la seconde où, devenue la grise prisonnière, réduite à son terne elle-même, il lui fallait ces éclairs où je me ressouvenais du passé pour lui rendre des couleurs. De esto, precisamente de esto, me privaba la presencia de Albertina, mi vida con Albertina. ¿Me privaba de esto? ¿No debía pensar, por el contrario, que me regalaba esto? Si Albertina no viviera conmigo, si fuera libre, imaginaría, y con razón, a todas aquellas mujeres como objetos posibles, como objetos probables de su deseo, de su placer. Me parecerían como esas bailarinas que, en una danza diabólica, representando las Tentaciones para un ser, lanzan sus flechas al corazón de otro. Las modistillas, las muchachitas, las comediantas, ¡cómo las odiaría! Objeto de horror, quedarían excluidas para mí de la belleza del universo. Esclavo de Albertina, no sufriendo por ellas, las restituía a la belleza del mundo. Inofensivas, ya sin el aguijón que en el corazón ponen los celos, podía admirarlas, acariciarlas con la mirada, otro día, quizá, más íntimamente. Encerrando a Albertina, había devuelto al mismo tiempo al universo todas esas alas irisadas que zumban en los paseos, en los bailes, en los teatros, y que volvían a ser tentadoras para mí porque ella no podía ya sucumbir a su tentación. Eran la belleza del mundo. Antes habían hecho la de Albertina. Si la encontré maravillosa fue porque la vi como un pájaro misterioso, después como una gran actriz de la playa, deseada, conseguida quizá. Una vez cautivo en mi casa el pájaro que viera una noche caminar a pasos contados por el malecón, rodeado de la cofradía de las otras muchachas como gaviotas venidas de no se sabe dónde, Albertina perdió todos sus colores, con todas las probabilidades que las otras tenían de ostentarlos ellas. Albertina había ido perdiendo su belleza. Eran necesarios paseos como aquéllos, en los que yo la imaginaba, sin mí, abordada por una muchacha o por un muchacho, para que yo volviera a verla en el esplendor de la playa, por más que mis celos estaban en un plano distinto al de la declinación de los placeres de mi imaginación. Pero a pesar de estos bruscos rebrotes en los que, deseada por otros, volvía a encontrarla bella, yo podía muy bien dividir en dos períodos su estancia en mi casa: el primero cuando era aún, aunque cada día menos, la tentadora actriz de la playa; el segundo cuando, convertida en una gris prisionera, reducida a su propio y deslucido ser, sólo aquellos destellos en que yo rememoraba el pasado le devolvían algún resplandor.
Parfois, dans les heures où elle m′était le plus indifférente, me revenait le souvenir d′un moment lointain où sur la plage, quand je ne la connaissais pas encore, non loin de telle dame avec qui j′étais fort mal et avec qui j′étais presque certain maintenant qu′elle avait eu des relations, elle éclatait de rire en me regardant d′une façon insolente. La mer polie et bleue bruissait tout autour. Dans le soleil de la plage, Albertine, au milieu de ses amies, était la plus belle. C′était une fille magnifique, qui, dans le cadre habituel d′eaux immenses, m′avait, elle, précieux à la dame qui l′admirait, infligé ce définitif affront. Il était définitif, car la dame retournait peut-être à Balbec, constatait peut-être, sur la plage lumineuse et bruissante, l′absence d′Albertine. Mais elle ignorait que la jeune fille vécût chez moi, rien qu′à moi. Les eaux immenses et bleues, l′oubli des préférences qu′elle avait pour cette jeune fille et qui allaient à d′autres, s′étaient refermées sur l′avanie que m′avait faite Albertine, l′enfermant dans un éblouissant et infrangible écrin. Alors la haine pour cette femme mordait mon coeur ; pour Albertine aussi, mais une haine mêlée d′admiration pour la belle jeune fille adulée, à la chevelure merveilleuse, et dont l′éclat de rire sur la plage était un affront. La honte, la jalousie, le ressouvenir des désirs premiers et du cadre éclatant avaient redonné à Albertine sa beauté, sa valeur d′autrefois. Et ainsi alternait, avec l′ennui un peu lourd que j′avais auprès d′elle, un désir frémissant, plein d′orages magnifiques et de regrets ; selon qu′elle était à côté de moi dans ma chambre ou que je lui rendais sa liberté dans ma mémoire, sur la digue, dans ses gais costumes de plage, au jeu des instruments de musique de la mer, Albertine, tantôt sortie de ce milieu, possédée et sans grande valeur, tantôt replongée en lui, m′échappant dans un passé que je ne pourrais connaître, m′offensant, auprès de son amie, autant que l′éclaboussure de la vague ou l′étourdissement du soleil, Albertine remise sur la plage, ou rentrée dans ma chambre, en une sorte d′amour amphibie. A veces, en los momentos en que me era más indiferente, me volvía el recuerdo de una tarde lejana, cuando aún no la conocía: en la playa, no lejos de una dama con la que yo estaba muy mal, y con la que ahora estaba seguro de que Albertina había tenido relaciones, ésta se echaba a reír mirándome con insolencia. Rodeaba la escena el mar pulido. En el sol de la playa, Albertina, en medio de sus amigas, era la más bella. Era una muchacha espléndida quien, en el cuadro habitual de las aguas inmensas, me infligió, ella, tan cara a la dama que la admiraba, aquella afrenta. Una afrenta definitiva, pues la dama volvía quizá a Balbec, comprobaba tal vez, en la playa encendida y rumorosa, la ausencia de Albertina; pero ignoraba que la muchacha viviera en mi casa, sólo para mí. Las aguas inmensas y azules, el olvido de las preferencias que aquella dama tenía por esta muchacha y que pasaban a otras, habían caído sobre la ofensa que me hiciera Albertina, encerrándola en un deslumbrador e infrangible estuche. Entonces me mordía el corazón el odio a aquella mujer; a Albertina también, pero era un odio mezclado de admiración a la bella muchacha adulada, la de la cabellera maravillosa, y cuya carcajada en la playa era un insulto. La vergüenza, los celos, el recuerdo de los deseos primeros y del espléndido escenario restituyeron a Albertina su belleza, su valor de otro tiempo. De esta suerte alternaba, con el aburrimiento un poco molesto que sentía junto a ella, un deseo estremecido, lleno de imágenes magníficas y de añoranzas, según que estuviera junto a mí en mi cuarto o le devolviera su libertad en mi memoria, en el malecón, en aquellos alegres atuendos de playa, al son de los instrumentos de música del mar: Albertina, ora fuera de su medio, poseída y sin gran valor; ora restituida a él, escabulléndose en un pasado que yo no podría conocer, hiriéndome junto a aquella dama, su amiga, tanto como la salpicadura de la ola o el mazazo del sol, Albertina en la playa o Albertina en mi cuarto, en una especie de amor anfibio.
Ailleurs une bande nombreuse jouait au ballon. Toutes ces fillettes avaient voulu profiter du soleil, car ces journées de février, même quand elles sont si brillantes, ne durent pas tard, et la splendeur de leur lumière ne retarde pas la venue de son déclin. Avant qu′il fût encore proche, nous eûmes quelque temps de pénombre, parce qu′après avoir poussé jusqu′à la Seine, où Albertine admira, et par sa présence m′empêcha d′admirer, les reflets de voiles rouges sur l′eau hivernale et bleue, une maison blottie au loin comme un seul coquelicot dans l′horizon clair dont Saint-Cloud semblait, plus loin, la pétrification fragmentaire, friable et côtelée, nous descendîmes de voiture et marchâmes longtemps ; même pendant quelques instants je lui donnai le bras, et il me semblait que cet anneau que le sien faisait sous le mien unissait en un seul être nos deux personnes et attachait l′une à l′autre nos deux destinées. En otro lugar, una pandilla numerosa jugaba a la pelota. Todas aquellas niñas querían aprovechar el sol, pues los días de febrero, incluso cuando son tan brillantes, duran poco y el esplendor de su luz no retrasa su ocaso. Antes de que se consumara, tuvimos un tiempo de penumbra, pues llegados hasta el Sena, donde Albertina admiró, y con su presencia me impidió admirar, los reflejos de rojos velos sobre el agua invernal y azul, una casa de tejas acurrucada a lo lejos como una amapola única en el claro horizonte del que Saint-Cloud parecía, más lejos, la petrificación fragmentaria, quebradiza y acanalada, bajamos del coche y anduvimos mucho tiempo. En algunos momentos le di el brazo, y me parecía que el anillo formado por el suyo debajo del mío unía en un solo ser nuestras dos personas y fundía uno con otro nuestros dos destinos.
À nos pieds, nos ombres parallèles, rapprochées et jointes, faisaient un dessin ravissant. Sans doute il me semblait déjà merveilleux, à la maison, qu′Albertine habitât avec moi, que ce fût elle qui s′étendît sur mon lit. Mais c′en était comme l′exportation au dehors, en pleine nature, que devant ce lac du Bois, que j′aimais tant, au pied des arbres, ce fût justement son ombre, l′ombre pure et simplifiée de sa jambe, de son buste, que le soleil eût à peindre au lavis à côté de la mienne sur le sable de l′allée. Et je trouvais un charme plus immatériel sans doute, mais non pas moins intime, qu′au rapprochement, à la fusion de nos corps, à celle de nos ombres. Puis nous remontâmes dans la voiture. Et elle s′engagea pour le retour dans de petites allées sinueuses où les arbres d′hiver, habillés de lierre et de ronces, comme des ruines, semblaient conduire à la demeure d′un magicien. À peine sortis de leur couvert assombri, nous retrouvâmes, pour sortir du Bois, le plein jour, si clair encore que je croyais avoir le temps de faire tout ce que je voudrais avant le dîner, quand, quelques instants seulement après, au moment où notre voiture approchait de l′Arc de Triomphe, ce fut avec un brusque mouvement de surprise et d′effroi que j′aperçus au-dessus de Paris, la lune pleine et prématurée, comme le cadran d′une horloge arrêtée qui nous fait croire qu′on s′est mis en retard. Nous avions dit au cocher de rentrer. Pour Albertine, c′était aussi revenir chez moi. La présence des femmes, si aimées soient-elles, qui doivent nous quitter pour rentrer ne donne pas cette paix que je goûtais dans la présence d′Albertine assise au fond de la voiture à côté de moi, présence qui nous acheminait non au vide des heures où l′on est séparé, mais à la réunion plus stable encore et mieux enclose dans mon chez-moi, qui était aussi son chez-elle, symbole matériel de la possession que j′avais d′elle. Certes, pour posséder il faut avoir désiré. Nous ne possédons une ligne, une surface, un volume que si notre amour l′occupe. Mais Albertine n′avait pas été pour moi, pendant notre promenade, comme avait été jadis Rachel, une vaine poussière de chair et d′étoffe. L′imagination de mes yeux, de mes lèvres, de mes mains, avait, à Balbec, si solidement construit, si tendrement poli son corps que maintenant, dans cette voiture, pour toucher ce corps, pour le contenir, je n′avais pas besoin de me serrer contre Albertine, ni même de la voir, il me suffisait de l′entendre et, si elle se taisait, de la savoir auprès de moi ; mes sens tressés ensemble l′enveloppaient tout entière et quand, arrivée devant la maison, tout naturellement elle descendit, je m′arrêtai un instant pour dire au chauffeur de revenir me prendre, mais mes regards l′enveloppaient encore tandis qu′elle s′enfonçait devant moi sous la voûte, et c′était toujours ce même calme inerte et domestique que je goûtais à la voir ainsi lourde, empourprée, opulente et captive, rentrer tout naturellement avec moi, comme une femme que j′avais à moi, et, protégée par les murs, disparaître dans notre maison. Malheureusement elle semblait s′y trouver en prison et être de l′avis de cette Mme de La Rochefoucauld qui, comme on lui demandait si elle n′était pas contente d′être dans une aussi belle demeure que Liancourt, répondit qu′« il n′est pas de belle prison », si j′en jugeais par l′air triste et las qu′elle eut ce soir-là pendant notre dîner en tête à tête dans sa chambre. Je ne le remarquai pas d′abord ; et c′était moi qui me désolais de penser que, s′il n′y avait pas eu Albertine (car avec elle j′eusse trop souffert de la jalousie dans un hôtel où elle eût toute la journée subi le contact de tant d′êtres), je pourrais en ce moment dîner à Venise dans une de ces petites salles à manger surbaissées comme une cale de navire, et où on voit le grand canal par de petites fenêtres cintrées qu′entourent des moulures mauresques. A nuestros pies, nuestras sombras paralelas, luego juntas, formaban un dibujo precioso. Ya me parecía maravilloso, en la casa, que Albertina viviera conmigo, que fuera ella quien se acostara en mi cama. Pero era como la exportación de esto al exterior, en plena naturaleza, que, junto al lago del Bois que tanto me gustaba, al pie de los árboles, fuera precisamente su sombra, la sombra pura y simplificada de su pierna, de su busto, lo que el sol pintara a la aguada junto a la mía sobre la arena del paseo. Y en la fusión de nuestras sombras encontraba yo un encanto sin duda más inmaterial, pero no menos íntimo que en la aproximación, en la fusión de nuestros cuerpos. Volvimos a subir al coche. Y el coche tomó para el retorno unos caminitos sinuosos donde los árboles de invierno, vestidos de hiedra y de zarzas, como ruinas, parecían conducir a la mansión de un mago. Apenas salidos de su bóveda oscura volvimos a encontrar, para salir del Bois, el pleno día, tan claro aún que creí tener tiempo bastante para hacer todo lo que quería antes de la comida, cuando, poco después, cerca ya del Arco del Triunfo, vi con sorpresa y susto, sobre París, la luna llena y prematura, como la esfera de un reloj parado que nos hace creernos en retraso. Habíamos dicho al cochero que nos volviera a casa. Para Albertina era también volver a mi casa. La presencia de las mujeres que tienen que dejarnos para volver a su casa, por amadas que sean, no da esa paz que yo gozaba en la presencia de Albertina sentada en el coche al lado mío, presencia que nos encaminaba no a las horas de separación, sino a la reunión más estable y más recogida en mi casa, que era también la suya, símbolo material de mi posesión de ella. Claro es que para poseer hay que haber deseado. Sólo poseemos una línea, una superficie, un volumen, cuando nuestro amor lo ocupa. Pero Albertina no había sido para mí, durante nuestro paseo, como fuera Raquel en otro tiempo, vano polvo de carne y de tela. En Balbec, la imagen de mis ojos, de mis labios, de mis manos, había construido tan sólidamente su cuerpo, lo había pulido tan tiernamente, que ahora, en este coche, para tocar este cuerpo, para contenerlo, no tenía necesidad de apretarme contra Albertina, ni siquiera de verla: me bastaba oírla y, si se callaba, saberla junto a mí; mis sentidos trenzados juntos la envolvían toda entera, Y cuando llegada ante la casa se apeó con toda naturalidad, me detuve un momento para decir al chófer que volviera a buscarme, pero mis ojos la envolvían aún mientras ella se perdía ante mí bajo la bóveda, y era siempre aquella misma calma inerte y doméstica que yo gozaba viéndola así, grávida, colorada, opulenta y cautiva, volver tan naturalmente conmigo, como una mujer que era mía y, protegida por las paredes, desaparecer en nuestra casa. Desgraciadamente, parecía encontrarse allí presa y pensar como aquella madame de La Rochefoucault que, al preguntarle si no estaba contenta de hallarse en una mansión tan bella como Liancourt, contestó que «no hay cárcel bella», a juzgar por el talante triste y cansado que tenía aquella noche mientras cenábamos los dos solos en su cuarto. Al principio no lo noté; y era yo el que sufría pensando que, de no ser por Albertina (pues con ella me atormentarían demasiado los celos en un hotel donde estaría todo el día en contacto con tanta gente), podría en aquel momento estar comiendo en Venecia en uno de esos comedorcitos bajos de techo como la cala de un barco y desde los cuales se ve el Gran Canal por unas ventanitas ojivales rodeadas de arabescos.
Je dois ajouter qu′Albertine admirait beaucoup chez moi un grand bronze de Barbedienne, qu′avec beaucoup de raison Bloch trouvait fort laid. Il en avait peut-être moins de s′étonner que je l′eusse gardé. Je n′avais jamais cherché comme lui à faire des ameublements artistiques, à composer des pièces, j′étais trop paresseux pour cela, trop indifférent à ce que j′avais l′habitude d′avoir sous les yeux. Puisque mon goût ne s′en souciait pas, j′avais le droit de ne pas nuancer mon intérieur. J′aurais peut-être pu malgré cela ôter le bronze. Mais les choses laides et cossues sont fort utiles, car elles ont auprès des personnes qui ne nous comprennent pas, qui n′ont pas notre goût et dont nous pouvons être amoureux, un prestige que n′aurait pas une fière chose qui ne révèle pas sa beauté. Or les êtres qui ne nous comprennent pas sont justement les seuls à l′égard desquels il puisse nous être utile d′user d′un prestige que notre intelligence suffit à nous assurer auprès d′êtres supérieurs. Albertine avait beau commencer à avoir du goût, elle avait encore un certain respect pour le bronze, et ce respect rejaillissait sur moi en une considération qui, venant d′Albertine, m′importait infiniment plus que de garder un bronze un peu déshonorant, puisque j′aimais Albertine. Debo añadir que Albertina admiraba mucho un gran bronce de Barbedienne que a Bloch le parecía, y con mucha razón, muy feo. Quizá no tenía tanta en extrañarse de que yo lo conservara. Yo no me había propuesto nunca, como él, tener decoraciones artísticas, componer habitaciones; era demasiado perezoso para eso, demasiado indiferente para lo que tenía costumbre de tener ante mis ojos. Como no me importaba, estaba en el derecho de no matizar interiores. A pesar de esto, quizá hubiera podido retirar aquel bronce. Pero las cosas feas y relamidas son muy útiles, pues para las personas que no nos comprenden, que no comparten nuestro gusto y de las que podemos estar enamorados, tienen un prestigio que no tendría una cosa bella cuya belleza no es llamativa. Y las personas que no nos comprenden son precisamente las únicas con las que puede sernos útil ostentar un prestigio que con las personas superiores nos lo procura nuestra inteligencia. Aunque Albertina comenzaba a tener gusto, tenía aún cierto respeto por aquel bronce, y este respeto se traducía en una consideración a mí que, viniendo de Albertina, y porque la amaba, me importaba mucho más que conservar un bronce un poco deshonroso.
Mais la pensée de mon esclavage cessait tout d′un coup de me peser et je souhaitais de le prolonger encore, parce qu′il me semblait apercevoir qu′Albertine sentait cruellement le sien. Sans doute, chaque fois que je lui avais demandé si elle ne se déplaisait pas chez moi, elle m′avait toujours répondu qu′elle ne savait pas où elle pourrait être plus heureuse. Mais souvent ces paroles étaient démenties par un air de nostalgie, d′énervement. Pero de pronto dejaba de pesarme la idea de mi esclavitud, y deseaba prolongarla aún, porque me parecía notar que Albertina sentía duramente la suya. Claro que cada vez que yo le preguntaba si no se aburría en mi casa, me contestaba siempre que no sabía dónde podría ser más feliz. Pero muchas veces desmentía estas palabras un aire de nostalgia, de descontento.
Certes, si elle avait les goûts que je lui avais crus, cet empêchement de jamais les satisfaire devait être aussi excitant pour elle qu′il était calmant pour moi, calmant au point que j′eusse trouvé l′hypothèse que je l′avais accusée injustement la plus vraisemblable si, dans celle-ci, je n′eusse eu beaucoup de peine à expliquer cette application extraordinaire que mettait Albertine à ne jamais être seule, à ne jamais être libre, à ne pas s′arrêter un instant devant la porte quand elle rentrait, à se faire accompagner ostensiblement, chaque fois qu′elle allait téléphoner, par quelqu′un qui pût me répéter ses paroles, par Françoise, par Andrée, à me laisser toujours seul, sans avoir l′air que ce fût exprès, avec cette dernière, quand elles étaient sorties ensemble, pour que je pusse me faire faire un rapport détaillé sur leur sortie. Avec cette merveilleuse docilité contrastaient certains mouvements, vite réprimés, d′impatience, qui me firent me demander si Albertine n′aurait pas formé le projet de secouer sa chaîne. Des faits accessoires étayaient ma supposition. Ainsi, un jour où j′étais sorti seul, ayant rencontré, près de Passy, Gisèle, nous causâmes de choses et d′autres. Bientôt, assez heureux de pouvoir le lui apprendre, je lui dis que je voyais constamment Albertine. Gisèle me demanda où elle pourrait la trouver, car elle avait justement quelque chose à lui dire. « Quoi donc ? — Des choses qui se rapportent à de petites camarades à elle. — Quelles camarades ? Je pourrai peut-être vous renseigner, ce qui ne vous empêchera pas de la voir. — Oh ! des camarades d′autrefois, je ne me rappelle pas les noms », répondit Gisèle d′un air vague, en battant en retraite. Elle me quitta, croyant avoir parlé avec une prudence telle que rien ne pouvait me paraître que très clair. Mais le mensonge est si peu exigeant, a besoin de si peu de chose pour se manifester ! S′il s′était agi de camarades d′autrefois, dont elle ne savait même pas les noms, pourquoi aurait-elle eu « justement » besoin d′en parler à Albertine ? Cet adverbe, assez parent d′une expression chère à Mme Cottard : « cela tombe à pic », ne pouvait s′appliquer qu′à une chose particulière, opportune, peut-être urgente, se rapportant à des êtres déterminés. D′ailleurs, rien que la façon d′ouvrir la bouche, comme quand on va bâiller, d′un air vague, en me disant (en reculant presque avec son corps, comme elle faisait machine en arrière à partir de ce moment dans notre conversation) : « Ah ! je ne sais pas, je ne me rappelle pas les noms », faisait aussi bien de sa figure, et, s′accordant avec elle, de sa voix, une figure de mensonge, que l′air tout autre, serré, animé, à l′avant, de « j′ai justement » signifiait une vérité. Je ne questionnai pas Gisèle. À quoi cela m′eût-il servi ? Certes, elle ne mentait pas de la même manière qu′Albertine. Et certes les mensonges d′Albertine m′étaient plus douloureux. Mais d′abord il y avait entre eux un point commun : le fait même du mensonge qui, dans certains cas, est une évidence. Non pas de la réalité qui se cache dans ce mensonge. On sait bien que chaque assassin, en particulier, s′imagine avoir tout si bien combiné qu′il ne sera pas pris, et, parmi les menteurs, plus particulièrement les femmes qu′on aime. On ignore où elle est allée, ce qu′elle y a fait. Mais au moment même où elle parle, où elle parle d′une autre chose sous laquelle il y a cela, qu′elle ne dit pas, le mensonge est perçu instantanément, et la jalousie redoublée puisqu′on sent le mensonge, et qu′on n′arrive pas à savoir la vérité. Chez Albertine, la sensation du mensonge était donnée par bien des particularités qu′on a déjà vues au cours de ce récit, mais principalement par ceci que, quand elle mentait, son récit péchait soit par insuffisance, omission, invraisemblance, soit par excès, au contraire, de petits faits destinés à le rendre vraisemblable. Le vraisemblable, malgré l′idée que se fait le menteur, n′est pas du tout le vrai. Dès qu′en écoutant quelque chose de vrai, on entend quelque chose qui est seulement vraisemblable, qui l′est peut-être plus que le vrai, qui l′est peut-être trop, l′oreille un peu musicienne sent que ce n′est pas cela, comme pour un vers faux, ou un mot lu à haute voix pour un autre. L′oreille le sent et, si l′on aime, le cœur s′alarme. Que ne songe-t-on alors, quand on change toute sa vie parce qu′on ne sait pas si une femme est passée rue de Berri ou rue Washington, que ne songe-t-on que ces quelques mètres de différence, et la femme elle-même, seront réduits au cent millionième (c′est-à-dire à une grandeur que nous ne pouvons percevoir) si seulement nous avons la sagesse de rester quelques années sans voir cette femme, et que ce qui était Gulliver en bien plus grand deviendra une lilliputienne qu′aucun microscope — au moins du cœur, car celui de la mémoire indifférente est plus puissant et moins fragile — ne pourra plus percevoir ! Quoi qu′il en soit, s′il y avait un point commun — le mensonge même — entre ceux d′Albertine et de Gisèle, pourtant Gisèle ne mentait pas de la même manière qu′Albertine, ni non plus de la même manière qu′Andrée, mais leurs mensonges respectifs s′emboîtaient si bien les uns dans les autres, tout en présentant une grande variété, que la petite bande avait la solidité impénétrable de certaines maisons de commerce, de librairie ou de presse par exemple, où le malheureux auteur n′arrivera jamais, malgré la diversité des personnalités composantes, à savoir s′il est ou non floué. Le directeur du journal ou de la revue ment avec une attitude de sincérité d′autant plus solennelle qu′il a besoin de dissimuler, en mainte occasion, qu′il fait exactement la même chose et se livre aux mêmes pratiques mercantiles que celles qu′il a flétries chez les autres directeurs de journaux ou de théâtres, chez les autres éditeurs, quand il a pris pour bannière, levé contre eux l′étendard de la Sincérité. Avoir proclamé (comme chef d′un parti politique, comme n′importe quoi) qu′il est atroce de mentir, oblige le plus souvent à mentir plus que les autres, sans quitter pour cela le masque solennel, sans déposer la tiare auguste de la sincérité. L′associé de l′« homme sincère » ment autrement et de façon plus ingénue. Il trompe son auteur comme il trompe sa femme, avec des trucs de vaudeville. Le secrétaire de la rédaction, honnête homme et grossier, ment tout simplement, comme un architecte qui vous promet que votre maison sera prête à une époque où elle ne sera pas commencée. Le rédacteur en chef, âme angélique, voltige au milieu des trois autres, et sans savoir de quoi il s′agit, leur porte, par scrupule fraternel et tendre solidarité, le secours précieux d′une parole insoupçonnable. Ces quatre personnes vivent dans une perpétuelle dissension, que l′arrivée de l′auteur fait cesser. Par-dessus les querelles particulières, chacun se rappelle le grand devoir militaire de venir en aide au « corps » menacé. Sans m′en rendre compte, j′avais depuis longtemps joué le rôle de cet auteur vis-à-vis de la « petite bande ». Si Gisèle avait pensé, quand elle avait dit : « justement », à telle camarade d′Albertine disposée à voyager avec elle dès que mon amie, sous un prétexte ou un autre, m′aurait quitté, et à prévenir Albertine que l′heure était venue ou sonnerait bientôt, Gisèle se serait fait couper en morceaux plutôt que de me le dire ; il était donc bien inutile de lui poser des questions. Des rencontres comme celles de Gisèle n′étaient pas seules à accentuer mes doutes. Par exemple, j′admirais les peintures d′Albertine. Les peintures d′Albertine, touchantes distractions de la captive, m′émurent tant que je la félicitai. « Non, c′est très mauvais, mais je n′ai jamais pris une seule leçon de dessin. — Mais un soir vous m′aviez fait dire, à Balbec, que vous étiez restée à prendre une leçon de dessin. » Je lui rappelai le jour et lui dis que j′avais bien compris tout de suite qu′on ne prenait pas de leçons de dessin à cette heure-là. Albertine rougit. « C′est vrai, dit-elle, je ne prenais pas de leçons de dessin, je vous ai beaucoup menti au début, cela je le reconnais. Mais je ne vous mens plus jamais. » J′aurais tant voulu savoir quels étaient les nombreux mensonges du début, mais je savais d′avance que ses aveux seraient de nouveaux mensonges. Aussi je me contentai de l′embrasser. Je lui demandai seulement un de ces mensonges. Elle répondit : « Eh bien ! par exemple que l′air de la mer me faisait mal. » Je cessai d′insister devant ce mauvais vouloir. Es claro que si tenía las aficiones que yo le atribuía, aquella imposibilidad de satisfacerlas debía de ser tan irritante para ella como tranquilizante para mí, tranquilizante hasta el punto de que la hipótesis de haberla acusado injustamente me habría parecido la más verosímil si, aceptándola, no me fuera tan difícil explicar aquel extraordinario empeño que ponía Albertina en no estar nunca sola, en no estar nunca libre, en no pararse un momento ante la puerta cuando volvía a casa, en procurar ostensiblemente que cada vez que iba a telefonear la acompañara alguien que pudiera repetir sus palabras -Francisca, Andrea-, en dejarme siempre solo con ésta, sin que pareciera que lo hacía a propósito, cuando habían salido juntas, para que pudiera contarme detalladamente su salida. Con esta maravillosa docilidad contrastaban ciertos movimientos de impaciencia, en seguida reprimidos, que me hicieron pensar si no habría formado Albertina el proyecto de sacudir su cadena. Suposición apoyada por hechos accesorios. Por ejemplo, un día en que salí solo encontré a Gisela cerca de Passy y hablamos de diversas cosas. En seguida le dije, muy contento, que veía constantemente a Albertina. Gisela me preguntó dónde podría encontrarla, pues precisamente tenía que decirle una cosa. -¿Qué? -Cosas de las compañeritas suyasÂ… -¿Qué compañeras? Quizá pudiera yo informar a usted, lo que no la impediría verla. -¡Oh!, son compañeras de otro tiempo, no recuerdo los nombres -contestó Gisela vagamente, batiéndose en retirada. Me dejó, creyendo haber hablado con tanta prudencia que no podía menos de parecerme todo muy claro. ¡Pero la mentira es tan poco exigente, necesita tan poca cosa para manifestarse! Si se hubiera tratado de compañeras de otro tiempo, de las que no sabía ni siquiera los nombres, ¿por qué tenía «precisamente» que hablar de ellas a Albertina? Este adverbio, bastante pariente de una expresión cara a madame Cottard: «esto llega a tiempo», sólo podía aplicarse a una cosa particular, oportuna, acaso urgente, relacionada con personas determinadas. Por otra parte, nada más en la manera de abrir la boca, como cuando se va a bostezar, con un aire vago, al decirme (retrocediendo casi con su cuerpo, como dando marcha atrás a partir de aquel momento en nuestra conversación): «¡Oh!, no sé, no recuerdo los nombres», esto hacía tan bien de su cara y, acoplándose a ella, de su voz, una cara de mentira, que el aire muy distinto, directo, animado, de antes, el de «precisamente tengo», significaba una verdad. No interrogué a Gisela. ¿De qué me hubiera servido? Desde luego no mentía de la misma manera que Albertina. Y las mentiras de Albertina me eran más dolorosas. Pero había entre ellas un punto común: el hecho mismo de la mentira, que en ciertos casos es una evidencia. No de la realidad que se oculta bajo esta mentira. Sabido es que cada asesino, en particular, cree haberlo combinado todo tan bien que no le descubrirán; al final, casi todos los asesinos son descubiertos. En cambio los mentirosos lo son rara vez, y, entre los mentirosos, especialmente la mujer que amamos. Ignoramos dónde ha ido, qué ha hecho. Pero en el momento mismo en que está hablando, en que está hablando de otra cosa bajo la cual hay lo que no dice, percibimos instantáneamente la mentira y se agudizan nuestros celos, porque notamos la mentira y no llegamos a saber la verdad. En Albertina, la sensación de mentira la daban muchas particularidades que ya hemos visto en el transcurso de este relato, pero principalmente que, cuando mentía, su relato pecaba, bien por insuficiencia, omisión, inverosimilitud, bien, al contrario, por exceso de pequeños hechos destinados a hacerlo verosímil. La verosimilitud, a pesar de la idea que se hace el mentiroso, no es enteramente la verdad. Cuando, escuchando algo verdadero, oímos algo que es solamente verosímil, que acaso lo es más que lo verdadero, que quizá es incluso demasiado verosímil, el oído un poco músico siente que no es aquello, como ocurre con un verso cojo, o una palabra leída en alta voz por otro. El oído lo siente, y si estamos enamorados, el corazón se alarma. ¡Qué no pensaremos cuando la vida se nos cambia toda porque no sabemos si una mujer pasó por la Rue de Berri o por la Rue Washington, qué no pensaremos cuando esos pocos metros de diferencia y la misma mujer queden reducidos a la cienmillonésima (es decir, a una magnitud que no podemos percibir), si tenemos siquiera el acierto de permanecer unos años sin ver a esa mujer, y lo que era Gulliver en mucho más alto se torne un liliputiense que ningún microscopio -al menos del corazón, pues el de la memoria indiferente es mucho más potente y menos frágil- podrá ya percibir! Como quiera que sea, aunque había un punto común -la mentira misma- entre el mentir de Albertina y el de Gisela, sin embargo, Gisela no mentía de la misma manera que Albertina, ni tampoco de la misma manera que Andrea, pero sus mentiras respectivas encajaban tan bien unas en otras, aun siendo como eran tan diferentes, que la camarilla tenía la impenetrable solidez de ciertas casas de comercio, de librería o de prensa, por ejemplo, en las que el desdichado autor no llegará jamás, pese ala diversidad de las personalidades que las componen, a saber si le estafan o no. El director del periódico o de la revista miente con un aspecto de sinceridad tanto más solemne porque tiene necesidad de disimular, en muchas ocasiones, que hace exactamente lo mismo y se dedica a las mismas prácticas mercantiles que las que él denunciara en los otros directores de periódico o de teatro, en los otros editores cuando tomó por bandera, levantada contra ellos, el estandarte de la Sinceridad. Haber proclamado (en calidad de jefe de un partido político, o de lo que sea) que mentir es horrible, suele obligar a mentir más que los otros, sin por eso quitarse la careta solemne, sin dejar la tiara augusta de la sinceridad. El asociado del «hombre sincero» miente de otra manera y más ingenuamente. Engaña a su autor como engaña a su mujer, con trucos de vaudeville. El secretario de redacción, hombre probo y grosero, miente muy sencillamente, como un arquitecto que nos promete que nuestra casa estará terminada en una época en la que ni siquiera estará comenzada. El redactor jefe, alma angélica, revolotea en torno a los otros tres, y sin saber de qué se trata les presta, por escrúpulo fraternal y tierna solidaridad, el precioso concurso de una palabra sagrada. Esas cuatro personas viven en perpetuas disensiones, que cesan cuando llega el autor. Por encima de las querellas particulares, cada uno recuerda el gran deber militar de acudir en ayuda del «cuerpo» amenazado. Sin darme cuenta, yo representaba desde hacía tiempo con la «camarilla» el papel de ese autor. Si cuando Gisela me dijo «precisamente» hubiera pensado yo en esta o en la otra compañera de Albertina dispuesta a viajar con ella cuando mi amiga, con un pretexto cualquiera, me dejara, y en decir a Albertina que había llegado la hora o que iba a llegar muy pronto, Gisela se habría dejado cortar en pedazos antes que decírmelo; luego era completamente inútil preguntarle nada. No eran encuentros como el de Gisela lo único que acentuaban mis dudas. Por ejemplo, yo admiraba las pinturas de Albertina. Y las pinturas de Albertina, conmovedoras distracciones de la cautiva, me emocionaron tanto que la felicité. -No, es muy malo, pero nunca he tomado ni una sola lección de dibujo. -Pues una noche me mandaste a decir en Balbec que te habías quedado para ir a una lección de dibujo. Le recordé el día y le dije que me había dado perfecta cuenta de que a aquella hora no se iba a lecciones de dibujo. Albertina se sonrojó. -Es verdad -dijo-, no iba a una lección de dibujo. Al principio te mentía mucho, lo reconozco. Pero ya no te miento nunca. ¡Me hubiera gustado tanto saber cuáles eran las numerosas mentiras del principio! Pero sabía de antemano que sus confesiones serían nuevas mentiras. Así que me contenté con besarla. Le pregunté sólo una de aquellas mentiras. Me contestó: -Pues sí, por ejemplo: que el aire del mar me hacía daño. Ante aquella mala voluntad, no insistí.
Pour lui faire paraître sa chaîne plus légère, le mieux était sans doute de lui faire croire que j′allais moi-même la rompre. En tous cas, ce projet mensonger je ne pouvais le lui confier en ce moment, elle était revenue avec trop de gentillesse du Trocadéro tout à l′heure ; ce que je pouvais faire, bien loin de l′affliger d′une menace de rupture, c′était tout au plus de taire les rêves de perpétuelle vie commune que formait mon cœur reconnaissant. En la regardant, j′avais de la peine à me retenir de les épancher en elle, et peut-être s′en apercevait-elle. Malheureusement leur expression n′est pas contagieuse. Le cas d′une vieille femme maniérée, comme M. de Charlus qui, à force de ne voir dans son imagination qu′un fier jeune homme, croit devenir lui-même fier jeune homme, et d′autant plus qu′il devient plus maniéré et plus risible, ce cas est plus général, et c′est l′infortune d′un amant épris de ne pas se rendre compte que, tandis qu′il voit une figure belle devant lui, sa maîtresse voit sa figure à lui, qui n′est pas rendue belle, au contraire, quand la déforme le plaisir qu′y fait naître la vue de la beauté. Et l′amour n′épuise même pas toute la généralité de ce cas ; nous ne voyons pas notre corps, que les autres voient, et nous « suivons » notre pensée, l′objet invisible aux autres, qui est devant nous. Cet objet-là, parfois l′artiste le fait voir dans son œuvre. De là vient que les admirateurs de celle-ci sont désillusionnés par l′auteur, dans le visage de qui cette beauté intérieure s′est imparfaitement reflétée. Para que la cadena le resultase más ligera, me pareció lo más hábil hacerle creer que iba a romperla yo mismo. En todo caso, este falso proyecto no podía comunicárselo en aquel momento: había vuelto demasiado simpática del Trocadero; lejos de afligirla con una amenaza de ruptura, lo más que podía hacer era callar los sueños de perpetua vida común que concebía mi corazón agradecido. Mirándola, me costaba trabajo contenerme de comunicárselos a ella, y quizá ella lo notaba. Desgraciadamente, la expresión de esos sueños no es contagiosa. El caso de una vieja amanerada -como monsieur de Charlus, que, a fuerza de no ver en su imaginación más que a un orgulloso mancebo, cree ser él mismo un orgulloso mancebo, y más cuanto más amanerado y risible se vuelve-, este caso es más general, y es el infortunado caso de un enamorado que no se da cuenta de que mientras él ve ante sí un rostro bello su amada ve la figura de él, que no es más bella, sino al contrario, cuando la deforma el placer producido por la contemplación de la belleza. Y el amor ni siquiera agota toda la generalidad de este caso; no vemos nuestro propio cuerpo, que los otros ven, y «seguimos» nuestro pensamiento, el objeto invisible para los demás, que está delante de nosotros. Este objeto lo hace ver a veces el artista en su obra. A esto se debe que los admiradores de la obra se sientan desilusionados por el autor, en cuyo rostro se refleja imperfectamente esa belleza interior.
Tout être aimé, même dans une certaine mesure, tout être est pour nous comme Janus, nous présentant le front qui nous plaît si cet être nous quitte, le front morne si nous le savons à notre perpétuelle disposition. Pour Albertine, la société durable avec elle avait quelque chose de pénible d′une autre façon que je ne peux dire en ce récit. C′est terrible d′avoir la vie d′une autre personne attachée à la sienne comme une bombe qu′on tiendrait sans qu′on puisse la lâcher sans crime. Mais qu′on prenne comme comparaison les hauts et les bas, les dangers, l′inquiétude, la crainte de voir crues plus tard des choses fausses et vraisemblables qu′on ne pourra plus expliquer, sentiments éprouvés si on a dans son intimité un fou. Par exemple, je plaignais M. de Charlus de vivre avec Morel (aussitôt le souvenir de la scène de l′après-midi me fit sentir le côté gauche de ma poitrine bien plus gros que l′autre) ; en laissant de côté les relations qu′ils avaient ou non ensemble, M. de Charlus avait dû ignorer, au début, que Morel était fou. La beauté de Morel, sa platitude, sa fierté, avaient dû détourner le baron de chercher si loin, jusqu′aux jours des mélancolies où Morel accusait M. de Charlus de sa tristesse, sans pouvoir fournir d′explications, l′insultait de sa méfiance, à l′aide de raisonnements faux, mais extrêmement subtils, le menaçait de résolutions désespérées, au milieu desquelles persistait le souci le plus retors de l′intérêt le plus immédiat. Tout ceci n′est que comparaison. Albertine n′était pas folle. Todo ser amado, y, hasta en cierta medida, todo ser es para nosotros Jano: nos presenta la cara que nos place si ese ser nos deja, la cara desagradable si le sabemos a nuestra perpetua disposición. En cuanto a Albertina, su compañía duradera tenía algo de penoso de otro modo que no puedo decir en este relato. Es terrible tener la vida de otra persona atada a la propia como quien lleva una bomba que no puede soltar sin cometer un crimen. Pero tómese como comparación los altos y los bajos, los peligros, la inquietud, el temor de que se crean más tarde cosas falsas y verosímiles que no podremos ya explicar, sentimientos experimentados cuando se tiene en su intimidad un loco. Por ejemplo, yo compadecía a monsieur de Charlus por vivir con Morel (en seguida el recuerdo de la escena de la tarde me hizo sentir el lado izquierdo de mi pecho mucho más abultado que el otro); prescindiendo de las relaciones que tenían o no, monsieur de Charlus debía de ignorar, al principio, que Morel estaba loco. La belleza de Morel, su vulgaridad, su orgullo, debieron de disuadir al barón de inquirir más lejos, hasta los días de las melancolías en que Morel acusaba a monsieur de Charlus de su tristeza, sin poder dar explicaciones, le insultaba por su desconfianza con razonamientos falsos pero muy sutiles, le amenazaba con resoluciones desesperadas en medio de las cuales persistía la preocupación más sinuosa del interés más inmediato. Todo esto no es más que comparación. Albertina no estaba loca.
Â…Â…
J′appris que ce jour-là avait eu lieu une mort qui me fit beaucoup de peine, celle de Bergotte. On sait que sa maladie durait depuis longtemps. Non pas celle, évidemment, qu′il avait eue d′abord et qui était naturelle. La nature ne semble guère capable de donner que des maladies assez courtes. Mais la médecine s′est annexé l′art de les prolonger. Les remèdes, la rémission qu′ils procurent, le malaise que leur interruption fait renaître, composent un simulacre de maladie que l′habitude du patient finit par stabiliser, par styliser, de même que les enfants toussent régulièrement par quintes longtemps après qu′ils sont guéris de la coqueluche. Puis les remèdes agissent moins, on les augmente, ils ne font plus aucun bien, mais ils ont commencé à faire du mal grâce à cette indisposition durable. La nature ne leur aurait pas offert une durée si longue. C′est une grande merveille que la médecine, égalant presque la nature, puisse forcer à garder le lit, à continuer sous peine de mort l′usage d′un médicament. Dès lors, la maladie artificiellement greffée a pris racine, est devenue une maladie secondaire mais vraie, avec cette seule différence que les maladies naturelles guérissent, mais jamais celles que crée la médecine, car elle ignore le secret de la guérison. Me enteré de que aquel día había ocurrido una muerte que me causó mucha pena, la de Bergotte. Ya sabemos que estaba enfermo desde hacía mucho tiempo, no de la enfermedad que tuvo primero y que era natural. La naturaleza no sabe apenas dar más que enfermedades bastante cortas, pero la medicina se ha abrogado el arte de prolongarlas. Los remedios, la remisión que procuran, el malestar que su interrupción hace renacer, forman un simulacro de enfermedad que el hábito del paciente acaba por estabilizar, por estilizar, lo mismo que los niños siguen tosiendo regularmente en accesos una vez ya curados de la tos ferina. Las medicinas van produciendo menos efecto, se aumenta la dosis, y ya no hacen ningún bien, pero han comenzado a hacer mal gracias a esa indisposición duradera. La naturaleza no les hubiera permitido tan larga duración. Es una gran maravilla que la medicina, igualando casi a la naturaleza, pueda obligar a guardar cama, a seguir tomando, so pena de muerte, un medicamento. A partir de aquí, la enfermedad artificialmente injertada ha echado raíces, ha pasado a ser una enfermedad secundaria pero cierta, con la sola diferencia de que las enfermedades naturales se curan, pero nunca las que crea la medicina, pues ésta ignora el secreto de la curación.
Il y avait des années que Bergotte ne sortait plus de chez lui. D′ailleurs, il n′avait jamais aimé le monde, ou l′avait aimé un seul jour pour le mépriser comme tout le reste, et de la même façon, qui était la sienne, à savoir non de mépriser parce qu′on ne peut obtenir, mais aussitôt qu′on a obtenu. Il vivait si simplement qu′on ne soupçonnait pas à quel point il était riche, et l′eût-on su qu′on se fût trompé encore, l′ayant cru alors avare, alors que personne ne fut jamais si généreux. Il l′était surtout avec des femmes, des fillettes pour mieux dire, et qui étaient honteuses de recevoir tant pour si peu de chose. Il s′excusait à ses propres yeux parce qu′il savait ne pouvoir jamais si bien produire que dans l′atmosphère de se sentir amoureux. L′amour, c′est trop dire, le plaisir un peu enfoncé dans la chair aide au travail des lettres parce qu′il anéantit les autres plaisirs, par exemple les plaisirs de la société, ceux qui sont les mêmes pour tout le monde. Et même, si cet amour amène des désillusions, du moins agite-t-il, de cette façon-là aussi, la surface de l′âme, qui sans cela risquerait de devenir stagnante. Le désir n′est donc pas inutile à l′écrivain pour l′éloigner des autres hommes d′abord et de se conformer à eux, pour rendre ensuite quelques mouvements à une machine spirituelle qui, passé un certain âge, a tendance à s′immobiliser. On n′arrive pas à être heureux mais on fait des remarques sur les raisons qui empêchent de l′être et qui nous fussent restées invisibles sans ces brusques percées de la déception. Les rêves ne sont pas réalisables, nous le savons ; nous n′en formerions peut-être pas sans le désir, et il est utile d′en former pour les voir échouer et que leur échec instruise. Aussi Bergotte se disait-il : « Je dépense plus que des multimillionnaires pour des fillettes, mais les plaisirs ou les déceptions qu′elles me donnent me font écrire un livre qui me rapporte de l′argent. » Économiquement ce raisonnement était absurde, mais sans doute trouvait-il quelque agrément à transmuter ainsi l′or en caresses et les caresses en or. Nous avons vu, au moment de la mort de ma grand′mère, que la vieillesse fatiguée aimait le repos. Or dans le monde il n′y a que la conversation. Elle y est stupide, mais a le pouvoir de supprimer les femmes, qui ne sont plus que questions et réponses. Hors du monde les femmes redeviennent ce qui est si reposant pour le vieillard fatigué, un objet de contemplation. En tous cas, maintenant, il n′était plus question de rien de tout cela. J′ai dit que Bergotte ne sortait plus de chez lui, et quand il se levait une heure dans sa chambre, c′était tout enveloppé de châles, de plaids, de tout ce dont on se couvre au moment de s′exposer à un grand froid ou de monter en chemin de fer. Il s′en excusait auprès des rares amis qu′il laissait pénétrer auprès de lui, et montrant ses tartans, ses couvertures, il disait gaiement : « Que voulez-vous, mon cher, Anaxagore l′a dit, la vie est un voyage. » Il allait ainsi se refroidissant progressivement, petite planète qui offrait une image anticipée de la grande quand, peu à peu, la chaleur se retirera de la terre, puis la vie. Alors la résurrection aura pris fin, car, si avant dans les générations futures que brillent les œuvres des hommes, encore faut-il qu′il y ait des hommes. Si certaines espèces d′animaux résistent plus longtemps au froid envahisseur, quand il n′y aura plus d′hommes, et à supposer que la gloire de Bergotte ait duré jusque-là, brusquement elle s′éteindra à tout jamais. Ce ne sont pas les derniers animaux qui le liront, car il est peu probable que, comme les apôtres à la Pentecôte, ils puissent comprendre le langage des divers peuples humains sans l′avoir appris. Había años en que Bergotte ya no salía de su casa. Por lo demás, no era amigo de la sociedad, o lo fue un solo día para luego despreciarla como a todo lo demás y de la misma manera, que era su manera: no despreciar porque no se puede obtener, sino después de obtener. Vivía tan sencillamente que nadie sospechaba lo rico que era, y si lo hubieran sabido, le habrían creído avaro, cuando la verdad es que no hubo jamás persona tan generosa. Lo era, sobre todo, con mujeres, más bien con jovencitas, que se avergonzaban de recibir tanto por tan poco. Se disculpaba ante sí mismo porque sabía que nunca podía producir tan bien como en la atmósfera de sentirse enamorado. El amor es demasiado decir, el placer un poco enraizado en la carne ayuda al trabajo de las letras porque anula los demás placeres, por ejemplo, los placeres de la sociedad, que son los mismos para todo el mundo. Y aunque este amor produzca desilusiones, al menos agita también la superficie del alma, que sin esto podría llegar a estancarse. El deseo no es, pues, inútil para el escritor, primero porque le aleja de los demás hombres y de adaptarse a ellos, después porque imprime movimiento a una máquina espiritual que, pasada cierta edad, tiende a inmovilizarse. No se llega a ser feliz, pero se hacen observaciones sobre las causas que impiden serlo y que sin esas bruscas punzadas de la decepción permanecerían invisibles. Los sueños no son realizables, ya lo sabemos; sin el deseo, acaso no los concebiríamos, y es útil concebirlos para verlos fracasar y que su fracaso nos instruya. Por eso Bergotte se decía: «Yo gasto más con las muchachitas que los multimillonarios, pero los placeres o las decepciones que me dan me hacen escribir un libro que me produce dinero». Económicamente, este razonamiento era absurdo, pero seguramente Bergotte encontraba cierto atractivo en transmutar así el oro en caricias y las caricias en oro. Hemos visto, cuando la muerte de mi abuela, que la vejez cansada ama el reposo. Y en el mundo no hay más que conversación. Una conversación estúpida, pero tiene el poder de suprimir las mujeres, que no son más que preguntas y respuestas. Fuera del mundo, las mujeres tornan a ser lo que tanto descansa al viejo cansado, un objeto de contemplación. En todo caso, ahora ya no se trata de nada de esto. He dicho que Bergotte no salía ya de casa, y cuando pasaba una hora levantado en su cuarto, la pasaba envuelto en chales, en mantas, en todo eso con que se tapa uno cuando tiene mucho frío o toma el tren. Se disculpaba de esto con los pocos amigos a los que permitía visitarle, y señalando sus mantas y sus chales, decía jovialmente: «Qué quiere usted, querido amigo, ya lo dijo Anaxágoras, la vida es un viaje». Así se iba enfriando progresivamente, pequeño planeta que ofrecía una imagen anticipada del grande cuando, poco a poco, se vaya retirando de la tierra el calor y después, con el calor, la vida. Entonces se habrá acabado la resurrección, pues por mucho que brillen las obras de los hombres en las generaciones futuras, falta que haya hombres. Si ciertas especies de animales resisten más tiempo al frío invasor, cuando ya no haya hombres, y suponiendo que la gloria de Bergotte dure hasta entonces, se extinguirá de pronto para siempre. No serán los últimos animales quienes la lean, pues es poco probable que, como los apóstoles en Pentecostés, puedan entender el lenguaje de los diversos pueblos humanos sin haberlo aprendido.
Dans les mois qui précédèrent sa mort, Bergotte souffrait d′insomnies, et, ce qui est pire, dès qu′il s′endormait, de cauchemars, qui, s′il s′éveillait, faisaient qu′il évitait de se rendormir. Longtemps il avait aimé les rêves, même les mauvais rêves, parce que grâce à eux, grâce à la contradiction qu′ils présentent avec la réalité qu′on a devant soi à l′état de veille, ils nous donnent, au plus tard dès le réveil, la sensation profonde que nous avons dormi. Mais les cauchemars de Bergotte n′étaient pas cela. Quand il parlait de cauchemars, autrefois il entendait des choses désagréables qui se passaient dans son cerveau. Maintenant, c′est comme venus du dehors de lui qu′il percevait une main munie d′un torchon mouillé qui, passée sur sa figure par une femme méchante, s′efforçait de le réveiller ; d′intolérables chatouillements sur les hanches ; la rage — parce que Bergotte avait murmuré en dormant qu′il conduisait mal — d′un cocher fou furieux qui se jetait sur l′écrivain et lui mordait les doigts, les lui sciait. Enfin, dès que dans son sommeil l′obscurité était suffisante, la nature faisait une espèce de répétition sans costumes de l′attaque d′apoplexie qui l′emporterait : Bergotte entrait en voiture sous le porche du nouvel hôtel des Swann, voulait descendre. Un vertige foudroyant le clouait sur sa banquette, le concierge essayait de l′aider à descendre, il restait assis, ne pouvant se soulever, dresser ses jambes. Il essayait de s′accrocher au pilier de pierre qui était devant lui, mais n′y trouvait pas un suffisant appui pour se mettre debout. En los meses que precedieron a su muerte, Bergotte padecía insomnios, y, lo que es peor, cuando se dormía tenía pesadillas, por lo cual, si se despertaba, evitaba volver a dormirse. Durante mucho tiempo le habían gustado los sueños, incluso los malos, porque gracias a ellos, gracias a la contradicción que presentan con la realidad vivida en el estado de vigilia, nos dan, lo más tarde al despertar, la sensación profunda de haber dormido. Pero las pesadillas de Bergotte no eran esto. Antes, cuando hablaba de pesadillas, se refería a cosas desagradables que ocurrían en su cerebro. Ahora era como si vinieran de fuera, como si una mujer malévola se empeñara en despertarle pasándole por la cara un trapo mojado; intolerables cosquillas en las caderas; un cochero furibundo que -porque Bergotte había murmurado, dormido, que conducía mal- se arrojaba sobre el escritor y le mordía los dedos, se los cortaba. Y en cuanto había en su sueño bastante oscuridad, la naturaleza hacía una especie de ensayo sin trajes del ataque de apoplejía que se lo iba a llevar: Bergotte entraba en coche al patio del nuevo hotel de los Swann e intentaba apearse. Un vértigo fulminante le dejaba clavado en el asiento, el portero intentaba ayudarle a bajar, pero él seguía sentado, sin poder levantarse, sin poder estirar las piernas. Procuraba agarrarse al poste de piedra que había delante de él, pero no le ofrecía el suficiente apoyo para ponerse de pie.
Il consulta les médecins qui, flattés d′être appelés par lui, virent dans ses vertus de grand travailleur (il y avait vingt ans qu′il n′avait rien fait), dans son surmenage, la cause de ses malaises. Ils lui conseillèrent de ne pas lire de contes terrifiants (il ne lisait rien), de profiter davantage du soleil « indispensable à la vie » (il n′avait dû quelques années de mieux relatif qu′à sa claustration chez lui), de s′alimenter davantage (ce qui le fit maigrir et alimenta surtout ses cauchemars). Un de ses médecins étant doué de l′esprit de contradiction et de taquinerie, dès que Bergotte le voyait en l′absence des autres et, pour ne pas le froisser, lui soumettait comme des idées de lui ce que les autres lui avaient conseillé, le médecin contredisant, croyant que Bergotte cherchait à se faire ordonner quelque chose qui lui plaisait, le lui défendait aussitôt, et souvent avec des raisons fabriquées si vite pour les besoins de la cause que, devant l′évidence des objections matérielles que faisait Bergotte, le docteur contredisant était obligé, dans la même phrase, de se contredire lui-même, mais, pour des raisons nouvelles, renforçait la même prohibition. Bergotte revenait à un des premiers médecins, homme qui se piquait d′esprit, surtout devant un des maîtres de la plume, et qui, si Bergotte insinuait : « Il me semble pourtant que le Dr XÂ… m′avait dit — autrefois bien entendu — que cela pouvait me congestionner le rein et le cerveauÂ… » souriait malicieusement, levait le doigt et prononçait : « J′ai dit user, je n′ai pas dit abuser. Bien entendu, tout remède, si on exagère, devient une arme à double tranchant. » Il y a dans notre corps un certain instinct de ce qui nous est salutaire, comme dans le cœur de ce qui est le devoir moral, et qu′aucune autorisation du docteur en médecine ou en théologie ne peut suppléer. Nous savons que les bains froids nous font mal, nous les aimons : nous trouverons toujours un médecin pour nous les conseiller, non pour empêcher qu′ils ne nous fassent mal. À chacun de ces médecins Bergotte prit ce que, par sagesse, il s′était défendu depuis des années. Au bout de quelques semaines, les accidents d′autrefois avaient reparu, les récents s′étaient aggravés. Affolé par une souffrance de toutes les minutes, à laquelle s′ajoutait l′insomnie coupée de brefs cauchemars, Bergotte ne fit plus venir de médecin et essaya avec succès, mais avec excès, de différents narcotiques, lisant avec confiance le prospectus accompagnant chacun d′eux, prospectus qui proclamait la nécessité du sommeil mais insinuait que tous les produits qui l′amènent (sauf celui contenu dans le flacon qu′il enveloppait et qui ne produisait jamais d′intoxication) étaient toxiques et par là rendaient le remède pire que le mal. Bergotte les essaya tous. Certains sont d′une autre famille que ceux auxquels nous sommes habitués, dérivés, par exemple, de l′amyle et de l′éthyle. On n′absorbe le produit nouveau, d′une composition toute différente, qu′avec la délicieuse attente de l′inconnu. Le cœur bat comme à un premier rendez-vous. Vers quels genres ignorés de sommeil, de rêves, le nouveau venu va-t-il nous conduire ? Il est maintenant en nous, il a la direction de notre pensée. De quelle façon allons-nous nous endormir ? Et une fois que nous le serons, par quels chemins étranges, sur quelles cimes, dans quels gouffres inexplorés le maître tout-puissant nous conduira-t-il ? Quel groupement nouveau de sensations allons-nous connaître dans ce voyage ? Nous mènera-t-il au malaise ? À la béatitude ? À la mort ? Celle de Bergotte survint la veille de ce jour-là où il s′était ainsi confié à un de ces amis (ami ? ennemi ?) trop puissant. Il mourut dans les circonstances suivantes : Une crise d′urémie assez légère était cause qu′on lui avait prescrit le repos. Mais un critique ayant écrit que dans la Vue de Delft de Ver Meer (prêté par le musée de La Haye pour une exposition hollandaise), tableau qu′il adorait et croyait connaître très bien, un petit pan de mur jaune (qu′il ne se rappelait pas) était si bien peint, qu′il était, si on le regardait seul, comme une précieuse œuvre d′art chinoise, d′une beauté qui se suffirait à elle-même, Bergotte mangea quelques pommes de terre, sortit et entra à l′exposition. Dès les premières marches qu′il eut à gravir, il fut pris d′étourdissements. Il passa devant plusieurs tableaux et eut l′impression de la sécheresse et de l′inutilité d′un art si factice, et qui ne valait pas les courants d′air et de soleil d′un palazzo de Venise, ou d′une simple maison au bord de la mer. Enfin il fut devant le Ver Meer, qu′il se rappelait plus éclatant, plus différent de tout ce qu′il connaissait, mais où, grâce à l′article du critique, il remarqua pour la première fois des petits personnages en bleu, que le sable était rose, et enfin la précieuse matière du tout petit pan de mur jaune. Ses étourdissements augmentaient ; il attachait son regard, comme un enfant à un papillon jaune qu′il veut saisir, au précieux petit pan de mur. « C′est ainsi que j′aurais dû écrire, disait-il. Mes derniers livres sont trop secs, il aurait fallu passer plusieurs couches de couleur, rendre ma phrase en elle-même précieuse, comme ce petit pan de mur jaune. » Cependant la gravité de ses étourdissements ne lui échappait pas. Dans une céleste balance lui apparaissait, chargeant l′un des plateaux, sa propre vie, tandis que l′autre contenait le petit pan de mur si bien peint en jaune. Il sentait qu′il avait imprudemment donné le premier pour le second. « Je ne voudrais pourtant pas, se disait-il, être pour les journaux du soir le fait divers de cette exposition. » Consultó a los médicos, los cuales, halagados porque Bergotte los llamara, atribuyeron la causa de sus males a sus virtudes de gran trabajador, al cansancio (llevaba veinte años sin hacer nada). Le aconsejaron que no leyera cuentos terroríficos (no leía nada), que tomara más el sol, «indispensable para la vida» (si había estado durante algunos años relativamente mejor, se lo debía a no salir de casa), que se alimentara más (lo que le hizo adelgazar y alimentó sobre todo sus pesadillas). Uno de los médicos, que tenía espíritu de contradicción y de suspicacia, cuando Bergotte le consultaba en ausencia de los otros y, para no molestarle, le consultaba como cosa propia lo que los otros le habían aconsejado, el médico contradictor, creyendo que Bergotte quería que le recetara algo que a él le gustaba, se lo prohibía inmediatamente, y muchas veces con razones tan apresuradamente fabricadas para las necesidades de la causa que, ante la evidencia de las objeciones materiales alegadas por Bergotte, el médico contradictor se veía obligado a contradecirse a sí mismo en la misma frase, pero por razones nuevas reforzaba la misma prohibición. Bergotte volvía a uno de los primeros médicos, hombre que presumía de inteligencia sutil, sobre todo ante un maestro de la pluma, y que si Bergotte insinuaba: «Pero me parece que el doctor X... me dijo -hace tiempo, naturalmente- que eso podía congestionarme el riñón y el cerebro...», sonreía maliciosamente, levantaba el dedo y decía: «He dicho usar, no he dicho abusar. Claro es que todo remedio, si se exagera, es un arma de dos filos.» Hay en nuestro cuerpo cierto instinto de lo que nos es beneficioso, como en el corazón de lo que es el deber moral, instinto que no puede suplir ninguna autorización del doctor en medicina o en teología. Sabemos que los baños fríos nos sientan mal, y nos gustan: siempre encontraremos un médico que nos los aconseje, no que nos impida que nos hagan daño. De cada uno de aquellos médicos, Bergotte tomó lo que, por prudencia, se había prohibido él desde hacía años. A las pocas semanas reaparecieron los accidentes de antes y se agravaron los recientes. Enloquecido por un sufrimiento permanente, al que se sumaba el insomnio interrumpido por breves pesadillas, Bergotte dejó de llamar a los médicos y probó con éxito, pero con exceso, diferentes narcóticos, leyendo con fe el prospecto que acompañaba a cada uno de ellos, prospecto que proclamaba la necesidad del sueño, pero insinuaba que todos los productos que lo provocan (menos el del frasco que el prospecto envolvía, pues éste no producía nunca intoxicación) eran tóxicos y hacían el remedio peor que la enfermedad. Bergotte los probó todos. Algunos son de distinta familia que aquellos a los que estamos habituados, derivados, por ejemplo, del amilo y del etilo. El producto nuevo, de una composición completamente distinta, se toma siempre con la deliciosa expectación de lo desconocido. Nos palpita el corazón como cuando acudimos a una primera cita. ¿Hacia qué ignorados géneros de sueño, de sueños, nos llevará el recién llegado? Ya está en nosotros, asume la dirección de nuestro pensamiento. ¿De qué manera nos dormiremos? Y una vez dormidos, ¿por qué caminos extraños, a qué cimas, a qué abismos inexplorados nos conducirá el dueño omnipotente? ¿Qué nueva agrupación de sensaciones vamos a conocer en este viaje? ¿Nos llevará al malestar? ¿A la beatitud? ¿A la muerte? La de Bergotte sobrevino al día siguiente de haberse entregado a uno de estos amigos (¿amigo?, ¿enemigo?) omnipotentes. Murió en las siguientes circunstancias: por una crisis de uremia bastante ligera le habían prescrito el reposo. Pero un crítico escribió que en la Vista de Delft de Ver Meer (prestada por el museo de La Haya para una exposición holandesa), cuadro que Bergotte adoraba y creía conocer muy bien, había un lienzo de pared amarilla (que Bergotte río recordaba) tan bien pintado que, mirándole sólo, era como una preciosa obra de arte china, de una belleza que se bastaba a sí misma. Bergotte leyó esto, comió unas patatas y se fue a la exposición. En los primeros escalones que tuvo que subir le dio un vértigo. Pasó ante varios cuadros y sintió la impresión de la sequedad y de la inutilidad de un arte tan falso que no valía el aire y el sol de un palazzo de Venecia o de una simple casa a la orilla del mar. Por fin llegó al Ver Meer, que él recordaba más esplendoroso, más diferente de todo lo que conocía, pero en el que ahora, gracias al artículo del crítico, observó por primera vez los pequeños personajes en azul, la arena rosa y, por último, la preciosa materia del pequeño fragmento de pared amarilla. Se le acentuó el mareo; fijaba la mirada en el precioso panelito de pared como un niño en una mariposa amarilla que quiere coger. «Así debiera haber escrito yo -se decía-. Mis últimos libros son demasiado secos, tendría que haberles dado varias capas de color, que mi frase fuera preciosa por ella misma, como ese pequeño panel amarillo.» Mientras tanto, se daba cuenta de la gravedad de su mareo. Se le aparecía su propia vida en uno de los platillos de una balanza celestial; en el otro, el fragmento de pared de un amarillo tan bien pintado. Sentía que, imprudentemente, había dado la primera por el segundo. «Pero no quisiera -se dijo- ser el suceso del día en los periódicos de la tarde.»
Il se répétait : « Petit pan de mur jaune avec un auvent, petit pan de mur jaune. » Cependant il s′abattit sur un canapé circulaire ; aussi brusquement il cessa de penser que sa vie était en jeu et, revenant à l′optimisme, se dit : « C′est une simple indigestion que m′ont donnée ces pommes de terre pas assez cuites, ce n′est rien. » Un nouveau coup l′abattit, il roula du canapé par terre, où accoururent tous les visiteurs et gardiens. Il était mort. Mort à jamais ? Qui peut le dire ? Certes, les expériences spirites, pas plus que les dogmes religieux, n′apportent la preuve que l′âme subsiste. Ce qu′on peut dire, c′est que tout se passe dans notre vie comme si nous y entrions avec le faix d′obligations contractées dans une vie antérieure ; il n′y a aucune raison, dans nos conditions de vie sur cette terre, pour que nous nous croyions obligés à faire le bien, à être délicats, même à être polis, ni pour l′artiste cultivé à ce qu′il se croie obligé de recommencer vingt fois un morceau dont l′admiration qu′il excitera importera peu à son corps mangé par les vers, comme le pan de mur jaune que peignit avec tant de science et de raffinement un artiste à jamais inconnu, à peine identifié sous le nom de Ver Meer. Toutes ces obligations, qui n′ont pas leur sanction dans la vie présente, semblent appartenir à un monde différent, fondé sur la bonté, le scrupule, le sacrifice, un monde entièrement différent de celui-ci, et dont nous sortons pour naître à cette terre, avant peut-être d′y retourner revivre sous l′empire de ces lois inconnues auxquelles nous avons obéi parce que nous en portions l′enseignement en nous, sans savoir qui les y avait tracées — ces lois dont tout travail profond de l′intelligence nous rapproche et qui sont invisibles seulement — et encore ! — pour les sots. De sorte que l′idée que Bergotte n′était pas mort à jamais est sans invraisemblance. Se repetía: «Detalle de pared amarilla con marquesina, detalle de pared amarilla». Y se derrumbó en un canapé circular; de la misma súbita manera dejó de pensar que estaba en juego su vida y, recobrando el optimismo, se dijo: «Es una simple indigestión por esas patatas que no estaban bastante cocidas, no es nada». Sufrió otro golpe que le derribó, rodó del canapé al suelo, acudieron todos los visitantes y los guardianes. Estaba muerto. ¿Muerto para siempre? ¿Quién puede decirlo? Desde luego los experimentos espiritistas no aportan la prueba de que el alma subsista, como tampoco la aportan los dogmas religiosos. Lo que puede decirse es que en nuestra vida ocurre todo como si entráramos en ella con la carga de obligaciones contraídas en una vida anterior; en nuestras condiciones de vida en esta tierra no hay ninguna razón para que nos creamos obligados a hacer el bien, a ser delicados, incluso a ser corteses, ni para que el artista ateo se crea obligado a volver a empezar veinte veces un pasaje para suscitar una admiración que importará poco a su cuerpo comido por los gusanos, como el detalle de pared amarilla que con tanta ciencia y tanto refinamiento pintó un artista desconocido para siempre, identificado apenas bajo el nombre de Ver Meer. Todas estas obligaciones que no tienen su sanción en la vida presente parecen pertenecer a otro mundo, a un mundo fundado en la bondad, en el escrúpulo, en el sacrificio, a un mundo por completo diferente de éste y del que salimos para nacer en esta tierra, antes quizá de retornar a vivir bajo el imperio de esas leyes desconocidas a las que hemos obedecido porque llevábamos su enseñanza en nosotros, sin saber quién las había dictado -esas leyes a las que nos acerca todo trabajo profundo de la inteligencia y que sólo son invisibles (¡y ni siquiera!) para los tontos-. De suerte que la idea de que Bergotte no había muerto para siempre no es inverosímil.
On l′enterra, mais toute la nuit funèbre, aux vitrines éclairées, ses livres, disposés trois par trois, veillaient comme des anges aux ailes éployées et semblaient, pour celui qui n′était plus, le symbole de sa résurrection. Le enterraron, pero durante toda la noche fúnebre sus libros, dispuestos de tres en tres en vitrinas iluminadas, velaban como ángeles con las alas desplegadas y parecían, para el que ya no era, el símbolo de su resurrección.
J′appris, ai-je dit, ce jour-là que Bergotte était mort. Et j′admirais l′inexactitude des journaux qui — reproduisant les uns et les autres une même note — disaient qu′il était mort la veille. Or, la veille, Albertine l′avait rencontré, me raconta-t-elle le soir même, et cela l′avait même un peu retardée, car il avait causé assez longtemps avec elle. C′est sans doute avec elle qu′il avait eu son dernier entretien. Elle le connaissait par moi qui ne le voyais plus depuis longtemps, mais comme elle avait eu la curiosité de lui être présentée, j′avais, un an auparavant, écrit au vieux maître pour la lui amener. Il m′avait accordé ce que j′avais demandé, tout en souffrant un peu, je crois, que je ne le revisse que pour faire plaisir à une autre personne, ce qui confirmait mon indifférence pour lui. Ces cas sont fréquents : parfois, celui ou celle qu′on implore non pour le plaisir de causer de nouveau avec lui, mais pour une tierce personne, refuse si obstinément que notre protégée croit que nous nous sommes targués d′un faux pouvoir ; plus souvent, le génie ou la beauté célèbre consentent, mais humiliés dans leur gloire, blessés dans leur affection, ne nous gardent plus qu′un sentiment amoindri, douloureux, un peu méprisant. Je devinai longtemps après que j′avais faussement accusé les journaux d′inexactitude, car, ce jour-là, Albertine n′avait nullement rencontré Bergotte, mais je n′en avais point eu un seul instant le soupçon tant elle me l′avait conté avec naturel, et je n′appris que bien plus tard l′art charmant qu′elle avait de mentir avec simplicité. Ce qu′elle disait, ce qu′elle avouait avait tellement les mêmes caractères que les formes de l′évidence — ce que nous voyons, ce que nous apprenons d′une manière irréfutable — qu′elle semait ainsi dans les intervalles de la vie les épisodes d′une autre vie dont je ne soupçonnais pas alors la fausseté et dont je n′ai eu que beaucoup plus tard la perception. J′ai ajouté : « quand elle avouait », voici pourquoi. Quelquefois des rapprochements singuliers me donnaient à son sujet des soupçons jaloux où, à côté d′elle, figurait dans le passé, ou hélas dans l′avenir, une autre personne. Pour avoir l′air d′être sûr de mon fait, je disais le nom et Albertine me disait : « Oui je l′ai rencontrée, il y a huit jours, à quelques pas de la maison. Par politesse j′ai répondu à son bonjour. J′ai fait deux pas avec elle. Mais il n′y a jamais rien eu entre nous. Il n′y aura jamais rien. » Or Albertine n′avait même pas rencontré cette personne, pour la bonne raison que celle-ci n′était pas venue à Paris depuis dix mois. Mais mon amie trouvait que nier complètement était peu vraisemblable. D′où cette courte rencontre fictive, dite si simplement que je voyais la dame s′arrêter, lui dire bonjour, faire quelques pas avec elle. Le témoignage de mes sens, si j′avais été dehors à ce moment, m′aurait peut-être appris que la dame n′avait pas fait quelques pas avec Albertine. Mais si j′avais su le contraire, c′était par une de ces chaînes de raisonnement (où les paroles de ceux en qui nous avons confiance insèrent de fortes mailles) et non par le témoignage des sens. Pour invoquer ce témoignage des sens il eût fallu que j′eusse été précisément dehors, ce qui n′avait pas eu lieu. On peut imaginer pourtant qu′une telle hypothèse n′est pas invraisemblable : j′aurais pu être sorti et passer dans la rue à l′heure où Albertine m′aurait dit, ce soir (ne m′ayant pas vu), qu′elle avait fait quelques pas avec la dame, et j′aurais su alors qu′Albertine avait menti. Est-ce bien sûr encore ? Une obscurité sacrée se fût emparée de mon esprit, j′aurais mis en doute que je l′avais vue seule, à peine aurais-je cherché à comprendre par quelle illusion d′optique je n′avais pas aperçu la dame, et je n′aurais pas été autrement étonné de m′être trompé, car le monde des astres est moins difficile à connaître que les actions réelles des êtres, surtout des êtres que nous aimons, fortifiés qu′ils sont contre notre doute par des fables destinées à les protéger. Pendant combien d′années peuvent-ils laisser notre amour apathique croire que la femme aimée a à l′étranger une sœur, un frère, une belle-sœur qui n′ont jamais existé ! Como he dicho, me enteré de que Bergotte había muerto aquel día. Y admiré la inexactitud de los periódicos que -reproduciendo todos una misma nota- decían que había muerto la víspera. Y la víspera le había encontrado Albertina, según ella me contó la misma noche, y por cierto que el encuentro la retrasó, pues había hablado bastante tiempo con ella. Seguramente fue la última conversación de Bergotte. Albertina le conocía por mí, que no le veía desde hacía mucho tiempo, pero como ella tenía la curiosidad de que la presentaran al viejo maestro, yo le había escrito el año anterior para llevársela. Me concedió lo que le pedía, no sin dolerle un poco, a lo que creo, que sólo volviera a verle por dar gusto a otra persona, lo que confirmaba mi indiferencia hacia él. Estos casos son frecuentes; a veces aquel o aquella a quien imploramos no por el gusto de volver a hablar con él o con ella, sino por una tercera persona, se niega tan obstinadamente que la persona protegida sospecha que hemos presumido de un falso poder. Es más frecuente que el genio o la belleza célebre consientan, pero, humillados en su gloria, heridos en su afecto, ya no tienen para nosotros más que un sentimiento amortiguado, doloroso, un poco desdeñoso. Pasado mucho tiempo, adiviné que había acusado falsamente a los periódicos de inexactitud, pues aquel día Albertina no había encontrado a Bergotte, mas yo no lo sospeché ni por un momento, con tanta naturalidad me lo contó, y hasta mucho después no me enteré del arte encantador que tenía de mentir con sencillez. Lo que decía, lo que confesaba, tenía de tal modo los mismos caracteres que las formas de la evidencia -lo que vemos, lo que sabemos de manera irrefutable- que sembraba así en las parcelas intermedias de su vida los episodios de otra vida cuya falsedad no sospechaba yo entonces y que sólo mucho después percibí. He añadido: «cuando confesaba», y he aquí por qué. A veces, atando hilos, concebía sospechas celosas en las que, junto a ella, figuraba en el pasado -o, peor aún, en el futuro- otra persona. Para aparentar que estaba seguro de lo que decía, nombraba a la persona y Albertina contestaba: «Sí, la encontré hace ocho días a unos pasos de la casa. Por educación, contesté a su saludo. Di dos pasos con ella. Pero nunca hubo nada entre nosotros. Ni nunca habrá nada.» Ahora bien, Albertina no había ni siquiera encontrado a aquella persona, por la sencilla razón de que aquella persona no había venido a París desde hacía diez meses. Pero a mi amiga le parecía que negar completamente era poco verosímil. Por eso me encantó aquel breve encuentro ficticio, y me lo contó tan sencillamente que yo veía a la dama detenerse, saludarla, dar unos pasos con ella. Si yo hubiera estado fuera en aquel momento, acaso el testimonio de mis sentidos me habría demostrado que la dama no había dado unos pasos con Albertina. Pero si supe lo contrario, fue por una de esas cadenas de razonamiento (en las que las palabras de las personas en quienes tenemos confianza insertan fuertes eslabones) y no por el testimonio de los sentidos. Para invocar este testimonio hubiera sido necesario que yo estuviera precisamente fuera, y no había sido así. Sin embargo, podemos imaginar que semejante hipótesis no es inverosímil: yo hubiera podido salir y pasar por la calle a la hora en que Albertina me dijo, aquella noche (sin haberme visto), que había dado unos pasos con la dama, y entonces habría sabido que Albertina mentía. Pero aun esto mismo, ¿es bien seguro? Podría haberse apoderado de mi mente una oscuridad sagrada, habría puesto en duda que la hubiera visto sola, apenas habría intentado comprender en virtud de qué ilusión óptica no había visto a la dama, y no me hubiera extrañado mucho haberme equivocado, pues el mundo de los astros es menos difícil de conocer que los actos reales de las personas, sobre todo de las personas que amamos, acorazadas como están contra nuestra duda por unas fábulas destinadas a protegerlas. ¡Durante tantos años pueden estas fábulas hacer creer a nuestro apático amor que la mujer amada tiene en el extranjero una hermana, un hermano, una cuñada que jamás existieron!
Le témoignage des sens est lui aussi une opération de l′esprit où la conviction crée l′évidence. Nous avons vu bien des fois le sens de l′ouapporter à Françoise non le mot qu′on avait prononcé, mais celui qu′elle croyait le vrai, ce qui suffisait pour qu′elle n′entendît pas la rectification implicite d′une prononciation meilleure. Notre maître d′hôtel n′était pas constitué autrement. M. de Charlus portait à ce moment-là — car il changeait beaucoup — des pantalons fort clairs et reconnaissables entre mille. Or notre maître d′hôtel, qui croyait que le mot « pissotière » (le mot désignant ce que M. de Rambuteau avait été si fâché d′entendre le duc de Guermantes appeler un édicule Rambuteau) était « pistière », n′entendit jamais dans toute sa vie une seule personne dire « pissotière », bien que très souvent on prononçât ainsi devant lui. Mais l′erreur est plus entêtée que la foi et n′examine pas ses croyances. Constamment le maître d′hôtel disait : « Certainement M. le baron de Charlus a pris une maladie pour rester si longtemps dans une pistière. Voilà ce que c′est que d′être un vieux coureur de femmes. Il en a les pantalons. Ce matin, madame m′a envoyé faire une course à Neuilly. À la pistière de la rue de Bourgogne j′ai vu entrer M. le baron de Charlus. En revenant de Neuilly, bien une heure après, j′ai vu ses pantalons jaunes dans la même pistière, à la même place, au milieu, où il se met toujours pour qu′on ne le voie pas. » Je ne connais rien de plus beau, de plus noble et plus jeune qu′une nièce de Mme de Guermantes. Mais j′entendis le concierge d′un restaurant où j′allais quelquefois dire sur son passage : « Regarde-moi cette vieille rombière, quelle touche ! et ça a au moins quatre-vingts ans. » Pour l′âge il me paraît difficile qu′il le crût. Mais les chasseurs groupés autour de lui, qui ricanaient chaque fois qu′elle passait devant l′hôtel pour aller voir non loin de là ses deux charmantes grand′tantes, Mmes de Fezensac et de Bellery, virent sur le visage de cette jeune beauté les quatre-vingts ans que, par plaisanterie ou non, avait donnés le concierge à la vieille « rombière ». On les aurait fait tordre en leur disant qu′elle était plus distinguée que l′une des deux caissières de l′hôtel, qui, rongée d′eczéma, ridicule de grosseur, leur semblait belle femme. Seul peut-être le désir sexuel eût été capable d′empêcher leur erreur de se former, s′il avait joué sur le passage de la prétendue vieille rombière, et si les chasseurs avaient brusquement convoité la jeune déesse. Mais pour des raisons inconnues, et qui devaient être probablement de nature sociale, ce désir n′avait pas joué. Il y aurait du reste beaucoup à discuter. L′univers est vrai pour nous tous et dissemblable pour chacun. Si nous n′étions pas, pour l′ordre du récit, obligé de nous borner à des raisons frivoles, combien de plus sérieuses nous permettraient de montrer la minceur menteuse du début de ce volume où, de mon lit, j′entends le monde s′éveiller, tantôt par un temps, tantôt par un autre. Oui, j′ai été forcé d′amincir la chose et d′être mensonger, mais ce n′est pas un univers, c′est des millions, presque autant qu′il existe de prunelles et d′intelligences humaines, qui s′éveillent tous les matins. También el testimonio de los sentidos es una operación mental en la que la convicción crea la evidencia. Hemos visto muchas veces cómo el sentido del oído llevaba a Francisca no la palabra que se había pronunciado, sino la que ella creía la verdadera, lo que bastaba para que no oyera la rectificación implícita de una pronunciación mejor. No estaba constituido de diferente modo nuestro mayordomo. Monsieur de Charlus llevaba en aquel momento -pues cambiaba mucho- un pantalón muy claro y reconocible entre mil. Ahora bien, nuestro mayordomo, que creía que la palabra pissotière (palabra que designaba lo que monsieur de Rambuteau, muy enfadado, había oído al duque de Guermantes llamar un ridículo) era pistière, no oyó en toda su vida a una sola persona decir pissotière, aunque así se pronunciaba muy a menudo delante de él. Pero el error es más obstinado que la fe y no analiza sus creencias. El mayordomo decía constantemente: «El señor barón de Charlus ha tenido que coger una enfermedad, para estar tanto tiempo en una pistière. Eso les pasa a los viejos mujeriegos. Lleva el pantalón propio de ellos. Esta mañana la señora me mandó a un recado a Neuilly. Vi entrar al señor barón de Charlus en la pistière de la Rue de Bourgogne. Al volver de Neuilly, lo menos una hora más tarde, vi su pantalón amarillo en la misma pistière, en el mismo sitio, en el centro, donde se pone siempre para que no le vean». No conozco nada más bello, más noble y más joven que una sobrina de madame de Guermantes. Pero le oí decir a un conserje de un restaurante al que yo iba, al verla pasar: «Mira esa vieja tan recompuesta, ¡qué pinta!, y tiene lo menos ochenta años». En cuanto a la edad, me parece difícil que lo creyera. Pero los botones agrupados en torno a él, que se burlaban cada vez que ella pasaba delante del hotel para ir a ver, no lejos de allí, a sus dos encantadoras tías abuelas, madame de Fezensac y madame de Balleroy, vieron en la cara de aquella joven belleza los ochenta años que por burla o no había atribuido el conserje a la «vieja recompuesta». Se habrían muerto de risa si les hubieran dicho que era más distinguida que una de las cajeras del hotel, la cual, comida de eccema, gorda hasta el ridículo, les parecía una mujer hermosa. Quizá sólo el deseo sexual fuera capaz de evitarles el error, si hubiera surgido al pasar la supuesta vieja recompuesta y si los botones hubieran codiciado de pronto a la joven diosa. Pero, por razones desconocidas y que probablemente serían de índole social, no intervino ese deseo. De todos modos, la cosa es muy discutible. El universo es verdadero para todos nosotros y diferente para cada uno. Si no tuviéramos que limitarnos, para el orden del relato, a razones frívolas, ¡cuántas más serias nos permitirían demostrar la mentirosa fragilidad del principio de este libro, donde, desde mi cama, oía yo despertarse el mundo, ora con un tiempo, ora con otro! Sí, he tenido que aminorar la cosa y mentir, pero no es un universo el que se despierta cada mañana, son millones de universos, casi tantos como pupilas e inteligencias humanas.
Pour revenir à Albertine, je n′ai jamais connu de femmes douées plus qu′elle d′heureuse aptitude au mensonge animé, coloré des teintes mêmes de la vie, si ce n′est une de ses amies — une de mes jeunes filles en fleurs aussi, rose comme Albertine, mais dont le profil irrégulier, creusé, puis proéminent à nouveau, ressemblait tout à fait à certaines grappes de fleurs roses dont j′ai oublié le nom et qui ont ainsi de longs et sinueux rentrants. Cette jeune fille était, au point de vue de la fable, supérieure à Albertine, car elle n′y mêlait aucun des moments douloureux, des sous-entendus rageurs qui étaient fréquents chez mon amie. J′ai dit pourtant qu′elle était charmante quand elle inventait un récit qui ne laissait pas de place au doute, car on voyait alors devant soi la chose — pourtant imaginée — qu′elle disait, en se servant comme vue de sa parole. La vraisemblance seule inspirait Albertine, nullement le désir de me donner de la jalousie. Car Albertine, sans être intéressée peut-être, aimait qu′on lui fît des gentillesses. Or si, au cours de cet ouvrage, j′ai eu et j′aurai bien des occasions de montrer comment la jalousie redouble l′amour, c′est au point de vue de l′amant que je me suis placé. Mais pour peu que celui-ci ait un peu de fierté, et dût-il mourir d′une séparation, il ne répondra pas à une trahison supposée par une gentillesse, il s′écartera ou, sans s′éloigner, s′ordonnera de feindre la froideur. Aussi est-ce en pure perte pour elle que sa maîtresse le fait tant souffrir. Dissipe-t-elle, au contraire, d′un mot adroit, de tendres caresses, les soupçons qui le torturaient bien qu′il s′y prétendît indifférent, sans doute l′amant n′éprouve pas cet accroissement désespéré de l′amour où le hausse la jalousie, mais cessant brusquement de souffrir, heureux, attendri, détendu comme on l′est après un orage quand la pluie est tombée et qu′à peine sent-on encore sous les grands marronniers s′égoutter à longs intervalles les gouttes suspendues que déjà le soleil reparu colore, il ne sait comment exprimer sa reconnaissance à celle qui l′a guéri. Albertine savait que j′aimais à la récompenser de ses gentillesses, et cela expliquait peut-être qu′elle inventât, pour s′innocenter, des aveux naturels comme ses récits dont je ne doutais pas et dont un avait été la rencontre de Bergotte alors qu′il était déjà mort. Je n′avais su jusque-là des mensonges d′Albertine que ceux que, par exemple, à Balbec m′avait rapportés Françoise et que j′ai omis de dire bien qu′ils m′eussent fait si mal : « Comme elle ne voulait pas venir, elle m′a dit : Est-ce que vous ne pourriez pas dire à monsieur que vous ne m′avez pas trouvée, que j′étais sortie ? » Mais les « inférieurs » qui nous aiment comme Françoise m′aimait ont du plaisir à nous froisser dans notre amour-propre. Volviendo a Albertina, no he conocido nunca mujer más dotada que ella de una brillante actitud para la mentira animada, con los colores mismos de la vida, a no ser una de sus amigas, también una de mis muchachas en flor, rosada la tez como Albertina, pero que por su perfil irregular, lleno de hoyitos y de prominencias, era igual que ciertos racimos de flores color rosa cuyo nombre he olvidado y que tienen, como ellas, largos y sinuosos entrantes. Aquella muchacha era, desde el punto de vista de la fábula, superior a Albertina, pues no ponía en ella ninguno de los momentos dolorosos, de los dobles sentidos irritados que eran frecuentes en mi amiga. He dicho, sin embargo, que era encantadora cuando inventaba un relato que no dejaba lugar a dudas, pues se veía pintada en su palabra la cosa que decía -aunque era imaginada-. A Albertina la inspiraba sólo la verosimilitud, y no el deseo de darme celos. Pues, acaso sin ser interesada, le gustaba mucho recibir atenciones. Ahora bien, si en el transcurso de esta obra he tenido y tendré muchas ocasiones de demostrar cómo los celos aumentan el amor, lo he hecho desde el punto de vista del amante. Pero a poco orgullo que éste tenga, y aunque una separación hubiera de costarle la vida, no responderá a una supuesta traición con un gesto efusivo y se alejará o, sin alejarse, se esforzará por fingir frialdad. De suerte que todo lo que la amante le hace sufrir es en perjuicio de ella. Si, por el contrario, disipa ella con una palabra hábil, con tiernas caricias, las sospechas que le torturaban aunque quisiera hacerse el indiferente, seguramente el amante no experimenta esa intensificación desesperada del amor a la que los celos le llevan, sino que, dejando bruscamente de sufrir, dichoso, enternecido, con el sosiego que sentimos cuando ha pasado la tormenta y ha caído la lluvia y apenas oímos todavía, bajo los grandes castaños, caer a largos intervalos las gotas suspendidas que ya el sol colorea, no sabe cómo expresar su gratitud a la que le ha curado. Albertina sabía que me gustaba recompensarla por sus gentilezas, y acaso esto explicaba que, para demostrar su inocencia, inventara confesiones espontáneas como aquellos relatos de los que yo no dudaba, uno de los cuales fue el encuentro con Bergotte cuando éste estaba ya muerto. De las mentiras de Albertina yo sólo había sabido hasta entonces las que, por ejemplo, me contara Francisca en Balbec, y que no he dicho aunque me hicieron tanto daño. «Como no quería venir, me dijo: "¿No podría decirle al señor que no me ha encontrado, que había salido?"» Pero los «inferiores» que nos quieren como Francisca me quería a mí se complacen en herirnos en nuestro amor propio.




CHAPITRE DEUXIèME

Les Verdurin se brouillent avec M. de Charlus.

[II]

Après le dîner, je dis à Albertine que j′avais envie de profiter de ce que j′étais levé pour aller voir des amis, Mme de Villeparisis, Mme de Guermantes, les Cambremer, je ne savais trop, ceux que je trouverais chez eux. Je tus seulement le nom de ceux chez qui je comptais aller, les Verdurin. Je lui demandai si elle ne voulait pas venir avec moi. Elle allégua qu′elle n′avait pas de robe. « Et puis, je suis si mal coiffée. Est-ce que vous tenez à ce que je continue à garder cette coiffure ? » Et pour me dire adieu elle me tendit la main de cette façon brusque, le bras allongé, les épaules se redressant, qu′elle avait jadis sur la plage de Balbec, et qu′elle n′avait plus jamais eue depuis. Ce mouvement oublié refit du corps qu′il anima celui de cette Albertine qui me connaissait encore à peine. Il rendit à Albertine, cérémonieuse sous un air de brusquerie, sa nouveauté première, son inconnu, et jusqu′à son cadre. Je vis la mer derrière cette jeune fille que je n′avais jamais vue me saluer ainsi depuis que je n′étais plus au bord de la mer. « Ma tante trouve que cela me vieillit », ajouta-t-elle d′un air maussade. « Puisse sa tante dire vrai ! » pensai-je. Qu′Albertine, en ayant l′air d′une enfant, fasse paraître Mme Bontemps plus jeune, c′est tout ce que celle-ci demande, et qu′Albertine aussi ne lui coûte rien, en attendant le jour où, en m′épousant, elle lui rapportera. Mais qu′Albertine parût moins jeune, moins jolie, fît moins retourner les têtes dans la rue, voilà ce que moi, au contraire, je souhaitais. Car la vieillesse d′une duègne ne rassure pas tant un amant jaloux que la vieillesse du visage de celle qu′il aime. Je souffrais seulement que la coiffure que je lui avais demandé d′adopter pût paraître à Albertine une claustration de plus. Et ce fut encore ce sentiment domestique nouveau qui ne cessa, même loin d′Albertine, de m′attacher à elle comme un lien. Después de comer, le dije a Albertina que tenía ganas de aprovechar el estar levantado para ir a ver a unos amigos, a madame de Villeparisis, a madame de Guermantes, a los Cambremer, ya veríamos, a quienes encontrara en casa. El único nombre que callé fue el de los Verdurin, que eran los únicos a quienes pensaba ir a ver. Le pregunté si no quería ir conmigo. Alegó que no tenía vestido. «Además, llevo un peinado muy feo. ¿Quieres que siga con este peinado?» Y se despidió tendiéndome la mano de aquella manera brusca, con el brazo estirado, los hombros erguidos, que tenía en otro tiempo en la playa de Balbec y que nunca más había tenido desde entonces. Con este movimiento olvidado, el cuerpo que animó volvió a ser el de aquella Albertina que apenas me conocía aún. Restituyó a Albertina, ceremoniosa bajo un aire brusco, su novedad prístina, su atractivo de ser desconocido y hasta su escenario. Vi el mar detrás de esta muchacha a la que nunca había visto saludarme así desde que ya no estaba a la orilla del mar. «Mi tía dice que éste me envejece», añadió de mal talante. «¡Ojalá fuera verdad lo que dice su tía!», pensé. Que Albertina, con su aspecto de niña, hiciera parecer más joven a madame Bontemps era lo que ésta deseaba, esto y que Albertina no le costara nada, mientras llegaba el día en que, casándose conmigo, le rentaría. En cambio yo, lo que deseaba era que Albertina pareciera menos joven, menos bonita, que se volvieran menos en la calle para mirarla. Pues la vejez de una dueña no tranquiliza tanto a un amante celoso como la vejez de la cara de la amada. Lo único que sentía era que el peinado que Albertina había adoptado a instancias mías pudiera parecerle una reclusión más. Y este nuevo sentimiento doméstico contribuyó también, aun lejos de Albertina, a atarme a ella.
Je dis à Albertine, peu en train, m′avait-elle dit, pour m′accompagner chez les Guermantes ou les Cambremer, que je ne savais trop où j′irais, et partis chez les Verdurin. Au moment où la pensée du concert que j′y entendrais me rappela la scène de l′après-midi : « grand pied de grue, grand pied de grue » — scène d′amour déçu, d′amour jaloux peut-être, mais alors aussi bestiale que celle que, à la parole près, peut faire à une femme un ourang-outang qui en est, si l′on peut dire, épris ; — au moment où, dans la rue, j′allais appeler un fiacre, j′entendis des sanglots qu′un homme, qui était assis sur une borne, cherchait à réprimer. Je m′approchai : l′homme, qui avait la tête dans ses mains, avait l′air d′un jeune homme, et je fus surpris de voir, à la blancheur qui sortait du manteau, qu′il était en habit et en cravate blanche. En m′entendant il découvrit son visage inondé de pleurs, mais aussitôt, m′ayant reconnu, le détourna. C′était Morel. Il comprit que je l′avais reconnu et, tâchant d′arrêter ses larmes, il me dit qu′il s′était arrêté un instant, tant il souffrait. « J′ai grossièrement insulté aujourd′hui même, me dit-il, une personne pour qui j′ai eu de très grands sentiments. C′est d′un lâche car elle m′aime. — Avec le temps elle oubliera peut-être », répondis-je, sans penser qu′en parlant ainsi j′avais l′air d′avoir entendu la scène de l′après-midi. Mais il était si absorbé dans son chagrin qu′il n′eut même pas l′idée que je pusse savoir quelque chose. « Elle oubliera peut-être, me dit-il. Mais moi je ne pourrai pas oublier. J′ai le sentiment de ma honte, j′ai un dégoût de moi ! Mais enfin c′est dit, rien ne peut faire que ce n′ait pas été dit. Quand on me met en colère, je ne sais plus ce que je fais. Et c′est si malsain pour moi, j′ai les nerfs tout entrecroisés les uns dans les autres », car, comme tous les neurasthéniques, il avait un grand souci de sa santé. Si, dans l′après-midi, j′avais vu la colère amoureuse d′un animal furieux, ce soir, en quelques heures, des siècles avaient passé, et un sentiment nouveau, un sentiment de honte, de regret et de chagrin, montrait qu′une grande étape avait été franchie dans l′évolution de la bête destinée à se transformer en créature humaine. Malgré tout j′entendais toujours « grand pied de grue » et je craignais une prochaine récurrence à l′état sauvage. Je comprenais, d′ailleurs, très mal ce qui s′était passé, et c′est d′autant plus naturel que M. de Charlus lui-même ignorait entièrement que depuis quelques jours, et particulièrement ce jour-là, même avant le honteux épisode qui ne se rapportait pas directement à l′état du violoniste, Morel était repris de neurasthénie. En effet, il avait, le mois précédent, poussé aussi vite qu′il avait pu, beaucoup plus lentement qu′il eût voulu, la séduction de la nièce de Jupien avec laquelle il pouvait, en tant que fiancé, sortir à son gré. Mais dès qu′il avait été un peu loin dans ses entreprises vers le viol, et surtout quand il avait parlé à sa fiancée de se lier avec d′autres jeunes filles qu′elle lui procurerait, il avait rencontré des résistances qui l′avaient exaspéré. Du coup (soit qu′elle eût été trop chaste, ou, au contraire, se fût donnée) son désir était tombé. Il avait résolu de rompre, mais sentant le baron bien plus moral, quoique vicieux, il avait peur que, dès sa rupture, M. de Charlus ne le mît à la porte. Aussi avait-il décidé, il y avait une quinzaine de jours, de ne plus revoir la jeune fille, de laisser M. de Charlus et Jupien se débrouiller (il employait un verbe plus cambronnesque) entre eux et, avant d′annoncer la rupture, de « fout′le camp » pour une destination inconnue. Dije a Albertina, poco animada, según me dijo, a acompañarme a casa de los Guermantes o de los Cambremer, que no estaba seguro de a dónde iría, y salí con intención de ir a casa de los Verdurin. Pensando en el concierto que iba a oír en ella. Este pensamiento me recordó la escena de la tarde: «¡So zorra, gran zorra!» -escena de amor defraudado, quizá de amor celoso, pero tan bestial como la que, aparte la palabra, puede hacer a una mujer un orangután enamorado de ella, si así puede decirse-; cuando ya en la calle iba a llamar a un fiacre, oí unos sollozos que un hombre sentado en un poyete procuraba reprimir. Me acerqué a él; el hombre, con la cabeza entre las manos, parecía joven, por la blancura que emergía del abrigo, se suponía que iba de frac y con corbata blanca. Al oírme descubrió el rostro inundado de lágrimas, pero al reconocerme miró a otro lado. Era Morel. Comprendió que le había reconocido y, conteniendo las lágrimas, me dijo que se había detenido un momento porque estaba desesperado. -Hoy mismo -me dijo- he insultado brutalmente a una persona a la que he querido mucho. Es una cobardía, porque me ama. -Quizá lo olvide con el tiempo -repuse, sin pensar que hablando así daba a entender que había oído la escena de la tarde. Pero Morel estaba tan embargado por su preocupación que ni siquiera se le ocurrió que yo hubiera podido oír algo. -Quizá lo olvide ella -me dijo-, pero yo no podré olvidarlo. Estoy avergonzado, asqueado de mí mismo. Pero lo dicho dicho queda, nada puede hacer que no haya sido dicho. Cuando me encolerizan ya no sé lo que hago. ¡Y es tan malsano para mí!, tengo los nervios trastornados -pues Morel, como todos los neurasténicos, se preocupaba mucho por su salud. Así como aquella tarde yo había presenciado la cólera amorosa de un animal furioso, esta noche, a las pocas horas, habían pasado siglos, y un sentimiento nuevo, un sentimiento de vergüenza, de pesar, de dolor, demostraba que se había recorrido una gran etapa en la evolución de la bestia destinada a transformarse en criatura humana. A pesar de todo, yo seguía oyendo aquel «¡gran zorra!» y temía un próximo retroceso al estado salvaje. Además, entendía muy mal lo que había ocurrido, y era muy natural, pues el propio monsieur de Charlus ignoraba por completo que desde hacía unos días, y especialmente aquel día, incluso antes del vergonzoso episodio que no tenía relación directa con el estado del violinista, Morel había recaído en su neurastenia. El mes anterior, Morel había adelantado todo lo posible, mucho más despacio de lo que él hubiera querido, en la seducción de la sobrina de Jupien, con la que, en calidad de novio, podía salir a su gusto. Pero en cuanto llegó un poco lejos en sus proyectos de violación, y sobre todo cuando habló a su novia de liarse con otras muchachas que ella le proporcionaría, encontró resistencias que le exasperaron. Inmediatamente (ya porque fuera demasiado casta o, por el contrario, porque se hubiera entregado) a Morel se le pasó el deseo. Decidió romper, pero pensando que el barón, aunque vicioso, era mucho más moral, temió que, si rompía, monsieur de Charlus rompiera con él. En consecuencia, decidió, quince días antes, no volver a ver a la muchacha, dejar que monsieur de Charlus y Jupien se las arreglaran entre ellos (empleaba un verbo más cambronnesco), y antes de anunciar la ruptura «Salir de naja» con destino desconocido.
Bien que la conduite qu′il avait eue avec la nièce de Jupien fût exactement superposable, dans les moindres détails, avec celle dont il avait fait la théorie devant le baron pendant qu′ils dînaient à Saint-Mars-le-Vêtu, il est probable qu′elles étaient fort différentes, et que des sentiments moins atroces, et qu′il n′avait pas prévus dans sa conduite théorique, avaient embelli, rendu sentimentale sa conduite réelle. Le seul point où, au contraire, la réalité était pire que le projet, est que dans le projet il ne lui paraissait pas possible de rester à Paris après une telle trahison. Maintenant, au contraire, vraiment « fout′ le camp » pour une chose aussi simple lui paraissait beaucoup. C′était quitter le baron qui, sans doute, serait furieux, et briser sa situation. Il perdrait tout l′argent que lui donnait le baron. La pensée que c′était inévitable lui donnait des crises de nerfs, il restait des heures à larmoyer, prenait pour ne pas y penser de la morphine avec prudence. Puis tout à coup s′était trouvée dans son esprit une idée qui sans doute y prenait peu à peu vie et forme depuis quelque temps, et cette idée était que l′alternative, le choix entre la rupture et la brouille complète avec M. de Charlus, n′était peut-être pas forcée. Perdre tout l′argent du baron était beaucoup. Morel, incertain, fut pendant quelques jours plongé dans des idées noires, comme celles que lui donnait la vue de Bloch. Puis il décida que Jupien et sa nièce avaient essayé de le faire tomber dans un piège, qu′ils devaient s′estimer heureux d′en être quittes à si bon marché. Il trouvait, en somme, que la jeune fille était dans son tort d′avoir été si maladroite, de n′avoir pas su le garder par les sens. Non seulement le sacrifice de sa situation chez M. de Charlus lui semblait absurde, mais il regrettait jusqu′aux dîners dispendieux qu′il avait offerts à la jeune fille depuis qu′ils étaient fiancés, et desquels il eût pu dire le coût, en fils d′un valet de chambre qui venait tous les mois apporter son « livre » à mon oncle. Car livre au singulier, qui signifie ouvrage imprimé, pour le commun des mortels, perd ce sens pour les Altesses et pour les valets de chambre. Pour les seconds il signifie le livre de comptes ; pour les premières le registre où on s′inscrit. (À Balbec, un jour où la princesse de Luxembourg m′avait dit qu′elle n′avait pas emporté de livre, j′allais lui prêter Pêcheur d′Islande et Tartarin de Tarascon, quand je compris ce qu′elle avait voulu dire : non qu′elle passerait le temps moins agréablement, mais que je pourrais plus difficilement mettre mon nom chez elle.) Amor cuyo desenlace le dejaba un poco triste, de suerte que, aunque su conducta con la sobrina de Jupien coincidiera exactamente, en los menores detalles, con la que había expuesto en teoría al barón cuando estaban cenando en SaintMars-le-Vêtu, es probable que fueran muy diferentes y que unos sentimientos menos atroces, no previstos en su conducta teórica, embellecieran su conducta real. El único punto en que, por el contrario, la realidad era peor que el proyecto es que en el proyecto no le parecía posible permanecer en París después de semejante traición. Ahora, salir huyendo le parecía mucho para una cosa tan sencilla. Era dejar al barón, que seguramente estaría furioso, y malograr su situación. Perdería todo lo que le sacaba a monsieur de Charlus. La idea de que esto era inevitable le daba ataques de nervios, se pasaba las horas gimoteando, para no pensar tomaba morfina, aunque con prudencia. Después se le ocurrió de repente una idea que seguramente fue tomando poco a poco vida y forma desde hacía algún tiempo, y era que la alternativa, la elección entre la ruptura y el enfado completo con monsieur de Charlus quizá no era forzada. Perder todo el dinero del barón era mucho perder. Durante algunos días, Morel estuvo indeciso y sumido en ideas negras, como las que le daba ver a Bloch; después decidió que Jupien y su sobrina habían intentado hacerle caer en una trampa, que debían darse por contentos de haber escapado tan bien. Consideraba que, después de todo, la culpa era de la muchacha, tan torpe que no supo sujetarle con los sentidos. No sólo le parecía absurdo sacrificar su situación con monsieur de Charlus, sino que lamentaba hasta las dispendiosas comidas que había ofrecido a la muchacha desde que eran novios, cuyo costo hubiera podido decir exactamente, como hijo que era de un criado que todos los meses presentaba a mi tío el «libro» de cuentas. Pues libro, en singular, que para el común de los mortales significa obra impresa, pierde este sentido para las altezas y para los criados. Para éstos significa el libro de cuentas; para las altezas, el registro en que se inscribe a las personas. (Una vez que la princesa de Luxembourg me dijo en Balbec que no había traído el libro, yo iba a prestarle Le Pêcheur d′Islande y Tartarin de Tarascon, cuando comprendí lo que había querido decir: no que iba a pasar el tiempo menos agradablemente, sino que me iba a ser más difícil incluir mi nombre en su casa.)
Malgré le changement de point de vue de Morel quant aux conséquences de sa conduite, bien que celle-ci lui eût semblé abominable il y a deux mois, quand il aimait passionnément la nièce de Jupien, et que depuis quinze jours il ne cessât de se répéter que cette même conduite était naturelle, louable, elle ne laissait pas d′augmenter chez lui l′état de nervosité dans lequel tantôt il avait signifié la rupture. Et il était tout prêt à « passer sa colère », sinon (sauf dans un accès momentané) sur la jeune fille envers qui il gardait ce reste de crainte, dernière trace de l′amour, du moins sur le baron. Il se garda cependant de lui rien dire avant le dîner, car, mettant au-dessus de tout sa propre virtuosité professionnelle, au moment où il avait des morceaux difficiles à jouer (comme ce soir chez les Verdurin), il évitait (autant que possible, et c′était déjà bien trop que la scène de l′après-midi) tout ce qui pouvait donner à ses mouvements quelque chose de saccadé. Tel un chirurgien passionné d′automobilisme cesse de conduire quand il a à opérer. C′est ce qui m′explique que, tout en me parlant, il faisait remuer doucement ses doigts l′un après l′autre afin de voir s′ils avaient repris leur souplesse. Un froncement de sourcils s′ébaucha qui semblait signifier qu′il y avait encore un peu de raideur nerveuse. Mais, pour ne pas l′accroître, il déplissait son visage, comme on s′empêche de s′énerver de ne pas dormir ou de ne pas posséder aisément une femme, de peur que la phobie elle-même retarde encore l′instant du sommeil ou du plaisir. Aussi, désireux de reprendre sa sérénité afin d′être comme d′habitude tout à ce qu′il jouerait chez les Verdurin, et désireux, tant que je le verrais, de me permettre de constater sa douleur, le plus simple lui parut de me supplier de partir immédiatement. La supplication était inutile et le départ m′était un soulagement. J′avais tremblé qu′allant dans la même maison, à quelques minutes d′intervalle, il ne me demandât de le conduire, et je me rappelais trop la scène de l′après-midi pour ne pas éprouver quelque dégoût à avoir Morel auprès de moi pendant le trajet. Il est très possible que l′amour, puis l′indifférence ou la haine de Morel à l′égard de la nièce de Jupien eussent été sincères. Malheureusement ce n′était pas la première fois qu′il agissait ainsi, qu′il « plaquait » brusquement une jeune fille à laquelle il avait juré de l′aimer toujours, allant jusqu′à lui montrer un revolver chargé en lui disant qu′il se ferait sauter la cervelle s′il était assez lâche pour l′abandonner. Il ne l′abandonnait pas moins ensuite et éprouvait, au lieu de remords, une sorte de rancune. Ce n′était pas la première fois qu′il agissait ainsi, ce ne devait pas être la dernière, de sorte que bien des têtes de jeunes filles — de jeunes filles moins oublieuses de lui qu′il n′était d′elles — souffrirent — comme souffrit longtemps encore la nièce de Jupien, continuant à aimer Morel tout en le méprisant — souffrirent, prêtes à éclater sous l′élancement d′une douleur interne, parce qu′en chacune d′elles — comme le fragment d′une sculpture grecque — un aspect du visage de Morel, dur comme le marbre et beau comme l′antique, était enclos dans leur cervelle, avec ses cheveux en fleurs, ses yeux fins, son nez droit, formant protubérance pour un crâne non destiné à le recevoir, et qu′on ne pouvait pas opérer. Mais à la longue ces fragments si durs finissent par glisser jusqu′à une place où ils ne causent pas trop de déchirements, n′en bougent plus ; on ne sent plus leur présence : c′est l′oubli, ou le souvenir indifférent. A pesar del cambio del punto de vista de Morel en cuanto a las consecuencias de su conducta, y aunque ésta le hubiera parecido abominable dos meses antes, cuando amaba apasionadamente a la sobrina de Jupien, y desde hacía quince días no cesara de repetirse que esta misma conducta era natural y loable, no dejaba de agravar en él el estado de nerviosismo que hacía poco había significado la ruptura. Y estaba muy inclinado a «traspasar su ira» si no (salvo en un acceso momentáneo) a la joven que le inspiraba todavía aquel resto de miedo, último rastro del amor, al menos al barón. Pero se guardó de decirle nada antes de la comida, pues poniendo sobre todas las cosas su propio virtuosismo profesional, cuando tenía que tocar piezas difíciles (como aquella noche en casa de los Verdurin) evitaba (en lo posible, y ya era bastante con la escena de la tarde) todo lo que podía alterar su ejecución. De la misma manera, un cirujano apasionado por el automovilismo deja de conducir cuando tiene que operar. Esto explicaba que mientras estaba hablándome moviera suavemente los dedos, uno tras otro para ver si habían recuperado su agilidad. Un esbozado fruncimiento del entrecejo parecía significar que aún persistía un poco de nerviosismo. Mas, para no aumentarlo, Morel distendía el rostro, como quien evita ponerse nervioso por no dormir o por no poseer fácilmente a una mujer, de miedo de que la misma fobia retarde más aún el momento del sueño o del placer. Y deseoso de recuperar la serenidad al entregarse como de costumbre, mientras tocaba, a lo que iba a tocar en casa de los Verdurin y deseoso a la vez, mientras le viera, de que pudiese comprobar su dolor, le pareció lo más sencillo rogarme que me fuera inmediatamente. El ruego era inútil, pues irme era para mí un alivio. Temía que, yendo como íbamos a la misma casa, con pocos minutos de intervalo, me pidiera que le llevara, y yo recordaba demasiado la escena de la tarde para no sentir cierta repugnancia de llevar a Morel a mi lado en el trayecto. Es muy posible que el amor y después la indiferencia o el odio de Morel hacia la sobrina de Jupien fueran sinceros. Desgraciadamente no era la primera vez (ni sería la última) que obraba así, que plantaba bruscamente a una muchacha a la que había jurado amor eterno llegando hasta mostrarle un revólver cargado y decirle que se pegaría un tiro si era lo bastante cobarde para abandonarla. No por eso dejaba de abandonarla en seguida y de sentir, en vez de remordimiento, una especie de rencor. No era la primera vez que obraba así ni iba a ser la última, de suerte que muchas cabezas de muchachas -menos olvidadizas de él que de ellas mismassufrieron -como sufrió mucho tiempo todavía la sobrina de Jupien, que siguió amando a Morel sin dejar de despreciarle-, dispuestas a estallar bajo el arrebato de un dolor interno, porque cada una de ellas llevaba clavado en el cerebro, como un fragmento de una escultura griega, un aspecto del rostro de Morel, duro como el mármol y bello como la antigüedad, con sus cabellos en flor, sus ojos penetrantes, su nariz recta -formando protuberancia en un cráneo no destinado a recibirla, y que no se podía operar-. Pero, a la larga, estos fragmentos tan duros acaban por caer a un lugar donde no causan demasiados estragos, de donde ya no se mueven; ya no se nota su presencia: es el olvido, o el porvenir indiferente.
J′avais en moi deux produits de ma journée. C′était, d′une part, grâce au calme apporté par la docilité d′Albertine, la possibilité et, en conséquence, la résolution de rompre avec elle. C′était, d′autre part, fruit de mes réflexions pendant le temps que je l′avais attendue, assis devant mon piano, l′idée que l′Art, auquel je tâcherais de consacrer ma liberté reconquise, n′était pas quelque chose qui valût la peine d′un sacrifice, quelque chose d′en dehors de la vie, ne participant pas à sa vanité et son néant, l′apparence d′individualité réelle obtenue dans les œuvres n′étant due qu′au trompe-l′œil de l′habileté technique. Si mon après-midi avait laissé en moi d′autres résidus, plus profonds peut-être, ils ne devaient venir à ma connaissance que bien plus tard. Quant aux deux que je soupesais clairement, ils n′allaient pas être durables ; car, dès cette soirée même, mes idées sur l′art allaient se relever de la diminution qu′elles avaient éprouvée l′après-midi, tandis qu′en revanche le calme, et par conséquent la liberté qui me permettrait de me consacrer à lui, allait m′être de nouveau retiré. Yo llevaba en mí dos productos de mi jornada. Por una parte, gracias a la calma producida por la docilidad de Albertina, la posibilidad y, en consecuencia, la resolución de romper con ella. Por otra parte, resultado de mis reflexiones durante el tiempo que pasé esperándola sentado ante el piano, la idea de que el arte, al que procuraría dedicar mi libertad reconquistada, no era algo que valiera la pena de dedicarle un sacrificio, algo exterior a la vida, ajeno a su vanidad y a su vacío, pues la apariencia de individualidad real que dan las obras de arte no es más que el efecto engañoso de la habilidad técnica. Si aquella tarde dejó en mí otros residuos, acaso más profundos, sólo mucho más tarde llegarían a mi conocimiento. En cuanto a los dos que yo pesaba claramente, no iban a ser duraderos; pues aquella misma noche mis ideas sobre el arte iban a recobrarse de la disminución experimentada por la tarde, mientras que, en cambio, iba a perder la calma y, en consecuencia, la libertad que me permitiría consagrarme a él.
Comme ma voiture, longeant le quai, approchait de chez les Verdurin, je la fis arrêter. Je venais en effet de voir Brichot descendre de tramway au coin de la rue Bonaparte, essuyer ses souliers avec un vieux journal, et passer des gants gris perle. J′allai à lui. Depuis quelque temps, son affection de la vue ayant empiré, il avait été doté — aussi richement qu′un laboratoire — de lunettes nouvelles puissantes et compliquées qui, comme des instruments astronomiques, semblaient vissées à ses yeux ; il braqua sur moi leurs feux excessifs et me reconnut. Elles étaient en merveilleux état. Mais derrière elles j′aperçus, minuscule, pâle, convulsif, expirant, un regard lointain placé sous ce puissant appareil, comme dans les laboratoires trop richement subventionnés pour les besognes qu′on y fait, on place une insignifiante bestiole agonisante sous les appareils les plus perfectionnés. J′offris mon bras au demi-aveugle pour assurer sa marche. « Ce n′est plus cette fois près du grand Cherbourg que nous nous rencontrons, me dit-il, mais à côté du petit Dunkerque », phrase qui me parut fort ennuyeuse, car je ne compris pas ce qu′elle voulait dire ; et cependant je n′osai pas le demander à Brichot, par crainte moins encore de son mépris que de ses explications. Je lui répondis que j′étais assez curieux de voir le salon où Swann rencontrait jadis tous les soirs Odette. « Comment, vous connaissez ces vieilles histoires ? me dit-il. Il y a pourtant de cela jusqu′à la mort de Swann ce que le poète appelle à bon droit : grande spatium mortalis œvi. » Cuando mi coche, siguiendo el muelle, estaba cerca de casa de los Verdurin, le hice parar. Y es que vi a Brichot apearse del tranvía en la esquina de la Rue Bonaparte, limpiarse los zapatos con un periódico viejo y ponerse unos guantes gris perla. Me dirigí a él. Desde hacía algún tiempo había empeorado su afección de la vista y había sido dotado -como un laboratorio- de lentes nuevos. Potentes y complicados como instrumentos astronómicos, parecían atornillados a sus ojos; enfocó sobre mí sus luces excesivas y me reconoció. Los lentes eran maravillosos. Pero detrás de ellos percibí, minúscula, pálida, convulsa, expirante, una mirada lejana colocada bajo aquel potente aparato como, en los laboratorios demasiado generosamente subvencionados para lo que en ellos se hace, se coloca un insignificante animalillo agonizante bajo los aparatos más perfeccionados. Ofrecí el brazo al semiciego para que pudiera andar seguro. -Esta vez no nos encontramos junto al gran Cherburgo -me dijo-, sino junto al pequeño Dunkerque -frase que me pareció muy tonta, pues no entendí lo que quería decir, pero no me atreví a preguntárselo a Brichot por miedo, más que a su desprecio, a sus explicaciones. Le contesté que tenía ganas de ver el salón donde Swann se encontraba en otro tiempo todas las noches con Odette-. Pero ¿conoce usted esas viejas historias? -me dijo-. Sin embargo, ha pasado desde entonces lo que el poeta llama bien llamado: grande spatium mortalis aevi.
La mort de Swann m′avait à l′époque bouleversé. La mort de Swann ! Swann ne joue pas dans cette phrase le rôle d′un simple génitif. J′entends par là la mort particulière, la mort envoyée par le destin au service de Swann. Car nous disons la mort pour simplifier, mais il y en a presque autant que de personnes. Nous ne possédons pas de sens qui nous permette de voir, courant à toute vitesse, dans toutes les directions, les morts, les morts actives dirigées par le destin vers tel ou tel. Souvent ce sont des morts qui ne seront entièrement libérées de leur tâche que deux, trois ans après. Elles courent vite poser un cancer au flanc d′un Swann, puis repartent pour d′autres besognes, ne revenant que quand, l′opération des chirurgiens ayant eu lieu, il faut poser le cancer à nouveau. Puis vient le moment où on lit dans le Gaulois que la santé de Swann a inspiré des inquiétudes, mais que son indisposition est en parfaite voie de guérison. Alors, quelques minutes avant le dernier souffle, la mort, comme une religieuse qui vous aurait soigné au lieu de vous détruire, vient assister à vos derniers instants, couronne d′une auréole suprême l′être à jamais glacé dont le cœur a cessé de battre. Et c′est cette diversité des morts, le mystère de leurs circuits, la couleur de leur fatale écharpe qui donnent quelque chose de si impressionnant aux lignes des journaux : Por entonces me impresionó mucho la muerte de Swann. ¡La muerte de Swann! Swann no representa en esta frase el papel de un simple genitivo. Me refiero a la muerte particular, a la muerte enviada por el destino al servicio de Swann. Pues decimos la muerte para simplificar, pero hay casi tantas muertes como personas. No poseemos un sentido que nos permita ver, corriendo a toda velocidad, en todas las direcciones, a las muertes, a las muertes activas dirigidas por el destino hacia éste o hacia el otro. Muchas veces son muertes que no quedarán enteramente liberadas de su misión hasta pasados dos o tres años. Se apresuran a poner un cáncer en el costado de un Swann, después se van a otros quehaceres y no vuelven hasta que, realizada la operación de los cirujanos, hay que poner de nuevo el cáncer. Después llega el momento de leer en Le Gaulois que la salud de Swann ha inspirado inquietud, pero que su indisposición está en perfectas vías de curación. Entonces, minutos antes del último suspiro, la muerte, como una religiosa que nos cuidara en vez de destruirnos, viene a asistir a nuestros últimos momentos y corona con una aureola suprema al ser helado para siempre cuyo corazón ha dejado de latir, y es esta diversidad de muertes, el misterio de sus circuitos, el color de su fatal echarpe lo que da algo tan impresionante a las líneas de los periódicos:
« Nous apprenons avec un vif regret que M. Charles Swann a succombé hier à Paris, dans son hôtel, des suites d′une douloureuse maladie. Parisien dont l′esprit était apprécié de tous, comme la sûreté de ses relations choisies mais fidèles, il sera unanimement regretté, aussi bien dans les milieux artistiques et littéraires, où la finesse avisée de son goût le faisait se plaire et être recherché de tous, qu′au Jockey-Club dont il était l′un des membres les plus anciens et les plus écoutés. Il appartenait aussi au Cercle de l′Union et au Cercle Agricole. Il avait donné depuis peu sa démission de membre du Cercle de la rue Royale. Sa physionomie spirituelle comme sa notoriété marquante ne laissaient pas d′exciter la curiosité du public dans tout great event de la musique et de la peinture, et notamment aux « vernissages », dont il avait été l′habitué fidèle jusqu′à ces dernières années, où il n′était plus sorti que rarement de sa demeure. Les obsèques auront lieu, etc. » «Con gran pesar nos enteramos de que ayer, en su hotel de París, ha fallecido monsieur Charles Swann a consecuencia de una dolorosa enfermedad. Parisiense de una inteligencia apreciada por todos, estimado por sus relaciones tan selectas como fieles, será unánimemente llorado, tanto en los medios artísticos y literarios, en los que se complacía su exquisito gusto, que, a su vez, a todos encantaba, como en el Jockey-Club, del que era uno de los miembros más antiguos y más considerados. Pertenecía también al Círculo de la Unión y al Círculo Agrícola. Había presentado recientemente su dimisión de miembro del Círculo de la Rue Royale. Su fisonomía inteligente y su destacada notoriedad suscitaban la curiosidad del público en todo great event de la música y de la pintura, y especialmente en los vernissages, a los que asistía fielmente hasta sus últimos años, cuando ya salía muy poco de casa. Los funerales tendrán lugar, etc.»
À ce point de vue, si l′on n′est pas « quelqu′un », l′absence de titre connu rend plus rapide encore la décomposition de la mort. Sans doute c′est d′une façon anonyme, sans distinction d′individualité, qu′on demeure le duc d′Uzès. Mais la couronne ducale en tient quelque temps ensemble les éléments, comme ceux de ces glaces aux formes bien dessinées qu′appréciait Albertine, tandis que les noms de bourgeois ultra-mondains, aussitôt qu′ils sont morts, se désagrègent et fondent, « démoulés ». Nous avons vu Mme de Guermantes parler de Cartier comme du meilleur ami du duc de La Trémoe, comme d′un homme très recherché dans les milieux aristocratiques. Pour la génération suivante, Cartier est devenu quelque chose de si informe qu′on le grandirait presque en l′apparentant au bijoutier Cartier, avec lequel il eût souri que des ignorants pussent le confondre ! Swann était, au contraire, une remarquable personnalité intellectuelle et artistique ; et bien qu′il n′eût rien « produit » il eut la chance de durer un peu plus. Et pourtant, cher Charles Swann, que j′ai connu quand j′étais encore si jeune et vous près du tombeau, c′est parce que celui que vous deviez considérer comme un petit imbécile a fait de vous le héros d′un de ses romans, qu′on recommence à parler de vous et que peut-être vous vivrez ». Si dans le tableau de Tissot représentant le balcon du Cercle de la rue Royale, où vous êtes entre Galliffet, Edmond de Polignac et Saint-Maurice, on parle tant de vous, c′est parce qu′on voit qu′il y a quelques traits de vous dans le personnage de Swann. En este punto, si no se es «alguien», la falta de título conocido acelera aún más la descomposición de la muerte. Desde luego se es duque de Uzès de una manera anónima, sin distinción de individualidad. Pero la corona ducal mantiene unidos por algún tiempo los elementos de esa individualidad, como los de esos helados de formas bien definidas que le gustaban a Albertina, mientras que los nombres de burgueses ultramundanos se disgregan y se funden, «pierden el molde» en cuanto mueren. Hemos visto a madame de Guermantes hablar de Cartier como del mejor amigo del duque de La Trémoe, como de un hombre muy buscado en los medios aristocráticos. Para la generación siguiente, Cartier es ya una cosa tan informe que casi se le engrandecería emparentándole con el joyero Cartier, cuando él hubiera sonreído de que unos ignorantes pudieran confundirle con éste. En cambio Swann era una notable personalidad intelectual y artística, y aunque no «creó» nada, tuvo la suerte de durar un poco más. Y, sin embargo, querido Charles Swann, a quien tan poco conocí cuando yo era tan joven y usted estaba ya cerca de la tumba, si se vuelve a hablar de usted y si pervivirá quizá, es porque el que usted debía de considerar como un pequeño imbécil le ha erigido en héroe de una de sus novelas. Si en el cuadro de Tissot que representa el balcón del Círculo de la Rue Royale, donde está usted entre Galliffet, Edmundo de Polignac y Saint-Maurice, se habla tanto de usted, es porque hay algunos rasgos suyos en el personaje de Swann.
Pour revenir à des réalités plus générales, c′est de cette mort prédite et pourtant imprévue de Swann que je l′avais entendu parler lui-même à la duchesse de Guermantes, le soir où avait eu lieu la fête chez la cousine de celle-ci. C′est la même mort dont j′avais retrouvé l′étrangeté spécifique et saisissante, un soir où j′avais parcouru le journal et où son annonce m′avait arrêté net, comme tracée en mystérieuses lignes inopportunément interpolées. Elles avaient suffi à faire d′un vivant quelqu′un qui ne peut plus répondre à ce qu′on lui dit, qu′un nom, un nom écrit, passé tout à coup du monde réel dans le royaume du silence. C′étaient elles qui me donnaient encore maintenant le désir de mieux connaître la demeure où avaient autrefois résidé les Verdurin et où Swann, qui alors n′était pas seulement quelques lettres passées dans un journal, avait si souvent dîné avec Odette. Il faut ajouter aussi (et cela me rendit longtemps la mort de Swann plus douloureuse qu′une autre, bien que ces motifs n′eussent pas trait à l′étrangeté individuelle de sa mort) que je n′étais pas allé voir Gilberte comme je le lui avais promis chez la princesse de Guermantes ; qu′il ne m′avait pas appris cette « autre raison » à laquelle il avait fait allusion ce soir-là, pour laquelle il m′avait choisi comme confident de son entretien avec le prince ; que mille questions me revenaient (comme des bulles montant du fond de l′eau), que je voulais lui poser sur les sujets les plus disparates : sur Ver Meer, sur M. de Mouchy, sur lui-même, sur une tapisserie de Boucher, sur Combray, questions sans doute peu pressantes puisque je les avais remises de jour en jour, mais qui me semblaient capitales depuis que, ses lèvres s′étant scellées, la réponse ne viendrait plus. Volviendo a realidades más generales, de esta muerte predicha y, sin embargo, imprevista de Swann le oí hablar a él mismo en casa de la duquesa de Guermantes, la noche en que tuvo lugar la fiesta de la prima de ésta. Es la misma muerte cuya singularidad específica y sobrecogedora volví a encontrar una noche ojeando el periódico y cuya noticia me paró en seco, como trazada en misteriosas líneas inoportunamente intercaladas. Bastaban para hacer de un vivo algo que ya no podía responder a lo que se le dijera, nada más que un nombre, un nombre escrito, trasladado de pronto del mundo real al reino del silencio. Me daba todavía entonces el deseo de conocer mejor la morada donde antaño vivieron los Verdurin y donde Swann, que entonces no era solamente unas letras escritas en un periódico, tantas veces había comido con Odette. Debemos añadir (y por esto la muerte de Swann fue para mí más dolorosa que otras, aunque estos motivos fueran ajenos a la singularidad individual de su muerte) que yo no había de ver a Gilberta, como le prometí en casa de la princesa de Guermantes; que Swann no llegó a decirme aquella «otra razón» a la que aludió aquella noche y por la que me eligió como confidente de su conversación con el príncipe; que emergían en mí mil preguntas (como burbujas subiendo del fondo del agua) que quería hacerle sobre las cosas más dispares: sobre Ver Meer, sobre el mismo monsieur de Mouchy, sobre un tapiz de Boucher, sobre Combray, preguntas seguramente poco urgentes, puesto que las había ido aplazando de un día a otro, pero que me parecían capitales desde que, ya sellados sus labios, no recibiría respuesta.
« Mais non, reprit Brichot, ce n′était pas ici que Swann rencontrait sa future femme, ou du moins ce ne fut ici que dans les tout à fait derniers temps, après le sinistre qui détruisit partiellement la première habitation de Madame Verdurin. » -Pues no -continuó Brichot-, no era aquí donde Swann se encontraba con su futura mujer, o al menos no fue aquí hasta los últimos tiempos, después del siniestro que destruyó parcialmente la primera casa de madame Verdurin.
Malheureusement, dans la crainte d′étaler aux yeux de Brichot un luxe qui me semblait déplacé puisque l′universitaire n′en prenait pas sa part, j′étais descendu trop précipitamment de la voiture, et le cocher n′avait pas compris ce que je lui avais jeté à toute vitesse pour avoir le temps de m′éloigner de lui avant que Brichot m′aperçût. La conséquence fut que le cocher vint nous accoster et me demanda s′il devait venir me reprendre ; je lui dis en hâte que oui et redoublai d′autant plus de respect à l′égard de l′universitaire venu en omnibus. Desgraciadamente, por miedo a ostentar ante Brichot un lujo que le parecía inoportuno, puesto que el universitario no participaba de él, me había apeado del coche demasiado precipitadamente, y el cochero no comprendió que le despaché a toda prisa para poder alejarme de él antes de que Brichot me viera. La consecuencia fue que el cochero se acercó a preguntarme si tenía que venir a recogerme; le dije muy de prisa que sí y redoblé mis respetos con el universitario que había venido en ómnibus.
« Ah ! vous étiez en voiture, me dit-il d′un air grave. — Mon Dieu, par le plus grand des hasards ; cela ne m′arrive jamais. Je suis toujours en omnibus ou à pied. Mais cela me vaudra peut-être le grand honneur de vous reconduire ce soir si vous consentez pour moi à entrer dans cette guimbarde ; nous serons un peu serrés. Mais vous êtes si bienveillant pour moi. » Hélas, en lui proposant cela, je ne me prive de rien, pensai-je, puisque je serai toujours obligé de rentrer à cause d′Albertine. Sa présence chez moi, à une heure où personne ne pouvait venir la voir, me laissait disposer aussi librement de mon temps que l′après-midi quand, au piano, je savais qu′elle allait revenir du Trocadéro, et que je n′étais pas pressé de la revoir. Mais enfin, comme l′après-midi aussi, je sentais que j′avais une femme et qu′en rentrant je ne connaîtrais pas l′exaltation fortifiante de la solitude. « J′accepte de grand cœur, me répondit Brichot. À l′époque à laquelle vous faites allusion nos amis habitaient, rue Montalivet, un magnifique rez-de-chaussée avec entresol donnant sur un jardin, moins somptueux évidemment, et que pourtant je préfère à l′hôtel des Ambassadeurs de Venise. » Brichot m′apprit qu′il y avait ce soir, au « Quai Conti » (c′est ainsi que les fidèles disaient en parlant du salon Verdurin depuis qu′il s′était transporté là), grand « tra la la » musical, organisé par M. de Charlus. Il ajouta qu′au temps ancien dont je parlais, le petit noyau était autre et le ton différent, pas seulement parce que les fidèles étaient plus jeunes. Il me raconta des farces d′Elstir (ce qu′il appelait de « pures pantalonnades »), comme un jour où celui-ci, ayant feint de lâcher au dernier moment, était venu déguisé en maître d′hôtel extra et, tout en passant les plats, avait dit des gaillardises à l′oreille de la très prude baronne Putbus, rouge d′effroi et de colère ; puis, disparaissant avant la fin du dîner, avait fait apporter dans le salon une baignoire pleine d′eau, d′où, quand on était sorti de table, il était émergé tout nu en poussant des jurons ; et aussi des soupers où on venait dans des costumes en papier, dessinés, coupés, peints par Elstir, qui étaient des chefs-d′œuvre, Brichot ayant porté une fois celui d′un grand seigneur de la cour de Charles VII, avec des souliers à la poulaine, et une autre fois celui de Napoléon Ier, où Elstir avait fait le grand cordon de la Légion d′honneur avec de la cire à cacheter. Bref Brichot, revoyant dans sa pensée le salon d′alors, avec ses grandes fenêtres, ses canapés bas mangés par le soleil de midi et qu′il avait fallu remplacer, déclarait pourtant qu′il le préférait à celui d′aujourd′hui. Certes, je comprenais bien que par « salon » Brichot entendait — comme le mot église ne signifie pas seulement l′édifice religieux mais la communauté des fidèles — non pas seulement l′entresol, mais les gens qui le fréquentaient, les plaisirs particuliers qu′ils venaient chercher là, et auxquels dans sa mémoire avaient donné leur forme ces canapés sur lesquels, quand on venait voir Mme Verdurin l′après-midi, on attendait qu′elle fût prête, cependant que les fleurs des marronniers, dehors, et sur la cheminée des œillets dans des vases, semblaient, dans une pensée de gracieuse sympathie pour le visiteur, que traduisait la souriante bienvenue de ces couleurs roses, épier fixement la venue tardive de la maîtresse de maison. Mais si le salon lui semblait supérieur à l′actuel, c′était peut-être parce que notre esprit est le vieux Protée, qui ne peut rester esclave d′aucune forme, et, même dans le domaine mondain, se dégage soudain d′un salon arrivé lentement et difficilement à son point de perfection pour préférer un salon moins brillant, comme les photographies « retouchées » qu′Odette avait fait faire chez Otto, où, élégante, elle était en grande robe princesse et ondulée par Lenthéric, ne plaisaient pas tant à Swann qu′une petite « carte album » faite à Nice, où, en capeline de drap, les cheveux mal arrangés dépassant un chapeau de paille brodé de pensées avec un nœud de velours noir, de vingt ans plus jeune (les femmes ayant généralement l′air d′autant plus vieux que les photographies sont plus anciennes), elle avait l′air d′une petite bonne qui aurait eu vingt ans de plus. Peut-être aussi avait-il plaisir à me vanter ce que je ne connaîtrais pas, à me montrer qu′il avait goûté des plaisirs que je ne pourrais pas avoir ? Il y réussissait, du reste, car rien qu′en citant les noms de deux ou trois personnes qui n′existaient plus et à chacune desquelles il donnait quelque chose de mystérieux par sa manière d′en parler, de ces intimités délicieuses je me demandais ce qu′il avait pu être ; je sentais que tout ce qu′on m′avait raconté des Verdurin était beaucoup trop grossier ; et même Swann, que j′avais connu, je me reprochais de ne pas avoir fait assez attention à lui, de n′y avoir pas fait attention avec assez de désintéressement, de ne pas l′avoir bien écouté quand il me recevait en attendant que sa femme rentrât déjeuner et qu′il me montrait de belles choses, maintenant que je savais qu′il était comparable à l′un des plus beaux causeurs d′autrefois. Au moment d′arriver chez Mme Verdurin, j′aperçus M. de Charlus naviguant vers nous de tout son corps énorme, traînant sans le vouloir à sa suite un de ces apaches ou mendigots que son passage faisait maintenant infailliblement surgir même des coins en apparence les plus déserts, et dont ce monstre puissant était, bien malgré lui, toujours escorté quoique à quelque distance, comme le requin par son pilote, enfin contrastant tellement avec l′étranger hautain de la première année de Balbec, à l′aspect sévère, à l′affectation de virilité, qu′il me sembla découvrir, accompagné de son satellite, un astre à une tout autre période de sa révolution et qu′on commence à voir dans son plein, ou un malade envahi maintenant par le mal qui n′était, il y a quelques années, qu′un léger bouton qu′il dissimulait aisément et dont on ne soupçonnait pas la gravité. Bien que l′opération qu′avait subie Brichot lui eût rendu un tout petit peu de cette vue qu′il avait cru perdre pour jamais, je ne sais s′il avait aperçu le voyou attaché aux pas du baron. Il importait peu, du reste, car depuis la Raspelière, et malgré l′amitié que l′universitaire avait pour lui, la présence de M. de Charlus lui causait un certain malaise. Sans doute pour chaque homme la vie de tout autre prolonge, dans l′obscurité, des sentiers qu′on ne soupçonne pas. Le mensonge, pourtant, si souvent trompeur, et dont toutes les conversations sont faites, cache moins parfaitement un sentiment d′inimitié, ou d′intérêt, ou une visite qu′on veut avoir l′air de ne pas avoir faite, ou une escapade avec une maîtresse d′un jour et qu′on veut cacher à sa femme, qu′une bonne réputation ne recouvre — à ne pas les laisser deviner — des mœurs mauvaises. Elles peuvent être ignorées toute la vie ; le hasard d′une rencontre sur une jetée, le soir, les révèle ; encore ce hasard est-il souvent mal compris, et il faut qu′un tiers averti vous fournisse l′introuvable mot que chacun ignore. Mais, sues, elles effrayent parce qu′on y sent affluer la folie, bien plus que par moralité. Mme de Surgis n′avait pas un sentiment moral le moins du monde développé, et elle eût admis de ses fils n′importe quoi qu′eût avili et expliqué l′intérêt, qui est compréhensible à tous les hommes. Mais elle leur défendit de continuer à fréquenter M. de Charlus quand elle apprit que, par une sorte d′horlogerie à répétition, il était comme fatalement amené, à chaque visite, à leur pincer le menton et à le leur faire pincer l′un l′autre. Elle éprouva ce sentiment inquiet du mystère physique qui fait se demander si le voisin avec qui on avait de bons rapports n′est pas atteint d′anthropophagie et aux questions répétées du baron : « Est-ce que je ne verrai pas bientôt les jeunes gens ? » elle répondit, sachant les foudres qu′elle accumulait sur elle, qu′ils étaient très pris par leurs cours, les préparatifs d′un voyage, etc. L′irresponsabilité aggrave les fautes et même les crimes, quoi qu′on en dise. Landru, à supposer qu′il ait réellement tué ses femmes, s′il l′a fait par intérêt, à quoi l′on peut résister, peut être gracié, mais non si ce fut par un sadisme irrésistible. LES grosses plaisanteries de Brichot, au début de son amitié avec le baron, avaient fait place chez lui, dès qu′il s′était agi non plus de débiter des lieux communs, mais de comprendre, à un sentiment pénible que voilait la gaîté. Il se rassurait en récitant des pages de Platon, des vers de Virgile, parce qu′aveugle d′esprit aussi, il ne comprenait pas qu′alors aimer un jeune homme était comme aujourd′hui (les plaisanteries de Socrate le révèlent mieux que les théories de Platon) entretenir une danseuse, puis se fiancer. M. de Charlus lui-même ne l′eût pas compris, lui qui confondait sa manie avec l′amitié, qui ne lui ressemble en rien, et les athlètes de Praxitèle avec de dociles boxeurs. Il ne voulait pas voir que, depuis dix-neuf cents ans (« un courtisan dévot sous un prince dévot eût été athée sous un prince athée », a dit La Bruyère), toute l′homosexualité de coutume — celle des jeunes gens de Platon comme des bergers de Virgile — a disparu, que seule surnage et se multiplie l′involontaire, la nerveuse, celle qu′on cache aux autres et qu′on travestit à soi-même. Et M. de Charlus aurait eu tort de ne pas renier franchement la généalogie pane. En échange d′un peu de beauté plastique, que de supériorité morale ! Le berger de Théocrite qui soupire pour un jeune garçon, plus tard n′aura aucune raison d′être moins dur de cœur, et d′esprit plus fin, que l′autre berger dont la flûte résonne pour Amaryllis. Car le premier n′est pas atteint d′un mal, il obéit aux modes du temps. C′est l′homosexualité survivante malgré les obstacles, honteuse, flétrie, qui est la seule vraie, la seule à laquelle puisse correspondre chez le même être un affinement des qualités morales. On tremble au rapport que le physique peut avoir avec celles-ci quand on songe au petit déplacement de goût purement physique, à la tare légère d′un sens, qui expliquent que l′univers des poètes et des musiciens, si fermé au duc de Guermantes, s′entr′ouvre pour M. de Charlus. Que ce dernier ait du goût dans son intérieur, qui est d′une ménagère bibeloteuse, cela ne surprend pas ; mais l′étroite brèche qui donne jour sur Beethoven et sur Véronèse ! Cela ne dispense pas les gens sains d′avoir peur quand un fou qui a composé un sublime poème, leur ayant expliqué par les raisons les plus justes qu′il est enfermé par erreur, par la méchanceté de sa femme, les suppliant d′intervenir auprès du directeur de l′asile, gémissant sur les promiscuités qu′on lui impose, conclut ainsi : « Tenez, celui qui va venir me parler dans le préau, dont je suis obligé de subir le contact, croit qu′il est Jésus-Christ. Or cela seul suffit à me prouver avec quels aliénés on m′enferme, il ne peut pas être Jésus-Christ, puisque Jésus-Christ c′est moi ! » Un instant auparavant on était prêt à aller dénoncer l′erreur au médecin aliéniste. Sur ses derniers mots, et même si on pense à l′admirable poème auquel travaille chaque jour le même homme on s′éloigne, comme les fils de Mme de Surgis s′éloignaient de M. de Charlus, non qu′il leur eût fait aucun mal, mais à cause du luxe d′invitations dont le terme était de leur pincer le menton. Le poète est à plaindre, et qui n′est guidé par aucun Virgile, d′avoir à traverser les cercles d′un enfer de soufre et de poix, de se jeter dans le feu qui tombe du ciel pour en ramener quelques habitants de Sodome ! Aucun charme dans son œuvre ; la même sévérité dans sa vie qu′aux défroqués qui suivent la règle du célibat le plus chaste pour qu′on ne puisse pas attribuer à autre chose qu′à la perte d′une croyance d′avoir quitté la soutane. -¡Ah!, ha venido en coche -me dijo con gesto grave. -Por pura casualidad; no me ocurre nunca, voy siempre en ómnibus o a pie. Pero acaso esto me valdrá el gran honor de llevarle esta noche si accede por mí a subir a este cacharro. Iremos un poco apretados, pero es usted tan amable conmigo. «No me privo de nada proponiéndole esto -pensé-, pues de todas maneras tendré que volver por causa de Albertina.» Su presencia en mi casa a una hora donde nadie podía ir a verla me permitía disponer de mi tiempo tan libremente como por la tarde, cuando, sabiendo que iba a volver del Trocadero, no tenía prisa de volver a verla. Pero, en fin, también como por la tarde, sentía que tenía una mujer y que al volver a casa no disfrutaría la exaltación fortificante de la soledad. -Acepto con mucho gusto -me contestó Brichot-. En la época a que usted se refiere, nuestros amigos vivían en la Rue Montalivet, en un magnífico piso bajo con entresuelo que daba a un jardín, desde luego menos suntuoso, pero que yo prefiero al hotel de los Embajadores de Venecia. Brichot me informó de que aquella noche había en el «Quai Conti» (así decían los fieles hablando del salón Verdurin desde que se trasladó allí) un gran «tra la la» musical organizado por monsieur de Charlus. Añadió que en la época antigua de que yo hablaba el pequeño núcleo era otro y el tono diferente, y no sólo porque los fieles eran más jóvenes. Me contó algunas bromas de Elstir (lo que él llamaba «puras pantalonadas»), como un día en que, a última hora, fingió que desertaba, acudió disfrazado de camarero y, al pasar las fuentes, le dijo al oído ciertas cosas picantes a la mojigata baronesa Putbus, que enrojeció de espanto y de ira; después desapareció antes de terminar la comida e hizo llevar al salón una bañera llena de agua; cuando los comensales se levantaron de la mesa, Elstir emergió de la bañera completamente desnudo diciendo palabrotas; hubo otras comidas a las que los invitados asistían con trajes de papel dibujados, cortados y pintados por Elstir, que eran obras maestras; Brichot se vistió una vez de gran señor de la corte de Carlos VII, con zapatos de punta retorcida, y otra de Napoleón I, con el gran cordón de la Legión de Honor hecho por Elstir con lacre. En fin, Brichot, evocando en su mente el salón de entonces, con sus grandes ventanas, con sus canapés bajos desteñidos por el sol del mediodía y que había habido que reemplazar, declaraba, sin embargo, que lo prefería al de hoy. Naturalmente, yo comprendía muy bien que Brichot entendía por «salón» -como la palabra iglesia no significa solamente el edificio religioso, sino la comunidad de los fieles- no sólo el entresuelo, sino las personas que lo frecuentaban, las diversiones especiales que iban a buscar allí, diversiones que, en su memoria, adoptaban la forma de aquellos canapés en los que, cuando iban a ver a madame Verdurin por la tarde, esperaban los visitantes a que ella saliera, mientras fuera las flores rosa de los castaños de Indias, y en la chimenea los claveles en jarrones parecían espiar fijamente, en un pensamiento de graciosa simpatía para el visitante, expresado por la sonriente bienvenida de sus colores rosas, la entrada tardía de la dueña de la casa. Pero si aquel «salón» le parecía superior al actual, era quizá porque nuestro espíritu es el viejo Proteo: no puede permanecer esclavo de ninguna forma y, hasta en los dominios mundanos, se marcha pronto de un salón que ha llegado lenta y difícilmente a su punto de perfección y se va a otro menos brillante, como las fotografías «retocadas» que Odette había encargado al fotógrafo Otto, en las que estaba vestida de princesa y ondulada por Lenthéric, no le gustaban a Swann tanto como una pequeña «foto de álbum» hecha en Niza en la que Odette, con una capelina de paño, el pelo mal peinado saliendo de un sombrero de paja bordado de pensamientos con un lazo de terciopelo negro, elegante con veinte años menos, parecía una criadita de veinte años más (pues las mujeres parecen más viejas cuanto más antiguas son las fotografías). Quizá también se complacía en alabarme lo que yo no iba a conocer, en demostrarme que él había gozado placeres que yo no podría gozar. Y, desde luego, lograba su propósito con sólo citar los nombres de dos o tres personas que ya no vivían y a las que, con su manera de hablar de ellos, daba algo de misterioso; yo sentía que todo lo que me habían contado de los Verdurin era demasiado burdo; y hasta hablando de Swann, al que conocí, me reprochaba no haber puesto más atención en él, no haberla puesto con bastante desinterés, no haberle escuchado bien cuando me recibía mientras su mujer volvía para el almuerzo y él me enseñaba cosas bellas, ahora que yo sabía que era comparable a uno de los más exquisitos conversadores de otro tiempo. Al llegar a casa de madame Verdurin, divisé a monsieur de Charlus navegando hacia nosotros con todo su enorme cuerpo, arrastrando tras él, sin querer, a uno de esos apaches o mendigos que a su paso surgían ahora infaliblemente hasta de los rincones que parecían más desiertos, donde aquel poderoso monstruo, bien a su pesar, iba siempre escoltado, aunque a alguna distancia, como el tiburón por su piloto, contrastando, en fin, de tal manera con el altivo forastero del primer año de Balbec, con su aspecto sereno, su afectación de virilidad, que me pareció descubrir un astro, acompañado de su satélite, en una fase muy distinta de su revolución y cerca ya de su apogeo, o un enfermo ya invadido por el mal que hace unos años era sólo un granito fácilmente disimulado y cuya gravedad no se sospechaba. Aunque la operación sufrida por Brichot le había devuelto un poquito de la vista que había creído perder para siempre, no sé si vio al granuja que le seguía los pasos al barón. De todos modos importaba poco, pues desde la Raspelière, y a pesar de la amistad que el universitario tenía con él, la presencia de monsieur de Charlus le producía cierto malestar. Para cada hombre, la vida de cualquier otro hombre prolonga, en la oscuridad, senderos insospechados. La mentira, de la que están hechas todas las conversaciones, aunque tan a menudo logre engañar, no oculta un sentimiento de inamistad, o de interés, o una visita que se quiere aparentar no deseada, o una escapada con una querida sin que lo sepa la mujer, tan perfectamente como una buena fama tapa unas malas costumbres sin dejarlas adivinar. Pueden permanecer ignoradas toda la vida; hasta que una noche la casualidad de un encuentro las descubre; y aun a veces no se entiende bien la cosa, y es preciso que un tercero enterado nos dé la incógnita palabra que todos ignoran. Pero sabidas esas costumbres, nos asustan porque vemos en ellas la locura, mucho más que por razones morales. Madame de Surgis le Duc no tenía en absoluto un sentimiento moral desarrollado, y hubiera admitido en sus hijos cualquier cosa envilecida y explicada por el interés, comprensible para todos los hombres. Pero les prohibió seguir tratando a monsieur de Charlus cuando se enteró de que, en cada visita, el barón era fatalmente impulsado como por una especie de relojería de repetición, a pellizcarles la barbilla y a que, el uno y el otro, se la pellizcaran a él. Madame Surgis experimentó esa inquieta sensación del misterio físico que nos hace preguntarnos si el vecino con el que estamos en buenas relaciones no es antropófago, y a las reiteradas preguntas del barón: «¿Veré pronto a los muchachos?», contestaba la madre, consciente de los rayos que acumulaba contra ella, que estaban muy ocupados con sus estudios, los preparativos de viaje, etc. La irresponsabilidad, dígaselo que se diga, agrava las faltas y hasta los crímenes. Landrú, suponiendo que realmente haya matado a mujeres, si lo ha hecho por interés, contra el que se puede resistir, puede ser indultado, pero no si lo ha hecho por un sadismo irresistible. Las pesadas bromas de Brichot al principio de su amistad con el barón, cuando ya se trató, no de soltar lugares comunes, sino de comprender, fueron sustituidas por un sentimiento penoso disfrazado de jovialidad. Se tranquilizaba recitando páginas de Platón, versos de Virgilio, porque, ciego también de espíritu, no comprendía que entonces amar a un joven era (las eutrapelias de Sócrates lo revelan mejor que las teorías de Platón) como hoy sostener a una bailarina y después casarse. Ni el mismo monsieur de Charlus lo hubiera comprendido, él que confundía su manía con la amistad, que no se le parece en nada, y a los atletas de Praxiteles con dóciles boxeadores. No quería ver que desde hacía mil novecientos años («un cortesano devoto bajo un príncipe devoto hubiera sido un ateo bajo un príncipe ateo», ha dicho La Bruyère) toda la homosexualidad de costumbre -la de los efebos de Platón como la de los pastores de Virgilio- ha desaparecido, que sólo sobrevive y se multiplica la involuntaria, la nerviosa, la que se oculta a los demás y se disfraza a sí misma. Y monsieur de Charlus hubiera hecho mal en no renegar francamente de la genealogía pagana. A cambio de un poco de belleza plástica, ¡cuánta superioridad moral! El pastor de Teócrito que suspira por un zagal no tendrá después ninguna razón para ser menos duro de corazón y más fino de espíritu que el otro pastor cuya flauta suena por Amarilis. Pues el primero no padece un mal, obedece a las modas del tiempo. Es la homosexualidad sobreviviente a pesar de los obstáculos, avergonzada, humillada, la única verdadera, la única a la que pueda corresponder en el mismo ser un refinamiento de las cualidades morales. Temblamos ante la relación que lo físico pueda tener con éstas cuando pensamos en el pequeño cambio del gusto puramente físico, en la ligera tara de un sentido, que explican que el universo de los poetas y de los músicos, tan cerrado para el duque de Guermantes, se entreabra para monsieur de Charlus. Que ésta tenga gusto en su casa, el gusto de un ama de casa amiga de los bibelots, no es sorprendente; ¡pero la estrecha brecha que se abre hacia Beethoven y hacia el Veroneso! Mas esto no dispensa a las personas sanas de tener miedo cuando un loco que ha compuesto un sublime poema les explica con las razones más convincentes que está encerrado por error, por maldad de su mujer, les suplica que intervengan cerca del director del asilo y, lamentándose de las promiscuidades que le imponen, concluye así: «Mire, ese que va a venir a hablarme en el recreo, y que no tengo más remedio que rozarme con él, cree que es Jesucristo. Bastaría esto para demostrarme con qué locos rematados me encierran; ése no puede ser Jesucristo, porque Jesucristo soy yo.» Un momento antes, el visitante estaba dispuesto a ir a denunciar el error al médico alienista. Al oír estas palabras, y aun pensando en el admirable poema en que aquel hombre trabaja cada día, el visitante se aleja, como se alejaban de monsieur de Charlus los hijos de madame de Surgis, no porque les hiciera ningún mal, sino por tantas invitaciones que acababan pellizcándoles la barbilla. El poeta es de compadecer por tener que atravesar, y sin que le guíe ningún Virgilio, los círculos de un infierno de azufre y de pez y arrojarse al fuego que cae del cielo, para salvar a algunos habitantes de Sodoma. Ningún encanto en su obra; la misma severidad en su vida que en los clérigos exclaustrados que siguen la regla del más casto celibato para que no digan que han colgado los hábitos por otra causa que la pérdida de una creencia.
Â… Y ni siquiera es siempre así cuando se trata de escritores. ¿Qué médico de locos no habrá tenido, a fuerza de tratarlos, su crisis de locura? Y menos mal si puede afirmar que no es una locura anterior y latente lo que le había llevado a ocuparse de ellos. En el psiquiatra, el objeto de sus estudios suele reflejarse en él. Pero antes de esto, ¿qué oscura inclinación, qué fascinador espanto le hizo elegir ese objeto?
Faisant semblant de ne pas voir le louche individu qui lui avait emboîté le pas (quand le baron se hasardait sur les boulevards, ou traversait la salle des Pas-Perdus de la gare Saint-Lazare, ces suiveurs se comptaient par douzaines qui, dans l′espoir d′avoir une thune, ne le lâchaient pas) et de peur que l′autre ne s′enhardît à lui parler, le baron baissait dévotement ses cils noircis qui, contrastant avec ses joues poudrerizées, le faisaient ressembler à un grand inquisiteur peint par le Greco. Mais ce prêtre faisait peur et avait l′air d′un prêtre interdit, diverses compromissions auxquelles l′avait obligé la nécessité d′exercer son goût et d′en protéger le secret ayant eu pour effet d′amener à la surface du visage précisément ce que le baron cherchait à cacher, une vie crapuleuse racontée par la déchéance morale. Celle-ci, en effet, quelle qu′en soit la cause, se lit aisément, car elle ne tarde pas à se matérialiser, et prolifère sur un visage, particulièrement dans les joues et autour des yeux, aussi physiquement que s′y accumulent les jaunes ocreux dans une maladie de foie ou les répugnantes rougeurs dans une maladie de peau. Ce n′était pas, d′ailleurs, seulement dans les joues, ou mieux les bajoues de ce visage fardé, dans la poitrine tétonnière, la croupe rebondie de ce corps livré au laisser-aller et envahi par l′embonpoint, que surnageait maintenant, étalé comme de l′huile, le vice jadis si intimement renfoncé par M. de Charlus au plus secret de lui-même. Il débordait maintenant dans ses propos. Haciendo como que no veía al turbio individuo que le seguía de cerca (cuando el barón se aventuraba por los bulevares o atravesaba los andenes de la estación de Saint-Lazare, se contaban por docenas esos buscones que, con la esperanza de conseguir una moneda, no le soltaban), y por miedo a que el otro no se animara a hablarle, el barón bajaba devotamente sus negras cejas que, contrastando con sus mejillas empolvadas, le daban la traza de un gran inquisidor pintado por el Greco. Pero este clérigo daba miedo y parecía un sacerdote privado de las licencias, porque los diversos compromisos a que le había obligado la necesidad de ejercer su afición y de ocultarla produjeron el efecto de que se le viera en la cara precisamente lo que quería esconder, una vida de crápula contada por la degeneración moral. En efecto, ésta se lee fácilmente cualquiera que sea su causa, pues no tarda en materializarse y prolifera en un rostro, especialmente en las mejillas y en torno a los ojos, tan físicamente como el amarillo ocre cuando se padece del hígado, o las repugnantes rojeces de una enfermedad de la piel. Además, no era sólo en las mejillas colgantes de aquella cara pintada, en el pecho tetudo, en la grupa saliente de aquel cuerpo descuidado e invadido por el opulento abdomen donde sobrenadaba ahora, extendido como el aceite, el vicio que monsieur de Charlus guardara antes tan íntimamente en lo más secreto de sí mismo. Ahora se desbordaba en sus palabras.
« C′est comme ça, Brichot, que vous vous promenez la nuit avec un beau jeune homme, dit-il en nous abordant, cependant que le voyou désappointé s′éloignait. C′est du beau. On le dira à vos petits élèves de la Sorbonne que vous n′êtes pas plus sérieux que cela. Du reste, la compagnie de la jeunesse vous réussit, Monsieur le Professeur, vous êtes frais comme une petite rose. Je vous ai dérangés, vous aviez l′air de vous amuser comme deux petites folles, et vous n′aviez pas besoin d′une vieille grand′maman rabat-joie comme moi. Je n′irai pas à confesse pour cela, puisque vous étiez presque arrivés. » Le baron était d′humeur d′autant plus gaie qu′il ignorait entièrement la scène de l′après-midi, Jupien ayant jugé plus utile de protéger sa nièce contre un retour offensif que d′aller prévenir M. de Charlus. Aussi celui-ci croyait-il toujours au mariage et s′en réjouissait-il. On dirait que c′est une consolation pour ces grands solitaires que de donner à leur célibat tragique l′adoucissement d′une paternité fictive. « Mais, ma parole, Brichot, ajouta-t-il, en se tournant en riant vers nous, j′ai du scrupule en vous voyant en si galante compagnie. Vous aviez l′air de deux amoureux. Bras dessus, bras dessous, dites donc, Brichot, vous en prenez des libertés ! » Fallait-il attribuer pour cause à de telles paroles le vieillissement d′une telle pensée, moins maîtresse que jadis de ses réflexes, et qui, dans des instants d′automatisme, laisse échapper un secret si soigneusement enfoui pendant quarante ans ? Ou bien était-ce dédain pour l′opinion des roturiers qu′avaient au fond tous les Guermantes et dont le frère de M. de Charlus, le duc, présentait une autre forme quand, fort insoucieux que ma mère pût le voir, il se faisait la barbe en chemise de nuit ouverte, à sa fenêtre ? M. de Charlus avait-il contracté, durant les trajets brûlants de Doncières à Doville, la dangereuse habitude de se mettre à l′aise et, comme il y rejetait en arrière son chapeau de paille pour rafraîchir son énorme front, de desserrer, au début, pour quelques instants seulement, le masque depuis trop longtemps rigoureusement attaché à son vrai visage ? Les manières conjugales de M. de Charlus avec Morel auraient à bon droit étonné qui les aurait entièrement connues. Mais il était arrivé à M. de Charlus que la monotonie des plaisirs qu′offre son vice l′avait lassé. Il avait instinctivement cherché de nouvelles performances, et après s′être fatigué des inconnus qu′il rencontrait, était passé au pôle opposé, à ce qu′il avait cru qu′il détesterait toujours, à l′imitation d′un « ménage » ou d′une « paternité ». Parfois cela ne lui suffisait même plus, il lui fallait du nouveau, il allait passer la nuit avec une femme de la même façon qu′un homme normal peut, une fois dans sa vie, avoir voulu coucher avec un garçon, par une curiosité semblable, inverse, et dans les deux cas également malsaine. L′existence de « fidèle » du baron, ne vivant, à cause de Charlie, que dans le petit clan, avait eu, pour briser les efforts qu′il avait faits longtemps pour garder des apparences menteuses, la même influence qu′un voyage d′exploration ou un séjour aux colonies chez certains Européens, qui y perdent les principes directeurs qui les guidaient en France. Et pourtant la révolution interne d′un esprit, ignorant au début de l′anomalie qu′il portait en soi, puis épouvanté devant elle quand il l′avait reconnue, et enfin s′étant familiarisé avec elle jusqu′à ne plus s′apercevoir qu′on ne pouvait sans danger avouer aux autres ce qu′on avait fini par s′avouer sans honte à soi-même, avait été plus efficace encore, pour détacher M. de Charlus des dernières contraintes sociales, que le temps passé chez les Verdurin. Il n′est pas, en effet, d′exil au pôle Sud, ou au sommet du Mont-Blanc, qui nous éloigne autant des autres qu′un séjour prolongé au sein d′un vice intérieur, c′est-à-dire d′une pensée différente de la leur. Vice (ainsi M. de Charlus le qualifiait-il autrefois) auquel le baron prêtait maintenant la figure débonnaire d′un simple défaut, fort répandu, plutôt sympathique et presque amusant, comme la paresse, la distraction ou la gourmandise. Sentant les curiosités que la particularité de son personnage excitait, M. de Charlus éprouvait un certain plaisir à les satisfaire, à les piquer, à les entretenir. De même que tel publiciste juif se fait chaque jour le champion du catholicisme, non pas probablement avec l′espoir d′être pris au sérieux, mais pour ne pas décevoir l′attente des rieurs bienveillants, M. de Charlus flétrissait plaisamment les mauvaises mœurs dans le petit clan, comme il eût contrefait l′anglais ou imité Mounet-Sully, sans attendre qu′on l′en priât, et pour payer son écot avec bonne grâce, en exerçant en société un talent d′amateur ; de sorte que M. de Charlus menaçait Brichot de dénoncer à la Sorbonne qu′il se promenait maintenant avec des jeunes gens de la même façon que le chroniqueur circoncis parle à tout propos de la « fille aînée de l′Église » et du « Sacré-Cœur de Jésus », c′est-à-dire sans ombre de tartuferie, mais avec une pointe de cabotinage. Ce n′est pas seulement du changement des paroles elles-mêmes, si différentes de celles qu′il se permettait autrefois, qu′il serait curieux de chercher l′explication, mais encore de celui survenu dans les intonations, les gestes, qui les uns et les autres ressemblaient singulièrement maintenant à ce que M. de Charlus flétrissait le plus âprement autrefois ; il poussait maintenant, involontairement, presque les mêmes petits cris (chez lui involontaires et d′autant plus profonds) que jettent, volontairement, eux, les invertis qui s′interpellent en s′appelant « ma chère » ; comme si ce « chichi » voulu, dont M. de Charlus avait pris si longtemps le contrepied, n′était en effet qu′une géniale et fidèle imitation des manières qu′arrivent à prendre, quoi qu′ils en aient, les Charlus, quand ils sont arrivés à une certaine phase de leur mal, comme un paralytique général ou un ataxique finissent fatalement par présenter certains symptômes. En réalité — et c′est ce que ce chichi tout intérieur révélait — il n′y avait entre le sévère Charlus tout de noir habillé, aux cheveux en brosse, que j′avais connu, et les jeunes gens fardés, chargés de bijoux, que cette différence purement apparente qu′il y a entre une personne agitée qui parle vite, remue tout le temps, et un névropathe qui parle lentement, conserve un flegme perpétuel, mais est atteint de la même neurasthénie aux yeux du clinicien qui sait que celui-ci comme l′autre est dévoré des mêmes angoisses et frappé des mêmes tares. Du reste, on voyait que M. de Charlus avait vieilli à des signes tout différents, comme l′extension extraordinaire qu′avaient prise dans sa conversation certaines expressions qui avaient proliféré et qui revenaient maintenant à tout moment (par exemple : « l′enchaînement des circonstances ») et auxquelles la parole du baron s′appuyait de phrase en phrase comme à un tuteur nécessaire. « Est-ce que Charlie est déjà arrivé ? » demanda Brichot à M. de Charlus comme nous apercevions la porte de l′hôtel. « Ah ! je ne sais pas », dit le baron en levant les mains et en fermant à demi les yeux, de l′air d′une personne qui ne veut pas qu′on l′accuse d′indiscrétion, d′autant plus qu′il avait eu probablement des reproches de Morel pour des choses qu′il avait dites et que celui-ci, froussard autant que vaniteux, et reniant M. de Charlus aussi volontiers qu′il se parait de lui, avait cru graves quoique en réalité insignifiantes. « Vous savez que je ne sais rien de ce qu′il fait. » Si des conversations de deux personnes qui ont entre elles une liaison sont pleines de mensonges, ceux-ci ne naissent pas moins naturellement dans les conversations qu′un tiers a avec un amant au sujet de la personne que ce dernier aime, quel que soit, d′ailleurs, le sexe de cette personne. -¿De modo, amigo Brichot, que se pasea usted de noche con un buen mozo? -dijo abordándonos, ahora que se alejaba el canallita defraudado-. ¡Muy bonito! Les diremos a sus discipulitos de la Sorbona lo poco serio que es usted. Y la verdad es que la compañía de la juventud le sienta muy bien, señor profesor, está usted lozano como una rosa. Los he importunado, parecían tan contentos como dos muchachuelas, y maldita la falta que les hacía una abuela aguafiestas como yo. Pero no tendré que ir a confesarme de esto, porque casi habían llegado ya. -El barón estaba de buen humor, pues ignoraba por completo la escena de la tarde, ya que Jupien consideró más conveniente proteger a su hija contra una nueva ofensa que ir a avisar a monsieur de Charlus. De modo que éste seguía creyendo en la boda y se congratulaba de ella. Dijérase que para esos grandes solitarios es un consuelo dar a su celibato trágico el lenitivo de una paternidad ficticia Palabra de honor, Brichot -añadió volviéndose hacia nosotros riendo-, siento escrúpulos al verle en tan galante compañía. Parecían dos enamorados. Cogiditos del brazo, ¡qué libertades se toma usted, Brichot! ¿Había que atribuir estas palabras a que su pensamiento, envejecido, era menos dueño de sus reflejos y en momentos de automatismo dejaba escapar un secreto tan celosamente guardado durante cuarenta años? ¿O sería más bien aquel desprecio que tenían en el fondo todos los Guermantes por la opinión de los plebeyos y que en el hermano de monsieur de Charlus, el duque, presentaba otra forma cuando, sin importarle nada que mi madre pudiera verle, se afeitaba, con la camisa abierta, frente a su ventana? ¿Habría contraído monsieur de Charlus, en los calurosos trayectos de Doncières a Doville, la peligrosa costumbre de ponerse cómodo y, cuando se echaba hacia atrás el sombrero de paja para refrescarse la enorme frente, aflojarse, al principio sólo unos momentos, la careta que, desde tanto tiempo hacía, llevaba rigurosamente fija sobre su verdadero rostro? Las maneras conyugales de monsieur de Charlus con Morel hubieran sorprendido justificadamente a quien supiera que ya no le amaba. Pero a monsieur de Charlus le había cansado la monotonía de los placeres que su vicio ofrece. Buscó instintivamente nuevas experiencias, y, cansado también de lo desconocido que encontraba, pasó al polo opuesto, a lo que había creído que detestaría siempre, a la imitación de un «matrimonio» o de una «paternidad». A veces tampoco le bastaba esto y, en busca de la novedad, iba a pasar la noche con una mujer, de la misma manera que un hombre normal puede querer una vez en su vida acostarse con un mancebo, por una curiosidad semejante, aunque a la inversa, y en ambos casos igualmente malsana. La vida del barón como «fiel» del pequeño clan, a la que se sumó únicamente por Charlie, dio al traste con los esfuerzos durante tanto tiempo sostenidos para guardar las falsas apariencias, de la misma manera que un viaje de exploración o una temporada en las colonias hace perder a algunos europeos los principios que los guiaban en Francia. Y, sin embargo, la interna revolución de un espíritu que al principio ignorase la anomalía que llevaba en sí, aterrado luego cuando la reconoce y familiarizado, por último, con ella hasta el punto de no darse cuenta de que no puede confesar a los demás lo que ha acabado por confesarse a sí mismo, fue aún más eficaz, para liberar a monsieur de Charlus de los últimos miramientos sociales, que el tiempo pasado en casa de los Verdurin. Y es que no hay destierro en el Polo Sur, en la cumbre del Mont-Blanc que nos aleje de los demás tanto como una estancia prolongada en el seno de un vicio interior, es decir, de un pensamiento diferente del de aquéllos. Vicio (así lo calificaba en otro tiempo monsieur de Charlus) al que el barón prestaba ahora la figura inofensiva de un simple defecto, muy extendido, más bien simpático y casi gracioso, como la pereza, la distracción o la glotonería. Dándose cuenta de las curiosidades que suscitaba la singularidad de su persona, monsieur de Charlus sentía cierto placer en satisfacerlas, en incitarlas, en mantenerlas. De la misma manera que un determinado publicista judío se erige cada día en campeón del catolicismo, probablemente no con la esperanza de que le tomen en serio, sino para no defraudar la espera de los burlones benévolos, monsieur de Charlus fustigaba humorísticamente en el pequeño clan las malas costumbres, como quien habla en inglés macarrónico o imitando a Mounet-Sully, sin esperar a que se lo pidan y por pagar su escote espontáneamente ejerciendo en sociedad un talento de aficionado; y así, monsieur de Charlus amenazaba a Brichot con denunciar a la Sorbona que ahora se paseaba con mancebos, de la misma manera que el cronista circunciso habla sin venir a cuento de la «hija primogénita de la Iglesia» y del «Sagrado Corazón de Jesús», es decir, sin sombra de tartufismo, sino con un poquito de histrionismo. Y sería curioso buscar la explicación no sólo en el cambio de las palabras mismas, tan diferentes de las que se permitía antes, sino también en el de las entonaciones y los gestos, ahora muy parecidos unas y otros y lo que más duramente fustigaba antes monsieur de Charlus; ahora casi lanzaba involuntariamente los grititos que voluntariamente lanzan los invertidos cuando se interpelan llamándose «querida» -más auténticos en él precisamente por involuntarios-; como si esas afectadas carantoñas, durante tanto tiempo combatidas por monsieur de Charlus, no fueran en realidad sino una genial y fiel imitación de las maneras que los Charlus, cualesquiera que las suyas fueran, acaban por adoptar cuando llegan a cierta fase de su mal, como un paralítico general o un atáxico acaban fatalmente por presentar determinados síntomas. En realidad -y esto era lo que revelaba aquel amaneramiento puramente interior-, entre el severo Charlus todo vestido de negro, con el pelo en cepillo, que yo había conocido, y los jóvenes pintados, llenos de alhajas, no había más que la diferencia puramente exterior que hay entre una persona agitada que habla de prisa y se mueve sin parar y un neurópata que habla despacio y conserva una calma perpetua, pero padece la misma neurastenia a los ojos de un clínico que sabe que uno y otro están devorados por las mismas angustias y adolecen de las mismas taras. De todos modos, en otras señales muy diferentes se veía que monsieur de Charlus había envejecido, como en la frecuencia con que empleaba en su conversación ciertas expresiones que habían proliferado y surgían a cada momento (por ejemplo, «la concatenación de circunstancias») y en las cuales se apoyaba la palabra del barón de frase en frase como en un rodrigón. -¿Ha llegado ya Charlie? -preguntó Brichot a monsieur de Charlus cuando íbamos a llamar a la puerta del hotel. -¡Ah!, no lo sé -contestó el barón levantando las manos y entornando los ojos, como quien no quiere que le acusen de indiscreción, tanto más cuanto que, probablemente, Morel había reprochado al barón cosas dichas por éste y que él, tan cobarde como vanidoso y tan inclinado a renegar de monsieur de Charlus como a presumir de su amistad, creía graves aunque fueran insignificantes-. Yo no sé nada de lo que hace Morel. Si las conversaciones de dos personas que tienen entre sí una relación amorosa están llenas de mentiras, éstas surgen no menos naturalmente en las conversaciones de un tercero con un amante sobre la persona amada por éste, y eso cualquiera que sea el sexo de esta persona.
« Il y a longtemps que vous l′avez vu ? » demandai-je à M. de Charlus, pour avoir l′air à la fois de ne pas craindre de lui parler de Morel et de ne pas croire qu′il vivait complètement avec lui. « Il est venu par hasard cinq minutes ce matin, pendant que j′étais encore à demi endormi, s′asseoir sur le coin de mon lit, comme s′il voulait me violer. » J′eus aussitôt l′idée que M. de Charlus avait vu Charlie il y a une heure, car quand on demande à une maîtresse quand elle a vu l′homme qu′on sait — et qu′elle suppose peut-être qu′on croit — être son amant, si elle a goûté avec lui, elle répond : « Je l′ai vu un instant avant déjeuner. » Entre ces deux faits la seule différence est que l′un est mensonger et l′autre vrai, mais l′un est aussi innocent, ou, si l′on préfère, aussi coupable. Aussi ne comprendrait-on pas pourquoi la maîtresse (et ici M. de Charlus) choisit toujours le fait mensonger, si l′on ne savait pas que les réponses sont déterminées, à l′insu de la personne qui les fait, par un nombre de facteurs qui semble en disproportion telle avec la minceur du fait qu′on s′excuse d′en faire état. Mais pour un physicien la place qu′occupe la plus petite balle de sureau s′explique par la concordance d′action, le conflit ou l′équilibre, de lois d′attraction ou de répulsion qui gouvernent des mondes bien plus grands. Ne mentionnons ici que pour mémoire le désir de paraître naturel et hardi, le geste instinctif de cacher un rendez-vous secret, un mélange de pudeur et d′ostentation, le besoin de confesser ce qui vous est si agréable et de montrer qu′on est aimé, une pénétration de ce que sait ou suppose — et ne dit pas — l′interlocuteur, pénétration qui, allant au delà ou en deçà de la sienne, le fait tantôt sur- et tantôt sous-estimer le désir involontaire de jouer avec le feu et la volonté de faire la part du feu. Tout autant de lois différentes, agissant en sens contraire, dictent les réponses plus générales touchant l′innocence, le « platonisme », ou, au contraire, la réalité charnelle des relations qu′on a avec la personne qu′on dit avoir vue le matin quand on l′a vue le soir. Toutefois, d′une façon générale, disons que M. de Charlus, malgré l′aggravation de son mal qui le poussait perpétuellement à révéler, à insinuer, parfois tout simplement à inventer des détails compromettants, cherchait, pendant cette période de sa vie, à affirmer que Charlie n′était pas de la même sorte d′homme que lui, Charlus, et qu′il n′existait entre eux que de l′amitié. Cela n′empêchait pas (et bien que ce fût peut-être vrai) que parfois il se contredît (comme pour l′heure où il l′avait vu en dernier lieu), soit qu′il dît alors, en s′oubliant, la vérité, ou proférât un mensonge, pour se vanter, ou par sentimentalisme, ou trouvant spirituel d′égarer l′interlocuteur. « Vous savez qu′il est pour moi, continua le baron, un bon petit camarade, pour qui j′ai la plus grande affection, comme je suis sûr (en doutait-il donc, qu′il éprouvât le besoin de dire qu′il en était sûr ?) qu′il a pour moi, mais il n′y a entre nous rien d′autre, pas ça, vous entendez bien, pas ça, dit le baron aussi naturellement que s′il avait parlé d′une femme. Oui, il est venu ce matin me tirer par les pieds. Il sait pourtant que je déteste qu′on me voie couché. Pas vous ? Oh ! c′est une horreur, ça dérange, on est laid à faire peur, je sais bien que je n′ai plus vingt-cinq ans et je ne pose pas pour la rosière, mais on garde sa petite coquetterie tout de même. » -¿Hace mucho tiempo que le ha visto? -pregunté a monsieur de Charlus con la doble intención de no parecer que rehuía hablarle de Morel y que creía que vivía completamente con éste. -Vino por casualidad cinco minutos esta mañana, cuando yo estaba todavía medio dormido, a sentarse a los pies de mi cama, como si quisiera violarme. Pensé inmediatamente que monsieur de Charlus había visto a Charlie hacía una hora, pues cuando se le pregunta a una querida cuánto tiempo hace que ha visto al hombre que se sabe que es su amante -y que ella quizá supone que sólo se cree que lo es-, si ha merendado con él, contesta: «Le vi un momento antes de almorzar». Entre estos dos hechos no hay más que una diferencia: que el uno es falso y el otro cierto. Pero el primero es tan inocente, o, si se prefiere, tan culpable como el otro. Por eso no se comprendería por qué la querida (y aquí monsieur de Charlus) elige siempre el hecho falso, si no se supiera que esas respuestas son determinadas, independientemente de la persona que las da, por cierto número de factores tan desproporcionado, al parecer, con la insignificancia del hecho, que se renuncia a consignarlos. Mas, para un físico, el lugar que ocupa la más pequeña bola de saúco se explica por el conflicto o el equilibrio de leyes de atracción y de repulsión que gobiernan unos mundos mucho más grandes. Recordemos el deseo de parecer naturales y audaces, el gesto instintivo de ocultar una cita secreta, una mezcla de pudor y de ostentación, la necesidad de confesar lo que nos es tan agradable y de demostrar que nos aman, una penetración de lo que sabe o supone -y no dice- el interlocutor, penetración que, rebasando la suya o no llegando a ella, nos hace sobrestimarla unas veces y subestimarla otras, el deseo involuntario de jugar con el fuego y la voluntad de asumir la parte del fuego. De la misma manera, leyes diferentes, actuando en sentido contrario, dictan las respuestas más generales relacionadas con la inocencia, el «platonismo» o, por el contrario, la realidad carnal de las relaciones que se tienen con la persona a quien se dice haber visto por la mañana cuando la verdad es que se la vio por la noche. No obstante, diremos, en general, que monsieur de Charlus, a pesar de la agravación de su mal, agravación que le impulsaba constantemente a revelar, a insinuar, a veces simplemente a inventar detalles comprometedores, durante este período de su vida procuraba afirmar que Charlie no era de la misma clase de hombres que era él, Charlus, y que entre ellos no había más que amistad. Esto no impedía (aunque acaso fuera verdad) que a veces se contradijera (como sobre la hora a que le había visto la última vez), bien diciendo entonces, por olvido, la verdad, o profiriendo una mentira, por presumir, o por sentimentalismo, o porque le pareciera inteligente despistar al interlocutor. -Para mí -continuó el barón- es un buen compañerito al que tengo mucho afecto, como estoy seguro -¿es que lo dudaba y por eso sentía la necesidad de decir que estaba seguro?- de que él me lo tiene a mí, pero entre nosotros no hay nada más, no hay eso, entiéndanlo bien, no hay eso -recalcó el barón tan naturalmente como si se tratara de una mujer-. Sí, fue esta mañana a tirarme de los pies. Y, sin embargo, sabe muy bien que me revienta que me vean en la cama. ¿A usted no? ¡Oh!, es horrible, es una cosa desagradable, está uno tan feo que da miedo, yo sé muy bien que ya no tengo veinticinco años y no voy a presumir de doncellita, pero de todos modos siempre conserva uno su poco de coquetería.
Il est possible que le baron fût sincère quand il parlait de Morel comme d′un bon petit camarade, et qu′il dît la vérité plus encore qu′il ne croyait en disant : « Je ne sais pas ce qu′il fait, je ne connais pas sa vie. » Es posible que el barón fuera sincero cuando hablaba de Morel como de un compañerito, y que dijera la verdad, quizá creyendo mentir, cuando decía: «Yo no sé lo que hace, no conozco su vida».
En effet, disons (en interrompant pendant quelques instants ce récit, que nous reprendrons aussitôt après cette parenthèse que nous ouvrons au moment où M. de Charlus, Brichot et moi nous nous dirigeons vers la demeure de Mme Verdurin), disons que, peu de temps avant cette soirée, le baron fut plongé dans la douleur et dans la stupéfaction par une lettre qu′il ouvrit par mégarde et qui était adressée à Morel. Cette lettre, laquelle devait, par contre-coup, me causer de cruels chagrins, était écrite par l′actrice Léa, célèbre pour le goût exclusif qu′elle avait pour les femmes. Or sa lettre à Morel (que M. de Charlus ne soupçonnait même pas la connaître) était écrite sur le ton le plus passionné. Sa grossièreté empêche qu′elle soit reproduite ici, mais on peut mentionner que Léa ne lui parlait qu′au féminin en lui disant : « grande sale, va ! », « ma belle chérie, toi tu en es au moins, etc. ». Et dans cette lettre il était question de plusieurs autres femmes qui ne semblaient pas être moins amies de Morel que de Léa. D′autre part, la moquerie de Morel à l′égard de M. de Charlus, et de Léa à l′égard d′un officier qui l′entretenait et dont elle disait : « Il me supplie dans ses lettres d′être sage ! Tu parles ! mon petit chat blanc », ne révélait pas à M. de Charlus une réalité moins insoupçonnée de lui que n′étaient les rapports si particuliers de Morel avec Léa. Le baron était surtout troublé par ces mots « en être ». Après l′avoir d′abord ignoré, il avait enfin, depuis un temps bien long déjà, appris que lui-même « en était ». Or voici que cette notion qu′il avait acquise se trouvait remise en question. Quand il avait découvert qu′il « en était » il avait cru par là apprendre que son goût, comme dit Saint-Simon, n′était pas celui des femmes. Or voici que, pour Morel, cette expression « en être » prenait une extension que M. de Charlus n′avait pas connue, tant et si bien que Morel prouvait, d′après cette lettre, qu′il « en était » en ayant le même goût que des femmes pour des femmes mêmes. Dès lors la jalousie de M. de Charlus n′avait plus de raison de se borner aux hommes que Morel connaissait, mais allait s′étendre aux femmes elles-mêmes. Ainsi les êtres qui « en étaient » n′étaient pas seulement ceux qu′il avait crus, mais toute une immense partie de la planète, composée aussi bien de femmes que d′hommes, aimant non seulement les hommes mais les femmes, et le baron, devant la signification nouvelle d′un mot qui lui était si familier, se sentait torturé par une inquiétude de l′intelligence autant que du cœur, née de ce double mystère, où il y avait à la fois de l′agrandissement de sa jalousie et de l′insuffisance soudaine d′une définition. En efecto, debemos decir (anticipándonos en una semana en el relato que emprenderemos al terminar este paréntesis abierto mientras monsieur de Charlus, Brichot y yo nos dirigimos a casa de madame Verdurin), debemos decir que, poco después de aquella noche, al barón le causó gran sorpresa y gran dolor una carta que abrió por error y que iba dirigida a Morel. Esta carta, que de rechazo me iba a causar a mí terribles disgustos, era de la actriz Léa, célebre por su afición excesiva a las mujeres. Y su carta a Morel (del que monsieur de Charlus ni siquiera sospechaba que la conociera) estaba escrita en el tono más apasionado. Su grosería nos impide reproducirla aquí, pero podemos decir que Léa le hablaba sólo en femenino, diciéndole: «¡Vamos, tontísima! », «queridita mía», «tú por lo menos lo eres», etc. Y en aquella carta se aludía a otras varias mujeres que parecían ser tan amigas de Morel como de Léa. Por otra parte, la burla de Morel sobre monsieur de Charlus y de Léa sobre un oficial que la sostenía y del que decía: «¡Me suplica en sus cartas que sea juiciosa! ¡Vamos!, mi gatito blanco», revelaba a monsieur de Charlus una realidad no menos insospechada por él que las relaciones tan especiales de Morel con Léa. Al barón le perturbaban sobre todo aquellas palabras «tú lo eres». Después de haberlo ignorado al principio, por fin, desde hacía ya bastante tiempo, sabía que él mismo «lo era». Y ahora esta noción que había adquirido estaba de nuevo en tela de juicio. Cuando descubrió que él «lo era», creyó enterarse de que su gusto, como dice Saint-Simon, no era gusto por las mujeres. Y ahora resultaba que, para Morel, esta expresión, «serlo», se extendía a un sentido que monsieur de Charlus no conocía, pues, según aquella carta, Morel demostraba que él «lo era» teniendo el mismo gusto que ciertas mujeres con las mujeres mismas. En consecuencia, los celos de monsieur de Charlus ya no tenían por qué limitarse a los hombres que Morel conocía, sino que alcanzarían también a las mujeres. Es decir, que los seres que «lo eran» no eran sólo los que él había creído, sino toda una inmensa parte del planeta compuesta de mujeres y de hombres, de hombres que amaban no sólo a los hombres, sino también a las mujeres, y el barón, ante el nuevo significado de una palabra que le era tan familiar, se sentía torturado por una inquietud de la inteligencia tanto como del corazón, ante este doble misterio, que representaba a la vez la prolongación de sus celos y la insuficiencia repentina de una definición.
M. de Charlus n′avait jamais été, dans la vie, qu′un amateur. C′est dire que des incidents de ce genre ne pouvaient lui être d′aucune utilité. Il faisait dériver l′impression pénible qu′il en pouvait ressentir, en scènes violentes où il savait être éloquent, ou en intrigues sournoises. Mais pour un être de la valeur d′un Bergotte, par exemple, ils eussent pu être précieux. C′est même peut-être ce qui explique en partie (puisque nous agissons à l′aveuglette, mais en choisissant comme les bêtes la plante qui nous est favorable) que des êtres comme Bergotte aient vécu généralement dans la compagnie de personnes médiocres, fausses et méchantes. La beauté de celles-ci suffit à l′imagination de l′écrivain, exalte sa bonté, mais ne transforme en rien la nature de sa compagne, dont, par éclairs, la vie située des milliers de mètres au-dessous, les relations invraisemblables, les mensonges poussés au delà et surtout dans une direction différente de ce qu′on aurait pu croire, apparaissent de temps à autre. Le mensonge, le mensonge parfait, sur les gens que nous connaissons, sur les relations que nous avons eues avec eux, sur notre mobile dans telle action formulé par nous d′une façon toute différente, le mensonge sur ce que nous sommes, sur ce que nous aimons, sur ce que nous éprouvons à l′égard de l′être qui nous aime, et qui croit nous avoir façonné semblable à lui parce qu′il nous embrasse toute la journée, ce mensonge-là est une des seules choses au monde qui puisse nous ouvrir des perspectives sur du nouveau, sur de l′inconnu, qui puisse éveiller en nous des sens endormis pour la contemplation d′univers que nous n′aurions jamais connus. Il faut dire, pour ce qui concerne M. de Charlus, que, s′il fut stupéfait d′apprendre, relativement à Morel, un certain nombre de choses que celui-ci lui avait soigneusement cachées, il eut tort d′en conclure que c′est une erreur de se lier avec des gens du peuple. On verra, en effet, dans le dernier volume de cet ouvrage, M. de Charlus lui-même en train de faire des choses qui eussent encore plus stupéfié les personnes de sa famille et de ses amis, que n′avait pu faire pour lui la vie révélée par Léa. (La révélation qui lui avait été le plus pénible avait été celle d′un voyage que Morel avait fait avec Léa, alors qu′il avait assuré à M. de Charlus qu′il était en ce moment-là à étudier la musique en Allemagne. Il s′était servi, pour échafauder son mensonge, de personnes bénévoles à qui il avait envoyé ses lettres en Allemagne, d′où on les réexpédiait à M. de Charlus qui, d′ailleurs, était tellement convaincu que Morel y était qu′il n′eût même pas regardé le timbre de la poste.) Mais il est temps de rattraper le baron qui s′avance, avec Brichot et moi, vers la porte des Verdurin. Monsieur de Charlus no había sido nunca en la vida más que un aficionado. Es decir, que los incidentes de este tipo no podían serle de ninguna utilidad. La penosa impresión que podían producirle la traducía en escenas violentas en las que sabía ser elocuente, o en intrigas taimadas. Pero para una persona del valor de Bergotte, por ejemplo, hubieran podido ser muy valiosos. Y aun es posible que esto explique en parte (puesto que obramos a ciegas, pero buscando, como los animales, la planta que nos conviene) que personas como Bergotte vivan generalmente en compañía de personas mediocres, falsas y malas. La belleza de estas personas le basta a la imaginación del escritor, exalta su bondad, pero no transforma en nada la naturaleza de su compañera, cuya vida situada a miles de metros más abajo, cuyas relaciones inverosímiles, cuyas mentiras que llegan más allá y sobre todo en otra dirección distinta de lo que se hubiera podido creer, aparecen en chispazos de cuando en cuando. La mentira, la mentira perfecta, sobre las personas que conocemos, las relaciones que hemos tenido con ellas, nuestro móvil en una determinada acción formulado por nosotros de manera muy diferente; la mentira sobre lo que somos, sobre lo que amamos, sobre lo que sentimos respecto a la persona que nos ama y que cree habernos formado semejantes a ella porque nos besa todo el día; esa mentira es una de las pocas cosas del mundo que puedan abrirnos perspectivas a algo nuevo, a algo desconocido, que pueden despertar en nosotros sentidos dormidos para la contemplación de un universo que jamás hubiéramos conocido. En cuanto a monsieur de Charlus, debemos decir que, estupefacto al enterarse de cierto número de cosas que Morel le ocultara cuidadosamente, hizo mal en deducir que es un error liarse con gente del pueblo. En efecto, en el último volumen de esta obra veremos a monsieur de Charlus hacer cosas que hubieran asombrado a las personas de su familia y a sus amigos más de lo que a él le asombrara la vida revelada por Léa. Pero ya es hora de que volvamos al barón dirigiéndose, con Brichot y conmigo, a la puerta de los Verdurin.
« Et qu′est devenu, ajouta-t-il en se tournant vers moi, votre jeune ami hébreu que nous voyions à Doville ? J′avais pensé que si cela vous faisait plaisir on pourrait peut-être l′inviter un soir. » En effet, M. de Charlus, se contentant de faire espionner sans vergogne les faits et les gestes de Morel par une agence policière, absolument comme un mari ou un amant, ne laissait pas de faire attention aux autres jeunes gens. La surveillance qu′il chargeait un vieux domestique de faire exercer par une agence sur Morel était si peu discrète, que les valets de pied se croyaient filés et qu′une femme de chambre ne vivait plus, n′osait plus sortir dans la rue, croyant toujours avoir un policier à ses trousses. « Elle peut bien faire ce qu′elle veut ! On irait perdre son temps et son argent à la pister ! Comme si sa conduite nous intéressait en quelque chose ! » s′écriait ironiquement le vieux serviteur, car il était si passionnément attaché à son maître que, bien que ne partageant nullement les goûts du baron, il finissait, tant il mettait de chaleureuse ardeur à les servir, par en parler comme s′ils étaient siens. « C′est la crème des braves gens », disait de ce vieux serviteur M. de Charlus, car on n′apprécie jamais personne autant que ceux qui joignent à de grandes vertus celle de les mettre sans compter à la disposition de nos vices. C′était, d′ailleurs, des hommes seulement que M. de Charlus était capable d′éprouver de la jalousie en ce qui concernait Morel. Les femmes ne lui en inspiraient aucune. C′est d′ailleurs la règle presque générale pour les Charlus. L′amour de l′homme qu′ils aiment pour une femme est quelque chose d′autre, qui se passe dans une autre espèce animale (le lion laisse les tigres tranquilles), ne les gêne pas et les rassure plutôt. Quelquefois, il est vrai, chez ceux qui font de l′inversion un sacerdoce, cet amour les dégoûte. Ils en veulent alors à leur ami de s′y être livré, non comme d′une trahison, mais comme d′une déchéance. Un Charlus, autre que n′était le baron, eût été indigné de voir Morel avoir des relations avec une femme, comme il l′eût été de lire sur une affiche que lui, l′interprète de Bach et de Haendel, allait jouer du Puccini. C′est, d′ailleurs, pour cela que les jeunes gens qui, par intérêt, condescendent à l′amour des Charlus leur affirment que les femmes ne leur inspirent que du dégoût, comme ils diraient au médecin qu′ils ne prennent jamais d′alcool et n′aiment que l′eau de source. Mais M. de Charlus, sur ce point, s′écartait un peu de la règle habituelle. Admirant tout chez Morel, ses succès féminins ne lui portaient pas ombrage, lui causaient une même joie que ses succès au concert ou à l′écarté. « Mais, mon cher, vous savez, il fait des femmes », disait-il d′un air de révélation, de scandale, peut-être d′envie, surtout d′admiration. « Il est extraordinaire, ajoutait-il. Partout les putains les plus en vue n′ont d′yeux que pour lui. On le remarque partout, aussi bien dans le métro qu′au théâtre. C′en est embêtant ! Je ne peux pas aller avec lui au restaurant sans que le garçon lui apporte les billets doux d′au moins trois femmes. Et toujours des jolies encore. Du reste, ça n′est pas extraordinaire. Je le regardais hier, je le comprends, il est devenu d′une beauté, il a l′air d′une espèce de Bronzino, il est vraiment admirable. » Mais si M. de Charlus aimait à montrer qu′il aimait Morel, il aimait à persuader les autres, peut-être à se persuader lui-même, qu′il en était aimé. Il mettait à l′avoir tout le temps auprès de lui (et malgré le tort que ce petit jeune homme pouvait faire à la situation mondaine du baron) une sorte d′amour-propre. Car (et le cas est fréquent des hommes bien posés et snobs, qui, par vanité, brisent toutes leurs relations pour être vus partout avec une maîtresse, demi-mondaine ou dame tarée, qu′on ne reçoit pas, et avec laquelle pourtant il leur semble flatteur d′être lié) il était arrivé à ce point où l′amour-propre met toute sa persévérance à détruire les buts qu′il a atteints, soit que, sous l′influence de l′amour, on trouve un prestige, qu′on est seul à percevoir, à des relations ostentatoires avec ce qu′on aime, soit que, par le fléchissement des ambitions mondaines atteintes et la marée montante des curiosités ancillaires, d′autant plus absorbantes qu′elles sont plus platoniques, celles-ci n′eussent pas seulement atteint mais dépassé le niveau où avaient peine à se maintenir les autres. -¿Y qué es de aquel amiguito suyo, hebreo, que veíamos en Doville? -dijo volviéndose a mí-. He pensado que, si a usted le es grato, podríamos invitarle una noche. Y es que monsieur de Charlus, contentándose con vigilar los hechos y los gestos de Morel a través de una agencia policíaca, exactamente igual que lo haría un amigo o un amante, no dejaba de prestar atención a los otros jóvenes. Esta vigilancia que un viejo doméstico encargaba a la agencia era tan poco discreta que los criados creían que los seguían y que una doncella ya no vivía, ya no se atrevía a salir a la calle, pensando siempre que le seguía los pasos un policía. «¡Que haga lo que le dé la gana! ¡Como si fuéramos a perder el tiempo y el dinero en seguirle la pista! ¡Como si nos importara algo lo que haga!», exclamaba irónicamente, pues era tan apasionadamente fiel a su amo que, aunque no compartiera en absoluto los gustos del barón, acababa por hablar como si los compartiera, tan caluroso ardor ponía en servirlos. «Es la flor y nata de las buenas personas », decía monsieur de Charlus de aquel viejo criado, pues a nadie se aprecia tanto como a los que unen a otras grandes virtudes la de ponerlas sin regatear a disposición de nuestros vicios. De todos modos, monsieur de Charlus sólo de los hombres podía sentir celos con relación a Morel. Las mujeres no se los inspiraban en absoluto. Y esto es regla general en los Charlus. El amor que sienta por una mujer el hombre al que aman es otra cosa, una cosa que ocurre en otra especie animal (el león deja tranquilos a los tigres), otra cosa que no les molesta y más bien los tranquiliza. Verdad es que, a veces, a los que hacen de la inversión un sacerdocio, ese amor les repugna. Entonces reprochan a su amigo que se entregue a él, pero se lo reprochan no como una traición, sino como una degeneración. A un Charlus que no fuera el barón le indignaría ver a Morel en relaciones con una mujer, como le indignaría ver anunciado en un cartel que él, el intérprete de Bach y de Haendel, iba a tocar Puccini. A esto se debe, por lo demás, que los jóvenes que condescienden por interés al amor de los Charlus les digan que los cartons no les inspiran más que asco, como dirían a un médico que no beben jamás alcohol y que sólo les gusta el agua del grifo. Pero, en este punto, monsieur de Charlus se apartaba un poco de la regla habitual. Como lo admiraba todo en Morel, sus éxitos con las mujeres no le hacían sombra, y aun le causaban la misma satisfacción que sus triunfos en los conciertos o en el juego del écarté. «Pero, ¿sabe, amigo mío?, es un mujeriego -decía en un tono de revelación, de escándalo, quizá de envidia, sobre todo de admiración-. Es extraordinario - añadía-. Las furcias más famosas no tienen ojos más que para él. Eso se ve en todas partes, lo mismo en el Metro que en el teatro. ¡Es un fastidio! Cada vez que voy con él a un restaurante, el camarero le trae cartitas tiernas de tres mujeres por lo menos. Y siempre bonitas, además. Y no es extraño. Ayer le estaba mirando y las comprendo, está guapísimo, parece una especie de Bronzino, es verdaderamente admirable.» Pero a monsieur de Charlus le gustaba mostrar que amaba a Morel, convencer a los demás, quizá convencerse a sí mismo, de que Morel le amaba. Ponía una especie de amor propio en tenerle todo el tiempo con él, a pesar del daño que aquel mozo podía infligir al prestigio mundano del barón. Pues (y es frecuente el caso de hombres bien situados y snobs que, por vanidad, rompen todas sus relaciones por que los vean en todas partes con una querida, semimundana o dama tarada, a la que no se recibe, y con la que, sin embargo, les parece halagador estar en relaciones) monsieur de Charlus había llegado hasta ese punto en que el amor propio pone toda su perseverancia en destruir los fines que ha logrado, bien sea porque bajo la influencia del amor se encuentre un prestigio, que nadie más percibe, en relaciones ostentosas con esa querida, bien porque pierdan interés las relaciones mundanas alcanzadas, y la marea ascendente de las curiosidades famulares, tanto más absorbentes cuanto más platónicas, no sólo haya alcanzado, sino hasta rebasado el nivel en que a las otras les era difícil mantenerse.
Quant aux autres jeunes gens, M. de Charlus trouvait qu′à son goût pour eux l′existence de Morel n′était pas un obstacle, et que même sa réputation éclatante de violoniste ou sa notoriété naissante de compositeur et de journaliste pourrait, dans certains cas, leur être un appât. Présentait-on au baron un jeune compositeur de tournure agréable, c′était dans les talents de Morel qu′il cherchait l′occasion de faire une politesse au nouveau venu. « Vous devriez, lui disait-il, m′apporter de vos compositions pour que Morel les joue au concert ou en tournée. Il y a si peu de musique agréable écrite pour le violon ! C′est une aubaine que d′en trouver de nouvelle. Et les étrangers apprécient beaucoup cela. Même en province il y a des petits cercles musicaux où on aime la musique avec une ferveur et une intelligence admirables. » Sans plus de sincérité (car tout cela ne servait que d′amorce et il était rare que Morel se prêtât à des réalisations), comme Bloch avait avoué qu′il était un peu poète, « à ses heures », avait-il ajouté, avec le rire sarcastique dont il accompagnait une banalité quand il ne pouvait pas trouver une parole originale, M. de Charlus me dit : « Dites donc à ce jeune Israélite, puisqu′il fait des vers, qu′il devrait bien m′en apporter pour Morel. Pour un compositeur c′est toujours l′écueil, trouver quelque chose de joli à mettre en musique. On pourrait même penser à un livret. Cela ne serait pas inintéressant et prendrait une certaine valeur à cause du mérite du poète, de ma protection, de tout un enchaînement de circonstances auxiliatrices, parmi lesquelles le talent de Morel tient la première place, car il compose beaucoup maintenant et il écrit aussi et très joliment, je vais vous en parler. Quant à son talent d′exécutant (là vous savez qu′il est tout à fait un maître déjà), vous allez voir ce soir comme ce gosse joue bien la musique de Vinteuil ; il me renverse ; à son âge, avoir une compréhension pareille tout en restant si gamin, si potache ! Oh ! ce n′est ce soir qu′une petite répétition. La grande machine doit avoir lieu dans quelques jours. Mais ce sera bien plus élégant aujourd′hui. Aussi nous sommes ravis que vous soyez venu, dit-il — en employant ce nous, sans doute parce que le Roi dit : nous voulons. À cause du magnifique programme, j′ai conseillé à Mme Verdurin d′avoir deux fêtes : l′une dans quelques jours, où elle aura toutes ses relations ; l′autre ce soir, où la Patronne est, comme on dit en termes de justice, dessaisie. C′est moi qui ai fait les invitations et j′ai convoqué quelques personnes d′un autre milieu, qui peuvent être utiles à Charlie et qu′il sera agréable pour les Verdurin de connaître. N′est-ce pas, c′est très bien de faire jouer les choses les plus belles avec les plus grands artistes, mais la manifestation reste étouffée comme dans du coton, si le public est composé de la mercière d′en face et de l′épicier du coin. Vous savez ce que je pense du niveau intellectuel des gens du monde, mais ils peuvent jouer certains rôles assez importants, entre autres le rôle dévolu pour les événements publics à la presse et qui est d′être un organe de divulgation. Vous comprenez ce que je veux dire ; j′ai, par exemple, invité ma belle-sœur Oriane ; il n′est pas certain qu′elle vienne, mais il est certain en revanche, si elle vient, qu′elle ne comprendra absolument rien. Mais on ne lui demande pas de comprendre, ce qui est au-dessus de ses moyens, mais de parler ce qui y est approprié admirablement et ce dont elle ne se fait pas faute. Conséquence : dès demain, au lieu du silence de la mercière et de l′épicier, conversation animée chez les Mortemart où Oriane raconte qu′elle a entendu des choses merveilleuses, qu′un certain Morel, etc., rage indescriptible des personnes non conviées qui diront : « Palamède avait sans doute jugé que nous étions indignes ; d′ailleurs, qu′est-ce que c′est que ces gens chez qui la chose se passait », contre-partie aussi utile que les louanges d′Oriane, parce que le nom de Morel revient tout le temps et finit par se graver dans la mémoire comme une leçon qu′on relit dix fois de suite. Tout cela forme un enchaînement de circonstances qui peut avoir son prix pour l′artiste, pour la maîtresse de maison, servir en quelque sorte de mégaphone à une manifestation qui sera ainsi rendue audible à un public lointain. Vraiment ça en vaut la peine ; vous verrez les progrès qu′a faits Charlie. Et, d′ailleurs, on lui a découvert un nouveau talent, mon cher, il écrit comme un ange. Comme un ange je vous dis. » M. de Charlus négligeait de dire que depuis quelque temps il faisait faire à Morel, comme ces grands seigneurs du xviie siècle qui dédaignaient de signer et même d′écrire leurs libelles, des petits entrefilets bassement calomniateurs et dirigés contre la comtesse Molé. Semblant déjà insolents à ceux qui les lisaient, combien étaient-ils plus cruels pour la jeune femme, qui retrouvait, si adroitement glissés que personne d′autre qu′elle n′y voyait goutte, des passages de lettres d′elle, textuellement cités, mais pris dans un sens où ils pouvaient l′affoler comme la plus cruelle vengeance. La jeune femme en mourut. Mais il se fait tous les jours à Paris, dirait Balzac, une sorte de journal parlé, plus terrible que l′autre. On verra plus tard que cette presse verbale réduisit à néant la puissance d′un Charlus devenu démodé et, bien au-dessus de lui, érigea un Morel qui ne valait pas la millionième partie de son ancien protecteur. Du moins cette mode intellectuelle est-elle naîµ¥ et croit-elle de bonne foi au néant d′un génial Charlus, à l′incontestable autorité d′un stupide Morel. Le baron était moins innocent dans ses vengeances implacables. De là sans doute ce venin amer de la bouche, dont l′envahissement semblait donner aux joues la jaunisse quand il était en colère. « Vous qui connaissiez Bergotte, reprit M. de Charlus, j′avais jadis pensé que vous auriez pu peut-être, en lui rafraîchissant la mémoire au sujet des proses du jouvenceau, collaborer en somme avec moi, m′aider à favoriser un talent double, de musicien et d′écrivain, qui peut un jour acquérir le prestige de celui de Berlioz. Vous savez, les Illustres ont souvent autre chose à penser, ils sont adulés, ils ne s′intéressent guère qu′à eux-mêmes. Mais Bergotte, qui était vraiment simple et serviable, m′avait promis de faire passer au Gaulois, ou je ne sais plus où, ces petites chroniques, moitié d′un humoriste et d′un musicien, qui sont maintenant très jolies, et je suis vraiment très content que Charlie ajoute à son violon ce petit brin de plume d′Ingres. Je sais bien que j′exagère facilement, quand il s′agit de lui, comme toutes les vieilles mamans-gâteau du Conservatoire. Comment, mon cher, vous ne le saviez pas ? Mais c′est que vous ne connaissez pas mon côté gobeur. Je fais le pied de grue pendant des heures à la porte des jurys d′examen. Je m′amuse comme une reine. Quant à la prose de Charlie, Bergotte m′avait assuré que c′était vraiment tout à fait très bien. » En cuanto a los demás jóvenes, monsieur de Charlus pensaba que la existencia de Morel no era un obstáculo para que le gustaran, y que su misma resonante fama de violinista o su naciente notoriedad de compositor y de periodista podrían, en ciertos casos, ser para ellos un incentivo. Si al barón le presentaban un joven compositor de facha agradable, buscaba ocasión en los talentos de Morel para hacer una cortesía al recién llegado. «Debería usted traerme alguna composición suya -le decía- para que Morel la toque en el concierto o en gira. ¡Hay tan poca música agradable escrita para violín que es una suerte encontrar alguna nueva! Y los extranjeros aprecian mucho esto. Hasta en provincias hay pequeños círculos musicales que aman la música con un fervor y una inteligencia admirables. » Con no más sinceridad (pues todo esto sólo servía de cebo, y era raro que Morel se prestara a realizaciones), como Bloch dijera que era un poco poeta -«a sus horas», añadió con la risa sarcástica con que acompañaba una trivialidad cuando no encontraba una frase original-, monsieur de Charlus me dijo: -Oiga, ¿por qué no le dice a ese joven israelita, ya que hace versos, que me traiga algunos para dárselos a Morel? Para un compositor siempre es difícil encontrar algo bonito que poner en música. Hasta se podría pensar en un libreto. No dejaría de ser interesante y le daría cierto valor el mérito del poeta, mi protección, toda una serie de circunstancias auxiliares, la primera de las cuales es el talento de Morel. Pues ahora compone mucho y escribe también y muy bonitamente, ya le hablaré a usted de eso. En cuanto a su talento de ejecutante (en esto ya sabe usted que es ya todo un maestro), ya verá esta noche cómo toca ese chico la música de Vinteuil. A mí me pasma; ¡tener a su edad una comprensión como la suya sin dejar de ser tan crío, tan colegial! Bueno, esta noche no es más que un pequeño ensayo. La gran fiesta será dentro de unos días. Pero hoy será mucho más elegante. De modo que nos encantará que venga -dijo, empleando este nos sin duda porque el rey dice: queremos-. Como el programa es tan magnífico, he aconsejado a madame Verdurin que dé dos fiestas: una dentro de unos días, con todas sus relaciones, y la otra esta noche, en que la patrona está, como se dice en términos judiciales, incapacitada. Las invitaciones las hago yo, ya he convocado a algunas personas agradables de otro medio, que pueden ser útiles a Charlie y que a los Verdurin les gustará conocer. Está muy bien hacer tocar las cosas más bellas a los mejores artistas, pero la fiesta queda asfixiada como entre algodón si el público se compone de la mercera de enfrente y del tendero de la esquina. Ya sabe usted lo que yo pienso del nivel intelectual de la gente del gran mundo, pero pueden desempeñar ciertos papeles bastante importantes, entre otros el asignado a la prensa en lo que se refiere a los acontecimientos públicos, el de ser un órgano de divulgación. Ya comprende usted lo que quiero decir. He invitado, por ejemplo, a mi cuñada Oriana; no es seguro que venga, pero, en cambio, sí lo es que, si viene, no entenderá absolutamente nada. Pero no se le pide que entienda, cosa que está por encima de sus facultades, sino que hable, cosa admirablemente apropiada al caso y que no dejará de hacer. Consecuencia: al día siguiente, en lugar del silencio de la mercera y del tendero, conversación animada en casa de los Mortemart, donde Oriana cuenta que ha oído cosas maravillosas, que un tal Morel, etcétera; indescriptible rabia de las personas no invitadas, que dirán: «Seguramente a Palamède le pareció que no éramos dignos; de todos modos, vaya una gente la de la casa donde ocurrió el suceso», contrapartida tan útil como las alabanzas de Oriana, porque el nombre «Morel» se repite constantemente y acaba por grabarse en la memoria como una lección leída diez veces seguidas. Todo esto constituye una serie de circunstancias que puede tener su importancia para el artista, para la dueña de la casa, servir, en cierto modo, de megáfono a una manifestación que así podrá resultar audible para un público lejano. Verdaderamente vale la pena: ya verá usted cuánto ha adelantado. Y, además, ha revelado un nuevo talento, amigo mío, escribe como un ángel. Le digo que como un ángel. Lo que no contaba monsieur de Charlus es que desde hacía algún tiempo hacía hacer a Morel, como los grandes señores del siglo XVII que no se dignaban firmar ni siquiera escribir, sus libelos, unos pequeños sueltos bajamente calumniosos y dirigidos contra la condesa Molé. Si ya parecían insolentes a quienes los leían, cuánto más crueles no serían para la mujer que encontraba, tan hábilmente colados que nadie más que ella podía notarlos, pasajes de cartas suyas, textualmente citados, pero tomados en un sentido en que podían enloquecerla como la más terrible venganza. La pobre mujer se quedó muerta. Pero, como diría Balzac, en París se hace todos los días una especie de periódico hablado más terrible que el otro. Más adelante veremos que esta prensa verbal aniquiló el poder de un Charlus pasado de moda, y erigió muy por encima de él a un Morel que no valía ni la millonésima parte de su antiguo protector. Al menos esta moda intelectual es inocente y cree de buena fe en la insignificancia de un genial Charlus y en la indiscutible autoridad de un estúpido Morel. El barón era menos inocente en sus implacables venganzas. De aquí, sin duda, aquel amargo veneno que, cuando estaba furioso, le invadía la boca y le ponía cara de ictericia. -Usted que conoce a Bergotte, yo había pensado que quizá podría, refrescándole la memoria sobre las prosas de ese jovenzuelo, colaborar conmigo, ayudarme a crear una cadena de circunstancias que pueda favorecer un talento doble, de músico y de escritor, hasta llegar algún día a tener tanto prestigio como Berlioz. Ya comprende usted lo que convendría decir a Bergotte. Los ilustres suelen tener otra cosa en qué pensar, la gente los adula y no se interesan más que por ellos mismos. Pero Bergotte, que es verdaderamente sencillo y servicial, debe hacer publicar en Le Gaulois, o qué sé yo dónde, esas croniquitas, mitad de humorista y mitad de músico, que son verdaderamente muy bonitas, y me gustaría mucho que Charlie añadiera a su violín esa brizna de pluma de Ingres. Ya sé que exagero fácilmente cuando se trata de él, como todas las viejas madrazas del Conservatorio. Pero ¿no lo sabía usted, querido? Es que usted no conoce mi lado papanatas. Me estoy de plantón horas enteras a la puerta de los tribunales de exámenes. Lo paso de primera. En cuanto a Bergotte, me aseguró que estaba verdaderamente muy bien.
M. de Charlus, qui l′avait connu depuis longtemps par Swann, était en effet allé voir Bergotte quelques jours avant sa mort et lui demander qu′il obtînt pour Morel d′écrire dans un journal des sortes de chroniques, en partie humoristiques, sur la musique. En y allant, M. de Charlus avait un certain remords, car grand admirateur de Bergotte, il s′était rendu compte qu′il n′allait jamais le voir pour lui-même, mais pour, grâce à la considération mi-intellectuelle, mi-sociale que Bergotte avait pour lui, pouvoir faire une grande politesse à Morel, ou à tel autre de ses amis. Qu′il ne se servît plus du monde que pour cela ne choquait pas M. de Charlus, mais de Bergotte cela lui avait paru plus mal, parce qu′il sentait que Bergotte n′était pas utilitaire comme les gens du monde et méritait mieux. Seulement sa vie était prise et il ne trouvait du temps de libre que quand il avait très envie d′une chose, par exemple si elle se rapportait à Morel. De plus, très intelligent, la conversation d′un homme intelligent lui était assez indifférente, surtout celle de Bergotte, qui était trop homme de lettres pour son goût et d′un autre clan, ne se plaçant pas à son point de vue. Quant à Bergotte, il s′était rendu compte de cet utilitarisme des visites de M. de Charlus, mais ne lui en avait pas voulu, car il était été toute sa vie incapable d′une bonté suivie, mais désireux de faire plaisir, compréhensif, insensible au plaisir de donner une leçon. Quant au vice de M. de Charlus, il ne l′avait partagé à aucun degré, mais y avait trouvé plutôt un élément de couleur dans le personnage, le « fas et nefas », pour un artiste, consistant non dans des exemples moraux, mais dans des souvenirs de Platon ou de Sodome. « Mais vous, belle jeunesse, on ne vous voit guère quai Conti. Vous n′en abusez pas ! » Je dis que je sortais surtout avec ma cousine. « Voyez-vous ça ! ça sort avec sa cousine, comme c′est pur ! » dit M. de Charlus à Brichot. Et s′adressant de nouveau à moi : « Mais nous ne vous demandons pas de comptes sur ce que vous faites, mon enfant. Vous êtes libre de faire tout ce qui vous amuse. Nous regrettons seulement de ne pas y avoir de part. Du reste, vous avez très bon goût, elle est charmante votre cousine, demandez à Brichot, il en avait la tête farcie à Doville. On la regrettera ce soir. Mais vous avez peut-être aussi bien fait de ne pas l′amener. C′est admirable, la musique de Vinteuil. Mais j′ai appris qu′il devait y avoir la fille de l′auteur et son amie, qui sont deux personnes d′une terrible réputation. C′est toujours embêtant pour une jeune fille. Elles seront là, à moins que ces deux demoiselles n′aient pas pu venir, car elles devaient sans faute être tout l′après-midi à une répétition d′études que Mme Verdurin donnait tantôt et où elle n′avait convié que les raseurs, la famille, les gens qu′il ne fallait pas avoir ce soir. Or tout à l′heure, avant le dîner, Charlie nous a dit que ce que nous appelons les deux demoiselles Vinteuil, absolument attendues, n′étaient pas venues. » Malgré l′affreuse douleur que j′avais à rapprocher subitement de l′effet, seul connu d′abord, la cause, enfin découverte, de l′envie d′Albertine de venir tantôt, la présence annoncée (mais que j′avais ignorée) de Mlle Vinteuil et de son amie, je gardai la liberté d′esprit de noter que M. de Charlus, qui nous avait dit, il y avait quelques minutes, n′avoir pas vu Charlie depuis le matin, confessait étourdiment l′avoir vu avant dîner. Ma souffrance devenait visible : « Mais qu′est-ce que vous avez ? me dit le baron, vous êtes vert ; allons, entrons, vous prenez froid, vous avez mauvaise mine. » Ce n′était pas mon doute relatif à la vertu d′Albertine que les paroles de M. de Charlus venaient d′éveiller en moi. Beaucoup d′autres y avaient déjà pénétré ; à chaque nouveau doute on croit que la mesure est comble, qu′on ne pourra pas le supporter, puis on lui trouve tout de même de la place, et une fois qu′il est introduit dans notre milieu vital, il y entre en concurrence avec tant de désirs de croire, avec tant de raisons d′oublier, qu′assez vite on s′en accommode, on finit par ne plus s′occuper de lui. Il reste seulement comme une douleur à demi guérie, une simple menace de souffrir et qui, envers du désir, de même ordre que lui, et comme lui devenu centre de nos pensées, irradie en elles, à des distances infinies, de subtiles tristesses, comme le désir des plaisirs d′une origine méconnaissable, partout où quelque chose peut s′associer à l′idée de celle que nous aimons. Mais la douleur se réveille quand un doute nouveau entre en nous ; on a beau se dire presque tout de suite : « Je m′arrangerai, il y aura un système pour ne pas souffrir, ça ne doit pas être vrai », pourtant il y a eu un premier instant où on a souffert comme si on croyait. Si nous n′avions que des membres, comme les jambes et les bras, la vie serait supportable ; malheureusement nous portons en nous ce petit organe que nous appelons cœur, lequel est sujet à certaines maladies au cours desquelles il est infiniment impressionnable pour tout ce qui concerne la vie d′une certaine personne et où un mensonge — cette chose inoffensive et au milieu de laquelle nous vivons si allégrement, qu′il soit fait par nous-même ou par les autres — venu de cette personne, donne à ce petit cœur, qu′on devrait pouvoir nous retirer chirurgicalement, des crises intolérables. Ne parlons pas du cerveau, car notre pensée a beau raisonner sans fin au cours de ces crises, elle ne les modifie pas plus que notre attention une rage de dents. Il est vrai que cette personne est coupable de nous avoir menti, car elle nous avait juré de nous dire toujours la vérité. Mais nous savons par nous-même, pour les autres, ce que valent les serments. Et nous avons voulu y ajouter foi quand ils venaient d′elle, qui avait justement tout intérêt à nous mentir et n′a pas été choisie par nous, d′autre part, pour ses vertus. Il est vrai que plus tard elle n′aurait presque plus besoin de nous mentir — justement quand le cœur sera devenu indifférent au mensonge — parce que nous ne nous intéresserons plus à sa vie. Nous le savons, et malgré cela nous sacrifions volontiers la nôtre, soit que nous nous tuions pour cette personne, soit que nous nous fassions condamner à mort en l′assassinant, soit simplement que nous dépensions en quelques soirées pour elle toute notre fortune, ce qui nous oblige à nous tuer ensuite parce que nous n′avons plus rien. D′ailleurs, si tranquille qu′on se croie quand on aime, on a toujours l′amour dans son cœur en état d′équilibre instable. Un rien suffit pour le mettre dans la position du bonheur ; on rayonne, on couvre de tendresses non point celle qu′on aime, mais ceux qui nous ont fait valoir à ses yeux, qui l′ont gardée contre toute tentation mauvaise ; on se croit tranquille, et il suffit d′un mot : « Gilberte ne viendra pas », « Mademoiselle Vinteuil est invitée », pour que tout le bonheur préparé vers lequel on s′élançait s′écroule, pour que le soleil se cache, pour que tourne la rose des vents et que se déchaîne la tempête intérieure à laquelle, un jour, on ne sera plus capable de résister. Ce jour-là, le jour où le cœur est devenu si fragile, des amis qui nous admirent souffrent que de tels néants, que certains êtres puissent nous faire du mal, nous faire mourir. Mais qu′y peuvent-ils ? Si un poète est mourant d′une pneumonie infectieuse, se figure-t-on ses amis expliquant au pneumocoque que ce poète a du talent et qu′il devrait le laisser guérir ? Le doute, en tant qu′il avait trait à Mlle Vinteuil, n′était pas absolument nouveau. Mais, même dans cette mesure, ma jalousie de l′après-midi, excitée par Léa et ses amies, l′avait aboli. Une fois ce danger du Trocadéro écarté, j′avais éprouvé, j′avais cru avoir reconquis à jamais une paix complète. Mais ce qui était surtout nouveau pour moi, c′était une certaine promenade où Andrée m′avait dit : « Nous sommes allées ici et là, nous n′avons rencontré personne », et où, au contraire, Mlle Vinteuil avait évidemment donné rendez-vous à Albertine chez Mme Verdurin. Maintenant j′eusse laissé volontiers Albertine sortir seule, aller partout où elle voudrait, pourvu que j′eusse pu chambrer quelque part Mlle Vinteuil et son amie et être certain qu′Albertine ne les vît pas. C′est que la jalousie est généralement partielle, à localisations intermittentes, soit parce qu′elle est le prolongement douloureux d′une anxiété qui est provoquée tantôt par une personne, tantôt par une autre que notre amie pourrait aimer, soit par l′exigueacute; de notre pensée, qui ne peut réaliser que ce qu′elle se représente et laisse le reste dans un vague dont on ne peut relativement souffrir. En efecto, monsieur de Charlus, que le conocía desde hacía mucho tiempo por Swann, había ido a verle y a pedirle que le consiguiera a Morel publicar en un periódico una especie de crónicas medio humorísticas sobre música. Esta visita le produjo a monsieur de Charlus cierto remordimiento, pues, admirando mucho a Bergotte, se daba cuenta de que nunca iba a verle por él mismo, sino para aprovechar en beneficio de Morel, de madame Molé o de otros la consideración, medio intelectual, medio social, en que Bergotte le tenía. Servirse del gran mundo sólo para esto no le chocaba a monsieur de Charlus, pero servirse así de Bergotte le parecía peor, porque se daba cuenta de que Bergotte no era utilitario como la gente del gran mundo y merecía más consideración. Sólo que estaba muy ocupado y sólo encontraba tiempo libre cuando deseaba mucho una cosa, por ejemplo, tratándose de Morel. Además, muy inteligente, le interesaba poco la conversación de un hombre inteligente, sobre todo la de Bergotte, que era para su gusto demasiado hombre de letras y de otro clan y no se situaba en su punto de vista. En cuanto a Bergotte, se daba perfectamente cuenta de aquel utilitarismo de las visitas de monsieur de Charlus, pero no se lo reprochaba; pues era incapaz de una bondad sostenida, pero amigo de dar gusto, comprensivo, incapaz de gozar dando una lección. En cuanto al vicio de monsieur de Charlus, él no lo compartía en ningún grado, pero encontraba en él más bien un elemento que daba color al personaje, considerando que, para un artista, el fas et nefas consiste no en ejemplos morales, sino en recuerdos de Platón o de Sodoma. -Me hubiera gustado mucho que viniera esta noche, pues habría oído a Charlie en las cosas que mejor toca. Pero creo que no sale, no quiere que le molesten, y tiene razón. Y a usted, hermosa juventud, no se le ve apenas en el Quai Conti. ¡La verdad es que no abusa! -le dije que salía sobre todo con mi prima-. ¡Mírenle, sale sólo con su prima, qué casto! -dijo monsieur de Charlus a Brichot. Y dirigiéndose nuevamente a mí-: Pero no le pedimos cuentas de lo que hace, hijito. Es usted libre de hacer lo que le divierte. Lo único que sentimos es no tomar parte en ello. Además, tiene usted muy buen gusto, su prima es encantadora, pregúntele a Brichot, no le quitaba ojo en Doville. La vamos a echar de menos esta noche. Pero quizá ha hecho bien en no traerla. La música de Vinteuil es admirable, pero esta mañana me dijo Charlie que iban a venir la hija del autor y su amiga, dos personas de malísima reputación. Eso es siempre desagradable para una muchacha. Y hasta me molesta un poco por mis invitados, pero como casi todos están en edad canónica, la cosa no traerá consecuencias para ellos. A menos que esas dos señoritas no puedan venir, pues tenían que estar sin falta toda la tarde en un ensayo de estudios que madame Verdurin daba y al que no ha invitado más que a los pelmazos, a la familia, a la gente que no debía venir esta noche. Y hace un momento, antes de la comida, Charlie me dijo que las que llamamos las dos señoritas Vinteuil, y a las que esperaban sin falta, no habían venido. A pesar del horrible dolor que me causaba relacionar (como el efecto, lo único conocido antes, con su causa por fin descubierta) el deseo de Albertina de ir a aquella reunión con la presencia anunciada (pero que yo ignoraba) de mademoiselle Vinteuil y de su amiga, conservé la claridad mental de observar que a monsieur de Charlus, que unos minutos antes nos había dicho que no había visto a Charlie desde la mañana, ahora se le escapó decir que le había visto antes de la comida. Pero mi sufrimiento era visible. -¿Qué le pasa? -me dijo el barón-. Está usted verde, vamos a entrar, está cogiendo frío, tiene usted mala cara. No era mi primera duda sobre la virtud de Albertina la que acababan de despertar en mí las palabras de monsieur de Charlus. Otras me habían punzado ya; cada una nos hace creer que se ha colmado la medida, que ya no podremos soportarla, pero le encontramos sitio, y una vez introducida en nuestro medio vital, entra en colisión con tantos deseos de creer, con tantas razones para olvidar, que nos acomodamos a esa nueva duda bastante pronto y acabamos por no ocuparnos de ella. Queda sólo como un dolor a medio curar, una simple amenaza de sufrimiento y que, frente al deseo, del mismo orden que él, ha llegado a ser como el centro de nuestros pensamientos, irradia en ellos, a distancias infinitas, sutiles tristezas, y, como el deseo, placeres de un origen incognoscible, donde quiera que algo pueda asociarse a la idea de la persona amada. Pero cuando entra en nosotros una nueva duda, el dolor se despierta todo entero, y es inútil que nos digamos casi inmediatamente: «Ya me las arreglaré, habrá un sistema para no sufrir, eso no debe de ser cierto»; por lo pronto ha habido un primer momento en que hemos sufrido como si creyésemos. Si no tuviéramos más que miembros, como las piernas y los brazos, la vida sería soportable. Desgraciadamente llevamos en nosotros ese pequeño órgano que llamamos corazón sujeto a ciertas enfermedades en el curso de las cuales es infinitamente impresionable en todo lo que se refiere a la vida de una determinada persona y en las que una mentira -esa cosa tan inofensiva con la que vivimos tan alegremente, sea nuestra o de los demás-, si viene de esa persona, produce crisis intolerables en este pequeño corazón, que debiera ser posible extirpar quirúrgicamente. No hablemos del cerebro, pues por más que nuestro pensamiento se ponga a razonar sin fin en esas crisis, no influye en ellas más que lo que puede influir nuestra atención en un dolor de muelas. Verdad es que esa persona es capaz de habernos mentido, pues nos había jurado decirnos siempre la verdad. Pero sabemos por nosotros mismos lo que valen esos juramentos cuando se los hacemos a otros. Y hemos querido darles crédito cuando venían de ella, que tenía precisamente el mayor interés en mentirnos y que, por otra parte, no la elegimos por sus virtudes. Cierto también que, pasado el tiempo, ya casi no necesitaría mentirnos, precisamente cuando al corazón no le importaría ya la mentira, porque ya no nos interesa su vida. Lo sabemos y, a pesar de saberlo, nos matamos por esa persona, bien porque nos hagamos condenar a muerte asesinándola, bien porque gastemos con ella en unos años toda nuestra fortuna, lo que nos obliga a suicidarnos porque ya no nos queda nada. Además, por tranquilos que nos creamos cuando estamos enamorados, siempre tenemos el amor en nuestro corazón en estado de equilibrio inestable. La menor cosa basta para situarlo en la posición de felicidad; estamos radiantes, colmamos de ternura no a la persona que amamos, sino a los que nos han realzado ante ella, a los que la han protegido contra toda mala tentación; nos creemos tranquilos, ybasta una palabra -«Gilberta no vendrá », «mademoiselle Vinteuil está invitada»- para que se derrumbe toda la felicidad preparada hacia la que nos lanzábamos, para que el sol se ponga, para que gire la rosa de los vientos y estalle la tempestad interior a la que un día ya no seremos capaces de resistir. Ese día, el día en que el corazón se ha tornado tan frágil, los amigos que nos admiran sufren porque tales naderías, porque ciertos seres puedan hacernos daño, hacernos morir. Pero ¿qué pueden hacer? Si un poeta se está muriendo de una neumonía infecciosa, ¿nos imaginamos a esos amigos explicando al neumococo que ese poeta tiene talento y que debe dejarle que se cure? La duda, en lo que se refería a mademoiselle Vinteuil, no era absolutamente nueva. Pero incluso en esta medida, mis celos de la tarde, suscitados por Léa y sus amigas, la habían abolido. Una vez excluido este peligro del Trocadero, yo sentí, yo creí haber reconquistado para siempre una paz completa. Pero lo nuevo para mí era, sobre todo, cierto paseo del que Andrea me dijo: «Fuimos acá y allá, no encontramos a nadie», cuando la verdad era que mademoiselle Vinteuil había citado a Albertina en casa de madame Verdurin. Ahora yo habría dejado con mucho gusto a Albertina salir sola, ir a donde quisiera, con tal de que pudiera yo recluir en alguna parte a mademoiselle Vinteuil y a su amiga y estar seguro de que Albertina no las vería. Y es que los celos son generalmente parciales, con localizaciones intermitentes, bien porque sean la prolongación dolorosa de una ansiedad provocada tan pronto por una persona como por otra a quien nuestra amiga pudiera amar, bien por la exigüidad de nuestro pensamiento, que sólo puede realizar lo que se representa y deja el resto en una vaguedad que, relativamente, no puede hacer sufrir.
Au moment où nous allions sonner à la porte de l′hôtel, nous fûmes rattrapés par Saniette qui nous apprit que la princesse Sherbatoff était morte à six heures et nous dit qu′il ne nous avait pas reconnus tout de suite. « Je vous envisageais pourtant depuis un moment, nous dit-il d′une voix essoufflée. Est-ce pas curieux que j′aie hésité ? » « N′est-il pas curieux » lui eût semblé une faute et il devenait avec les formes anciennes du langage d′une exaspérante familiarité. « Vous êtes pourtant gens qu′on peut avouer pour ses amis. » Sa mine grisâtre semblait éclairée par le reflet plombé d′un orage. Son essoufflement, qui ne se produisait, cet été encore, que quand M. Verdurin l′« engueulait », était maintenant constant. « Je sais qu′une œuvre inédite de Vinteuil va être exécutée par d′excellents artistes, et singulièrement par Morel. — Pourquoi singulièrement ? » demanda le baron, qui vit dans cet adverbe une critique. « Notre ami Saniette, se hâta d′expliquer Brichot qui joua le rôle d′interprète, parle volontiers, en excellent lettré qu′il est, le langage d′un temps où « singulièrement » équivaut à notre « tout particulièrement ». Cuando íbamos a entrar en el patio del hotel nos alcanzó Saniette, que en el primer momento no nos había reconocido. -Y los estaba mirando desde hacía un momento -nos dijo con una voz jadeante-. ¿No es curioso que haya dudado? Ustedes son personas a las que podemos confesar como amigas -su rostro grisáceo parecía iluminado por el reflejo plomizo de una tormenta. Su respiración jadeante, que todavía aquel verano sólo se producía cuando monsieur Verdurin se metía con él, ahora era permanente-. Por lo visto vamos a oír una obra inédita de Vinteuil ejecutada por artistas excelentes, y singularmente por Morel C -¿Por qué singularmente? -preguntó el barón, que interpretó este adverbio como una crítica. -Nuestro amigo Saniette -se apresuró a explicar Brichot asumiendo el papel de intérprete- gusta de hablar, como excelente literato que es, el lenguaje de una época en la que «singularmente» equivale a nuestro «muy especialmente».
Comme nous entrions dans l′antichambre de Madame Verdurin, M. de Charlus me demanda si je travaillais, et comme je lui disais que non, mais que je m′intéressais beaucoup en ce moment aux vieux services d′argenterie et de porcelaine, il me dit que je ne pourrais pas en voir de plus beaux que chez les Verdurin ; que, d′ailleurs, j′avais pu les voir à la Raspelière, puisque, sous prétexte que les objets sont aussi des amis, ils faisaient la folie de tout emporter avec eux ; que ce serait moins commode de tout me sortir un jour de soirée, mais que pourtant il demanderait qu′on me montrât ce que je voudrais. Je le priai de n′en rien faire. M. de Charlus déboutonna son pardessus, ôta son chapeau, et je vis que le sommet de sa tête s′argentait maintenant par places. Mais tel un arbuste précieux que non seulement l′automne colore mais dont on protège certaines feuilles par des enveloppements d′ouate ou des applications de plâtre, M. de Charlus ne recevait de ces quelques cheveux blancs placés à sa cime qu′un bariolage de plus venant s′ajouter à ceux du visage. Et pourtant, même sous les couches d′expressions différentes, de fards et d′hypocrisie, qui le maquillaient si mal, le visage de M. de Charlus continuait à taire à presque tout le monde le secret qu′il me paraissait crier. J′étais presque gêné par ses yeux où j′avais peur qu′il ne me surprît à le lire à livre ouvert, par sa voix qui me paraissait le répéter sur tous les tons, avec une inlassable indécence. Mais les secrets sont bien gardés par ces êtres, car tous ceux qui les approchent sont sourds et aveugles. Les personnes qui apprenaient la vérité par l′un ou l′autre, par les Verdurin par exemple, la croyaient, mais cependant seulement tant qu′elles ne connaissaient pas M. de Charlus. Son visage, loin de répandre, dissipait les mauvais bruits. Car nous nous faisons de certaines entités une idée si grande que nous ne pourrions l′identifier avec les traits familiers d′une personne de connaissance. Et nous croirons difficilement aux vices, comme nous ne croirons jamais au génie d′une personne avec qui nous sommes encore allés la veille à l′Opéra. Al entrar en la antesala de madame Verdurin, monsieur de Charlus me preguntó si trabajaba, y al decirle que no, pero que en aquel momento me interesaban mucho los objetos antiguos de plata y porcelana, me dijo que en ninguna parte los encontraría tan bellos como en casa de los Verdurin; que, por lo demás, ya había podido verlos en la Raspelière, puesto que, so pretexto de que los objetos son también amigos, hacían la tontería de llevarlo todo consigo; que sacármelo todo un día de recepción sería menos cómodo, pero que, sin embargo, él pediría que me enseñaran lo que yo quisiera. Le rogué que no lo hiciese. Monsieur de Charlus se desabrochó el abrigo y se quitó el sombrero; observé que se le iba encaneciendo el pelo en algunos sitios. Pero como un arbusto precioso que el otoño no sólo colorea, sino que protege algunas de sus hojas con envolturas de guata o aplicaciones de yeso, aquellos mechones blancos salteados en lo alto de la cabeza no hacían sino acentuar el abigarramiento que ya tenía en la cara. Y, sin embargo, esta cara de monsieur de Charlus seguía ocultando a casi todo el mundo, aun bajo las capas de expresiones diferentes, de afeites y de hipocresía que tan mal le maquillaban, el secreto que a mí me parecía manifestarse a gritos. Me sentía casi azorado por miedo de que monsieur de Charlus me sorprendiera leyéndolo en sus ojos como en un libro abierto, en su voz, que parecía repetirlo en todos los tonos con pertinaz impudicia. Pero las personas guardan bien sus secretos porque todos los que las rodean son sordos y ciegos. Los que se enteraban de la verdad por uno o por otro, por los Verdurin, por ejemplo, la creían, pero, sin embargo, la creían solamente cuando no conocían a monsieur de Charlus. Su rostro, lejos de confirmar las malas referencias, las disipaba. Pues nos hacemos una idea tan grande de ciertas entidades que no podemos identificarla con los rasgos familiares de una persona conocida. Y creeremos difícilmente en los vicios, como no creeremos nunca en el genio de una persona con la que ayer mismo hemos ido a la ópera.
M. de Charlus était en train de donner son pardessus avec des recommandations d′habitué. Mais le valet de pied auquel il le tendait était un nouveau, tout jeune. Or M. de Charlus perdait souvent maintenant ce qu′on appelle « le Nord » et ne se rendait plus compte de ce qui se fait et ne se fait pas. Le louable désir qu′il avait, à Balbec, de montrer que certains sujets ne l′effrayaient pas, de ne pas avoir peur de déclarer à propos de quelqu′un : « Il est joli garçon », de dire, en un mot, les mêmes choses qu′aurait pu dire quelqu′un qui n′aurait pas été comme lui, il lui arrivait maintenant de traduire ce désir en disant, au contraire, des choses que n′aurait jamais pu dire quelqu′un qui n′aurait pas été comme lui, choses devant lesquelles son esprit était si constamment fixé qu′il en oubliait qu′elles ne font pas partie de la préoccupation habituelle de tout le monde. Aussi, regardant le nouveau valet de pied, il leva l′index en l′air d′un air menaçant, et croyant faire une excellente plaisanterie : « Vous, je vous défends de me faire de l′œil comme ça », dit le baron, et se tournant vers Brichot : « Il a une figure drôlette ce petit-là, il a un nez amusant », et complétant sa facétie, ou cédant à un désir, il rabattit son index horizontalement, hésita un instant, puis, ne pouvant plus se contenir, le poussa irrésistiblement droit au valet de pied et lui toucha le bout du nez en disant : « Pif ». « Quelle drôle de boîte », se dit le valet de pied, qui demanda à ses camarades si le baron était farce ou marteau. « Ce sont des manières qu′il a comme ça, lui répondit le maître d′hôtel (qui le croyait un peu « piqué », un peu « dingo »), mais c′est un des amis de Madame que j′ai toujours le mieux estimé, c′est un bon cœur. » Monsieur de Charlus estaba dando su abrigo con recomendaciones propias de un habitual. Pero el criado al que se lo daba era nuevo, muy joven. Y ahora a monsieur de Charlus le ocurría a menudo eso que se llama perder el norte y ya no se daba cuenta de lo que se hace y lo que no se hace. El laudable deseo que tenía en Balbec de demostrar que ciertos sujetos no le asustaban, de no recatarse de decir sobre alguien: «Es un guapo mozo», de decir, en una palabra, las mismas cosas que hubiera podido expresar cualquiera que no fuese como él, ahora solía traducir este deseo diciendo, por el contrario, cosas que nunca habría podido decir alguien que no fuera como él, cosas tan dentro de él que olvidaba que no forman parte de la preocupación habitual de todo el mundo. Por eso, mirando al criado nuevo, levantó el índice con gesto amenazador, y creyendo hacer una excelente gracia: -Le prohibo que me guiñe el ojo así -dijo el barón, y volviéndose a Brichot-: Tiene una cara monilla este pequeño, una nariz graciosa -y completando la broma, o cediendo a un deseo, le apuntó con el índice, vaciló un momento y luego, sin poder contenerse, le adelantó irresistiblemente hacia el criadito y le tocó la punta de la nariz diciendo-: ¡Pifl Después, seguido por Brichot, por mí y por Saniette, quien nos dijo que la princesa Sherbatoff había muerto a las seis, entró en el salón. «¡Vaya casa!», se dijo el muchacho, y preguntó a sus compañeros si el barón era carne o pescado. -Son sus maneras -le contestó el mayordomo, que le creía un poco «chalado», un poco «dingo»-, pero es uno de los amigos de la señora que siempre he estimado más, tiene buen corazón.
« Est-ce que vous retournerez, cette année, à Incarville ? me demanda Brichot. Je crois que notre Patronne a reloué la Raspelière, bien qu′elle ait eu maille à partir avec ses propriétaires. Mais tout cela n′est rien, ce sont nuages qui se dissipent », ajouta-t-il, du même ton optimiste que les journaux qui disent : « Il y a eu des fautes de commises, c′est entendu, mais qui ne commet des fautes ? » Or je me rappelais dans quel état de souffrance j′avais quitté Balbec, et je ne désirais nullement y retourner. Je remettais toujours au lendemain mes projets avec Albertine. « Mais bien sûr qu′il y reviendra, nous le voulons, il nous est indispensable », déclara M. de Charlus avec l′égoî²­e autoritaire et incompréhensif de l′amabilité. -¿Volverá usted este año a Incarville? -me pregutó Brichot-. Creo que nuestra patrona ha vuelto a alquilar la Raspehère, aunque ha tenido sus más y sus menos con los propietarios. Pero todo eso no es nada, nubes de verano -añadió en el mismo tono optimista que los periódicos que dicen: «Ha cometido faltas, desde luego, pero ¿quién no las comete?» Ahora bien, yo recordaba el estado de sufrimiento en que dejé Balbec y no deseaba de ninguna manera volver. Aplazaba siempre para el día siguiente mis proyectos con Albertina. -Claro que volverá, queremos que vuelva, nos es indispensable -declaró monsieur de Charlus con el autoritario e incomprensivo egoísmo de la amabilidad.
À ce moment M. Verdurin vint à notre rencontre. M. Verdurin, à qui nous fîmes nos condoléances pour la princesse Sherbatoff, nous dit : « Oui, je sais qu′elle est très mal. — Mais non, elle est morte à six heures », s′écria Saniette. « Vous, vous exagérez toujours », dit brutalement à Saniette M. Verdurin, qui, la soirée n′étant pas décommandée, préférait l′hypothèse de la maladie, imitant ainsi sans le savoir le prince de Guermantes. Saniette, non sans craindre d′avoir froid, car la porte extérieure s′ouvrait constamment, attendait avec résignation qu′on lui prît ses affaires. « Qu′est-ce que vous faites là, dans cette pose de chien couchant ? lui demanda M. Verdurin. — J′attendais qu′une des personnes qui surveillent aux vêtements puisse prendre mon pardessus et me donner un numéro. — Qu′est-ce que vous dites ? demanda d′un air sévère M. Verdurin : « qui surveillent aux vêtements ». Est-ce que vous devenez gâteux ? on dit : « surveiller les vêtements », s′il vous faut apprendre le français comme aux gens qui ont eu une attaque. — Surveiller à quelque chose est la vraie forme, murmura Saniette d′une voix entrecoupée ; l′abbé Le BatteuxÂ… — Vous m′agacez, vous, cria M. Verdurin d′une voix terrible. Comme vous soufflez ! Est-ce que vous venez de monter six étages ? » La grossièreté de M. Verdurin eut pour effet que les hommes du vestiaire firent passer d′autres personnes avant Saniette et, quand il voulut tendre ses affaires, lui répondirent : « Chacun son tour, monsieur, ne soyez pas si pressé. » « Voilà des hommes d′ordre, voilà des compétences. Très bien, mes braves », dit, avec un sourire de sympathie, M. Verdurin, afin de les encourager dans leurs dispositions à faire passer Saniette après tout le monde. « Venez, dit-il, cet animal-là veut nous faire prendre la mort dans son cher courant d′air. Nous allons nous chauffer un peu au salon. Surveiller aux vêtements ! reprit-il quand nous fûmes au salon, quel imbécile ! — Il donne dans la préciosité, ce n′est pas un mauvais garçon, dit Brichot. — Je n′ai pas dit que c′était un mauvais garçon, j′ai dit que c′était un imbécile », riposta avec aigreur M. Verdurin. Monsieur Verdurin, a quien dimos el pésame por la princesa Sherbatoff, nos dijo: -Sí, ya sé que está muy mal. -No, es que ha muerto a las seis -exclamó Saniette. -Usted siempre exagera -dijo brutalmente a Saniette monsieur Verdurin, que, como no se había suspendido la reunión, prefería la hipótesis de la enfermedad, imitando así sin saberlo al duque de Guermantes. Saniette, aunque con miedo de tener frío, pues la puerta exterior se abría continuamente, esperaba con resignación que le cogieran sus prendas ¿Qué hace usted ahí, en esa actitud de perro doméstico? -le interpeló monsieur Verdurin. -Estaba esperando que alguno de los que cuidan los abrigos se hiciera cargo del mío. -¿Qué dice usted? -preguntó severamente monsieur Verdurin-. ¿Qué es eso de «cuidar los abrigos»? ¿Se está volviendo tonto? Se dice «cuidar de los abrigos». ¡A ver si va a haber que volverle a enseñar el francés como a las personas que han sufrido un ataque! -Cuidar una cosa es la verdadera forma -murmuró Saniette con voz entrecortada-; el abate Le Batteux... -Me irrita usted -gritó monsieur Verdurin con voz terrible-. ¡Qué manera de jadear! ¿Acaso ha tenido usted que subir seis pisos? La grosería de monsieur Verdurin produjo el efecto de que los criados del guardarropa hicieran pasar a otros antes que a Saniette, y cuando quiso darles su abrigo y su sombrero, le dijeron: -Cuando le toque, señor, no tenga tanta prisa. -Éstos son hombres ordenados, competentes. Muy bien, muchachos -dijo monsieur Verdurin con una sonrisa de simpatía, para animarlos en su resolución de dejar a Saniette el último-. Vengan -nos dijo-, ese tipo quiere que cojamos la muerte en su querida corriente de aire. Vamos a calentarnos un poco al salón. ¡Cuidar los abrigos! -repitió cuando estábamos ya en el salón-. ¡Qué imbécil! -Cae en el preciosismo, no es mal muchacho -dijo Brichot. -Yo no he dicho que sea mal muchacho, he dicho que es un imbécil -replicó con acritud monsieur Verdurin.
Cependant Mme Verdurin était en grande conférence avec Cottard et Ski. Morel venait de refuser (parce que M. de Charlus ne pouvait s′y rendre) une invitation chez des amis auxquels elle avait pourtant promis le concours du violoniste. La raison du refus de Morel de jouer à la soirée des amis des Verdurin raison à laquelle nous allons tout à l′heure en voir s′ajouter de bien plus graves, avait pu prendre sa force grâce à une habitude propre, en général, aux milieux oisifs, mais tout particulièrement au petit noyau. Certes, si Mme Verdurin surprenait, entre un nouveau et un fidèle, un mot dit à mi-voix et pouvant faire supposer qu′ils se connaissaient, ou avaient envie de se lier (« Alors, à vendredi chez les un Tel » ou : « Venez à l′atelier le jour que vous voudrez, j′y suis toujours jusqu′à cinq heures, vous me ferez vraiment plaisir »), agitée, supposant au nouveau une « situation » qui pouvait faire de lui une recrue brillante pour le petit clan, la Patronne, tout en faisant semblant de n′avoir rien entendu et en conservant à son beau regard, cerné par l′habitude de Debussy plus que n′aurait fait celle de la cocaî­¥, l′air exténué que lui donnaient les seules ivresses de la musique, n′en roulait pas moins, sous son front magnifique, bombé par tant de quatuors et les migraines consécutives, des pensées qui n′étaient pas exclusivement polyphoniques, et, n′y tenant plus, ne pouvant plus attendre une seconde sa piqûre, elle se jetait sur les deux causeurs, les entraînait à part, et disait au nouveau en désignant le fidèle : « Vous ne voulez pas venir dîner avec lui, samedi par exemple, ou bien le jour que vous voudrez, avec des gens gentils ? N′en parlez pas trop fort parce que je ne convoquerai pas toute cette tourbe » (terme désignant pour cinq minutes le petit noyau, dédaigné momentanément pour le nouveau en qui on mettait tant d′espérances). Mientras tanto, madame Verdurin estaba en gran conferencia con Cottard y Ski. Morel acababa de rehusar (porque monsieur de Charlus no podía ir) una invitación en casa de unos amigos a los que, sin embargo, había prometido el concurso del violinista. La razón que Morel alegó para no tocar en la fiesta de los amigos de los Verdurin -razón a la que, como luego veremos, se sumarán otras mucho más gravesresultó importante por las costumbres propias en general de los medios ociosos, pero muy especialmente del pequeño núcleo. Si madame Verdurin sorprendía, entre un nuevo y un asiduo, unas palabras dichas a media voz y que pudieran hacer suponer que se conocían o tenían ganas de tratarse («Bueno, hasta el viernes en casa de los Tal» o «Venga al taller el día que quiera, estoy siempre hasta las cinco, me dará una alegría»), la patrona, nerviosa, suponiéndole al nuevo una «posición» que podía hacer de él una adquisición brillante para el pequeño clan, haciendo como que no había oído nada y conservando en sus bellos ojos, entornados por el hábito de Debussy más que pudieran estarlo por el de la cocaína, la expresión extenuada que sólo le daban las embriagueces de la música, no dejaba por eso de abrigar bajo su hermosa frente, abombada por tantos quatuors y tantas jaquecas consiguientes, unos pensamientos que no eran exclusivamente polifónicos; y sin poder aguantar más, sin poder esperar ni un segundo más la inyección, se lanzaba sobre los dos conversadores, les llevaba aparte y decía al nuevo señalando al fiel: «¿No querrá usted venir a comer con él, el sábado, por ejemplo, o el día que usted quiera, con unas personas tan simpáticas? No hable muy fuerte, porque no pienso invitar a toda esta turba» (palabra que designaba por cinco minutos al pequeño núcleo, desdeñado momentáneamente por el nuevo en el que tantas esperanzas se ponían).
Mais ce besoin de s′engouer, de faire aussi des rapprochements, avait sa contre-partie. L′assiduité aux mercredis faisait naître chez les Verdurin une disposition opposée. C′était le désir de brouiller, d′éloigner. Il avait été fortifié, rendu presque furieux par les mois passés à la Raspelière, où l′on se voyait du matin au soir. M. Verdurin s′y ingéniait à prendre quelqu′un en faute, à tendre des toiles où il pût passer à l′araignée sa compagne quelque mouche innocente. Faute de griefs, on inventait des ridicules. Dès qu′un fidèle était sorti une demi-heure, on se moquait de lui devant les autres, on feignait d′être surpris qu′ils n′eussent pas remarqué combien il avait toujours les dents sales, ou, au contraire, qu′il les brossât, par manie, vingt fois par jour. Si l′un se permettait d′ouvrir la fenêtre, ce manque d′éducation faisait que le Patron et la Patronne échangeaient un regard révolté. Au bout d′un instant, Mme Verdurin demandait un châle, ce qui donnait le prétexte à M. Verdurin de dire, d′un air furieux : « Mais non, je vais fermer la fenêtre, je me demande qu′est-ce qui s′est permis de l′ouvrir », devant le coupable, qui rougissait jusqu′aux oreilles. On vous reprochait indirectement la quantité de vin qu′on avait bue. « Ça ne vous fait pas mal ? C′est bon pour un ouvrier. » Les promenades ensemble de deux fidèles qui n′avaient pas préalablement demandé son autorisation à la Patronne avaient pour conséquence des commentaires infinis, si innocentes que fussent ces promenades. Celles de M. de Charlus avec Morel ne l′étaient pas. Seul le fait que le baron n′habitait pas la Raspelière (à cause de la vie de garnison de Morel) retarda le moment de la satiété, des dégoûts, des vomissements. Il était pourtant prêt à venir. Pero esta necesidad de entusiasmarse, de adquirir así relaciones, tenía su contrapartida. La asistencia asidua a los miércoles provocaba en los Verdurin una disposición opuesta, el deseo de indisponer, de separar. Este deseo se había intensificado, hasta ser casi un deseo furioso, en los meses pasados en la Raspelière, donde la gente se veía de la mañana a la noche. Monsieur Verdurin se las arreglaba para coger a alguno en falta, para tender telas de araña en las que ésta, su compañera, pudiese atrapar alguna mosca inocente. A falta de agravios, se inventaban pasos ridículos. Tan pronto como salía por media hora un asiduo, se burlaban de él con los demás, fingían extrañarse de que no hubiesen notado lo sucios que tenía siempre los dientes, o de que, al contrario, se los limpiara, por manía, veinte veces al día. Si uno se permitía abrir la ventana, el patrón y la patrona cruzaban una mirada de escándalo ante semejante falta de educación. Al cabo de un momento, madame Verdurin pedía un chal, y esto daba pretexto a monsieur Verdurin para decir en tono furioso: «Eso sí que no, voy a cerrar la ventana, no sé quién se ha permitido abrirla», y esto delante del culpable, que se sonrojaba hasta las orejas. Le reprochaban a uno indirectamente la cantidad de vino que había bebido. «¿No le hace daño? Eso se queda para un obrero.» Si dos fieles iban juntos de paseo sin haber pedido previamente autorización a la patrona, provocaban comentarios infinitos por muy inocentes que tales paseos fueran. Los de monsieur de Charlus con Morel no lo eran. Sólo el hecho de que el barón no residía en la Raspelière (debido a la vida de guarnición de Morel) retardó el momento de la saciedad, de los gestos de asco, de las náuseas. Pero este momento no iba a tardar.
Mme Verdurin était furieuse et décidée à « éclairer » Morel sur le rôle ridicule et odieux que lui faisait jouer M. de Charlus. « J′ajoute, continua-t-elle (Mme Verdurin, quand elle se sentait devoir à quelqu′un une reconnaissance qui allait lui peser, et ne pouvait le tuer pour la peine, lui découvrait un défaut grave qui dispensait honnêtement de la lui témoigner), j′ajoute qu′il se donne des airs chez moi qui ne me plaisent pas. » C′est qu′en effet Mme Verdurin avait encore une raison plus grave que le lâchage de Morel à la soirée de ses amis d′en vouloir à M. de Charlus. Celui-ci, pénétré de l′honneur qu′il faisait à la Patronne en amenant quai Conti des gens qui, en effet, n′y seraient pas venus pour elle, avait, dès les premiers noms que Mme Verdurin avait proposés comme ceux de personnes qu′on pourrait inviter, prononcé la plus catégorique exclusive, sur un ton péremptoire où se mêlait à l′orgueil rancunier du grand seigneur quinteux, le dogmatisme de l′artiste expert en matière de fêtes et qui retirerait sa pièce et refuserait son concours plutôt que de condescendre à des concessions qui, selon lui, compromettraient le résultat d′ensemble. M. de Charlus n′avait donné son permis, en l′entourant de réserves, qu′à Saintine, à l′égard duquel, pour ne pas s′encombrer de sa femme, Mme de Guermantes avait passé, d′une intimité quotidienne, à une cessation complète des relations, mais que M. de Charlus, le trouvant intelligent, voyait toujours. Certes, c′est dans un milieu bourgeois mâtiné de petite noblesse, où tout le monde est très riche seulement, et apparenté à une aristocratie que la grande aristocratie ne connaît pas, que Saintine, jadis la fleur du milieu Guermantes, était allé chercher fortune, et, croyait-il, point d′appui. Mais Mme Verdurin, sachant les prétentions nobiliaires du milieu de la femme, et ne se rendant pas compte de la situation du mari (car c′est ce qui est presque immédiatement au-dessus de nous qui nous donne l′impression de la hauteur et non ce qui nous est presque invisible tant cela se perd dans le ciel), crut devoir justifier une invitation pour Saintine en faisant valoir qu′il connaissait beaucoup de monde, « ayant épousé Mlle *** ». L′ignorance dont cette assertion, exactement contraire à la réalité, témoignait chez Mme Verdurin, fit s′épanouir en un rire d′indulgent mépris et de large compréhension les lèvres peintes du baron. Il dédaigna de répondre directement, mais comme il échafaudait volontiers, en matière mondaine, des théories où se retrouvaient la fertilité de son intelligence et la hauteur de son orgueil, avec la frivolité héréditaire de ses préoccupations : « Saintine aurait dû me consulter avant de se marier, dit-il ; il y a une eugénique sociale comme il y en a une physiologique, et j′en suis peut-être le seul docteur. Le cas de Saintine ne soulevait aucune discussion, il était clair qu′en faisant le mariage qu′il a fait, il s′attachait un poids mort, et mettait sa flamme sous le boisseau. Sa vie sociale était finie. Je le lui aurais expliqué, et il m′aurait compris car il est intelligent. Inversement, il y avait telle personne qui avait tout ce qu′il fallait pour avoir une situation élevée, dominante, universelle ; seulement un terrible câble la retenait à terre. Je l′ai aidée, mi par pression, mi par force, à rompre l′amarre, et maintenant elle a conquis, avec une joie triomphante, la liberté, la toute-puissance qu′elle me doit ; il a peut-être fallu un peu de volonté, mais quelle récompense elle a ! On est ainsi soi-même, quand on sait m′écouter, l′accoucheur de son destin. » Il était trop évident que M. de Charlus n′avait pas su agir sur le sien ; agir est autre chose que parler, même avec éloquence, et que penser, même avec ingéniosité. « Mais en ce qui me concerne, je vis en philosophe qui assiste avec curiosité aux réactions sociales que j′ai prédites, mais n′y aide pas. Aussi ai-je continué à fréquenter Saintine, qui a toujours eu pour moi la déférence chaleureuse qui convenait. J′ai même dîné chez lui, dans sa nouvelle demeure, où on s′assomme autant, au milieu du plus grand luxe, qu′on s′amusait jadis quand, tirant le diable par la queue, il assemblait la meilleure compagnie dans un petit grenier. Vous pouvez donc l′inviter, j′autorise, mais je frappe de mon veto tous les autres noms que vous me proposez. Et vous me remercierez, car, si je suis expert en fait de mariages, je ne le suis pas moins en matière de fêtes. Je sais les personnalités ascendantes qui soulèvent une réunion, lui donnent de l′essor, de la hauteur ; et je sais aussi le nom qui rejette à terre, qui fait tomber à plat. » Ces exclusions de M. de Charlus n′étaient pas toujours fondées sur des ressentiments de toqué ou des raffinements d′artiste, mais sur des habiletés d′acteur. Quand il tenait sur quelqu′un, sur quelque chose, un couplet tout à fait réussi, il désirait le faire entendre au plus grand nombre de personnes possible, mais en ayant soin de ne pas admettre, dans la seconde fournée, des invités de la première qui eussent pu constater que le morceau n′avait pas changé. Il refaisait sa salle à nouveau, justement parce qu′il ne renouvelait pas son affiche, et quand il tenait, dans la conversation, un succès, il eût au besoin organisé des tournées et donné des représentations en province. Quoi qu′il en fût des motifs variés de ces exclusions, celles de M. de Charlus ne froissaient pas seulement Mme Verdurin, qui sentait atteinte son autorité de Patronne, elles lui causaient encore un grand tort mondain, et cela pour deux raisons. La première est que M. de Charlus, plus susceptible encore que Jupien, se brouillait, sans qu′on sût même pourquoi, avec les personnes le mieux faites pour être de ses amies. Naturellement, une des premières punitions qu′on pouvait leur infliger était de ne pas les laisser inviter à une fête qu′il donnait chez les Verdurin. Or ces parias étaient souvent des gens qui tiennent ce qu′on appelle « le haut du pavé », mais qui, pour M. de Charlus, avaient cessé de le tenir du jour qu′il avait été brouillé avec eux. Car son imagination, autant qu′à supposer des torts aux gens pour se brouiller avec eux, était ingénieuse à leur ôter toute importance dès qu′ils n′étaient plus ses amis. Si, par exemple, le coupable était un homme d′une famille extrêmement ancienne mais dont le duché ne date que du xixe siècle, les Montesquiou par exemple, du jour au lendemain ce qui comptait pour M. de Charlus c′était l′ancienneté du duché, la famille n′était rien. « Ils ne sont même pas ducs, s′écriait-il. C′est le titre de l′abbé de Montesquiou qui a indûment passé à un parent, il n′y a même pas quatre-vingts ans. Le duc actuel, si duc il y a, est le troisième. Parlez-moi des gens comme les Uzès, les La Trémoe, les Luynes, qui sont les 10e, les 14e ducs, comme mon frère qui est 12e duc de Guermantes et 17e prince de Cordoue. Les Montesquiou descendent d′une ancienne famille, qu′est-ce que ça prouverait, même si c′était prouvé ? Ils descendent tellement qu′ils sont dans le quatorzième dessous. » Était-il brouillé, au contraire, avec un gentilhomme possesseur d′un duché ancien, ayant les plus magnifiques alliances, apparenté aux familles souveraines, mais à qui ce grand éclat est venu très vite sans que la famille remonte très haut, un Luynes par exemple, tout était changé, la famille seule comptait. « Je vous demande un peu, Monsieur Alberti qui ne se décrasse que sous Louis XIII. Qu′est-ce que ça peut nous fiche que des faveurs de cour leur aient permis d′entasser des duchés auxquels ils n′avaient aucun droit ? » De plus, chez M. de Charlus, la chute suivait de près la faveur à cause de cette disposition propre aux Guermantes d′exiger de la conversation, de l′amitié, ce qu′elle ne peut donner, plus la crainte symptomatique d′être l′objet de médisances. Et la chute était d′autant plus profonde que la faveur avait été plus grande. Or personne n′en avait joui auprès du baron d′une pareille à celle qu′il avait ostensiblement marquée à la comtesse Molé. Par quelle marque d′indifférence montra-t-elle, un beau jour, qu′elle en avait été indigne ? La comtesse déclara toujours qu′elle n′avait jamais pu arriver à le découvrir. Toujours est-il que son nom seul excitait chez le baron les plus violentes colères, les philippiques les plus éloquentes mais les plus terribles. Mme Verdurin, pour qui Mme Molé avait été très aimable, et qui fondait, on va le voir, de grands espoirs sur elle et s′était réjouie à l′avance de l′idée que la comtesse verrait chez elle les gens les plus nobles, comme la Patronne disait, « de France et de Navarre », proposa tout de suite d′inviter « Madame de Molé ». « Ah ! mon Dieu, tous les goûts sont dans la nature, avait répondu M. de Charlus, et si vous avez, Madame, du goût pour causer avec Mme Pipelet, Mme Gibout et Mme Joseph Prudhomme, je ne demande pas mieux, mais alors que ce soit un soir où je ne serai pas là. Je vois, dès les premiers mots, que nous ne parlons pas la même langue, puisque je parlais de noms de l′aristocratie et que vous me citez le plus obscur des noms de gens de robe, de petits roturiers retors, cancaniers, malfaisants, de petites dames qui se croient des protectrices des arts parce qu′elles reprennent, une octave au-dessous, les manières de ma belle-sœur Guermantes, à la façon du geai qui croit imiter le paon. J′ajoute qu′il y aurait une espèce d′indécence à introduire dans une fête que je veux bien donner chez Mme Verdurin une personne que j′ai retranchée à bon escient de ma familiarité, une pécore sans naissance, sans loyauté, sans esprit, qui a la folie de croire qu′elle est capable de jouer les duchesses de Guermantes et les princesses de Guermantes, cumul qui en lui-même est une sottise, puisque la duchesse de Guermantes et la princesse de Guermantes c′est juste le contraire. C′est comme une personne qui prétendrait être à la fois Reichenberg et Sarah Bernhardt. En tous cas, même si ce n′était pas contradictoire, ce serait profondément ridicule. Que je puisse, moi, sourire quelquefois des exagérations de l′une et m′attrister des limites de l′autre, c′est mon droit. Mais cette petite grenouille bourgeoise voulant s′enfler pour égaler les deux grandes dames qui, en tous cas, laissent toujours paraître l′incomparable distinction de la race, c′est, comme on dit, faire rire les poules. La Molé ! Voilà un nom qu′il ne faut plus prononcer, ou bien je n′ai qu′à me retirer », ajouta-t-il avec un sourire, sur le ton d′un médecin qui, voulant le bien de son malade malgré ce malade lui-même, entend bien ne pas se laisser imposer la collaboration d′un homéopathe. D′autre part, certaines personnes, jugées négligeables par M. de Charlus, pouvaient en effet l′être pour lui et non pour Mme Verdurin. M. de Charlus, de haute naissance, pouvait se passer des gens les plus élégants dont l′assemblée eût fait du salon de Mme Verdurin un des premiers de Paris. Or celle-ci commençait à trouver qu′elle avait déjà bien des fois manqué le coche, sans compter l′énorme retard que l′erreur mondaine de l′affaire Dreyfus lui avait infligé, non sans lui rendre service pourtant. Je ne sais si j′ai dit combien la duchesse de Guermantes avait vu avec déplaisir des personnes de son monde qui, subordonnant tout à l′Affaire, excluaient des femmes élégantes et en recevaient qui ne l′étaient pas, pour cause de révisionnisme ou d′antirévisionnisme, puis avait été critiquée à son tour, par ces mêmes dames, comme tiède, mal pensante et subordonnant aux étiquettes mondaines les intérêts de la Patrie ; pourrais-je le demander au lecteur comme à un ami à qui on ne se rappelle plus, après tant d′entretiens, si on a pensé ou trouvé l′occasion de le mettre au courant d′une certaine chose ? Que je l′aie fait ou non, l′attitude, à ce moment-là, de la duchesse de Guermantes peut facilement être imaginée, et même, si on se reporte ensuite à une période ultérieure, sembler, du point de vue mondain, parfaitement juste. M. de Cambremer considérait l′affaire Dreyfus comme une machine étrangère destinée à détruire le Service des Renseignements, à briser la discipline, à affaiblir l′armée, à diviser les Français, à préparer l′invasion. La littérature étant, hors quelques fables de La Fontaine, étrangère au marquis, il laissait à sa femme le soin d′établir que la littérature, cruellement observatrice, en créant l′irrespect, avait procédé à un chambardement parallèle. M. Reinach et M. Hervieu sont « de mèche », disait-elle. On n′accusera pas l′affaire Dreyfus d′avoir prémédité d′aussi noirs desseins à l′encontre du monde. Mais là certainement elle a brisé les cadres. Les mondains qui ne veulent pas laisser la politique s′introduire dans le monde sont aussi prévoyants que les militaires qui ne veulent pas laisser la politique pénétrer dans l′armée. Il en est du monde comme du goût sexuel, où l′on ne sait pas jusqu′à quelles perversions il peut arriver quand une fois on a laissé des raisons esthétiques dicter son choix. La raison qu′elles étaient nationalistes donna au faubourg Saint-Germain l′habitude de recevoir des dames d′une autre société ; la raison disparut avec le nationalisme, l′habitude subsista. Mme Verdurin, à la faveur du dreyfusisme, avait attiré chez elle des écrivains de valeur qui, momentanément, ne lui furent d′aucun usage mondain parce qu′ils étaient dreyfusards. Mais les passions politiques sont comme les autres, elles ne durent pas. De nouvelles générations viennent qui ne les comprennent plus. La génération même qui les a éprouvées change, éprouve des passions politiques qui, n′étant pas exactement calquées sur les précédentes, lui font réhabiliter une partie des exclus, la cause de l′exclusivisme ayant changé. Les monarchistes ne se soucièrent plus, pendant l′affaire Dreyfus, que quelqu′un eût été républicain, voire radical, voire anticlérical, s′il était antisémite et nationaliste. Si jamais il devait survenir une guerre, le patriotisme prendrait une autre forme, et d′un écrivain chauvin on ne s′occuperait même pas s′il avait été ou non dreyfusard. C′est ainsi que, à chaque crise politique, à chaque rénovation artistique, Mme Verdurin avait arraché petit à petit, comme l′oiseau fait son nid, les bribes successives, provisoirement inutilisables, de ce qui serait un jour son salon. L′affaire Dreyfus avait passé, Anatole France lui restait. La force de Mme Verdurin, c′était l′amour sincère qu′elle avait de l′art, la peine qu′elle se donnait pour les fidèles, les merveilleux dîners qu′elle donnait pour eux seuls, sans qu′il y eût des gens du monde conviés. Chacun d′eux était traité chez elle comme Bergotte l′avait été chez Mme Swann. Quand un familier de cet ordre devenait, un beau jour, un homme illustre que le monde désire voir, sa présence chez une Mme Verdurin n′avait rien du côté factice, frelaté, d′une cuisine de banquet officiel ou de Saint-Charlemagne faite par Potel et Chabot, mais tout au contraire d′un délicieux ordinaire qu′on eût trouvé aussi parfait un jour où il n′y aurait pas eu de monde. Chez Mme Verdurin la troupe était parfaite, entraînée, le répertoire de premier ordre, il ne manquait que le public. Et depuis que le goût de celui-ci se détournait de l′art raisonnable et français d′un Bergotte et s′éprenait surtout de musiques exotiques, Mme Verdurin, sorte de correspondant attitré à Paris de tous les artistes étrangers, allait bientôt, à côté de la ravissante princesse Yourbeletief, servir de vieille fée Carabosse, mais toute-puissante, aux danseurs russes. Cette charmante invasion, contre les séductions de laquelle ne protestèrent que les critiques dénués de goût, amena à Paris, on le sait, une fièvre de curiosité moins âpre, plus purement esthétique, mais peut-être aussi vive que l′affaire Dreyfus. Là encore Mme Verdurin, mais pour un tout autre résultat mondain, allait être au premier rang. Comme on l′avait vue à côté de Mme Zola, tout au pied du tribunal, aux séances de la Cour d′assises, quand l′humanité nouvelle, acclamatrice des ballets russes, se pressa à l′Opéra, ornée d′aigrettes inconnues, toujours on vit dans une première loge Mme Verdurin à côté de la princesse Yourbeletief. Et comme après les émotions du Palais de Justice on avait été le soir chez Mme Verdurin voir de près Picquart ou Labori, et surtout apprendre les dernières nouvelles, savoir ce qu′on pouvait espérer de Zurlinden, de Loubet, du colonel Jouaust, du Règlement, de même, peu disposé à aller se coucher après l′enthousiasme déchaîné par Shéhérazade ou les danses du prince Igor, on allait chez Mme Verdurin, où, présidés par la princesse Yourbeletief et par la Patronne, des soupers exquis réunissaient, chaque soir, les danseurs, qui n′avaient pas dîné pour être plus bondissants, leur directeur, leurs décorateurs, les grands compositeurs Igor Stravinski et Richard Strauss, petit noyau immuable, autour duquel, comme aux soupers de M. et Mme Helvétius, les plus grandes dames de Paris et les Altesses étrangères ne dédaignèrent pas de se mêler. Même ceux des gens du monde qui faisaient profession d′avoir du goût et faisaient entre les ballets russes des distinctions oiseuses, trouvant la mise en scène des Sylphides quelque chose de plus « fin » que celle de Shéhérazade, qu′ils n′étaient pas loin de faire relever de l′art nègre, étaient enchantés de voir de près les grands rénovateurs du goût du théâtre, qui, dans un art peut-être un peu plus factice que la peinture, firent une révolution aussi profonde que l′impressionnisme. Madame Verdurin estaba furiosa y decidida a hacer saber a Morel el papel ridículo y odioso que le hacía representar monsieur de Charlus. «Y además -continuó madame Verdurin (que cuando creía deber a alguien un agradecimiento que le iba a pesar, y no podía matarle por esta obligación, le descubría un defecto grave que la eximía honestamente de demostrarle tal agradecimiento)-, además se da en mi casa unos aires que no me gustan.» Y es que madame Verdurin tenía otra razón, más grave que la de haber faltado Morel a la reunión de sus amigos, para estar contra monsieur de Charlus. El barón, muy penetrado del honor que hacía a la patrona llevándole al Quai Conti a unas personas que por ella no habrían ido, ante los primeros nombres propuestos por madame Verdurin como posibles invitados, reclamó la exclusiva más categórica, en un tono perentorio que aunaba el orgullo rencoroso del gran señor caprichoso y el dogmatismo del artista experto en materia de fiestas y que retiraría del juego su moneda y negaría su concurso antes que acceder a concesiones que, según él, comprometían el resultado armónico. Monsieur de Charlus sólo había dado su autorización, y eso con muchas reservas, a Saintine, con el cual madame de Guermantes, por no cargar con su mujer, había pasado de una intimidad cotidiana a un corte radical de relaciones, pero al que monsieur de Charlus, que le encontraba inteligente, seguía tratando. Verdad es que Saintine, antes la flor de la camarilla Guermantes, fue a buscar fortuna y, creía él, Punto de apoyo en un medio burgués híbrido de pequeña nobleza en el que todo el mundo es muy rico y está emparentado con una aristocracia que la gran aristocracia no conoce. Pero madame Verdurin, que conocía las pretensiones nobiliarias del medio de la mujer y no se daba cuenta de la Posición del marido (pues lo que nos da impresión de altura es lo que está casi inmediatamente por encima de nosotros y no lo que nos es casi invisible, hasta tal punto se pierde en el cielo), creyó que debía justificar una invitación a Saintine alegando que se trataba con mucha gente, «que se había casado con mademoiselle...». La ignorancia que este aserto, exactamente contrario a la realidad, demostraba en madame Verdurin puso en los labios pintados de monsieur de Charlus una sonrisa de indulgente desdén y de amplia comprensión. No se dignó contestar directamente, pero como era amigo de levantar en materia mundana teorías en las que unía la fertilidad de su inteligencia y la altivez de su orgullo con la frivolidad hereditaria de sus preocupaciones, dijo: -Saintine hubiera debido consultarme antes de casarse; hay una eugenesia social como hay una eugenesia fisiológica, y en esto soy yo quizá el único doctor. El caso de Saintine no suscitaba ninguna discusión: era claro que, al hacer la boda que hizo, cargaba con un peso muerto y metía la candela bajo el celemín. Su vida social quedaba terminada. Si se lo hubiera explicado lo habría comprendido, pues es inteligente. En cambio, había una persona que tenía todo lo necesario para alcanzar una posición elevada, dominante, universal; pero estaba amarrada al suelo por un cable fuertísimo. Yo le ayudé a romper la ligadura, mitad por presión, mitad por fuerza, y ahora esa persona ha conquistado, con un gozo triunfal, la libertad, el supremo poder que me debe. Quizá ha sido necesario poner un poco de voluntad, pero ¡qué recompensa! Cuando sabe escucharme a mí, partero de su destino, una persona llega a ser lo que ha de ser. -Era demasiado evidente que monsieur de Charlus no había sabido actuar en el suyo, en su propio destino; actuar es distinto que hablar, aunque sea con elocuencia, y que pensar, aunque sea con ingenio-. Pero yo soy un filósofo que asiste con curiosidad a las reacciones sociales que he predicho, mas no ayudo a ellas. Por eso he seguido tratando a Saintine, que siempre tuvo conmigo la calurosa deferencia que me debe. Hasta he comido en su casa, en su nueva casa, donde ahora, con todo ese lujo, se aburre uno tanto como se divertía antes cuando Saintine, con muchos apuros, reunía en su buhardilla a la mejor sociedad. De modo que se le puede invitar, lo autorizo. Pero a los demás nombres que me proponen les pongo el veto. Y me lo agradecerán ustedes, pues si soy experto en bodas, no lo soy menos en cuestión de fiestas. Sé cuales son las personalidades ascendentes que levantan una reunión, le dan impulso, altura; y sé también el nombre que tira al suelo, que hace caer de narices. Estas exclusiones de monsieur de Charlus no siempre se fundaban en resentimientos de maniático o en refinamientos de artista, sino en habilidades de actor. Cuando le salía una tirada sobre alguien, sobre algo, deseaba que lo oyera el mayor número posible de personas, pero excluía de la segunda hornada a los invitados de la primera que hubieran podido observar que la copla no había cambiado. Renovaba la sala precisamente porque no renovaba el cartel, y cuando lograba un éxito en la conversación, hubiera sido capaz de organizar giras y de dar representaciones en provincias. Cualesquiera que fueran los variados motivos de estas exclusiones, las de monsieur de Charlus no sólo molestaban a madame Verdurin, que veía en ellas un atentado a su autoridad de patrona, sino que le causaban, además, gran perjuicio mundano, y esto por dos razones. La primera, que monsieur de Charlus, más susceptible aún que Jupien, rompía, sin que ni siquiera se supiese por qué, con las personas más adecuadas para ser amigas suyas. Naturalmente, uno de los primeros castigos que podía infligirles era no dejar que los invitaran a una fiesta en casa de los Verdurin, y estos parias eran muchas veces personas preeminentes, pero que, para monsieur de Charlus, habían dejado de serlo desde el día en que rompió con ellos. Pues su imaginación se las ingeniaba no sólo para atribuir culpas a las personas con quienes rompía, sino para quitarles toda importancia desde el momento en que ya no eran amigos suyos. Si el culpable era, por ejemplo, un hombre de una familia muy antigua, pero cuyo ducado se remonta sólo al siglo XIX, los Montesquiou, por ejemplo, de pronto lo que contaba para monsieur de Charlus era la antigüedad del ducado, y la familia no era nada. «Ni siquiera son duques -exclamaba-. Es el título del abate de Montesquiou que pasó indebidamente a un pariente, no hace ni siquiera ochenta años. El duque actual, si es que hay duque, es el tercero. A mí que me hablen de familias como los Uzès, los La Trémoe, los Luynes, que son los décimos, los catorcenos duques, como mi hermano, que es el duque de Guermantes número doce y príncipe de Condom número diecisiete. Los Montesquiou descienden de una antigua familia, bueno, pero ¿qué demostraría eso, aunque fuera verdad? Descienden tanto que están en el número catorce, pero por abajo.» Si, por el contrario, estaba en malos términos con un noble titular de un ducado antiguo, emparentado con lo más ilustre, y hasta con familias soberanas, pero cuyo encumbramiento había sido muy rápido sin que la familia se remontara muy atrás, un Luynes, por ejemplo, entonces cambiaba todo: sólo contaba la familia. «¡Dígame, ese monsieur Alberti que no salió de la nada hasta el reinado de Luis XIII! ¿Qué cuernos nos importa que el favor de la corte les permitiera acumular ducados a los que no tenían ningún derecho?» Además, monsieur de Charlus pasaba muy rápidamente del favor al abandono, por aquella inclinación que tenían los Guermantes a exigir a la conversación, a la amistad, lo que no pueden dar, y por el miedo sintomático de ser objeto de maledicencias. Y la caída era tan irremisible como grande había sido el favor. Ahora bien, nunca tan grande por parte del barón como el que tan ostensiblemente dispensara a la condesa Molé. ¿Qué pecado de indiferencia demostró un buen día que era indigna de él? La condesa dijo siempre que nunca había podido llegar a descubrirlo. El caso es que sólo oír su nombre provocaba en el barón las iras más violentas, las filípicas más elocuentes pero más terribles. Madame Verdurin, con quien madame Molé había sido muy amable y que, como veremos, ponía en ella grandes esperanzas, gozaba de antemano con la idea de que la condesa la consideraría entre las personas más nobles, como decía la patrona, «de Francia y de Navarra». Y, en efecto, madame Verdurin propuso en seguida invitar a «madame de Molé». «¡Ah bueno!, el gusto es libre -exclamó monsieur de Charlus-, y si usted, señora, tiene gusto en charlar con madame Pipelet, madame Gibouet, madame Joseph Prudhomme, yo encantado, pero que sea una noche en que yo no esté. Veo desde las primeras palabras que no hablamos la misma lengua, pues yo daba nombres de la aristocracia y usted me cita lo más oscuro de los nombres de la magistratura, de plebeyos astutos, chismosos, de señoruelas que se creen protectoras de las artes porque reproducen en octava baja las maneras de mi cuñada Guermantes, como el grajo que cree imitar al pavo real. Añadiré que es una especie de indecencia introducir en una fiesta que yo me presto a dar en casa de madame Verdurin a una persona que yo he excluido, con motivo, de mi familiaridad, a una pécora sin estirpe, sin lealtad, sin ingenio, que tiene la locura de creer que puede hacer de duquesa de Guermantes y de princesa de Guermantes, acumulación que es ya en sí misma una estupidez, pues la duquesa de Guermantes y la princesa de Guermantes son exactamente lo contrario. Es como una persona que pretendiera ser a la vez Reichenberg y Sarah Bernhardt. En todo caso, aun cuando no fuera contradictorio, sería profundamente ridículo. Que yo pueda sonreírme alguna vez de las exageraciones de la una y entristecerme por las limitaciones de la otra es distinto, estoy en mi derecho. Pero esa ranita burguesa que se infla para igualarse a esas dos grandes damas que en todo caso ostentan la incomparable distinción de la raza es como para morirse de risa. ¡La Molé! Ése es un nombre que no hay que volver a pronunciar, o me veré obligado a retirarme», añadió sonriendo y en el tono de un médico que, queriendo curar al enfermo contra el enfermo mismo, está decidido a no dejarse imponer la colaboración de un homeópata. Por otra parte, algunas personas que monsieur de Charlus desdeñaba podían en realidad ser desdeñables para él y no para madame Verdurin. Monsieur de Charlus, desde la cima de su linaje, podía prescindir de unas personas muy distinguidas cuya asistencia habría situado el salón de madame Verdurin entre los primeros de París. Y madame Verdurin comenzaba a pensar que había perdido ya muchas oportunidades, sin contar el enorme retraso que el error mundano del asunto Dreyfus le había infligido. Aunque no sin beneficiarla. «No sé si les he hablado de lo que disgustaban a la duquesa de Guermantes algunas personas de su mundo que, subordinándolo todo al Affaire, y, por aquello del revisionismo y el antirrevisionismo, excluían a mujeres elegantes y recibían en cambio a otras que no lo eran, y de cómo la criticaban, a su vez, aquellas mismas damas por tibia, mal pensante y dispuesta a subordinar a las etiquetas humanas los intereses de la Patria», podría yo preguntar al lector como a un amigo al que, después de tantas conversaciones, no recordamos si se nos ha ocurrido o hemos encontrado la ocasión de contarle una determinada cosa. Les haya hablado o no de todo esto, la actitud de la duquesa de Guermantes en este momento se puede imaginar fácilmente, y hasta, pasando a un período posterior, puede parecer, en el aspecto mundano, perfectamente justo. Monsieur de Cambremer consideraba el asunto Dreyfus como una máquina extranjera destinada a destruir j el Servicio de Información, a quebrantar la disciplina, a debilitar el ejército, a dividir a los franceses, a preparar la invasión. Como la literatura, aparte algunas fábulas de La Fontaine, era ajena al marqués, delegaba en su mujer el cuidado de proclamar que la literatura cruelmente observadora, causante de la pérdida del respeto, había provocado el consiguiente derrumbamiento. «Monsieur Reinach y monsieur Hervieu están en connivencia», decía. No se podrá acusar al asunto Dreyfus de haber premeditado tan negros designios contra el mundo. Pero ciertamente ha roto los cuadros. Las personas del gran mundo que no quieren que la política se introduzca en él son tan previsoras como los militares que no quieren permitir que penetre en el ejército. Con el gran mundo ocurre como con la inclinación sexual: no se sabe hasta qué perversiones puede llegar una vez que se ha dejado la elección a las razones estéticas. El Faubourg Saint-Germain tomó la costumbre de recibir a señoras de otra sociedad por la razón de que eran nacionalistas; con el nacionalismo desapareció la razón, pero subsistió la costumbre. Madame Verdurin, a favor del dreyfusismo, atrajo a su casa a escritores de valía que momentáneamente no elevaron su situación social porque eran dreyfusistas. Pero las pasiones políticas son como las demás: no duran. Vienen generaciones nuevas que no las comprenden; la misma generación que las ha sentido cambia aquellas pasiones políticas por otras que, al no ser exactamente calcadas de las anteriores, rehabilitan a una parte de los excluidos, porque la causa de exclusivismo ha variado. Durante el asunto Dreyfus, a los monárquicos ya no les importaba que alguno fuera republicano, hasta radical, incluso anticlerical, con tal que fuera antisemita y nacionalista. Si llegara a sobrevenir una guerra, el patriotismo tomaría otra forma, y si un escritor era patriotero, no se fijarían en si había sido o no había sido dreyfusista. Análogamente, madame Verdurin, de cada crisis política, de cada renovación artística, fue cogiendo poco a poco, como el pájaro para su nido, las briznas sucesivas, provisionalmente inútiles, de lo que llegaría a ser su salón. El asunto Dreyfus pasó, Anatole France quedó. La fuerza de madame Verdurin era su sincero amor al arte, el trabajo que se tomaba por sus fieles, las maravillosas comidas que daba para ellos solos, sin que entre los invitados figurasen personas del gran mundo. Todos eran tratados en su casa como lo fue Bergotte en casa de madame Swann. Cuando uno de estos familiares llega un buen día a ser un hombre ilustre y el gran mundo desea verle, su presencia en casa de una madame Verdurin no tiene nada de ese aspecto artificial, adulterado, cocina de banquete oficial o de Saint-Charlemagne hecha por Potel y Chabot, sino de un delicioso menú habitual que habría resultado igualmente perfecto cualquier día en que no hubiera invitados. En casa de madame Verdurin la compañía era excelente, preparada, de primer orden el repertorio; sólo faltaba el público. Y cuando el gusto de éste se apartaba del arte razonable y francés de un Bergotte y se encaprichaba sobre todo con músicas exóticas, madame Verdurin, una especie de representante oficial en París de todos los artistas extranjeros, no tardaría en servir a los bailarines rusos, junto con la deslumbradora princesa Yurbeletieff, de vieja pero omnipotente hada Carabosse. Esta encantadora invasión, contra cuyas seducciones no protestaron más que los críticos sin gusto, trajo a París, como se sabe, una fiebre de curiosidad menos agria, más puramente estética, pero quizá no menos viva que el asunto Dreyfus. También aquí, pero con un resultado mundano muy distinto, iba a estar madame Verdurin en primera fila. Como en la vista del proceso se la vio junto a madame Zola al pie mismo del tribunal, cuando la nueva humanidad que aclamaba a los bailes rusos se aglomeró en la ópera, ornada de grandes galas y bellas plumas desconocidas, se veía siempre a madame Verdurin con la princesa Yurbeletieff en una platea. Y así como después de las emociones del palacio de justicia se iba por la noche a casa de madame Verdurin a ver de cerca a Picquart o a Labori, y sobre todo a enterarse de las últimas noticias, a saber lo que se podía esperar de Zurlinden, de Loubet, del coronel Jouaust, ciertos espectadores de los bailes rusos, poco dispuestos a irse a la cama después del entusiasmo desencadenado por Shehrazada o las danzas del Príncipe Igor, se iban a casa de madame Verdurin, donde unas cenas exquisitas, presididas por la princesa Yurbeletieffy por la patrona, reunían cada noche a los bailarines, que no habían comido para poder saltar mejor, a su director, a sus decoradores, a los grandes compositores Igor Stravinski y Ricardo Strauss, pequeño núcleo inmutable en torno al cual, como en las cenas de monsieur y de madame Helvétius, no desdeñaban rozarse con otra gente las damas más ilustres de París y las altezas extranjeras. Hasta las gentes del gran mundo que hacían profesión de buen gusto y establecían distinciones ociosas entre los bailes rusos, considerando la escenografía de Las Sílfides más «delicada » que la de Shehrazada, que no estaban lejos de comparar con el arte negro, se mostraban encantados de ver de cerca a aquellos grandes renovadores del gusto, del teatro, que, en un arte quizá un poco más artificioso que la pintura, hicieron una revolución tan profunda como el impresionismo.
Pour en revenir à M. de Charlus, Mme Verdurin n′eût pas trop souffert s′il n′avait mis à l′index que la comtesse Molé, et Mme Bontemps, qu′elle avait distinguée chez Odette à cause de son amour des arts, et qui, pendant l′affaire Dreyfus, était venue quelquefois dîner avec son mari, que Mme Verdurin appelait un tiède, parce qu′il n′introduisait pas le procès en révision, mais qui, fort intelligent, et heureux de se créer des intelligences dans tous les partis, était enchanté de montrer son indépendance en dînant avec Labori, qu′il écoutait sans rien dire de compromettant, mais glissant au bon endroit un hommage à la loyauté, reconnue dans tous les partis, de Jaurès. Mais le baron avait également proscrit quelques dames de l′aristocratie avec lesquelles Mme Verdurin était, à l′occasion de solennités musicales, de collections, de charité, entrée récemment en relations et qui, quoi que M. de Charlus pût penser d′elles, eussent été, beaucoup plus que lui-même, des éléments essentiels pour former chez Mme Verdurin un nouveau noyau, aristocratique celui-là. Mme Verdurin avait justement compté sur cette fête, où M. de Charlus lui amènerait des femmes du même monde, pour leur adjoindre ses nouvelles amies, et avait joui d′avance de la surprise qu′elles auraient à rencontrer quai Conti leurs amies ou parentes invitées par le baron. Elle était déçue et furieuse de son interdiction. Restait à savoir si la soirée, dans ces conditions, se traduirait pour elle par un profit ou par une perte. Celle-ci ne serait pas trop grave si, du moins, les invitées de M. de Charlus venaient avec des dispositions si chaleureuses pour Mme Verdurin qu′elles deviendraient pour elle les amies d′avenir. Dans ce cas, il n′y aurait que demi-mal, et un jour prochain, ces deux moitiés du grand monde, que le baron avait voulu tenir isolées, on les réunirait, quitte à ne pas l′avoir, lui, ce soir-là. Mme Verdurin attendait donc les invitées du baron avec une certaine émotion. Elle n′allait pas tarder à savoir l′état d′esprit où elles venaient et les relations que la Patronne pouvait espérer avoir avec elles. En attendant, Mme Verdurin se consultait avec les fidèles, mais, voyant M. de Charlus qui entrait avec Brichot et moi, elle s′arrêta net. À notre grand étonnement, quand Brichot lui dit sa tristesse de savoir que sa grande amie était si mal, Mme Verdurin répondit : « Écoutez, je suis obligée d′avouer que de tristesse je n′en éprouve aucune. Il est inutile de feindre les sentiments qu′on ne ressent pas. » Sans doute elle parlait ainsi par manque d′énergie, parce qu′elle était fatiguée à l′idée de se faire un visage triste pour toute sa réception ; par orgueil, pour ne pas avoir l′air de chercher des excuses à ne pas avoir décommandé celle-ci ; par respect humain pourtant et habileté, parce que le manque de chagrin dont elle faisait preuve était plus honorable s′il devait être attribué à une antipathie particulière, soudain révélée, envers la princesse, plutôt qu′à une insensibilité universelle, et parce qu′on ne pouvait s′empêcher d′être désarmé par une sincérité qu′il n′était pas question de mettre en doute. Si Mme Verdurin n′avait pas été vraiment indifférente à la mort de la princesse, eût-elle été, pour expliquer qu′elle reçût, s′accuser d′une faute bien plus grave ? D′ailleurs, on oubliait que Mme Verdurin eût avoué, en même temps que son chagrin, qu′elle n′avait pas eu le courage de renoncer à un plaisir ; or la dureté de l′amie était quelque chose de plus choquant, de plus immoral, mais de moins humiliant, par conséquent de plus facile à avouer que la frivolité de la maîtresse de maison. En matière de crime, là où il y a danger pour le coupable, c′est l′intérêt qui dicte les aveux. Pour les fautes sans sanction, c′est l′amour-propre. Soit que, trouvant sans doute bien usé le prétexte des gens qui, pour ne pas laisser interrompre par les chagrins leur vie de plaisirs, vont répétant qu′il leur semble vain de porter extérieurement un deuil qu′ils ont dans le cœur, Mme Verdurin préférât imiter ces coupables intelligents, à qui répugnent les clichés de l′innocence, et dont la défense — demi-aveu sans qu′ils s′en doutent — consiste à dire qu′ils n′auraient vu aucun mal à commettre ce qui leur est reproché et que par hasard, du reste, ils n′ont pas eu l′occasion de faire ; soit qu′ayant adopté, pour expliquer sa conduite, la thèse de l′indifférence, elle trouvât, une fois lancée sur la pente de son mauvais sentiment, qu′il y avait quelque originalité à l′éprouver, une perspicacité rare à avoir su le démêler, et un certain « culot » à le proclamer, ainsi Mme Verdurin tint à insister sur son manque de chagrin, non sans une certaine satisfaction orgueilleuse de psychologue paradoxal et de dramaturge hardi. « Oui, c′est très drôle, dit-elle, ça ne m′a presque rien fait. Mon Dieu, je ne peux pas dire que je n′aurais pas mieux aimé qu′elle vécût, ce n′était pas une mauvaise personne. — Si, interrompit M. Verdurin. — Ah ! lui ne l′aime pas parce qu′il trouvait que cela me faisait du tort de la recevoir, mais il est aveuglé par ça. — Rends-moi cette justice, dit M. Verdurin, que je n′ai jamais approuvé cette fréquentation. Je t′ai toujours dit qu′elle avait mauvaise réputation. — Mais je ne l′ai jamais entendu dire, protesta Saniette. — Mais comment ? s′écria Mme Verdurin, c′était universellement connu ; pas mauvaise, mais honteuse, déshonorante. Non, mais ce n′est pas à cause de cela. Je ne saurais pas moi-même expliquer mon sentiment ; je ne la détestais pas, mais elle m′était tellement indifférente que, quand nous avons appris qu′elle était très mal, mon mari lui-même a été étonné et m′a dit : « On dirait que cela ne te fait rien. » Mais tenez, ce soir, il m′avait offert de décommander la répétition, et j′ai tenu, au contraire, à la donner, parce que j′aurais trouvé une comédie de témoigner un chagrin que je n′éprouve pas. » Elle disait cela parce qu′elle trouvait que c′était curieusement théâtre libre, et aussi que c′était joliment commode ; car l′insensibilité ou l′immoralité avouée simplifie autant la vie que la morale facile ; elle fait des actions blâmables, et pour lesquelles on n′a plus alors besoin de chercher d′excuses, un devoir de sincérité. Et les fidèles écoutaient les paroles de Mme Verdurin avec le mélange d′admiration et de malaise que certaines pièces cruellement réalistes et d′une observation pénible causaient parfois ; et tout en s′émerveillant de voir leur chère Patronne donner une forme nouvelle de sa droiture et de son indépendance, plus d′un, tout en se disant qu′après tout ce ne serait pas la même chose, pensait à sa propre mort et se demandait si, le jour qu′elle surviendrait, on pleurerait ou on donnerait une fête quai Conti. « Je suis bien content que la soirée n′ait pas été décommandée, à cause de mes invités », dit M. de Charlus, qui ne se rendait pas compte qu′en s′exprimant ainsi il froissait Mme Verdurin. Cependant j′étais frappé, comme chaque personne qui approcha ce soir-là Mme Verdurin, par une odeur assez peu agréable de rhino-goménol. Voici à quoi cela tenait. On sait que Mme Verdurin n′exprimait jamais ses émotions artistiques d′une façon morale, mais physique, pour qu′elles semblassent plus inévitables et plus profondes. Or, si on lui parlait de la musique de Vinteuil, sa préférée, elle restait indifférente, comme si elle n′en attendait aucune émotion. Mais après quelques minutes de regard immobile, presque distrait, sur un ton précis, pratique, presque peu poli (comme si elle vous avait dit : « Cela me serait égal que vous fumiez mais c′est à cause du tapis, il est très beau — ce qui me serait encore égal — mais il est très inflammable, j′ai très peur du feu et je ne voudrais pas vous faire flamber tous, pour un bout de cigarette mal éteinte que vous auriez laissé tomber par terre »), elle vous répondait : « Je n′ai rien contre Vinteuil ; à mon sens, c′est le plus grand musicien du siècle, seulement je ne peux pas écouter ces machines-là sans cesser de pleurer un instant (elle ne disait nullement « pleurer » d′un air pathétique, elle aurait dit d′un air aussi naturel « dormir » ; certaines méchantes langues prétendaient même que ce dernier verbe eût été plus vrai, personne ne pouvant, du reste, décider, car elle écoutait cette musique-là la tête dans ses mains, et certains bruits ronfleurs pouvaient, après tout, être des sanglots). Pleurer ça ne me fait pas mal, tant qu′on voudra, seulement ça me fiche, après, des rhumes à tout casser. Cela me congestionne la muqueuse, et quarante-huit heures après, j′ai l′air d′une vieille poivrote et, pour que mes cordes vocales fonctionnent, il me faut faire des journées d′inhalation. Enfin un élève de Cottard, un être délicieux, m′a soignée pour ça. Il professe un axiome assez original : « Mieux vaut prévenir que guérir. » Et il me graisse le nez avant que la musique commence. C′est radical. Je peux pleurer comme je ne sais pas combien de mères qui auraient perdu leurs enfants, pas le moindre rhume. Quelquefois un peu de conjonctivite, mais c′est tout. L′efficacité est absolue. Sans cela je n′aurais pu continuer à écouter du Vinteuil. Je ne faisais plus que tomber d′une bronchite dans une autre. » Je ne pus plus me retenir de parler de Mlle Vinteuil. « Est-ce que la fille de l′auteur n′est pas là, demandai-je à Mme Verdurin, ainsi qu′une de ses amies ? — Non, je viens justement de recevoir une dépêche, me dit évasivement Mme Verdurin ; elles ont été obligées de rester à la campagne. » J′eus un instant l′espérance qu′il n′avait peut-être jamais été question qu′elles la quittassent, et que Mme Verdurin n′avait annoncé ces représentants de l′auteur que pour impressionner favorablement les interprètes et le public. « Comment, alors, elles ne sont même pas venues à la répétition de tantôt ? » dit avec une fausse curiosité le baron qui voulut paraître ne pas avoir vu Charlie. Celui-ci vint me dire bonjour. Je l′interrogeai à l′oreille, relativement à Mlle Vinteuil ; il me sembla fort peu au courant. Je lui fis signe de ne pas parler haut et l′avertis que nous en recauserions. Il s′inclina en me promettant qu′il serait trop heureux d′être à ma disposition entière. Je remarquai qu′il était beaucoup plus poli, beaucoup plus respectueux qu′autrefois. Je fis compliment de lui — de lui qui pourrait peut-être m′aider à éclaircir mes soupçons — à M. de Charlus, qui me répondit : « Il ne fait que ce qu′il doit, ce ne serait pas la peine qu′il vécût avec des gens comme il faut pour avoir de mauvaises manières. » Les bonnes, selon M. de Charlus, étaient les vieilles manières françaises, sans ombre de raideur britannique. Aussi, quand Charlie, revenant de faire une tournée en province ou à l′étranger, débarquait en costume de voyage chez le baron, celui-ci, s′il n′y avait pas trop de monde, l′embrassait sans façon sur les deux joues, peut-être un peu pour ôter, par tant d′ostentation de sa tendresse, toute idée qu′elle pût être coupable, peut-être pour ne pas se refuser un plaisir, mais plus encore sans doute par littérature, pour maintien et illustration des anciennes manières de France, et comme il aurait protesté contre le style munichois ou le modern style en gardant de vieux fauteuils de son arrière-grand′mère, opposant au flegme britannique la tendresse d′un père sensible du XVIIIe siècle qui ne dissimule pas sa joie de revoir un fils. Y avait-il enfin une pointe d′inceste, dans cette affection paternelle ? Il est plus probable que la façon dont M. de Charlus contentait habituellement son vice, et sur laquelle nous recevrons ultérieurement quelques éclaircissements, ne suffisait pas à ses besoins affectifs, restés vacants depuis la mort de sa femme ; toujours est-il qu′après avoir songé plusieurs fois à se remarier, il était travaillé maintenant d′une maniaque envie d′adopter. On disait qu′il allait adopter Morel, et ce n′est pas extraordinaire. L′inverti qui n′a pu nourrir sa passion qu′avec une littérature écrite pour les hommes à femmes, qui pensait aux hommes en lisant les Nuits de Musset, éprouve le besoin d′entrer de même dans toutes les fonctions sociales de l′homme qui n′est pas inverti, d′entretenir un amant, comme le vieil habitué de l′Opéra des danseuses, d′être rangé, d′épouser ou de se coller, d′être père. Volviendo a monsieur de Charlus, quizá madame Verdurin no habría sufrido demasiado si el barón no hubiera puesto en el índice más que a madame Bontemps, a quien ella había distinguido en casa de Odette por su amor a las artes y que durante el asunto Dreyfus había ido a su casa algunas veces a cenar con su marido, motejado de tibio por madame Verdurin porque no se pronunciaba por la revisión del proceso, sino que, muy inteligente y muy amigo de estar bien con todos los partidos, le encantaba demostrar su independencia comiendo con Labor¡, al que escuchaba sin decir nada comprometedor, pero colocando a tiempo un homenaje a la lealtad de Jaurès, reconocida en todos los partidos. Pero el barón proscribió igualmente a algunas damas de la aristocracia con las que madame Verdurin había entrado recientemente en relación con motivo de solemnidades musicales, de colecciones, de caridad, y que, pensara monsieur de Charlus lo que pensara de ellas, hubieran sido, mucho más que él mismo, elementos esenciales para formar en casa de madame Verdurin un nuevo núcleo, aristocrático éste. Precisamente madame Verdurin contaba con aquella fiesta, a la que monsieur de Charlus le llevaría señoras del mismo mundo, para reunirlas con sus nuevas relaciones, y gozaba de antemano con la sorpresa que recibirían al encontrar en el Quai Conti a sus amigas o parientes invitadas por el barón. Estaba decepcionada y furiosa por su veto. Y faltaba saber si, en estas condiciones, la fiesta sería para ella un beneficio o una pérdida. Pérdida no demasiado grave si al menos las invitadas de monsieur de Charlus asistieran con disposiciones tan calurosas para madame Verdurin que llegaran a ser para ella sus amigas del futuro. En este caso, el mal sería sólo un mal a medias, y un día no lejano madame Verdurin reuniría, aunque para ello hubiera de renunciar al barón, aquellas dos mitades del gran mundo que él quiso separar. Madame Verdurin esperaba, pues, con cierta emoción a las invitadas de monsieur de Charlus. No iba a tardar en conocer el estado de ánimo en que acudían y hasta dónde podrían llegar sus relaciones con ellas. Mientras tanto, madame Verdurin hablaba con los fieles, pero al ver entrar a Charlus con Brichot y conmigo, cortó en seco la conversación. Con gran asombro nuestro, cuando Brichot le habló de su tristeza por la grave enfermedad de su amiga, madame Verdurin contestó: -Mire, tengo que confesar que no siento ninguna tristeza. Y es inútil fingir sentimientos que no se tienen... Seguramente hablaba así por falta de energía, porque la fatigaba la idea de tener que poner cara triste en toda la recepción; por orgullo, porque no pareciera que buscaba disculpas por no haberla suspendido; por respeto humano, sin embargo, y por habilidad, porque no mostrarse apenada era más honorable, si esto se atribuía a una antipatía particular, revelada de pronto, hacia la princesa, que a una insensibilidad universal, y porque era forzoso quedar desarmado por una sinceridad que no era cosa de poner en duda: si madame Verdurin no fuera verdaderamente indiferente a la muerte de la princesa, ¿iba a acusarse, para explicar que recibiera, de una falta mucho más grave? Se olvidaba que madame Verdurin habría podido confesar, al mismo tiempo que su pena, que no había tenido valor para renunciar a un placer; pero si la dureza de la amiga era más chocante, más inmoral, era también menos humillante; por consiguiente, más fácil de confesar que la frivolidad de una anfitriona. En materia de delito, cuando hay peligro para el culpable, es el interés el que dicta las confesiones. En las faltas sin sanción las dicta el amor propio. Por otra parte, fuera porque madame Verdurin, encontrando seguramente muy gastado el pretexto de las gentes que, para que las penas no interrumpan su vida de placeres, van repitiendo que les parece vano llevar exteriormente un luto que llevan en el corazón, prefiriera imitar a esos culpables inteligentes a quienes repugnan los clichés de la inocencia, y cuya defensa -semiconfesión sin saberlo- consiste en decir que no ven ningún mal en hacer lo que les reprochan, y que, además, por casualidad, no han tenido ocasión de hacerlo; o bien porque madame Verdurin, adoptada la tesis de la indiferencia para explicar su conducta y una vez lanzada por la pendiente de su mal sentimiento, encontrara que había cierta originalidad en él, una rara perspicacia en haber sabido aclararlo y una curiosa desfachatez en proclamarlo así, madame Verdurin tuvo empeño en insistir en que no estaba apenada, no sin cierta orgullosa satisfacción de psicóloga paradójica y de dramaturga audaz. -Sí, es curioso -dijo-, no me ha afectado casi nada. Claro, no puedo decir que no hubiera preferido que viviera, no era mala persona. -Sí lo era -interrumpió monsieur Verdurin. -¡Ah!, él no la quería porque pensaba que me perjudicaba recibirla, pero es que eso le ciega. -Me harás la justicia de reconocer -dijo monsieur Verdurin- que yo no aprobé nunca ese trato. Siempre te dije que tenía mala fama. -Pues yo nunca lo he oído decir -protestó Saniette. -¡Cómo que no! -exclamó madame Verdurin-, era universalmente sabido; mala no, sino vergonzosa, deshonrosa. Pero no, no es por eso. Ni yo misma sabría explicar mi sentimiento; no la quería mal, pero me era tan indiferente que, cuando nos enteramos de que estaba muy grave, mi mismo marido se sorprendió y me dijo: «Se diría que no te importa nada». Pero miren, esta noche me propuso suspender el ensayo, y yo he querido, por el contrario, hacerlo, porque me hubiera parecido una comedia mostrar una pena que no siento. Decía esto porque le parecía que era curiosamente «teatro libre», y también porque era muy cómodo; porque la insensibilidad o la inmoralidad confesada simplifica la vida tanto como la moral fácil; convierte acciones censurables y para las cuales ya no se necesita buscar disculpas en un deber de sinceridad. Y los fieles escuchaban las palabras de madame Verdurin con esa mezcla de admiración y de malestar que antes causaban ciertas obras teatrales comúnmente realistas y de una observación penosa; y más de uno, sin dejar de maravillarse de la nueva forma de su rectitud y de su independencia que daba la querida patrona, y diciéndose que, después de todo, no sería lo mismo, pensaba en su propia muerte y se preguntaba si, el día que sobreviniera, se lloraría o se daría una fiesta en el Quai Conti. -Me alegro mucho, por mis invitados, de que no se haya suspendido la fiesta -dijo monsieur de Charlus sin darse cuenta de que hablando así molestaba a madame Verdurin. Mientras tanto a mí, como a todo el que aquella noche se acercó a madame Verdurin, me había chocado un olor bastante poco agradable de rinogomenol. He aquí la explicación. Ya sabemos que madame Verdurin no expresaba nunca sus emociones artísticas de una manera moral, sino fisica, para que pareciesen más inevitables y más profundas. Ahora bien, si le hablaban de la música de Vinteuil, su preferida, permanecía indiferente, como si no esperara de ella ninguna emoción. Pero al cabo de unos minutos de mirada inmóvil, casi distraída, respondía en un tono preciso, práctico, casi descortés, como si dijera: «No me importaría que fumara usted, pero es por la alfombra, que es muy bonita -lo que tampoco me importaría-, pero muy inflamable; me da mucho miedo el fuego y, la verdad, no me gustaría que ardieran todos ustedes porque dejara usted caer una colilla mal apagada». Lo mismo ocurría con Vinteuil: si se hablaba de él, madame Verdurin no manifestaba ninguna admiracion, y al cabo de un momento expresaba fríamente su contrariedad de que se tocara aquella noche su música: «No tengo nada contra Vinteuil; a mi juicio, es el músico más grande del siglo. Pero no puedo escuchar esas cosas sin llorar todo el tiempo -y el tono con que decía "llorar" no tenía nada de patético: con la misma naturalidad hubiera dicho "dormir", y aun algunas malas lenguas pretendían que este último verbo hubiera sido más verídico, pero sin que nadie pudiera asegurarlo, pues madame Verdurin escuchaba esta música con la cabeza entre las manos, y ciertos ruidos que parecían ronquidos podían, después de todo, ser sollozos-. Llorar no me hace daño, llorar, todo lo que se quiera, pero después me agarran unos catarros imponentes, se me congestiona la mucosa y, pasadas cuarenta y ocho horas, parezco una vieja borracha, y para que funcionen mis cuerdas vocales tengo que pasarme días enteros haciendo inhalaciones. En fin, un discípulo de Cottard...» -¡Oh!, a propósito, no le había dado el pésame, se ha ido bien pronto, el pobre profesor. -Sí, qué le vamos a hacer, ha muerto, como todo el mundo; había matado a bastante gente para que le llegara la vez de dirigir sus golpes contra sí mismo. Bueno, le iba diciendo que un discípulo suyo, un muchacho delicioso, me trató esta afección. Profesa un axioma bastante original: «Más vale prevenir que curar». Y me engrasa la nariz antes de que empiece la música. Es radical. Ya puedo llorar como un ejército de madres que hubieran perdido a sus hijos: ni el menor catarro. A veces un poco de conjuntivitis, pero nada más: la eficacia es absoluta. Si no fuera por eso, no habría podido seguir escuchando música de Vinteuil. No hacía más que ir de una bronquitis a otra. No pude contenerme de hablar de mademoiselle Vinteuil. -¿No está aquí la hija del autor -pregunté a madame Verdurin- con una -No, precisamente acabo de recibir un telegrama -me dijo evasivamente madame Verdurin-; han tenido que quedarse en el campo. Y por un momento tuve la esperanza de que quizá ni siquiera habían pensado venir y de que madame Verdurin no había anunciado a aquellas representantes del autor más que para impresionar -Pero ¿no han venido siquiera al ensayo de hace un rato? -preguntó con falsa curiosidad el barón, queriendo aparentar que no había visto a Charlie. Éste se acercó a saludarme. Yo le pregunté al oído sobre la excusa de mademoiselle Vinteuil. Parecía muy poco enterado. Le hice seña de que no hablara alto y le advertí que volveríamos a hablar del asunto. Se inclinó prometiéndome que estaría con mucho gusto a mi entera disposición. Observé que estaba mucho más atento, mucho más respetuoso que antes. En este sentido le hablé bien de él -de él, que podría quizá ayudarme a esclarecer mis sospechas- a monsieur de Charlus, que me contestó: -No hace más que lo que debe; no valdría la pena de que viviera con personas distinguidas, para tener malas maneras. Las buenas eran para monsieur de Charlus las viejas maneras francesas, sin sombra de rigidez británica. Por eso cuando Charlie, al volver de una gira por provincias o por el extranjero, se presentaba con traje de viaje en casa del barón, éste, si no había mucha gente, le besaba sin ceremonia en ambas mejillas, un poco, quizá, para disipar, con tanta ostentación de su cariño, cualquier idea de que pudiera ser un cariño culpable, o quizá por no privarse de un placer, pero, seguramente, más aún por literatura, por conservar y honrar las antiguas maneras de Francia, y de la misma manera que habría protestado contra el estilo muniqués o el estilo moderno conservando los viejos sillones de su bisabuela, o poniendo en la flema británica la ternura de un padre sensible del siglo xviii que no disimula su alegría de ver a un hijo. ¿Había, en fin, una sombra de incesto en aquel afecto paternal? Más probable es que la manera con que monsieur de Charlus contenía habitualmente su vicio, y sobre la cual recibiremos más adelante algunas aclaraciones, no bastaba a sus necesidades afectivas, vacantes desde la muerte de su mujer; el caso es que, después de haber pensado varias veces en volver a casarse, le hurgaba ahora un maniático afán de adoptar, y ciertas personas de su círculo temían que este afán lo realizara con Charlie. Y no es extraordinario. El invertido que sólo ha podido alimentar su pasión con una literatura escrita para los hombres a los que les gustan las mujeres, que piensa en los hombres leyendo Les Nuits, de Musset, siente la necesidad de entrar de la misma manera en todas las funciones sociales del hombre que no es invertido, de sostener a un amante, como el viejo aficionado alas bailarinas de la ópera siente la necesidad de formalizarse, de casarse o de amancebarse, de ser padre.
M. de Charlus s′éloigna avec Morel, sous prétexte de se faire expliquer ce qu′on allait jouer, trouvant surtout une grande douceur, tandis que Charlie lui montrait sa musique, à étaler ainsi publiquement leur intimité secrète. Pendant ce temps-là j′étais charmé. Car, bien que le petit clan comportât peu de jeunes filles, on en invitait pas mal, par compensation, les jours de grandes soirées. Il y en avait plusieurs, et de fort belles, que je connaissais. Elles m′envoyaient de loin un sourire de bienvenue. L′air était ainsi décoré de moment en moment d′un beau sourire de jeune fille. C′est l′ornement multiple et épars des soirées, comme des jours. On se souvient d′une atmosphère parce que des jeunes filles y ont souri. Monsieur de Charlus se alejó con Morel, so pretexto de que le explicara lo que iba a tocar, encontrando sobre todo una gran dulzura, mientras Charlie le mostraba su música, en exhibir así públicamente su secreta intimidad. Mientras tanto yo estaba encantado. Pues aunque en el pequeño clan había habitualmente pocas muchachas, en compensación invitaban a bastantes los días de grandes veladas. Había varias, y algunas muy guapas, que yo conocía. Me dirigían desde lejos una sonrisa de bienvenida. Así, de cuando en cuando, se decoraba el aire con una bella sonrisa de muchacha. Es el ornamento múltiple y espaciado de las fiestas nocturnas, como lo es de los días. Recordamos una atmósfera porque en ella sonrieron muchachas.
On eût été bien étonné si l′on avait noté les propos furtifs que M. de Charlus avait échangés avec plusieurs hommes importants de cette soirée. Ces hommes étaient deux ducs, un général éminent, un grand écrivain, un grand médecin, un grand avocat. Or les propos avaient été : « À propos, avez-vous vu le valet de pied ? je parle du petit qui monte sur la voiture. Et chez notre cousine Guermantes, vous ne connaissez rien ? — Actuellement non. — Dites donc, devant la porte d′entrée aux voitures, il y avait une jeune personne blonde, en culotte courte, qui m′a semblé tout à fait sympathique. Elle m′a appelé très gracieusement ma voiture, j′aurais volontiers prolongé la conversation. — Oui, mais je la crois tout à fait hostile, et puis ça fait des façons ; vous qui aimez que les choses réussissent du premier coup, vous seriez dégoûté. Du reste, je sais qu′il n′y a rien à faire, un de mes amis a essayé. — C′est regrettable, j′avais trouvé le profil très fin et les cheveux superbes. — Vraiment, vous trouvez ça si bien que ça ? Je crois que si vous l′aviez vue un peu plus, vous auriez été désillusionné. Non, c′est au buffet qu′il y a encore deux mois vous auriez vu une vraie merveille, un grand gaillard de deux mètres, une peau idéale, et puis aimant ça. Mais c′est parti pour la Pologne. — Ah ! c′est un peu loin. — Qui sait ? ça reviendra peut-être. On se retrouve toujours dans la vie. » Il n′y a pas de grande soirée mondaine, si, pour en avoir une coupe, on sait la prendre à une profondeur suffisante, qui ne soit pareille à ces soirées où les médecins invitent leurs malades, lesquels tiennent des propos fort sensés, ont de très bonnes manières, et ne montreraient pas qu′ils sont fous s′ils ne vous glissaient à l′oreille, en vous montrant un vieux monsieur qui passe : « C′est Jeanne d′Arc. » Por otra parte, habrían sorprendido, de haberlas notado, las palabras furtivas cruzadas por monsieur de Charlus con varios hombres importantes de aquella velada. Estos hombres eran dos duques, un general eminente, un gran escritor, un gran médico, un gran abogado. Y las palabras fueron: -A propósito, ¿ha sabido usted si el ayuda de cámara, no, me refiero al pequeño que monta en el coche...? Y en casa de su prima Guermantes, ¿no conoce usted a nadie? -Por ahora no. -Delante de la puerta de entrada, en el sitio de los coches, había una personilla joven y rubia, de pantalón corto, que me ha parecido muy simpática. Llamó muy graciosamente a mi coche, me hubiera gustado prolongar la conversación. -Sí, pero la creo completamente hostil, y además hace muchos remilgos; a usted, que quiere que le salgan las cosas al primer golpe, le fastidiaría mucho. Además yo sé que no hay nada que hacer, uno de mis amigos probó. -Es una lástima, tiene un perfil muy fino y un cabello soberbio. -¿De veras le parece tan bien? Creo que si la hubiera visto un poco más, le habría desilusionado. No, en el buffet sí que habría visto no hace más de dos meses una verdadera maravilla, un gran mozo de dos metros, con una piel preciosa, y que además le gusta eso. Pero se fue a Polonia. -¡Ah, un poco lejos! -¿Quién sabe?, quizá vuelva. En la vida siempre nos volvemos a encontrar. No hay gran fiesta mundana, observada detenidamente, que no se parezca a esas reuniones a las que los médicos invitan a sus enfermos, los cuales dicen cosas muy sensatas, tienen muy buenas maneras y no se notaría que están locos si no le dijeran a uno al oído señalando a un señor viejo que pasa: «Es Juana de Arco».
« Je trouve que ce serait de notre devoir de l′éclairer, dit Mme Verdurin à Brichot. Ce que je fais n′est pas contre Charlus ; au contraire. Il est agréable, et quant à sa réputation, je vous dirai qu′elle est d′un genre qui ne peut pas me nuire ! Même moi, qui pour notre petit clan, pour nos dîners de conversation, déteste les flirts, les hommes disant des inepties à une femme dans un coin au lieu de traiter des sujets intéressants, avec Charlus je n′avais pas à craindre ce qui m′est arrivé avec Swann, avec Elstir, avec tant d′autres. Avec lui j′étais tranquille, il arrivait là à mes dîners, il pouvait y avoir toutes les femmes du monde, on était sûr que la conversation générale n′était pas troublée par des flirts, des chuchotements. Charlus c′est à part, on est tranquille, c′est comme un prêtre. Seulement, il ne faut pas qu′il se permette de régenter les jeunes gens qui viennent ici et de porter le trouble dans notre petit noyau, sans cela ce sera encore pire qu′un homme à femmes. » Et Mme Verdurin était sincère en proclamant ainsi son indulgence pour le Charlisme. Comme tout pouvoir ecclésiastique, elle jugeait les faiblesses humaines moins graves que ce qui pouvait affaiblir le principe d′autorité, nuire à l′orthodoxie, modifier l′antique credo, dans sa petite Église. « Sans cela, moi je montre les dents. Voilà un Monsieur qui a voulu empêcher Charlie de venir à une répétition parce qu′il n′y était pas convié. Aussi il va avoir un avertissement sérieux, j′espère que cela lui suffira, sans cela il n′aura qu′à prendre la porte. Il le chambre, ma parole. » Et usant exactement des mêmes expressions que presque tout le monde aurait employées, car il en est certaines, pas habituelles, que tel sujet particulier, telle circonstance donnée font affluer presque nécessairement à la mémoire du causeur, qui croit exprimer librement sa pensée et ne fait que répéter machinalement la leçon universelle, elle ajouta : « On ne peut plus voir Morel sans qu′il soit affublé de ce grand escogriffe, de cette espèce de garde du corps. » M. Verdurin proposa d′emmener un instant Charlie pour lui parler, sous prétexte de lui demander quelque chose. Mme Verdurin craignit qu′il ne fût ensuite troublé et jouât mal. « Il vaudrait mieux retarder cette exécution jusqu′après celle des morceaux. Et peut-être même jusqu′à une autre fois. » Car Mme Verdurin avait beau tenir à la délicieuse émotion qu′elle éprouverait quand elle saurait son mari en train d′éclairer Charlie dans une pièce voisine, elle avait peur, si le coup ratait, qu′il ne se fâchât et lâchât le 16. -Creo que tenemos el deber de aclararlo -dijo madame Verdurin a Brichot-. Esto que hago no es contra Charlus, al contrario. Es un hombre agradable, y en cuanto a su fama, le diré a usted que es de un tipo que a mí no puede perjudicarme. Ni siquiera yo, que en nuestro pequeño clan, en nuestras comidas de conversación, detesto los flirts, los hombres que dicen tonterías a una mujer en un rincón en vez de hablar de cosas interesantes, con Charlus no tengo que temer lo que me ocurrió con Swann, con Elstir, con tantos otros. Con él estaba tranquila, venía a mis comidas y ya podía haber en ellas todas las mujeres del mundo, se estaba seguro de que la conversación general no iba a ser turbada con flirts, con cuchicheos. Charlus es aparte, con él se está tranquilo, es como un cura. Pero no debe permitirse regentar a los jóvenes que vienen aquí y alborotar nuestro pequeño núcleo, porque entonces sería todavía peor que un hombre mujeriego -y madame Verdurin era sincera al proclamar así su indulgencia con el charlismo. Como todo poder eclesiástico, juzgaba las debilidades humanas menos graves que lo que podía debilitar el principio de autoridad, perjudicar a la ortodoxia, modificar el antiguo credo en su pequeña Iglesia-. Entonces, enseñaré los dientes. Es un señor que impidió a Charlie venir a un ensayo porque él no estaba invitado. De modo que le voy a hacer una advertencia seria, y espero que le baste; si no, no tendrá más que tomar la puerta. Le tiene encerrado, palabra -y empleando exactamente las mismas expresiones que hubiera empleado casi todo el mundo, pues hay algunas, no habituales, que un tema especial, una determinada circunstancia, traen casi necesariamente a la memoria del conversador que cree expresar libremente su pensamiento y no hace sino repetir maquinalmente la lección universal, madame Verdurin añadió-: Ya no hay manera de verle sin que lleve pegado a él esa gran estantigua, esa especie de guardia de corps. Monsieur Verdurin propuso llamar un momento a Charlie para hablarle, con el pretexto de preguntarle algo, pero madame Verdurin temió que aquello le alterara y después tocara mal. «Sería mejor aplazar esa ejecución para después de la música. Y quizá hasta para otra vez.» Pues por mucho que le interesara a madame Verdurin la deliciosa emoción que sentiría sabiendo a su marido en trance de cantarle la cartilla a Charlie en una estancia vecina, tenía miedo de que, si fallaba el golpe, Charlie se enfadara y renunciara al 16.
Ce qui perdit M. de Charlus ce soir-là fut la mauvaise éducation — si fréquente dans ce monde — des personnes qu′il avait invitées et qui commençaient à arriver. Venues à la fois par amitié pour M. de Charlus, et avec la curiosité de pénétrer dans un endroit pareil, chaque duchesse allait droit au baron, comme si c′était lui qui avait reçu, et disait, juste à un pas des Verdurin, qui entendaient tout : « Montrez-moi où est la mère Verdurin ; croyez-vous que ce soit indispensable que je me fasse présenter ? J′espère, au moins, qu′elle ne fera pas mettre mon nom dans le journal demain, il y aurait de quoi me brouiller avec tous les miens. Comment ! comment, c′est cette femme à cheveux blancs ? mais elle n′a pas trop mauvaise façon. » Entendant parler de Mlle Vinteuil, d′ailleurs absente, plus d′une disait : « Ah ! la fille de la Sonate ? Montrez-moi-la » et, retrouvant beaucoup d′amies, elles faisaient bande à part, épiaient, pétillantes de curiosité ironique, l′entrée des fidèles, trouvaient tout au plus à se montrer du doigt la coiffure un peu singulière d′une personne qui, quelques années plus tard, devait la mettre à la mode dans le plus grand monde, et, somme toute, regrettaient de ne pas trouver ce salon aussi dissemblable de ceux qu′elles connaissaient, qu′elles avaient espéré, éprouvant le désappointement de gens du monde qui, étant allés dans la boîte à Bruant dans l′espoir d′être engueulés par le chansonnier, se seraient vus, à leur entrée, accueillis par un salut correct au lieu du refrain attendu : « Ah ! voyez c′te gueule, c′te binette. Ah ! voyez c′te gueule qu′elle a. » Lo que perdió a monsieur de Charlus aquella noche fue la mala educación -tan frecuente en ese mundo- de las personas a las que había invitado y que comenzaban a llegar. Concurriendo a la vez por amistad a monsieur de Charlus y por la curiosidad de entrar en un sitio como aquél, cada duquesa iba derecha al barón como si fuera él quien recibía y, a un paso justo de los Verdurin, que lo oían todo, decía: «Dígame dónde está la vieja Verdurin; ¿cree usted que será indispensable que me presenten? Espero que, por lo menos, no saldrá mañana mi nombre en el periódico, sería como para indisponerme con todos los míos. Pero ¿es esa mujer de pelo blanco? Pues no tiene muy mala pinta.» Al oír hablar de mademoiselle Vinteuil, ausente por lo demás, más de una decía: «¡Ah!, ¿la hija de la Sonata? ¿Cuál es?» Y como se encontraban con muchas amigas, formaban banda aparte, espiaban, rebosantes de curiosidad, la entrada de los fieles, encontraban a lo sumo la ocasión de señalar unas a otras con el dedo el tocado un poco extraño de una persona que, unos años después, lo pondría de moda en el mundo más encopetado, y, en resumen, lamentaban no encontrar aquel salón tan diferente como esperaban de los que ellas conocían, sintiendo la decepción de una persona del gran mundo que fuera a la boîte Bruant con la esperanza de que el chansonnier se metiera con ella y viera que los recibían a la entrada con un saludo correcto en vez del estribillo esperado: «Ah! voyez ¿te gueule, c′te binette. Ah! voyez c′tegueule qu′elle a.»
M. de Charlus avait, à Balbec, finement critiqué devant moi Mme de Vaugoubert qui, malgré sa grande intelligence, avait causé, après la fortune inespérée, l′irrémédiable disgrâce de son mari. Les souverains auprès desquels M. de Vaugoubert était accrédité, le roi Théodose et la reine Eudoxie, étant revenus à Paris, mais cette fois pour un séjour de quelque durée, des fêtes quotidiennes avaient été données en leur honneur, au cours desquelles la Reine, liée avec Mme de Vaugoubert qu′elle voyait depuis dix ans dans sa capitale, et ne connaissant ni la femme du Président de la République, ni les femmes des Ministres, s′était détournée de celles-ci pour faire bande à part avec l′Ambassadrice. Celle-ci, croyant sa position hors de toute atteinte — M. de Vaugoubert étant l′auteur de l′alliance entre le roi Théodose et la France — avait conçu, de la préférence que lui marquait la Reine, une satisfaction d′orgueil, mais nulle inquiétude du danger qui la menaçait et qui se réalisa quelques mois plus tard en l′événement, jugé à tort impossible par le couple trop confiant, de la brutale mise à la retraite de M. de Vaugoubert. M. de Charlus, commentant dans le « tortillard » la chute de son ami d′enfance, s′étonnait qu′une femme intelligente n′eût pas, en pareille circonstance, fait servir toute son influence sur les souverains à obtenir d′eux qu′elle parût n′en posséder aucune, et à leur faire reporter sur les femmes du Président de la République et des Ministres une amabilité dont elles eussent été d′autant plus flattées, c′est-à-dire dont elles eussent été plus près, dans leur contentement, de savoir gré aux Vaugoubert, qu′elles eussent cru que cette amabilité était spontanée et non pas dictée par eux. Mais qui voit le tort des autres, pour peu que les circonstances le grisent, y succombe souvent lui-même. Et M. de Charlus, pendant que ses invités se frayaient un chemin pour venir le féliciter, le remercier comme s′il avait été le maître de maison, ne songea pas à leur demander de dire quelques mots à Mme Verdurin. Seule la reine de Naples, en qui vivait le même noble sang qu′en ses sœurs l′impératrice Élisabeth et la duchesse d′Alençon, se mit à causer avec Mme Verdurin comme si elle était venue pour le plaisir de la voir plus que pour la musique et pour M. de Charlus, fit mille déclarations à la Patronne, ne tarit pas sur l′envie qu′elle avait depuis si longtemps de faire sa connaissance, la complimenta sur sa maison et lui parla des sujets les plus divers comme si elle était en visite. Elle eût tant voulu amener sa nièce Élisabeth, disait-elle (celle qui devait peu après épouser le prince Albert de Belgique), et qui regretterait tant ! Elle se tut en voyant les musiciens s′installer sur l′estrade et se fit montrer Morel. Elle ne devait guère se faire d′illusion sur les motifs qui portaient M. de Charlus à vouloir qu′on entourât le jeune virtuose de tant de gloire. Mais sa vieille sagesse de souveraine en qui coulait un des sangs les plus nobles de l′histoire, les plus riches d′expérience, de scepticisme et d′orgueil, lui faisait seulement considérer les tares inévitables des gens qu′elle aimait le mieux, comme son cousin Charlus (fils comme elle d′une duchesse de Bavière), comme des infortunes qui leur rendaient plus précieux l′appui qu′ils pouvaient trouver en elle et faisaient, en conséquence, qu′elle avait plus de plaisir encore à le leur fournir. Elle savait que M. de Charlus serait doublement touché qu′elle se fût dérangée en pareille circonstance. Seulement, aussi bonne qu′elle s′était jadis montrée brave, cette femme héroî°µe qui, reine-soldat, avait fait elle-même le coup de feu sur les remparts de Gaète, toujours prête à aller chevaleresquement du côté des faibles, voyant Mme Verdurin seule et délaissée, et qui ignorait, d′ailleurs, qu′elle n′eût pas dû quitter la Reine, avait cherché à feindre que pour elle, reine de Naples, le centre de cette soirée, le point attractif qui l′avait fait venir c′était Mme Verdurin. Elle s′excusa sur ce qu′elle ne pourrait pas rester jusqu′à la fin, devant, quoiqu′elle ne sortît jamais, aller à une autre soirée, et demandant que surtout, quand elle s′en irait, on ne se dérangeât pas pour elle, tenant ainsi Mme Verdurin quitte d′honneurs que celle-ci ne savait du reste pas qu′on avait à lui rendre. En Balbec, monsieur de Charlus había criticado agudamente delante de mí a madame de Vaugoubert, que a pesar de su gran inteligencia causó, después de la inesperada fortuna, la irremediable caída en desgracia de su marido. Los soberanos ante los cuales estaba acreditado, el rey Teodosio y la reina Eudosia, vinieron a París, pero esta vez en una visita corta; se dieron en su honor fiestas cotidianas, en las cuales la reina, relacionada con madame de Vaugoubert, a la que veía desde hacía diez años en su capital, y que no conocía ni a la esposa del presidente de la República ni a las esposas de los ministros, se apartó de ellas para hacer banda aparte con la embajadora. A la embajadora, que creía inatacable su posición, porque monsieur de Vaugoubert era el autor de la alianza entre el rey Teodosio y Francia, la preferencia que le dispensaba la reina le produjo una satisfacción de orgullo, pero ninguna inquietud por el peligro que la amenazaba y que se cumplió a los pocos meses: el brutal cese de monsieur de Vaugoubert, que, erróneamente, el matrimonio, demasiado confiado, consideraba imposible. Monsieur de Charlus, comentando en el trenecillo la caída de su amigo de la infancia, se extrañaba de que una mujer inteligente no hubiera puesto en juego en semejantes circunstancias toda su influencia sobre los soberanos para obtener de éstos que hicieran ver que no tenían ninguna y para que dedicaran a la esposa del presidente de la República y a las de los ministros una amabilidad que las complacería doblemente si creyeran que era una amabilidad espontánea y no aconsejada por los Vaugoubert, con lo que estarían muy cerca de sentirse agradecidas a éstos. Pero ¿quién ve el error de los demás?; a poco que las circunstancias ofusquen a una persona, ella misma sucumbe al error. Y a monsieur de Charlus, mientras sus invitados se abrían camino para acercarse a felicitarle, para darle las gracias como si fuera el anfitrión, no se le ocurrió pedirles que dijeran algo a madame Verdurin. Sólo la reina de Nápoles, en quien vivía la misma noble sangre que en sus hermanas la emperatriz Isabel y la duquesa de Alençon, se puso a hablar con madame Verdurin como si hubiera ido por el gusto de ver a ésta más que por la música y por monsieur de Charlus; hizo mil declaraciones a la patrona, le dijo, muy efusiva, que hacía mucho tiempo que deseaba conocerla, la felicitó por la casa y le habló de los temas más diversos como si estuviera de visita. Le hubiera gustado mucho -decía- traer a su sobrina Isabel (la que poco después se iba a casar con el príncipe Alberto de Bélgica) y a la que tanto iba a echar de menos. Al ver instalarse a los músicos en el estrado, se calló y pidió que le señalaran a Morel. No debía de engañarse en cuanto a los motivos de monsieur de Charlus para tener tanto empeño en rodear de tanta gloria al joven virtuoso. Pero su viejo tacto de soberana que llevaba una de las sangres más nobles de la historia, más ricas en experiencia, en escepticismo y en orgullo, le hacía considerar las taras inevitables de las personas que más quería, como su primo Charlus (hijo, como ella, de una duquesa de Baviera), sólo como infortunios que hacían para ellas más valioso el apoyo que ella podía prestarles, y, en consecuencia, le placía más aún prestárselo. Sabía que a monsieur de Charlus le conmovería doblemente que ella se molestara en tal circunstancia. Sólo que esta mujer heroica que, reina soldado, disparó personalmente en las fortificaciones de Gaeta, tan buena ahora como valiente antes, dispuesta siempre a ponerse caballerescamente al lado de los débiles, al ver a madame Verdurin sola y desdeñada, y que, por otra parte, ignoraba que no hubiera debido dejar a la reina, fingió que para ella, la reina de Nápoles, el centro de la velada, el punto atractivo que la hizo asistir a la fiesta, era madame Verdurin. Se disculpó mil veces de no poder quedarse hasta el final, pues, aunque no salía nunca, tenía que ir a otra velada, insistiendo en que, cuando se fuera, no se molestara nadie por ella, renunciando así a unos honores que, por lo demás, madame Verdurin no sabía que había que rendirle.
Il faut rendre pourtant cette justice à M. de Charlus que, s′il oublia entièrement Mme Verdurin et la laissa oublier, jusqu′au scandale, par les gens « de son monde » à lui qu′il avait invités, il comprit, en revanche, qu′il ne devait pas laisser ceux-ci garder, en face de la « manifestation musicale » elle-même, les mauvaises façons dont ils usaient à l′égard de la Patronne.. Morel était déjà monté sur l′estrade, les artistes se groupaient, que l′on entendait encore des conversations, voire des rires, des « il paraît qu′il faut être initié pour comprendre ». Aussitôt M. de Charlus, redressant sa taille en arrière, comme entré dans un autre corps que celui que j′avais vu, tout à l′heure, arriver en traînaillant chez Mme Verdurin, prit une expression de prophète et regarda l′assemblée avec un sérieux qui signifiait que ce n′était pas le moment de rire, et dont on vit rougir brusquement le visage de plus d′une invitée prise en faute, comme une élève par son professeur, en pleine classe. Pour moi, l′attitude, si noble d′ailleurs, de M. de Charlus avait quelque chose de comique ; car tantôt il foudroyait ses invités de regards enflammés, tantôt, afin de leur indiquer comme un vade mecum le religieux silence qu′il convenait d′observer, le détachement de toute préoccupation mondaine, il présentait lui-même, élevant vers son beau front ses mains gantées de blanc, un modèle (auquel on devait se conformer) de gravité, presque déjà d′extase, sans répondre aux saluts des retardataires assez indécents pour ne pas comprendre que l′heure était maintenant au Grand Art. Tous furent hypnotisés ; on n′osa plus proférer un son, bouger une chaise ; le respect pour la musique — de par le prestige de Palamède — avait été subitement inculqué à une foule aussi mal élevée qu′élégante. Sin embargo, hay que hacer a monsieur de Charlus la justicia de reconocer que, si olvidó por completo a madame Verdurin y dejó que la olvidaran hasta el escándalo las personas «de su mundo» que él había invitado, comprendió, en cambio, que, ante la «manifestación musical» misma, no debía permitirles las malas maneras con que se comportaban respecto a la patrona. Ya había subido Morel al estrado y se habían agrupado los artistas, y todavía se oían conversaciones, hasta risas, expresiones, tales como «parece ser que hay que estar iniciado para entender». Inmediatamente, monsieur de Charlus, muy erguido, como si hubiera entrado en otro cuerpo distinto del que yo le había visto al llegar, andando penosamente, a casa de madame Verdurin, adoptó una expresión de profeta y miró a la concurrencia con una seriedad que significaba que no era momento de reír, con lo que hizo enrojecer súbitamente a más de un invitado cogido en falta como un escolar por su profesor en plena clase. Para mí, la actitud de monsieur de Charlus, tan noble por lo demás, tenía algo de cómica; pues tan pronto fulminaba a sus invitados con miradas flamígeras, como para indicarles como en un vade mecum el religioso silencio que convenía observar, el abandono de toda preocupación mundana, ofrecía él mismo, elevando hacia su hermoso rostro sus manos enguantadas de blanco, un modelo (al que había que adaptarse) de gravedad, casi ya de éxtasis, sin contestar a los saludos de los retrasados, lo bastante indecentes como para no comprender que había llegado la hora del gran arte. Todos quedaron hipnotizados, sin atreverse a proferir un sonido, sin mover una silla; súbitamente -por el prestigio de Palamède- se había infundido a una multitud tan mal educada como elegante el respeto a la música.
En voyant se ranger sur la petite estrade non pas seulement Morel et un pianiste, mais d′autres instrumentistes, je crus qu′on commençait par des œuvres d′autres musiciens que Vinteuil. Car je croyais qu′on ne possédait de lui que sa sonate pour piano et violon. Al tomar posición en el pequeño estrado no sólo Morel y un pianista, sino otros instrumentistas, creí que iban a empezar por obras de otros músicos que no fueran Vinteuil. Pues yo creía que sólo había de él una sonata para piano y violín.
Mme Verdurin s′assit à part, les hémisphères de son front blanc et légèrement rosé magnifiquement bombés, les cheveux écartés, moitié en imitation d′un portrait du xviiie siècle, moitié par besoin de fraîcheur d′une fiévreuse qu′une pudeur empêche de dire son état, isolée, divinité qui présidait aux solennités musicales, déesse du wagnérisme et de la migraine, sorte de Norne presque tragique, évoquée par le génie au milieu de ces ennuyeux, devant qui elle allait dédaigner plus encore que de coutume d′exprimer des impressions en entendant une musique qu′elle connaissait mieux qu′eux. Le concert commença, je ne connaissais pas ce qu′on jouait, je me trouvais en pays inconnu. Où le situer ? Dans l′œuvre de quel auteur étais-je ? J′aurais bien voulu le savoir et, n′ayant près de moi personne à qui le demander, j′aurais bien voulu être un personnage de ces Mille et une Nuits que je relisais sans cesse et où, dans les moments d′incertitude, surgit soudain un génie ou une adolescente d′une ravissante beauté, invisible pour les autres, mais non pour le héros embarrassé, à qui elle révèle exactement ce qu′il désire savoir. Or, à ce moment, je fus précisément favorisé d′une telle apparition magique. Comme, dans un pays qu′on ne croit pas connaître et qu′en effet on a abordé par un côté nouveau, lorsque, après avoir tourné un chemin, on se trouve tout d′un coup déboucher dans un autre dont les moindres coins vous sont familiers, mais seulement où on n′avait pas l′habitude d′arriver par là, on se dit : « Mais c′est le petit chemin qui mène à la petite porte du jardin de mes amis XÂ… ; je suis à deux minutes de chez eux », et leur fille est en effet là qui est venue vous dire bonjour au passage ; ainsi, tout d′un coup, je me reconnus, au milieu de cette musique nouvelle pour moi, en pleine sonate de Vinteuil ; et, plus merveilleuse qu′une adolescente, la petite phrase, enveloppée, harnachée d′argent, toute ruisselante de sonorités brillantes, légères et douces comme des écharpes, vint à moi, reconnaissable sous ces parures nouvelles. Ma joie de l′avoir retrouvée s′accroissait de l′accent si amicalement connu qu′elle prenait pour s′adresser à moi, si persuasif, si simple, non sans laisser éclater pourtant cette beauté chatoyante dont elle resplendissait. La signification, d′ailleurs, n′était cette fois que de me montrer le chemin, et qui n′était pas celui de la sonate, car c′était une œuvre inédite de Vinteuil où il s′était seulement amusé, par une allusion que justifiait à cet endroit un mot du programme, qu′on aurait dû avoir en même temps sous les yeux, à faire apparaître un instant la petite phrase. À peine rappelée ainsi, elle disparut et je me retrouvai dans un monde inconnu ; mais je savais maintenant, et tout ne cessa plus de me confirmer, que ce monde était un de ceux que je n′avais même pu concevoir que Vinteuil eût créés, car quand, fatigué de la sonate, qui était un univers épuisé pour moi, j′essayais d′en imaginer d′autres aussi beaux mais différents, je faisais seulement comme ces poètes qui remplissent leur prétendu paradis de prairies, de fleurs, de rivières, qui font double emploi avec celles de la Terre. Ce qui était devant moi me faisait éprouver autant de joie qu′aurait fait la sonate si je ne l′avais pas connue ; par conséquent, en étant aussi beau, était autre. Tandis que la sonate s′ouvrait sur une aube liliale et champêtre, divisant sa candeur légère pour se suspendre à l′emmêlement léger et pourtant consistant d′un berceau rustique de chèvrefeuilles sur des géraniums blancs, c′était sur des surfaces unies et planes comme celles de la mer que, par un matin d′orage déjà tout empourpré, commençait, au milieu d′un aigre silence, dans un vide infini, l′œuvre nouvelle, et c′est dans un rose d′aurore que, pour se construire progressivement devant moi, cet univers inconnu était tiré du silence et de la nuit. Ce rouge si nouveau, si absent de la tendre, champêtre et candide sonate, teignait tout le ciel, comme l′aurore, d′un espoir mystérieux. Et un chant perçait déjà l′air, chant de sept notes, mais le plus inconnu, le plus différent de tout ce que j′eusse jamais imaginé, de tout ce que j′eusse jamais pu imaginer, à la fois ineffable et criard, non plus un roucoulement de colombe comme dans la sonate, mais déchirant l′air, aussi vif que la nuance écarlate dans laquelle le début était noyé, quelque chose comme un mystique chant du coq, un appel ineffable, mais suraigu, de l′éternel matin. L′atmosphère froide, lavée de pluie, électrique — d′une qualité si différente, à des pressions tout autres, dans un monde si éloigné de celui, virginal et meublé de végétaux, de la sonate — changeait à tout instant, effaçant la promesse empourprée de l′Aurore. À midi pourtant, dans un ensoleillement brûlant et passager, elle semblait s′accomplir en un bonheur lourd, villageois et presque rustique, où la titubation de cloches retentissantes et déchaînées (pareilles à celles qui incendiaient de chaleur la place de l′église à Combray, et que Vinteuil, qui avait dû souvent les entendre, avait peut-être trouvées à ce moment-là dans sa mémoire comme une couleur qu′on a à portée de sa main sur une palette) semblait matérialiser la plus épaisse joie. À vrai dire, esthétiquement, ce motif de joie ne me plaisait pas, je le trouvais presque laid, le rythme s′en traînait si péniblement à terre qu′on aurait pu en imiter presque tout l′essentiel, rien qu′avec des bruits, en frappant d′une certaine manière des baguettes sur une table. Il me semblait que Vinteuil avait manqué là d′inspiration, et, en conséquence, je manquai aussi là un peu de force d′attention. Madame Verdurin se sentó aparte, los hemisferios de su frente blanca y ligeramente rosada magníficamente abombados, separado el cabello, mitad a imitación de un retrato del siglo XVIII, mitad por necesidad de frescor de una calenturienta a la que cierto pudor impide decir su estado, aislada, divinidad que presidía las solemnidades musicales, diosa del wagnerismo y de la jaqueca, especie de Norna casi trágica, evocada por el genio en medio de aquellos aburridos ante los que, menos aún que de costumbre, no se dignaría expresar impresiones esperando una música que conocía mejor que ellos. Comenzó el concierto; yo no conocía lo que tocaban, me encontraba en país incógnito. ¿Dónde situarlo? ¿En la obra de qué autor me encontraba? Bien hubiera querido saberlo, y, no teniendo cerca de mí nadie a quien preguntárselo, hubiera querido ser un personaje de aquellas Mil y una noches que yo leía constantemente y donde, en los momentos de incertidumbre, surgía de pronto un genio o una adolescente de arrebatadora belleza, invisible para los demás, pero no para el héroe en trance difícil, al que revela exactamente lo que desea saber. Y en aquel momento fui precisamente favorecido por una de esas apariciones mágicas. Como cuando, en un país que creemos no conocer y que, en efecto, hemos abordado por un lado nuevo, doblamos un camino y nos encontramos de pronto en otro cuyos menores rincones nos son familiares, pero al que no tenemos costumbre de llegar por allí, nos decimos: «Pero si es el caminito que lleva a la puerta del jardín de mis amigos...; estoy a dos minutos de su casa»; y, en efecto, ahí está su hija que viene a saludarnos al paso; así, de pronto, me reconocí yo en medio de aquella música nueva para mí, en plena Sonata de Vinteuil; y la pequeña frase, más maravillosa que una adolescente, envuelta, enjaezada de plata, toda rezumante de brillantes sonoridades, ligeras y suaves como echarpes, vino a mí, reconocible bajo sus nuevas galas. Mi gozo de haber vuelto a encontrarla era mayor por el acento tan amicalmente conocido que tomaba para dirigirse a mí, tan persuasivo, tan simple, pero no sin ostentar aquella su belleza resplandeciente. Por otra parte, esta vez no tenía otra significación que la de indicar el camino, y este camino no era el de la Sonata; se trataba de una obra inédita de Vinteuil en la que éste tuvo el simple capricho de reproducir por un momento la pequeña frase con una alusión, justificada en este lugar por unas palabras del programa, que hubiéramos debido tener al mismo tiempo ante los ojos. Apenas recordada así, desapareció la pequeña frase y yo volví a encontrarme en un mundo desconocido; pero ahora ya sabía, y todo no hizo ya sino confirmarme que aquel mundo era uno de los que yo ni siquiera hubiera podido concebir que creara Vinteuil, pues cuando, cansado de la Sonata, que era un universo agotado para mí, quería imaginar otros igualmente bellos pero diferentes, hacía solamente lo que los poetas que llenan su supuesto paraíso de praderas, de flores, de ríos iguales a los de la Tierra. Lo que tenía ante mí me daba el mismo goce que me habría dado la Sonata si no la hubiera conocido; por consiguiente, siendo igualmente bello, era distinto. Mientras que la Sonata surgía en una aurora lilial y campestre, dividiendo su candor vaporoso, mas para suspenderse en la maraña tenue y, sin embargo, consistente de una rústica cuna de madreselvas sobre geranios blancos, la obra nueva nacía, una mañana de tormenta, sobre superficies lisas y planas como las del mar, en medio de un silencio agresivo, en un vacío infinito, y del silencio y de la noche surgía un universo desconocido que, en un rosa de alborada, se iba construyendo progresivamente ante mí. Aquel rojo tan nuevo, tan ausente en la tierna, campestre y cándida Sonata, teñía, como la aurora, todo el cielo de una esperanza misteriosa. Y un canto taladraba el aire, un canto de siete notas, pero el más desconocido, el más diferente de cuantos yo pudiera nunca imaginar, ala vez inefable y chillón, ya no zureo de paloma como en la Sonata, sino que desgarraba el aire algo así como un místico canto del gallo, tan vivo como el matiz escarlata en el que el comienzo estaba sumergido, una llamada, inefable pero sobreaguda, del eterno amanecer. La atmósfera fría, lavada de lluvia, eléctrica -de una calidad tan diferente, a presiones tan distintas, en un mundo tan alejado del de la Sonata, virginal y amueblado de vegetales-, cambiaba a cada instante, borrando la promesa purpúrea de la aurora. Pero al mediodía, con un sol ardiente y pasajero, esta promesa parecía cumplirse en una dicha ordinaria, pueblerina y casi rústica, donde la vacilación de las campanas resonantes y escandalosas (semejantes a las que incendiaban de calor la plaza de la iglesia en Combray, y que Vinteuil, que había debido de oírlas a menudo, quizá las encontró en aquel momento en su memoria como un color llevado de la mano a la paleta) parecía materializar la más densa alegría. A decir verdad, estéticamente no me gustaba este motivo de alegría; le encontraba casi feo, el ritmo se arrastraba tan penosamente por el suelo que se hubiera podido imitarlo, en casi todo lo esencial, sólo con ruidos, golpeando de cierta manera con unos palillos en una mesa. Me parecía que a Vinteuil le había faltado inspiración, y, en consecuencia, a mí me faltó también un poco de fuerza de atención.
Je regardai la Patronne, dont l′immobilité farouche semblait protester contre les battements de mesure exécutés par les têtes ignorantes des dames du Faubourg. Mme Verdurin ne disait pas : « Vous comprenez que je la connais un peu cette musique, et un peu encore ! S′il me fallait exprimer tout ce que je ressens, vous n′en auriez pas fini ! » Elle ne le disait pas. Mais sa taille droite et immobile, ses yeux sans expression, ses mèches fuyantes, le disaient pour elle. Ils disaient aussi son courage, que les musiciens pouvaient y aller, ne pas ménager ses nerfs, qu′elle ne flancherait pas à l′andante, qu′elle ne crierait pas à l′allegro. Je regardai ces musiciens. Le violoncelliste dominait l′instrument qu′il serrait entre ses genoux, inclinant sa tête à laquelle des traits vulgaires donnaient, dans les instants de maniérisme, une expression involontaire de dégoût ; il se penchait sur sa contrebasse, la palpait avec la même patience domestique que s′il eût épluché un chou, tandis que, près de lui, la harpiste (encore enfant) en jupe courte, dépassée de tous côtés par les rayons horizontaux du quadrilatère d′or, pareils à ceux qui, dans la chambre magique d′une sibylle, figureraient arbitrairement l′éther selon les formes consacrées, semblait aller y chercher, çà et là, au point exigé, un son délicieux, de la même manière que, petite déesse allégorique, dressée devant le treillage d′or de la voûte céleste, elle y aurait cueilli, une à une, des étoiles. Quant à Morel, une mèche, jusque-là invisible et confondue dans sa chevelure, venait de se détacher et de faire boucle sur son front. Je tournai imperceptiblement la tête vers le public pour me rendre compte de ce que M. de Charlus avait l′air de penser de cette mèche. Mais mes yeux ne rencontrèrent que le visage, ou plutôt que les mains, de Mme Verdurin, car celui-là était entièrement enfoui dans celles-ci. Miré a la patrona, cuya inmovilidad huraña parecía protestar contra las damas del Faubourg que marcaban el compás con sus ignaras cabezas. Madame Verdurin no decía: «Ya comprenderán ustedes que esta música la conozco, ¡y bastante! Si tuviera que expresar todo lo que siento, tendrían ustedes para rato.» No lo decía, pero sus ojos sin expresión, sus mechones erizados, lo decían por ella. Decían también su coraje, que los músicos podían despacharse a su gusto, no andar con contemplaciones con sus nervios, que no se entregaría en el andante, que no gritaría en el allegro. Miré a los músicos. El violoncellista dominaba el instrumento que apretaba entre las rodillas, inclinando la cabeza, a la que unos rasgos vulgares daban, en los momentos de manierismo, una involuntaria expresión de desagrado; se inclinaba sobre el contrabajo, lo palpaba con la misma paciencia doméstica que si estuviera limpiando una col, mientras que junto a él, la arpista, niña aún, de falda corta, rebasada en todos los sentidos por los rayos horizontales del cuadrilátero de oro, semejantes a los que en la cámara mágica de una sibila figuraban arbitrariamente el éter según las formas consagradas, parecía buscar acá y allá, en el punto asignado, un sonido delicioso, como una pequeña diosa alegórica que, erguida ante el enrejado de oro de la bóveda celeste, estuviera cogiendo estrellas una a una. En cuanto a Morel, un mechón, hasta entonces invisible y confundido en su cabello, acababa de desprenderse y de formar un bucle sobre su frente. Me volví imperceptiblemente hacia el público para ver lo que monsieur de Charlus parecía pensar de aquel mechón. Pero mis ojos no encontraron más que la cara, o más bien que las manos, puesto que aquélla la tenía hundida por completo en éstas. ¿Quería la patrona demostrar con esta actitud que se consideraba como en la iglesia y esta música no le parecía diferente de la más sublime de las plegarias? ¿Quería, como ciertas personas en la iglesia, hurtar a las miradas indiscretas, ya, por pudor, su fervor supuesto, ya, por respeto humano, su distracción culpable o un sueño invencible? Un ruido regular que no era musical me hizo pensar por un instante que la última hipótesis era la verdadera, pero en seguida me di cuenta de que el ruido lo producían los ronquidos, no de madame Verdurin, sino de su perra...
Mais bien vite, le motif triomphant des cloches ayant été chassé, dispersé par d′autres, je fus repris par cette musique ; et je me rendais compte que, si, au sein de ce septuor, des éléments différents s′exposaient tour à tour pour se combiner à la fin, de même, la sonate de Vinteuil et, comme je le sus plus tard, ses autres œuvres n′avaient toutes été, par rapport à ce septuor, que de timides essais, délicieux mais bien frêles, auprès du chef-d′œuvre triomphal et complet qui m′était en ce moment révélé. Et de même encore, je ne pouvais m′empêcher, par comparaison, de me rappeler que j′avais pensé aux autres mondes qu′avait pu créer Vinteuil comme à des univers aussi complètement clos qu′avait été chacun de mes amours ; mais, en réalité, je devais bien m′avouer qu′au sein de mon dernier amour — celui pour Albertine — mes premières velléités de l′aimer (à Balbec tout au début, puis après la partie de furet, puis la nuit où elle avait couché à l′hôtel, puis à Paris le dimanche de brume, puis le soir de la fête Guermantes, puis de nouveau à Balbec, et enfin à Paris où ma vie était étroitement unie à la sienne) n′avaient été que des appels ; de même, si je considérais maintenant, non plus mon amour pour Albertine, mais toute ma vie, mes autres amours eux aussi n′y avaient été que de minces et timides essais, des appels, qui préparaient ce plus vaste amour : l′amour pour Albertine. Et je cessai de suivre la musique pour me redemander si Albertine avait vu ou non Mlle Vinteuil ces jours-ci, comme on interroge de nouveau une souffrance interne que la distraction vous a fait un moment oublier. Car c′est en moi que se passaient les actions possibles d′Albertine. De tous les êtres que nous connaissons, nous possédons un double, mais habituellement situé à l′horizon de notre imagination, de notre mémoire ; il nous reste relativement extérieur, et ce qu′il a fait ou pu faire ne comporte pas plus, pour nous, d′élément douloureux qu′un objet placé à quelque distance et qui ne nous procure que les sensations indolores de la vue. Ce qui affecte ces êtres-là, nous le percevons d′une façon contemplative, nous pouvons le déplorer en termes appropriés qui donnent aux autres l′idée de notre bon cœur, nous ne le ressentons pas ; mais depuis ma blessure de Balbec, c′était dans mon cœur, à une grande profondeur, difficile à extraire, qu′était le double d′Albertine. Ce que je voyais d′elle me lésait comme un malade dont les sens seraient si fâcheusement transposés que la vue d′une couleur serait intérieurement éprouvée par lui comme une incision en pleine chair. Heureusement que je n′avais pas cédé à la tentation de rompre encore avec Albertine ; cet ennui d′avoir à la retrouver tout à l′heure, quand je rentrerais, était bien peu de chose auprès de l′anxiété que j′aurais eue si la séparation s′était effectuée à ce moment où j′avais un doute sur elle, avant qu′elle eût eu le temps de me devenir indifférente. Au moment où je me la représentais ainsi m′attendant à la maison, comme une femme bien aimée trouvant le temps long, s′étant peut-être endormie un instant dans sa chambre, je fus caressé au passage par une tendre phrase familiale et domestique du septuor. Peut-être — tant tout s′entrecroise et se superpose dans notre vie intérieure — avait-elle été inspirée à Vinteuil par le sommeil de sa fille — de sa fille, cause aujourd′hui de tous mes troubles — quand il enveloppait de sa douceur, dans les paisibles soirées, le travail du musicien, cette phrase qui me calma tant par le même moelleux arrière-plan de silence qui pacifie certaines rêveries de Schumann, durant lesquelles, même quand « le Poète parle », on devine que « l′enfant dort ». Endormie, éveillée, je la retrouverais ce soir, quand il me plairait de rentrer, Albertine, ma petite enfant. Et pourtant, me dis-je, quelque chose de plus mystérieux que l′amour d′Albertine semblait promis au début de cette œuvre, dans ces premiers cris d′aurore. J′essayai de chasser la pensée de mon amie pour ne plus songer qu′au musicien. Aussi bien semblait-il être là. On aurait dit que, réincarné, l′auteur vivait à jamais dans sa musique ; on sentait la joie avec laquelle il choisissait la couleur de tel timbre, l′assortissait aux autres. Car à des dons plus profonds, Vinteuil joignait celui que peu de musiciens, et même peu de peintres ont possédé, d′user de couleurs non seulement si stables mais si personnelles que, pas plus que le temps n′altère leur fraîcheur, les élèves qui imitent celui qui les a trouvées, et les maîtres mêmes qui le dépassent, ne font pâlir leur originalité. La révolution que leur apparition a accomplie ne voit pas ses résultats s′assimiler anonymement aux époques suivantes ; elle se déchaîne, elle éclate à nouveau, et seulement quand on rejoue les œuvres du novateur à perpétuité. Chaque timbre se soulignait d′une couleur que toutes les règles du monde, apprises par les musiciens les plus savants, ne pourraient pas imiter, en sorte que Vinteuil, quoique venu à son heure et fixé à son rang dans l′évolution musicale, le quitterait toujours pour venir prendre la tête dès qu′on jouerait une de ses productions, qui devrait de paraître éclose après celle de musiciens plus récents, à ce caractère, en apparence contradictoire et en effet trompeur, de durable nouveauté. Une page symphonique de Vinteuil, connue déjà au piano et qu′on entendait à l′orchestre, comme un rayon de jour d′été que le prisme de la fenêtre décompose avant son entrée dans une salle à manger obscure, dévoilait comme un trésor insoupçonné et multicolore toutes les pierreries des Mille et une Nuits. Mais comment comparer à cet immobile éblouissement de la lumière ce qui était vie, mouvement perpétuel et heureux ? Ce Vinteuil, que j′avais connu si timide et si triste, avait, quand il fallait choisir un timbre, lui en unir un autre, des audaces, et, dans tout le sens du mot, un bonheur sur lequel l′audition d′une œuvre de lui ne laissait aucun doute. La joie que lui avaient causée telles sonorités, les forces accrues qu′elle lui avait données pour en découvrir d′autres, menaient encore l′auditeur de trouvaille en trouvaille, ou plutôt c′était le créateur qui le conduisait lui-même, puisant, dans les couleurs qu′il venait de trouver, une joie éperdue qui lui donnait la puissance de découvrir, de se jeter sur celles qu′elles semblaient appeler, ravi, tressaillant comme au choc d′une étincelle, quand le sublime naissait de lui-même de la rencontre des cuivres, haletant, grisé, affolé, vertigineux, tandis qu′il peignait sa grande fresque musicale, comme Michel-Ange attaché à son échelle et lançant, la tête en bas, de tumultueux coups de brosse au plafond de la chapelle Sixtine. Vinteuil était mort depuis nombre d′années ; mais, au milieu de ces instruments qu′il avait animés, il lui avait été donné de poursuivre, pour un temps illimité, une part au moins de sa vie. De sa vie d′homme seulement ? Si l′art n′était vraiment qu′un prolongement de la vie, valait-il de lui rien sacrifier ? n′était-il pas aussi irréel qu′elle-même ? À mieux écouter ce septuor, je ne le pouvais pas penser. Sans doute le rougeoyant septuor différait singulièrement de la blanche sonate ; la timide interrogation, à laquelle répondait la petite phrase, de la supplication haletante pour trouver l′accomplissement de l′étrange promesse qui avait retenti, si aigre, si surnaturelle, si brève, faisant vibrer la rougeur encore inerte du ciel matinal, au-dessus de la mer. Et pourtant, ces phrases si différentes étaient faites des mêmes éléments, car, de même qu′il y avait un certain univers, perceptible pour nous, en ces parcelles dispersées çà et là, dans telles demeures, dans tels musées, et qui était l′univers d′Elstir, celui qu′il voyait, celui où il vivait, de même la musique de Vinteuil étendait, notes par notes, touches par touches, les colorations inconnues d′un univers inestimable, insoupçonné, fragmenté par les lacunes que laissaient entre elles les auditions de son œuvre ; ces deux interrogations si dissemblables qui commandaient les mouvements si différents de la sonate et du septuor, l′une brisant en courts appels une ligne continue et pure, l′autre ressoudant en une armature indivisible des fragments épars, c′était pourtant, l′une si calme et timide, presque détachée et comme philosophique, l′autre si pressante, anxieuse, implorante, une même prière, jaillie devant différents levers de soleil intérieurs, et seulement réfractée à travers les milieux différents de pensées autres, de recherches d′art en progrès au cours d′années où il avait voulu créer quelque chose de nouveau. Prière, espérance qui était au fond la même, reconnaissable sous ces déguisements dans les diverses œuvres de Vinteuil, et, d′autre part, qu′on ne trouvait que dans les œuvres de Vinteuil. Ces phrases-là, les musicographes pourraient bien trouver leur apparentement, leur généalogie, dans les œuvres d′autres grands musiciens, mais seulement pour des raisons accessoires, des ressemblances extérieures, des analogies plutôt ingénieusement trouvées par le raisonnement que senties par l′impression directe. Celle que donnaient ces phrases de Vinteuil était différente de toute autre, comme si, en dépit des conclusions qui semblent se dégager de la science, l′individuel existait. Et c′était justement quand il cherchait puissamment à être nouveau, qu′on reconnaissait, sous les différences apparentes, les similitudes profondes et les ressemblances voulues qu′il y avait au sein d′une œuvre, quand Vinteuil reprenait à diverses reprises une même phrase, la diversifiait, s′amusait à changer son rythme, à la faire reparaître sous sa forme première, ces ressemblances-là voulues, œuvre de l′intelligence, forcément superficielles, n′arrivaient jamais à être aussi frappantes que ces ressemblances dissimulées, involontaires, qui éclataient sous des couleurs différentes, entre les deux chefs-d′œuvre distincts ; car alors Vinteuil, cherchant puissamment à être nouveau, s′interrogeait lui-même ; de toute la puissance de son effort créateur il atteignait sa propre essence à ces profondeurs où, quelque question qu′on lui pose, c′est du même accent, le sien propre, qu′elle répond. Un accent, cet accent de Vinteuil, séparé de l′accent des autres musiciens par une différence bien plus grande que celle que nous percevons entre la voix de deux personnes, même entre le beuglement et le cri de deux espèces animales : par la différence même qu′il y a entre la pensée de ces autres musiciens et les éternelles investigations de Vinteuil, la question qu′il se posait sous tant de formes, son habituelle spéculation, mais aussi débarrassée des formes analytiques du raisonnement que si elle s′exerçait dans le monde des anges, de sorte que nous pouvons en mesurer la profondeur, mais sans plus la traduire en langage humain que ne le peuvent les esprits désincarnés quand, évoqués par un médium, celui-ci les interroge sur les secrets de la mort. Et, même en tenant compte de cette originalité acquise qui m′avait frappé dès l′après-midi, de cette parenté que les musicographes pourraient trouver entre eux, c′est bien un accent unique auquel s′élèvent, auquel reviennent malgré eux ces grands chanteurs que sont les musiciens originaux, et qui est une preuve de l′existence irréductiblement individuelle de l′âme. Que Vinteuil essayât de faire plus solennel, plus grand, ou de faire plus vif et plus gai, de faire ce qu′il apercevait se reflétant en beau dans l′esprit du public, Vinteuil, malgré lui, submergeait tout cela sous une lame de fond qui rend son chant éternel et aussitôt reconnu. Ce chant, différent de celui des autres, semblable à tous les siens, où Vinteuil l′avait-il appris, entendu ? Chaque artiste semble ainsi comme le citoyen d′une patrie inconnue, oubliée de lui-même, différente de celle d′où viendra, appareillant pour la terre, un autre grand artiste. Tout au plus, de cette patrie Vinteuil, dans ses dernières œuvres, semblait s′être rapproché. L′atmosphère n′y était plus la même que dans la sonate, les phrases interrogatives s′y faisaient plus pressantes, plus inquiètes, les réponses plus mystérieuses ; l′air délavé du matin et du soir semblait y influencer jusqu′aux cordes des instruments. Morel avait beau jouer merveilleusement, les sons que rendait son violon me parurent singulièrement perçants, presque criards. Cette âcreté plaisait et, comme dans certaines voix, on y sentait une sorte de qualité morale et de supériorité intellectuelle. Mais cela pouvait choquer. Quand la vision de l′univers se modifie, s′épure, devient plus adéquate au souvenir de la patrie intérieure, il est bien naturel que cela se traduise par une altération générale des sonorités chez le musicien, comme de la couleur chez le peintre. Au reste, le public le plus intelligent ne s′y trompe pas puisque l′on déclara plus tard les dernières œuvres de Vinteuil les plus profondes. Or aucun programme, aucun sujet n′apportait un élément intellectuel de jugement. On devinait donc qu′il s′agissait d′une transposition, dans l′ordre sonore, de la profondeur. Pero en seguida, expulsado, dispersado por otros el motivo triunfal de las campanas, volvió a captarme aquella música; y me di cuenta de que si en aquel septuor se exponían sucesivamente elementos distintos que al final se combinaban, de la misma manera la Sonata y, según supe más tarde, las demás obras de Vinteuil no habían sido, comparadas con este septuor, más que tímidos ensayos, deliciosos pero muy frágiles al lado de la triunfal y completa obra maestra que en aquel momento se me revelaba. Y, por comparación, no podía menos de recordar que, incluso entonces, había pensado en los demás mundos que hubiera podido crear Vinteuil como en universos cerrados, los mismos universos cerrados que fueron todos mis amores; mas, en realidad, yo debía reconocer que, igual que las primeras veleidades de mi último amor, el de Albertina (en Balbec muy al principio, luego después del juego a las prendas, luego la noche en que durmió en el hotel, después el domingo de bruma en París, y la noche de la fiesta Guermantes, y de nuevo en Balbec, y por último en París con mi vida estrechamente unida a la suya), ahora, si consideraba no ya mi amor a Albertina, sino toda mi vida, mis otros amores no habían sido más que pequeños y tímidos ensayos precursores de las llamadas que reclamaban este amor más grande: el amor a Albertina. Y dejé de seguir la música para volver a preguntarme si Albertina habría visto o no a mademoiselle Vinteuil aquellos días, como interrogamos de nuevo a un sufrimiento interno que la distracción nos ha hecho olvidar por un momento. Pues era en mí donde tenían lugar los posibles actos de Albertina. De todos los seres que conocemos, poseemos un doble. Pero, generalmente, situado en el horizonte de nuestra imaginación, de nuestra memoria, permanece relativamente exterior a nosotros, y lo que ha hecho o pudo hacer no tiene para nosotros más elemento doloroso que el que puede tener un objeto situado a cierta distancia y que sólo puede darnos las sensaciones indoloras de la vista. Lo que afecta a esos seres lo percibimos de una manera contemplativa, podemos deplorarlo en términos adecuados que dan a los demás la idea de nuestro corazón, pero no lo sentimos. Mas desde mi herida de Balbec, el doble de Albertina estaba en mi corazón a una gran profundidad, difícil de extraer. Lo que yo veía de ella me dejaba como un enfermo que tiene los sentidos tan lamentablemente traspuestos que la vista de un color le produciría el efecto de una incisión en plena carne. Afortunadamente, no había cedido aún a la tentación de romper con Albertina; la aburrida perspectiva de tener que encontrarla al volver a casa como a una mujer amada era muy poca cosa comparada con la ansiedad que habría sufrido si la separación se hubiera realizado en aquel momento en que tenía una duda sobre ella y sin dar tiempo a que me fuera indiferente. Y cuando me la representaba así en la casa, haciéndosele largo el tiempo, durmiéndose quizá un momento en su cuarto, me acarició de paso una tierna frase familiar y doméstica del septuor. Acaso -que así se entrecruza y se superpone todo en nuestra vida interior- esta frase se la inspiró a Vinteuil el sueño de su hija -de su hija, causante hoy de todas mis cuitas- cuando este sueño rodeaba de dulzura, en las tranquilas veladas, el trabajo del músico, esa frase que tanto me calmó con el mismo suave segundo plano de silencio que pacifica ciertas rêveries de Schumann, en las cuales, hasta cuando lencio que pacifica ciertas rêveries de Schumann, en las cuales, hasta cuando «el poeta habla», se adivina que «el niño duerme». Dormida, despierta, la volvería a encontrar aquella noche cuando me placiera volver a casa, a Albertina, a mi pequeña. Y, sin embargo, pensé, algo más misterioso que el amor de Albertina parecía prometer el principio de aquella obra, aquellos primeros gritos de alborada. Intenté dejar de pensar en mi amiga para pensar sólo en el músico. Precisamente el músico parecía estar allí. Dijérase que el autor, reencarnado, vivía para siempre en su música; se sentía el gozo con que elegía el color de tal timbre, con que lo combinaba con los demás. Pues Vinteuil unía a otros dones más Profundos el que pocos músicos y aun pocos pintores han Poseído: emplear colores no sólo tan permanentes, sino tan Personales que ni el tiempo altera su frescor, ni los alumnos que imitan a quien los encontró, ni los mismos maestros que le superan, hacen palidecer su originalidad. La revolución que se produce cuando aparece uno de esos artistas no incorpora anónimamente sus resultados a la época siguiente; la revolución se desencadena, estalla de nuevo, y sólo cuando se vuelven a tocar las obras del innovador a perpetuidad. Cada timbre iba subrayado de un color que todas las reglas del mundo, aprendidas por los músicos más sabios, no podrían imitar, de suerte que Vinteuil, aunque llegado a su hora y establecido en su lugar en la evolución musical, lo dejaría siempre para ir a ponerse a la cabeza en cuanto se tocara una de sus producciones, que debería parecer surgida después de la de músicos más recientes, con ese carácter, aparentemente contradictorio y realmente engañoso, de duradera novedad. Una página sinfónica de Vinteuil, ya conocida en piano y oída luego en orquesta, descubría, como un tesoro oculto y multicolor, todas las piedras preciosas de Las mil y una noches, como el prisma de la ventana descompone un rayo de luz del verano antes de entrar en un comedor oscuro. Pero ¿cómo comparar con este inmóvil deslumbramiento de la luz lo que era vida, movimiento perpetuo y dichoso? Aquel Vinteuil al que yo había conocido tan tímido y tan triste, cuando había que elegir un timbre, unirle a otro, tenía unas audacias y, en todo el sentido de la palabra, una alegría de la que, al oír una obra suya, no quedaba la menor duda. El gozo que le causaban tales sonoridades, la nueva fuerza que ese gozo le daba para descubrir otras, llevaban también al oyente de hallazgo en hallazgo, o más bien era el mismo creador quien le conducía, sacando de los colores que acababa de encontrar un exaltado júbilo que le daba el poder de descubrir, de lanzarse a otros nuevos que éstos podían suscitar, exultante, estremecido como al choque de una chispa cuando lo sublime nace por sí mismo del encuentro de los cobres, jadeante, ebrio, enloquecido, vertiginoso, mientras pinta su gran fresco musical, como Miguel Ángel atado a su escalera cabeza abajo, lanzando tumultuosos brochazos al techo de la capilla Sixtina. Vinteuil había muerto hacía bastantes años; pero, en medio de los instrumentos que amó, le fue dado continuar, por tiempo ilimitado, al menos una parte de su vida. ¿De su vida de hombre solamente? Si el arte no fuera más que una prolongación de la vida, ¿valdría la pena de sacrificarle nada? ¿No era tan irreal como la vida misma? Escuchando mejor aquel septuor, yo no podía pensarlo. Sin duda el rojeante septuor difería singularmente de la blanca Sonata; la tímida interrogación a la que respondía la pequeña frase, de la súplica ansiosa para que se cumpliera la extraña promesa, que tan agria, tan sobrenatural, tan breve había resonado, haciendo vibrar el rojo inerte todavía del cielo matinal sobre la mar. Y, sin embargo, aquellas frases tan diferentes estaban hechas de los mismos elementos; pues así como había cierto universo, perceptible para nosotros en esas parcelas dispersas acá y allá, en determinadas casas, en determinados museos, y que era el universo de Elstir, el que él veía, el que habitaba, así la música de Vinteuil extendía, nota a nota, tecla a tecla, las coloraciones desconocidas, inestimables, de un universo insospechado, fragmentado por las lagunas que dejaban entre ellas las audiciones de su obra; esas dos interrogaciones tan disímiles que presidían el movimiento tan diferente de la Sonata y del septuor, rompiendo una en cortas llamadas una línea continua y pura, volviéndola a soldar la otra en una armazón indivisible de los fragmentos dispersos, una tan calmosa y tímida, casi diferente y como filosófica, otra tan acuciante, tan ansiosa, tan implorante, eran, sin embargo, una misma plegaria, surgida ante diferentes auroras interiores, y sólo refractada a través de los medios diversos de otros pensamientos, de búsquedas de arte progresivas en el transcurso de los años en que quiso crear algo nuevo. Plegaria, esperanza que era en el fondo la misma, reconocible bajo sus disfraces en las diversas obras de Vinteuil y que, por otra parte, sólo se encontraba en las obras de Vinteuil. Los musicógrafos podrían muy bien encontrar a aquellas frases su parentesco, su genealogía, en las obras de otros grandes músicos, pero sólo por razones accesorias, semejanzas exteriores, analogías ingeniosamente halladas por el razonamiento más bien que sentidas por impresión directa. La que daban estas frases de Vinteuil era diferente de cualquier otra, como si, pese a las conclusiones que parecen desprenderse de la ciencia, existiera lo individual. Y precisamente cuando trataba con empeño de ser nuevo, se reconocían, bajo las diferencias aparentes, las similitudes profundas ylas semejanzas deliberadas que había en su obra; cuando Vinteuil volvía, en diversas repeticiones, a una misma frase, la diversificaba, se recreaba en cambiar su ritmo, en hacerla reaparecer bajo su primera forma, y estas semejanzas, buscadas, obra de la inteligencia, forzosamente superficiales, no llegaban nunca a ser tan patentes como las semejanzas disimuladas, involuntarias, que estallaban bajo colores diferentes entre las dos distintas obras maestras; pues entonces Vinteuil, esforzándose por ser nuevo, se interrogaba a sí mismo y, con todo el poder de su esfuerzo creador, llegaba a su propia esencia en esas profundidades donde, a cualquier interrogación que se le haga, responde con el mismo acento, el suyo propio. Un acento, ese acento de Vinteuil, separado del acento de los demás músicos por una diferencia mucho mayor que la que percibimos entre la voz de dos personas, hasta entre el balido y el grito de dos especies animales; una verdadera diferencia la que había entre el pensamiento de este o del otro músico y las eternas investigaciones de Vinteuil, la pregunta que se planteó bajo tantas formas, su habitual especulación, pero tan exenta de las formas analíticas del razonamiento como si se ejerciera en el mundo de los ángeles, de suerte que podemos medir su profundidad, pero no traducirla al lenguaje humano, como no pueden hacerlo los espíritus desencarnados cuando, evocados por un medium, los interroga éste sobre los secretos de la muerte. Un acento, pues aun teniendo en cuenta esa originalidad adquirida que me había impresionado por la tarde, también ese parentesco que los musicógrafos pudieran encontrar entre músicos, es sin duda un acento único al que se elevan, al que vuelven sin querer esos grandes cantores que son los músicos originales y que es una prueba de la existencia irreductiblemente individual del alma. Tratara de hacer algo más solemne, más grande, o algo vivo y alegre, de hacer lo que veía embellecido al reflejarse en el espíritu del público, Vinteuil, sin quererlo, sumergía todo esto bajo una lámina de fondo que hace su canto eterno e inmediatamente reconocido. Este canto, diferente del de los demás, semejante a todos los suyos, ¿dónde lo aprendió, dónde lo oyó Vinteuil? Cada artista parece así como el ciudadano de una patria desconocida, por él mismo olvidada, diferente de aquella de donde vendrá, aparejando con destino a la tierra, otro gran artista. A lo sumo, Vinteuil parecía haberse aproximado a esa patria en sus últimas obras. En ellas la atmósfera no era ya la misma que en la Sonata, las frases interrogativas eran más apremiantes, más inquietas, las respuestas más misteriosas, el aire deslabazado de la mañana y de la noche parecía influir hasta en las cuerdas de los instrumentos. Por más que Morel tocara maravillosamente, los sonidos de su violín me parecieron muy penetrantes, casi chillones. Aquel agror placía y, como en ciertas voces, se sentía en él una especie de cualidad moral y de superioridad intelectual. Pero esto podía chocar. Cuando se modifica, cuando se depura la visión del universo, resulta más adecuada al recuerdo de la patria interior, y es muy natural que esto se traduzca en el músico en una alteración general de las sonoridades, como del color en el pintor. Y el público más inteligente no se equivoca en esto, puesto que más tarde se consideraron las últimas obras de Vinteuil las más profundas. Pero ningún programa, ningún tema aportaba un elemento intelectual de juicio. Se adivinaba, pues, que se trataba de una trasposición, en el orden sonoro, de la profundidad.
Cette patrie perdue, les musiciens ne se la rappellent pas, mais chacun d′eux reste toujours inconsciemment accordé en un certain unisson avec elle ; il délire de joie quand il chante selon sa patrie, la trahit parfois par amour de la gloire, mais alors en cherchant la gloire il la fuit, et ce n′est qu′en la dédaignant qu′il la trouve quand il entonne, quel que soit le sujet qu′il traite, ce chant singulier dont la monotonie — car quel que soit le sujet traité, il reste identique à soi-même — prouve la fixité des éléments composants de son âme. Mais alors, n′est-ce pas que, de ces éléments, tout le résidu réel que nous sommes obligés de garder pour nous-mêmes, que la causerie ne peut transmettre même de l′ami à l′ami, du maître au disciple, de l′amant à la maîtresse, cet ineffable qui différencie qualitativement ce que chacun a senti et qu′il est obligé de laisser au seuil des phrases où il ne peut communiquer avec autrui qu′en se limitant à des points extérieurs communs à tous et sans intérêt, l′art, l′art d′un Vinteuil comme celui d′un Elstir, le fait apparaître, extériorisant dans les couleurs du spectre la composition intime de ces mondes que nous appelons les individus, et que sans l′art nous ne connaîtrions jamais ? Des ailes, un autre appareil respiratoire, et qui nous permissent de traverser l′immensité, ne nous serviraient à rien, car, si nous allions dans Mars et dans Vénus en gardant les mêmes sens, ils revêtiraient du même aspect que les choses de la Terre tout ce que nous pourrions voir. Le seul véritable voyage, le seul bain de Jouvence, ce ne serait pas d′aller vers de nouveaux paysages, mais d′avoir d′autres yeux, de voir l′univers avec les yeux d′un autre, de cent autres, de voir les cent univers que chacun d′eux voit, que chacun d′eux est ; et cela, nous le pouvons avec un Elstir, avec un Vinteuil ; avec leurs pareils, nous volons vraiment d′étoiles en étoiles. L′andante venait de finir sur une phrase remplie d′une tendresse à laquelle je m′étais donné tout entier ; alors il y eut, avant le mouvement suivant, un instant de repos où les exécutants posèrent leurs instruments et les auditeurs échangèrent quelques impressions. Un duc, pour montrer qu′il s′y connaissait, déclara : « C′est très difficile à bien jouer. » Des personnes plus agréables causèrent un moment avec moi. Mais qu′étaient leurs paroles, qui, comme toute parole humaine extérieure, me laissaient si indifférent, à côté de la céleste phrase musicale avec laquelle je venais de m′entretenir ? J′étais vraiment comme un ange qui, déchu des ivresses du Paradis, tombe dans la plus insignifiante réalité. Et de même que certains êtres sont les derniers témoins d′une forme de vie que la nature a abandonnée, je me demandais si la musique n′était pas l′exemple unique de ce qu′aurait pu être — s′il n′y avait pas eu l′invention du langage, la formation des mots, l′analyse des idées — la communication des âmes. Elle est comme une possibilité qui n′a pas eu de suites ; l′humanité s′est engagée en d′autres voies, celle du langage parlé et écrit. Mais ce retour à l′inanalysé était si enivrant, qu′au sortir de ce paradis, le contact des êtres plus ou moins intelligents me semblait d′une insignifiance extraordinaire. Les êtres, j′avais pu, pendant la musique, me souvenir d′eux, les mêler à elle ; ou plutôt à la musique je n′avais guère mêlé le souvenir que d′une seule personne, celui d′Albertine. Et la phrase qui finissait l′andante me semblait si sublime que je me disais qu′il était malheureux qu′Albertine ne sût pas, et, si elle avait su, n′eût pas compris quel honneur c′était pour elle d′être mêlée à quelque chose de si grand qui nous réunissait et dont elle avait semblé emprunter la voix pathétique. Mais, une fois la musique interrompue, les êtres qui étaient là semblaient trop fades. On passa quelques rafraîchissements. M. de Charlus interpellait de temps en temps un domestique : « Comment allez-vous ? Avez-vous reçu mon pneumatique ? Viendrez-vous ? » Sans doute il y avait, dans ces interpellations, la liberté du grand seigneur qui croit flatter et qui est plus peuple que le bourgeois, mais aussi la rouerie du coupable qui croit que ce dont on fait étalage est par cela même jugé innocent. Et il ajoutait, sur le ton Guermantes de Mme de Villeparisis : « C′est un brave petit, c′est une bonne nature, je l′emploie souvent chez moi. » Mais ses habiletés tournaient contre le baron, car on trouvait extraordinaires ses amabilités si intimes et ses pneumatiques à des valets de pied. Ceux-ci en étaient, d′ailleurs, moins flattés que gênés pour leurs camarades. Cependant le septuor, qui avait recommencé, avançait vers sa fin ; à plusieurs reprises telle ou telle phrase de la sonate revenait, mais chaque fois changée, sur un rythme, un accompagnement différents, la même et pourtant autre, comme renaissent les choses dans la vie ; et c′était une de ces phrases qui, sans qu′on puisse comprendre quelle affinité leur assigne comme demeure unique et nécessaire le passé d′un certain musicien, ne se trouvent que dans son œuvre, et apparaissent constamment dans celle-ci, dont elles sont les fées, les dryades, les divinités familières ; j′en avais d′abord distingué dans le septuor deux ou trois qui me rappelaient la sonate. Bientôt — baignée dans le brouillard violet qui s′élevait, surtout dans la dernière période de l′œuvre de Vinteuil, si bien que, même quand il introduisait quelque part une danse, elle restait captive dans une opale — j′aperçus une autre phrase de la sonate, restant si lointaine encore que je la reconnaissais à peine ; hésitante, elle s′approcha, disparut comme effarouchée, puis revint, s′enlaça à d′autres, venues, comme je le sus plus tard, d′autres œuvres, en appela d′autres qui devenaient à leur tour attirantes et persuasives aussitôt qu′elles étaient apprivoisées, et entraient dans la ronde, dans la ronde divine mais restée invisible pour la plupart des auditeurs, lesquels, n′ayant devant eux qu′un voile épais au travers duquel ils ne voyaient rien, ponctuaient arbitrairement d′exclamations admiratives un ennui continu dont ils pensaient mourir. Puis elles s′éloignèrent, sauf une que je vis repasser jusqu′à cinq et six fois, sans que je pusse apercevoir son visage, mais si caressante, si différente — comme sans doute la petite phrase de la sonate pour Swann — de ce qu′aucune femme m′avait jamais fait désirer, que cette phrase-là, qui m′offrait, d′une voix si douce, un bonheur qu′il eût vraiment valu la peine d′obtenir, c′est peut-être — cette créature invisible dont je ne connaissais pas le langage et que je comprenais si bien — la seule Inconnue qu′il m′ait été jamais donné de rencontrer. Puis cette phrase se défit, se transforma, comme faisait la petite phrase de la sonate, et devint le mystérieux appel du début. Une phrase d′un caractère douloureux s′opposa à lui, mais si profonde, si vague, si interne, presque si organique et viscérale qu′on ne savait pas, à chacune de ses reprises si c′était celles d′un thème ou d′une névralgie. Bientôt les deux motifs luttèrent ensemble dans un corps à corps où parfois l′un disparaissait entièrement, où ensuite on n′apercevait plus qu′un morceau de l′autre. Corps à corps d′énergies seulement, à vrai dire ; car si ces êtres s′affrontaient, c′était débarrassés de leur corps physique, de leur apparence, de leur nom, et trouvant chez moi un spectateur intérieur, insoucieux lui aussi des noms et du particulier, pour s′intéresser à leur combat immatériel et dynamique et en suivre avec passion les péripéties sonores. Enfin le motif joyeux resta triomphant ; ce n′était plus un appel presque inquiet lancé derrière un ciel vide, c′était une joie ineffable qui semblait venir du Paradis, une joie aussi différente de celle de la sonate que, d′un ange doux et grave de Bellini, jouant du théorbe, pourrait être, vêtu d′une robe écarlate, quelque archange de Mantegna sonnant dans un buccin. Je savais que cette nuance nouvelle de la joie, cet appel vers une joie supra-terrestre, je ne l′oublierais jamais. Mais serait-elle jamais réalisable pour moi ? Cette question me paraissait d′autant plus importante que cette phrase était ce qui aurait pu le mieux caractériser — comme tranchant avec tout le reste de ma vie, avec le monde visible — ces impressions qu′à des intervalles éloignés je retrouvais dans ma vie comme les points de repère, les amorces, pour la construction d′une vie véritable : l′impression éprouvée devant les clochers de Martainville, devant une rangée d′arbres près de Balbec. En tous cas, pour en revenir à l′accent particulier de cette phrase, comme il était singulier que le pressentiment le plus différent de ce qu′assigne la vie terre à terre, l′approximation la plus hardie des allégresses de l′au-delà se fussent justement matérialisés dans le triste petit bourgeois bienséant que nous rencontrions au mois de Marie à Combray ! Mais, surtout, comment se faisait-il que cette révélation, la plus étrange que j′eusse encore reçue, d′un type inconnu de joie, j′eusse pu la recevoir de lui, puisque, disait-on, quand il était mort il n′avait laissé que sa sonate, que le reste demeurait inexistant en d′indéchiffrables notations ? Indéchiffrables, mais qui pourtant avaient fini par être déchiffrées, à force de patience, d′intelligence et de respect, par la seule personne qui avait assez vécu auprès de Vinteuil pour bien connaître sa manière de travailler, pour deviner ses indications d′orchestre : l′amie de Mlle Vinteuil. Du vivant même du grand musicien, elle avait appris de la fille le culte que celle-ci avait pour son père. C′est à cause de ce culte que, dans ces moments où l′on va à l′opposé de ses inclinations véritables, les deux jeunes filles avaient pu trouver un plaisir dément aux profanations qui ont été racontées. (L′adoration pour son père était la condition même du sacrilège de sa fille. Et sans doute, la volupté de ce sacrilège, elles eussent dû se la refuser, mais celle-ci ne les exprimait pas tout entières.) Et d′ailleurs, elles étaient allées se raréfiant jusqu′à disparaître tout à fait, au fur et à mesure que les relations charnelles et maladives, ce trouble et fumeux embrasement avait fait place à la flamme d′une amitié haute et pure. L′amie de Mlle Vinteuil était quelquefois traversée par l′importune pensée qu′elle avait peut-être précipité la mort de Vinteuil. Du moins, en passant des années à débrouiller le grimoire laissé par Vinteuil, en établissant la lecture certaine de ces hiéroglyphes inconnus, l′amie de Mlle Vinteuil eut la consolation d′assurer au musicien dont elle avait assombri les dernières années une gloire immortelle et compensatrice. De relations qui ne sont pas consacrées par les lois découlent des liens de parenté aussi multiples, aussi complexes, plus solides seulement, que ceux qui naissent du mariage. Sans même s′arrêter à des relations d′une nature aussi particulière, ne voyons-nous pas tous les jours que l′adultère, quand il est fondé sur l′amour véritable, n′ébranle pas le sentiment de famille, les devoirs de parenté, mais les revivifie ? L′adultère introduit l′esprit dans la lettre que bien souvent le mariage eût laissée morte. Une bonne fille qui portera, par simple convenance, le deuil du second mari de sa mère n′aura pas assez de larmes pour pleurer l′homme que sa mère avait entre tous choisi comme amant. Du reste, Mlle Vinteuil n′avait agi que par sadisme, ce qui ne l′excusait pas, mais j′eus plus tard une certaine douceur à le penser. Elle devait bien se rendre compte, me disais-je, au moment où elle profanait avec son amie la photographie de son père, que tout cela n′était que maladif, de la folie, et pas la vraie et joyeuse méchanceté qu′elle aurait voulue. Cette idée que c′était une simulation de méchanceté seulement gâtait son plaisir. Mais si cette idée a pu lui revenir plus tard, comme elle avait gâté son plaisir elle a dû diminuer sa souffrance. « Ce n′était pas moi, dut-elle se dire, j′étais aliénée. Moi, je veux encore prier pour mon père, ne pas désespérer de sa bonté. » Seulement il est possible que cette idée, qui s′était certainement présentée à elle dans le plaisir, ne se soit pas présentée à elle dans la souffrance. J′aurais voulu pouvoir la mettre dans son esprit. Je suis sûr que je lui aurais fait du bien et que j′aurais pu rétablir entre elle et le souvenir de son père une communication assez douce. Los músicos no se acuerdan de esa patria perdida, pero todos permanecen siempre inconscientemente armonizados al unísono con ella en cierto modo; cada uno delira de alegría cuando canta al modo de su patria, la traiciona a veces por amor a la gloria, pero entonces, buscando la gloria, la huye, y sólo desdeñándola la encuentra, cuando entona ese canto singular cuya monotonía -pues cualquiera que sea el tema que trata permanece idéntico a sí mismo- demuestra en el músico la fijeza de los elementos que componen su alma. Pero entonces, ¿no es verdad que esos elementos, todo ese residuo real que nos vemos obligados a guardar para nosotros mismos, que la conversación no puede transmitir ni siquiera del amigo al amigo, del maestro al discípulo, del amante a la amada, esa cosa inefable que diferencia cualitativamente lo que cada uno ha sentido y que tiene que dejar en el umbral de las frases donde no puede comunicar con otro si no limitándose a puntos exteriores comunes a todos y sin interés, el arte, el arte de un Vinteuil como el de un Elstir, le hace surgir, exteriorizando en los colores del espectro la composición íntima de esos mundos que llamamos los individuos y que sin el arte no conoceríamos jamás? Unas alas, otro aparato respiratorio, que nos permitiesen atravesar la inmensidad, no nos servirían de nada, pues trasladándonos a Marte o a Venus con los mismos sentidos, darían a lo que podríamos ver el mismo aspecto de las cosas de la tierra. El único viaje verdadero, el único baño de juventud, no sería ir hacia nuevos paisajes, sino tener otros ojos, ver el universo con los ojos de otro, de otros cien, ver los cien universos que cada uno de ellos ve, que cada uno de ellos es; y esto podemos hacerlo con un Elstir, con un Vinteuil, con sus semejantes, volamos verdaderamente de estrella en estrella. La frase con que acaba de terminar el andante era de una ternura a la que yo me entregué por entero; antes del movimiento siguiente hubo un momento de descanso en el que los ejecutantes dejaron sus instrumentos y los oyentes intercambiaron impresiones. Un duque, para demostrar que era entendido, dijo: «Es muy difícil tocar el violín». Algunas personas más agradables hablaron un momento conmigo. Pero ¿qué eran sus palabras, que, como toda palabra humana exterior, me dejaban tan indiferente, al lado de la celestial frase musical con la que yo acababa de hablar? Yo era verdaderamente como un ángel que, arrojado de las delicias del paraíso, cae en la más insignificante realidad. Y así como algunos seres son los últimos testigos de una forma de vida que la naturaleza ha abandonado, me preguntaba si no sería la música el ejemplo único de lo que hubiera podido ser la comunicación de las almas de no haberse inventado el lenguaje, la formación de las palabras, el análisis de las ideas. La música es como una posibilidad que no se ha realizado; la humanidad ha tomado otros caminos, el del lenguaje hablado y escrito. Pero este retorno a lo no analizado era tan fascinante que, al salir de tal paraíso, el contacto de los seres más o menos inteligentes me parecía de una insignificancia extraordinaria. De los seres podía haberme acordado durante la música, mezclarlos con ella; o más bien había unido a ella el recuerdo de una sola persona, de Albertina. Y la frase que terminaba en andante me parecía tan sublime que pensaba cuán lamentable era que Albertina no supiera, y, de saberlo, no lo comprendiera, qué honor era para ella estar incorporada a algo tan grande que nos unía y cuya patética voz parecía haber tomado ella. Pero una vez interrumpida la música, los seres que allí estaban parecían muy insignificantes. Se sirvieron refrescos. Monsieur de Charlus interpelaba de cuando en cuando a un criado: «¿Cómo está? ¿Recibió mi neumático 16? ¿Vendrá usted?» En estas interpelaciones había sin duda la libertad del gran señor que cree honrar a un inferior y que es más pueblo que el burgués, pero también la pillería del culpable que cree que si hace ostentación de una cosa le juzgarán por eso mismo inocente de ella. Y añadía, en el tono Guermantes de madame de Villeparisis: «Es un buen chico, tiene muy buen carácter, yo le suelo emplear en mi casa ». Pero estas precauciones se volvían contra el barón, pues sus amabilidades tan íntimas con los criados, los neumáticos que les mandaba llamaban la atención. Y para éstos, el halago era menor que el azoramiento con sus compañeros. Mientras tanto, los músicos habían reanudado el septuor. De cuando en cuando reaparecía alguna frase de la Sonata, pero, variada cada vez con un ritmo y con un acompañamiento diferentes, aun siendo la misma era distinta, como las cosas que vuelven en la vida; y era una de esas frases que, sin que se pueda comprender qué afinidad les asigna como residencia única y necesaria el pasado de un determinado músico, sólo se encuentran en su obra, y aparecen constantemente en ella, de la que son como las hadas, las driadas, las divinidades familiares; yo distinguí primero en el septuor dos o tres que me recordaron la Sonata. Después -envuelta en la neblina violeta que se levantaba, sobre todo en el último período de la obra de Vinteuil, hasta el punto de que, incluso cuando introducía en algún pasaje una danza permanecía cautiva en un ópalo- percibí otra frase de la Sonata, tan lejana aún que apenas la reconocía; se acercó vacilante, desapareció como asustada, volvió luego, se unió con otras, procedentes, como más tarde supe, de otras obras, atrajo a otras que resultaban a su vez atrayentes y persuasivas una vez domeñadas, y entraban en la ronda, en la ronda divina pero invisible para la mayoría de los oyentes, quienes, sin otra cosa ante ellos que un velo confuso a través del cual no veían nada, puntuaban arbitrariamente con exclamaciones admirativas un aburrimiento continuo que creían mortal. Después aquellas frases se alejaron, menos una que vi pasar de nuevo hasta cinco o seis veces, sin poder verle el rostro, pero tan tierna, tan diferente -sin duda como la pequeña frase de la Sonata para Swann- de lo que ninguna mujer me había hecho desear, que aquella frase, aquella frase que me ofrecía con una voz tan dulce una felicidad que verdaderamente hubiera valido la pena obtener, es quizá -criatura invisible cuyo lenguaje no conocía yo, pero entendía muy bien- la única desconocida que jamás me fue dado encontrar. Después aquella frase se esfumó, se transformó, como la pequeña frase de la Sonata, y volvió a ser la misteriosa llamada del principio. A él se opuso otra frase de carácter doloroso, pero tan profundo, tan vago, tan interno, casi tan orgánico y visceral, que en cada una de sus reapariciones no se sabía si lo que reaparecía era un tema o una neuralgia. En 16 Así se llama en París a un mensaje escrito, entre carta y telegrama, que, enviado a través de un tubo de una a otra estafeta de correos, llega rápidamente al destinatario. (N. de la T.) seguida los dos motivos lucharon entre sí en un cuerpo a cuerpo en el que a veces desaparecía por completo uno de ellos y luego ya no se veía más que un trozo del otro. En realidad, sólo cuerpo a cuerpo de energías; pues si aquellos seres se enfrentaban, lo hacían libres de su ser físico, de su apariencia, de su nombre, y teniendo en mí un espectador interior -despreocupado también él de los nombres y del particularpara interesarse por su combate inmaterial y dinámico y seguir con pasión sus peripecias sonoras. Por fin triunfó el motivo jubiloso; ya no era una llamada casi inquieta lanzada detrás de un cielo vacío, era un gozo inefable que parecía venir del paraíso, un gozo tan diferente del de la Sonata que de un ángel dulce y grave de Bellini tocando la tiorba podría pasar a ser, vestido de una túnica escarlata, un arcángel de Mantegna tocando un buccino. Yo sabía que este nuevo matiz del gozo, esa llamada a una alegría supraterrestre, no la olvidaría nunca. Pero ¿sería alguna vez realizable para mí? Esta cuestión me parecía tanto más importante cuanto que aquella frase era lo que mejor podría caracterizar -por-que rompía con el resto de la vida, con el mundo visible- las imPresiones que a lejanos intervalos volvía a encontrar yo en mi vida como puntos de referencia, como piedras miliares para la construcción de una verdadera vida: la impresión que sintiera ante los campanarios de Mairtinville, ante una hilera de árboles cerca de Balbec. En todo caso, volviendo al acento particular de aquella frase, ¡cuán singular era que el presentimiento más diferente de lo que asigna la vida vulgar, la aproximación más atrevida a las alegrías del más allá se hubiera materializado precisamente en el triste pequeño burgués de buenas costumbres con el que nos encontramos en Combray en el mes de María! Pero, sobre todo, ¿por qué aquella revelación, la más extraña que yo recibiera hasta entonces, de un tipo de gozo desconocido la recibí de él, puesto que, según decían, cuando murió no dejó más que su Sonata, pues el resto permanecía inexistente en notaciones indescifrables? Indescifrables, pero que, sin embargo, a fuerza de paciencia, de inteligencia y de respeto, acababan por ser descifrables para la única persona que había vivido cerca de Vinteuil lo suficiente para conocer bien su manera de trabajar, para adivinar sus indicaciones de orquesta: la amiga de mademoiselle Vinteuil. En vida misma del gran músico, aprendió de la hija el culto que ésta tenía por su padre. Y por este culto las dos jóvenes, en esos momentos en que se vive en contra de las verdaderas inclinaciones, las dos muchachas pudieron encontrar un placer demencial en las profanaciones que se han contado. (La adoración a su padre era la condición misma del sacrilegio de la hija; y, sin duda, hubieran debido privarse de la voluptuosidad de este sacrilegio, pero esa voluptuosidad no las definía por entero.) Y, por otra parte, las profanaciones se fueron rarificando, hasta desaparecer por completo, a medida que aquellas relaciones carnales y enfermizas, aquel turbio y humoso fuego fue siendo reemplazado por la llama de una amistad elevada y pura. A la amiga de mademoiselle Vinteuil la punzaba a veces el importuno pensamiento de que quizá había precipitado la muerte de Vinteuil. Al menos, pasando años en poner en limpio el galimatías que dejó Vinteuil, indagando la lectura verdadera de aquellos jeroglíficos desconocidos, la amiga de Vinteuil tuvo el consuelo de asegurar una gloria inmortal y compensadora al músico cuyos últimos años ensombreciera ella. De relaciones no consagradas por las leyes nacen lazos de parentesco tan múltiples, tan complejos, como los que crea el matrimonio y más sólidos. Aun sin detenernos en unas relaciones de índole tan especial, ¿no vemos todos los días que el adulterio, cuando se funda en el verdadero amor, no altera los sentimientos de familia, los deberes de parentesco, sino que los vivifica? En este caso, el adulterio introduce el espíritu en la letra, que en muchos casos el matrimonio habría matado. Una buena hija que, por simple conveniencia, lleve luto por el segundo marido de su madre no tendrá lágrimas bastantes para llorar al hombre que su madre había elegido por amante. Por lo demás, mademoiselle Vinteuil no obró por sadismo, lo que no la disculpaba, pero más tarde sentí cierta dulzura en pensarlo. Me decía que mademoiselle Vinteuil, cuando profanaba con su amiga el retrato de su padre, debía de darse cuenta de que todo aquello era enfermizo, insania, y no la verdadera y gozosa perversidad que ella había querido. Esta idea de que era sólo una simulación de maldad le malograba el placer. Pero si pasado el tiempo se le pudo ocurrir tal idea, debió de disminuir su sufrimiento en la medida en que había aminorado su placer. «No era yo -debió de decirse-, estaba enajenada. Yo, yo misma, todavía puedo rezar por mi padre, no desesperar de su bondad.» Pero es posible que esta idea, que seguramente se le había ocurrido en el placer, no se le ocurriera en el sufrimiento. Yo hubiera querido meterla en su mente. Estoy seguro de que le habría hecho bien y de que yo hubiera podido restablecer entre ella y el recuerdo de su padre una comunicación bastante dulce.
Comme dans les illisibles carnets où un chimiste de génie, qui ne sait pas la mort si proche, note des découvertes qui resteront peut-être à jamais ignorées, l′amie de Mlle Vinteuil avait dégagé, de papiers plus illisibles que des papyrus ponctués d′écriture cunéiforme, la formule éternellement vraie, à jamais féconde, de cette joie inconnue, l′espérance mystique de l′Ange écarlate du matin. Et moi pour qui, moins pourtant que pour Vinteuil peut-être, elle avait été aussi, elle venait d′être ce soir même encore, en réveillant à nouveau ma jalousie d′Albertine, elle devait, surtout dans l′avenir, être cause de tant de souffrances, c′était grâce à elle, par compensation, qu′avait pu venir jusqu′à moi l′étrange appel que je ne cesserais plus jamais d′entendre comme la promesse et la preuve qu′il existait autre chose, réalisable par l′art sans doute, que le néant que j′avais trouvé dans tous les plaisirs et dans l′amour même, et que si ma vie me semblait si vaine, du moins n′avait-elle pas tout accompli. Como en los ilegibles cuadernos donde un químico genial, sin saber tan próxima la muerte, hubiera anotado descubrimientos que quizá permanecerían siempre ignorados, así la amiga de mademoiselle Vinteuil sacó, de papeles más ilegibles que papiros cubiertos de escritura cuneiforme, la fórmula eternamente verdadera, fecunda para siempre, de aquel gozo desconocido, la esperanza mística del ángel escarlata de la mañana. Y yo, para quien, aunque quizá menos que para Vinteuil, había sido también mademoiselle Vinteuil causa de tantos sufrimientos y acababa de serlo aquella misma noche despertando de nuevo mis celos por Albertina, y sobre todo iba a serlo en el futuro, en compensación, gracias a ella pude recibir la extraña llamada que ya nunca dejaría de oír como la promesa de que existía algo más, sin duda realizable por el arte, que el vacío que había encontrado en todos los placeres y hasta en el amor mismo, y que si mi vida me parecía tan vana, al menos no lo había cumplido todo.
Ce qu′elle avait permis, grâce à son labeur, qu′on connût de Vinteuil, c′était à vrai dire toute l′œuvre de Vinteuil. À côté de ce Septuor, certaines phrases de la sonate, que seules le public connaissait, apparaissaient comme tellement banales qu′on ne pouvait pas comprendre comment elles avaient pu exciter tant d′admiration. C′est ainsi que nous sommes surpris que, pendant des années, des morceaux aussi insignifiants que la Romance à l′Étoile, la Prière d′Élisabeth aient pu soulever, au concert, des amateurs fanatiques qui s′exténuaient à applaudir et à crier bis quand venait de finir ce qui pourtant n′est que fade pauvreté pour nous qui connaissons Tristan, l′Or du Rhin, les Maîtres Chanteurs. Il faut supposer que ces mélodies sans caractère contenaient déjà cependant, en quantités infinitésimales, et par cela même, peut-être, plus assimilables, quelque chose de l′originalité des chefs-d′œuvre qui rétrospectivement comptent seuls pour nous, mais que leur perfection même eût peut-être empêchés d′être compris ; elles ont pu leur préparer le chemin dans les cœurs. Toujours est-il que, si elles donnaient un pressentiment confus des beautés futures, elles laissaient celles-ci dans un inconnu complet. Il en était de même pour Vinteuil ; si, en mourant, il n′avait laissé — en exceptant certaines parties de la sonate — que ce qu′il avait pu terminer, ce qu′on eût connu de lui eût été, auprès de sa grandeur véritable, aussi peu de chose que pour Victor Hugo, par exemple, s′il était mort après le Pas d′Armes du roi Jean, la Fiancée du Timbalier et Sarah la baigneuse, sans avoir rien écrit de la Légende des siècles et des Contemplations : ce qui est pour nous son œuvre véritable fût resté purement virtuel, aussi inconnu que ces univers jusqu′auxquels notre perception n′atteint pas, dont nous n′aurons jamais une idée. Lo que, gracias a la labor de mademoiselle Vinteuil, pudimos conocer de Vinteuil, era en realidad toda la obra de Vinteuil; al lado del septuor, algunas frases de la Sonata, las únicas que el público conocía, resultaban tan triviales que no era fácil comprender cómo habían podido suscitar tanta admiración. Así nos sorprende que, durante algunos años, trozos tan insignificantes como la Romanza de la estrella, la Oración de Isabel pudieran tener un concierto de entusiastas fanáticos que se extenuaban aplaudiendo y gritando bis cuando terminaba lo que, sin embargo, para nosotros, que conocemos Tristán, El oro del Rin, Los maestros cantores, no es más que insípida pobreza. Hay que suponer que estas melodías sin carácter contenían ya, sin embargo, en cantidades infinitesimales, y por esto mismo quizá más asimilables, algo de la originalidad de las obras maestras que sólo retrospectivamente cuentan para nosotros, pero que, por su misma perfección, acaso no podían ser comprendidas entonces; han podido prepararles el camino en los corazones. El caso es que, aunque ofrecieran un anticipo confuso de las bellezas futuras, dejaban éstas completamente inéditas. Lo mismo ocurría con Vinteuil; si al morir no hubiera dejado - exceptuando ciertas partes de la Sonata- más que lo que había podido terminar, lo que se hubiera conocido de él habría sido, comparado con su verdadera grandeza, tan poca cosa como para Victor Hugo, por ejemplo, si hubiera muerto después de Le pas d′armes du roi Jean, La fiancée du timbalier y Sarah la baigneuse, sin haber escrito nada de La légende des siècles y de Les contemplations; lo que es para nosotros su verdadera obra habría permanecido puramente virtual, tan desconocido como esos universos a los que no llega nuestra percepción, de los que no tendremos jamás idea.
Au reste, le contraste apparent, cette union profonde entre le génie (le talent aussi et même la vertu) et la gaine de vices où, comme il était arrivé pour Vinteuil, il est si fréquemment contenu, conservé, étaient lisibles, comme en une vulgaire allégorie, dans la réunion même des invités au milieu desquels je me retrouvai quand la musique fut finie. Cette réunion, bien que limitée cette fois au salon de Mme Verdurin, ressemblait à beaucoup d′autres, dont le gros public ignore les ingrédients qui y entrent, et que les journalistes philosophes, s′ils sont un peu informés, appellent parisiennes, ou panamistes, ou dreyfusardes, sans se douter qu′elles peuvent se voir aussi bien à Pétersbourg, à Berlin, à Madrid et dans tous les temps ; si, en effet, le sous-secrétaire d′État aux Beaux-Arts, homme véritablement artiste, bien élevé et snob, quelques duchesses et trois ambassadeurs avec leurs femmes étaient ce soir chez Mme Verdurin, le motif proche, immédiat, de cette présence résidait dans les relations qui existaient entre M. de Charlus et Morel, relations qui faisaient désirer au baron de donner le plus de retentissement possible aux succès artistiques de sa jeune idole, et d′obtenir pour lui la croix de la Légion d′honneur ; la cause plus lointaine qui avait rendu cette réunion possible était qu′une jeune fille entretenant avec Mlle Vinteuil des relations parallèles à celles de Charlie et du baron avait mis au jour toute une série d′œuvres géniales et qui avaient été une telle révélation qu′une souscription n′allait pas tarder à être ouverte, sous le patronage du Ministre de l′Instruction publique, en vue de faire élever une statue à Vinteuil. D′ailleurs, à ces œuvres, tout autant que les relations de Mlle Vinteuil avec son amie, avaient été utiles celles du baron avec Charlie, sorte de chemin de traverse, de raccourci, grâce auquel le monde allait rejoindre ces œuvres sans le détour, sinon d′une incompréhension qui persisterait longtemps, du moins d′une ignorance totale qui eût pu durer des années. Chaque fois que se produit un événement accessible à la vulgarité d′esprit du journaliste philosophe, c′est-à-dire généralement un événement politique, les journalistes philosophes sont persuadés qu′il y a quelque chose de changé en France, qu′on ne reverra plus de telles soirées, qu′on n′admirera plus Ibsen, Renan, Dostoski, d′Annunzio, Tolstoíª Wagner, Strauss. Car les journalistes philosophes tirent argument des dessous équivoques de ces manifestations officielles pour trouver quelque chose de décadent à l′art qu′elles glorifient, et qui bien souvent est le plus austère de tous. Mais il n′est pas de nom, parmi les plus révérés de ces journalistes philosophes, qui n′ait tout naturellement donné lieu à de telles fêtes étranges, quoique l′étrangeté en fût moins flagrante et mieux cachée. Pour cette fête-ci, les éléments impurs qui s′y conjuguaient me frappaient à un autre point de vue ; certes, j′étais aussi à même que personne de les dissocier, ayant appris à les connaître séparément, mais surtout il arrivait que les uns, ceux qui se rattachaient à Mlle Vinteuil et à son amie, me parlant de Combray me parlaient aussi d′Albertine, c′est-à-dire de Balbec, puisque c′est parce que j′avais vu jadis Mlle Vinteuil à Montjouvain et que j′avais appris l′intimité de son amie avec Albertine, que j′allais tout à l′heure, en rentrant chez moi, trouver, au lieu de la solitude, Albertine qui m′attendait, et que les autres, ceux qui concernaient Morel et M. de Charlus, en me parlant de Balbec où j′avais vu, sur le quai de Doncières, se nouer leurs relations, me parlaient de Combray et de ses deux côtés, car M. de Charlus c′était un de ces Guermantes, comtes de Combray, habitant Combray sans y avoir de logis, entre ciel et terre, comme Gilbert le Mauvais dans son vitrail ; enfin Morel était le fils de ce vieux valet de chambre qui m′avait fait connaître la dame en rose et permis, tant d′années après, de reconnaître en elle Mme Swann. Por lo demás, este aparente contraste, esta profunda unión entre el genio (también el talento, y hasta la virtud) y la envoltura de los vicios donde, como ocurrió con Vinteuil, suele estar contenido, conservado, se podían leer, como en una vulgar alegoría, en la misma reunión de los invitados entre los que volví a encontrarme cuando acabó la música. Aquella reunión, aunque limitada entonces al salón de madame Verdurin, se parecía a otras muchas cuyos ingredientes ignora el público grueso y que los periodistas filósofos, si están un poco enterados, llaman parisienses, o panamistes, o dreyfusistas, sin saber que se pueden ver lo mismo en San Petersburgo, en Berlín, en Madrid y en todos los tiempos; si aquella noche estaban en casa de madame Verdurin personalidades como el subsecretario de Bellas Artes, hombre verdaderamente artista, bien educado y snob, algunas duquesas y tres embajadores con sus mujeres, el motivo próximo, inmediato, de su presencia radicaba en las relaciones existentes entre monsieur de Charlus y Morel, relaciones que inspiraban al barón el deseo de dar la mayor resonancia posible a los triunfos artísticos de su joven ídolo y de obtener para él la cruz de la Legión de Honor; la causa más lejana que hizo posible aquella reunión era que una muchacha que sostenía con mademoiselle Vinteuil unas relaciones paralelas a las de Charlie y el barón dio a la luz toda una serie de obras geniales y que fueron tan sensacional revelación que no tardó en abrirse una suscripción, bajo el patrocinio del ministro de Instrucción Pública, para levantar una estatua a Vinteuil. Por otra parte, sirvieron a estas obras, tanto como las relaciones de mademoiselle Vinteuil con su amiga, las del barón con Charlie, una especie de atajo por el cual iba el mundo a llegar a esas obras sin el rodeo, si no de una incomprensión que persistiría durante mucho tiempo, al menos de una ignorancia total que hubiera podido durar años. Cada vez que se produce un hecho accesible a la vulgaridad de espíritu del periodista filósofo, es decir, generalmente un hecho político, los periodistas filósofos están convencidos de que algo ha cambiado en Francia, de que ya no se volverán a ver tales veladas, de que ya no se admirará a Ibsen, a Renan, a Dostoievsky, a D′Annunzio, a Tolstói, a Wagner, a Strauss. Pues los periodistas filósofos sacan argumentos de los entretelones equívocos de esas manifestaciones oficiales para encontrar algo de decadente en el arte que ellas glorifican, y que generalmente es el más austero de todos. Pues entre los nombres más venerados por el periodista filósofo no hay ninguno que no haya dado lugar, con toda naturalidad, a esas fiestas extrañas, aunque su extrañeza fuera menos flagrante y más oculta. En cuanto a aquella fiesta, los elementos impuros que en ella se conjugaban me impresionaban desde otro punto de vista: cierto que yo estaba en mejor situación que nadie para disociarlos, porque aprendí a conocerlos separadamente; pero sobre todo unos, los que se referían a mademoiselle Vinteuil y a su amiga, al hablarme de Combray, me hablaban también de Albertina, es decir, de Balbec, ya que por haber visto en otro tiempo a mademoiselle Vinteuil en Montjouvain y haberme enterado de la intimidad de su amiga con Albertina, iba a encontrar ahora, al volver a casa, en lugar de la soledad, a Albertina esperándome; y los que se referían a Morel y a monsieur de Charlus, al hablarme de Balbec, donde vi nacer sus relaciones en el andén de Doncières, me hablaban de Combrayy de sus dos lados, pues monsieur de Charlus era uno de aquellos Guermantes, condes de Combray, que vivían en Combray sin tener allí alojamiento, entre cielo y tierra, como Gilberto el Malo en su vidriera, y Morel era hijo de aquel viejo criado que me hizo conocer a la dama de rosa y, tantos años después, reconocer en ella a madame Swan.
M. de Charlus recommença, au moment où, la musique finie, ses invités prirent congé de lui, la même erreur qu′à leur arrivée. Il ne leur demanda pas d′aller vers la Patronne, de l′associer, elle et son mari, à la reconnaissance qu′on lui témoignait. Ce fut un long défilé, mais un défilé devant le baron seul, et non même sans qu′il s′en rendît compte, car ainsi qu′il me le dit quelques minutes après : « La forme même de la manifestation artistique a revêtu ensuite un côté « sacristie » assez amusant. » On prolongeait même les remerciements par des propos différents qui permettaient de rester un instant de plus auprès du baron, pendant que ceux qui ne l′avaient pas encore félicité de la réussite de sa fête stagnaient, piétinaient. Plus d′un mari avait envie de s′en aller ; mais sa femme, snob bien que duchesse, protestait : « Non, non, quand nous devrions attendre une heure, il ne faut pas partir sans avoir remercié Palamède qui s′est donné tant de peine. Il n′y a que lui qui puisse à l′heure actuelle donner des fêtes pareilles. » Personne n′eût plus pensé à se faire présenter à Mme Verdurin qu′à l′ouvreuse d′un théâtre où une grande dame a, pour un soir, amené toute l′aristocratie. « Étiez-vous hier chez Éliane de Montmorency, mon cousin ? demandait Mme de Mortemart, désireuse de prolonger l′entretien. — Eh bien, mon Dieu non ; j′aime bien Éliane, mais je ne comprends pas le sens de ses invitations. Je suis un peu bouché sans doute », ajoutait-il avec un large sourire épanoui, Terminada la música, y al despedirse de él los invitados, monsieur de Charlus repitió el mismo error que cuando llegaron. No les dijo que se acercaran a la patrona, hicieran extensivo a ella y a su marido al agradecimiento que le expresaban a él. Fue un largo desfile, pero un desfile solamente ante el barón, y no es que él no se diera cuenta, pues me dijo a los pocos minutos: -La forma misma de la manifestación artística ha tomado después un aspecto «sacristía » bastante curioso. Y hasta se prolongaban las gracias con diferentes comentarios que permitían quedarse un poco más con el barón, mientras que los que no le habían felicitado todavía por el éxito de su fiesta esperaban impacientes. (Más de un marido tenía ganas de marcharse; pero su mujer, snob aunque duquesa, protestaba: «No, no, aunque tuviéramos que esperar una hora, no podemos marcharnos sin dar las gracias a Palamède, que tanto trabajo se ha tomado. Hoy en día no hay nadie más que él que pueda dar fiestas así.» A nadie se le hubiera ocurrido hacerse presentar a madame Verdurin, como no se les ocurriría hacerse presentar a la acomodadora de un teatro en el que una gran dama recibiera una noche a toda la aristocracia.) -¿Estuvo ayer en casa de Eliana de Montmorency, primo? -preguntó madame de Mortemart, con el deseo de prolongar la conversación -Pues no; quiero bien a Eliana, pero no comprendo el sentido de sus invitaciones. Debo de ser un poco obtuso -añadió monsieur de Charlus con una sonrisa satisfecha,
Â…«-Bien interpretado, ¿verdad? -dijo monsieur Verdurin a Saniette. -Pero temo -contestó éste tartamudeando- que el mismo virtuosismo de Morel oscurezca un poco el sentimiento general de la obra. -¡Oscurecer! ¿Qué quiere usted decir con eso? -bramó monsieur Verdurin, mientras los invitados se aglomeraban, dispuestos, como leones, a devorar al hombre derribado. -¡Oh!, no me refiero sólo a él... -Ya no sabe ni lo que dice. ¿Referirse a qué? Tendría que..., que... oír... otra vez para juzgar rigurosamente. -¡Rigurosamente! ¡Está loco! -dijo monsieur Verdurin llevándose las manos a la cabeza-. Habría que llevárselo. -Quiero decir con exactitud; usted... tiene razón... con una exactitud rigurosa. Digo que no puedo juzgar en rigor. -Y yo le digo a usted que se marche -gritó monsieur Verdurin ciego de ira, señalándole la puerta con el dedo, echando llamas por los ojos ¡No permito que se hable así en mi casa! Saniette se marchó haciendo eses como un borracho. Algunas personas pensaron que no había sido invitado para echarle de aquella manera. Y una señora muy amiga suya hasta entonces, a quien Saniette había prestado la víspera un libro precioso, se lo devolvió al día siguiente sin una palabra, apenas envuelto en un papel en el que mandó a su mayordomo escribir, sin más, la dirección de Saniette; no quería "deber nada" a una persona que estaba visiblemente lejos de gozar del favor del pequeño núcleo. Por lo demás, Saniette ignoró esta impertinencia, pues no habían transcurrido cinco minutos desde la algarada de monsieur Verdurin, cuando un criado llegó a decir al patrón que monsieur Saniette había caído fulminado por un ataque en el patio del hotel. Pero la velada no terminó. "Diga que le lleven a su casa, no será nada", ordenó el patrón, cuyo hotel "particular", como diría el director del hotel de Balbec, quedó así asimilado a esos grandes hoteles donde se apresuran a ocultar las muertes repentinas para no impresionar a la clientela y donde meten provisionalmente al difunto en una despensa para sacarlo después clandestinamente, así fuera en vida el más brillante y el más generoso de los hombres, por la puerta de servicio. De todos modos, tanto como muerto no lo estaba Saniette. Vivió todavía unas semanas, pero sin recobrar el conocimiento más que pasajeramente.»
Â… cependant que Mme de Mortemart sentait qu′elle allait avoir la primeur d′une de « Palamède » comme elle en avait souvent d′« Oriane ». « J′ai bien reçu, il y a une quinzaine de jours, une carte de l′agréable Éliane. Au-dessus du nom contesté de Montmorency, il y avait cette aimable invitation : « Mon cousin, faites-moi la grâce de penser à moi vendredi prochain à 9 h. ½. » Au-dessous étaient écrits ces deux mots moins gracieux : « Quatuor Tchèque. » Ils me semblèrent fort inintelligibles, sans plus de rapport, en tous cas, avec la phrase précédente que ces lettres au dos desquelles on voit que l′épistolier en avait commencé une autre par les mots : « Cher ami », la suite manquant, et n′a pas pris une autre feuille, soit distraction, soit économie de papier. J′aime bien Éliane : aussi je ne lui en voulus pas, je me contentai de ne pas tenir compte des mots étranges et déplacés de « quatuor tchèque », et comme je suis un homme d′ordre, je mis au-dessus de ma cheminée l′invitation de penser à Madame de Montmorency le vendredi à 9 h. ½. Bien que connu pour ma nature obéissante, ponctuelle et douce, comme Buffon dit du chameau — et le rire s′épanouit plus largement autour de M. de Charlus, qui savait qu′au contraire on le tenait pour l′homme le plus difficile à vivre — je fus en retard de quelques minutes (le temps d′ôter mes vêtements de jour), et sans en avoir trop de remords, pensant que 9 h. ½ était mis pour 10, à dix heures tapant, dans une bonne robe de chambre, les pieds en d′épais chaussons, je me mis au coin de mon feu à penser à Éliane comme elle me l′avait demandé, et avec une intensité qui ne commença à décroître qu′à dix heures et demie. Dites-lui bien, je vous prie, que j′ai strictement obéi à son audacieuse requête. Je pense qu′elle sera contente. » Mme de Mortemart se pâma de rire, et M. de Charlus tout ensemble. « Et demain, ajouta-t-elle, sans penser qu′elle avait dépassé, et de beaucoup, le temps qu′on pouvait lui concéder, irez-vous chez nos cousins La Rochefoucauld ? — Oh ! cela, c′est impossible, ils m′ont convié comme vous, je le vois, à la chose la plus importante à concevoir et à réaliser et qui s′appelle, si j′en crois la carte d′invitation : « Thé dansant. » Je passais pour fort adroit quand j′étais jeune, mais je doute que j′eusse pu, sans manquer à la décence, prendre mon thé en dansant. Or je n′ai jamais aimé manger ni boire d′une façon malpropre. Vous me direz qu′aujourd′hui je n′ai plus à danser. Mais, même assis confortablement à boire du thé — de la qualité duquel, d′ailleurs, je me méfie puisqu′il s′intitule dansant — je craindrais que des invités plus jeunes que moi, et moins adroits peut-être que je n′étais à leur âge, renversassent sur mon habit leur tasse, ce qui interromprait pour moi le plaisir de vider la mienne. » Et M. de Charlus ne se contentait même pas d′omettre dans la conversation Mme Verdurin et de parler de sujets de toute sorte qu′il semblait avoir plaisir à développer et varier, pour le cruel plaisir, qui avait toujours été le sien, de faire rester indéfiniment sur leurs jambes à « faire la queue » les amis qui attendaient avec une épuisante patience que leur tour fût venu ; il faisait même des critiques sur toute la partie de la soirée dont Mme Verdurin était responsable : « Mais, à propos de tasse, qu′est-ce que c′est que ces étranges demi-bols, pareils à ceux où, quand j′étais jeune homme, on faisait venir des sorbets de chez Poiré Blanche ? Quelqu′un m′a dit tout à l′heure que c′était pour du « café glacé ». Mais en fait de café glacé, je n′ai vu ni café ni glace. Quelles curieuses petites choses à destination mal définie ! » Pour dire cela, M. de Charlus avait placé verticalement sur sa bouche ses mains gantées de blanc et arrondi prudemment son regard désignateur, comme s′il craignait d′être entendu et même vu des maîtres de maison. Mais ce n′était qu′une feinte, car dans quelques instants il allait dire les mêmes critiques à la Patronne elle-même, et un peu plus tard lui enjoindre insolemment. « Et surtout plus de tasses à café glacé ! Donnez-les à celle de vos amies dont vous désirez enlaidir la maison. Mais surtout qu′elle ne les mette pas dans le salon, car on pourrait s′oublier et croire qu′on s′est trompé de pièce puisque ce sont exactement des pots de chambre. — Mais mon cousin, disait l′invitée — en baissant elle aussi la voix et en regardant d′un air interrogateur M. de Charlus, non par crainte de fâcher Mme Verdurin, mais de le fâcher lui — peut-être qu′elle ne sait pas encore tout très bienÂ… — On le lui apprendra. — Oh ! riait l′invitée, elle ne peut pas trouver un meilleur professeur ! Elle a de la chance ! Avec vous on est sûr qu′il n′y aura pas de fausse note. — En tous cas, il n′y en a pas eu dans la musique. — Oh ! c′était sublime. Ce sont de ces joies qu′on n′oublie pas. À propos de ce violoniste de génie, continuait-elle, croyant, dans sa naîµ¥té, que M. de Charlus s′intéressait au violon « en soi », en connaissez-vous un que j′ai entendu l′autre jour jouer merveilleusement une sonate de Fauré, il s′appelle FrankÂ… — Oui, c′est une horreur, répondait M. de Charlus, sans se soucier de la grossièreté d′un démenti qui impliquait que sa cousine n′avait aucun goût. En fait de violoniste je vous conseille de vous en tenir au mien. » Les regards allaient recommencer à s′échanger entre M. de Charlus et sa cousine, à la fois baissés et épieurs, car, rougissante et cherchant par son zèle à réparer sa gaffe, Mme de Mortemart allait proposer à M. de Charlus de donner une soirée pour faire entendre Morel. Or, pour elle, cette soirée n′avait pas le but de mettre en lumière un talent, but qu′elle allait pourtant prétendre être le sien, et qui était réellement celui de M. de Charlus. Elle ne voyait là qu′une occasion de donner une soirée particulièrement élégante, et déjà calculait qui elle inviterait et qui elle laisserait de côté. Ce triage, préoccupation dominante des gens qui donnent des fêtes (ceux-là mêmes que les journaux mondains ont le toupet ou la bêtise d′appeler « l′élite »), altère aussitôt le regard — et l′écriture — plus profondément que ne ferait la suggestion d′un hypnotiseur. Avant même d′avoir pensé à ce que Morel jouerait (préoccupation jugée secondaire et avec raison, car si même tout le monde, à cause de M. de Charlus, avait eu la convenance de se taire pendant la musique, personne, en revanche, n′aurait eu l′idée de l′écouter), Mme de Mortemart, ayant décidé que Mme de Valcourt ne serait pas des « élues », avait pris, par ce fait même, l′air de conjuration, de complot qui ravale si bas celles mêmes des femmes du monde qui pourraient le plus aisément se moquer du qu′en-dira-t-on. « N′y aurait-il pas moyen que je donne une soirée pour faire entendre votre ami ? » dit à voix basse Mme de Mortemart, qui, tout en s′adressant uniquement à M. de Charlus, ne put s′empêcher, comme fascinée, de jeter un regard sur Mme de Valcourt (l′exclue) afin de s′assurer que celle-ci était à une distance suffisante pour ne pas entendre. « Non, elle ne peut pas distinguer ce que je dis », conclut mentalement Mme de Mortemart, rassurée par son propre regard, lequel avait eu, en revanche, sur Mme de Valcourt, un effet tout différent de celui qu′il avait pour but : « Tiens, se dit Mme de Valcourt en voyant ce regard, Marie-Thérèse arrange avec Palamède quelque chose dont je ne dois pas faire partie. » « Vous voulez dire mon protégé », rectifiait M. de Charlus, qui n′avait pas plus de pitié pour le savoir grammatical que pour les dons musicaux de sa cousine. Puis, sans tenir aucun compte des muettes prières de celle-ci, qui s′excusait elle-même en souriant : « Mais siÂ…, dit-il d′une voix forte et capable d′être entendue de tout le salon, bien qu′il y ait toujours danger à ce genre d′exportation d′une personnalité fascinante dans un cadre qui lui fait forcément subir une déperdition de son pouvoir transcendantal et qui resterait en tout cas à approprier. » Madame de Mortemart se dit que le mezzo-voce, le pianissimo de sa question avaient été peine perdue, après le « gueuloir » par où avait passé la réponse. Elle se trompa. Mme de Valcourt n′entendit rien, pour la raison qu′elle ne comprit pas un seul mot. Ses inquiétudes diminuèrent, et se fussent rapidement éteintes, si Mme de Mortemart, craignant de se voir déjouée et craignant d′avoir à inviter Mme de Valcourt, avec qui elle était trop liée pour la laisser de côté si l′autre savait « avant », n′eût de nouveau levé les paupières dans la direction d′Édith, comme pour ne pas perdre de vue un danger menaçant, non sans les rabaisser vivement de façon à ne pas trop s′engager. Elle comptait, le lendemain de la fête, lui écrire une de ces lettres, complément du regard révélateur, lettres qu′on croit habiles et qui sont comme un aveu sans réticences et signé. Par exemple : « Chère Édith, je m′ennuie après vous, je ne vous attendais pas trop hier soir (comment m′aurait-elle attendue, se serait dit Édith, puisqu′elle ne m′avait pas invitée ?) car je sais que vous n′aimez pas extrêmement ce genre de réunions, qui vous ennuient plutôt. Nous n′en aurions pas moins été très honorés de vous avoir (jamais Mme de Mortemart n′employait ce terme « honoré », excepté dans les lettres où elle cherchait à donner à un mensonge une apparence de vérité). Vous savez que vous êtes toujours chez vous à la maison. Du reste, vous avez bien fait, car cela a été tout à fait raté, comme toutes les choses improvisées en deux heures, etc. » Mais déjà le nouveau regard furtif lancé sur elle avait fait comprendre à Édith tout ce que cachait le langage compliqué de M. de Charlus. Ce regard fut même si fort qu′après avoir frappé Mme de Valcourt, le secret évident et l′intention de cachotterie qu′il contenait rebondirent sur un jeune Péruvien que Mme de Mortemart comptait, au contraire, inviter. Mais, soupçonneux, voyant jusqu′à l′évidence les mystères qu′on faisait, sans prendre garde qu′ils n′étaient pas pour lui, il éprouva aussitôt, à l′endroit de Mme de Mortemart, une haine atroce et se jura de lui faire mille mauvaises farces, comme de faire envoyer cinquante cafés glacés chez elle le jour où elle ne recevrait pas, de faire insérer, celui où elle recevrait, une note dans les journaux disant que la fête était remise, et de publier des comptes rendus mensongers des suivantes, dans lesquels figureraient les noms connus de toutes de personnes que, pour des raisons variées, on ne tient pas à recevoir, même pas à se laisser présenter. Mme Mortemart avait tort de se préoccuper de Mme de Valcourt. M. de Charlus allait se charger de dénaturer, bien davantage que n′eût fait la présence de celle-ci, la fête projetée. « Mais mon cousin, dit-elle en réponse à la phrase du « cadre à approprier », dont son état momentané d′hyperesthésie lui avait permis de deviner le sens, nous vous éviterons toute peine. Je me charge très bien de demander à Gilbert de s′occuper de tout. — Non, surtout pas, d′autant plus qu′il ne sera pas invité. Rien ne se fera que par moi. Il s′agit avant tout d′exclure les personnes qui ont des oreilles pour ne pas entendre. » La cousine de M. de Charlus, qui avait compté sur l′attrait de Morel pour donner une soirée où elle pourrait dire qu′à la différence de tant de parentes, « elle avait eu Palamède », reporta brusquement sa pensée, de ce prestige de M. de Charlus, sur tant de personnes avec lesquelles il allait la brouiller s′il se mêlait d′exclure et d′inviter. La pensée que le prince de Guermantes (à cause duquel, en partie, elle désirait exclure Mme de Valcourt, qu′il ne recevait pas) ne serait pas convié, l′effrayait. Ses yeux prirent une expression inquiète. « Est-ce que la lumière un peu trop vive vous fait mal ? » demanda M. de Charlus avec un sérieux apparent dont l′ironie foncière ne fut pas comprise. « Non, pas du tout, je songeais à la difficulté, non à cause de moi, naturellement, mais des miens, que cela pourrait créer si Gilbert apprend que j′ai eu une soirée sans l′inviter, lui qui n′a jamais quatre chats sansÂ… — Mais justement, on commencera par supprimer les quatre chats qui ne pourraient que miauler ; je crois que le bruit des conversations vous a empêchée de comprendre qu′il s′agissait non de faire des politesses grâce à une soirée, mais de procéder aux rites habituels à toute véritable célébration. » Puis, jugeant, non que la personne suivante avait trop attendu, mais qu′il ne seyait pas d′exagérer les faveurs faites à celle qui avait eu en vue beaucoup moins Morel que ses propres « listes » d′invitation, M. de Charlus, comme un médecin qui arrête la consultation quand il juge être resté le temps suffisant, signifia à sa cousine de se retirer, non en lui disant au revoir, mais en se tournant vers la personne qui venait immédiatement après. « Bonsoir, Madame de Montesquiou, c′était merveilleux, n′est-ce pas ? Je n′ai pas vu Hélène, dites-lui que toute abstention générale, même la plus noble, autant dire la sienne, comporte des exceptions, si celles-ci sont éclatantes, comme c′était ce soir le cas. Se montrer rare, c′est bien, mais faire passer avant le rare, qui n′est que négatif, le précieux, c′est mieux encore. Pour votre sœur, dont je prise plus que personne la systématique absence là où ce qui l′attend ne la vaut pas, au contraire, à une manifestation mémorable comme celle-ci sa présence eût été une préséance et eût apporté à votre sœur, déjà si prestigieuse, un prestige supplémentaire. » Puis il passa à une troisième personne, M. d′Argencourt. Je fus très étonné de voir, là, aussi aimable et flagorneur avec M. de Charlus qu′il était sec avec lui autrefois, se faisant présenter Morel et lui disant qu′il espérait qu′il viendrait le voir, M. d′Argencourt, cet homme si terrible pour l′espèce d′hommes dont était M. de Charlus. Or il en vivait maintenant entouré. Ce n′était certes pas qu′il fût devenu à cet égard un des pareils de M. de Charlus. Mais, depuis quelque temps, il avait à peu près abandonné sa femme pour une jeune femme du monde qu′il adorait. Intelligente, elle lui faisait partager son goût pour les gens intelligents et souhaitait fort d′avoir M. de Charlus chez elle. Mais, surtout, M. d′Argencourt fort jaloux et un peu impuissant, sentant qu′il satisfaisait mal sa conquête et voulant à la fois la préserver et la distraire, ne le pouvait sans danger qu′en l′entourant d′hommes inoffensifs, à qui il faisait ainsi jouer le rôle de gardiens du sérail. Ceux-ci le trouvaient devenu très aimable et le déclaraient beaucoup plus intelligent qu′ils n′avaient cru, ce dont sa maîtresse et lui étaient ravis. Mientras Madame de Mortemart presentía que iba a tener las primicias de «una de Palamède» como las solía tener de Oriana-. Sí que recibí hace unos quince días una tarjeta de la simpática Eliana. Sobre el nombre, discutido, de Montmorency, había esta amable invitación: «Primo, hágame el honor de pensar en mí el viernes próximo a las nueve y media». Debajo, estas dos palabras, no tan graciosas: «Quatuor Checo». Me parecieron ininteligibles, en todo caso sin más relación con la frase precedente que esas cartas al dorso de las cuales se ve que el autor había empezado otra carta con las palabras: «Querido amigo», sin más, y no tomó otro papel, bien por distracción, bien por economía. Quiero bien a Eliana y no se lo tuve en cuenta: me limité a no hacer caso de las palabras, extrañas e inoportunas, de «quatuor checo», y como soy hombre de orden, puse encima de la chimenea la invitación a pensar en madame de Montmorency el viernes a las nueve y media. Aunque tengo fama de obediente, puntual y pacífico, como dice Buffon del camello -y la risa aumentó en torno a monsieur de Charlus, quien sabía que, al contrario, le tenían por el hombre más difícil de tratar-, me retrasé unos minutos (el tiempo de cambiar de traje), y sin demasiado remordimiento, pensando que las nueve y media querían decir las diez. Y a las diez en punto, vistiendo una buena bata, calzado con unas gruesas zapatillas, me senté a la chimenea a pensar en Eliana como ella me pedía, y con una intensidad que no empezó a disminuir hasta las diez y media. Díganle, por favor, que obedecí estrictamente a su audaz petición. Supongo que quedará contenta. Madame de Mortemart estaba muerta de risa, y monsieur de Charlus con ella. -¿Irá usted mañana -añadió, sin pensar que había rebasado, y con mucho, el tiempo que podían concederle- a casa de nuestros primos La Rochefoucauld? -¡Oh, imposible!, me han invitado, como a usted, lo veo, a la cosa más imposible de concebir y de realizar que se llama, a creer en la tarjeta de invitación, un thé dansant. Cuando era joven tenía fama de diestro, pero dudo que pudiera tomar el té bailando sin faltar a las conveniencias. Y nunca me ha gustado comer ni beber suciamente. Me dirá usted que ya no tengo que bailar. Pero aun confortablemente sentado para tomar el té -de cuya calidad desconfío, además, desde el momento en que lo titulan danzante-, temería que otros invitados más jóvenes que yo, y quizá menos diestros que lo era yo a su edad, derramasen su taza sobre mi frac, lo que me quitaría el placer de vaciar la mía. Y monsieur de Charlus ni siquiera se contentaba con omitir en la conversación a madame Verdurin y hablar de toda clase de temas (que parecía complacerse en desarrollar y en variar, por el cruel placer, placer que siempre había sentido, de tener indefinidamente de pie, «haciendo cola», a los amigos que esperaban su turno con una paciencia agotadora). Hasta criticaba toda la parte de la velada que había corrido a cargo de madame Verdurin: -Pero, a propósito de taza, ¿qué tazas semiesféricas son ésas, parecidas a las que traían con los sorbetes de casa de Poiré Blanche cuando yo era muchacho? Alguien me dijo hace un momento que eran para «café helado». Pero en cuanto a eso de café helado, yo no he visto ni café ni helado. ¡Qué cositas más curiosas con un destino mal definido! Para decir esto, monsieur de Charlus colocó en torno a su boca las manos enguantadas de blanco y redondeó prudentemente los ojos señaladores como si temiera que le oyeran y hasta que le vieran los dueños de la casa. Pero no era fingimiento, pues al poco rato fue a hacer a la misma patrona las mismas críticas, y aun añadió insolente: -¡Y sobre todo nada de tazas de café helado! Déselas a una amiga suya si quiere estropearle la casa. Pero que no las ponga en el salón, pues pudiera ocurrir que en un apuro alguien creyera que se había equivocado de habitación, porque son exactamente unos orinales. -Pero, primo -decía la invitada, bajando ella también la voz y mirando a monsieur de Charlus con gesto interrogativo no por miedo de molestar a madame Verdurin, sino de molestarle a él-, quizá esa señora no sabe todavía muy bien todas esas cosas... -Se las enseñaremos. -¡Oh! -reía la invitada-, no podría encontrar mejor profesor. ¡Tiene suerte! Con usted se puede estar seguro de que no habrá una nota falsa. -En todo caso, no la ha habido en la música. -¡Oh, ha sido sublime! Estos goces no se olvidan jamás. A propósito de ese violinista genial -continuó, creyendo, en su inocencia, que monsieur de Charlus se interesaba por el violín «en sí»-, ¿conoce usted a uno al que oí el otro día tocar maravillosamente una sonata de Fauré y que se llama Frank? -Sí, es un horror -contestó monsieur de Charlus, sin importarle la grosería de una respuesta que significaba que su prima no tenía el menor gusto-. En cuestión de violinistas, le aconsejo que se atenga al mío. Iban a recomenzar entre monsieur de Charlus y su prima las miradas, a la vez bajas e inquisitivas, pues madame de Mortemart, sonrojada y queriendo reparar con su celo su coladura, iba a proponer a monsieur de Charlus dar una fiesta para que tocara Morel. Mas para ella el fin de aquella velada no era dar a conocer un talento, aunque ella lo pretendiera así, como era, en realidad, el que se propusiera monsieur de Charlus. Madame de Mortemart sólo buscaba una ocasión para dar una fiesta muy elegante, y ya calculaba a quién iba a invitar y a quién no. Esta selección, cuidado predominante de las gentes que dan fiestas (incluso aquellos que los periódicos mundanos tienen el atrevimiento o la estupidez de llamar «la crema»), altera en seguida la mirada -y la letra- más profundamente de lo que pudiera hacerlo la sugestión de un hipnotizador. Incluso antes de pensar en lo que Morel tocaría (preocupación considerada secundaria, y con razón, pues aun cuando todo el mundo tuviera, por monsieur de Charlus, el cuidado de callarse durante la música, en cambio a nadie se le ocurriría escucharla), madame de Mortemart, decidida a no incluir a madame de Valcourt entre las «elegidas», tomó por esto mismo el aire de conjura, de conspiración, que tanto rebaja hasta a las mujeres del gran mundo que más fácilmente podrían reírse del qué dirán. -¿No podría dar yo una fiesta para que oyeran a su amigo? -dijo en voz baja madame de Mortemart, que mientras hablaba a monsieur de Charlus no pudo menos de mirar, como fascinada, a madame de Valcourt (la excluida) con el fin de cerciorarse de que ésta se encontraba a suficiente distancia para no oírla. «No, no puede entender lo que digo», concluyó mentalmente madame de Mortemart, tranquilizada por su propia mirada, que había tenido, en cambio, sobre madame de Valcourt un efecto por completo diferente del que se proponía: «Vaya -se dijo madame de Valcourt viendo aquella mirada-, María Teresa debe de estar preparando con Palamède algo en lo que yo no debo tomar parte». -Querrá usted decir mi protegido -rectificó monsieur de Charlus, que no tenía más piedad para el saber gramatical que para los dones musicales de su prima. Después, sin hacer caso de las tácitas súplicas de ésta, que se disculpaba ella misma sonriendo-. Pues sí... - dijo con voz fuerte y que podía ser oída por todo el salón-, aunque siempre es peligroso ese género de exportación de una personalidad fascinante a un medio que por fuerza le hace sufrir una depreciación de su poder trascendental y que, en todo caso, habría que apropiarse. Madame de Mortemart pensó que el mezzo voce, el pianíssimo, habían sido trabajo perdido, después del vozarrón por el que había pasado la respuesta. Se equivocó, porque madame de Valcourt no oyó nada, por la sencilla razón de que no entendió una sola palabra. Su inquietud disminuyó, y se habría esfumado rápidamente si madame de Mortemart, temiendo que le hubiera salido mal la combinación y tuviera que invitar a madame de Valcourt, con la que tenía una relación demasiado estrecha para darle de lado si la otra se enteraba «de antemano», no hubiese levantado de nuevo los párpados en dirección a Edith, como para no perder de vista un peligro amenazador, pero bajándolos de nuevo en seguida para no comprometerse demasiado. Esperaba escribirle al día siguiente de la fiesta una de esas cartas, complemento de la mirada reveladora, que se creen hábiles y que son como una confesión sin reticencias y firmada. Por ejemplo: «Querida Edith, estoy enojada con usted, no estaba muy segura de que viniera anoche (¿cómo lo iba a estar, se diría Edith, si no me había invitado?), pues ya sé que no le gustan mucho esta clase de reuniones, que más bien le aburren. Pero nos hubiera honrado mucho tenerla con nosotros (madame de Mortemart no empleaba nunca este término, "honrado", a no ser en las cartas en que procuraba dar a una mentira una apariencia de verdad). Ya sabe que en esta casa está siempre en la suya. Por otra parte, hizo bien en no venir, pues fue un verdadero fracaso, como todas las cosas improvisadas en dos horas, etc.» Pero ya la mirada furtiva lanzada sobre ella había hecho comprender a Edith todo lo que ocultaba el complicado lenguaje de monsieur de Charlus. Una mirada tan fuerte que, después de caer sobre madame de Valcourt, el secreto evidente y la intención de tapujo que contenía rebotaron sobre un joven peruano a quien sí pensaba invitar madame de Mortemart. Pero el peruano, notando hasta la evidencia los misterios que se tramaban, sin fijarse en que no eran por él, sintió en seguida un odio tremendo hacia madame de Mortemart y se juró hacerle mil malas pasadas, tales como mandar que le enviaran cincuenta cafés helados a su casa un día que no recibiera, hacer publicar en los periódicos, un día en que recibiera, una nota diciendo que la fiesta se había aplazado y unas falsas reseñas de las siguientes con nombres, conocidos por todos, de personas a las que, por diversas razones, no sólo no las reciben en el gran mundo, sino que ni siquiera permiten que se las presenten. Madame de Mortemart hacía mal en preocuparse por madame de Valcourt. Monsieur de Charlus iba a encargarse de desnaturalizar, mucho más de lo que lo hubiera hecho la presencia de ésta, la fiesta proyectada. -Pero, primo -dijo contestando aquello del «medio», cuyo sentido le había permitido adivinar su estado momentáneo de hiperestesia-, le evitaremos todo trabajo. Yo me encargo de pedir a Gilberto que se ocupe de todo. -No, de ninguna manera, y mucho menos porque no se le va a invitar. No se hará nada sin mí. Se trata, ante todo, de las personas que tienen oídos y no oyen. La prima de monsieur de Charlus, que contaba con la atracción de Morel para dar una fiesta en la que podría decir que, a diferencia de tantos parientes, «había tenido a Palamède », trasladó bruscamente su pensamiento de este prestigio de monsieur de Charlus a muchas personas con las que iba a indisponerla si él se ponía a excluir y a invitar. La idea de que no iba a ser invitado el príncipe de Guermantes (por el cual, en parte, deseaba ella excluir a madame de Valcourt, a la que él no recibía) la asustaba. El susto se le notó en los ojos. -¿Le hace daño la luz un poco demasiado viva? -preguntó monsieur de Charlus con una aparente seriedad cuya profunda ironía no percibió madame de Mortemart. -No, nada de eso, estaba pensando en la dificultad que podría provocar, no para mí, naturalmente, sino para los míos, que Gilberto supiera que yo había dado una fiesta sin invitarle, cuando él no reúne nunca cuatro gatos sin... -Pero, precisamente, empezaremos por suprimir los cuatro gatos, que no harían más que maullar; creo que el ruido de las conversaciones le ha impedido comprender que no se trataba de quedar bien con una fiesta, sino de proceder a los ritos propios de toda verdadera celebración. Dicho esto, monsieur de Charlus, juzgando no que la persona siguiente había esperado demasiado, sino que no estaba bien exagerar los favores otorgados a la que había pensado mucho menos en Morel que en sus propias «listas» de invitación, como un médico que da por terminada la consulta cuando cree que ha esperado el tiempo suficiente, hizo ver a su prima que debía retirarse no diciéndole adiós, sino dirigiéndose a la persona que venía inmediatamente después. -Buenas noches, madame de Montesquiou, ha sido maravilloso, ¿verdad? No he visto a Elena; dígale que toda abstención general, aun la más noble, lo que equivale a decir la suya, tiene excepciones, si son extraordinarias, como en el caso de hoy. Lo raro está bien, pero anteponer a lo raro, que no es más que negativo, lo precioso, está mejor aún. Para su hermana, cuya sistemática ausencia estimo yo más que nadie cuando lo que la espera no la merece, en cambio, en una manifestación memorable como ésta su presencia hubiera sido una precedencia y hubiera dado a su hermana de usted, ya tan prestigiosa, un prestigio más. Después pasó a otra. Me sorprendió ver allí, tan amable y adulador con monsieur de Charlus como seco estuviera con él otras veces, pidiéndole que le presentara a Charlie y diciéndole que esperaba que fuera a verle, a monsieur d′Argencourt, aquel hombre tan terrible para la especie de hombres a que pertenecía monsieur de Charlus. El caso es que ahora vivía rodeado de ellos. No, ciertamente, porque se hubiera convertido. Pero desde hacía algún tiempo había casi abandonado a su mujer por una del gran mundo a la que adoraba. Esta mujer, inteligente, le hacía compartir su inclinación hacia las personas inteligentes y tenía muchas ganas de que monsieur de Charlus fuera a su casa. Pero, sobre todo, monsieur d′Argencourt, muy celoso y un poco impotente, dándose cuenta de que satisfacía mal a su conquista y queriendo a la vez preservarla y distraerla, sólo podía hacerlo sin peligro rodeándola de hombres inofensivos, que desempeñaban para él el cometido de guardianes del serrallo. Éstos pensaban que se había vuelto muy simpático y le proclamaban mucho más inteligente de lo que antes creyeran, con gran satisfacción de su amante y de él.
Les autres invitées de M. de Charlus s′en allèrent assez rapidement. Beaucoup disaient : « Je ne voudrais pas aller à la sacristie (le petit salon où le baron, ayant Charlie à côté de lui, recevait les félicitations, et qu′il appelait ainsi lui-même), il faudrait pourtant que Palamède me voie pour qu′il sache que je suis restée jusqu′à la fin. » Aucune ne s′occupait de Mme Verdurin. Plusieurs feignirent de ne pas la reconnaître et de dire adieu par erreur à Mme Cottard, en me disant de la femme du docteur : « C′est bien Mme Verdurin, n′est-ce pas ? » Mme d′Arpajon me demanda, à portée des oreilles de la maîtresse de maison : « Est-ce qu′il y a seulement jamais eu un M. Verdurin ? » Les duchesses, ne trouvant rien des étrangetés auxquelles elles s′étaient attendues, dans ce lieu qu′elles avaient espéré plus différent de ce qu′elles connaissaient, se rattrapaient, faute de mieux, en étouffant des fous rires devant les tableaux d′Elstir ; pour le reste, qu′elles trouvaient plus conforme qu′elles n′avaient cru à ce qu′elles connaissaient déjà, elles en faisaient honneur à M. de Charlus en disant : « Comme Palamède sait bien arranger les choses ! il monterait une féerie dans une remise ou dans un cabinet de toilette que ça n′en serait pas moins ravissant. » Les plus nobles étaient celles qui félicitaient avec le plus de ferveur M. de Charlus de la réussite d′une soirée dont certaines n′ignoraient pas le ressort secret, sans en être embarrassées d′ailleurs, cette société — par souvenir peut-être de certaines époques de l′histoire où leur famille était déjà arrivée à un degré identique d′impudeur pleinement consciente — poussant le mépris des scrupules presque aussi loin que le respect de l′étiquette. Plusieurs d′entre elles engagèrent sur place Charlie pour des soirs où il viendrait jouer le septuor de Vinteuil, mais aucune n′eut même l′idée d′y convier Mme Verdurin. Celle-ci était au comble de la rage quand M. de Charlus qui, porté sur un nuage, ne pouvait s′en apercevoir, voulut, par décence, inviter la Patronne à partager sa joie. Et ce fut peut-être plutôt en se livrant à son goût de littérature qu′à un débordement d′orgueil que ce doctrinaire des fêtes artistes dit à Mme Verdurin : « Hé bien, êtes-vous contente ? Je pense qu′on le serait à moins ; vous voyez que, quand je me mêle de donner une fête, cela n′est pas réussi à moitié. Je ne sais pas si vos notions héraldiques vous permettent de mesurer exactement l′importance de la manifestation, le poids que j′ai soulevé, le volume d′air que j′ai déplacé pour vous. Vous avez eu la reine de Naples, le frère du roi de Bavière, les trois plus anciens pairs. Si Vinteuil est Mahomet, nous pouvons dire que nous avons déplacé pour lui les moins amovibles des montagnes. Pensez que, pour assister à votre fête, la reine de Naples est venue de Neuilly, ce qui est beaucoup plus difficile pour elle que de quitter les Deux-Siciles, dit-il avec une intention de rosserie, malgré son admiration pour la Reine. C′est un événement historique. Pensez qu′elle n′était peut-être jamais sortie depuis la prise de Gaète. Il est probable que, dans les dictionnaires, on mettra comme dates culminantes le jour de la prise de Gaète et celui de la soirée Verdurin. L′éventail qu′elle a posé pour mieux applaudir Vinteuil mérite de rester plus célèbre que celui que Mme de Metternich a brisé parce qu′on sifflait Wagner. — Elle l′a même oublié, son éventail », dit Mme Verdurin, momentanément apaisée par le souvenir de la sympathie que lui avait témoignée la Reine, et elle montra à M. de Charlus l′éventail sur un fauteuil. « Oh ! comme c′est émouvant ! s′écria M. de Charlus en s′approchant avec vénération de la relique. Il est d′autant plus touchant qu′il est affreux ; la petite violette est incroyable ! » Et des spasmes d′émotion et d′ironie le parcouraient alternativement. « Mon Dieu, je ne sais pas si vous ressentez ces choses-là comme moi. Swann serait simplement mort de convulsions s′il avait vu cela. Je sais bien qu′à quelque prix qu′il doive monter, j′achèterai cet éventail à la vente de la Reine. Car elle sera vendue, comme elle n′a pas le sou », ajouta-t-il, la cruelle médisance ne cessant jamais chez le baron de se mêler à la vénération la plus sincère, bien qu′elles partissent de deux natures opposées, mais réunies en lui. Elles pouvaient même se porter tour à tour sur un même fait. Car M. de Charlus qui, du fond de son bien-être d′homme riche, raillait la pauvreté de la Reine, était le même qui souvent exaltait cette pauvreté et qui, quand on parlait de la princesse Murat, reine des Deux-Siciles, répondait : « Je ne sais pas de qui vous voulez parler. Il n′y a qu′une seule reine de Naples, qui est sublime, celle-là, et n′a pas de voiture. Mais de son omnibus elle anéantit tous les équipages et on se mettrait à genoux dans la poussière en la voyant passer. » « Je le léguerai à un musée. — En attendant, il faudra le lui rapporter pour qu′elle n′ait pas à payer un fiacre pour le faire chercher. Le plus intelligent, étant donné l′intérêt historique d′un pareil objet, serait de voler cet éventail. Mais cela la gênerait — parce qu′il est probable qu′elle n′en possède pas d′autre ! ajouta-t-il en éclatant de rire. Enfin vous voyez que pour moi elle est venue. Et ce n′est pas le seul miracle que j′aie fait. Je ne crois pas que personne, à l′heure qu′il est, ait le pouvoir de déplacer les gens que j′ai fait venir. Du reste, il faut faire à chacun sa part, Charlie et les autres musiciens ont joué comme des Dieux. Et, ma chère Patronne, ajouta-t-il avec condescendance, vous-même avez eu votre part de rôle dans cette fête. Votre nom n′en sera pas absent. L′histoire a retenu celui du page qui arma Jeanne d′Arc quand elle partit combattre ; en somme, vous avez servi de trait d′union, vous avez permis la fusion entre la musique de Vinteuil et son génial exécutant, vous avez eu l′intelligence de comprendre l′importance capitale de tout l′enchaînement de circonstances qui ferait bénéficier l′exécutant de tout le poids d′une personnalité considérable, et s′il ne s′agissait pas de moi, je dirais providentielle, à qui vous avez eu le bon esprit de demander d′assurer le prestige de la réunion, d′amener devant le violon de Morel les oreilles directement attachées aux langues les plus écoutées ; non, non, ce n′est pas rien. Il n′y a pas de rien dans une réalisation aussi complète. Tout y concourt. La Duras était merveilleuse. Enfin, tout ; c′est pour cela, conclut-il, comme il aimait à morigéner, que je me suis opposé à ce que vous invitiez de ces personnes-diviseurs qui, devant les êtres prépondérants que je vous amenais, eussent joué le rôle de virgules dans un chiffre, les autres réduites à n′être que de simples dixièmes. J′ai le sentiment très juste de ces choses-là. Vous comprenez, il faut éviter les gaffes quand nous donnons une fête qui doit être digne de Vinteuil, de son génial interprète, de vous, et, j′ose le dire, de moi. Vous auriez invité la Molé que tout était raté. C′était la petite goutte contraire, neutralisante, qui rend une potion sans vertu. L′électricité se serait éteinte, les petits fours ne seraient pas arrivés à temps, l′orangeade aurait donné la colique à tout le monde. C′était la personne à ne pas avoir. À son nom seul, comme dans une féerie, aucun son ne serait sorti des cuivres ; la flûte et le hautbois auraient été pris d′une extinction de voix subite. Morel lui-même, même s′il était parvenu à donner quelques sons, n′aurait plus été en mesure, et au lieu du septuor de Vinteuil, vous auriez eu sa parodie par Beckmesser, finissant au milieu des huées. Moi qui crois beaucoup à l′influence des personnes, j′ai très bien senti, dans l′épanouissement de certain largo, qui s′ouvrait jusqu′au fond comme une fleur, dans le surcroît de satisfaction du finale, qui n′était pas seulement allegro mais incomparablement allègre, que l′absence de la Molé inspirait les musiciens et dilatait de joie jusqu′aux instruments de musique eux-mêmes. D′ailleurs, le jour où on reçoit les souverains on n′invite pas sa concierge. » En l′appelant la Molé (comme il disait, d′ailleurs très sympathiquement, la Duras), M. de Charlus lui faisait justice. Car toutes ces femmes étaient des actrices du monde, et il est vrai aussi que, même en considérant ce point de vue, la comtesse Molé n′était pas égale à l′extraordinaire réputation d′intelligence qu′on lui faisait, et qui donnait à penser à ces acteurs ou à ces romanciers médiocres qui, à certaines époques, ont une situation de génies, soit à cause de la médiocrité de leurs confrères, parmi lesquels aucun artiste supérieur n′est capable de montrer ce qu′est le vrai talent, soit à cause de la médiocrité du public, qui, existât-il une individualité extraordinaire, serait incapable de la comprendre. Dans le cas de Mme Molé, il est préférable, sinon entièrement exact, de s′arrêter à cette première explication. Le monde étant le royaume du néant, il n′y a, entre les mérites des différentes femmes du monde, que des degrés insignifiants, que peuvent seulement follement majorer les rancunes ou l′imagination de M. de Charlus. Et certes, s′il parlait, comme il venait de le faire, dans ce langage qui était un ambigu précieux des choses de l′art et du monde, c′est parce que ses colères de vieille femme et sa culture de mondain ne fournissaient à l′éloquence véritable qui était la sienne que des thèmes insignifiants. Le monde des différences n′existant pas à la surface de la terre, parmi tous les pays que notre perception uniformise, à plus forte raison n′existe-t-il pas dans le « monde ». Existe-t-il, d′ailleurs, quelque part ? Le septuor de Vinteuil avait semblé me dire que oui. Mais où ? Comme M. de Charlus aimait aussi à répéter de l′un à l′autre, cherchant à brouiller, à diviser pour régner, il ajouta : « Vous avez, en ne l′invitant pas, enlevé à Mme Molé l′occasion de dire : « Je ne sais pas pourquoi cette Mme Verdurin m′a invitée. Je ne sais pas ce que c′est que ces gens-là, je ne les connais pas. » Elle a déjà dit l′an passé que vous la fatiguiez de vos avances. C′est une sotte, ne l′invitez plus. En somme, elle n′est pas une personne si extraordinaire. Elle peut bien venir chez vous sans faire d′histoires puisque j′y viens bien. En somme, conclut-il, il me semble que vous pouvez me remercier, car, tel que ça a marché, c′était parfait. La duchesse de Guermantes n′est pas venue, mais on ne sait pas, c′était peut-être mieux ainsi. Nous ne lui en voudrons pas et nous penserons tout de même à elle pour une autre fois ; d′ailleurs on ne peut pas ne pas se souvenir d′elle, ses yeux mêmes nous disent : ne m′oubliez pas, puisque ce sont deux myosotis (et je pensais à part moi combien il fallait que l′esprit des Guermantes — la décision d′aller ici et pas là — fût fort pour l′avoir emporté chez la duchesse sur la crainte de Palamède). Devant une réussite aussi complète, on est tenté, comme Bernardin de Saint-Pierre, de voir partout la main de la Providence. La duchesse de Duras était enchantée. Elle m′a même chargé de vous le dire », ajouta M. de Charlus en appuyant sur les mots, comme si Mme Verdurin devait considérer cela comme un honneur suffisant. Suffisant et même à peine croyable, car il trouva nécessaire, pour être cru, de dire : « Parfaitement », emporté par la démence de ceux que Jupiter veut perdre. « Elle a engagé Morel chez elle où on redonnera le même programme, et je pense même à demander une invitation pour M. Verdurin. » Cette politesse au mari seul était, sans que M. de Charlus en eût même l′idée, le plus sanglant outrage pour l′épouse, laquelle se croyant, à l′égard de l′exécutant, en vertu d′une sorte de décret de Moscou en vigueur dans le petit clan, le droit de lui interdire de jouer au dehors sans son autorisation expresse, était bien résolue à interdire sa participation à la soirée de Mme de Duras. Las invitadas de monsieur de Charlus se fueron bastante pronto. Muchas decían: «Yo no quisiera ir a la sacristía (el saloncito donde el barón, con Charlie a su lado, recibía las felicitaciones), pero convendría que me viera Palamède para que sepa que me he quedado hasta el final». Ninguna se ocupaba de madame Verdurin. Algunas fingieron no reconocerla y despedirse por error de madame Cottard, diciéndome de la mujer del médico: «Desde luego es madame Verdurin, ¿verdad?» Madame d′Arpajon me preguntó al alcance del oído de la dueña de la casa: «Pero ¿ha existido alguna vez un monsieur Verdurin?» Las duquesas rezagadas, al no encontrar ninguna de las cosas raras que esperaban ver en aquel lugar suponiéndole más diferente de lo que ellas conocían, se desquitaban, a falta de cosa mejor, ahogándose de risa ante los cuadros de Elstir; en cuanto a lo demás, más conforme de lo que ellas habían creído a lo que ya conocían, atribuían el honor a monsieur de Charlus diciendo: «¡Qué bien sabe Palamède arreglar las cosas! Sería capaz de organizar una fiesta de hadas en una cochera o en un cuarto de baño, y resultaría precioso. » Las más nobles eran las que felicitaban con mayor fervor a monsieur de Charlus por el éxito de una fiesta cuyo secreto resorte no ignoraban algunas, y sin que ello les produjera la menor violencia, pues aquella sociedad -quizá por recuerdo de ciertas épocas de la historia en la que su familia había llegado ya a una identidad de impudor plenamente consciente- llevaba el desprecio de los escrúpulos casi tan lejos como el respeto a la etiqueta. Varias de ellas comprometieron allí mismo a Charlie para tocar en sus casas el septuor de Vinteuil, pero a ninguna de ellas le pasó ni siquiera por la mente la idea de invitar a madame Verdurin. Había llegado ésta al colmo de la ira, cuando monsieur de Charlus, que estaba en las nubes y no se daba cuenta, quiso, por decencia, invitar a la patrona a compartir su alegría. Y acaso más por inclinación a la literatura que por un desbordamiento del orgullo, este doctrinario de las fiestas artísticas dijo a madame Verdurin: -Bueno, ¿está contenta? Creo que no haría falta tanto para estarlo. Ya ve que cuando yo me pongo a dar una fiesta no sale bien a medias. No sé si sus nociones heráldicas le permiten apreciar exactamente la importancia de esta manifestación, el peso que yo he levantado, el volumen de aire que he desplazado por usted. Ha tenido en su casa a la reina de Nápoles, al hermano del rey de Baviera, a los tres pares más antiguos. Si Vinteuil es Mahoma, podemos decir que hemos movido por él las montañas menos movibles. Piense que la reina de Nápoles ha venido desde Neully para asistir a su fiesta, lo que es para ella mucho más difícil que venir de las Dos Sicilias -dijo con una intención sarcástica, a pesar de su admiración por la reina-. Es un acontecimiento histórico. Piense que quizá no había salido nunca desde la toma de Gaeta. Es probable que en los diccionarios se ponga como fechas culminantes el día de la toma de Gaeta y el de la fiesta Verdurin. El abanico que posó para aplaudir mejor a Vinteuil merece llegar a ser más célebre que el que rompió madame de Metternich porque silbaban a Wagner. -Y hasta lo ha olvidado, ese abanico -dijo madame Verdurin, momentáneamente calmada por el recuerdo de la simpatía que le manifestó la reina, y señaló a monsieur de Charlus el abanico en un sillón. -¡Oh, es emocionante! -exclamó monsieur de Charlus acercándose con veneración a la reliquia-. Y más emocionante porque es horrible; ¡esa violetita es increíble! -y le sacudieron alternativamente espasmos de emoción y de ironía-. No sé si usted siente estas cosas como yo. Swann se habría muerto de espanto si hubiera visto esto. Ya sé que, cueste lo que cueste, compraré este abanico en la subasta de la reina. Porque, como no tiene un céntimo, se subastará -añadió, pues el barón no dejaba nunca de mezclar la maledicencia cruel con la veneración más sincera, aunque una y otra partían de dos naturalezas opuestas, pero que en él se juntaban. Y hasta podían recaer sucesivamente en un mismo hecho. Pues monsieur de Charlus, que en su bienestar de hombre rico se burlaba de la pobreza de la reina, era el mismo que a menudo exaltaba esta pobreza y, cuando hablaban de la princesa Murat, reina de las Dos Sicilias, respondía: «No sé a quién se refiere usted. No hay más que una reina de Nápoles, que es sublime y no tiene coche. Pero en su ómnibus aplasta todos los carruajes de lujo y hasta se arrodillaría la gente en el polvo al verla pasar.» -Lo dejaré a un museo. Mientras tanto habrá que mandárselo para que no tenga que pagar un fiacre para mandar a buscarlo. Lo más inteligente, dado el interés histórico de semejante objeto, sería robar este abanico. Pero sería un trastorno para ella, porque es probable que no tenga otro -añadió echándose a reír-. En fin, ya ve usted que he conseguido que venga. Y no es el único milagro que he hecho. No creo que nadie pueda hoy movilizar a las personalidades que yo he traído aquí. Pero a cada uno lo suyo: Charlie y los demás músicos han tocado como los ángeles. Y a usted, mi querida patrona -añadió condescendiente-, también le corresponde su parte en esta fiesta. No faltará en ella su nombre. La historia ha conservado el del paje que armó a Juana de Arco cuando partió19 ; en realidad, usted ha servido de enlace, ha permitido la fusión entre la música de Vinteuil y su genial ejecutante, ha tenido la inteligencia de comprender la capital importancia de todo un encadenamiento de circunstancias gracias al cual el ejecutante iba a beneficiarse de todo el peso de una personalidad importante, providencial diría yo si no se tratara de mí, a quien usted tuvo la feliz ocurrencia de pedir que asegurara el prestigio de la reunión trayendo ante el violín de Morel los oídos directamente unidos a las lenguas más escuchadas; no, no, esto no es una minucia. Nada es una minucia en una realización tan completa. Todo contribuye a ello. La Durás estaba maravillosa. En fin, todo; por eso -añadió, porque le gustaba morigerar- me opuse a que invitara usted a esas personas-divisores que, ante las personalidades eminentes que yo le traía, hubieran hecho de comas en un número, reduciendo las otras a no ser más que simples décimas. Yo tengo un sentido muy exacto de estas cosas. Comprenderá usted que hay que evitar un mal paso cuando damos una fiesta que debe ser digna de Vinteuil, de su genial intérprete, de usted y, me atrevo a decirlo, de mí. Nada más con que usted hubiera invitado a la Molé, se habría estropeado todo. Era la gotita contraria, neutralizante, que quita toda virtud a una poción. Se habría apagado la electricidad, las pastas no habrían llegado a tiempo, la naranjada le habría dado cólico a todo el mundo. Era precisamente la persona que no podía venir. Simplemente su nombre habría impedido, como en una sesión de magia, que saliera ningún sonido de los cobres; la flauta y el oboe habrían enmudecido súbitamente. El mismo Morel, aunque lograra dar algunas notas, ya no sería el mismo, y en vez del septuor de Vinteuil hubiéramos oído la parodia de Vinteuil por Beckmesser, y la cosa hubiera terminado en abucheo. Yo, que creo mucho en la influencia de las personas, me di perfecta cuenta, en la eclosión de cierto largo que se abría hasta el fondo como una flor, en la satisfacción acrecentada del final, que no era solamente allegro, sino incomparablemente alegre, que la ausencia de la Molé inspiraba a los músicos y dilataba de alegría hasta a los mismos instrumentos de música. De todos modos, el día en que se recibe a los soberanos no se invita a la portera. -Llamándola la Molé (como decía, aunque con simpatía en este caso, la Durás), monsieur de Charlus le hacía justicia. Pues todas aquellas mujeres eran actrices del gran mundo, y la verdad es que la condesa Molé, aun considerada desde este punto de vista, no tenía la inteligencia tan extraordinaria que le atribuía la fama y que hacía pensar en esos actores o en esos novelistas mediocres que en ciertas épocas ocupan una situación de genio, bien por la mediocridad de sus colegas, entre los que no hay ningún artista superior capaz de demostrar lo que es el verdadero talento, o bien por la mediocridad del público, que, aunque existiera una individualidad extraordinaria, sería incapaz de comprenderla. En el caso de madame Molé, es preferible, si no del todo exacto, atenerse a la primera explicación. Siendo el gran mundo el reino de la nada, entre los méritos de las diferentes mujeres del gran mundo no hay más que grados insignificantes, que sólo los rencores o la imaginación de monsieur de Charlus pueden agrandar desorbitadamente. Y la verdad es que si el barón hablaba, como acababa de hacerlo, en ese lenguaje que era una lujosa mezcla de las cosas del arte y del gran mundo, es porque sus rabietas de señora anciana y su cultura de mundano no suministraban a su verdadera elocuencia más que temas insignificantes. Si en la superficie de la tierra no existe el mundo de las diferencias entre todos los países, que nuestra percepción uniformiza, existe mucho menos en el «gran mundo». Pero ¿es que existe en alguna parte? El septuor de Vinteuil parecía haberme dicho que sí. Pero ¿dónde? Como a monsieur de Charlus le gustaba también llevar y traer de uno a otro, indisponer, dividir para reinar, añadió-: No invitando a madame Molé le ha quitado usted la ocasión de decir: «No sé por qué me ha invitado madame Verdurin. Yo no sé qué gente es ésa, no los conozco.» Ya el año pasado dijo que la estaba usted aburriendo con su persecución. Es una tonta, no la invite más. Después de todo no es una persona tan extraordinaria. Puede muy bien venir a su casa sin hacer dengues, puesto que vengo yo. En fin -concluyó-, me parece que puede usted darme las gracias, pues, tal como ha salido, ha quedado muy bien. No ha venido la duquesa de Guermantes, pero puede que haya sido mejor así. No le guardaremos rencor y pensaremos en ella, de todos modos, para otra vez; por otra parte, no hay más remedio que acordarse de ella, sus mismos ojos nos dicen: «no me olvides», pues son dos miosotis -y yo pensé para mí lo fuerte que tenía que ser el espíritu de los Guermantes (la decisión de ir a este sitio y no ir al otro) para haber podido más en la duquesa que el miedo a Palamède-. Ante un éxito tan completo, se siente uno tentado, como Bernardin de Saint-Pierre, a ver en todo la mano de la providencia. La duquesa de Durás estaba encantada. Tanto que me encargó que se lo dijera a usted -añadió monsieur de Charlus subrayando las palabras, como si madame Verdurin debiera considerar aquello un honor suficiente. Suficiente y hasta casi increíble, pues a monsieur de Charlus le pareció necesario decir para ser creído-: Se lo aseguro - arrastrado por la demencia de aquellos a quienes Júpiter quiere perder-. Ha comprometido a Morel para ir a su casa, donde repetirá el mismo programa, y pienso hasta pedirle una invitación para monsieur Verdurin. Esta atención al marido sólo era, sin que a monsieur de Charlus se le pasara siquiera por la mente, el ultraje más sangriento para la esposa, la cual, creyéndose en el derecho de prohibir al ejecutante, en virtud de una especie de decreto de Moscú vigente en el pequeño clan, tocar en ningún sitio sin su autorización expresa, estaba absolutamente decidida a prohibirle que tomara parte en la fiesta de madame Durás.
Rien qu′en parlant avec cette faconde, M. de Charlus irritait Mme Verdurin, qui n′aimait pas qu′on fît bande à part dans leur petit clan. Que de fois, et déjà à la Raspelière, entendant le baron parler sans cesse à Charlie au lieu de se contenter de tenir sa partie dans l′ensemble concertant du clan, s′était-elle écriée, en montrant le baron : « Quelle tapette il a ! Quelle tapette ! Ah ! pour une tapette, c′est une fameuse tapette ! » Mais cette fois c′était bien pis. Enivré de ses paroles, M. de Charlus ne comprenait pas qu′en raccourcissant le rôle de Mme Verdurin et en lui fixant d′étroites frontières, il déchaînait ce sentiment haineux qui n′était chez elle qu′une forme particulière, une forme sociale de la jalousie. Mme Verdurin aimait vraiment les habitués, les fidèles du petit clan, elle les voulait tout à leur Patronne. Faisant la part du feu, comme ces jaloux qui permettent qu′on les trompe, mais sous leur toit et même sous leurs yeux, c′est-à-dire qu′on ne les trompe pas, elle concédait aux hommes d′avoir une maîtresse, un amant, à condition que tout cela n′eût aucune conséquence sociale hors de chez elle, se nouât et se perpétuât à l′abri des mercredis. Tout éclat de rire furtif d′Odette auprès de Swann lui avait jadis rongé le cœur, depuis quelque temps tout aparté entre Morel et le baron ; elle trouvait à ses chagrins une seule consolation, qui était de défaire le bonheur des autres. Elle n′eût pu supporter longtemps celui du baron. Voici que cet imprudent précipitait la catastrophe en ayant l′air de restreindre la place de la Patronne dans son propre petit clan. Déjà elle voyait Morel allant dans le monde sans elle, sous l′égide du baron. Il n′y avait qu′un remède, donner à choisir à Morel entre le baron et elle, et, profitant de l′ascendant qu′elle avait pris sur Morel en faisant preuve à ses yeux d′une clairvoyance extraordinaire, grâce à des rapports qu′elle se faisait faire, à des mensonges qu′elle inventait, et qu′elle lui servait, les uns et les autres, comme corroborant ce qu′il était porté à croire lui-même, et ce qu′il allait voir à l′évidence, grâce aux panneaux qu′elle préparait et où les na venaient tomber, profitant de cet ascendant, la faire choisir, elle, de préférence au baron. Quant aux femmes du monde qui étaient là et qui ne s′étaient même pas fait présenter, dès qu′elle avait compris leurs hésitations ou leur sans-gêne, elle avait dit : « Ah ! je vois ce que c′est, c′est un genre de vieilles grues qui ne nous convient pas, elles voient ce salon pour la dernière fois. » Car elle serait morte plutôt que de dire qu′on avait été moins aimable avec elle qu′elle n′avait espéré. « Ah ! mon cher général », s′écria brusquement M. de Charlus en lâchant Mme Verdurin parce qu′il apercevait le général Deltour, secrétaire de la Présidence de la République, lequel pouvait avoir une grande importance pour la croix de Charlie, et qui, après avoir demandé un conseil à Cottard, s′éclipsait rapidement : « Bonsoir, cher et charmant ami. Hé bien, c′est comme ça que vous vous tirez des pattes sans me dire adieu », dit le baron avec un sourire de bonhomie et de suffisance, car il savait bien qu′on était toujours content de lui parler un moment de plus. Et comme, dans l′état d′exaltation où il était, il faisait à lui tout seul, sur un ton suraigu, les demandes et les réponses : « Eh bien, êtes-vous content ? N′est-ce pas que c′était bien beau ? L′andante, n′est-ce pas ? C′est ce qu′on a jamais écrit de plus touchant. Je défie de l′écouter jusqu′au bout sans avoir les larmes aux yeux. Vous êtes charmant d′être venu. Dites-moi, j′ai reçu ce matin un télégramme parfait de Froberville, qui m′annonce que, du côté de la Grande Chancellerie, les difficultés sont aplanies, comme on dit. » La voix de M. de Charlus continuait à s′élever, aussi perçante, aussi différente de la voix habituelle, que celle d′un avocat, qui plaide avec emphase, de son débit ordinaire, phénomène d′amplification vocale par surexcitation et euphorie nerveuse, analogue à celle qui, dans les dîners qu′elle donnait, montait à un diapason si élevé la voix comme le regard de Mme de Guermantes. « Je comptais vous envoyer demain matin un mot par un garde pour vous dire mon enthousiasme, en attendant que je puisse vous l′exprimer de vive voix, mais vous étiez si entouré ! L′appui de Froberville sera loin d′être à dédaigner, mais, de mon côté, j′ai la promesse du Ministre, dit le général. — Ah ! parfait. Du reste, vous avez vu que c′est bien ce que mérite un talent pareil. Hoyos était enchanté, je n′ai pas pu voir l′Ambassadrice ; était-elle contente ? Qui ne l′aurait pas été, excepté ceux qui ont des oreilles pour ne pas entendre, ce qui ne fait rien, du moment qu′ils ont des langues pour parler. » Profitant de ce que le baron s′était éloigné pour parler au général, Mme Verdurin fit signe à Brichot. Celui-ci, qui ne savait pas ce que Mme Verdurin allait lui dire, voulut l′amuser et, sans se douter combien il me faisait souffrir, dit à la Patronne : « Le baron est enchanté que Mlle Vinteuil et son amie ne soient pas venues. Elles le scandalisent énormément. Il a déclaré que leurs mœurs étaient à faire peur. Vous n′imaginez pas comme le baron est pudibond et sévère sur le chapitre des mœurs. » Contrairement à l′attente de Brichot, Mme Verdurin ne s′égaya pas : « Il est immonde, répondit-elle. Proposez-lui de venir fumer une cigarette avec vous, pour que mon mari puisse emmener sa Dulcinée sans que le Charlus s′en aperçoive, et l′éclaire sur l′abîme où il roule. » Brichot semblait avoir quelques hésitations. « Je vous dirai, reprit Mme Verdurin pour lever les derniers scrupules de Brichot, que je ne me sens pas en sûreté avec ça chez moi. Je sais qu′il a eu de sales histoires et que la police l′a à l′œil. » Et comme elle avait un certain don d′improvisation quand la malveillance l′inspirait, Mme Verdurin ne s′arrêta pas là : « Il paraît qu′il a fait de la prison. Oui, oui, ce sont des personnes très renseignées qui me l′ont dit. Je sais, du reste, par quelqu′un qui demeure dans sa rue, qu′on n′a pas idée des bandits qu′il fait venir chez lui. » Et comme Brichot, qui allait souvent chez le baron, protestait, Mme Verdurin, s′animant, s′écria : « Mais je vous en réponds ! c′est moi qui vous le dis », expression par laquelle elle cherchait d′habitude à étayer une assertion jetée un peu au hasard. « Il mourra assassiné un jour ou l′autre, comme tous ses pareils d′ailleurs. Il n′ira peut-être même pas jusque-là parce qu′il est dans les griffes de ce Jupien, qu′il a eu le toupet de m′envoyer et qui est un ancien forçat, je le sais, vous savez, oui, et de façon positive. Il tient Charlus par des lettres qui sont quelque chose d′effrayant, il paraît. Je le sais par quelqu′un qui les a vues et qui m′a dit : « Vous vous trouveriez mal si vous voyiez cela. » C′est comme ça que ce Jupien le fait marcher au bâton et lui fait cracher tout l′argent qu′il veut. J′aimerais mille fois mieux la mort que de vivre dans la terreur où vit Charlus. En tous cas, si la famille de Morel se décide à porter plainte contre lui, je n′ai pas envie d′être accusée de complicité. S′il continue, ce sera à ses risques et périls, mais j′aurai fait mon devoir. Qu′est-ce que vous voulez. Ce n′est pas toujours folichon. » Et déjà agréablement enfiévrée par l′attente de la conversation que son mari allait avoir avec le violoniste, Mme Verdurin me dit : « Demandez à Brichot si je ne suis pas une amie courageuse, et si je ne sais pas me dévouer pour sauver les camarades. » (Elle faisait allusion aux circonstances dans lesquelles elle l′avait, juste à temps, brouillé avec sa blanchisseuse d′abord, avec Mme de Cambremer ensuite, brouilles à la suite desquelles Brichot était devenu presque complètement aveugle et, disait-on, morphinomane). « Une amie incomparable, perspicace et vaillante », répondit l′universitaire avec une émotion naîµ¥. « Mme Verdurin m′a empêché de commettre une grande sottise, me dit Brichot, quand celle-ci se fut éloignée. Elle n′hésite pas à couper dans le vif. Elle est interventionniste, comme dit notre ami Cottard. J′avoue pourtant que la pensée que le pauvre baron ignore encore le coup qui va le frapper me fait une grande peine. Il est complètement fou de ce garçon. Si Mme Verdurin réussit, voilà un homme qui sera bien malheureux. Du reste, il n′est pas certain qu′elle n′échoue pas. Je crains qu′elle ne réussisse qu′à semer des mésintelligences entre eux, qui, finalement, sans les séparer, n′aboutiront qu′à les brouiller avec elle. » C′était arrivé souvent entre Mme Verdurin et les fidèles. Mais il était visible qu′en elle le besoin de conserver leur amitié était de plus en plus dominé par celui que cette amitié ne fût jamais tenue en échec par celle qu′ils pouvaient avoir les uns pour les autres. L′homosexualité ne lui déplaisait pas, tant qu′elle ne touchait pas à l′orthodoxie, mais, comme l′Église, elle préférait tous les sacrifices à une concession sur l′orthodoxie. Je commençais à craindre que son irritation contre moi ne vînt de ce qu′elle avait su que j′avais empêché Albertine d′aller chez elle dans la journée, et qu′elle n′entreprît auprès d′elle, si elle n′avait déjà commencé, le même travail pour la séparer de moi que son mari allait, à l′égard de Charlus, opérer auprès du musicien. « Voyons, allez chercher Charlus, trouvez un prétexte, il est temps, dit Mme Verdurin, et tâchez surtout de ne pas le laisser revenir avant que je vous fasse chercher. Ah ! quelle soirée, ajouta Mme Verdurin, qui dévoila ainsi la vraie raison de sa rage. Avoir fait jouer ces chefs-d′œuvre devant ces cruches ! Je ne parle pas de la reine de Naples, elle est intelligente, c′est une femme agréable (lisez : elle a été très aimable avec moi). Mais les autres. Ah ! c′est à vous rendre enragée. Qu′est-ce que vous voulez, moi je n′ai plus vingt ans. Quand j′étais jeune, on me disait qu′il fallait savoir s′ennuyer, je me forçais ; mais maintenant, ah ! non, c′est plus fort que moi, j′ai l′âge de faire ce que je veux, la vie est trop courte ; m′ennuyer, fréquenter des imbéciles, feindre, avoir l′air de les trouver intelligents ? Ah ! non, je ne peux pas. Allons, voyons, Brichot, il n′y a pas de temps à perdre. — J′y vais, Madame, j′y vais », finit par dire Brichot comme le général Deltour s′éloignait. Mais d′abord l′universitaire me prit un instant à part : « Le devoir moral, me dit-il, est moins clairement impératif que ne l′enseignent nos Éthiques. Que les cafés théosophiques et les brasseries kantiennes en prennent leur parti, nous ignorons déplorablement la nature du Bien. Moi-même qui, sans nulle vantardise, ai commenté pour mes élèves, en toute innocence, la philosophie du prénommé Emmanuel Kant, je ne vois aucune indication précise, pour le cas de casuistique mondaine devant lequel je suis placé, dans cette critique de la Raison pratique où le grand défroqué du protestantisme platonisa, à la mode de Germanie, pour une Allemagne préhistoriquement sentimentale et aulique, à toutes fins utiles d′un mysticisme poméranien. C′est encore le « Banquet », mais donné cette fois à Kœnigsberg, à la façon de là-bas, indigeste et assaisonné avec choucroute, et sans gigolos. Il est évident, d′une part, que je ne puis refuser à notre excellente hôtesse le léger service qu′elle me demande, en conformité pleinement orthodoxe avec la morale traditionnelle. Il faut éviter, avant toute chose, car il n′y en a pas beaucoup qui fasse dire plus de sottises, de se laisser piper avec des mots. Mais enfin, n′hésitons pas à avouer que, si les mères de famille avaient part au vote, le baron risquerait d′être lamentablement blackboulé comme professeur de vertu. C′est malheureusement avec le tempérament d′un roué qu′il suit sa vocation de pédagogue ; remarquez que je ne dis pas de mal du baron ; ce doux homme, qui sait découper un rôti comme personne, possède, avec le génie de l′anathème, des trésors de bonté. Il peut être amusant comme un pitre supérieur, alors qu′avec tel de mes confrères, académicien, s′il vous plaît, je m′ennuie, comme dirait Xénophon, à 100 drachmes l′heure. Mais je crains qu′il n′en dépense, à l′égard de Morel, un peu plus que la saine morale ne commande, et sans savoir dans quelle mesure le jeune pénitent se montre docile ou rebelle aux exercices spéciaux que son catéchiste lui impose en manière de mortification, il n′est pas besoin d′être grand clerc pour savoir que nous pécherions, comme dit l′autre, par mansuétude à l′égard de ce Rose-Croix qui semble nous venir de Pétrone, après avoir passé par Saint-Simon, si nous lui accordions, les yeux fermés, en bonne et due forme, le permis de sataniser. Et pourtant, en occupant cet homme pendant que Mme Verdurin, pour le bien du pécheur et bien justement tentée par une telle cure, va — en parlant au jeune étourdi sans ambages — lui retirer tout ce qu′il aime, lui porter peut-être un coup fatal, il me semble que je l′attire comme qui dirait dans un guet-apens, et je recule comme devant une manière de lâcheté. » Ceci dit, il n′hésita pas à la commettre, et le prenant par le bras : « Allons, baron, si nous allions fumer une cigarette, ce jeune homme ne connaît pas encore toutes les merveilles de l′Hôtel. » Je m′excusai en disant que j′étais obligé de rentrer. « Attendez encore un instant, dit Brichot. Vous savez que vous devez me ramener et je n′oublie pas votre promesse. — Vous ne voulez vraiment pas que je vous fasse sortir l′argenterie ? rien ne serait plus simple, me dit M. de Charlus. Comme vous me l′avez promis, pas un mot de la question décoration à Morel. Je veux lui faire la surprise de le lui annoncer tout à l′heure, quand on sera un peu parti, bien qu′il dise que ce n′est pas important pour un artiste, mais que son oncle le désire (je rougis car, pensai-je, par mon grand-père les Verdurin savaient qui était l′oncle de Morel). Alors, vous ne voulez pas que je vous fasse sortir les plus belles pièces ? me dit M. de Charlus. Du reste, vous les connaissez, vous les avez vues dix fois à la Raspelière. » Je n′osai pas lui dire que ce qui eût pu m′intéresser, ce n′était pas le médiocre d′une argenterie bourgeoise, même la plus riche, mais quelque spécimen, fût-ce seulement sur une belle gravure, de celle de Mme Du Barry. J′étais beaucoup trop préoccupé — et ne l′eussé-je pas été par cette révélation relative à la venue de Mlle Vinteuil ? — toujours, dans le monde, beaucoup trop distrait et agité pour arrêter mon attention sur des objets plus ou moins jolis. Elle n′eût pu être fixée que par l′appel de quelque réalité s′adressant à mon imagination, comme eût pu le faire, ce soir, une vue de cette Venise à laquelle j′avais tant pensé l′après-midi, ou quelque élément général, commun à plusieurs apparences et plus vrai qu′elles, qui, de lui-même, éveillait toujours en moi un esprit intérieur et habituellement ensommeillé, mais dont la remontée à la surface de ma conscience me donnait une grande joie. Or, comme je sortais du salon appelé salle de théâtre, et traversais, avec Brichot et M. de Charlus, les autres salons, en retrouvant, transposés au milieu d′autres, certains meubles vus à la Raspelière et auxquels je n′avais prêté aucune attention, je saisis, entre l′arrangement de l′hôtel et celui du château, un certain air de famille, une identité permanente, et je compris Brichot quand il me dit en souriant : « Tenez, voyez-vous ce fond de salon, cela du moins peut, à la rigueur, vous donner l′idée de la rue Montalivet il y a vingt-cinq ans. » À son sourire, dédié au salon défunt qu′il revoyait, je compris que ce que Brichot, peut-être sans s′en rendre compte, préférait dans l′ancien salon, plus que les grandes fenêtres, plus que la gaie jeunesse des Patrons et de leurs fidèles, c′était cette partie irréelle (que je dégageais moi-même de quelques similitudes entre la Raspelière et le quai Conti) de laquelle, dans un salon comme en toutes choses, la partie extérieure, actuelle, contrôlable pour tout le monde, n′est que le prolongement ; c′était cette partie devenue purement morale, d′une couleur qui n′existait plus que pour mon vieil interlocuteur, qu′il ne pouvait pas me faire voir, cette partie qui s′est détachée du monde extérieur pour se réfugier dans notre âme, à qui elle donne une plus-value où elle s′est assimilée à sa substance habituelle, s′y muant — maisons détruites, gens d′autrefois, compotiers de fruits des soupers que nous nous rappelons — en cet albâtre translucide de nos souvenirs, duquel nous sommes incapables de montrer la couleur qu′il n′y a que nous qui voyons, ce qui nous permet de dire véridiquement aux autres, au sujet de ces choses passées, qu′ils n′en peuvent avoir une idée, que cela ne ressemble pas à ce qu′ils ont vu, et ce qui fait que nous ne pouvons considérer en nous-même sans une certaine émotion, en songeant que c′est de l′existence de notre pensée que dépend pour quelque temps encore leur survie, le reflet des lampes qui se sont éteintes et l′odeur des charmilles qui ne fleuriront plus. Et sans doute par là le salon de la rue Montalivet faisait, pour Brichot, tort à la demeure actuelle des Verdurin. Mais, d′autre part, il ajoutait à celle-ci, pour les yeux du professeur, une beauté qu′elle ne pouvait avoir pour un nouveau venu. Ceux de ses anciens meubles qui avaient été replacés ici, en un même arrangement parfois conservé, et que moi-même je retrouvais de la Raspelière, intégraient dans le salon actuel des parties de l′ancien qui, par moments, l′évoquaient jusqu′à l′hallucination et ensuite semblaient presque irréelles d′évoquer, au sein de la réalité ambiante, des fragments d′un monde détruit qu′on croyait voir ailleurs. Canapé surgi du rêve entre les fauteuils nouveaux et bien réels, petites chaises revêtues de soie rose, tapis broché de table à jeu élevé à la dignité de personne depuis que, comme une personne, il avait un passé, une mémoire, gardant dans l′ombre froide du quai Conti le hâle de l′ensoleillement par les fenêtres de la rue Montalivet (dont il connaissait l′heure aussi bien que Mme Verdurin elle-même) et par les baies des portes vitrées de Doville, où on l′avait emmené et où il regardait tout le jour, au delà du jardin fleuri, la profonde vallée, en attendant l′heure où Cottard et le flûtiste feraient ensemble leur partie ; bouquet de violettes et de pensées au pastel, présent d′un grand artiste ami, mort depuis, seul fragment survivant d′une vie disparue sans laisser de traces, résumant un grand talent et une longue amitié, rappelant son regard attentif et doux, sa belle main grasse et triste pendant qu′il peignait ; incohérent et joli désordre des cadeaux de fidèles, qui ont suivi partout la maîtresse de la maison et ont fini par prendre l′empreinte et la fixité d′un trait de caractère, d′une ligne de la destinée ; profusion des bouquets de fleurs, des boîtes de chocolat, qui systématisait, ici comme là-bas, son épanouissement suivant un mode de floraison identique ; interpolation curieuse des objets singuliers et superflus qui ont encore l′air de sortir de la boîte où ils ont été offerts et qui restent toute la vie ce qu′ils ont été d′abord, des cadeaux du Premier Janvier ; tous ces objets enfin qu′on ne saurait isoler des autres, mais qui pour Brichot, vieil habitué des fêtes des Verdurin, avaient cette patine, ce velouté des choses auxquelles, leur donnant une sorte de profondeur, vient s′ajouter leur double spirituel ; tout cela éparpillait, faisait chanter devant lui comme autant de touches sonores qui éveillaient dans son cœur des ressemblances aimées, des réminiscences confuses et qui, à même le salon tout actuel, qu′elles marquetaient çà et là, découpaient, délimitaient, comme fait par un beau jour un cadre de soleil sectionnant l′atmosphère, les meubles et les tapis, et la poursuivant d′un coussin à un porte-bouquets, d′un tabouret au relent d′un parfum, d′un mode d′éclairage à une prédominance de couleurs, sculptaient, évoquaient, spiritualisaient, faisaient vivre une forme qui était comme la figure idéale, immanente à leurs logis successifs, du salon des Verdurin. « Nous allons tâcher, me dit Brichot à l′oreille, de mettre le baron sur son sujet favori. Il y est prodigieux. » D′une part, je désirais pouvoir tâcher d′obtenir de M. de Charlus les renseignements relatifs à la venue de Mlle Vinteuil et de son amie. D′autre part, je ne voulais pas laisser Albertine seule trop longtemps, non qu′elle pût (incertaine de l′instant de mon retour, et, d′ailleurs, à des heures pareilles où une visite venue pour elle ou bien une sortie d′elle eussent été trop remarquées) faire un mauvais usage de mon absence, mais pour qu′elle ne la trouvât pas trop prolongée. Aussi dis-je à Brichot et à M. de Charlus que je ne les suivais pas pour longtemps. « Venez tout de même », me dit le baron, dont l′excitation mondaine commençait à tomber, mais qui éprouvait ce besoin de prolonger, de faire durer les entretiens, que j′avais déjà remarqué chez la duchesse de Guermantes aussi bien que chez lui, et qui, tout en étant particulier à cette famille, s′étend, plus généralement, à tous ceux qui, n′offrant à leur intelligence d′autre réalisation que la conversation, c′est-à-dire une réalisation imparfaite, restent inassouvis même après des heures passées ensemble et se suspendent de plus en plus avidement à l′interlocuteur épuisé, dont ils réclament, par erreur, une satiété que les plaisirs sociaux sont impuissants à donner. « Venez, reprit-il, n′est-ce pas, voilà le moment agréable des fêtes, le moment où tous les invités sont partis, l′heure de Doña Sol ; espérons que celle-ci finira moins tristement. Malheureusement vous êtes pressé, pressé probablement d′aller faire des choses que vous feriez mieux de ne pas faire. Tout le monde est toujours pressé, et on part au moment où on devrait arriver. Nous sommes là comme les philosophes de Couture, ce serait le moment de récapituler la soirée, de faire ce qu′on appelle, en style militaire, la critique des opérations. On demanderait à Mme Verdurin de nous faire apporter un petit souper auquel on aurait soin de ne pas l′inviter, et on prierait Charlie — toujours Hernani — de rejouer pour nous seuls le sublime adagio. Est-ce assez beau, cet adagio ! Mais où est-il le jeune violoniste ? je voudrais pourtant le féliciter, c′est le moment des attendrissements et des embrassades. Avouez, Brichot, qu′ils ont joué comme des Dieux, Morel surtout. Avez-vous remarqué le moment où la mèche se détache ? Ah ! bien alors, mon cher, vous n′avez rien vu. On a eu un fa dièze qui peut faire mourir de jalousie Enesco, Capet et Thibaut ; j′ai beau être très calme, je vous avoue qu′à une sonorité pareille, j′avais le cœur tellement serré que je retenais mes sanglots. La salle haletait ; Brichot, mon cher, s′écria le baron en secouant violemment l′universitaire par le bras, c′était sublime. Seul le jeune Charlie gardait une immobilité de pierre, on ne le voyait même pas respirer, il avait l′air d′être comme ces choses du monde inanimé dont parle Théodore Rousseau, qui font penser mais ne pensent pas. Et alors, tout d′un coup, s′écria M. de Charlus avec emphase et en mimant comme un coup de théâtre, alorsÂ… la Mèche ! Et pendant ce temps-là, gracieuse petite contredanse de l′allegro vivace. Vous savez, cette mèche a été le signe de la révélation, même pour les plus obtus. La princesse de Taormine, sourde jusque-là, car il n′est pas pires sourdes que celles qui ont des oreilles pour ne pas entendre, la princesse de Taormine, devant l′évidence de la mèche miraculeuse, a compris que c′était de la musique et qu′on ne jouerait pas au poker. Oh ! ça a été un moment bien solennel. — Pardonnez-moi, Monsieur, de vous interrompre, dis-je à M. de Charlus pour l′amener au sujet qui m′intéressait, vous me disiez que la fille de l′auteur devait venir. Cela m′aurait beaucoup intéressé. Est-ce que vous êtes certain qu′on comptait sur elle ? — Ah ! je ne sais pas. » M. de Charlus obéissait ainsi, peut-être sans le vouloir, à cette consigne universelle qu′on a de ne pas renseigner les jaloux, soit pour se montrer absurdement « bon camarade », par point d′honneur, et la détestât-on, envers celle qui l′excite, soit par méchanceté pour elle en devinant que la jalousie ne ferait que redoubler l′amour, soit par ce besoin d′être désagréable aux autres, qui consiste à dire la vérité à la plupart des hommes mais, aux jaloux, à la leur taire, l′ignorance augmentant leur supplice, du moins à ce qu′on se figurent, et, pour faire de la peine aux gens, on se guide d′après ce qu′on croit soi-même, peut-être à tort, le plus douloureux. « Vous savez, reprit-il, ici c′est un peu la maison des exagérations, ce sont des gens charmants, mais enfin on aime bien annoncer des célébrités d′un genre ou d′un autre. Mais vous n′avez pas l′air bien et vous allez avoir froid dans cette pièce si humide, dit-il en poussant près de moi une chaise. Puisque vous êtes souffrant, il faut faire attention, je vais aller vous chercher votre pelure. Non, n′y allez pas vous-même, vous vous perdrez et vous aurez froid. Voilà comme on fait des imprudences, vous n′avez pourtant pas quatre ans, il vous faudrait une vieille bonne comme moi pour vous soigner. — Ne vous dérangez pas baron, j′y vais », dit Brichot, qui s′éloigna aussitôt : ne se rendant peut-être pas exactement compte de l′amitié très vive que M. de Charlus avait pour moi et des rémissions charmantes de simplicité et de dévouement que comportaient ses crises délirantes de grandeur et de persécution, il avait craint que M. de Charlus, que Mme Verdurin avait confié comme un prisonnier à sa vigilance, eût cherché simplement, sous le prétexte de demander mon pardessus, à rejoindre Morel et fît manquer ainsi le plan de la Patronne. Sólo por hablar con tal facundia, monsieur de Charlus irritaba a madame Verdurin, a quien no le gustaba que se hiciera capilla aparte en el pequeño clan. Cuántas veces, y ya en la Raspelière, oyendo al barón hablar continuamente a Charlie en vez de limitarse a interpretar su parte en el coro del clan, había exclamado, señalando al barón: «¡Qué charlatán! En clase de charlatanes, ¡éste lo es de los buenos!» Pero esta vez era mucho peor. Monsieur de Charlus, emborrachándose con sus propias palabras, no comprendía que reconociendo el papel de madame Verdurin y fijándole unas estrechas fronteras suscitaba ese sentimiento de odio que no era en ella más que una forma especial, una forma social de la envidia. Madame Verdurin quería verdaderamente a los asiduos, a los fieles del pequeño clan, y quería que fueran enteramente para su patrona. Como esos celosos que permiten que les engañen, pero bajo su propio techo, incluso ante sus propios ojos, es decir, que no los engañen, concedía a los hombres que tuvieran una amante, o un amante, siempre que esto no tuviera ninguna consecuencia social fuera de casa de ella, siempre que se anudara y se perpetuara al abrigo de los miércoles. En otro tiempo, cualquier risa furtiva de Odette con Swann le arañaba el corazón; desde hacía poco le ocurría lo mismo con cualquier aparte entre Morel y Charlus; sólo encontraba un consuelo para sus penas: matar la felicidad de los demás. No hubiera podido soportar mucho tiempo la del barón. Y este imprudente precipitaba la catástrofe restringiendo, al parecer, el papel de la patrona en su propio pequeño clan. Ya estaba viendo a Morel ir al gran mundo sin ella, bajo la égida del barón. Sólo había un remedio: hacerle a Morel optar entre el barón y ella, y aprovechando el ascendiente que ella había tomado sobre Morel dando prueba, a sus ojos, de una clarividencia extraordinaria, gracias a los informes que se procuraba, a las mentiras que inventaba, todo lo cual le servía a ella para corroborar lo que Morel se inclinaba a creer por sí mismo y lo que iba a ver hasta la evidencia, gracias a las trampas por ella preparadas y en las que iban a caer los incautos, aprovechando este ascendiente, hacer que optara por ella en vez de por el barón. En cuanto a las mujeres del gran mundo que asistieron a su fiesta y que ni siquiera se hicieron presentar, cuando se dio cuenta de sus vacilaciones o de su desparpajo, dijo: «¡Ah!, ya veo de lo que se trata, es una clase de viejas brujas que no nos conviene, aquí no vuelven más». Pues antes se hubiera muerto que decir que habían estado con ella menos atentas de lo que esperaba. -¡Ah, mi querido general! -exclamó bruscamente monsieur de Charlus dejando plantada a madame Verdurin al ver al general Deltour, secretario de la presidencia de la República, que podía tener gran importancia para la cruz de Charlie, y que, después de pedir consejo a Cottard, se eclipsaba rápidamente-: Buenas noches, mi querido y encantador amigo. ¿De modo que se me escapa así sin decirme adiós? -dijo el barón con una sonrisa de llaneza y de suficiencia, pues sabía muy bien que para la gente era siempre una satisfacción hablar con él un momento más. Y como en el estado de exaltación en que se hallaba hacía él solo, en un tono sobreagudo, las preguntas y las respuestas-: ¿Qué tal, está usted contento? ¿Verdad que ha sido hermoso? El andante, ¿verdad?, es lo más emocionante que se ha escrito jamás. Desafío a cualquiera a escucharlo hasta el final sin lágrimas en los ojos. Muy simpático por su parte haber venido. Dígame, esta mañana he recibido un telegrama perfecto de Froberville comunicándome que, por parte de la Gran Cancillería, han quedado allanadas las dificultades, como dicen. Monsieur de Charlus seguía levantando la voz, una voz tan penetrante, tan diferente de su voz habitual como lo es de su hablar corriente la de un abogado informando con énfasis: fenómeno de amplificación vocal por sobreexcitación y euforia nerviosa, análogo al que subía a un diapasón tan alto la voz y la mirada de madame de Guermantes en las comidas que daba. -Pensaba enviarle mañana por la mañana unas letras para decirle mi entusiasmo, a la espera de poder expresárselo de viva voz, pero estaba usted tan acaparado... El apoyo de Froberville no es nada desdeñable, pero yo, por mi parte, tengo la promesa del ministro - dijo el general. -¡Ah, perfecto! Por lo demás, ya ha visto usted qué es lo que merece un talento como éste. Hoyos estaba encantado; no he podido ver a la embajadora; ¿estaba contenta? Quién no lo estaría, a no ser los que tienen oídos y no oyen, cosa que no importa teniendo como tienen lengua para hablar. Madame Verdurin, aprovechando que el barón se había alejado para interpelar al general, hizo seña a Brichot. Brichot, que no sabía lo que iba a decirle madame Verdurin, quiso hacerle reír y, sin sospechar lo que iba a hacerle sufrir, dijo a la patrona: -El barón está encantado de que no hayan venido mademoiselle Vinteuil y su amiga. Le escandalizan muchísimo. Ha dicho que las costumbres que tienen son como para dar miedo. No se imagina usted lo pudibundo y severo que es el barón en cuestión de costumbres. Contra lo que esperaba Brichot, madame Verdurin no se rió. -Es inmundo -repuso-. Propóngale que venga a fumar un cigarrillo con usted para que mi marido pueda llevarse a su Dulcinea sin que Charlus lo note, y le haga ver el abismo que le amenaza -Brichot parecía vacilar un poco-. Le diré -continuó madame Verdurin para disipar los últimos escrúpulos de Brichot- que no me siento segura con eso en mi casa. Sé que ha tenido historias sucias y que la Policía le vigila -y como tenía cierto don de improvisación cuando la inspiraba la malevolencia, madame Verdurin no se conformó con esto-: Parece ser que ha estado en la cárcel. Sí, sí, me lo han dicho personas bien enteradas. Además sé, por alguien que vive en su calle, que no nos imaginamos los forajidos que lleva a su casa -y como Brichot, que iba a menudo a casa del barón, protestara, madame Verdurin, animándose, exclamó-: ¡Se lo aseguro! ¡Se lo digo yo! -expresión con la que solía reforzar una afirmación lanzada un poco al azar-. Un día u otro morirá asesinado, como todos sus congéneres. Acaso no llegue a eso porque está en las garras de ese Jupien que ha tenido el desparpajo de enviarme y que es un antiguo forzado, le digo que lo sé, y de buena tinta. Parece ser que tiene agarrado a Charlus por unas cartas horribles. Lo sé por una persona que las ha visto, y que me dijo: «Si usted llega a ver eso, se desmaya». De esa manera le hace andar Jupien derecho y le hace soltar todo el dinero que quiere. Yo preferiría mil veces la muerte antes que vivir en el terror en que vive Charlus. En todo caso, si la familia de Morel se decide a denunciarle, no me haría ninguna gracia que me acusaran de complicidad. Si sigue, allá él, pero yo habré cumplido mi deber. ¿Qué quiere usted? No siempre es divertido -y exaltada ya a la espera de la conversación que su marido iba a tener con el violinista, madame Verdurin me dijo-: Pregúntele a Brichot si yo no soy una amiga valerosa y si no sé sacrificarme por salvar a loAs cluodmíap aañ learso sc.i rcunstancias en que ella había hecho que Brichot rompiera con su planchadora, luego con madame de Cambremer, rupturas tras las cuales Brichot se había quedado casi completamente ciego y, según decían, se había hecho morfinómano. -Una amiga incomparable, inteligente y valiente -repuso el universitario con ingenua emoción-. Madame Verdurin me impidió cometer una gran estupidez -me dijo Brichot cuando ella se alejó-. No vacila en cortar por lo sano. Es intervencionista, como diría nuestro amigo Cottard. Pero confieso que pensar que el pobre barón ignora todavía el golpe que le espera me da mucha pena. Está completamente loco por ese mozo. Si madame Verdurin se sale con la suya, será un hombre desgraciadísimo. Pero no es seguro que no fracase. Me temo que sólo va a conseguir que se peleen, unas peleas que al final no los separarán y no harán más que indisponerlos con ella. Esto le había ocurrido a menudo a madame Verdurin con los fieles. Pero era visible que, en ella, sobre la necesidad de conservar la amistad de los fieles predominaba cada vez más la de que esta amistad no fuera nunca amenazada por la que pudieran sentir unos por otros. El homosexualismo no la desagradaba, siempre que no afectara a la ortodoxia, pero ella, como la Iglesia, prefería todos los sacrificios a una concesión a expensas de la ortodoxia. Empecé a temer que su irritación contra mí procediera de que se hubiera enterado de que yo impedí a Albertina ir aquel día a su casa, y que emprendiera con ella, si es que no lo había iniciado ya, la misma labor para separarla de mí que iba a realizar su marido con el violinista para separarle de Charlus. -Vamos, vaya a buscar a Charlus, invente un pretexto, ya es hora -dijo madame Verdurin-, y sobre todo procure no dejarle volver antes de que yo le mande a buscar a usted. ¡Ah, qué nochecita! -añadió madame Verdurin, revelando así la verdadera causa de su ira-. ¡Haber hecho tocar esas obras maestras delante de esos leños! No me refiero a la reina de Nápoles, que es inteligente, una mujer agradable -léase: ha estado muy amable conmigo-. ¡Pero las otras! ¡Ah, es para ponerse furiosa! Qué quiere usted, yo no tengo ya veinte años. Cuando era joven me decían que había que saber aburrirse, y yo me forzaba; pero ahora, eso sí que no, es más fuerte que yo, ya estoy en edad de hacer lo que quiero, la vida es muy corta; aburrirme, alternar con imbéciles, fingir, hacer como que los encuentro inteligentes, ¡eso sí que no, no puedo! Vamos, Brichot, no hay tiempo que perder. -Ya voy, señora, ya voy -acabó por decir Brichot cuando el general Deltour se marchaba. Pero primero el universitario me llevó un momento aparte-: El deber moral -me dijono es tan claramente imperativo como nos enseñan nuestras éticas. Que los cafés teosóficos y las cervecerías kantianas digan lo que quieran: ignoramos deplorablemente la naturaleza del bien. Yo mismo que, sin jactancia alguna, he comentado para mis alumnos, con toda inocencia, la filosofía del llamado Emmanuel Kant, no veo ninguna indicación precisa, para el caso de casuística mundana ante el que me en cuentro, en esa Crítica de la razón práctica en la que el gran exclaustrado del protestantismo platonizó, al modo de Germania, para una Alemania prehistóricamente sentimental y áulica, para todos los fines útiles de un misticismo pomeriano. Sigue siendo El banquete, pero esta vez dado en Koenigsberg, a la manera de allá, indigesto y casto, con chucrut y sin niños bonitos. Es evidente, por una parte, que yo no puedo negar a nuestra excelente anfitriona el pequeño favor que me pide, de conformidad plenamente ortodoxa con la moral tradicional. Tendremos que evitar ante todo, pues no hay muchos que hagan decir más tonterías, dejarnos engañar con palabras. Pero, en fin, no vacilemos en confesar que si las madres de familia tomaran parte en el voto, el barón correría el peligro de ser lamentablemente derrotado como profesor de virtud. Desgraciadamente, su vocación de pedagogo la sigue con el temperamento de un corrompido. Observe que no hablo mal del barón; ese hombre tan simpático, que sabe trinchar un asado como nadie, tiene, con el genio del anatema, tesoros de bondad. Pero temo que gaste con Morel un poco más de lo que la sana moral manda, y, sin saber en qué medida se muestra el joven penitente dócil o rebelde a ejercicios especiales que su catecismo le impone como mortificación, no hay necesidad de ser un gran teólogo para estar seguro de que pecaríamos, como dice el otro, por mansedumbre ante ese Rosa Cruz que parece venirnos de Petróneo después de pasar por Saint- Simon, si le otorgáramos con los ojos cerrados, en buena y debida forma, permiso para satanizar. Sin embargo, entreteniendo a ese hombre mientras madame Verdurin, por el bien del pecador y muy justamente tentada por semejante curación, me parece que le tiendo una trampa, como quien diría, y me resisto a ello como ante una especie de cobardía -dicho esto, no vaciló en tenderla, y cogiéndome por el brazo-: Vamos, barón, ¿y si fuéramos a fumar un cigarrillo? Este joven no conoce todavía todas las maravillas del hotel. Yo me disculpé diciendo que tenía que volver a casa. -Espere un momento más -dijo Brichot-. Ya sabe que tiene que llevarme, no olvido su promesa. -¿De veras no quiere que mande enseñarle la plata? Sería sencillísimo -me dijo monsieur de Charlus-. Ya sabe lo que me prometió: ni una palabra a Morel de su condecoración. Quiero darle la sorpresa de anunciárselo más tarde, cuando la gente haya empezado a marcharse, aunque él diga que eso no es importante para un artista, pero que su tío lo desea -yo me sonrojé, pues los Verdurin sabían por mi abuelo quién era el tío de Morel-. ¿De modo que no quiere usted que diga que le enseñen la plata? -me dijo monsieur de Charlus-. Pero usted la conoce, la ha visto diez veces en la Raspelière. No me atreví a decirle que lo que hubiera podido interesarme no eran los vulgares cubiertos de una vajilla burguesa, aunque fuera la más rica, sino algún specimen, aunque sólo fuera un buen grabado de los de madame Du Barry. Yo estaba demasiado preocupado y -aun cuando no lo hubiera estado por aquella revelación relativa a la venida de mademoiselle Vinteuil-, en la alta sociedad, me encontraba siempre demasiado distraído y nervioso para poner mi atención en unos objetos más o menos bonitos. Sólo hubiera podido fijarla la llamada de alguna realidad que se dirigiera a mi imaginación, como habría podido hacerlo aquella noche una vista de Venecia, en la que tanto había pensado por la tarde, o algún elemento general, común a varias apariencias y más verdadero que ellas, que despertara por sí mismo en mí un espíritu interior y habitualmente adormecido, pero cuya ascensión a la superficie de mi conciencia me daba una gran alegría. Ahora bien, al salir del salón llamado sala de teatro y atravesar con Brichot y monsieur de Charlus los otros salones, volví a ver, mezclados con otros, ciertos muebles que había visto en la Raspelière sin prestarles ninguna atención, y entre la disposición del hotel y la del castillo, encontré cierto aire de familia, una identidad permanente, y comprendí a Brichot cuando me dijo sonriendo: -Fíjese en ese fondo de salón, por lo menos eso puede, en rigor, dar la idea de la Rue Montalivet, hace veinticinco años, grande mortalis aevi spatium... Por su sonrisa, dedicada al difunto salón que evocaba, comprendí que lo que Brichot prefería, quizá sin darse cuenta, en el antiguo salón, más que los grandes ventanales, más que la alegre juventud de los patronos y de sus fieles, era aquella parte irreal (que yo mismo deducía de algunas similitudes entre la Raspelière y el Quai Conti) de la que, en un salón como en todo, lo exterior, lo actual, lo controlable por todo el mundo, no es más que una prolongación, aquella parte que se ha desprendido del mundo exterior para refugiarse en nuestra alma, a la que da una plusvalía, donde se ha asimilado a su sustancia habitual, trasmutándose en ese traslúcido alabastro de nuestros recuerdos -casas destruidas, personas de antaño, compoteros de fruta de las cenas que recordamos- cuyo color somos incapaces de indicar, porque sólo nosotros lo vemos, lo que nos permite decir verídicamente a los demás, cuando se habla de esas cosas pasadas, que no pueden hacerse idea de las mismas, que aquello no se parece en nada a lo que ellos han visto, y no podemos considerarlo dentro de nosotros mismos sin cierta emoción, pensando que su supervivencia por algún tiempo aún, el reflejo de las lámparas que se extinguieron y el olor de las ramas que ya no han de florecer depende de la existencia de nuestro pensamiento. Y seguramente por esto el salón de la Rue Montalivet le restaba valor, para Brichot, a la mansión actual de los Verdurin. Mas, por otra parte, le daba a éste, para el profesor, una belleza que no podía tener para un recién llegado. La parte de los antiguos muebles que habían traído aquí, a veces en la misma disposición de la Raspelière, daba al salón actual ciertos aspectos del antiguo que a veces lo revivían hasta la alucinación y en seguida parecían casi irreales al evocar, en el seno de la realidad ambiente, fragmentos de un mundo destruido que parecíamos ver en otra parte. Canapé surgido del sueño entre los sillones nuevos y muy reales, unas sillas pequeñas tapizadas de seda rosa, tapete brochado a juego elevado a la dignidad de persona desde el momento en que, como una persona, tenía un pasado, una memoria, conservando en la sombra fría del salón del Quai Conti el halo de los rayos de sol que entraban por las ventanas de la Rue Montalivet (a la hora que él conocía tan bien como la propia madame Verdurin) y por las encristaladas puertas de Doville, a donde la habían llevado y desde donde miraba todo el día, más allá del florido jardín, el profundo valle de la mientras llegaba la hora de que Cottard y el violinista jugaran su partida; ramo de violetas y de pensamientos al pastel, regalo de un gran artista amigo ya muerto, único fragmento superviviente de una vida desaparecida sin dejar huella, resumen de un gran talento y de una larga amistad, recuerdo de su mirada atenta y dulce, de su bella mano llena y triste cuando pintaba; un arsenal bonito, desorden de los regalos de los fieles que siguió por doquier a la dueña de la casa y acabó por adquirir la marca y la fijeza de un rasgo de carácter, de una línea del destino; profusión de ramos de flores, de cajas de bombones que, aquí como allí, sistematizaba su expansión con arreglo a un modo de floración idéntico: curiosa interpolación de los objetos singulares y superfluos que aún parecen salir de la caja en la que fueron ofrecidos y que siguen siendo toda la vida lo que en su origen fueron, regalos de Año Nuevo; en fin, todos esos objetos que no sabríamos diferenciar de los demás, pero que para Brichot, veterano de las fiestas de los Verdurin, tenían esa pátina, ese aterciopelado de las cosas a las que añade su doble espiritual, dándoles así una especie de profundidad; todo esto, disperso, hacía cantar para él, como teclas sonoras que despertaran en su corazón semejanzas amadas, reminiscencias confusas y que en el salón mismo, muy actual, donde ponían su toque acá y allá, definían, delimitaban muebles y tapices como lo hace en un día claro un cuadrado de sol seccionando la atmósfera, los muebles, los tapices, y de un cojín a un jarrón, de un taburete al rastro de un perfume, perseguían con un modo de iluminación en el que predominaban los colores, esculpían, evocaban, espiritualizaban, daban vida a una forma que era como la figura ideal, inmanente en sus viviendas sucesivas, del salón de los Verdurin. -Vamos a procurar -me dijo Brichot al oído- llevar al barón a su tema favorito. Está en él prodigioso. Por una parte, yo deseaba pedirle a monsieur de Charlus noticias relativas a la venida de mademoiselle Vinteuil y de su amiga, pues por estas noticias me había decidido a dejar a Albertina. Por otra parte, no quería dejar a ésta sola por mucho tiempo, no porque (no sabiendo cuándo iba a volver yo, y además a unas horas en que una visita para ella o una salida suya habrían llamado mucho la atención) pudiera hacer mal uso de mi ausencia, sino por que no le pareciera demasiado larga. -Venga de todos modos -me dijo el barón, cuya excitación mundana comenzaba a amainar, pero que sentía esa necesidad de prolongar, de hacer durar las conversaciones, que yo había notado ya en la duquesa de Guermantes como en él, y que, muy característica de esta familia, se extiende más generalmente a los que por no ofrecer a su inteligencia otra realización que la conversación, es decir, una realización imperfecta, se quedan insatisfechos aun después de haber pasado juntos varias horas y se agarran cada vez más ávidamente al interlocutor agotado, reclamando de él, por error, una saciedad que los placeres sociales no pueden dar-. Venga -repitió-. Éste es el momento agradable de la fiesta, cuando todos los invitados se han ido, la hora de doña Sol; esperemos que ésta acabe menos tristemente. Lástima que tenga usted prisa, prisa probablemente para hacer cosas que haría mejor en no hacer. Todo el mundo tiene siempre prisa, y nos vamos en el momento en que deberíamos llegar. Somos en esto como los filósofos de Couture, sería el momento de hacer balance de la velada, de hacer lo que en estilo militar se llama la crítica de las operaciones. Le pediríamos a madame Verdurin que nos sirvieran una pequeña cena a la que nos cuidaríamos de no invitarla y le pediríamos a Charlie -siempre Hernani- que volviera a tocar para nosotros solos el sublime adagio. ¡Qué hermoso es el tal adagio! Pero ¿dónde está el joven violinista? Quisiera felicitarle, es el momento de las expansiones tiernas y de los abrazos. Reconozca, Brichot, que han tocado como los ángeles, sobre todo Morel. ¿Reparó usted en el momento en que se separa el mechón? Pues entonces, querido, no ha visto usted nada. Hubo un fa sostenido que puede hacer morir de envidia a Enesco, a Capet y a Thibaud; yo soy muy sereno, pero confieso que ante una sonoridad como ésa se me encogió de tal modo el corazón que tenía que contener las lágrimas. La sala jadeaba; era sublime, mi querido Brichot -exclamó el barón, sacudiendo violentamente al universitario por el brazo-. Sólo el joven Charlie conservaba una inmovilidad de piedra, no se le oía ni respirar, parecía esas cosas del mundo inanimado de que habla Théodore Rousseau, que hacen pensar pero no piensan. Y de pronto -exclamó monsieur de Charlus con énfasis y mimando como en una escena de teatro- entonces..., ¡el mechón! Y mientras tanto, la pequeña contradanza, tan graciosa, del allegro vivace. Sabe usted que este mechón fue el signo de la revelación hasta para los más obtusos. La princesa de Taormina, sorda hasta entonces, pues no hay peores sordos que los que tienen oídos y no oyen, la princesa de Taormina, ante la evidencia del mechón milagroso, comprendió que se trataba de música y no de una partida de póker. ¡Ah, fue un momento solemnísimo! -Perdone que le interrumpa, monsieur de Charlus -le dije para llevarle al tema que me interesaba-; me dijo usted que iba a venir la hija del autor. Me hubiera interesado mucho. ¿Está usted seguro de que se contaba con ella? -¡Ah!, no lo sé -con esto monsieur de Charlus obedecía, quizá sin querer, a esa consigna universal de no informar a los celosos, bien sea por mostrarse absurdamente «buen compañero », por regla de honor, y aunque se la deteste, hacia la que suscita los celos, bien por maldad, adivinando que los celos redoblarían el amor, bien por esa necesidad de ser desagradable a los demás que consiste en decir la verdad a la mayor parte de los hombres, pero callársela al celoso, pensando que la ignorancia aumentará su suplicio; y para mortificar a las personas se guían por lo que ellos, acaso equivocadamente, creen más doloroso-. Mire -continuó-, ésta es un poco la casa de las exageraciones, son unas personas encantadoras, pero al fin y al cabo les gusta inventar celebridades del tipo que sea. Pero no tiene usted buena cara y va a coger frío en esta sala tan húmeda -dijo acercándome una silla-. Como no está usted bien, debe tener cuidado, voy a buscarle su abrigo. No, no vaya usted, se perderá y cogerá frío. Así se cometen las imprudencias; usted no tiene ya cuatro años, pero necesitaría una vieja doncella como yo para cuidarle. -No se moleste, barón, yo iré -dijo Brichot, y se alejó en seguida: como quizá no se daba exacta cuenta del afecto muy sincero que me tenía monsieur de Charlus y de las encantadoras remisiones de sencillez, de amabilidad que comportaban sus crisis delirantes de grandeza y de persecución, temía que monsieur de Charlus, encomendado por madame Verdurin a su vigilancia como un preso, se propusiera simplemente, con el pretexto de pedir mi abrigo, reunirse con Morel y malograra así el plan de la patrona.
Cependant Ski s′était assis au piano, où personne ne lui avait demandé de se mettre, et se composant — avec un froncement souriant des sourcils, un regard lointain et une légère grimace de la bouche — ce qu′il croyait être un air artiste, insistait auprès de Morel pour que celui-ci jouât quelque chose de Bizet. « Comment, vous n′aimez pas cela, ce côté gosse de la musique de Bizet ? Mais, mon cher, dit-il, avec ce roulement d′r qui lui était particulier, c′est ravissant. » Morel, qui n′aimait pas Bizet, le déclara avec exagération et (comme il passait dans le petit clan pour avoir, ce qui était vraiment incroyable, de l′esprit) Ski, feignant de prendre les diatribes du violoniste pour des paradoxes, se mit à rire. Son rire n′était pas, comme celui de M. Verdurin, l′étouffement d′un fumeur. Ski prenait d′abord un air fin, puis laissait échapper comme malgré lui un seul son de rire, comme un premier appel de cloches, suivi d′un silence où le regard fin semblait examiner à bon escient la drôlerie de ce qu′on disait, puis une seconde cloche de rire s′ébranlait, et c′était bientôt un hilare angelus. Â…
Je dis à M. de Charlus mon regret que M. Brichot se fût dérangé. « Mais non, il est très content, il vous aime beaucoup, tout le monde vous aime beaucoup. On disait l′autre jour : mais on ne le voit plus, il s′isole ! D′ailleurs, c′est un si brave homme que Brichot », continua M. de Charlus qui ne se doutait sans doute pas, en voyant la manière affectueuse et franche dont lui parlait le professeur de morale, qu′en son absence, il ne se gênait pas pour dauber sur lui. « C′est un homme d′une grande valeur, qui sait énormément, et cela ne l′a pas racorni, n′a pas fait de lui un rat de bibliothèque comme tant d′autres qui sentent l′encre. Il a gardé une largeur de vues, une tolérance, rares chez ses pareils. Parfois, en voyant comme il comprend la vie, comme il sait rendre à chacun avec grâce ce qui lui est dû, on se demande où un simple petit professeur de Sorbonne, un ancien régent de collège a pu apprendre tout cela. J′en suis moi-même étonné. » Je l′étais davantage en voyant la conversation de ce Brichot, que le moins raffiné des convives de Mme de Guermantes eût trouvé si bête et si lourd, plaire au plus difficile de tous, M. de Charlus. Mais à ce résultat avaient collaboré entre autres influences, distinctes d′ailleurs, celles en vertu desquelles Swann, d′une part, s′était plu si longtemps dans le petit clan, quand il était amoureux d′Odette, et d′autre part, lorsqu′il fut marié, trouva agréable Mme Bontemps qui, feignant d′adorer le ménage Swann, venait tout le temps voir la femme et se délectait aux histoires du mari. Comme un écrivain donne la palme de l′intelligence, non pas à l′homme le plus intelligent, mais au viveur faisant une réflexion hardie et tolérante sur la passion d′un homme pour une femme, réflexion qui fait que la maîtresse bas-bleu de l′écrivain s′accorde avec lui pour trouver que de tous les gens qui viennent chez elle le moins bête était encore ce vieux beau qui a l′expérience des choses de l′amour, de même M. de Charlus trouvait plus intelligent que ses autres amis, Brichot, qui non seulement était aimable pour Morel, mais cueillait à propos dans les philosophes grecs, les poètes latins, les conteurs orientaux, des textes qui décoraient le goût du baron d′un florilège étrange et charmant. M. de Charlus était arrivé à cet âge où un Victor Hugo aime à s′entourer surtout de Vacqueries et de Meurices. Il préférait à tous, ceux qui admettaient son point de vue sur la vie. « Je le vois beaucoup, ajouta-t-il d′une voix piaillante et cadencée, sans qu′un mouvement de ses lèvres, fît bouger son masque grave et enfariné, sur lequel étaient à demi abaissées ses paupières d′ecclésiastique. Je vais à ses cours, cette atmosphère de quartier latin me change, il y a une adolescence studieuse, pensante, de jeunes bourgeois plus intelligents, plus instruits que n′étaient, dans un autre milieu, mes camarades. C′est autre chose, que vous connaissez probablement mieux que moi, ce sont de jeunes bourgeois », dit-il en détachant le mot qu′il fit précéder de plusieurs b, et en le soulignant par une sorte d′habitude d′élocution, correspondant elle-même à un goût des nuances dans la pensée qui lui était propre, mais peut-être aussi pour ne pas résister au plaisir de me témoigner quelque insolence. Celle-ci ne diminua en rien la grande et affectueuse pitié que m′inspirait M. de Charlus (depuis que Mme Verdurin avait dévoilé son dessein devant moi), m′amusa seulement, et, même en une circonstance où je ne me fusse pas senti pour lui tant de sympathie, ne m′eût pas froissé. Je tenais de ma grand′mère d′être dénué d′amour-propre à un degré qui ferait aisément manquer de dignité. Sans doute je ne m′en rendais guère compte, et à force d′avoir entendu, depuis le collège, les plus estimés de mes camarades ne pas souffrir qu′on leur manquât, ne pas pardonner un mauvais procédé, j′avais fini par montrer dans mes paroles et dans mes actions une seconde nature qui était assez fière. Elle passait même pour l′être extrêmement, parce que, n′étant nullement peureux, j′avais facilement des duels, dont je diminuais pourtant le prestige moral en m′en moquant moi-même, ce qui persuadait aisément qu′ils étaient ridicules ; mais la nature que nous refoulons n′en habite pas moins en nous. C′est ainsi que parfois, si nous lisons le chef-d′œuvre nouveau d′un homme de génie, nous y retrouvons avec plaisir toutes celles de nos réflexions que nous avions méprisées, des gaietés, des tristesses que nous avions contenues, tout un monde de sentiments dédaigné par nous et dont le livre où nous les reconnaissons nous apprend subitement la valeur. J′avais fini par apprendre, de l′expérience de la vie, qu′il était mal de sourire affectueusement quand quelqu′un se moquait de moi et de ne pas lui en vouloir. Mais cette absence d′amour-propre et de rancune, si j′avais cessé de l′exprimer jusqu′à en être arrivé à ignorer à peu près complètement qu′elle existât chez moi, n′en était pas moins le milieu vital primitif dans lequel je baignais. La colère et la méchanceté ne me venaient que de toute autre manière, par crises furieuses. De plus, le sentiment de la justice m′était inconnu jusqu′à une complète absence de sens moral. J′étais, au fond de mon cœur, tout acquis à celui qui était le plus faible et qui était malheureux. Je n′avais aucune opinion sur la mesure dans laquelle le bien et le mal pouvaient être engagés dans les relations de Morel et de M. de Charlus, mais l′idée des souffrances qu′on préparait à M. de Charlus m′était intolérable. J′aurais voulu le prévenir, ne savais comment le faire. « La vue de tout ce petit monde laborieux est fort plaisante pour un vieux trumeau comme moi. Je ne les connais pas », ajouta-t-il en levant la main d′un air de réserve — pour ne pas avoir l′air de se vanter, pour attester sa pureté et ne pas faire planer de soupçon sur celle des étudiants — « mais ils sont très polis, ils vont souvent jusqu′à me garder une place comme je suis un très vieux monsieur. Mais si, mon cher, ne protestez pas, j′ai plus de quarante ans, dit le baron, qui avait dépassé la soixantaine. Il fait un peu chaud dans cet amphithéâtre où parle Brichot, mais c′est toujours intéressant. » Quoique le baron aimât mieux être mêlé à la jeunesse des écoles, voire bousculé par elle, quelquefois, pour lui épargner les longues attentes, Brichot le faisait entrer avec lui. Brichot avait beau être chez lui à la Sorbonne, au moment où l′appariteur chargé de chaînes le précédait et où s′avançait le maître admiré de la jeunesse, il ne pouvait retenir une certaine timidité, et tout en désirant profiter de cet instant où il se sentait si considérable pour témoigner de l′amabilité à Charlus, il était tout de même un peu gêné ; pour que l′appariteur le laissât passer, il lui disait, d′une voix factice et d′un air affairé : « Vous me suivez, baron, on vous placera », puis, sans plus s′occuper de lui, pour faire son entrée, s′avançait seul allégrement dans le couloir. De chaque côté, une double haie de jeunes professeurs le saluait ; Brichot, désireux de ne pas avoir l′air de poser pour ces jeunes gens, aux yeux de qui il se savait un grand pontife, leur envoyait mille clins d′œil, mille hochements de tête de connivence, auxquels son souci de rester martial et bon Français donnait l′air d′une sorte d′encouragement cordial d′un vieux grognard qui dit : « Nom de Dieu on saura se battre. » Puis les applaudissements des élèves éclataient. Brichot tirait parfois de cette présence de M. de Charlus à ses cours l′occasion de faire un plaisir, presque de rendre des politesses. Il disait à quelque parent, ou à quelqu′un de ses amis bourgeois : « Si cela pouvait amuser votre femme ou votre fille, je vous préviens que le baron de Charlus, prince d′Agrigente, le descendant des Condé, assistera à mon cours. C′est un souvenir à garder que d′avoir vu un des derniers descendants de notre aristocratie qui ait du type. Si elles sont là, elles le reconnaîtront à ce qu′il sera placé à côté de ma chaise. D′ailleurs, ce sera le seul, un homme fort, avec des cheveux blancs, la moustache noire, et la médaille militaire. — Ah ! je vous remercie », disait le père. Et, quoi que sa femme eût à faire, pour ne pas désobliger Brichot, il la forçait à aller à ce cours, tandis que la jeune fille, incommodée par la chaleur et la foule, dévorait pourtant curieusement des yeux le descendant de Condé, tout en s′étonnant qu′il ne portât pas de fraise et ressemblât aux hommes de nos jours. Lui, cependant, n′avait pas d′yeux pour elle ; mais plus d′un étudiant, qui ne savait pas qui il était, s′étonnait de son amabilité, devenait important et sec, et le baron sortait plein de rêves et de mélancolie. « Pardonnez-moi de revenir à mes moutons, dis-je rapidement à M. de Charlus en entendant le pas de Brichot, mais pourriez-vous me prévenir par un pneumatique si vous appreniez que Mlle Vinteuil ou son amie dussent venir à Paris, en me disant exactement la durée de leur séjour, et sans dire à personne que je vous l′ai demandé ? » Je ne croyais plus guère qu′elle eût dû venir, mais je voulais ainsi me garer pour l′avenir. « Oui, je ferai ça pour vous, d′abord parce que je vous dois une grande reconnaissance. En n′acceptant pas autrefois ce que je vous avais proposé, vous m′avez, à vos dépens, rendu un immense service, vous m′avez laissé ma liberté. Il est vrai que je l′ai abdiquée d′une autre manière, ajouta-t-il d′un ton mélancolique où perçait le désir de faire des confidences ; il y a là ce que je considère toujours comme le fait majeur, toute une réunion de circonstances que vous avez négligé de faire tourner à votre profit, peut-être parce que la destinée vous a averti, à cette minute précise, de ne pas contrarier ma Voie. Car toujours l′homme s′agite et Dieu le mène. Qui sait ? si, le jour où nous sommes sortis ensemble de chez Mme de Villeparisis, vous aviez accepté, peut-être bien des choses qui se sont passées depuis n′auraient jamais eu lieu. » Embarrassé, je fis dériver la conversation en m′emparant du nom de Mme de Villeparisis, et je cherchai à savoir de lui, si qualifié à tous égards, pour quelles raisons Mme de Villeparisis semblait tenue à l′écart par le monde aristocratique. Non seulement il ne me donna pas la solution de ce petit problème mondain, mais il ne me parut même pas le connaître. Je compris alors que la situation de Mme de Villeparisis, si elle devait plus tard paraître grande à la postérité, et même, du vivant de la marquise, à l′ignorante roture, n′avait pas paru moins grande tout à fait à l′autre extrémité du monde, à celle qui touchait Mme de Villeparisis, aux Guermantes. C′était leur tante, ils voyaient surtout la naissance, les alliances, l′importance gardée dans la famille par l′ascendant sur telle ou telle belle-sœur. Ils voyaient cela moins côté monde que côté famille. Or celui-ci était plus brillant pour Mme de Villeparisis que je n′avais cru. J′avais été frappé en apprenant que le nom de Villeparisis était faux. Mais il est d′autres exemples de grandes dames ayant fait un mariage inégal et ayant gardé une situation prépondérante. M. de Charlus commença par m′apprendre que Mme de Villeparisis était la nièce de la fameuse duchesse de ***, la personne la plus célèbre de la grande aristocratie pendant la monarchie de Juillet, mais qui n′avait pas voulu fréquenter le Roi Citoyen et sa famille. J′avais tant désiré avoir des récits sur cette Duchesse ! Et Mme de Villeparisis, la bonne Mme de Villeparisis, aux joues qui me représentaient des joues de bourgeoise, Mme de Villeparisis qui m′envoyait tant de cadeaux et que j′aurais si facilement pu voir tous les jours, Mme de Villeparisis était sa nièce, élevée par elle, chez elle, à l′hôtel de ***. « Elle demandait au duc de Doudeauville, me dit M. de Charlus, en parlant des trois sœurs : « Laquelle des trois sœurs préférez-vous ? » Et Doudeauville ayant dit : « Mme de Villeparisis », la duchesse de *** lui répondit : « Cochon ! » Car la duchesse était très spirituelle », dit M. de Charlus en donnant au mot l′importance et la prononciation d′usage chez les Guermantes. Qu′il trouvât d′ailleurs que le mot fût si « spirituel », je ne m′en étonnai pas, ayant, dans bien d′autres occasions, remarqué la tendance centrifuge, objective, des hommes qui les pousse à abdiquer, quand ils goûtent l′esprit des autres, les sévérités qu′ils auraient pour le leur, et à observer, à noter précieusement, ce qu′ils dédaigneraient de créer. « Mais qu′est-ce qu′il a ? c′est mon pardessus qu′il apporte, dit-il en voyant que Brichot avait si longtemps cherché pour un tel résultat. J′aurais mieux fait d′y aller moi-même. Enfin vous allez le mettre sur vos épaules. Savez-vous que c′est très compromettant, mon cher ? c′est comme de boire dans le même verre, je saurai vos pensées. Mais non, pas comme ça, voyons, laissez-moi faire », et tout en me mettant son paletot, il me le collait contre les épaules, me le montait le long du cou, relevait le col, et de sa main frôlait mon menton, en s′excusant. « À son âge, ça ne sait pas mettre une couverture, il faut le bichonner ; j′ai manqué ma vocation, Brichot, j′étais né pour être bonne d′enfants. » Je voulais m′en aller, mais M. de Charlus ayant manifesté l′intention d′aller chercher Morel, Brichot nous retint tous les deux. D′ailleurs, la certitude qu′à la maison je retrouverais Albertine, certitude égale à celle que, dans l′après-midi, j′avais qu′Albertine rentrât du Trocadéro, me donnait en ce moment aussi peu d′impatience de la voir que j′avais eu le même jour tandis que j′étais assis au piano, après que Françoise m′eut téléphoné. Et c′est ce calme qui me permit, chaque fois qu′au cours de cette conversation je voulus me lever, d′obéir à l′injonction de Brichot, qui craignait que mon départ empêchât Charlus de rester jusqu′au moment où Mme Verdurin viendrait nous appeler. « Voyons, dit-il au baron, restez un peu avec nous, vous lui donnerez l′accolade tout à l′heure », ajouta Brichot en fixant sur moi son œil presque mort, auquel les nombreuses opérations qu′il avait subies avait fait recouvrer un peu de vie, mais qui n′avait plus pourtant la mobilité nécessaire à l′expression oblique de la malignité. « L′accolade, est-il bête ! s′écria le baron, d′un ton aigu et ravi. Mon cher, je vous dis qu′il se croit toujours à une distribution de prix, il rêve de ses petits élèves. Je me demande s′il ne couche pas avec. — Vous désirez voir Mlle Vinteuil, me dit Brichot, qui avait entendu la fin de notre conversation. Je vous promets de vous avertir si elle vient, je le saurai par Mme Verdurin », car il prévoyait sans doute que le baron risquait fort d′être, de façon imminente, exclu du petit clan. « Eh bien, vous me croyez donc moins bien que vous avec Mme Verdurin, dit M. de Charlus, pour être renseigné sur la venue de ces personnes d′une terrible réputation. Vous savez que c′est archi-connu. Mme Verdurin a tort de les laisser venir, c′est bon pour les milieux interlopes. Elles sont amies de toute une bande terrible. Tout ça doit se réunir dans des endroits affreux. » À chacune de ces paroles, ma souffrance s′accroissait d′une souffrance nouvelle, changeant de forme. « Certes non pas, je ne me crois pas mieux que vous avec Mme Verdurin », proclama Brichot en ponctuant les mots, car il craignait d′avoir éveillé les soupçons du baron. Et comme il voyait que je voulais prendre congé, voulant me retenir par l′appât du divertissement promis : « Il y a une chose à quoi le baron me semble ne pas avoir songé quand il parle de la réputation de ces deux dames, c′est qu′une réputation peut être tout à la fois épouvantable et imméritée. Ainsi, par exemple, dans la série plus notoire que j′appellerai parallèle, il est certain que les erreurs judiciaires sont nombreuses et que l′histoire a enregistré des arrêts de condamnation pour sodomie flétrissant des hommes illustres qui en étaient tout à fait innocents. La récente découverte d′un grand amour de Michel-Ange pour une femme est un fait nouveau qui mériterait à l′ami de Léon X le bénéfice d′une instance en révision posthume. L′affaire Michel-Ange me semble tout indiquée pour passionner les snobs et mobiliser la Villette, quand une autre affaire, où l′anarchie fut bien portée et devint le péché à la mode de nos bons dilettantes, mais dont il n′est point permis de prononcer le nom, par crainte de querelles, aura fini son temps. » Depuis que Brichot avait commencé à parler des réputations masculines, M. de Charlus avait trahi dans tout son visage le genre particulier d′impatience qu′on voit à un expert médical ou militaire quand des gens du monde qui n′y connaissent rien se mettent à dire des bêtises sur des points de thérapeutique ou de stratégie. « Vous ne savez pas le premier mot des choses dont vous parlez, finit-il par dire à Brichot. Citez-moi une seule réputation imméritée. Dites des noms. Oui, je connais tout, riposta violemment M. de Charlus à une interruption timide de Brichot, les gens qui ont fait cela autrefois par curiosité, ou par affection unique pour un ami mort, et celui qui, craignant de s′être trop avancé, si vous lui parlez de la beauté d′un homme vous répond que c′est du chinois pour lui, qu′il ne sait pas plus distinguer un homme beau d′un laid qu′entre deux moteurs d′auto, comme la mécanique n′est pas dans ses cordes. Tout cela c′est des blagues. Mon Dieu, remarquez, je ne veux pas dire qu′une réputation mauvaise (ou ce qu′il est convenu d′appeler ainsi) et injustifiée soit une chose absolument impossible. C′est tellement exceptionnel, tellement rare, que pratiquement cela n′existe pas. Cependant, moi qui suis un curieux, un fureteur, j′en ai connu, et qui n′étaient pas des mythes. Oui, au cours de ma vie, j′ai constaté (j′entends scientifiquement constaté, je ne me paie pas de mots) deux réputations injustifiées. Elles s′établissent d′habitude grâce à une similitude de noms, ou d′après certains signes extérieurs, l′abondance des bagues par exemple, que les gens incompétents s′imaginent absolument être caractéristiques de ce que vous dites, comme ils croient qu′un paysan ne dit pas deux mots sans ajouter : jarniguié, ou un Anglais : goddam. C′est de la conversation pour théâtre des boulevards. Ce qui vous étonnera, c′est que les réputations injustifiées sont les plus établies aux yeux du public. Vous-même, Brichot, qui mettriez votre main au feu de la vertu de tel ou tel homme qui vient ici et que les renseignés connaissent comme le loup blanc, vous devez croire, comme tout le monde, à ce qu′on dit de tel homme en vue qui incarne ces goûts-là pour la masse, alors qu′il « n′en est pas » pour deux sous. Je dis pour deux sous, parce que, si nous y mettions vingt-cinq louis, nous verrions le nombre des petits saints diminuer jusqu′à zéro. Sans cela le taux des saints, si vous voyez de la sainteté là dedans, se tient, en règle générale, entre 3 et 4 sur 10. » Si Brichot avait transposé dans le sexe masculin la question des mauvaises réputations, à mon tour et inversement c′est au sexe féminin, et en pensant à Albertine, que je reportais les paroles de M. de Charlus. J′étais épouvanté par la statistique, même en tenant compte qu′il devait enfler les chiffres au gré de ce qu′il souhaitait, et aussi d′après les rapports d′êtres cancaniers, peut-être menteurs, en tous cas trompés par leur propre désir qui, s′ajoutant à celui de M. de Charlus, faussait sans doute les calculs du baron. « Trois sur dix, s′écria Brichot ! En renversant la proportion, j′aurais eu encore à multiplier par cent le nombre des coupables. S′il est celui que vous dites, baron, et si vous ne vous trompez pas, confessons alors que vous êtes un de ces rares voyants d′une vérité que personne ne soupçonnait autour d′eux. C′est ainsi que Barrès a fait, sur la corruption parlementaire, des découvertes qui ont été vérifiées après coup, comme l′existence de la planète de Leverrier. Mme Verdurin citerait de préférence des hommes que j′aime mieux ne pas nommer et qui ont deviné au Bureau des Renseignements, dans l′État-Major, des agissements, inspirés, je le crois, par un zèle patriotique, mais qu′enfin je n′imaginais pas. Sur la franc-maçonnerie, l′espionnage allemand, la morphinomanie, Léon Daudet écrit au jour le jour un prodigieux conte de fées qui se trouve être la réalité même. Trois sur dix ! », reprit Brichot stupéfait. Il est vrai de dire que M. de Charlus taxait d′inversion la grande majorité de ses contemporains, en exceptant toutefois les hommes avec qui il avait eu des relations et dont, pour peu qu′elles eussent été mêlées d′un peu de romanesque, le cas lui paraissait plus complexe. C′est ainsi qu′on voit des viveurs, ne croyant pas à l′honneur des femmes, en rendre un peu seulement à telle qui fut leur maîtresse et dont ils protestent sincèrement et d′un air mystérieux : « Mais non, vous vous trompez, ce n′est pas une fille. » Cette estime inattendue leur est dictée, partie par leur amour-propre, pour qui il est plus flatteur que de telles faveurs aient été réservées à eux seuls, partie par leur naîµ¥té qui gobe aisément tout ce que leur maîtresse a voulu leur faire croire, partie par ce sentiment de la vie qui fait que, dès qu′on s′approche des êtres, des existences, les étiquettes et les compartiments faits d′avance sont trop simples. « Trois sur dix ! mais prenez-y garde, moins heureux que ces historiens que l′avenir ratifiera, baron, si vous vouliez présenter à la postérité le tableau que vous nous dites, elle pourrait la trouver mauvaise. Elle ne juge que sur pièces et voudrait prendre connaissance de votre dossier. Or aucun document ne venant authentiquer ce genre de phénomènes collectifs que les seuls renseignés sont trop intéressés à laisser dans l′ombre, on s′indignerait fort dans le camp des belles âmes, et vous passeriez tout net pour un calomniateur ou pour un fol. Après avoir, au concours des élégances, obtenu le maximum et le principal, sur cette terre, vous connaîtriez les tristesses d′un blackboulage d′outre-tombe. Ça n′en vaut pas le coup, comme dit, Dieu me pardonne ! notre Bossuet. — Je ne travaille pas pour l′histoire, répondit M. de Charlus, la vie me suffit, elle est bien assez intéressante, comme disait le pauvre Swann. — Comment ? Vous avez connu Swann, baron, mais je ne savais pas. Est-ce qu′il avait ces goûts-là ? demanda Brichot d′un air inquiet. — Mais est-il grossier ! Vous croyez donc que je ne connais que des gens comme ça. Mais non, je ne crois pas », dit Charlus les yeux baissés et cherchant à peser le pour et le contre. Et pensant que puisqu′il s′agissait de Swann, dont les tendances si opposées avaient été toujours connues, un demi-aveu ne pouvait qu′être inoffensif pour celui qu′il visait et flatteur pour celui qui le laissait échapper dans une insinuation : « Je ne dis pas qu′autrefois, au collège, une fois par hasard », dit le baron comme malgré lui, et comme s′il pensait tout haut, puis se reprenant : « Mais il y a deux cents ans ; comment voulez-vous que je me rappelle ? vous m′embêtez », conclut-il en riant. « En tous cas il n′était pas joli, joli ! » dit Brichot, lequel, affreux, se croyait bien et trouvait facilement les autres laids. « Taisez-vous, dit le baron, vous ne savez pas ce que vous dites ; dans ce temps-là il avait un teint de pêche et, ajouta-t-il en mettant chaque syllabe sur une autre note, il était joli comme les amours. Du reste, il était resté charmant. Il a été follement aimé des femmes. — Mais est-ce que vous avez connu la sienne ? — Mais, voyons, c′est par moi qu′il l′a connue. Je l′avais trouvée charmante dans son demi-travesti, un soir qu′elle jouait Miss Sacripant ; j′étais avec des camarades de club, nous avions tous ramené une femme et, bien que je n′eusse envie que de dormir, les mauvaises langues avaient prétendu, car c′est affreux ce que le monde est méchant, que j′avais couché avec Odette. Seulement, elle en avait profité pour venir m′embêter, et j′avais cru m′en débarrasser en la présentant à Swann. De ce jour-là elle ne cessa plus de me cramponner, elle ne savait pas un mot d′orthographe, c′est moi qui faisais ses lettres. Et puis c′est moi qui ensuite ai été chargé de la promener. Voilà, mon enfant, ce que c′est que d′avoir une bonne réputation, vous voyez. Du reste, je ne la méritais qu′à moitié. Elle me forçait à lui faire faire des parties terribles, à cinq, à six. » Et les amants qu′avait eus successivement Odette (elle avait été avec un tel, puis avec un pauvre Swann aveuglé par la jalousie et par l′amour, tels ces hommes dont pas un seul n′avait été deviné par lui tour à tour, supputant les chances et croyant aux serments plus affirmatifs qu′une contradiction qui échappe à la coupable, contradiction bien plus insaisissable, et pourtant bien plus significative, et dont le jaloux pourrait se prévaloir plus logiquement que de renseignements qu′il prétend faussement avoir eus, pour inquiéter sa maîtresse), ces amants, M. de Charlus se mit à les énumérer avec autant de certitude que s′il avait récité la liste des Rois de France. Et en effet, le jaloux est, comme les contemporains, trop près, il ne sait rien, et c′est pour les étrangers que le comique des adultères prend la précision de l′histoire, et s′allonge en listes, d′ailleurs indifférentes, et qui ne deviennent tristes que pour un autre jaloux, comme j′étais, qui ne peut s′empêcher de comparer son cas à celui dont il entend parler et qui se demande si, pour la femme dont il doute, une liste aussi illustre n′existe pas. Mais il n′en peut rien savoir, c′est comme une conspiration universelle, une brimade à laquelle tous participent cruellement et qui consiste, tandis que son amie va de l′un à l′autre, à lui tenir sur les yeux un bandeau qu′il fait perpétuellement effort pour arracher, sans y réussir, car tout le monde le tient aveuglé, le malheureux, les êtres bons par bonté, les êtres méchants par méchanceté, les êtres grossiers par goût des vilaines farces, les êtres bien élevés par politesse et bonne éducation, et tous par une de ces conventions qu′on appelle principe. « Mais est-ce que Swann a jamais su que vous aviez eu ses faveurs ? — Mais voyons, quelle horreur ! Raconter cela à Charles ! C′est à faire dresser les cheveux sur la tête. Mais, mon cher, il m′aurait tué tout simplement, il était jaloux comme un tigre. Pas plus que je n′ai avoué à Odette, à qui ça aurait, du reste, été bien égal, queÂ… allons, ne me faites pas dire de bêtises. Et le plus fort c′est que c′est elle qui lui a tiré des coups de revolver que j′ai failli recevoir. Ah ! j′ai eu de l′agrément avec ce ménage-là ; et, naturellement, c′est moi qui ai été obligé d′être son témoin contre d′Osmond, qui ne me l′a jamais pardonné. D′Osmond avait enlevé Odette, et Swann, pour se consoler, avait pris pour maîtresse, ou fausse maîtresse, la sœur d′Odette. Enfin, vous n′allez pas commencer à me faire raconter l′histoire de Swann, nous en aurions pour dix ans, vous comprenez, je connais ça comme personne. C′était moi qui sortais Odette quand elle ne voulait pas voir Charles. Cela m′embêtait d′autant plus que j′ai un très proche parent qui porte le nom de Crécy, sans y avoir naturellement aucune espèce de droit, mais qu′enfin cela ne charmait pas. Car elle se faisait appeler Odette de Crécy, et le pouvait parfaitement, étant seulement séparée d′un Crécy dont elle était la femme, très authentique celui-là, un monsieur très bien, qu′elle avait ratissé jusqu′au dernier centime. Mais voyons, pourquoi me faire parler de ce Crécy ? je vous ai vu avec lui dans le tortillard, vous lui donniez des dîners à Balbec. Il devait en avoir besoin, le pauvre, il vivait d′une toute petite pension que lui faisait Swann ; je me doute bien que, depuis la mort de mon ami, cette rente a dû cesser complètement d′être payée. Ce que je ne comprends pas, me dit M. de Charlus, c′est que, puisque vous avez été souvent chez Charles, vous n′ayez pas désiré tout à l′heure que je vous présente à la reine de Naples. En somme, je vois que vous ne vous intéressez pas aux personnes en tant que curiosités, et cela m′étonne toujours de quelqu′un qui a connu Swann, chez qui ce genre d′intérêt était si développé, au point qu′on ne peut pas dire si c′est moi qui ai été à cet égard son initiateur ou lui le mien. Cela m′étonne autant que si je voyais quelqu′un avoir connu Whistler et ne pas savoir ce que c′est que le goût. Mon Dieu, c′est surtout pour Morel que c′était important de la connaître, il le désirait, du reste, passionnément, car il est tout ce qu′il y a de plus intelligent. C′est ennuyeux qu′elle soit partie. Mais enfin je ferai la conjonction ces jours-ci. C′est immanquable qu′il la connaisse. Le seul obstacle possible serait si elle mourait demain. Or il est à espérer que cela n′arrivera pas. » Tout à coup, Brichot, comme il était resté sous le coup de la proportion de « trois sur dix » que lui avait révélée M. de Charlus, Brichot, qui n′avait pas cessé de poursuivre son idée, avec une brusquerie qui rappelait celle d′un juge d′instruction voulant faire avouer un accusé, mais qui, en réalité, était le résultat du désir qu′avait le professeur de paraître perspicace et du trouble qu′il éprouvait à lancer une accusation si grave : « Est-ce que Ski n′est pas comme cela ? » demanda-t-il à M. de Charlus, d′un air sombre. Pour faire admirer ses prétendus dons d′intuition, il avait choisi Ski, se disant que, puisqu′il n′y avait que trois innocents sur dix, il risquait peu de se tromper en nommant Ski qui lui semblait un peu bizarre, avait des insomnies, se parfumait, bref était en dehors de la normale. « Mais pas du tout, s′écria le baron avec une ironie amère, dogmatique et exaspérée. Ce que vous dites est d′un faux, d′un absurde, d′un à côté ! Ski est justement « cela » pour les gens qui n′y connaissent rien ; s′il l′était, il n′en aurait pas tellement l′air, ceci soit dit sans aucune intention de critique, car il a du charme et je lui trouve même quelque chose de très attachant. — Mais dites-nous donc quelques noms », reprit Brichot avec insistance. M. de Charlus se redressa d′un air de morgue : « Ah ! mon cher, moi, vous savez je vis dans l′abstrait, tout cela ne m′intéresse qu′à un point de vue transcendantal », répondit-il avec la susceptibilité ombrageuse particulière à ses pareils, et l′affectation de grandiloquence qui caractérisait sa conversation. « Moi, vous comprenez, il n′y a que les généralités qui m′intéressent, je vous parle de cela comme de la loi de la pesanteur. » Mais ces moments de réaction agacée, où le baron cherchait à cacher sa vraie vie, duraient bien peu auprès des heures de progression continue où il la faisait deviner, l′étalait avec une complaisance agaçante, le besoin de la confidence étant chez lui plus fort que la crainte de la divulgation. « Ce que je voulais dire, reprit-il, c′est que pour une mauvaise réputation qui est injustifiée, il y en a des centaines de bonnes qui ne le sont pas moins. Évidemment le nombre de ceux qui ne les méritent pas varie selon que vous vous en rapportez aux dires de leurs pareils ou des autres. Et il est vrai que, si la malveillance de ces derniers est limitée par la trop grande difficulté qu′ils auraient à croire un vice aussi horrible pour eux que le vol ou l′assassinat pratiqué par des gens dont ils connaissent la délicatesse et le cœur, la malveillance des premiers est exagérément stimulée par le désir de croire, comment dirais-je, accessibles, des gens qui leur plaisent, par des renseignements que leur ont donnés des gens qu′a trompés un semblable désir, enfin par l′écart même où ils sont généralement tenus. J′ai vu un homme, assez mal vu à cause de ce goût, dire qu′il supposait qu′un certain homme du monde avait le même. Et sa seule raison de le croire est que cet homme du monde avait été aimable avec lui ! Autant de raisons d′optimisme, dit naîµ¥ment le baron, dans la supputation du nombre. Mais la vraie raison de l′écart énorme qu′il y a entre ce nombre calculé par les profanes, et celui calculé par les initiés, vient du mystère dont ceux-ci entourent leurs agissements, afin de les cacher aux autres, qui, dépourvus d′aucun moyen d′information, seraient littéralement stupéfaits s′ils apprenaient seulement le quart de la vérité. — Alors, à notre époque, c′est comme chez les Grecs, dit Brichot. — Mais comment ? comme chez les Grecs ? Vous vous figurez que cela n′a pas continué depuis ? Regardez, sous Louis XIV, le petit Vermandois, Molière, le prince Louis de Baden, Brunswick, Charolais, Boufflers, le Grand Condé, le duc de Brissac. — Je vous arrête, je savais Monsieur, je savais Brissac par Saint-Simon, Vendôme naturellement et d′ailleurs, bien d′autres. Mais cette vieille peste de Saint-Simon parle souvent du Grand Condé et du prince Louis de Baden et jamais il ne le dit. — C′est tout de même malheureux que ce soit à moi d′apprendre son histoire à un professeur de Sorbonne. Mais, cher maître, vous êtes ignorant comme une carpe. — Vous êtes dur, baron, mais juste. Et, tenez, je vais vous faire plaisir, je me souviens maintenant d′une chanson de l′époque qu′on fit en latin macaronique sur certain orage qui surprit le Grand Condé comme il descendait le Rhône en compagnie de son ami le marquis de La Moussaye. Condé dit : Le dije a monsieur de Charlus que sentía que monsieur Brichot se hubiera molestado. -No, no, está encantado, le quiere a usted mucho, todo el mundo le quiere mucho. El otro día decían: ya no se le ve nunca, se aísla. De todos modos, Brichot es muy buena persona -añadió monsieur de Charlus, seguramente sin sospechar, al ver la manera afectuosa y franca con que le hablaba el profesor de moral, que en su ausencia no se recataba de burlarse de él-. Es un hombre de gran valía que sabe muchísimo, y eso no le ha apergaminado, no le ha convertido en un ratón de biblioteca como a tantos otros que huelen a tinta. Ha conservado una amplitud de espíritu, una tolerancia nada frecuente en los de su clase. A veces, al ver cómo comprende la vida, cómo sabe dar con gracia a cada cual lo que se le debe, se pregunta uno dónde ha podido aprender todo eso un simple profesorcillo de la Sorbona, un antiguo regente de colegio. A mí mismo me asombra. Más me asombraba a mí ver cómo la conversación de aquel Brichot, que el menos refinado de los invitados de madame de Guermantes hubiera encontrado tan tonto y tan basto, le gustaba al más difícil de todos, a monsieur de Charlus. Pero habían contribuido a este resultado, entre otras influencias, aquéllas, distintas por lo demás, en virtud de las cuales Swann se había sentido a gusto durante mucho tiempo en el pequeño clan, cuando estaba enamorado de Odette, mientras que, por otra parte, desde que se casó, encontraba agradable a madame Bontemps, que fingía adorar al matrimonio Swann, iba continuamente a ver a la mujer, se deleitaba con las historias del marido y hablaba de ellos con desdén. Como el escritor que da la palma de la inteligencia no al hombre más inteligente, sino al hombre de mundo que hace una reflexión atrevida y tolerante sobre la pasión de un hombre por una mujer, reflexión que lleva a la amante literata del escritor a coincidir con él en que, de todos los que van a su casa, el menos tonto es, después de todo, aquel viejo verde que tiene experiencia en cosas de amor, así monsieur de Charlus encontraba a Brichot más inteligente que a sus otros amigos, porque no sólo era amable con Morel, sino que sacaba oportunamente de los filósofos griegos, de los poetas latinos, de los cuentistas orientales, unos textos que decoraban la inclinación del barón con un florilegio extraño y encantador. Monsieur de Charlus había llegado a esa edad en que un Victor Hugo gusta de rodearse sobre todo de Vacqueries y de Meurices. El barón prefería a los que aceptaban su punto de vista sobre la vida. -Yo le veo mucho -añadió con una voz aguda y cadenciosa, sin que un solo movimiento, excepto el de los labios, le alterara el rostro grave y enharinado, en el que había bajado adrede sus párpados de eclesiástico-. Voy a sus clases, esa atmósfera de barrio latino es para mí un cambio de vida, hay allí una adolescencia estudiosa, pensante, de jóvenes burgueses más inteligentes, más cultos que, en nuestro medio, mis compañeros. Es otra cosa, que seguramente conoce usted mejor que yo, son jóvenes burgueses -dijo destacando la palabra, anteponiéndole varias b y subrayándola con una especie de hábito de elocución que correspondía a una inclinación a los matices propia de monsieur de Charlus, pero que quizá lo aplicaba, además, por no resistir al placer de manifestarme cierta insolencia. En todo caso, esta insolencia no disminuyó en nada la grande y afectuosa piedad que me inspiraba monsieur de Charlus (desde que madame Verdurin descubriera su propósito delante de mí), más bien me hizo gracia, y aun en una circunstancia en que yo no hubiese sentido por él tanta simpatía no me habría molestado. Yo había heredado de mi madre la condición de carecer de amor propio hasta un grado fácilmente rayano en falta de dignidad. Seguramente no me daba apenas cuenta, y a fuerza de ver, ya en el colegio, que mis compañeros más estimados no toleraban que les faltaran, no perdonaban un mal proceder, acabé por mostrarme, en mis palabras y en mis actos, bastante orgulloso. Hasta tenía fama de serlo en extremo, porque, como no era nada miedoso, me veía con frecuencia metido en duelos, pero como rebajaba su prestigio moral burlándome yo mismo de ellos, inclinaba a la gente a creerlos ridículos. Pero la naturaleza que combatimos no deja por eso de persistir en nosotros. Por eso a veces, leyendo la nueva obra maestra de un hombre de talento, nos complacemos en encontrar en ella todas las reflexiones nuestras que habíamos despreciado, alegrías, tristezas que habíamos contenido, todo un mundo de sentimientos desdeñado por nosotros y de cuyo valor nos informa de pronto el libro donde los reconocemos. Había acabado por aprender de la experiencia de la vida que estaba mal sonreír afectuosamente, y no tenérselo en cuenta, cuando alguien se burlaba de mí. Pero aunque había dejado de expresar esta falta de amor propio y de rencor hasta el punto de ignorar casi completamente esa condición mía, no por eso dejaba de estar inmerso en el medio vital primitivo. La cólera y la maldad las sentía de manera muy distinta en crisis furibundas. Además, el sentimiento de justicia me era desconocido hasta una absoluta carencia de sentido moral. Yo era por entero, en el fondo de mi corazón, del más débil, del más desdichado. No tenía ninguna opinión sobre la medida en que el bien y el mal podían entrar en las relaciones de Morel y de monsieur de Charlus, pero me resultaba intolerable la idea de los sufrimientos que le preparaban al barón. Hubiera querido prevenirle y no sabía cómo hacerlo-. Ver todo ese pequeño mundo laborioso es muy entretenido para un viejo como yo. No los conozco -añadió levantando la mano en un gesto de reserva, para que no pareciera que se jactaba, para demostrar su pureza y que no planeara sobre los estudiantes la sospecha-, pero son muy correctos, a veces llegan hasta reservarme un asiento, como a un viejo caballero que soy. Sí, sí, querido, no proteste, tengo más de cuarenta años -dijo el barón, que había rebasado los sesenta-. En ese anfiteatro donde habla Brichot hace un poco de calor, pero siempre es interesante. Aunque el barón prefería mezclarse con la juventud de las escuelas, y hasta verse empujado por ella, a veces Brichot, para evitarle las largas esperas, le hacía entrar con él. Por más que Brichot estuviera en su casa en la Sorbona, cuando el bedel encargado de abrir las aulas le precedía y el maestro admirado por la juventud avanzaba, no podía contener cierta timidez, y a la vez que deseaba aprovechar aquel momento en que se sentía tan importante para mostrarse amable con Charlus, estaba, sin embargo, un poco azorado; para que el bedel le dejara pasar, decía con una voz amanerada y un aire apresurado: «Sígame, barón, ya le colocaremos», y luego, sin ocuparse más de él, se dirigía al estrado avanzando solo alegremente por el pasillo entre una doble fila de jóvenes profesores que le saludaban; Brichot, para que no pareciese que presumía ante aquellos jóvenes, sabiendo que era para ellos un gran pontífice, les dirigía muchos guiños, muchos gestos de connivencia, a los que su preocupación por ser marcial y buen francés daba el aspecto de una especie de estímulo cordial, de sursum corda de un viejo gruñón que dice: «¡Mil diablos, sabremos batirnos!» Y estallaban los aplausos de los alumnos. A veces Brichot aprovechaba la presencia de monsieur de Charlus en sus clases para tener una atención con alguien, casi para corresponder a finezas recibidas por él. Decía a un pariente o a uno de sus amigos burgueses: «Por si le puede interesar a su mujer o a su hija, le diré que el barón de Charlus, príncipe de Agrigente, descendiente de los Condé, asistirá a mi clase. Para un niño es un recuerdo digno de conservar haber visto a uno de los últimos descendientes de nuestra aristocracia que tienen categoría. Si vienen, le reconocerán en el que estará sentado al lado de mi cátedra. Además, no habrá otro: un hombre grueso, con el pelo blanco, bigote negro y la medalla militar.» «¡Ah, se lo agradezco!», decía el padre. Y aunque su mujer tuviera que hacer, por no desairar a Brichot, la obligaba a ir a aquella clase, y la muchacha, aunque molesta por el calor y la multitud, devoraba curiosamente con los ojos al descendiente de los Condé, extrañándose de que no llevara gorguera y no se pareciese a los hombres de nuestros días. Monsieur de Charlus no tenía ojos para ella; pero a más de un estudiante, que no sabía quién era el caballero, le chocaba su amabilidad y se tornaba importante y seco, y el barón salía transido de sueños y de melancolía. -Perdóneme que vuelva a lo mío -me apresuré a decir a monsieur de Charlus al oír los pasos de Brichot-, pero ¿podría usted avisarme por neumático si se entera de que mademoiselle Vinteuil y su amiga vienen a París, diciéndome exactamente cuánto tiempo van a estar y sin decir a nadie que yo se lo he pedido? Yo ya no creía apenas que fuera a venir, pero quería precaverme para el futuro. -Sí, haré eso por usted. En primer lugar porque le debo un gran agradecimiento. Al no aceptar lo que le propuse hace tiempo, me hizo un gran favor a costa suya, me dejó mi libertad. Verdad es que he abdicado de ella de otro modo -añadió en un tono melancólico que trascendía el deseo de hacer confidencias-; hay en esto lo que yo considero siempre el hecho principal, una concatenación de circunstancias que usted descuidó aprovechar, quizá porque el destino le advirtió en aquel preciso momento que no debía desviar mi camino. Pues siempre «el hombre propone y Dios dispone». Si el día que salimos juntos de casa de madame de Villeparisis hubiera aceptado usted, quién sabe si no habrían ocurrido nunca muchas cosas que han pasado -yo, azorado, desvié la conversación agarrándome al nombre de madame de Villeparisis y diciendo la tristeza que me había causado su muerte-. ¡Ah!, sí -murmuró secamente monsieur de Charlus en el tono más insolente, tomando nota de mis condolencias sin aparentar que creía ni por un segundo en su sinceridad. Pero yo, al ver que en todo caso el tema de madame de Villeparisis no le era doloroso, quise saber por él, tan calificado en todos los aspectos, por qué razón el mundo aristocrático había tenido tan apartada a madame de Villeparisis. No sólo no me dio la solución de este pequeño problema mundano, sino que ni siquiera parecía conocerlo. Entonces comprendí que la situación de madame de Villeparisis, si grande había de parecerle más adelante a la posteridad, y hasta, en vida de la marquesa, a la ignorante plebe, no menos grande pareció a toda la otra parte del mundo, a la que correspondía madame de Villeparisis, a los Guermantes. Era su tía, veían sobre todo el nacimiento, los entronques, la importancia que su familia conservaba por su ascendiente sobre esta o la otra cuñada. Veían aquello más por el «lado familia» que por el «lado gran mundo». Y aquél era más brillante en madame de Villeparisis de lo que yo había creído. Me impresionó enterarme de que el nombre de Villeparisis era falso. Pero hay otros ejemplos de grandes damas que han hecho una boda desigual y han conservado una situación preponderante. Monsieur de Charlus empezó por decirme que madame de Villeparisis era sobrina de la famosa duquesa de ***, la persona más célebre de la gran aristocracia durante la monarquía de julio, pero que no había querido tratar al rey ciudadano y a su familia. ¡Había deseado yo tanto saber de aquella duquesa! Y madame de Villeparisis, la buena madame de Villeparisis, con aquellas mejillas que me parecían mejillas de burguesa; madame de Villeparisis, que tantos regalos me mandaba y a la que hubiera podido ver fácilmente todos los días; madame de Villeparisis era su sobrina, educada por ella, en su casa, en el hotel de ***. -Le preguntaban al duque de Doudeauville -me dijo monsieur de Charlus hablando de las tres hermanas-: «¿A cuál de las tres prefiere usted?» Y como Doudeauville contestara: «A madame de Villeparisis», la duquesa de *** le replicó: «¡Cochino!» Pues la duquesa era muy ingeniosa -dijo monsieur de Charlus dando a la palabra la importancia y la pronunciación acostumbradas en los Guermantes. En cuanto a que a él le pareciera tan «ingeniosa » esta palabra, no me extrañaba, pues en otras muchas ocasiones había observado la tendencia centrífuga, objetiva, de los hombres que les lleva a abdicar, cuando aprecian el ingenio de los demás, de las severidades que tendrían para el propio, y a observar, a anotar como algo precioso lo que ellos desdeñarían crear-. Pero ¿qué es eso? Si lo que trae es mi abrigo -dijo monsieur de Charlus al ver que Brichot había tardado tanto para tal resultado-. Debía haber ido yo mismo. En fin, póngaselo sobre los hombros. ¿Sabe que eso es muy comprometido, amiguito? Es como beber en el mismo vaso, sabré sus pensamientos. Pero no, así no, vamos, déjeme a mí –y al ponerme el abrigo me lo ceñía a los hombros, me lo subía por el cuello y me rozaba con la mano la barbilla, pidiéndome perdón-. A su edad no sabe taparse, hay que arreglarle como a un niño; he errado la vocación, Brichot, nací para niñera. Yo quería marcharme, pero monsieur de Charlus manifestó la intención de ir a buscar a Morel y Brichot nos retuvo a los dos. Por otra parte, como estaba tan seguro de encontrar en casa a Albertina, como lo estuve aquella misma tarde de que volvería del Trocadero, no tenía ninguna prisa por verla, como no la tuve entonces sentado al piano después de haberme telefoneado Francisca. Y aquella calma me permitió, cada vez que en el transcurso de la conversación hacía ademán de levantarme, obedecer a la instancia de Brichot, el cual temía que, si yo me marchaba, Charlus no se quedara allí hasta que madame Verdurin viniera a llamarnos. -Vamos -dijo al barón-, quédese un poco con nosotros, ya le dará el espaldarazo un poco más tarde -añadió Brichot clavando en mí su ojo casi muerto, al que las numerosas operaciones sufridas habían hecho recobrar un poco de vida, pero que, sin embargo, no tenía ya la movilidad necesaria en la expresión oblicua de la malignidad. -¡El espaldarazo, qué bruto! -exclamó el barón en un tono agudo y entusiasmado-. Le digo, querido, que se cree siempre en un reparto de premios, sueña con sus estudiantitos. Me pregunto si no se acostará con ellos, -Usted desea ver a mademoiselle Vinteuil -me dijo Brichot, que había oído el final de nuestra conversación-. Le prometo que le avisaré si viene, lo sabré por madame Verdurin -añadió Brichot, previendo sin duda que el barón estaba a punto de ser excluido del pequeño clan. -¿Es que me cree menos bien que usted con madame Verdurin para enterarme sobre la venida de esas personas de tan terrible fama? -dijo monsieur de Charlus-. Es archisabido. Madame Verdurin hace mal en dejarlas venir, eso se queda para los medios equívocos. Son amigas de una banda terrible, deben de reunirse todas en unos lugares nefandos. A cada una de estas palabras, un nuevo sufrimiento se añadía a mi sufrimiento, cambiándolo de forma. Y de pronto, recordando ciertas impaciencias de Albertina, impaciencias que, por otra parte, disimulaba en seguida, me espantó la idea de que hubiera concebido el propósito de dejarme. Esta sospecha me hacía más necesario aún prolongar nuestra vida común hasta que yo recobrara la calma. Y para quitarle a Albertina la calma, si acaso se le ocurría, de adelantarse a mi proyecto de ruptura y para que su cadena le pareciese más ligera hasta que yo pudiera realizarlo sin sufrir, me pareció lo más hábil (quizá estaba contagiado por la presencia de monsieur de Charlus, por el recuerdo inconsciente de las comedias que le gustaba representar), me pareció lo más hábil hacer creer a Albertina que tenía la intención de dejarla; al volver a casa iba a simular la despedida, la ruptura. -Desde luego, no; no me creo mejor situado que usted con madame Verdurin -declaró Brichot recalcando las palabras, pues temía haber despertado las sospechas del barón. Y al ver que yo quería marcharme, quiso retenerme con el cebo de la diversión prometida-: Cuando el barón habla de la mala fama de esas dos señoras, parece no haber pensado en una cosa: que una reputación puede ser a la vez malísima e inmerecida. Por ejemplo, en la serie más notoria que llamaré paralela, es indudable que se producen muchos errores judiciales y que la historia ha registrado sentencias de condena por sodomía contra hombres ilustres que eran completamente inocentes. El reciente descubrimiento de un gran amor de Miguel Ángel por una mujer es un hecho nuevo que debería valer al amigo de León X el beneficio de una instancia de revisión póstuma. El asunto Miguel Ángel me parece muy indicado para apasionar a los snobs y movilizar a la Villette cuando haya pasado otro asunto en el que la anarquía ha estado bien considerada y ha llegado a ser el pecado de moda de nuestros buenos dilettantes [sic], pero cuyo nombre no se puede pronunciar por miedo a las disputas. Desde que Brichot comenzó a hablar de las reputaciones masculinas, a monsieur de Charlus le salió a la cara esa clase especial de impaciencia que vemos en un experto médico o militar cuando personas que no entienden nada de terapéutica o de estrategia se ponen a decir tonterías sobre terapéutica o sobre estrategia. -No sabe usted nada de eso de que habla -acabó por decirle a Brichot-. Cíteme una sola reputación inmerecida. Diga nombres. Sí, ya lo sé, conozco todo eso -replicó violentamente monsieur de Charlus a una tímida interrupción de Brichot-: los que en otro tiempo hicieron eso por curiosidad, o por afecto único a un amigo muerto, y el que, temiendo haber ido demasiado lejos si le hablan de la belleza de un hombre contesta que eso es chino para él, que él no sabe distinguir un hombre guapo de un hombre feo, como no sabe distinguir dos motores de automóvil porque la mecánica no es lo suyo. Todo eso son tonterías. Bueno, no quiero decir que una reputación mala (o que se ha convenido en llamar así) e injustificada sea una cosa absolutamente imposible. Pero es tan excepcional, tan rara, que prácticamente no existe. Sin embargo, yo, que soy un curioso, un averígualotodo, he conocido algunos casos, y no eran mitos. Sí, en el transcurso de mi vida he comprobado (quiero decir científicamente comprobado, no me conformo con palabras) dos reputaciones injustificadas. Generalmente surgen por una similitud de nombres, o por ciertas señales exteriores, la abundancia de sortijas, por ejemplo, que las personas incompetentes creen absolutamente característico de eso que usted dice, como creen que un campesino no dice dos palabras sin añadir jorniguié o un inglés goddam. Eso son convencionalismos para teatro de los bulevares. Lo que le extrañará es que esas reputaciones injustificadas son para el público las más seguras. Usted mismo, Brichot, que pondría la mano en el fuego por la virtud de este o del otro hombre que viene aquí y que los enterados conocen como el lobo blanco, debe de creer, como todo el mundo, lo que se dice de tal hombre destacado que encarna esas aficiones para la masa, cuando la verdad es que no tiene ni dos sous de eso. Digo dos sous porque si pusiéramos veinticinco luises veríamos descender hasta cero el número de los santitos. No siendo así, la proporción de santos, si usted ve santidad en eso, oscila, por regla general, entre tres y cuatro de cada diez. Así como Brichot había aplicado al sexo masculino la cuestión de las malas reputaciones, yo, inversamente apliqué al sexo femenino, pensando en Albertina, las palabras de monsieur de Charlus. Estaba aterrado por su estadística, aun teniendo en cuenta que debía de haber aumentado las cifras a la medida de lo que él deseaba, y también por los informes de gentes chismosas, acaso mentirosas, en todo caso engañadas por su propio deseo, que, sumado al de monsieur de Charlus, falseaba sin duda los cálculos del barón. -¡Tres de cada diez! -exclamó Brichot-. Invirtiendo la proporción, yo habría tenido que multiplicar por cien el número de culpables. Si es el que usted dice, barón, y si no se equivoca, tendremos que confesar que es usted uno de esos raros videntes de una verdad que nadie en torno a ellos sospecha. Así hizo Barrès sobre la corrupción parlamentaria unos descubrimientos que fueron comprobados posteriormente, como la existencia del planeta de Leverrier. Madame Verdurin citaría de preferencia a ciertos hombres que yo prefiero no nombrar y que han adivinado en el Servicio de Información del Estado Mayor ciertas actuaciones, inspiradas, quiero creerlo, por un celo patético, pero que de todos modos yo no me imaginaba. ¡Tres de cada diez! -repitió Brichot estupefacto. Y hay que decir que monsieur de Charlus incluía entre los invertidos a la mayor parte de sus contemporáneos, pero exceptuando a los hombres con los que él había tenido relaciones y cuyo caso, a poco que hubiera habido de romántico en estas relaciones, le parecía más completo. De la misma manera, algunos libertinos que no creen en la virtud de las mujeres sólo le atribuyen un poco a la que fue querida suya, diciendo de ella sinceramente y en tono misterioso: «No, no, se equivoca usted, no es una furcia». Esta inesperada estima se la dicta en parte su amor propio, más satisfecho de que tales favores hayan sido reservados a ellos solos, en parte su ingenuidad, que se traga fácilmente todo lo que su amante ha querido hacerle creer, en parte ese sentido de la vida en virtud del cual cuando nos aproximamos a los seres, a las existencias, las etiquetas y los compartimientos hechos de antemano son demasiado simplistas-. ¡Tres de cada diez! Pero cuidado, barón, si usted quisiera presentar a la posteridad el cuadro que nos ha dicho, menos afortunado usted que esos historiadores que el futuro ratificará, podría rechazarlo la posteridad, que no juzga más que con documentos a la vista y querría conocer su atestado. Y como ningún documento autentifica ese género de fenómenos colectivos que los únicos enterados tienen mucho interés en dejar en la sombra, se produciría gran indignación en el campo de las buenas almas y usted pasaría sin remisión por calumniador o por loco. Después de haber obtenido en este mundo el máximo y el principado en el concurso de las elegancias, conocería las tristezas de un blackboulage de ultratumba. No vale la pena, como dijo, ¡Dios me perdone!, nuestro Bossuet. -Yo no trabajo para la historia -contestó monsieur de Charlus-, me basta con la vida, que es muy interesante, como decía el pobre Swann. -¡Ah!, ¿conoció usted a Swann? No lo sabía. ¿Tenía esas aficiones? -preguntó, inquieto, Brichot. -¡Será grosero! ¿Cree usted que yo no conozco más que gente de ésa? Pues no, no creo -dijo Charlus bajando los ojos y tratando de pesar el pro y el contra. Y pensando que, puesto que se trataba de Swann, cuyas tendencias, tan opuestas, habían sido siempre conocidas, una semiconfesión tenía que ser inofensiva para el interesado y halagüeña para el que la dejaba escapar en una insinuación-: No digo que allá en tiempo lejano, en el colegio, una vez por casualidad -dijo el barón como sin querer, como si pensara en voz alta; luego, recogiendo velas, concluyó riendo-: Pero de eso hace ya doscientos años, ¿cómo quiere usted que me acuerde?, déjeme en paz. -En todo caso, guapo, lo que se dice guapo, no lo era -dijo Brichot, que siendo feísimo se creía bien parecido y fácilmente encontraba feos a los demás. -Cállese -le replicó el barón-, no sabe usted lo que dice; en aquel tiempo tenía una tez de melocotón y -añadió poniendo cada silaba en otra nota distinta- era hermoso como un amor. Y siguió siendo encantador. A las mujeres les gustaba con locura. -Pero ¿conoció usted a la suya? -¡Vamos, él la conoció por mí! Yo la había encontrado encantadora, en su semidisfraz, una noche que representó Miss Sacripant; yo estaba con unos compañeros de club, todos habíamos llevado una mujer, y aunque yo no tenía ganas más que de dormir, las malas lenguas dijeron, pues la gente del gran mundo es malísima, que me había acostado con Odette. Lo que pasó es que ella aprovechó la ocasión para venir a fastidiarme y yo creí librarme de ella presentándosela a Swann. Desde aquel día ya no me soltó, no sabía una palabra de ortografía y tenía yo que escribirle las cartas. Y además fui yo después el encargado de pasearla. Ya ve usted, hijo mío, lo que es tener buena reputación. Por lo demás, yo sólo la merecía a medias. Odette me obligaba a organizarle unas partidas terribles, de cinco, de seis. Y monsieur de Charlus se puso a enumerar, con tanta seguridad como si recitara la lista de los reyes de Francia, los sucesivos amantes de Odette (había estado con Fulano, después con Mengano). Y en realidad el celoso está, como los contemporáneos, demasiado cerca, no sabe nada, y es para los extraños para quienes la crónica de los adulterios toma la precisión de la historia y se alarga en listas, por lo demás indiferentes y que sólo resultan tristes para otro celoso como yo, que no puede menos de comparar su propio caso con aquel de que oye hablar y se pregunta si no existirá una lista tan ilustre para la mujer de la que duda. Pero no puede averiguar nada, es como una conspiración universal, una novatada en la que todos participan cruelmente y que consiste en taparle los ojos mientras su amiga va de uno a otro, con una venda que él se esfuerza perpetuamente en arrancar, sin conseguirlo, pues todo el mundo se empeña en que siga ciego el desdichado, los buenos por bondad, los malos por maldad, los groseros por afición a las burlas malévolas, los educados por buena educación y todos por uno de esos convencionalismos que llaman principios. -Pero ¿llegó a saber Swann alguna vez que usted había gozado de los favores de Odette? -¡Vamos, hombre, qué horror! ¡Contar eso a Carlos! Es como para ponérsele a uno los pelos de punta. Pero, querido, me habría matado, sencillamente; era celoso como un tigre. Como tampoco le hubiera dicho yo a Odette, a quien, por lo demás, le habría dado lo mismo, que..., bueno, no me haga decir tonterías. Y lo más fuerte es que fue ella quien le disparó unos tiros de revólver que estuve a punto de recibir yo. La verdad es que me he divertido con ese matrimonio; y, naturalmente, tuve que ser testigo suyo contra D′Osmond, que nunca me lo perdonó. D′Osmond se había llevado a Odette, y Swann, para consolarse, tomó por amante, o por falsa amante, a la hermana de Odette. En fin, no va usted a hacerme contar la historia de Swann, tendríamos para diez años, ¿sabe?, la conozco como nadie. Era yo el que sacaba a Odette cuando no quería ver a Carlos. La cosa me fastidiaba todavía más porque tengo un pariente muy cercano que se llama Crécy, sin ninguna especie de derecho, naturalmente, pero que, en fin, aquello no le gustaba nada. Pues ella se hacía llamar Odette de Crécy, y con todo derecho, pues estaba sólo separada de un Crécy con el que se había casado, un Crécy de verdad, un caballero muy bien, al que le había sacado hasta el último céntimo... Pero usted lo que quiere es hacerme hablar, le vi con él en el trenecillo de Balbec, usted le invitaba allí a comer, y buena falta le debe de hacer al pobre: vivía de una pensión muy pequeña que le pasaba Swann, y supongo que desde la muerte de mi amigo habrán dejado de pagarle esa renta. No comprendo -me dijo monsieur de Charlus- que habiendo estado usted tan a menudo en casa de Carlos no me pidiera antes que le presentara a la reina de Nápoles. Veo que a usted no le interesan las personas como curiosidades, y es cosa que me extraña siempre en cualquiera que haya conocido a Swann, que tenía ese interés tan desarrollado, hasta el punto de que no se puede decir si fui yo en esto su iniciador o él el mío. Me extraña tanto como si viera a una persona que hubiese conocido a Whistler y no supiera lo que es el gusto. Era interesante conocerla sobre todo para Morel, y lo deseaba con pasión, pues Morel es inteligentísimo. Lástima que la reina se haya marchado. Pero, en fin, los reuniré uno de estos días. Es inevitable que la conozca. A no ser que la reina se muriera mañana, y es de esperar que no ocurra así. De pronto Brichot, que seguía rumiando la proporción de «tres de cada diez» que le había revelado monsieur de Charlus, preguntó a éste en un tono sombrío y con una brusquedad que recordaba la de un juez de instrucción empeñado en hacer confesar a un acusado, pero que en realidad respondía al deseo que tenía el profesor de parecer perspicaz y a la turbación que le producía lanzar una acusación tan grave: -¿Ski es de ésos? Para impresionar con sus pretendidas dotes de intuición, eligió a Ski, diciéndose que, puesto que no había más que tres inocentes de cada diez (sic), corría poco peligro de equivocarse nombrando a Ski, que le parecía un poco raro, tenía insomnios, se perfumaba, en fin, se salía de lo normal. -Nada de eso -exclamó el barón con una ironía amarga, dogmática y exasperada-. ¡Lo que usted dice es tan falso, tan absurdo, tan superficial! Ski es eso precisamente para las personas que no le conocen. Si lo fuera, no lo parecería tanto como lo parece, dicho sea sin ninguna intención de crítica, pues tiene atractivo y hasta le encuentro algo muy interesante. -Pues díganos algunos nombres -insistió Brichot. Monsieur de Charlus replicó con aire aburrido: -Yo, querido, vivo en lo abstracto, todo eso no me interesa más que desde un punto de vista trascendental -contestó con la recelosa susceptibilidad propia de los de su género y la afectación de grandilocuencia que caracterizaba su conversación-. A mí sólo me interesan las generalidades, le hablo de esto como pudiera hablarle de la ley de la gravedad - pero estos momentos de reacción irritada, cuando el barón quería ocultar su verdadera vida, duraban muy poco comparados con las horas de progresión continua en que hacía adivinarla, exhibiéndola con una complacencia molesta, pues la necesidad de la confidencia era en él más fuerte que el temor a la divulgación-. Quería decir -continuó- que para una mala reputación justificada hay centenares de buenas reputaciones no menos justificadas. Claro es que el número de los que no las merecen varía según que nos basemos en lo que dicen los de su cuerda o en lo que dicen los otros. Y la verdad es que si la malevolencia de los segundos queda limitada por la gran dificultad que éstos deben de tener para creer en el vicio, tan terrible para ellos como el robo o el asesinato, practicado por unas personas cuya delicadeza y cuyo corazón desconocen ellos, la malevolencia de los primeros la estimula exageradamente el deseo de creer..., ¿cómo lo diré?, de creer accesibles a unas personas que les gustan por referencias que les han dado otras personas a quienes ha engañado un deseo semejante, en fin, por el mismo alejamiento en que generalmente les tienen. Yo he oído decir a un hombre, bastante mal visto por causa de esa afición, que creía que cierto caballero del gran mundo tenía ese mismo vicio. ¡Y la única razón para creerlo era que aquel hombre del gran mundo había estado amable con él! En el cálculo del número entran las mismas razones de optimismo. Pero la verdadera razón de la enorme diferencia que existe entre ese número calculado por los profanos y el calculado por los iniciados está en el misterio con que éstos rodean sus aventuras con el fin de ocultarlas a los demás, que, sin ningún medio de información, se quedarían literalmente estupefactos si se enteraran solamente de la cuarta parte de la verdad. -Entonces, en nuestra época es como en la de los griegos -dijo Brichot. -¿Como en la de los griegos? ¿Se figura usted que eso no siguió después? Fíjese en tiempo de Luis XIV: Monsieur, el pequeño Vermandois, Molière, el príncipe Luis de Baden, Brunswick, Charolais, Boufflers, el Grand Condé, el duque de Brissac. -¡Pare el carro! Yo sabía Monsieur, Brissac por Saint-Simon, Vendôme, naturalmente, y otros muchos. Pero ese mala lengua de Saint-Simon habla a menudo del Grand Condé y del príncipe Luis de Baden y nunca lo dice. -También es una pena que tenga yo que enseñarle historia a un profesor de la Sorbona. Pero, mi querido maestro, es usted ignorante como un pez. -Es usted duro, barón, pero justo. Pues mire, le voy a dar gusto, ahora recuerdo una canción de la época que hicieron en latín macarrónico sobre cierta tormenta que sorprendió al Grand Condé cuando bajaba por el Ródano en compañía de su amigo el marqués de La Moussaye. Condé dijo:
Carus Amicus Mussexus,
Ah ! Deus bonus quod tempus
Landerirette

Imbre sumus perituri.
Carus Amicus Mussexus,
Ah ! Deus bonus quod tempus
Landerirette

Imbre sumus perituri.
Et La Moussaye le rassure en lui disant : Et La Moussaye le rassure en lui disant :
Securæ sunt nostræ vitæ
Sumus enim Sodomitæ
Igne tantum perituri
Landeriri.
Securæ sunt nostræ vitæ
Sumus enim Sodomitæ
Igne tantum perituri
Landeriri.
— Je retire ce que j′ai dit, dit Charlus d′une voix aiguë et maniérée, vous êtes un puits de science ; vous me l′écrirez n′est-ce pas, je veux garder cela dans mes archives de famille, puisque ma bisale au troisième degré était la sœur de M. le Prince. — Oui, mais, baron, sur le prince Louis de Baden je ne vois rien. Du reste, à cette époque-là, je crois qu′en général l′art militaireÂ… — Quelle bêtise ! Vendôme, Villars, le prince Eugène, le prince de Conti, et si je vous parlais de tous nos héros du Tonkin, du Maroc, et je parle des vraiment sublimes, et pieux, et « nouvelle génération », je vous étonnerais bien. Ah ! j′en aurais à apprendre aux gens qui font des enquêtes sur la nouvelle génération, qui a rejeté les vaines complications de ses aînés ! dit M. Bourget. J′ai un petit ami là-bas, dont on parle beaucoup, qui a fait des choses admirablesÂ… mais enfin je ne veux pas être méchant, revenons au xviie siècle ; vous savez que Saint-Simon dit du maréchal d′Huxelles, entre tant d′autres : « Voluptueux en débauches grecques, dont il ne prenait pas la peine de se cacher, et accrochait de jeunes officiers qu′il adomestiquait, outre de jeunes valets très bien faits, et cela sans voile, à l′armée et à Strasbourg. » Vous avez probablement lu les lettres de Madame, les hommes ne l′appelaient que « Putain ». Elle en parle assez clairement. Et elle était à bonne source pour savoir, avec son mari. C′est un personnage si intéressant que Madame, dit M. de Charlus. On pourrait faire d′après elle la synthèse lyrique de la « Femme d′une Tante ». D′abord hommasse ; généralement la femme d′une Tante est un homme, c′est ce qui lui rend si facile de lui faire des enfants. Puis Madame ne parle pas des vices de Monsieur, mais elle parle sans cesse de ce même vice chez les autres, en femme renseignée et par ce pli que nous avons d′aimer à trouver, dans les familles des autres, les mêmes tares dont nous souffrons dans la nôtre, pour nous prouver à nous-même que cela n′a rien d′exceptionnel ni de déshonorant. Je vous disais que cela a été tout le temps comme cela. Cependant le nôtre se distingue tout spécialement à ce point de vue. Et malgré les exemples que j′empruntais au xviie siècle, si mon grand al François C. de La Rochefoucauld vivait de notre temps, il pourrait en dire, avec plus de raison que du sien, voyons, Brichot, aidez-moi : « Les vices sont de tous les temps ; mais si des personnes que tout le monde connaît avaient paru dans les premiers siècles, parlerait-on présentement des prostitutions d′Héliogabale ? » Que tout le monde connaît me plaît beaucoup. Je vois que mon sagace parent connaissait « le boniment » de ses plus célèbres contemporains comme je connais celui des miens. Mais des gens comme cela, il n′y en a pas seulement davantage aujourd′hui. Ils ont aussi quelque chose de particulier. » Je vis que M. de Charlus allait nous dire de quelle façon ce genre de mœurs avait évolué. L′insistance avec laquelle M. de Charlus revenait toujours sur le sujet — à l′égard duquel, d′ailleurs, son intelligence, toujours exercée dans le même sens, possédait une certaine pénétration — avait quelque chose d′assez complexement pénible. Il était raseur comme un savant qui ne voit rien au delà de sa spécialité, agaçant comme un renseigné qui tire vanité des secrets qu′il détient et brûle de divulguer, antipathique comme ceux qui, dès qu′il s′agit de leurs défauts, s′épanouissent sans s′apercevoir qu′ils déplaisent, assujetti comme un maniaque et irrésistiblement imprudent comme un coupable. Ces caractéristiques qui, dans certains moments, devenaient aussi saisissantes que celles qui marquent un fou ou un criminel m′apportaient, d′ailleurs, un certain apaisement. Car, leur faisant subir la transposition nécessaire pour pouvoir tirer d′elles des déductions à l′égard d′Albertine et me rappelant l′attitude de celle-ci avec Saint-Loup, avec moi, je me disais, si pénible que fût pour moi l′un de ces souvenirs, et si mélancolique l′autre, je me disais qu′ils semblaient exclure le genre de déformation si accusée, de spécialisation forcément exclusive, semblait-il, qui se dégageait avec tant de force de la conversation comme de la personne de M. de Charlus. Mais celui-ci, malheureusement, se hâta de ruiner ces raisons d′espérer, de la même manière qu′il me les avait fournies, c′est-à-dire sans le savoir. « Oui, dit-il, je n′ai plus vingt-cinq ans et j′ai déjà vu changer bien des choses autour de moi, je ne reconnais plus ni la société où les barrières sont rompues, où une cohue, sans élégance et sans décence, danse le tango jusque dans ma famille, ni les modes, ni la politique, ni les arts, ni la religion, ni rien. Mais j′avoue que ce qui a encore le plus changé, c′est ce que les Allemands appellent l′homosexualité. Mon Dieu, de mon temps, en mettant de côté les hommes qui détestaient les femmes, et ceux qui, n′aimant qu′elles, ne faisaient autre chose que par intérêt, les homosexuels étaient de bons pères de famille et n′avaient guère de maîtresses que par couverture. J′aurais eu une fille à marier que c′est parmi eux que j′aurais cherché mon gendre si j′avais voulu être assuré qu′elle ne fût pas malheureuse. Hélas ! tout est changé. Maintenant ils se recrutent aussi parmi les hommes qui sont les plus enragés pour les femmes. Je croyais avoir un certain flair, et quand je m′étais dit : sûrement non, n′avoir pas pu me tromper. Eh bien j′en donne ma langue aux chats. Un de mes amis, qui est bien connu pour cela, avait un cocher que ma belle-sœur Oriane lui avait procuré, un garçon de Combray qui avait fait un peu tous les métiers, mais surtout celui de retrousseur de jupons, et que j′aurais juré aussi hostile que possible à ces choses-là. Il faisait le malheur de sa maîtresse en la trompant avec deux femmes qu′il adorait, sans compter les autres, une actrice et une fille de brasserie. Mon cousin le prince de Guermantes, qui a justement l′intelligence agaçante des gens qui croient tout trop facilement, me dit un jour : « Mais pourquoi est-ce que XÂ… ne couche pas avec son cocher ? Qui sait si ça ne lui ferait pas plaisir à Théodore (c′est le nom du cocher) et s′il n′est même pas très piqué de voir que son patron ne lui fait pas d′avances ? » Je ne pus m′empêcher d′imposer silence à Gilbert ; j′étais énervé à la fois de cette prétendue perspicacité qui, quand elle s′exerce indistinctement, est un manque de perspicacité, et aussi de la malice cousue de fil blanc de mon cousin qui aurait voulu que notre ami XÂ… essayât de se risquer sur la planche pour, si elle était viable, s′y avancer à son tour. — Le prince de Guermantes a donc ces goûts ? demanda Brichot avec un mélange d′étonnement et de malaise. — Mon Dieu, répondit M. de Charlus ravi, c′est tellement connu que je ne crois pas commettre une indiscrétion en vous disant que oui. Eh bien, l′année suivante, j′allai à Balbec, et là j′appris, par un matelot qui m′emmenait quelquefois à la pêche, que mon Théodore, lequel, entre parenthèses, a pour sœur la femme de chambre d′une amie de Mme Verdurin, la baronne Putbus, venait sur le port lever tantôt un matelot, tantôt un autre, avec un toupet d′enfer, pour aller faire un tour en barque et « autre chose itou ». » Ce fut à mon tour de demander si le patron dans lequel j′avais reconnu le Monsieur qui, à Balbec, jouait aux cartes toute la journée avec sa maîtresse, et qui était le chef de la petite Société des quatre amis, était comme le prince de Guermantes. « Mais, voyons, c′est connu de tout le monde, il ne s′en cache même pas. — Mais il avait avec lui sa maîtresse. — Eh bien, qu′est-ce que ça fait ? sont-ils na, ces enfants ? me dit-il d′un ton paternel, sans se douter de la souffrance que j′extrayais de ses paroles en pensant à Albertine. Elle est charmante, sa maîtresse. — Mais alors ses trois amis sont comme lui. — Mais pas du tout, s′écria-t-il en se bouchant les oreilles comme si, en jouant d′un instrument, j′avais fait une fausse note. Voilà maintenant qu′il est à l′autre extrémité. Alors on n′a plus le droit d′avoir des amis ? Ah ! la jeunesse, ça confond tout. Il faudra refaire votre éducation, mon enfant. Or, reprit-il, j′avoue que ce cas, et j′en connais bien d′autres, si ouvert que je tâche de garder mon esprit à toutes les hardiesses, m′embarrasse. Je suis bien vieux jeu, mais je ne comprends pas, dit-il du ton d′un vieux gallican parlant de certaines formes d′ultramontanisme, d′un royaliste libéral parlant de l′Action Française ou d′un disciple de Claude Monet, des cubistes. Je ne blâme pas ces novateurs, je les envie plutôt, je cherche à les comprendre, mais je n′y arrive pas. S′ils aiment tant la femme, pourquoi, et surtout dans ce monde ouvrier où c′est mal vu, où ils se cachent par amour-propre, ont-ils besoin de ce qu′ils appellent un môme ? C′est que cela leur représente autre chose. Quoi ? » « Qu′est-ce que la femme peut représenter d′autre à Albertine ? » pensais-je, et c′était bien là en effet ma souffrance. « Décidément, baron, dit Brichot, si jamais le Conseil des Facultés propose d′ouvrir une chaire d′homosexualité, je vous fais proposer en première ligne. Ou plutôt non, un institut de psycho-physiologie spéciale vous conviendrait mieux. Et je vous vois surtout pourvu d′une chaire au Collège de France, vous permettant de vous livrer à des études personnelles dont vous livreriez les résultats, comme fait le professeur de tamoul ou de sanscrit devant le très petit nombre de personnes que cela intéresse. Vous auriez deux auditeurs et l′appariteur, soit dit sans vouloir jeter le plus léger soupçon sur notre corps d′huissiers, que je crois insoupçonnable. — Vous n′en savez rien, répliqua le baron d′un ton dur et tranchant. D′ailleurs vous vous trompez en croyant que cela intéresse si peu de personnes. C′est tout le contraire. » Et sans se rendre compte de la contradiction qui existait entre la direction que prenait invariablement sa conversation et le reproche qu′il allait adresser aux autres : « C′est, au contraire, effrayant, dit-il à Brichot d′un air scandalisé et contrit, on ne parle plus que de cela. C′est une honte, mais c′est comme je vous le dis, mon cher ! Il paraît qu′avant-hier, chez la duchesse d′Agen, on n′a pas parlé d′autre chose pendant deux heures ; vous pensez, si maintenant les femmes se mettent à parler de ça, c′est un véritable scandale ! Ce qu′il y a de plus ignoble c′est qu′elles sont renseignées, ajouta-t-il avec un feu et une énergie extraordinaires, par des pestes, de vrais salauds, comme le petit Châtellerault, sur qui il y a plus à dire que sur personne, et qui leur racontent les histoires des autres. On m′a dit qu′il disait pis que pendre de moi, mais je n′en ai cure ; je pense que la boue et les saletés jetées par un individu qui a failli être renvoyé du Jockey pour avoir truqué un jeu de cartes ne peut retomber que sur lui. Je sais bien que, si j′étais Jane d′Agen, je respecterais assez mon salon pour qu′on n′y traite pas des sujets pareils et qu′on ne traîne pas chez moi mes propres parents dans la fange. Mais il n′y a plus de société, plus de règles, plus de convenances, pas plus pour la conversation que pour la toilette. Ah ! mon cher, c′est la fin du monde. Tout le monde est devenu si méchant. C′est à qui dira le plus de mal des autres. C′est une horreur. » -Retiro lo que he dicho -dijo Charlus con voz aguda y amanerada-, es usted un pozo de ciencia; me lo escribirá, ¿verdad?, quiero guardar eso en mis archivos de familia, pues mi bisabuela en tercer grado era hermana del príncipe. -Sí, barón, pero sobre el príncipe Luis de Baden no veo nada. Además, yo creo que, en general, el arte militar... -¡Qué tontería! En esa época, Vendôme, Villars, el príncipe Eugenio, el príncipe de Conti, y si le hablara de nuestros héroes de Tonkín, de Marruecos, y hablo de los verdaderamente sublimes, y piadosos, y «nueva generación», se quedaría pasmado. ¡Ah!, tendría yo mucho que enseñar a los que hacen investigaciones sobre la nueva generación, que ha echado por la borda las vanas complicaciones de sus mayores, dice monsieur Bourget. Tengo un amiguito ahí, del que se habla mucho, que ha hecho cosas admirables...; pero, en fin, no quiero ser malo, volvamos al siglo xvii. Sabrá usted que Saint- Simon dice del mariscal D′Huxelles -entre tantos otros-: «... voluptuoso en orgías griegas de las que no se tomaba el trabajo de recatarse, y reclutaba jóvenes oficiales que se llevaba a casa, además de criadillos muy bien formados, y sin disimulos, en el ejército y en Estrasburgo». Probablemente habrá leído usted las cartas de Madame; los hombres no la llamaban más que «Putana». Ella habla de esto con bastante claridad. -Y podía saberlo de buena fuente, por su marido. -Madame es un personaje muy interesante -dijo monsieur de Charlus-. Se la podría tomar por modelo para hacer el retrato ne varietur, la síntesis lírica de La femme d′une Tante. Primero virago; generalmente la mujer de una Tante es un hombre, por lo que le es tan fácil hacerle hijos. Además, Madame no habla de los vicios de Monsieur, pero sí habla continuamente de ese mismo vicio en los demás, como persona enterada y por esa inclinación que tenemos a encontrar en las familias ajenas las mismas taras que padecemos en la nuestra, para demostrarnos a nosotros mismos que no tienen nada de excepcional ni de deshonroso. Le decía que siempre fue así en todo tiempo. Pero el nuestro se distingue muy especialmente en este aspecto. Y a pesar de los ejemplos que he tomado del siglo xvii, si viviera ahora mi bisabuelo Francisco de la Rochefoucauld podría decir, con más razón aún que en el suyo..., vamos, Brichot, ayúdeme: «Los vicios son de todos los tiempos; pero si en los primeros siglos hubieran aparecido ciertas personas que todo el mundo conoce, ¿se hablaría ahora de las prostituciones de Heliogábalo?» Que todo el mundo conoce me gusta mucho. Veo que mi sagaz pariente conocía «las soflamas» de sus contemporáneos más célebres como yo conozco las de los míos. Pero gentes como ésas tampoco abundan hoy. Tienen también algo especial. Vi que monsieur de Charlus iba a decirnos de qué manera había evolucionado ese género de costumbres. Y mientras él hablaba, mientras hablaba Brichot, no se apartó de mí la imagen más o menos consciente de mi casa, donde me esperaba Albertina, imagen unida al motivo acariciante e íntimo de Vinteuil. Volvía siempre a Albertina, como tendría que volver efectivamente a ella al cabo de un momento como a una especie de grillete al que, de una manera o de otra, estaba encadenado, que me impedía salir de París y que en aquel momento, mientras en el salón Verdurin evocaba mi casa, me la hacía sentir no como un espacio vacío, exaltante para la personalidad y un poco triste, sino lleno -semejante en esto al hotel de Balbec cierta noche- de aquella presencia que no se movía, que duraba allí por mí y que estaba seguro de encontrar en el momento que yo quisiera. La insistencia con que monsieur de Charlus volvía siempre al tema -para el cual, por lo demás, su inteligencia, siempre ejercitada en el mismo sentido, tenía cierta penetración- tenía algo de bastante complejamente penoso. Era latoso como un sabio que no ve nada fuera de su especialidad, irritante como un enterado que presume de los secretos que conoce y está deseando divulgarlos, antipático como los que, cuando se trata de sus defectos, se pavonean sin darse cuenta de que desagradan, fijo como un maniático e irresistiblemente imprudente como un culpable. Estas características, que en ciertos momentos se tornaban tan obsesivas como las de un loco o un criminal, me daban, por otra parte, cierta tranquilidad. Pues sometiéndolas a la trasposición necesaria para poder sacar de ellas deducciones respecto a Albertina y recordando la actitud de ésta con Saint-Loup, conmigo, por penoso que fuera para mí uno de estos recuerdos y por melancólico que fuese el otro, me decía que parecían excluir el tipo de deformación tan acusada, de especialización forzosamente exclusiva, al parecer, que con tanta fuerza se desprendía de la conversación y de la persona de monsieur de Charlus. Pero desgraciadamente éste se apresuró a destruir estas razones mías de esperanza de la misma manera que me las había dado, es decir, sin saberlo. -Sí -dijo-, ya no tengo veinticinco años y he visto cambiar muchas cosas en torno mío; ya no reconozco ni la sociedad, en la que se han roto las barreras, en la que una turbamulta sin elegancia y sin decencia baila el tango hasta en mi familia, ni las modas, ni la política, ni las artes, ni la religión, ni nada. Pero confieso que lo que más ha cambiado es lo que los alemanes llaman la homosexualidad. Dios santo, en mi tiempo, dejando a un lado los hombres que detestaban a las mujeres y los que, gustándoles sólo las mujeres, sólo por interés hacían otra cosa, los homosexuales eran unos buenos padres de familia y no solían tener amante más que como tapadera. Si yo hubiera tenido una hija que casar, habría buscado un yerno entre ellos para estar seguro de que no sería desgraciada. Desgraciadamente, todo ha cambiado. Ahora se reclutan también entre los hombres más mujeriegos. Yo creía tener cierto olfato, y cuando me decía: seguramente no, creía no engañarme. Pues bien, me doy por vencido. Un amigo mío muy conocido por eso tenía un cochero que le proporcionó mi cuñada Oriana, un mozo de Combray que había hecho más o menos todos los oficios, pero sobre todo el de levantar faldas, y que yo habría jurado de los más hostiles a esas cosas. Hacía sufrir a su querida engañándola con dos mujeres a las que adoraba, sin contar las otras, una actriz y una camarera. Mi primo el príncipe de Guermantes, que tiene precisamente la inteligencia irritante de esas gentes que se lo creen todo, me dijo un día: «Pero ¿por qué no se acuesta X... con su cochero? A lo mejor le gustaría a Teodoro (era el nombre del cochero) y quién sabe si hasta no le duele que su patrón no le diga nada.» No pude menos de imponer silencio a Gilberto; me molestaba a la vez esa pretendida perspicacia que, cuando se aplica indistintamente, es una falta de perspicacia, y también la tosca malicia de mi primo, que hubiera querido que nuestro amigo X se arriesgara a poner el pie en el pontón para, si era viable, avanzar él a su vez. -¿Es que el príncipe de Guermantes tiene esas aficiones? -preguntó Brichot con una mezcla de sorpresa y de malicia. -Caramba -contestó monsieur de Charlus encantado-, es tan sabido que no creo cometer una indiscreción diciéndole que sí... Bueno, pues al año siguiente fui a Balbec y allí me enteré, por un marinero que me llevaba algunas veces a pescar, que mi Teodoro, el cual, entre paréntesis, es hermano de la doncella de una amiga de madame Verdurin, la baronesa Putbus, iba al puerto a levantar, ya a un marinero, ya a otro, con un descaro infernal, para dar una vuelta en barca y para «otra cosa» -ahora fui yo quien preguntó si aquel patrón, en el que reconocí al señor que jugaba a las cartas todo el día con su amante, era como el príncipe de Guermantes-. Pero, hombre, todo el mundo lo sabe, y él ni siquiera se recata. -Pero estaba con su querida. -Bueno, ¿y qué importa eso? ¡Cuidado que son inocentes estos niños! -me dijo en un tono paternal, sin sospechar lo que me dolían sus palabras pensando en Albertina-. Su querida es encantadora. -Pero entonces ¿sus amigos son como él? -Nada de eso -exclamó tapándose los oídos como si yo, tocando un instrumento, hubiera dado una nota falsa-. Ahora salimos por el otro extremo. ¿Es que no hay derecho a tener amigos? ¡Ah, la juventud todo lo confunde! Habrá que rehacer su educación, hijo mío. Sin embargo -continuó-, confieso que este caso, y conozco otros muchos, por muy tolerante que me empeñe en ser con todas las osadías, me perturba. Soy muy antiguo, pero no comprendo -dijo en el tono de un viejo galicano hablando de ciertas formas de ultramontanismo, o de un monárquico liberal hablando de la Acción Francesa, o de un discípulo de Claude Monet refiriéndose a los cubistas-. No censuro a esos innovadores, más bien los envidio, procuro entenderlos, pero no lo consigo. Si aman tanto a la mujer, ¿por qué, y sobre todo en ese mundo obrero donde está mal visto, donde se esconden por amor propio, tienen necesidad de eso que ellos llaman un môme? Es que eso representa para ellos otra cosa. ¿Qué? «¿Qué otra cosa puede representar la mujer para Albertina?», pensé yo, y en esto radicaba, en efecto, mi sufrimiento. -Decididamente, barón -dijo Brichot-, si alguna vez el Consejo de Facultades propone crear una cátedra de homosexualidad, le propongo a usted en primer lugar. O no, más bien le cuadraría un instituto de psicología especial. Y como mejor le veo es en un sillón del Colegio de Francia que le permitiera entregarse a unos estudios personales para luego ofrecer los resultados, como hace el profesor de tamul o de sánscrito, ante el reducido número de personas que se interesarían por esto. Tendría usted dos oyentes y el bedel, dicho sea sin intención de echar la más ligera sombra sobre nuestro cuerpo de bedeles, al que creo fuera de toda sospecha. -No sabe usted nada de eso -replicó el barón en un tono duro y tajante-. Por lo demás, se equivoca al creer que eso interesa a tan pocas personas. Muy al contrario -y sin darse cuenta de la contradicción que había entre la dirección que tomaba invariablemente su conversación y el reproche que iba a dirigir a los demás, dijo a Brichot con un aire escandalizado y contrito-: Todo lo contrario, es alarmante, no se habla más que de eso. Es una vergüenza, pero es tal como le digo, querido. Parece ser que antes de ayer, en casa de la duquesa de Ayen, no se habló de otra cosa en dos horas. Figúrese si ahora se ponen a hablar de eso las mujeres, ¡un verdadero escándalo! Lo más innoble es que están enteradas -añadió con una energía y un calor extraordinarios- por unos indecentes, unos verdaderos cerdos, como ese mentecatito de Châtellerault, del que habría que decir más que de nadie, y que les cuenta las historias de los demás. Me han dicho que habla de mí como para matarle, pero me tiene sin cuidado; pienso que el cieno y las inmundicias que le eche a uno un individuo que ha estado a punto de ser expulsado del Jockey por haber trucado un juego de naipes no pueden caer más que sobre él. Claro es que si yo fuera Juana de Ayen respetaría lo suficiente mi salón para que no entraran en él sujetos semejantes y no se arrastrara por el fango en mi casa a personas de mi propia familia. Pero ya no hay sociedad, ya no hay reglas, ya no hay conveniencias para la conversación, como no las hay para el vestir. ¡Ah, querido, es el fin del mundo! Todo el mundo se ha vuelto malo, todos rivalizan a quién hablará peor de los demás. ¡Es horrible!
Lâche comme je l′étais déjà dans mon enfance à Combray, quand je m′enfuyais pour ne pas voir offrir du cognac à mon grand-père et les vains efforts de ma grand′mère, le suppliant de ne pas le boire, je n′avais plus qu′une pensée, partir de chez les Verdurin avant que l′exécution de Charlus ait eu lieu. « Il faut absolument que je parte, dis-je à Brichot. — Je vous suis, me dit-il, mais nous ne pouvons pas partir à l′anglaise. Allons dire au revoir à Mme Verdurin », conclut le professeur qui se dirigea vers le salon de l′air de quelqu′un qui, aux petits jeux, va voir « si on peut revenir ». Yo, cobarde como ya lo era de niño en Combray cuando escapaba para no tener que ofrecer coñac a mi abuelo, ante los vanos esfuerzos de mi madre suplicándole que no bebiera, no tenía ahora más que un pensamiento: irme de casa de los Verdurin antes de que se realizara la ejecución de Charlus. -No tengo más remedio que marcharme -le dije a Brichot. -Le acompaño -contestó-, pero no podemos marcharnos a la inglesa. Vamos a despedirnos de madame Verdurin -concluyó el profesor, y se dirigió al salón como quien, en ciertos juegos de sociedad, va a preguntar: ¿puedo volver ya?
Pendant que nous causions, M. Verdurin, sur un signe de sa femme, avait emmené Morel. Mme Verdurin, du reste, eût-elle, toutes réflexions faites, trouvé qu′il était plus sage d′ajourner les révélations à Morel qu′elle ne l′eût plus pu. Il y a certains désirs, parfois circonscrits à la bouche, qui, une fois qu′on les a laissés grandir, exigent d′être satisfaits, quelles que doivent en être les conséquences ; on ne peut plus résister à embrasser une épaule décolletée qu′on regarde depuis trop longtemps et sur laquelle les lèvres tombent comme le serpent sur l′oiseau, à manger un gâteau d′une dent que la fringale fascine, à se refuser l′étonnement, le trouble, la douleur ou la gaieté qu′on va déchaîner dans une âme par des propos imprévus. Telle, ivre de mélodrame, Mme Verdurin avait enjoint à son mari d′emmener Morel et de parler coûte que coûte au violoniste. Celui-ci avait commencé par déplorer que la reine de Naples fût partie sans qu′il eût pu lui être présenté. M. de Charlus lui avait tant répété qu′elle était la sœur de l′impératrice Élisabeth et de la duchesse d′Alençon, que la souveraine avait pris aux yeux de Morel une importance extraordinaire. Mais le Patron lui avait expliqué que ce n′était pas pour parler de la reine de Naples qu′ils étaient là, et était entré dans le vif du sujet. « Tenez, avait-il conclu au bout de quelque temps, tenez, si vous voulez, nous allons demander conseil à ma femme. Ma parole d′honneur, je ne lui en ai rien dit. Nous allons voir comment elle juge la chose. Mon avis n′est peut-être pas le bon, mais vous savez quel jugement sûr elle a, et puis elle a pour vous une immense amitié, allons lui soumettre la cause. » Et tandis que Mme Verdurin attendait avec impatience les émotions qu′elle allait savourer en parlant au virtuose, puis, quand il serait parti, à se faire rendre un compte exact du dialogue qui avait été échangé entre lui et son mari, et ne cessait de répéter : « Mais qu′est-ce qu′ils peuvent faire ; j′espère au moins qu′Auguste, en le tenant un temps pareil, aura su convenablement le styler », M. Verdurin était redescendu avec Morel, lequel paraissait fort ému. « Il voudrait te demander un conseil », dit M. Verdurin à sa femme, de l′air de quelqu′un qui ne sait pas si sa requête sera exaucée. Au lieu de répondre à M. Verdurin, dans le feu de la passion c′est à Morel que s′adressa Mme Verdurin : « Je suis absolument du même avis que mon mari, je trouve que vous ne pouvez pas tolérer cela plus longtemps », s′écria-t-elle avec violence, oubliant, comme fiction futile, qu′il avait été convenu entre elle et son mari qu′elle était censée ne rien savoir de ce qu′il avait dit au violoniste. « Comment ? Tolérer quoi ? » balbutia M. Verdurin, qui essayait de feindre l′étonnement et cherchait, avec une maladresse qu′expliquait son trouble, à défendre son mensonge. « Je l′ai deviné, ce que tu lui as dit », répondit Mme Verdurin, sans s′embarrasser du plus ou moins de vraisemblance de l′explication, et se souciant peu de ce que, quand il se rappellerait cette scène, le violoniste pourrait penser de la véracité de sa Patronne. « Non, reprit Mme Verdurin, je trouve que vous ne devez pas souffrir davantage cette promiscuité honteuse avec un personnage flétri, qui n′est reçu nulle part, ajouta-t-elle, n′ayant cure que ce ne fût pas vrai et oubliant qu′elle le recevait presque chaque jour. Vous êtes la fable du Conservatoire, ajouta-t-elle, sentant que c′était l′argument qui porterait le plus ; un mois de plus de cette vie et votre avenir artistique est brisé, alors que, sans le Charlus, vous devriez gagner plus de cent mille francs par an. — Mais je n′avais jamais rien entendu dire, je suis stupéfait, je vous suis bien reconnaissant », murmura Morel les larmes aux yeux. Mais, obligé à la fois de feindre l′étonnement et de dissimuler la honte, il était plus rouge et suait plus que s′il avait joué toutes les sonates de Beethoven à la file, et dans ses yeux montaient des pleurs que le maître de Bonn ne lui aurait certainement pas arrachés. « Si vous n′avez rien entendu dire, vous êtes le seul. C′est un Monsieur qui a une sale réputation et qui a de vilaines histoires. Je sais que la police l′a à l′œil, et c′est, du reste, ce qui peut lui arriver de plus heureux pour ne pas finir comme tous ses pareils, assassiné par des apaches », ajouta-t-elle, car en pensant à Charlus le souvenir de Mme de Duras lui revenait et, dans la rage dont elle s′enivrait, elle cherchait à aggraver encore les blessures qu′elle faisait au malheureux Charlie et à venger celles qu′elle-même avait reçues ce soir. « Du reste, même matériellement, il ne peut vous servir à rien, il est entièrement ruiné depuis qu′il est la proie de gens qui le font chanter et qui ne pourront même pas tirer de lui les frais de leur musique, vous encore moins les frais de la vôtre, car tout est hypothéqué, hôtel, château, etc. » Morel ajouta d′autant plus aisément foi à ce mensonge que M. de Charlus aimait à le prendre pour confident de ses relations avec des apaches, race pour qui un fils de valet de chambre, si crapuleux qu′il soit lui-même, professe un sentiment d′horreur égal à son attachement aux idées bonapartistes. Mientras nosotros hablábamos, monsieur Verdurin, a una señal de su mujer, había traído a Morel. Y el caso es que madame Verdurin, aun cuando, después de pensarlo bien, hubiera juzgado que era más prudente aplazar las revelaciones a Morel, no habría podido. Hay deseos, a veces circunscritos a la boca, que una vez que se les ha dejado crecer exigen su cumplimiento, cualesquiera que puedan ser las consecuencias; no hay manera de resistirse a besar un hombro desnudo que se está mirando desde hace mucho tiempo y sobre el que caen los labios como el pájaro sobre la serpiente, a clavar en un pastel el diente fascinado por el hambre canina, a privarse del asombro, de la perturbación, del dolor o de la alegría que con unas palabras imprevistas vamos a provocar en un alma. Así madame Verdurin, ebria de melodrama, había mandado a su marido a buscar a Morel para hablarle, costara lo que costara. Morel comenzó por deplorar que se hubiera ido la reina de Nápoles sin que le presentaran a ella. Monsieur de Charlus le había repetido tantas veces que era hermana de la emperatriz Isabel y de la duquesa de Alencon, que la soberana tenía para Morel una importancia extraordinaria. Pero el patrón le explicó que no estaban allí Para hablar de la reina de Nápoles y fue derecho al tema. «Bueno -decidió al cabo de algún tiempo-, si quiere vamos a pedir consejo a mi mujer. Palabra de honor que no le he dicho nada. Vamos a ver qué le parece. Mi opinión no vale, pero ya sabe lo que pienso de ella, y además le quiere a usted muchísimo; vamos a someter la causa a su juicio.» Y mientras madame Verdurin esperaba con impaciencia las emociones que pronto iba a saborear hablando con el virtuoso, y después, cuando éste se marchara, escuchando de su marido un detallado informe del diálogo sostenido entre éste y el violinista, sin dejar de repetir entre tanto: «Pero ¿qué diablos estarán haciendo?; espero que Gustavo, ya que le entretiene tanto tiempo, sabrá por lo menos prepararle», monsieur Verdurin volvió a bajar con Morel, que parecía muy impresionado. -Morel quiere pedirte un consejo -dijo monsieur Verdurin a su mujer como quien no sabe si su proposición será atendida. Madame Verdurin, en todo el calor de su pasión, en lugar de contestar a monsieur Verdurin, se dirigió a Morel: -Pienso exactamente lo mismo que mi marido, creo que no puede usted tolerar eso por más tiempo -exclamó con violencia, olvidando la fútil ficción convenida entre ella y su marido: hacer como que no sabía nada de lo que éste había dicho al violinista. -¿Qué? ¿Tolerar qué? -balbució monsieur Verdurin procurando fingir sorpresa y tratando, con una torpeza justificada por su desconcierto, de defender su mentira. -Lo he adivinado, he adivinado lo que le has dicho -contestó madame Verdurin sin preocuparse lo más mínimo de la verosimilitud de la explicación y muy poco de lo que el violinista pudiera pensar, cuando recordara esta escena, sobre la veracidad de la patrona-. No -añadió madame Verdurin-, creo que no debe usted soportar más esa vergonzosa promiscuidad con un personaje tan malfamado, al que ya no reciben en ninguna parte - añadió sin importarle que esto no fuera verdad y olvidando que ella le recibía casi a diario-. Es usted la comidilla del Conservatorio -añadió dándose cuenta de que éste era el argumento más eficaz-; un mes más de esa vida, y su porvenir artístico se malogra, mientras que sin Charlus podría usted ganar más de cien mil francos al año. -Pero yo no había oído nunca decir nada, me deja estupefacto; se lo agradezco mucho - murmuró Morel con lágrimas en los ojos. Pero obligado a la vez a fingir la sorpresa y a disimular la vergüenza, estaba más sofocado y sudaba más que si acabara de tocar todas las sonatas de Beethoven una tras otra, y le asomaban a los ojos lágrimas que con toda seguridad no le arrancara el maestro de Bonn. El escultor interesado por aquellas lágrimas sonrió y me señaló a Charlie con el rabillo del ojo. -Si no ha oído decir nada, es usted el único. Ese señor tiene una fama malísima y ha estado metido en unas historias muy feas. Yo sé que la Policía le vigila, y después de todo es lo mejor que puede ocurrirle para no acabar como todos sus congéneres, asesinado por algún apache -añadió madame Verdurin, pues al pensar en Charlus le vino el recuerdo de madame de Durás y, ciega de rabia, procuraba ahondar más aún las heridas que estaba infligiendo al desdichado Charlie y vengar las que ella había recibido aquella noche-. Además, ni siquiera materialmente le puede servir de nada, está completamente arruinado desde que se encuentra en las manos de un agente que le saca el dinero con chantajes y que ni siquiera podrá sacar el precio de su música, y menos podrá sacar usted el de la suya, pues todo es hipotético: hotel, castillo, etc. Morel dio fácilmente crédito a esta mentira porque monsieur de Charlus le solía tomar por confidente de sus relaciones con apaches, raza esta que al hijo de un criado, por muy libertino que sea, le produce un sentimiento de horror equivalente a su adhesión a las ideas bonapartistas.
Déjà, dans l′esprit rusé de Morel, avait germé une combinaison analogue à ce qu′on appela, au xviiie siècle, le renversement des alliances. Décidé à ne jamais reparler à M. de Charlus, il retournerait le lendemain soir auprès de la nièce de Jupien, se chargeant de tout arranger. Malheureusement pour lui, ce projet devait échouer, M. de Charlus ayant le soir même avec Jupien un rendez-vous auquel l′ancien giletier n′osa manquer malgré les événements. D′autres, qu′on va voir, s′étant précipités du fait de Morel, quand Jupien en pleurant raconta ses malheurs au baron, celui-ci, non moins malheureux, lui déclara qu′il adoptait la petite abandonnée, qu′elle prendrait un des titres dont il disposait, probablement celui de Mlle d′Oléron, lui ferait donner un complément parfait d′instruction et faire un riche mariage. Promesses qui réjouirent profondément Jupien et laissèrent indifférente sa nièce, car elle aimait toujours Morel, lequel, par sottise ou cynisme, entrait en plaisantant dans la boutique quand Jupien était absent. « Qu′est-ce que vous avez, disait-il en riant, avec vos yeux cernés ? Des chagrins d′amour ? Dame, les années se suivent et ne se ressemblent pas. Après tout, on est bien libre d′essayer une chaussure, à plus forte raison une femme, et si cela n′est pas à votre piedÂ… » Il ne se fâcha qu′une fois parce qu′elle pleura, ce qu′il trouva lâche, un indigne procédé. On ne supporte pas toujours bien les larmes qu′on fait verser. En su astuta mente había germinado ya una combinación análoga a lo que en el siglo XVIII se llamó un trueque de alianzas. Decidido a no volver a hablar a monsieur de Charlus, volvería al día siguiente por la noche a ver a la sobrina de Jupien, con el propósito de ir a arreglarlo todo. Desgraciadamente para él, este proyecto iba a fracasar, pues monsieur de Charlus tenía aquella misma noche con Jupien una cita a la que el antiguo chalequero no se atrevió a faltar a pesar de lo sucedido. Otros se precipitaron en cuanto a Morel, como se verá, y cuando Jupien contó al barón, llorando, sus cuitas, éste, no menos afligido, le dijo que iba a adoptar a la pequeña abandonada, que le daría uno de los títulos de que disponía, probablemente el de mademoiselle d′Oloron, que perfeccionaría su educación y le proporcionaría una buena boda. Estas promesas entusiasmaron a Jupien y dejaron indiferente a su sobrina, porque seguía enamorada de Morel, el cual, por estupidez o por cinismo, entraba bromeando en la tienda cuando Jupien estaba ausente. «¿Qué te pasa? - le decía-, ¿por qué tienes esas ojeras? ¿Penas de amor? Mira, los años pasan, y pasan distintos. Después de todo, si se pueden probar unos zapatos, con mayor razón se puede probar una mujer, y si no le va a uno a la medida del pie...» Morel no se enfadó más que una vez, y fue porque ella lloró, lo que le pareció cobarde, un proceder indigno. No siempre soportamos bien las lágrimas que hacemos derramar.
Mais nous avons trop anticipé, car tout ceci ne se passa qu′après la soirée Verdurin, que nous avons interrompue et qu′il faut reprendre où nous en étions. « Je ne me serais jamais douté, soupira Morel, en réponse à Mme Verdurin. — Naturellement on ne vous le dit pas en face, ça n′empêche pas que vous êtes la fable du Conservatoire, reprit méchamment Mme Verdurin, voulant montrer à Morel qu′il ne s′agissait pas uniquement de M. de Charlus, mais de lui aussi. Je veux bien croire que vous l′ignorez, et pourtant on ne se gêne guère. Demandez à Ski ce qu′on disait l′autre jour chez Chevillard, à deux pas de nous, quand vous êtes entré dans ma loge. C′est-à-dire qu′on vous montre du doigt. Je vous dirai que, pour moi, je n′y fais pas autrement attention ; ce que je trouve surtout c′est que ça rend un homme prodigieusement ridicule et qu′il est la risée de tous pour toute sa vie. — Je ne sais pas comment vous remercier », dit Charlie du ton dont on le dit à un dentiste qui vient de vous faire affreusement mal sans qu′on ait voulu le laisser voir, ou à un témoin trop sanguinaire qui vous a forcé à un duel pour une parole insignifiante dont il vous a dit : « Vous ne pouvez pas empocher ça. » « Je pense que vous avez du caractère, que vous êtes un homme, répondit Mme Verdurin, et que vous saurez parler haut et clair, quoiqu′il dise à tout le monde que vous n′oserez pas, qu′il vous tient. » Charlie, cherchant une dignité d′emprunt pour couvrir la sienne en lambeaux, trouva dans sa mémoire, pour l′avoir lu ou bien entendu dire, et proclama aussitôt : « Je n′ai pas été élevé à manger de ce pain-là. Dès ce soir je romprai avec M. de Charlus. La reine de Naples est bien partie, n′est-ce pas ?Â… Sans cela, avant de rompre avec lui, je lui aurais demandéÂ… — Ce n′est pas nécessaire de rompre entièrement avec lui, dit Mme Verdurin, désireuse de ne pas désorganiser le petit noyau. Il n′y a pas d′inconvénients à ce que vous le voyiez ici, dans notre petit groupe, où vous êtes apprécié, où on ne dira pas de mal de vous. Mais exigez votre liberté, et puis ne vous laissez pas traîner par lui chez toutes ces pécores, qui sont aimables par devant ; j′aurais voulu que vous entendiez ce qu′elles disaient par derrière. D′ailleurs, n′en ayez pas de regrets, non seulement vous vous enlevez une tache qui vous resterait toute la vie, mais au point de vue artistique, même s′il n′y avait pas cette honteuse présentation par Charlus, je vous dirais que de vous galvauder ainsi dans ce milieu de faux monde, cela vous donnerait un air pas sérieux, une réputation d′amateur, de petit musicien de salon, qui est terrible à votre âge. Je comprends que, pour toutes ces belles dames, c′est très commode de rendre des politesses à leurs amies en vous faisant venir à l′œil, mais c′est votre avenir d′artiste qui en ferait les frais. Je ne dis pas chez une ou deux. Vous parliez de la reine de Naples — qui est partie, en effet elle avait une soirée — celle-là, c′est une brave femme, et je vous dirai que je crois qu′elle fait peu de cas de Charlus et que c′est surtout pour moi qu′elle venait. Oui, oui, je sais qu′elle avait envie de nous connaître, M. Verdurin et moi. Cela c′est un endroit où vous pourrez jouer. Et puis je vous dirai qu′amené par moi, que les artistes connaissent, vous savez, pour qui ils ont toujours été très gentils, qu′ils considèrent un peu comme des leurs, comme leur Patronne, c′est tout différent. Mais gardez-vous surtout comme du feu d′aller chez Mme de Duras ! N′allez pas faire une boulette pareille ! Je connais des artistes qui sont venus me faire leurs confidences sur elle. Ils savent qu′ils peuvent se fier à moi, dit-elle du ton doux et simple qu′elle savait prendre subitement, en donnant à ses traits un air de modestie, à ses yeux un charme approprié, ils viennent comme ça me raconter leurs petites histoires ; ceux qu′on prétend le plus silencieux, ils bavardent quelquefois des heures avec moi et je ne peux pas vous dire ce qu′ils sont intéressants. Le pauvre Chabrier disait toujours : « Il n′y a que Mme Verdurin qui sache les faire parler. » Eh bien, vous savez, tous, mais je vous dis sans exception, je les ai vus pleurer d′avoir été jouer chez Mme de Duras. Ce n′est pas seulement les humiliations qu′elle s′amuse à leur faire faire par ses domestiques, mais ils ne pouvaient plus trouver d′engagement nulle part. Les directeurs disaient : « Ah ! oui, c′est celui qui joue chez Mme de Duras. » C′était fini. Il n′y a rien pour vous couper un avenir comme ça. Vous savez, les gens du monde ça ne donne pas l′air sérieux, on peut avoir tout le talent qu′on veut, c′est triste à dire, mais il suffit d′une Mme de Duras pour vous donner la réputation d′un amateur. Et pour les artistes, vous savez, moi, vous comprenez que je les connais, depuis quarante ans que je les fréquente, que je les lance, que je m′intéresse à eux, eh bien, vous savez, pour eux, quand ils ont dit « un amateur », ils ont tout dit. Et au fond on commençait à le dire de vous. Ce que de fois j′ai été obligée de me gendarmer, d′assurer que vous ne joueriez pas dans tel salon ridicule ! Savez-vous ce qu′on me répondait : « Mais il sera bien forcé, Charlus ne le consultera même pas, il ne lui demande pas son avis. » Quelqu′un a cru lui faire plaisir en lui disant : « Nous admirons beaucoup votre ami Morel. » Savez-vous ce qu′il a répondu, avec cet air insolent que vous connaissez : « Mais comment voulez-vous qu′il soit mon ami, nous ne sommes pas de la même classe, dites qu′il est ma créature, mon protégé. » À ce moment s′agitait sous le front bombé de la Déesse musicienne la seule chose que certaines personnes ne peuvent pas conserver pour elles, un mot qu′il est non seulement abject, mais imprudent de répéter. Mais le besoin de le répéter est plus fort que l′honneur, que la prudence. C′est à ce besoin que, après quelques mouvements convulsifs du front sphérique et chagrin, céda la Patronne : « On a même répété à mon mari qu′il avait dit : « mon domestique », mais cela je ne peux pas l′affirmer », ajouta-t-elle. C′est un besoin pareil qui avait contraint M. de Charlus, peu après avoir juré à Morel que personne ne saurait jamais d′où il était sorti, à dire à Mme Verdurin : « C′est le fils d′un valet de chambre. » Un besoin pareil encore, maintenant que le mot était lâché, le ferait circuler de personnes en personnes, qui se le confieraient sous le sceau d′un secret qui serait promis et non gardé comme elles avaient fait elles-mêmes. Ces mots finissaient, comme au jeu du furet, par revenir à Mme Verdurin, la brouillant avec l′intéressé, qui aurait fini par l′apprendre. Elle le savait, mais ne pouvait retenir le mot qui lui brûlait la langue. « Domestique » ne pouvait, d′ailleurs, que froisser Morel. Elle dit pourtant « domestique », et si elle ajouta qu′elle ne pouvait l′affirmer, ce fut à la fois pour paraître certaine du reste, grâce à cette nuance, et pour montrer de l′impartialité. Cette impartialité qu′elle montrait la toucha elle-même tellement, qu′elle commença à parler tendrement à Charlie : « Car voyez-vous, dit-elle, moi je ne lui fais pas de reproches, il vous entraîne dans son abîme, c′est vrai, mais ce n′est pas sa faute, puisqu′il y roule lui-même, puisqu′il y roule, répéta-t-elle assez fort, émerveillée de la justesse de l′image qui était partie plus vite que son attention ne la rattrapait que maintenant et tâchait de la mettre en valeur. Non, ce que je lui reproche, dit-elle d′un ton tendre — comme une femme ivre de son succès — c′est de manquer de délicatesse envers vous. Il y a des choses qu′on ne dit pas à tout le monde. Ainsi, tout à l′heure, il a parié qu′il allait vous faire rougir de plaisir en vous annonçant (par blague naturellement, car sa recommandation suffirait à vous empêcher de l′avoir) que vous auriez la croix de la Légion d′honneur. Cela passe encore, quoique je n′aie jamais beaucoup aimé, reprit-elle d′un air délicat et digne, qu′on dupe ses amis ; mais vous savez, il y a des riens qui nous font de la peine. C′est, par exemple, quand il nous raconte, en se tordant, que, si vous désirez la croix, c′est pour votre oncle et que votre oncle était larbin. — Il vous a dit cela » s′écria Charlie croyant, d′après ces mots habilement rapportés, à la vérité de tout ce qu′avait dit Mme Verdurin ! Mme Verdurin fut inondée de la joie d′une vieille maîtresse qui, sur le point d′être lâchée par son jeune amant, réussit à rompre son mariage. Et peut-être n′avait-elle pas calculé son mensonge ni même menti sciemment. Une sorte de logique sentimentale, peut-être, plus élémentaire encore, une sorte de réflexe nerveux, qui la poussait, pour égayer sa vie et préserver son bonheur, à « brouiller les cartes » dans le petit clan, faisait-elle monter impulsivement à ses lèvres, sans qu′elle eût le temps d′en contrôler la vérité, ces assertions diaboliquement utiles, sinon rigoureusement exactes. « Il nous l′aurait dit à nous seuls que cela ne ferait rien, reprit la Patronne, nous savons qu′il faut prendre et laisser de ce qu′il dit, et puis il n′y a pas de sot métier, vous avez votre valeur, vous êtes ce que vous valez ; mais qu′il aille faire tordre avec cela Mme de Portefin (Mme Verdurin la citait exprès parce qu′elle savait que Charlie aimait Mme de Portefin), c′est ce qui nous rend malheureux ; mon mari me disait en l′entendant : « j′aurais mieux aimé recevoir une gifle. » Car il vous aime autant que moi, vous savez, Gustave (on apprit ainsi que M. Verdurin s′appelait Gustave). Au fond c′est un sensible. — Mais je ne t′ai jamais dit que je l′aimais, murmura M. Verdurin faisant le bourru bienfaisant. C′est le Charlus qui l′aime. — Oh ! non, maintenant je comprends la différence, j′étais trahi par un misérable, et vous, vous êtes bon, s′écria avec sincérité Charlie. — Non, non, murmura Mme Verdurin pour garder sa victoire, car elle sentait ses mercredis sauvés, sans en abuser, misérable est trop dire ; il fait du mal, beaucoup de mal, inconsciemment ; vous savez, cette histoire de Légion d′honneur n′a pas duré très longtemps. Et il me serait désagréable de vous répéter tout ce qu′il a dit sur votre famille, dit Mme Verdurin, qui eût été bien embarrassée de le faire. — Oh ! cela a beau n′avoir duré qu′un instant, cela prouve que c′est un traître », s′écria Morel. C′est à ce moment que nous rentrâmes au salon. « Ah ! » s′écria M. de Charlus en voyant que Morel était là et en marchant vers le musicien avec le genre d′allégresse des hommes qui ont organisé savamment toute la soirée en vue d′un rendez-vous avec une femme, et qui, tout enivrés, ne se doutent guère qu′ils ont dressé eux-mêmes le piège où vont les saisir et, devant tout le monde, les rosser des hommes apostés par le mari : « Eh bien, enfin, ce n′est pas trop tôt ; êtes-vous content, jeune gloire et bientôt jeune chevalier de la Légion d′honneur ? Car bientôt vous pourrez montrer votre croix », dit M. de Charlus à Morel d′un air tendre et triomphant, mais, par ces mots mêmes de décoration, contresignant les mensonges de Mme Verdurin, qui apparurent une vérité indiscutable à Morel. « Laissez-moi, je vous défends de m′approcher, cria Morel au baron. Vous ne devez pas être à votre coup d′essai, je ne suis pas le premier que vous essayez de pervertir ! » Ma seule consolation était de penser que j′allais voir Morel et les Verdurin pulvérisés par M. de Charlus. Pour mille fois moins que cela j′avais essuyé ses colères de fou, personne n′était à l′abri d′elles, un roi ne l′eût pas intimidé. Or il se produisit cette chose extraordinaire. On vit M. de Charlus muet, stupéfait, mesurant son malheur sans en comprendre la cause, ne trouvant pas un mot, levant les yeux successivement sur toutes les personnes présentes, d′un air interrogateur, indigné, suppliant, et qui semblait leur demander moins encore ce qui s′était passé que ce qu′il devait répondre. Pourtant M. de Charlus possédait toutes les ressources, non seulement de l′éloquence, mais de l′audace, quand, pris d′une rage qui bouillonnait depuis longtemps contre quelqu′un, il le clouait de désespoir, par les mots les plus sanglants, devant les gens du monde scandalisés et qui n′avaient jamais cru qu′on pût aller si loin. M. de Charlus, dans ces cas-là, brûlait, se démenait en de véritables attaques nerveuses, dont tout le monde restait tremblant. Mais c′est que, dans ces cas-là, il avait l′initiative, il attaquait, il disait ce qu′il voulait (comme Bloch savait plaisanter des Juifs et rougissait si on prononçait leur nom devant lui). Peut-être, ce qui le rendait muet était-ce — en voyant que M. et Mme Verdurin détournaient les yeux et que personne ne lui porterait secours — la souffrance présente et l′effroi surtout des souffrances à venir ; ou bien que, ne s′étant pas d′avance, par l′imagination, monté la tête et forgé une colère, n′ayant pas de rage toute prête en mains, il avait été saisi et brusquement frappé, au moment où il était sans ses armes (car, sensitif, nerveux, hystérique, il était un vrai impulsif, mais un faux brave ; même, comme je l′avais toujours cru, et ce qui me le rendait assez sympathique, un faux méchant : les gens qu′il haî²³ait, il les haî²³ait parce qu′il s′en croyait méprisé ; eussent-ils été gentils pour lui, au lieu de se griser de colère contre eux il les eût embrassés, et il n′avait pas les réactions normales de l′homme d′honneur outragé) ; ou bien que, dans un milieu qui n′était pas le sien, il se sentait moins à l′aise et moins courageux qu′il n′eût été dans le Faubourg. Toujours est-il que, dans ce salon qu′il dédaignait, ce grand seigneur (à qui n′était pas plus essentiellement inhérente la supériorité sur les roturiers qu′elle ne le fut à tel de ses ancêtres angoissés devant le Tribunal révolutionnaire) ne sut, dans une paralysie de tous les membres et de la langue, que jeter de tous côtés des regards épouvantés, indignés par la violence qu′on lui faisait, aussi suppliants qu′interrogateurs. Dans une circonstance si cruellement imprévue, ce grand discoureur ne sut que balbutier : « Qu′est-ce que cela veut dire, qu′est-ce qu′il y a ? » On ne l′entendait même pas. Et la pantomime éternelle de la terreur panique a si peu changé, que ce vieux Monsieur, à qui il arrivait une aventure désagréable dans un salon parisien, répétait à son insu les quelques attitudes schématiques dans lesquelles la sculpture grecque des premiers âges stylisait l′épouvante des nymphes poursuivies par le Dieu Pan. Pero nos hemos anticipado mucho, pues todo esto no ocurrió hasta después de la fiesta de los Verdurin, que interrumpimos y a la que tenemos que volver en el punto en que estábamos. -Nunca lo hubiera pensado... -suspiró Morel respondiendo a madame Verdurin. -Naturalmente, no se lo dicen a la cara, pero eso no impide que sea la comidilla del Conservatorio -replicó malévolamente madame Verdurin, queriendo dar a entender a Morel que no se trataba únicamente de monsieur de Charlus, sino también de él-. Quiero creer que usted lo ignora, y, sin embargo, la gente no se recata de hablar. Pregúntele a Ski lo que estaban diciendo el otro día en la función de Chevillard, a dos pasos de nosotros, cuando entró usted en mi palco. Vamos, que le señalan con el dedo. Debo decirle que, por mi parte, no me importa mucho. Lo que me parece, sobre todo, es que eso hace a un hombre ridiculísimo, el hazmerreír de todo el mundo para toda la vida. -No sé cómo agradecérselo -dijo Charlie como se lo diríamos a un dentista que acaba de hacernos muchísimo daño y no queremos que se nos note, o a un testigo demasiado sanguinario que nos ha obligado a un duelo por unas palabras insignificantes diciéndonos: «No puede usted tragarse eso». -Creo que usted tiene carácter, que es usted un hombre -siguió madame Verdurin- y que sabrá hablar alto y claro, por más que él diga a todo el mundo que usted no se atreverá, que le tiene bien seguro. Charlie, buscando una dignidad prestada para cubrir la suya hecha jirones, encontró en su memoria, por haberlo leído o haber oído decirlo, y declaró enseguida: -No me criaron a mí para comer ese pan. Esta misma noche romperé con monsieur de Charlus... La reina de Nápoles se ha marchado, ¿verdad? Si no fuera así, antes de romper con él le habría pedido... -No es necesario romper por completo con él -dijo madame Verdurin, con el deseo de no desorganizar el pequeño núcleo-. No hay inconveniente en que le vea aquí, en nuestro pequeño grupo, donde le apreciamos a usted, donde no hablarán mal de usted. Pero exija su libertad y no se deje arrastrar por él a todas esas pécoras que son muy amables cuando está delante; me gustaría que oyera usted lo que dicen detrás. De todos modos, no lo lamente: no sólo se quita usted una mancha que le quedaría para toda la vida, hasta desde el punto de vista artístico; aunque no mediara esa vergonzosa presentación por mano de Charlus, yo diría que rebajarse así en ese medio de falso gran mundo le daría un tono poco serio, una fama de aficionado, de pequeño músico de salón, cosa terrible a su edad. Comprendo que para todas esas bellas damas es muy cómodo quedar bien con sus amigas exhibiéndole a usted, pero lo pagaría su porvenir de artista. No digo que no vaya a casa de una o de dos. Hablaba usted de la reina de Nápoles -que, en efecto, se ha marchado, tenía una velada-, y ésa sí que es una excelente mujer. Y le diré que, a mi parecer, hace poco caso de Charlus, creo que ha venido sobre todo por mí. Sí, sí, tenía ganas de conocernos a monsieur Verdurin y a mí. Ése sí es un sitio donde usted podrá tocar, y además le diré que, llevado por mí, como los artistas me conocen y han sido siempre muy simpáticos conmigo, y me consideran un poco como de los suyos, como su patrona, es diferente. Pero sobre todo ¡no se le ocurra ir a casa de madame Durás! ¡No vaya a cometer semejante pifia! Conozco a artistas que han venido a hacerme sus confidencias sobre ella. Claro, saben que pueden fiarse de mí -dijo en el tono suave y sencillo que sabía tomar súbitamente dando a sus rasgos una expresión de modestia, a sus ojos una expansión adecuada-. Vienen a contarme sus pequeñas historias; hasta los que tienen fama de más callados se pasan a veces horas charlando conmigo, y no sabe usted lo interesantes que son. El pobre Chabrier decía siempre: «La única que sabe hacerles hablar es madame Verdurin ». Pues bien, a todos, a todos sin excepción, los he visto llorar por haber ido a tocar en casa de madame Durás. En esa casa se reían de las humillaciones que, por indicación de la dueña, les infligen los criados, y después no podían encontrar quien los contratara. Los directores decían: «¡Ah, sí!, es el que toca en casa de madame Durás». ¡Se acabó! Nada como eso para cortar una carrera. El gran mundo no da a los artistas un tono serio; ya se puede tener todo el talento que se quiera, es triste decirlo, pero basta una madame Durás para dar fama de amateur. Y para los artistas -ya sabe usted que los conozco, que llevo cuarenta años tratándolos, lanzándolos, interesándome por ellos-, para un artista, si se dice de él un amateur, se acabó. Y en el fondo comenzaban a decirlo de usted. ¡Cuántas veces he tenido que ponerme seria, asegurar que usted no tocaría en este o en el otro salón ridículo! ¿Sabe lo que me contestaban?: «No tendrá más remedio, Charlus ni siquiera le consultará, no le pide su opinión». Sé de una persona que quiso halagarle diciéndole: «Admiramos mucho a su amigo Morel». ¿Sabe usted lo que contestó, con ese tono insolente que usted conoce? Pues le contestó: «Pero ¿cómo quiere usted que sea amigo mío? No somos de la misma clase. Diga usted que es obra mía, mi protegido» -en este momento bullía bajo la abombada frente de la diosa música lo único que algunas personas no pueden guardar para ellas, una palabra que no sólo es abyecta, sino que es imprudente repetirla. Pero la necesidad de repetirla es más fuerte que el honor, que la prudencia. A esta necesidad cedió la patrona, previos unos ligeros movimientos de la frente esférica y preocupada-. Y hasta le han contado a mi marido que había dicho «mi doméstico», pero esto no puedo asegurarlo -añadió. Necesidad pareja a la que llevó a monsieur de Charlus, poco después de haber jurado a Morel que nunca sabría nadie de dónde había salido, a decir a madame Verdurin: «Es hijo de un criado». Ahora, ya pronunciada esta palabra, la misma necesidad la haría circular de unas personas a otras, que la confiarían bajo el sello de un secreto que sería prometido y no guardado, como ellas mismas habían hecho. Estas palabras acababan, como en el juego de prendas, por volver a madame Verdurin, indisponiéndola con el interesado, que había acabado por enterarse. Ella lo sabía, pero no podía retener la palabra que le quemaba la lengua. «Doméstico» no podía menos de molestar a Morel. Sin embargo, madame Verdurin dijo «doméstico», y si añadió que no podía asegurarlo, fue porque con este matiz daba apariencia de verdad al resto y por parecer imparcial. Esta imparcialidad la impresionó a ella misma hasta tal punto que comenzó a hablar tiernamente a Charlie-. Pues mire usted -dijo-, yo no se lo reprocho, le arrastra a usted a su abismo, pero no es culpa suya, puesto que él mismo cae en él, él mismo cae en él -repitió bastante alto, maravillada del acierto de la imagen que le había salido más de prisa que su atención, la cual sólo después de dicha la cogía y procuraba sacarle partido-. No, lo que le reprocho -dijo en un tono dulce, como una mujer embriagada con su éxitoes su falta de delicadeza con usted. Hay cosas que no se dicen a todo el mundo. Por ejemplo, hace un momento apostó que le iba a hacer sonrojarse de gusto anunciándole (por jactancia, naturalmente, pues su recomendación bastaría para impedirle obtenerla) que le iban a dar la cruz de la Legión de Honor. Todavía esto puede pasar, aunque nunca me gustó mucho -añadió con un gesto delicado y digno- que se engañe a los amigos; pero, mire usted, hay naderías que nos dan pena. Por ejemplo, cuando nos cuenta, muerto de risa, que si usted desea la cruz es por su tío, y que su tío era un criado. -¡Le ha dicho eso! -exclamó Charlie creyendo, por estas palabras hábilmente traídas, que era verdad todo lo que había dicho madame Verdurin. La patrona estaba rebosante de alegría, la alegría de una antigua querida que a punto de ser abandonada por su joven amante consigue romper su boda. Y quizá no había calculado la mentira, ni siquiera mentido a sabiendas. Quizá una lógica sentimental, algo más elemental aún, una especie de reflejo nervioso que la impulsaba, para animar su vida y proteger su felicidad, a «mezclar las cartas» en el pequeño clan, hacía subir impulsivamente a sus labios, sin que ella tuviera tiempo de controlar su veracidad, aquellas afirmaciones diabólicamente útiles, ya que no rigurosamente exactas. -Si nos lo hubiera dicho a nosotros solos no importaría -repuso la patrona-; nosotros ya sabemos que de lo que él dice hay que tomar y dejar, y además todos los oficios son buenos, cada uno tiene su valor, cada cual es lo que vale. Pero lo que nos duele es que vaya con esas cosas a madame de Portefin -madame Verdurin la citaba adrede, porque sabía que Charlie quería a madame de Portefin-. Cuando le oyó, mi marido me dijo: «Hubiera preferido que me dieran una bofetada». Pues Gustavo le quiere a usted tanto como yo -así se supo que monsieur Verdurin se llamaba Gustavo-. En el fondo es un sentimental. -Pero yo no te he dicho nunca que le quería -murmuró monsieur Verdurin fingiendo una hosquedad bonachona-. El que le quiere es el Charlus. -¡Oh!, no, ahora comprendo la diferencia; vivía traicionado por un miserable, mientras que usted, usted sí que es bueno -exclamó Charlie con sinceridad. -No, no -murmuró madame Verdurin para consolidar su victoria (pues veía salvados sus miércoles) sin abusar de ella-, miserable es mucho decir; hace daño, mucho daño, pero inconscientemente; le advierto que esa historia de la Legión de Honor no duró mucho. Y sería muy desagradable para mí repetirle todo lo que ha dicho de su familia -dijo madame Verdurin, que se hubiera visto muy apurada para hacerlo. -¡Oh!, aunque no dudara más que un instante, basta para probar que es un traidor - exclamó Morel. En este momento volvimos al salón. -¡Ah! -exclamó monsieur de Charlus viendo a Morel y dirigiéndose hacia el músico con la animación de los hombres que han organizado sabiamente toda la noche con vistas a una cita con una mujer y que, muy exaltados, no sospechan que ellos mismos han armado la trampa donde van a cogerlos y apalearlos, delante de todo el mundo, unos hombres apostados por el marido-. Vaya, no es demasiado pronto. ¿Está usted contento, joven gloria, y sin tardar mucho joven caballero de la Legión de Honor? Pues va a ostentar en seguida su cruz -dijo monsieur de Charlus a Morel en un tono tierno y triunfante, pero refrendando, con estas mismas palabras alusivas a la condecoración, las mentiras de madame Verdurin, que a Morel le parecieron así una verdad indiscutible. -Déjeme, le prohibo acercarse a mí -gritó Morel al barón-. Esto no debe de ser para usted un ensayo, no soy el primero que intenta pervertir. Lo único que me consolaba era pensar que iba a ver cómo monsieur de Charlus pulverizaba a Morel y a los Verdurin. Por muchísimo menos había sido yo objeto de sus iras de loco, nadie estaba libre de ellas, no le intimidaría ni un rey. Pero ocurrió algo extraño. Vimos a monsieur de Charlus mudo, estupefacto, midiendo su desgracia sin comprender la causa, no encontrando una palabra, mirando sucesivamente a todos los presentes con gesto interrogador, indignado, suplicante, y que parecía preguntarles, más que lo que había ocurrido, lo que él debía contestar. Quizá lo que le enmudecía (al ver que madame Verdurin volvía los ojos y que nadie acudía en su ayuda) era el sufrimiento presente y, sobre todo, el terror de los sufrimientos que le esperaban; o bien que, no habiéndose exaltado de antemano con la imaginación y forjado una furia, no teniendo dispuesta la ira (pues, sensitivo, nervioso, histérico, era un verdadero impulsivo, pero un falso valiente, y hasta, como siempre había querido yo, y esto me lo hacía bastante simpático, un falso malévolo, y no tenía las reacciones normales del hombre de honor ultrajado), le habían sorprendido y herido bruscamente cuando estaba sin armas; o bien, en un medio que no era el suyo, se sentía menos a sus anchas y menos valiente que en el Faubourg. El caso es que, en aquel salón que él despreciaba, el gran señor (al que la superioridad sobre los plebeyos no era más esencialmente inherente que lo fuera a un antepasado suyo ante el tribunal revolucionario), en una parálisis de todos los miembros y de la lengua, no supo hacer otra cosa que dirigir a todos lados unas miradas de espanto, de indignación por la violencia que le infligían, unas miradas tan suplicantes como interrogadoras. Y, sin embargo, monsieur de Charlus poseía todos los recursos no sólo de la elocuencia, sino de la audacia, cuando, presa de una ira que hervía en él desde hacía tiempo, dejaba a cualquiera hecho un guiñapo, con las palabras más cruentas, ante las gentes del gran mundo escandalizadas y que nunca creyeron que se pudiera llegar tan lejos. En estos casos, monsieur de Charlus ardía, se agitaba en verdaderos ataques nerviosos que hacían temblar a todo el mundo. Pero es que en estos casos tenía la iniciativa, atacaba, decía lo que quería (como Bloch sabía burlarse de los judíos y enrojecía si alguien los nombraba delante de él). A aquellas personas a quienes odiaba, las odiaba porque creía que le despreciaban. De haber sido amables con él, en lugar de enfurecerse contra ellas las hubiera besado. En una circunstancia tan terriblemente imprevista, aquel gran discurseador sólo supo balbucir: -¿Qué quiere decir esto? ¿Qué pasa? Ni siquiera se le oía. Y como la eterna pantomima del terror pánico ha cambiado tan poco, aquel viejo caballero al que ocurría una aventura desagradable en un salón parisiense repetía sin querer las actitudes esquemáticas en las que la escultura griega de las primeras edades estilizaba el espanto de las ninfas perseguidas por el dios Pan.
L′ambassadeur disgracié, le chef de bureau mis brusquement à la retraite, le mondain à qui on bat froid, l′amoureux éconduit examinent, parfois pendant des mois, l′événement qui a brisé leurs espérances ; ils le tournent et le retournent comme un projectile tiré on ne sait d′où ni on ne sait par qui, pour un peu comme un aérolithe. Ils voudraient bien connaître les éléments composants de cet étrange engin qui a fondu sur eux, savoir quelles volontés mauvaises on peut y reconnaître. Les chimistes, au moins, disposent de l′analyse ; les malades souffrant d′un mal dont ils ne savent pas l′origine peuvent faire venir le médecin ; les affaires criminelles sont plus ou moins débrouillées par le juge d′instruction. Mais les actions déconcertantes de nos semblables, nous en découvrons rarement les mobiles. Ainsi, M. de Charlus — pour anticiper sur les jours qui suivirent cette soirée à laquelle nous allons revenir — ne vit dans l′attitude de Charlie qu′une seule chose claire. Charlie, qui avait souvent menacé le baron de raconter quelle passion il lui inspirait, avait dû profiter pour le faire de ce qu′il se croyait maintenant suffisamment « arrivé » pour voler de ses propres ailes. Et il avait dû tout raconter, par pure ingratitude, à Mme Verdurin. Mais comment celle-ci s′était-elle laissé tromper (car le baron, décidé à nier, était déjà persuadé lui-même que les sentiments qu′on lui reprocherait étaient imaginaires) ? Des amis de Mme Verdurin, peut-être ayant eux-mêmes une passion pour Charlie, avaient préparé le terrain. En conséquence, M. de Charlus, les jours suivants, écrivit des lettres terribles à plusieurs « fidèles » entièrement innocents et qui le crurent fou ; puis il alla faire à Mme Verdurin un long récit attendrissant, lequel n′eut d′ailleurs nullement l′effet qu′il souhaitait. Car, d′une part, Mme Verdurin répétait au baron : « Vous n′avez qu′à ne plus vous occuper de lui, dédaignez-le, c′est un enfant. » Or le baron ne soupirait qu′après une réconciliation. D′autre part, pour amener celle-ci en supprimant à Charlie tout ce dont il s′était cru assuré, il demandait à Mme Verdurin de ne plus le recevoir ; ce à quoi elle opposa un refus qui lui valut des lettres irritées et sarcastiques de M. de Charlus. Allant d′une supposition à l′autre, le baron ne fit jamais la vraie : à savoir, que le coup n′était nullement parti de Morel. Il est vrai qu′il eût pu l′apprendre en lui demandant quelques minutes d′entretien. Mais il jugeait cela contraire à sa dignité et aux intérêts de son amour. Il avait été offensé, il attendait des explications. Il y a, d′ailleurs presque toujours, attachée à l′idée d′un entretien qui pourrait éclaircir un malentendu, une autre idée qui, pour quelque raison que ce soit, nous empêche de nous prêter à cet entretien. Celui qui s′est abaissé et a montré sa faiblesse dans vingt circonstances fera preuve de fierté la vingt et unième fois, la seule où il serait utile de ne pas s′entêter dans une attitude arrogante et de dissiper une erreur qui va s′enracinant chez l′adversaire faute de démenti. Quant au côté mondain de l′incident, le bruit se répandit que M. de Charlus avait été mis à la porte de chez les Verdurin au moment où il cherchait à violer un jeune musicien. Ce bruit fit qu′on ne s′étonna pas de voir M. de Charlus ne plus reparaître chez les Verdurin, et quand par hasard il rencontrait quelque part un des fidèles qu′il avait soupçonnés et insultés, comme celui-ci gardait rancune au baron, qui lui-même ne lui disait pas bonjour, les gens ne s′étonnaient pas, comprenant que personne dans le petit clan ne voulût plus saluer le baron. El embajador caído en desgracia, el alto funcionario que pasa a la reserva, el hombre de mundo recibido fríamente, el enamorado despedido, examinan, a veces durante meses, el hecho que ha matado sus esperanzas; le dan vueltas y más vueltas como a un proyectil disparado de no se sabe dónde ni por qué, casi un aerolito. Quisieran conocer los elementos que forman ese extraño objeto caído sobre ellos, saber qué malas voluntades se pueden reconocer en él. Los químicos disponen de análisis; los enfermos de un mal cuyo origen desconocen pueden llamar al médico, y los hechos criminales son más o menos dilucidados por el juez de instrucción. Pero rara vez descubrimos los móviles de los hechos desconcertantes de nuestros prójimos. Y monsieur de Charlus -anticipándonos a los días que siguieron a aquella noche sobre la que hemos de volver- sólo una cosa clara vio en la actitud de Charlie. Morel, que había amenazado muchas veces al barón con contar la pasión que le inspiraba, debía de haber aprovechado para ello aquel momento en que se creía suficientemente «llegado» para volar con sus propias alas. Y por pura ingratitud se lo habría contado todo a madame Verdurin. Pero ¿cómo ésta se había dejado engañar? (pues el barón, decidido a negar, se había convencido a sí mismo de que los sentimientos que le reprocharían eran imaginarios). Acaso algún amigo de madame Verdurin, tal vez él mismo, enamorado de Charlie, había preparado el terreno. En consecuencia, monsieur de Charlus, los días siguientes, escribió unas cartas terribles a varios «fieles» completamente inocentes y que le creyeron loco; después fue a hacerle a madame Verdurin un largo relato enternecedor, relato que no produjo en absoluto el efecto que él deseaba. Pues, por una parte, madame Verdurin repetía al barón: «Pues no se ocupe más de él, despréciele, es un niño». Pero el barón no ansiaba más que una reconciliación. Por otra parte, para conseguirla privando a Charlie de todo lo que creía seguro, monsieur de Charlus pedía a madame Verdurin que no volviera a recibirle, a lo que ésta opuso una negativa que le valió unas cartas irritadas y sarcásticas de monsieur de Charlus. Yendo de una suposición a otra, el barón no dio jamás con la verdadera; es decir, que el golpe no había partido en modo alguno de Morel. Verdad es que hubiera podido enterarse pidiendo a éste unos minutos de conversación. Pero consideraba esto contrario a su dignidad y a los intereses de su amor. Había sido ofendido y esperaba explicaciones. Por lo demás, a la idea de una entrevista que pudiera disipar una mala interpretación va siempre unida otra idea que, por la razón que sea, nos impide prestarnos a esa entrevista. El que se ha rebajado y ha demostrado su debilidad en veinte ocasiones dará prueba de orgullo en la ocasión número veintiuno, precisamente la única en que sería útil no atrincherarse en una actitud arrogante y disipar un error que, al no ser desmentido, se va arraigando en el adversario. En cuanto al aspecto mundano del incidente, corrió el rumor de que a monsieur de Charlus le habían echado de casa de los Verdurin cuando intentaba violar a un joven músico. Y no le extrañó a nadie que monsieur de Charlus no volviera a aparecer en casa de los Verdurin; cuando por casualidad se encontraba en alguna parte con alguno de los «fieles» de los que sospechara y a los que había insultado, éste le guardaba rencor al barón y el barón ni siquiera le saludaba, lo que no sorprendía a nadie, pues se comprendía muy bien que ningún miembro del pequeño clan quisiera hablar al barón.
Tandis que M. de Charlus, assommé sur le coup par les paroles que venait de prononcer Morel et l′attitude de la Patronne, prenait la pose de la nymphe en proie à la terreur panique, M. et Mme Verdurin s′étaient retirés vers le premier salon, comme en signe de rupture diplomatique, laissant seul M. de Charlus tandis que, sur l′estrade, Morel enveloppait son violon. « Tu vas nous raconter comment cela s′est passé, dit avidement Mme Verdurin à son mari. — Je ne sais pas ce que vous lui avez dit, il avait l′air tout ému, dit Ski, il a des larmes dans les yeux. » Feignant de ne pas avoir compris : « Je crois que ce que j′ai dit lui a été tout à fait indifférent », dit Mme Verdurin par un de ces manèges qui ne trompent pas, du reste, tout le monde, et pour forcer le sculpteur à répéter que Charlie pleurait, pleurs qui enivraient la Patronne de trop d′orgueil pour qu′elle voulût risquer que tel ou tel fidèle, qui pouvait avoir mal entendu, les ignorât. « Mais non, ce ne lui a pas été indifférent, puisque je voyais de grosses larmes qui brillaient dans ses yeux », dit le sculpteur sur un ton bas et souriant de confidence malveillante, tout en regardant de côté pour s′assurer que Morel était toujours sur l′estrade et ne pouvait pas écouter la conversation. Mais il y avait une personne qui l′entendait et dont la présence, aussitôt qu′on l′aurait remarquée, allait rendre à Morel une des espérances qu′il avait perdues. C′était la reine de Naples, qui, ayant oublié son éventail, avait trouvé plus aimable, en quittant une autre soirée où elle s′était rendue, de venir le rechercher elle-même. Elle était entrée tout doucement, comme confuse, s′apprêtant à s′excuser et à faire une courte visite maintenant qu′il n′y avait plus personne. Mais on ne l′avait pas entendue entrer, dans le feu de l′incident, qu′elle avait compris tout de suite et qui l′enflamma d′indignation. « Ski dit qu′il avait des larmes dans les yeux, as-tu remarqué cela ? Je n′ai pas vu de larmes. Ah ! si pourtant, je me rappelle, corrigea-t-elle dans la crainte que sa dénégation ne fût crue. Quant au Charlus, il n′en mène pas large, il devrait prendre une chaise, il tremble sur ses jambes, il va s′étaler », dit-elle avec un ricanement sans pitié. À ce moment Morel accourut vers elle : « Est-ce que cette dame n′est pas la reine de Naples ? demanda-t-il (bien qu′il sût que c′était elle) en montrant la souveraine qui se dirigeait vers Charlus. Après ce qui vient de se passer, je ne peux plus, hélas ! demander au baron de me présenter. — Attendez, je vais le faire », dit Mme Verdurin, et suivie de quelques fidèles, mais non de moi et de Brichot qui nous empressâmes d′aller demander nos affaires et de sortir, elle s′avança vers la Reine qui causait avec M. de Charlus. Celui-ci avait cru que la réalisation de son grand désir que Morel fût présenté à la reine de Naples ne pouvait être empêchée que par la mort improbable de la souveraine. Mais nous nous représentons l′avenir comme un reflet du présent projeté dans un espace vide, tandis qu′il est le résultat, souvent tout prochain, de causes qui nous échappent pour la plupart. Il n′y avait pas une heure de cela, et M. de Charlus eût tout donné pour que Morel ne fût pas présenté à la Reine. Mme Verdurin fit une révérence à la Reine. Voyant que celle-ci n′avait pas l′air de la reconnaître : « Je suis Mme Verdurin. Votre Majesté ne me reconnaît pas. — Très bien », dit la Reine en continuant si naturellement à parler à M. de Charlus, et d′un air si parfaitement absent que Mme Verdurin douta si c′était à elle que s′adressait ce « très bien » prononcé sur une intonation merveilleusement distraite, qui arracha à M. de Charlus, au milieu de sa douleur d′amant, un sourire de reconnaissance expert et friand en matière d′impertinence. Morel, voyant de loin les préparatifs de la présentation, s′était rapproché. La Reine tendit son bras à M. de Charlus. Contre lui aussi elle était fâchée, mais seulement parce qu′il ne faisait pas face plus énergiquement à de vils insulteurs. Elle était rouge de honte pour lui que les Verdurin osassent le traiter ainsi. La sympathie pleine de simplicité qu′elle leur avait témoignée, il y a quelques heures, et l′insolente fierté avec laquelle elle se dressait devant eux prenaient leur source au même point de son cœur. La Reine, en femme pleine de bonté, concevait la bonté d′abord sous la forme de l′inébranlable attachement aux gens qu′elle aimait, aux siens, à tous les princes de sa famille, parmi lesquels était M. de Charlus, ensuite à tous les gens de la bourgeoisie ou du plus humble peuple qui savaient respecter ceux qu′elle aimait et avoir pour eux de bons sentiments. C′était en tant qu′à une femme douée de ces bons instincts qu′elle avait manifesté de la sympathie à Mme Verdurin. Et, sans doute, c′est là une conception étroite, un peu tory et de plus en plus surannée de la bonté. Mais cela ne signifie pas que la bonté fût moins sincère et moins ardente chez elle. Les anciens n′aimaient pas moins fortement le groupement humain auquel ils se dévouaient parce que celui-ci n′excédait pas les limites de la cité, ni les hommes d′aujourd′hui la patrie, que ceux qui aimeront les États-Unis de toute la terre. Tout près de moi, j′ai eu l′exemple de ma mère que Mme de Cambremer et Mme de Guermantes n′ont jamais pu décider à faire partie d′aucune œuvre philanthropique, d′aucun patriotique ouvroir, à être jamais vendeuse ou patronnesse. Je suis loin de dire qu′elle ait eu raison de n′agir que quand son cœur avait d′abord parlé et de réserver à sa famille, à ses domestiques, aux malheureux que le hasard mit sur son chemin, ses richesses d′amour et de générosité ; mais je sais bien que celles-là, comme celles de ma grand′mère, furent inépuisables et dépassèrent de bien loin tout ce que purent et firent jamais Mme de Guermantes ou de Cambremer. Le cas de la reine de Naples était entièrement différent, mais enfin il faut reconnaître que les êtres sympathiques n′étaient pas du tout conçus par elle comme ils le sont dans ces romans de Dostoski qu′Albertine avait pris dans ma bibliothèque et accaparés, c′est-à-dire sous les traits de parasites flagorneurs, voleurs, ivrognes, tantôt plats et tantôt insolents, débauchés, au besoin assassins. D′ailleurs, les extrêmes se rejoignent, puisque l′homme noble, le proche, le parent outragé que la Reine voulait défendre, était M. de Charlus, c′est-à-dire, malgré sa naissance et toutes les parentés qu′il avait avec la Reine, quelqu′un dont la vertu s′entourait de beaucoup de vices. « Vous n′avez pas l′air bien, mon cher cousin, dit-elle à M. de Charlus. Appuyez-vous sur mon bras. Soyez sûr qu′il vous soutiendra toujours. Il est assez solide pour cela. » Puis levant fièrement les yeux devant elle (en face de qui, me raconta Ski, se trouvaient alors Mme Verdurin et Morel) : « Vous savez qu′autrefois à Gaète il a déjà tenu en respect la canaille. Il saura vous servir de rempart. » Et c′est ainsi, emmenant à son bras le baron, et sans s′être laissé présenter Morel, que sortit la glorieuse sœur de l′impératrice Élisabeth. On pouvait croire, avec le caractère terrible de M. de Charlus, les persécutions dont il terrorisait jusqu′à ses parents, qu′il allait, à la suite de cette soirée, déchaîner sa fureur et exercer des représailles contre les Verdurin. Nous avons vu pourquoi il n′en fut rien tout d′abord. Puis le baron, ayant pris froid à quelque temps de là et contracté une de ces pneumonies infectieuses qui furent très fréquentes alors, fut longtemps jugé par ses médecins, et se jugea lui-même, comme à deux doigts de la mort, et resta plusieurs mois suspendu entre elle et la vie. Y eut-il simplement une métastase physique, et le remplacement par un mal différent de la névrose, qui l′avait jusque-là fait s′oublier jusque dans des orgies de colère ? Car il est trop simple de croire que, n′ayant jamais pris au sérieux, du point de vue social, les Verdurin, mais ayant fini par comprendre le rôle qu′ils avaient joué, il ne pouvait leur en vouloir comme à ses pairs ; trop simple aussi de rappeler que les nerveux, irrités à tout propos, contre des ennemis imaginaires et inoffensifs, deviennent, au contraire, inoffensifs dès que quelqu′un prend contre eux l′offensive, et qu′on les calme mieux en leur jetant de l′eau froide à la figure qu′en tâchant de leur démontrer l′inanité de leurs griefs. Ce n′est probablement pas dans une métastase qu′il faut chercher l′explication de cette absence de rancune, bien plutôt dans la maladie elle-même. Elle causait de si grandes fatigues au baron qu′il lui restait peu de loisir pour penser aux Verdurin. Il était à demi mourant. Nous parlions d′offensive ; même celles qui n′auront que des effets posthumes requièrent, si on les veut « monter » convenablement, le sacrifice d′une partie de ses forces. Il en restait trop peu à M. de Charlus pour l′activité d′une préparation. On parle souvent d′ennemis mortels qui rouvrent les yeux pour se voir réciproquement à l′article de la mort et qui les referment heureux. Ce cas doit être rare, excepté quand la mort nous surprend en pleine vie. C′est, au contraire, au moment où on n′a plus rien à perdre qu′on ne s′embarrasse pas des risques que, plein de vie, on eût assumés légèrement. L′esprit de vengeance fait partie de la vie, il nous abandonne le plus souvent — malgré des exceptions qui, au sein d′un même caractère, on le verra, sont d′humaines contradictions — au seuil de la mort. Après avoir pensé un instant aux Verdurin, M. de Charlus se sentait trop fatigué, se retournait contre son mur et ne pensait plus à rien. S′il se taisait souvent ainsi, ce n′est pas qu′il eût perdu son éloquence. Elle coulait encore de source, mais avait changé. Détachée des violences qu′elle avait ornées si souvent, ce n′était plus qu′une éloquence quasi mystique qu′embellissaient des paroles de douceur, des paraboles de l′Évangile, une apparente résignation à la mort. Il parlait surtout les jours où il se croyait sauvé. Une rechute le faisait taire. Cette chrétienne douceur, où s′était transposée sa magnifique violence (comme en Esther le génie si différent d′Andromaque), faisait l′admiration de ceux qui l′entouraient. Elle eût fait celle des Verdurin eux-mêmes, qui n′auraient pu s′empêcher d′adorer un homme que ses défauts leur avaient fait haî°® Certes, des pensées qui n′avaient de chrétien que l′apparence surnageaient. Il implorait l′Archange Gabriel de venir lui annoncer, comme au prophète, dans combien de temps lui viendrait le Messie. Et s′interrompant d′un doux sourire douloureux, il ajoutait : « Mais il ne faudrait pas que l′Archange me demandât, comme à Daniel, de patienter « sept semaines et soixante-deux semaines », car je serai mort avant. » Celui qu′il attendait ainsi était Morel. Aussi demandait-il aussi à l′Archange Raphaël de le lui ramener comme le jeune Tobie. Et, mêlant des moyens plus humains (comme les Papes malades qui, tout en faisant dire des messes, ne négligent pas de faire appeler leur médecin), il insinuait à ses visiteurs que si Brichot lui ramenait rapidement son jeune Tobie, peut-être l′Archange Raphaël consentirait-il à lui rendre la vue comme au père de Tobie, ou comme dans la piscine probatique de Bethsa. Mais, malgré ces retours humains, la pureté morale des propos de M. de Charlus n′en était pas moins devenue délicieuse. Vanité, médisance, folie de méchanceté et d′orgueil, tout cela avait disparu. Moralement M. de Charlus s′était élevé bien au-dessus du niveau où il vivait naguère. Mais ce perfectionnement moral, sur la réalité duquel son art oratoire était, du reste, capable de tromper quelque peu ses auditeurs attendris, ce perfectionnement disparut avec la maladie qui avait travaillé pour lui. M. de Charlus redescendit sa pente avec une vitesse que nous verrons progressivement croissante. Mais l′attitude des Verdurin envers lui n′était déjà plus qu′un souvenir un peu éloigné que des colères plus immédiates empêchèrent de se raviver. Mientras monsieur de Charlus, anonadado por las palabras que acababa de pronunciar Morel y por la actitud de la patrona, parecía una ninfa presa de terror pánico, monsieur y madame Verdurin se retiraron al primer salón, como en señal de ruptura diplomática, dejando solo a monsieur de Charlus, y Morel, en el estrado, metía su violín en el estuche. -Cuéntanos cómo fue -dijo ávidamente madame Verdurin a su marido. -No sé qué le dijo usted, pero parecía impresionadísimo -intervino Ski-; se le saltaban las lágrimas. -Creo que lo que he dicho yo le ha sido completamente indiferente -dijo madame Verdurin fingiendo no haber entendido, con uno de esos manejos que, por lo demás, no engañan a todo el mundo y para obligar al escultor a repetir que Charlie lloraba, lágrimas que enorgullecían demasiado a la patrona para que quisiera arriesgarse a que las ignorara alguno de los fieles que podía no haber oído bien. No, no, al contrario, le brillaban unos buenos lagrimones -dijo el escultor en voz baja y con sonriente gesto de confidencia mal intencionado, sin dejar de mirar de reojo para cerciorarse de que Morel seguía en el estrado y no podía oír la conversación. Pero había una persona que la oía y cuya presencia iba a devolver a Morel, nada más verla, una de las esperanzas que había perdido. Era la reina de Nápoles, que al darse cuenta de que había olvidado el abanico le había parecido más amable volver ella misma a buscarlo, dejando para ello la otra fiesta. Entró calladamente, como confusa, dispuesta a pedir perdón y a hacer una breve visita ahora que no quedaba nadie. Pero en el calor del incidente, que ella comprendió en seguida y que la indignó, no la oyeron entrar. -Dice Ski que tenía lágrimas en los ojos; ¿te fijaste tú en eso? Yo no he visto esas lágrimas. ¡Ah, sí, es verdad, ahora me acuerdo! -corrigió, temiendo que su denegación fuera creída-. Y Charlus está hecho un guiñapo, debía buscar una silla, le tiemblan las piernas, se va a caer redondo -dijo burlándose despiadadamente. En este momento corrió Morel hacia ella. -¿No es esa señora la reina de Nápoles? -preguntó (aunque sabía que era ella) señalando a la soberana que se dirigía hacia Charlus-. Después de lo ocurrido, ya no puedo pedir al barón que me presente a ella. -Espere, le presentaré yo -dijo madame Verdurin, y seguida por algunos fieles, pero no por mí ni por Brichot, que nos apresuramos a pedir nuestros abrigos y a marcharnos, se dirigió hacia la reina, que estaba hablando con monsieur de Charlus. Había creído éste que la realización de su gran deseo de que Morel fuera presentado a la reina de Nápoles sólo podía impedirla la muerte, improbable, de la soberana. Pero nos representamos el futuro como un reflejo del presente proyectado en un espacio vacío, cuando es el resultado, a veces muy inmediato, de causas que en su mayor parte ignoramos. No hacía de aquello ni una hora, y monsieur de Charlus lo habría dado todo por que Morel no fuera presentado a la reina. Madame Verdurin hizo a ésta una reverencia. Al ver que la reina no parecía reconocerla, dijo-: Soy madame Verdurin. ¿No me reconoce vuestra majestad? -Muy bien -dijo la reina, y siguió hablando a monsieur de Charlus con tanta naturalidad y con un aire tan perfectamente distraído que madame Verdurin dudó si era a ella a quien se dirigía aquel «muy bien» pronunciado en un tono maravillosamente distraído que a monsieur de Charlus, experto y goloso catador en materia de impertinencias, le arrancó, en medio de su dolor de amante, una sonrisa de gratitud. Morel, al ver de lejos los preparativos de la presentación, se acercó. La reina ofreció su brazo a monsieur de Charlus. También con él estaba enfadada, pero sólo porque no hacía frente con más energía a los villanos que le habían insultado. Estaba roja de vergüenza por él, de que los Verdurin osaran tratarle así. La simpatía que con tanta sencillez les había demostrado unas horas antes y la insolente altivez con que ahora se erguía ante ellos nacían del mismo punto de su corazón. La reina era una mujer muy buena, pero la bondad la concebía sobre todo en forma de una lealtad inquebrantable a las personas que quería, a los suyos, a todos los príncipes de su familia, entre los cuales figuraba monsieur de Charlus, y luego a todas las personas de la burguesía o del pueblo más humilde que sabían respetar a los que ella amaba, tener para ellos buenos sentimientos. Si había mostrado simpatía a madame Verdurin, era porque la creía dotada de estos buenos instintos. Desde luego es un concepto estrecho, un poco tory y cada vez más anticuado de la bondad; pero esto no quiere decir que su bondad fuera menos sincera y menos ardiente. Los antiguos no amaban menos al grupo humano al que se consagraban porque ese grupo no rebasara los límites de la ciudad, ni los hombres de hoy aman menos a la patria que los que amarán a los Estados Unidos de toda la tierra. Muy cerca de mí he tenido el ejemplo de mi madre, a la que madame de Cambremer y madame de Guermantes no pudieron nunca decidir a formar parte de ninguna obra filantrópica, de ningún ropero patriótico, a vender papeletas en fiestas benéficas. No quiero decir que tuviera razón en no actuar más que cuando se lo dictaba el corazón y en reservar a su familia, a sus domésticos, a los desdichados que el azar pusiera en su camino, sus riquezas de amor y generosidad; pero sé muy bien que estas riquezas, como las de mi abuela, fueron inagotables y superaron con mucho todo lo que pudieran hacer e hicieron madame de Guermantes o madame de Cambremer. El caso de la reina de Nápoles era muy diferente, pero de todos modos hay que reconocer que ella no concebía los seres simpáticos como se conciben en esas novelas de Dostoievsky que Albertina había cogido de mi biblioteca y había acaparado, es decir, en figura de parásitos adulones, ladrones, borrachos, tan pronto serviles como insolentes, facinerosos, asesinos si llega el caso. Por lo demás, los extremos se tocan, pues el hombre noble, el allegado, el pariente ultrajado que la reina quería defender era monsieur de Charlus, es decir, a pesar de su alcurnia y de todos los parentescos que tenía con la reina, una persona cuya virtud iba escoltada por muchos vicios. -Parece que no está usted bien, querido primo -dijo la reina a monsieur de Charlus-. Apóyese en mi brazo. Tenga la seguridad de que le sostendrá siempre. Es bastante firme para eso -y levantando altivamente los ojos ante ella (donde se encontraban entonces, según me contó Ski, madame Verdurin y Morel)-: Ya sabe que en otro tiempo, en Gaeta, este brazo tuvo a raya a la plebe. Sabrá servirle a usted de fortaleza -y así, llevando del brazo al barón y sin dejar que le presentaran a Morel, salió la gloriosa hermana de la emperatriz Isabel. Conociendo el carácter terrible de monsieur de Charlus, las persecuciones con que aterrorizaba hasta a parientes suyos, se podría creer que después de aquella noche iba a desencadenar su furia y a ejercer represalias contra los Verdurin. Pues no ocurrió así, y la causa principal de que no ocurriera fue seguramente que el barón cogió frío a los pocos días, contrajo una de esas neumonías infecciosas muy frecuentes entonces y durante mucho tiempo los médicos le creyeron y se creyó él mismo a dos dedos de la muerte, permaneciendo varios meses entre ésta y la vida. ¿Fue simplemente metástasis física y la sustitución por un mal diferente de la neurosis que hasta entonces le había llevado hasta a orgías de cólera? Pues es demasiado sencillo creer que, como nunca había tomado en serio a los Verdurin en el aspecto social, no podía guardarles rencor como si se tratara de gentes de su clase; también demasiado sencillo recordar a este propósito que los nerviosos, irritados a cada paso contra enemigos imaginarios e inofensivos, se vuelven, en cambio, inofensivos cuando alguien toma contra ellos la ofensiva, y que es más fácil calmarlos echándoles agua fría a la cara que procurando demostrarles la inanidad de sus agravios. Pero probablemente la explicación de esta falta de rencor no hay que buscarla en una metástasis, sino más bien en la enfermedad misma, pues causaba al barón tan grandes fatigas que le quedaba poco tiempo para pensar en los Verdurin. Estaba medio muerto. Hablábamos de ofensivas; hasta las que no tendrán sino efectos póstumos requieren, para «montarlas convenientemente», el sacrificio de una parte de nuestras fuerzas. A monsieur de Charlus le quedaban demasiado pocas para el trabajo de una preparación. Se suele hablar de enemigos de por vida que, in articulo mortis, los dos al mismo tiempo, abren los ojos para verse recíprocamente y los vuelven a cerrar felices. Este caso debe de ser raro, excepto cuando la muerte nos sorprende en plena vida. Cuando ya no queda nada que perder, se evitan riesgos que en plena vida se asumirían despreocupadamente. El espíritu de venganza forma parte de la vida: aparte algunas excepciones que, dentro de un mismo carácter, son, como se verá, humanas contradicciones, nos abandona, por lo general, en el umbral de la muerte. Monsieur de Charlus, después de pensar un instante en los Verdurin, se volvía contra la pared y ya no pensaba en nada. No es que hubiera perdido su elocuencia, sino que la de ahora le pedía menos esfuerzos. Todavía le manaba, pero había cambiado. Desprovista de las violencias que tan a menudo la adornaran, ahora ya no era más que una elocuencia casi mística embellecida por palabras dulces, por parábolas del Evangelio, por una aparente resignación a la muerte. Hablaba sobre todo los días en que se creía salvado. Una recaída le hacía callar. Esta cristiana dulzura en que se había transmutado su magnífica violencia (como en Esther el genio, tan diferente, de Andromaque) causaba admiración a los que le rodeaban. Se la hubiera causado hasta a los Verdurin, que no hubieran podido menos de venerar a un hombre al que por sus defectos habían odiado. Claro que sobrenadaban unos pensamientos que no tenían nada de cristianos. Pedía al arcángel Gabriel que viniera a anunciarle, como al profeta, cuándo llegaría el Mesías. Y añadía, interrumpiéndose con una dulce sonrisa dolorosa: «Pero que no venga el Arcángel a pedirme, como a Daniel, que espere "siete semanas y sesenta y dos semanas", pues me moriré antes». El Mesías que monsieur de Charlus esperaba era Morel. Por eso pedía también al arcángel Rafael que se lo trajera como trajo al joven Tobías. Y mezclando otros medios más humanos (como los papas enfermos, que al mismo tiempo que mandan decir misas no dejan de llamar a su médico), insinuaba a sus visitantes que si Brichot le traía en seguida a su joven Tobías, acaso el arcángel Rafael consintiera en devolverle la vista como al padre de Tobías, o en la piscina probática de Betsaida. Mas, a pesar de estos retornos a lo humano, no era menos deliciosa la pureza moral de las palabras de monsieur de Charlus. Vanidad, maledicencia, arrebatos de maldad y de orgullo, todo esto había desaparecido. Moralmente, monsieur de Charlus se había elevado muy por encima del nivel en que antes viviera. Pero este perfeccionamiento moral, sobre cuya realidad su arte oratorio era capaz, por otra parte, de engañar un poco a sus enternecidos auditores, este perfeccionamiento desapareció al desaparecer la enfermedad que había actuado por él. Como veremos, monsieur de Charlus volvió a bajar la cuesta con una rapidez progresivamente creciente. Pero la actitud de los Verdurin hacia él era ya sólo un recuerdo un poco lejano que unas iras más inmediatas impidieron que se reavivara.
Pour revenir en arrière, à la soirée Verdurin, quand les maîtres de maison furent seuls, M. Verdurin dit à sa femme : « Tu sais où est allé Cottard ? Il est auprès de Saniette dont le coup de bourse pour se rattraper a échoué. En arrivant chez lui tout à l′heure, après nous avoir quittés, en apprenant qu′il n′avait plus un franc et qu′il avait près d′un million de dettes, Saniette a eu une attaque. — Mais aussi pourquoi a-t-il joué, c′est idiot, il est l′être le moins fait pour ça. De plus fins que lui y laissent leurs plumes, et lui était destiné à se laisser rouler par tout le monde. — Mais, bien entendu, il y a longtemps que nous savons qu′il est idiot, dit M. Verdurin. Mais enfin le résultat est là. Voilà un homme qui sera mis demain à la porte par son propriétaire, qui va se trouver dans la dernière misère ; ses parents ne l′aiment pas, ce n′est pas Forcheville qui fera quelque chose pour lui. Alors j′avais pensé, je ne veux rien faire qui te déplaise, mais nous aurions peut-être pu lui faire une petite rente pour qu′il ne s′aperçoive pas trop de sa ruine, qu′il puisse se soigner chez lui. — Je suis tout à fait de ton avis, c′est très bien de ta part d′y avoir pensé. Mais tu dis « chez lui » ; cet imbécile a gardé un appartement trop cher, ce n′est plus possible, il faudrait lui louer quelque chose avec deux pièces. Je crois qu′actuellement il a encore un appartement de six à sept mille francs. — Six mille cinq cents. Mais il tient beaucoup à son chez lui. En somme, il a eu une première attaque, il ne pourra guère vivre plus de deux ou trois ans. Mettons que nous dépensions dix mille francs pour lui pendant trois ans. Il me semble que nous pourrions faire cela. Nous pourrions, par exemple, cette année, au lieu de relouer la Raspelière, prendre quelque chose de plus modeste. Avec nos revenus, il me semble que sacrifier chaque année dix mille francs pendant trois ans ce n′est pas impossible. — Soit, seulement l′ennui c′est que ça se saura, ça obligera à le faire pour d′autres. — Tu peux croire que j′y ai pensé. Je ne le ferai qu′à la condition expresse que personne ne le sache. Merci, je n′ai pas envie que nous soyons obligés de devenir les bienfaiteurs du genre humain. Pas de philanthropie ! Ce qu′on pourrait faire, c′est de lui dire que cela lui a été laissé par la princesse Sherbatoff. — Mais le croira-t-il ? Elle a consulté Cottard pour son testament. — À l′extrême rigueur, on peut mettre Cottard dans la confidence, il a l′habitude du secret professionnel, il gagne énormément d′argent, ce ne sera jamais un de ces officieux pour qui on est obligé de casquer. Il voudra même peut-être se charger de dire que c′est lui que la princesse avait pris comme intermédiaire. Comme ça nous ne paraîtrions même pas. Ça éviterait l′embêtement des scènes de remerciements, des manifestations, des phrases. » M. Verdurin ajouta un mot qui signifiait évidemment ce genre de scènes touchantes et de phrases qu′ils désiraient éviter. Mais il n′a pu m′être dit exactement, car ce n′était pas un mot français, mais un de ces termes comme on en a dans certaines familles pour désigner certaines choses, surtout des choses agaçantes, probablement parce qu′on veut pouvoir les signaler devant les intéressés sans être compris ! Ce genre d′expressions est généralement un reliquat contemporain d′un état antérieur de la famille. Dans une famille juive, par exemple, ce sera un terme rituel détourné de son sens, et peut-être le seul mot hébreu que la famille, maintenant francisée, connaisse encore. Dans une famille très fortement provinciale, ce sera un terme du patois de la province, bien que la famille ne parle plus et ne comprenne même plus le patois. Dans une famille venue de l′Amérique du Sud et ne parlant plus que le français, ce sera un mot espagnol. Et, à la génération suivante, le mot n′existera plus qu′à titre de souvenir d′enfance. On se rappellera bien que les parents, à table, faisaient allusion aux domestiques qui servaient sans être compris d′eux, en disant tel mot, mais les enfants ignorent ce que voulait dire au juste ce mot, si c′était de l′espagnol, de l′hébreu, de l′allemand, du patois, si même cela avait jamais appartenu à une langue quelconque et n′était pas un nom propre, ou un mot entièrement forgé. Le doute ne peut être éclairci que si on a un grand-oncle, un vieux cousin encore vivant, et qui a dû user du même terme. Comme je n′ai connu aucun parent des Verdurin, je n′ai pu restituer exactement le mot. Toujours est-il qu′il fit certainement sourire Mme Verdurin, car l′emploi de cette langue moins générale, plus personnelle, plus secrète, que la langue habituelle donne à ceux qui en usent entre eux un sentiment égoî²´e qui ne va jamais sans une certaine satisfaction. Cet instant de gaîté passé : « Mais si Cottard en parle, objecta Mme Verdurin. — Il n′en parlera pas. » Il en parla, à moi du moins, car c′est par lui que j′appris ce fait quelques années plus tard, à l′enterrement même de Saniette. Je regrettai de ne l′avoir pas su plus tôt. D′abord cela m′eût acheminé plus rapidement à l′idée qu′il ne faut jamais en vouloir aux hommes, jamais les juger d′après tel souvenir d′une méchanceté car nous ne savons pas tout ce qu′à d′autres moments leur âme a pu vouloir sincèrement et réaliser de bon ; sans doute, la forme mauvaise qu′on a constatée une fois pour toutes reviendra, mais l′âme est bien plus riche que cela, a bien d′autres formes qui reviendront, elles aussi, chez ces hommes, et dont nous refusons la douceur à cause du mauvais procédé qu′ils ont eu. Ensuite, à un point de vue plus personnel, cette révélation de Cottard n′eût pas été sans effet sur moi, parce qu′en changeant mon opinion des Verdurin, cette révélation, s′il me l′eût faite plus tôt, eût dissipé les soupçons que j′avais sur le rôle que les Verdurin pouvaient jouer entre Albertine et moi, les eût dissipés, peut-être à tort du reste, car si M. Verdurin — que je croyais de plus en plus le plus méchant des hommes — avait des vertus, il n′en était pas moins taquin jusqu′à la plus féroce persécution et jaloux de domination dans le petit clan jusqu′à ne pas reculer devant les pires mensonges, devant la fomentation des haines les plus injustifiées, pour rompre entre les fidèles les liens qui n′avaient pas pour but exclusif le renforcement du petit groupe. C′était un homme capable de désintéressement, de générosités sans ostentation, cela ne veut pas dire forcément un homme sensible, ni un homme sympathique, ni scrupuleux, ni véridique, ni toujours bon. Une bonté partielle, où subsistait peut-être un peu de la famille amie de ma grand′tante, existait probablement chez lui, par ce fait, avant que je la connusse, comme l′Amérique ou le pôle Nord avant Colomb ou Peary. Néanmoins, au moment de ma découverte, la nature de M. Verdurin me présenta une face nouvelle insoupçonnée ; et je conclus à la difficulté de présenter une image fixe aussi bien d′un caractère que des sociétés et des passions. Car il ne change pas moins qu′elles et si on veut clicher ce qu′il a de relativement immuable, on le voit présenter successivement des aspects différents (impliquant qu′il ne sait pas garder l′immobilité, mais bouge) à l′objectif déconcerté. Volviendo atrás, en la fiesta de los Verdurin, cuando los dueños de la casa se quedaron solos, monsieur Verdurin dijo a su mujer: -¿Sabes por qué no ha venido Cottard? Está con Saniette, que ha fallado la jugada de Bolsa en que se metió para rehacerse. Cuando se enteró de que no le quedaba un franco y tenía cerca de un millón de deudas, le dio un ataque. -Pero ¿por qué jugó? Es idiota, Saniette no entiende nada de eso. Otros más listos que él se dejan las plumas, y él estaba destinado a que le engañara todo el mundo. -Pues claro, ya hace mucho tiempo que sabemos que es idiota -dijo monsieur Verdurin-. Pero, en fin, el resultado es ése: un hombre al que el casero echará mañana a la calle y que se va a encontrar en la última miseria; su familia no le quiere, no será Forcheville quien haga algo por él. Así que yo había pensado... Bueno, no quiero hacer nada que te desagrade, pero quizá podríamos pasarle una pequeña renta para que no se dé demasiado cuenta de su ruina, para que pueda cuidarse en su casa. -Estoy completamente de acuerdo, está muy bien que hayas pensado en eso. Pero dices «en su casa»; ese imbécil ha seguido viviendo en una casa demasiado cara y ya no es posible, habría que alquilarle algo de dos habitaciones. Creo que todavía vive en un piso de seis o siete mil francos. -Seis mil quinientos. Pero le tiene mucho cariño. Después de todo, esto que ha tenido es un primer ataque, no creo que pueda vivir más de dos o tres años. Supongamos que gastamos por él diez mil francos durante tres años. Creo que podríamos hacerlo. Por ejemplo, este año, en vez de volver a alquilar la Raspelière, podríamos tomar algo más modesto. Creo que con nuestras rentas no es imposible amortizar diez mil francos en tres años. -Bueno, pero lo malo es que se sabrá, y eso obligaría a hacerlo por otros. -Puedes creer que no había pensado en eso. Sólo lo haré con la expresa condición de que nadie se entere. ¡Estaría bueno!, no me haría ninguna gracia que nos viéramos obligados a ser los bienhechores del género humano. ¡Nada de filantropías! Lo que podríamos hacer es decirle que lo dejó la princesa Sherbatoff. -Pero ¿lo creería? La princesa consultó a Cottard para su testamento. -En último término, pondremos a Cottard en el secreto, tiene costumbre del secreto profesional, y como gana muchísimo dinero no será nunca uno de esos oficiosos a los que hay que soltarles la mosca. Y hasta puede que quiera encargarse de decir que la princesa le había tomado a él de intermediario. De ese modo, nosotros ni siquiera apareceremos para nada. Eso evitaría el fastidio de las escenas de gratitud, de las manifestaciones, de las frases. Monsieur Verdurin añadió una palabra que significaba evidentemente esa clase de escenas conmovedoras y de frases que deseaba evitar. Pero no me la pudieron decir exactamente, pues no era una palabra francesa, sino uno de esos términos que usan en las familias para designar ciertas cosas, sobre todo las cosas molestas, probablemente porque quieren poder señalarlas ante los interesados sin que éstos lo entiendan. Estas expresiones son generalmente un resto contemporáneo de un estado anterior de la familia. En una familia judía, por ejemplo, será un término ritual desviado de su sentido y quizá la única palabra hebrea que la familia, afrancesada ahora, conoce aún. En una familia arraigadamente provinciana, será una palabra del dialecto de la provincia, aunque la familia no hable ya y ni siquiera comprenda el dialecto. En una familia procedente de América del Sur y que no hable más que el francés, será una palabra española. Y en la generación siguiente esa palabra ya no existirá más que como un recuerdo de infancia. Se recordará que, en la mesa, los padres aludían a los criados que servían, sin que éstos los entendieran, diciendo tal palabra, pero los niños ignoran lo que quería decir exactamente esa palabra, si era del español, del hebreo, del alemán, del dialecto, y ni siquiera si había pertenecido alguna vez a una lengua cualquiera o era un nombre propio o una palabra enteramente inventada. Sólo se puede aclarar la duda si se tiene un tío abuelo, un pariente viejo que ha debido de emplear el mismo término. Como yo no he conocido a ningún pariente de los Verdurin, no pude reconstruir exactamente la palabra. El caso es que hizo reír a madame Verdurin, pues el empleo de esa lengua menos general, más personal, más secreta que la lengua habitual da a los que la usan entre ellos un sentimiento egoísta nunca exento de cierta satisfacción. Pasado este instante de regocijo, madame Verdurin objetó: -Pero ¿y si Cottard habla? -No hablará. Sí que habló, al menos a mí, pues por él supe lo ocurrido. Lo supe pasados unos años, precisamente en el entierro de Saniette. Sentí no haberlo sabido antes. En primer lugar, esto me hubiera llevado más rápidamente a la idea de que no se debe nunca tener antipatía a los hombres, juzgarlos por el recuerdo de una mala acción, pues no sabemos lo bueno que en otras ocasiones han podido querer sinceramente y quizá han realizado. De suerte que uno se equivoca, aun desde el simple punto de vista de la previsión. Pues la forma mala que hemos visto una vez por todas volverá, desde luego. Pero en el alma hay más, el alma tiene otras formas que también volverán en este hombre, y rechazamos la dulzura de esas formas por el mal proceder que tuvo. Mas, desde un punto de vista más personal, esa revelación de Cottard, si me la hubiera hecho antes, habría disipado mis sospechas sobre el papel que los Verdurin podían desempeñar entre Albertina y yo; por otra parte, las habrían disipado quizá indebidamente, pues si es verdad que monsieur Verdurin tenía virtudes, no por eso dejaba de ser amigo de pinchar hasta la más feroz persecución y celoso de dominación en el pequeño clan hasta el punto de no retroceder ante las peores mentiras, ante la provocación de los odios más injustificados, con tal de romper entre los fieles cualquier lazo que no tuviera por objeto exclusivo reforzar el pequeño grupo. Que fuera un hombre capaz de desinterés, de ciertas generosidades sin ostentación, no quiere decir forzosamente que fuese un hombre sensible, ni un hombre simpático, ni escrupuloso, ni verídico, ni siempre bueno. Una bondad parcial -en la que acaso subsistía un poco de la familia amiga de mi tía abuelaexistía probablemente en él antes de conocerla yo por aquel hecho, como existían América o el Polo Norte antes de Colón. Sin embargo, en el momento de mi descubrimiento, la índole de monsieur Verdurin me presentó un aspecto nuevo insospechado; y yo saqué la conclusión de que es difícil presentar una imagen fija, lo mismo de un carácter que de las sociedades y de las pasiones. Pues el carácter cambia no menos que ellas, y si queremos estereotipar lo que tiene de relativamente inmutable, vemos cómo presenta sucesivamente al desconcertado objetivo aspectos diferentes (lo que significa que no sabe permanecer inmóvil, sino que se mueve).




CHAPITRE TROISIèME

Disparition d′Albertine.

[III]

Voyant l′heure, et craignant qu′Albertine ne s′ennuyât, je demandai à Brichot, en sortant de la soirée Verdurin, qu′il voulût bien d′abord me déposer chez moi. Ma voiture le reconduirait ensuite. Il me félicita de rentrer ainsi directement (ne sachant pas qu′une jeune fille m′attendait à la maison), et de finir aussitôt, et avec tant de sagesse, une soirée dont, bien au contraire, je n′avais en réalité fait que retarder le véritable commencement. Puis il me parla de M. de Charlus. Celui-ci eût sans doute été stupéfait en entendant le professeur, si aimable avec lui, le professeur qui lui disait toujours : « Je ne répète jamais rien », parler de lui et de sa vie sans la moindre réticence. Et l′étonnement indigné de Brichot n′eût peut-être pas été moins sincère si M. de Charlus lui avait dit : « On m′a assuré que vous parliez mal de moi. » Brichot avait, en effet, du goût pour M. de Charlus et, s′il avait eu à se reporter à quelque conversation roulant sur lui, il se fût rappelé bien plutôt les sentiments de sympathie qu′il avait éprouvés à l′égard du baron, pendant qu′il disait de lui les mêmes choses qu′en disait tout le monde, que ces choses elles-mêmes. Il n′aurait pas cru mentir en disant : « Moi qui parle de vous avec tant d′amitié », puisqu′il ressentait quelque amitié, pendant qu′il parlait de M. de Charlus. Celui-ci avait surtout pour Brichot le charme que l′universitaire demandait avant tout dans la vie mondaine, et qui était de lui offrir des spécimens réels de ce qu′il avait pu croire longtemps une invention des poètes. Brichot, qui avait souvent expliqué la deuxième églogue de Virgile sans trop savoir si cette fiction avait quelque fond de réalité, trouvait sur le tard, à causer avec M. de Charlus, un peu du plaisir qu′il savait que ses maîtres M. Mérimée et M. Renan, son collègue M. Maspéro avaient éprouvé, voyageant en Espagne, en Palestine, en Égypte, à reconnaître, dans les paysages et les populations actuelles de l′Espagne, de la Palestine et de l′Égypte, le cadre et les invariables acteurs des scènes antiques qu′eux-mêmes dans les livres avaient étudiées. « Soit dit sans offenser ce preux de haute race, me déclara Brichot dans la voiture qui nous ramenait, il est tout simplement prodigieux quand il commente son catéchisme satanique avec une verve un tantinet charentonesque et une obstination, j′allais dire une candeur, de blanc d′Espagne et d′émigré. Je vous assure que, si j′ose m′exprimer comme Mgr d′Hulst, je ne m′embête pas les jours où je reçois la visite de ce féodal qui, voulant défendre Adonis contre notre âge de mécréants, a suivi les instincts de sa race, et, en toute innocence sodomiste, s′est croisé. » J′écoutais Brichot et je n′étais pas seul avec lui. Ainsi que, du reste, cela n′avait pas cessé depuis que j′avais quitté la maison, je me sentais, si obscurément que ce fût, relié à la jeune fille qui était en ce moment dans sa chambre. Même quand je causais avec l′un ou avec l′autre chez les Verdurin, je la sentais confusément à côté de moi, j′avais d′elle cette notion vague qu′on a de ses propres membres, et s′il m′arrivait de penser à elle, c′était comme on pense, avec l′ennui d′être lié par un entier esclavage, à son propre corps. « Et quelle potinière, reprit Brichot, à nourrir tous les appendices des Causeries du Lundi, que la conversation de cet apôtre ! Songez que j′ai appris par lui que le traité d′éthique où j′ai toujours révéré la plus fastueuse construction morale de notre époque avait été inspiré à notre vénérable collègue XÂ… par un jeune porteur de dépêches. N′hésitons pas à reconnaître que mon éminent ami a négligé de nous livrer le nom de cet éphèbe au cours de ses démonstrations. Il a témoigné en cela de plus de respect humain ou, si vous aimez mieux, de moins de gratitude que Phidias qui inscrivit le nom de l′athlète qu′il aimait sur l′anneau de son Jupiter Olympien. Le baron ignorait cette dernière histoire. Inutile de vous dire qu′elle a charmé son orthodoxie. Vous imaginez aisément que, chaque fois que j′argumenterai avec mon collègue à une thèse de doctorat, je trouve à sa dialectique, d′ailleurs fort subtile, le surcroît de saveur que de piquantes révélations ajoutèrent pour Sainte-Beuve à l′œuvre insuffisamment confidentielle de Chateaubriand. De notre collègue, dont la sagesse est d′or, mais qui possédait peu d′argent, le télégraphiste a passé aux mains du baron « en tout bien tout honneur » (il faut entendre le ton dont il le dit). Et comme ce Satan est le plus serviable des hommes, il a obtenu pour son protégé une place aux colonies, d′où celui-ci, qui a l′âme reconnaissante, lui envoie de temps à autre d′excellents fruits. Le baron en offre à ses hautes relations ; des ananas du jeune homme figurèrent tout dernièrement sur la table du quai Conti, faisant dire à Mme Verdurin, qui, à ce moment, n′y mettait pas malice : « Vous avez donc un oncle ou un neveu d′Amérique, M. de Charlus, pour recevoir des ananas pareils ! » J′avoue que, si j′avais alors su la vérité, je les eusses mangés avec une certaine gaieté en me récitant in petto le début d′une ode d′Horace que Diderot aimait à rappeler. En somme, comme mon collègue Boissier, déambulant du Palatin à Tibur, je prends dans la conversation du baron, une idée singulièrement plus vivante et plus savoureuse des écrivains du siècle d′Auguste. Ne parlons même pas de ceux de la Décadence, et ne remontons pas jusqu′aux Grecs, bien que j′aie dit à cet excellent M. de Charlus qu′auprès de lui je me faisais l′effet de Platon chez Aspasie. À vrai dire, j′avais singulièrement grandi l′échelle des deux personnages et, comme dit La Fontaine, mon exemple était tiré « d′animaux plus petits ». Quoi qu′il en soit, vous ne supposez pas, j′imagine, que le baron ait été froissé. Jamais je ne le vis si ingénument heureux. Une ivresse d′enfant le fit déroger à son flegme aristocratique. « Quels flatteurs que tous ces sorbonnards ! s′écriait-il avec ravissement. Dire qu′il faut que j′aie attendu d′être arrivé à mon âge pour être comparé à Aspasie ! Un vieux tableau comme moi ! Ô ma jeunesse ! » J′aurais voulu que vous le vissiez disant cela, outrageusement poudré à son habitude, et, à son âge, musqué comme un petit-maître. Au demeurant, sous ses hantises de généalogie, le meilleur homme du monde. Pour toutes ces raisons je serais désolé que la rupture de ce soir fût définitive. Ce qui m′a étonné, c′est la façon dont le jeune homme s′est rebiffé. Il avait pourtant pris, depuis quelque temps, en face du baron, des manières de séide, des façons de leude qui n′annonçaient guère cette insurrection. J′espère qu′en tous cas, même si (Dii omen avertant) le baron ne devait plus retourner quai Conti, ce schisme ne s′étendrait pas jusqu′à moi. Nous avons l′un et l′autre trop de profit à l′échange que nous faisons de mon faible savoir contre son expérience. (On verra que si M. de Charlus, après avoir vainement souhaité qu′il lui ramenât Morel, ne témoigna pas de violente rancune à Brichot, du moins sa sympathie pour l′universitaire tomba assez complètement pour lui permettre de le juger sans aucune indulgence.) Et je vous jure bien que l′échange est si inégal que, quand le baron me livre ce que lui a enseigné son existence, je ne saurais être d′accord avec Sylvestre Bonnard, que c′est encore dans une bibliothèque qu′on fait le mieux le songe de la vie. » Al salir de casa de los Verdurin y ver la hora que era, temiendo que Albertina se aburriera, pedí a Brichot que me hiciera el favor de dejarme en mi casa. Luego le llevaría a él mi coche. Me felicitó por volver directamente a casa, pues no sabía que en ella me esperaba una muchacha, y terminar la noche pronto y juiciosamente, cuando la verdad era que yo no había hecho sino retrasar su verdadero comienzo. Después me habló de monsieur de Charlus. Seguramente éste se hubiera quedado estupefacto oyendo al profesor, tan amable con él -al profesor que le decía siempre: «Yo no repito nunca nada»-, hablar de él y de su vida sin la menor reticencia. Y quizá no habría sido menos sincero el asombro indignado de Brichot si monsieur de Charlus le hubiera dicho: «Me han asegurado que ha hablado usted mal de mí». Brichot sentía, en realidad, simpatía por monsieur de Charlus y si, hablando con el barón, hubiera tenido que referirse a una conversación sobre él, habría recordado aquellos sentimientos de simpatía que experimentara mientras decía de él las mismas cosas que decía todo el mundo, mucho más que estas cosas mismas. Y no creería mentir diciéndole: «Yo, que hablo de usted con tanto afecto», puesto que sentía de verdad cierto afecto cuando hablaba de monsieur de Charlus. Para monsieur Brichot, el barón tenía, sobre todo, el encanto que el universitario pedía en primer término en la vida mundana: ofrecerle specimens reales de lo que durante mucho tiempo había podido creer invención de los poetas. Brichot, que había explicado muchas veces la segunda égloga de Virgilio sin saber muy bien si esta ficción tenía algún fondo de realidad, hablando con monsieur de Charlus encontraba con retraso un poco del placer que él sabía que sus maestros Mérimée y Renan y su colega Maspéro sintieron, viajando por España, por Palestina, por Egipto, al reconocer en los paisajes y en las poblaciones actuales de España, de Palestina y de Egipto el escenario y los invariables actores de las escenas antiguas que ellos estudiaran en los libros. «Dicho sea sin ofender a ese gran hombre de alta alcurnia - me dijo Brichot en el coche que nos llevaba a casa-, es simplemente prodigioso cuando comenta su satánico catecismo con una labia un tanto charentonesque y una obstinación, iba a decir un candor, de blanco de España y de emigrado. Le aseguro, si se me permite expresarme como monseñor de Hulst, que no me aburro cuando recibo la visita de ese señor feudal que, queriendo defender a Adonis contra nuestra época de descreídos, ha seguido los instintos de su raza, y con toda inocencia sodomista, se ha cruzado.» Mientras escuchaba a Brichot, no estaba sólo con él. Como, por lo demás, había ocurrido todo el tiempo desde que salí de casa, me sentía, aunque fuera oscuramente, con la muchacha que en aquel momento estaba en mi cuarto. Incluso cuando estaba hablando con uno o con otro en casa de los Verdurin la sentía confusamente junto a mí, tenía de ella esa vaga noción que sentimos de nuestros propios miembros, y cuando pensaba en ella, era como se piensa en el propio cuerpo, con el fastidio de estar atado a él por una absoluta esclavitud. «Y qué chismografía -prosiguió Brichot- la conversación de ese apóstol. ¡Como para alimentar todos los apéndices de las Causeries du Lundi! Figúrese que me he enterado por él de que el tratado de ética en el que admiré siempre la más fastuosa construcción moral de nuestra época se lo inspiró a nuestro venerable colega X... un joven repartidor de telegramas. Tenemos que reconocer que nuestro eminente amigo no nos ha dicho el nombre de ese efebo en el curso de sus demostraciones. En esto ha demostrado más respeto humano, o, si usted lo prefiere, menos gratitud que Fidias, pues Fidias inscribió en el anillo de su Júpiter Olímpico el nombre del atleta que él amaba. El barón ignoraba esta historia. Huelga decir que encantó a su ortodoxia. Ya se imagina usted que cada vez que argumento con mi colega en una tesis doctoral encuentro en su dialéctica, por lo demás muy sutil, ese grano de pimienta que ciertas picantes revelaciones añadieron para Sainte- Beuve a la obra insuficientemente confidencial de Chateaubriand. De nuestro colega, que tenía una prudencia de oro, pero poco dinero, el telegrafista pasó a manos del barón en tout bien tout honneur (era de oír el tono con que lo dijo). Y como ese Satanás es el más servicial de los hombres, obtuvo para su protegido un empleo en las colonias, desde donde el ex repartidor de telegramas, que es agradecido, le envía de cuando en cuando excelentes frutas. El barón las regala a sus altas relaciones; en la mesa del Quai Conti figuraron últimamente unas piñas de ese mozo que hicieron decir a madame Verdurin, y sin poner malicia en ello: "Seguramente tiene usted un tío o un sobrino en América, monsieur de Charlus, para recibir piñas como éstas." Confieso que las comí con cierto gozo recitándome in petto el principio de una oda de Horacio que Diderot gustaba de recordar. En fin, que yo, como mi colega Broissier deambulando del Palatino a Tibur, saco de la conversación del barón una idea más viva y más sabrosa de los escritores del siglo de Augusto. No hablemos siquiera de los de la Decadencia ni nos remontemos hasta los griegos, aunque una vez le dije a ese excelente monsieur de Charlus que junto a él yo me sentía como Platón con Aspasia. A decir verdad, aumenté mucho la escala de los dos personajes y, como dice La Fontaine, tomé el ejemplo "de animales más pequeños". De todos modos, no vaya usted a creer que el barón se ofendió. Nunca le vi tan ingenuamente contento. Una alegría de niño le hizo apearse de su flema aristocrática. "¡Qué lisonjeros son todos estos de la Sorbona! -exclamó entusiasmado-. ¡Pensar que he tenido que llegar a mi edad para que me comparen con Aspasia! ¡Un cuadro antiguo como yo! ¡Oh mi juventud!" Me hubiera gustado que le viera usted diciendo esto, escandalosamente empolvado como de costumbre y, a su edad, amanerado como un petimetre. Por lo demás, con todas sus obsesiones de genealogía, el mejor hombre del mundo. Por todas estas razones, yo sentiría muchísimo que la ruptura de esta noche fuera definitiva. Lo que me extrañó fue la manera como se rebeló el mozo. Sin embargo, desde hacía algún tiempo había tomado ante el barón ciertas maneras de cómplice, de leude, que no permitían esperar esta insurrección. Espero que, en todo caso, aunque el barón (Di¡ omen avertant) no vuelva más al Quai Conti, el cisma no me alcanzará a mí. A los dos nos es muy provechoso el intercambio que hacemos de mi escaso saber contra su experiencia -ya veremos que, aunque monsieur de Charlus no le mostró a Brichot un rencor violento, al menos su simpatía por el universitario disminuyó lo bastante para llegar a juzgarle sin ninguna indulgencia-. Y le aseguro que el intercambio es tan desigual que, cuando el barón me da lo que su existencia le ha enseñado, yo no podría decir, con Sylvestre Bonnard, que donde mejor se piensa en la vida es en una biblioteca.»
Nous étions arrivés devant la porte. Je descendis de voiture pour donner au cocher l′adresse de Brichot. Du trottoir je voyais la fenêtre de la chambre d′Albertine, cette fenêtre, autrefois toujours noire, le soir, quand elle n′habitait pas la maison, que la lumière électrique de l′intérieur, segmentée par les pleins des volets, striait de haut en bas de barres d′or parallèles. Ce grimoire magique, autant il était clair pour moi et dessinait devant mon esprit calme des images précises, toutes proches et en possession desquelles j′allais entrer tout à l′heure, autant il était invisible pour Brichot resté dans la voiture, presque aveugle, et autant il eût, d′ailleurs, été incompréhensible pour lui, même voyant, puisque, comme les amis qui venaient me voir avant le dîner quand Albertine était rentrée de promenade, le professeur ignorait qu′une jeune fille toute à moi m′attendait dans une chambre voisine de la mienne. La voiture partit. Je restai un instant seul sur le trottoir. Certes, ces lumineuses rayures que j′apercevais d′en bas et qui à un autre eussent semblé toutes superficielles, je leur donnais une consistance, une plénitude, une solidité extrêmes, à cause de toute la signification que je mettais derrière elles, en un trésor insoupçonné des autres que j′avais caché là et dont émanaient ces rayons horizontaux, trésor si l′on veut, mais trésor en échange duquel j′avais aliéné la liberté, la solitude, la pensée. Si Albertine n′avait pas été là-haut, et même si je n′avais voulu qu′avoir du plaisir, j′aurais été le demander à des femmes inconnues, dont j′eusse essayé de pénétrer la vie, à Venise peut-être, à tout le moins dans quelque coin de Paris nocturne. Mais maintenant, ce qu′il me fallait faire quand venait pour moi l′heure des caresses, ce n′était pas partir en voyage, ce n′était même plus sortir, c′était rentrer. Et rentrer non pas pour se trouver seul, et, après avoir quitté les autres qui vous fournissaient du dehors l′aliment de votre pensée, se trouver au moins forcé de la chercher en soi-même, mais, au contraire, moins seul que quand j′étais chez les Verdurin, reçu que j′allais être par la personne en qui j′abdiquais, en qui je remettais le plus complètement la mienne, sans que j′eusse un instant le loisir de penser à moi, ni même la peine, puisqu′elle serait auprès de moi, de penser à elle. De sorte qu′en levant une dernière fois mes yeux du dehors vers la fenêtre de la chambre dans laquelle je serais tout à l′heure, il me sembla voir le lumineux grillage qui allait se refermer sur moi et dont j′avais forgé moi-même, pour une servitude éternelle, les inflexibles barreaux d′or. Habíamos llegado a la puerta de mi casa. Me apeé del coche para dar al cochero la dirección de Brichot. Desde la acera veía la ventana del cuarto de Albertina, aquella ventana antes siempre negra, por la noche, cuando ella no vivía en la casa, y que ahora la luz eléctrica del interior, segmentada por los barrotes de los postigos, estriaba de arriba abajo con barras de oro paralelas. Aquel dibujo mágico, tan claro para mí y que proyectaba en mi tranquilizada mente unas imágenes precisas, muy próximas, y en posesión de las cuales iba a entrar yo al cabo de un momento, era invisible para Brichot, que seguía dentro del coche, casi ciego y, de todos modos habría sido incomprensible para él, porque el profesor, como los amigos que venían a verme antes de cenar, cuando Albertina volvía de paseo, ignoraba que una muchacha, toda mía, me esperaba en la habitación contigua. Se fue el coche. Yo permanecí un momento solo en la acera. Sí, a aquellas luminosas rayas que veía desde abajo y que a cualquier otro le hubieran parecido absolutamente superficiales, les daba yo una consistencia, una plenitud, una solidez extremadas, por todo el significado que yo ponía detrás de ellas, en un tesoro insospechado para los demás, que yo había escondido allí y del que emanaban aquellos rayos horizontales, pero un tesoro ro a cambio del cual había enajenado mi libertad, la soledad, el pensamiento. Si Albertina no hubiera estado allí arriba, y aun cuando yo hubiera buscado sólo el placer, habría ido a pedírselo a mujeres desconocidas y habría intentado penetrar en su vida, quizá en Venecia, o al menos en algún rincón del París nocturno. Pero ahora lo que había que hacer cuando llegaba para mí el momento de las caricias no era salir de viaje, no era siquiera salir, era entrar. Y entrar no para encontrarme solo y, después de dejar a los demás que nos proporcionaban desde fuera alimento para nuestra mente, encontrarnos al menos obligados a buscarlo en nosotros mismos, sino, por el contrario, menos solo que cuando estaba en casa de los Verdurin, recibido como iba a serlo por la persona en quien abdicaba, en quien depositaba más completamente la mía, sin tener un instante para pensar en mí, y ni siquiera el trabajo de pensar en ella, puesto que estaría a mi lado. De suerte que, al levantar por última vez los ojos desde fuera a la ventana del cuarto donde iba a estar al cabo de un momento, me pareció ver el luminoso enrejado que se iba a cerrar sobre mí y cuyos inflexibles barrotes de oro había forjado yo mismo para una eterna servidumbre.
Nos fiançailles avaient pris une allure de procès et donnaient à Albertine la timidité d′une coupable. Maintenant elle changeait la conversation quand il s′agissait de personnes, hommes ou femmes, qui ne fussent pas de vieilles gens. C′est quand elle ne soupçonnait pas encore que j′étais jaloux d′elle que j′aurais dû lui demander ce que je voulais savoir. Il faut profiter de ce temps-là. C′est alors que notre amie nous dit ses plaisirs, et même les moyens à l′aide desquels elle les dissimule aux autres. Elle ne m′eût plus avoué maintenant, comme elle avait fait à Balbec (moitié parce que c′était vrai, moitié pour s′excuser de ne pas laisser voir davantage sa tendresse pour moi, car je la fatiguais déjà alors, et elle avait vu, par ma gentillesse pour elle, qu′elle n′avait pas besoin de m′en montrer autant qu′aux autres pour en obtenir plus que d′eux), elle ne m′aurait plus avoué maintenant comme alors : « Je trouve ça stupide de laisser voir qu′on aime ; moi, c′est le contraire, dès qu′une personne me plaît, j′ai l′air de ne pas y faire attention. Comme ça personne ne sait rien. » Â…
Comment, c′était la même Albertine d′aujourd′hui, avec ses prétentions à la franchise et d′être indifférente à tous, qui m′avait dit cela ! Elle ne m′eût plus énoncé cette règle maintenant ! Elle se contentait, quand elle causait avec moi, de l′appliquer en me disant de telle ou telle personne qui pouvait m′inquiéter : « Ah ! je ne sais pas, je ne l′ai pas regardée, elle est trop insignifiante. » Et de temps en temps, pour aller au-devant des choses que je pourrais apprendre, elle faisait de ces aveux que leur accent, avant que l′on connaisse la réalité qu′ils sont chargés de dénaturer, d′innocenter, dénonce déjà comme étant des mensonges. Â…
Albertine ne m′avait jamais dit qu′elle me soupçonnât d′être jaloux d′elle, préoccupé de tout ce qu′elle faisait. Les seules paroles, assez anciennes il est vrai, que nous avions échangées relativement à la jalousie semblaient prouver le contraire. Je me rappelais que, par un beau soir de clair de lune, au début de nos relations, une des premières fois où je l′avais reconduite et où j′eusse autant aimé ne pas le faire et la quitter pour courir après d′autres, je lui avais dit : « Vous savez, si je vous propose de vous ramener, ce n′est pas par jalousie ; si vous avez quelque chose à faire, je m′éloigne discrètement. » Et elle m′avait répondu : « Oh ! je sais bien que vous n′êtes pas jaloux et que cela vous est bien égal, mais je n′ai rien à faire qu′à être avec vous. » Une autre fois, c′était à la Raspelière, où M. de Charlus, tout en jetant à la dérobée un regard sur Morel, avait fait ostentation de galante amabilité à l′égard d′Albertine ; je lui avais dit : « Eh ! bien, il vous a serrée d′assez près, j′espère. » Et comme j′avais ajouté à demi ironiquement : « J′ai souffert toutes les tortures de la jalousie », Albertine, usant du langage propre, soit au milieu vulgaire d′où elle était sortie, soit au plus vulgaire encore qu′elle fréquentait : « Quel chineur vous faites ! Je sais bien que vous n′êtes pas jaloux. D′abord vous me l′avez dit, et puis ça se voit, allez ! » // Elle ne m′avait jamais dit, depuis, qu′elle eût changé d′avis ; mais il avait dû pourtant se former en elle, à ce sujet, bien des idées nouvelles, qu′elle me cachait mais qu′un hasard pouvait, malgré elle, trahir, car ce soir-là, quand, une fois rentré, après avoir été la chercher dans sa chambre et l′avoir amenée dans la mienne, je lui eus dit (avec une certaine gêne que je ne compris pas moi-même, car j′avais bien annoncé à Albertine que j′irais dans le monde et je lui avais dit que je ne savais pas où, peut-être chez Mme de Villeparisis, peut-être chez Mme de Guermantes, peut-être chez Mme de Cambremer ; il est vrai que je n′avais justement pas nommé les Verdurin) : « Devinez d′où je viens ? de chez les Verdurin », j′avais à peine eu le temps de prononcer ces mots qu′Albertine, la figure bouleversée, m′avait répondu par ceux-ci, qui semblèrent exploser d′eux-mêmes avec une force qu′elle ne put contenir : « Je m′en doutais. — Je ne savais pas que cela vous ennuierait que j′aille chez les Verdurin. » (Il est vrai qu′elle ne me disait pas que cela l′ennuyait, mais c′était visible ; il est vrai aussi que je ne m′étais pas dit que cela l′ennuierait. Et pourtant, devant l′explosion de sa colère, comme devant ces événements qu′une sorte de double vue rétrospective nous fait paraître avoir déjà été connus dans le passé, il me sembla que je n′avais jamais pu m′attendre à autre chose. « M′ennuyer ? Qu′est ce que vous voulez que ça me fiche ? Voilà qui m′est équilatéral. Est-ce qu′ils ne devaient pas avoir Mlle Vinteuil ? » Hors de moi à ces mots : « Vous ne m′aviez pas dit que vous l′aviez rencontrée l′autre jour », lui dis-je pour lui montrer que j′étais plus instruit qu′elle ne pensait. //Croyant que la personne que je lui reprochais d′avoir rencontrée sans me l′avoir raconté, c′était Mme Verdurin, et non, comme je voulais dire, Mlle Vinteuil : « Est-ce que je l′ai rencontrée ? » demanda-t-elle d′un air rêveur, à la fois à elle-même comme si elle cherchait à rassembler ses souvenirs, et à moi comme si c′était moi qui eus dû le lui apprendre ; et sans doute, en effet, afin que je dise ce que je savais, peut-être aussi pour gagner du temps avant de faire une réponse difficile. Mais si j′étais préoccupé par Mlle Vinteuil, je l′étais encore plus d′une crainte qui m′avait déjà effleuré mais qui s′emparait maintenant de moi avec force, la crainte qu′Albertine voulût sa liberté. En rentrant je croyais que Mme Verdurin avait purement et simplement inventé par gloriole la venue de Mlle Vinteuil et de son amie, de sorte que j′étais tranquille. Seule Albertine, en me disant : « Est-ce que Mlle Vinteuil ne devait pas être là ? », m′avait montré que je ne m′étais pas trompé dans mon premier soupçon ; mais enfin j′étais tranquillisé là-dessus pour l′avenir, puisqu′en renonçant à aller chez les Verdurin et en se rendant au Trocadéro, Albertine avait sacrifié Mlle Vinteuil. Albertina no me había dicho nunca que sospechaba mis celos, mi preocupación por todo lo que ella hacía. Las únicas palabras, bastante antiguas además, que habíamos cruzado sobre los celos parecían demostrar lo contrario. Recordaba yo que, en una hermosa noche de luna, al principio de nuestras relaciones, una de las primeras veces que la acompañé, y cuando hubiera preferido no hacerlo y dejarla para irme con otras, le dije: «Te advierto que si te propongo acompañarte no es por celos; si tienes algo que hacer, me voy discretamente ». Y ella me contestó: «¡Oh!, ya sé que no eres celoso y que te da lo mismo, pero no tengo más que hacer que estar contigo». Otra vez, en la Raspelière, monsieur de Charlus, mirando a hurtadillas a Morel, hizo ostentación de galante amabilidad con Albertina; le dije a ésta: «Vamos, te ha puesto bien los puntos». Y añadí con un poco de ironía: «He sufrido todos los tormentos de los celos». Albertina, con el lenguaje propio del medio vulgar del que procedía, o del más vulgar aún que frecuentaba, replicó: «¡Anda éste, qué guasón! De sobra sé que no eres celoso. En primer lugar, me lo has dicho tú, y además está a la vista, ¡chico!» // Desde entonces no me había dicho nunca que hubiera cambiado de parecer, pero, sin embargo, se debían de haber formado en ella, a este respecto, muchas ideas nuevas, ideas que me ocultaba, pero que, por cualquier circunstancia, podían aflorar, pues aquella noche, cuando al volver fui a buscarla a su cuarto para llevarla al mío, le dije (con cierto malestar que ni yo mismo comprendí, puesto que le había anunciado a Albertina que iba a ir a una fiesta diciéndole que no sabía dónde, quizá a casa de madame de Guermantes, tal vez a casa de madame de Cambremer, pero precisamente sin nombrar a los Verdurin): -Adivina de dónde vengo: de casa de los Verdurin. Nada más pronunciar estas palabras, Albertina, muy alterado el rostro, me contestó éstas, que parecieron explotar por sí mismas con una fuerza que ella no pudo contener: -Ya me lo figuraba. -No sabía que te iba a molestar que fuera a casa de los Verdurin. No me decía que la molestara, pero se veía muy bien. También es verdad que yo tampoco había pensado que aquello iba a contrariarla. Y, sin embargo, ante la explosión de su cólera, como ante esos acontecimientos que, por una especie de doble vista retrospectiva, nos parece haberlos conocido en el pasado, ahora me pareció que nunca pude esperar otra cosa. -¿Molestarme? ¿Qué me importa a mí eso? Me da lo mismo. ¿No iba a ir allí esta noche mademoiselle Vinteuil? Fuera de mí por estas palabras, le dije para demostrarle que estaba más enterado de lo que ella creía: -No me habías dicho que la encontraste el otro día. // Albertina creyó que la persona a que me refería censurándole a ella el no haberme dicho que la había encontrado era madame Verdurin y no, como yo quería decir, mademoiselle Vinteuil. -Pero ¿la encontré? -preguntó pensativa. Se lo preguntó a la vez a sí misma, como buceando en sus recuerdos, y me lo preguntó a mí como si fuera yo quien pudiera enterarla; y, en realidad, seguramente para que yo dijese lo que sabía, quizá también por ganar tiempo antes de dar una respuesta difícil. Pero mucho más que mademoiselle Vinteuil me preocupaba un temor que ya me había rozado, pero que ahora me dominaba con más fuerza. Había llegado a creer que madame Verdurin había inventado de arriba abajo, por presumir, la venida de mademoiselle Vinteuil y de su amiga, de suerte que volví a casa tranquilo. Al decirme Albertina: «¿No iba a ir allí esta noche mademoiselle Vinteuil?», me demostró que no me había equivocado en mi primera sospecha. Pero de todos modos estaba tranquilo en cuanto a esto para lo sucesivo, porque Albertina, renunciando a ir a casa de los Verdurin, sacrificó por mí a mademoiselle Vinteuil.
Mais, au Trocadéro, que, du reste, elle avait quitté pour se promener avec moi, il y avait eu, comme raison de l′en faire revenir, la présence de Léa. En y pensant je prononçai ce nom de Léa, et Albertine, méfiante, croyant qu′on m′en avait peut-être dit davantage, prit les devants et s′écria avec volubilité, non sans cacher un peu son front : « Je la connais très bien ; nous sommes allées, l′année dernière, avec des amies, la voir jouer : après la représentation nous sommes montées dans sa loge, elle s′est habillée devant nous. C′était très intéressant. » Alors ma pensée fut forcée de lâcher Mlle Vinteuil et, dans un effort désespéré, dans cette course à l′abîme des impossibles reconstitutions, s′attacha à l′actrice, à cette soirée où Albertine était montée dans sa loge. D′autre part, après tous les serments qu′elle m′avait faits, et d′un ton si véridique, après le sacrifice si complet de sa liberté, comment croire qu′en tout cela il y eût du mal ? Et pourtant, mes soupçons n′étaient-ils pas des antennes dirigées vers la vérité, puisque, si elle m′avait sacrifié les Verdurin pour aller au Trocadéro, tout de même, chez les Verdurin, il avait bien dû y avoir Mlle Vinteuil, et, au Trocadéro, il y avait eu Léa qui me semblait m′inquiéter à tort et que pourtant, dans cette phrase que je ne lui demandais pas, elle déclarait avoir connue sur une plus grande échelle que celle où eussent été mes craintes, dans des circonstances bien louches ? Car qui avait pu l′amener à monter ainsi dans cette loge ? Si je cessais de souffrir par Mlle Vinteuil quand je souffrais par Léa, ces deux bourreaux de ma journée, c′est soit par l′infirmité de mon esprit à se représenter à la fois trop de scènes, soit par l′interférence de mes émotions nerveuses, dont ma jalousie n′était que l′écho. J′en pouvais induire qu′elle n′avait pas plus été à Léa qu′à Mlle Vinteuil et que je ne croyais à Léa que parce que j′en souffrais encore. Mais parce que mes jalousies s′éteignaient — pour se réveiller parfois, l′une après l′autre — cela ne signifiait pas non plus qu′elles ne correspondissent pas, au contraire, chacune à quelque vérité pressentie, que de ces femmes il ne fallait pas que je me dise aucune, mais toutes. Je dis pressentie, car je ne pouvais pas occuper tous les points de l′espace et du temps qu′il eût fallu. Et encore, quel instinct m′eût donné la concordance des uns et des autres pour me permettre de surprendre Albertine ici à telle heure avec Léa, ou avec les jeunes filles de Balbec, ou avec l′amie de Mme Bontemps qu′elle avait frôlée, ou avec la jeune fille du tennis qui lui avait fait du coude, ou avec Mlle Vinteuil ? Â…
Je dois dire que ce qui m′avait paru le plus grave et m′avait le plus frappé comme symptôme, c′était qu′elle allât au-devant de mon accusation, c′était qu′elle m′eût dit : « Je crois qu′ils ont eu Mlle Vinteuil ce soir », ainsi à quoi j′avais répondu le plus cruellement possible : « Vous ne m′aviez pas dit que vous l′aviez rencontrée. » Ainsi, dès que je ne trouvais pas Albertine gentille, au lieu de lui dire que j′étais triste, je devenais méchant. Il y eut alors un instant où j′eus pour elle une espèce de haine qui ne fit qu′aviver mon besoin de la retenir. Â…
« Du reste, lui dis-je avec colère, il y a bien d′autres choses que vous me cachez, même dans les plus insignifiantes, comme, par exemple, votre voyage de trois jours à Balbec ; je le dis en passant. » J′avais ajouté ce mot : « Je le dis en passant » comme complément de : « même les choses les plus insignifiantes », de façon que, si Albertine me disait : « Qu′est-ce qu′il y a eu d′incorrect dans ma randonnée à Balbec ? » je pusse lui répondre : « Mais je ne me rappelle même plus. Ce qu′on me dit se brouille dans ma tête, j′y attache si peu d′importance. » Et en effet, si je parlais de cette course de trois jours, qu′elle avait faite avec le mécanicien, jusqu′à Balbec, d′où ses cartes postales m′étaient arrivées avec un tel retard, j′en parlais tout à fait au hasard et je regrettais d′avoir si mal choisi mon exemple, car vraiment, ayant à peine eu le temps d′aller et de revenir, c′était certainement celle de leur promenade où il n′y avait pas eu même le temps que se glissât une rencontre un peu prolongée avec qui que ce fût. Mais Albertine crut, d′après ce que je venais de dire, que la vérité vraie, je la savais, et lui avais seulement caché que je la savais ; elle était donc restée persuadée, depuis peu de temps, que, par un moyen ou un autre, je la faisais suivre, ou enfin que, d′une façon quelconque, j′étais, comme elle avait dit la semaine précédente à Andrée, « plus renseigné qu′elle-même sur sa propre vie ». Aussi elle m′interrompit par un aveu bien inutile, car, certes, je ne soupçonnais rien de ce qu′elle me dit et j′en fus en revanche accablé, tant peut-être grand l′écart entre la vérité qu′une menteuse a travestie et l′idée que, d′après ces mensonges, celui qui aime la menteuse s′est faite de cette vérité. À peine avais-je prononcé ces mots : « Votre voyage de trois jours à Balbec, je le dis en passant », Albertine, me coupant la parole, me déclara comme une chose toute naturelle : « Vous voulez dire que ce voyage à Balbec n′a jamais eu lieu ? Bien sûr ! Et je me suis toujours demandé pourquoi vous avez fait celui qui y croyait. C′était pourtant bien inoffensif. Le mécanicien avait à faire pour lui pendant trois jours. Il n′osait pas vous le dire. Alors, par bonté pour lui (c′est bien moi ! et puis, c′est toujours sur moi que ça retombe ces histoires-là), j′ai inventé un prétendu voyage à Balbec. Il m′a tout simplement déposée à Auteuil, chez mon amie de la rue de l′Assomption, où j′ai passé les trois jours à me raser à cent sous l′heure. Vous voyez que c′est pas grave, il y a rien de cassé. J′ai bien commencé à supposer que vous saviez peut-être tout, quand j′ai vu que vous vous mettiez à rire à l′arrivée, avec huit jours de retard, des cartes postales. Je reconnais que c′était ridicule et qu′il aurait mieux valu pas de cartes du tout. Mais ce n′est pas ma faute. Je les avais achetées d′avance et données au mécanicien avant qu′il me dépose à Auteuil, et puis ce veau-là les a oubliées dans ses poches, au lieu de les envoyer sous enveloppe à un ami qu′il a près de Balbec et qui devait vous les réexpédier. -De todos modos -le dije con rabia- hay otras muchas cosas que me ocultas, hasta las más insignificantes, como, por ejemplo, tu viaje de tres días a Balbec, dicho sea de paso. Estas palabras, «dicho sea de paso», las añadí como complemento de «hasta las cosas más insignificantes», de manera que si Albertina me decía: «¿Qué tiene de incorrecto mi viaje de Balbec?», pudiera contestarle: «Ya ni siquiera me acuerdo. Lo que me dicen se me enreda en la cabeza; ¡le doy tan poca importancia!» Y, en efecto, si hablé de aquel viaje de tres días que hizo con el mecánico a Balbec, de donde recibí con tanto retraso sus postales, lo hice sin pensarlo, y me pesó haber elegido tan mal el ejemplo, pues verdaderamente apenas había tenido tiempo más que para ir y volver, y fue sin duda un viaje en el que no pudo tramarse un encuentro un poco prolongado con nadie. Pero Albertina, por lo que yo acababa de decir, creyó que yo sabía la verdad y le había ocultado que la sabía. De todos modos, desde hacía poco tiempo estaba convencida de que yo, por uno u otro medio, la tenía vigilada y de que, como le había dicho la semana anterior a Andrea, «estaba más enterado que ella misma» de su propia vida. Me interrumpió, pues, con una confesión inútil, pues la verdad es que yo no sospechaba nada de lo que me dijo y que me abrumó: tanta distancia puede haber entre la verdad disfrazada por una mentirosa y la idea que por estas mentiras se hace de esta verdad el enamorado de la mentirosa. Apenas pronuncié estas palabras -«tu viaje de tres días a Balbec, dicho sea de paso»-, Albertina, cortándome la palabra, me dijo como cosa muy natural: -¿Quieres decir que no hubo tal viaje a Balbec? ¡Naturalmente! Y siempre me he preguntado por qué hiciste como que lo creías. Pues fue una cosa bien inofensiva. El mecánico necesitaba tres días libres para cosas suyas y no se atrevía a decírtelo. Entonces yo, por bondad (eso es muy mío, y después siempre soy yo la que paga esas historias), inventé un viaje a Balbec. El mecánico no hizo más que dejarme en Auteuil, en casa de mi amiga la de la Rue de l′Assomption, donde pasé los tres días aburriéndome a cien sous por hora. Ya ves que no es cosa grave, no pasó ninguna desgracia. Ya empecé yo a suponer que quizá lo sabías todo, cuando te vi echarte a reír a la llegada de las postales con ocho días de retraso. Reconozco que fue ridículo y que hubiera sido mejor no mandar postales ni nada. Pero no fue culpa mía. Las había comprado de antemano, se las di al mecánico antes de dejarme en Auteuil, y después ese bruto las olvidó en el bolsillo, en vez de mandárselas bajo sobre a un amigo que tiene en Balbec para que te las reexpidiera.
Je me figurais toujours qu′elles allaient arriver. Lui s′en est seulement souvenu au bout de cinq jours et, au lieu de me le dire, le nigaud les a envoyées aussitôt à Balbec. Quand il m′a dit ça, je lui en ai cassé sur la figure, allez ! Vous préoccuper inutilement par la faute de ce grand imbécile, comme récompense de m′être cloîtrée pendant trois jours pour qu′il puisse aller régler ses petites affaires de famille. Je n′osais même pas sortir dans Auteuil de peur d′être vue. La seule fois que je suis sortie, c′est déguisée en homme, histoire de rigoler plutôt. Et ma chance, qui me suit partout, a voulu que la première personne dans les pattes de qui je me suis fourrée soit votre youpin d′ami Bloch. Mais je ne pense pas que ce soit par lui que vous ayez su que le voyage à Balbec n′a jamais existé que dans mon imagination, car il a eu l′air de ne pas me reconnaître. » Yo pensaba que llegarían. Él no se acordó hasta cinco días después, y en lugar de decírmelo el muy tonto las mandó a Balbec. Cuando me lo dijo, le puse verde. ¡Preocuparte a ti sin necesidad, el muy imbécil, después de tenerme a mí encerrada tres días para que él pudiera arreglar sus asuntitos de familia! Ni siquiera me atrevía a salir de Auteuil por miedo de que me vieran. La única vez que salí fue vestida de hombre, más bien por broma. Y la suerte que siempre me sigue hizo que la primera persona que me salió al paso fuera ese judío amigo tuyo, Bloch. Pero no creo que supieras por él que el tal viaje a Balbec no existió nunca más que en mi imaginación, pues no pareció reconocerme.
Je ne savais que dire, ne voulant pas paraître étonné, et écrasé par tant de mensonges. À un sentiment d′horreur, qui ne me faisait pas désirer de chasser Albertine, au contraire, s′ajoutait une extrême envie de pleurer. Celle-ci était causée non pas par le mensonge lui-même et par l′anéantissement de tout ce que j′avais tellement cru vrai que je me sentais comme dans une ville rasée, où pas une maison ne subsiste, où le sol nu est seulement bossué de décombres — mais par cette mélancolie que, pendant ces trois jours passés à s′ennuyer chez son amie d′Auteuil, Albertine n′ait pas une fois eu le désir, peut-être même pas l′idée, de venir passer en cachette un jour chez moi, ou, par un petit bleu, de me demander d′aller la voir à Auteuil. Mais je n′avais pas le temps de m′adonner à ces pensées. Je ne voulais surtout pas paraître étonné. Je souris de l′air de quelqu′un qui en sait plus long qu′il ne le dit : « Mais ceci est une chose entre mille. Ainsi, tenez, vous saviez que Mlle Vinteuil devait venir chez Mme Verdurin, cet après-midi, quand vous êtes allée au Trocadéro. » Elle rougit : « Oui, je le savais. — Pouvez-vous me jurer que ce n′était pas pour ravoir des relations avec elle que vous vouliez aller chez les Verdurin ? — Mais bien sûr que je peux vous le jurer. Pourquoi « ravoir », je n′en ai jamais eu, je vous le jure. » J′étais navré d′entendre Albertine me mentir ainsi, me nier l′évidence que sa rougeur m′avait trop avouée. Sa fausseté me navrait. Et pourtant, comme elle contenait une protestation d′innocence que, sans m′en rendre compte, j′étais prêt à croire, elle me fit moins de mal que sa sincérité quand, lui ayant demandé : « Pouvez-vous, du moins, me jurer que le plaisir de revoir Mlle Vinteuil n′entrait pour rien dans votre désir d′aller à cette matinée des Verdurin ? » elle me répondit : « Non, cela je ne peux pas le jurer. Cela me faisait un grand plaisir de revoir Mlle Vinteuil. » Une seconde avant, je lui en voulais de dissimuler ses relations avec Mlle Vinteuil, et maintenant l′aveu du plaisir qu′elle aurait eu à la voir me cassait bras et jambes. D′ailleurs, sa façon mystérieuse de vouloir aller chez les Verdurin eût dû m′être une preuve suffisante. Mais je n′y avais plus assez pensé. Quoique me disant maintenant la vérité, pourquoi n′avouait-elle qu′à moitié ? c′était encore plus bête que méchant et que triste. J′étais tellement écrasé que je n′eus pas le courage d′insister là-dessus, où je n′avais pas le beau rôle, n′ayant pas de document révélateur à produire, et, pour ressaisir mon ascendant, je me hâtai de passer à un sujet qui allait me permettre de mettre en déroute Albertine : « Tenez, pas plus tard que ce soir chez les Verdurin, j′ai appris que ce que vous m′aviez dit sur Mlle VinteuilÂ… » Yo no sabía qué decir, porque no quería mostrarme asombrado brado y abrumado por tantas mentiras. Además de un sentimiento de horror -que no me hacía desear echar a Albertina, sino al contrario-, tenía unas violentas ganas de llorar. Y no por la mentira misma y por la destrucción de lo que había creído tan cierto que ahora me sentía como en una ciudad arrasada en la que no quedaba en pie ni una cosa y sí únicamente el suelo lleno de escombros, sino por la melancolía de que Albertina, durante aquellos tres días que pasó aburriéndose en casa de su amiga de Auteuil, no sintiera ni una vez el deseo, acaso ni siquiera la idea, de ir a pasar a escondidas un día conmigo, o de mandarme un telegrama pidiéndome que fuera a verla a Auteuil. Pero no tenía tiempo de entregarme a estos pensamientos. Y sobre todo no quería mostrarme asombrado. Sonreí con el gesto de alguien que sabe más de lo que dice. -Pero eso es una cosa entre mil. Mira, esta noche, sin ir más lejos, me enteré en casa de los Verdurin de que lo que me dijiste sobre mademoiselle Vinteuil ...
Albertine me regardait fixement, d′un air tourmenté, tâchant de lire dans mes yeux ce que je savais. Or ce que je savais et que j′allais lui dire c′est sur ce qu′était Mlle Vinteuil, il est vrai que ce n′était pas chez les Verdurin que je l′avais appris, mais à Montjouvain, autrefois. Seulement, comme je n′en avais, exprès, jamais parlé à Albertine, je pouvais avoir l′air de le savoir de ce soir seulement. Et j′eus presque de la joie — après en avoir eu dans le petit tram tant de souffrance — de posséder ce souvenir de Montjouvain, que je postdaterais, mais qui n′en serait pas moins la preuve accablante, un coup de massue pour Albertine. Cette fois-ci au moins, je n′avais pas besoin d′« avoir l′air de savoir » et de « faire parler » Albertine : je savais, j′avais vu par la fenêtre éclairée de Montjouvain. Albertine avait eu beau me dire que ses relations avec Mlle Vinteuil et son amie avaient été très pures, comment pourrait-elle, quand je lui jurerais (et lui jurerais sans mentir) que je connaissais les mœurs de ces deux femmes, comment pourrait-elle soutenir qu′ayant vécu dans une intimité quotidienne avec elles, les appelant « mes grandes sœurs », elle n′avait pas été de leur part l′objet de propositions qui l′auraient fait rompre avec elles, si, au contraire, elle ne les avait acceptées ? Mais je n′eus pas le temps de dire ce que je savais. Albertine, croyant, comme pour le faux voyage à Balbec, que j′avais appris la vérité, soit par Mlle Vinteuil, si elle avait été chez les Verdurin, soit par Mme Verdurin tout simplement, qui avait pu parler d′elle à Mlle Vinteuil, ne me laissa pas prendre la parole et me fit un aveu exactement contraire de celui que j′avais cru, mais qui, en me démontrant qu′elle n′avait jamais cessé de me mentir, me fit peut-être autant de peine (surtout parce que je n′étais plus, comme j′ai dit tout à l′heure, jaloux de Mlle Vinteuil) ; donc, prenant les devants, Albertine parla ainsi : « Vous voulez dire que vous avez appris ce soir que je vous ai menti quand j′ai prétendu avoir été à moitié élevée par l′amie de Mlle Vinteuil. C′est vrai que je vous ai un peu menti. Mais je me sentais si dédaignée par vous, je vous voyais aussi si enflammé pour la musique de ce Vinteuil que, comme une de mes camarades — ça c′est vrai, je vous le jure — avait été amie de l′amie de Mlle Vinteuil, j′ai cru bêtement me rendre intéressante à vos yeux en inventant que j′avais beaucoup connu ces jeunes filles. Je sentais que je vous ennuyais, que vous me trouviez bécasse ; j′ai pensé qu′en vous disant que ces gens-là m′avaient fréquentée, je pourrais très bien vous donner des détails sur les œuvres de Vinteuil, je prendrais un petit peu de prestige à vos yeux, que cela nous rapprocherait. Quand je vous mens, c′est toujours par amitié pour vous. Et il a fallu cette fatale soirée Verdurin pour que vous appreniez la vérité, qu′on a peut-être exagérée, du reste. Je parie que l′amie de Mlle Vinteuil vous aura dit qu′elle ne me connaissait pas. Elle m′a vue au moins deux fois chez ma camarade. Mais, naturellement, je ne suis pas assez chic pour des gens qui sont devenus si célèbres. Ils préfèrent dire qu′ils ne m′ont jamais vue. » Pauvre Albertine, quand elle avait cru que de me dire qu′elle avait été si liée avec l′amie de Mlle Vinteuil retarderait son « plaquage », la rapprocherait de moi, elle avait, comme il arrive si souvent, atteint la vérité par un autre chemin que celui qu′elle avait voulu prendre. Se montrer plus renseignée sur la musique que je ne l′aurais cru ne m′aurait nullement empêché de rompre avec elle ce soir-là, dans le petit tram ; et pourtant, c′était bien cette phrase, qu′elle avait dite dans ce but, qui avait immédiatement amené bien plus que l′impossibilité de rompre. Seulement elle faisait une erreur d′interprétation, non sur l′effet que devait avoir cette phrase, mais sur la cause en vertu de laquelle elle devait produire cet effet, cause qui était non pas d′apprendre sa culture musicale, mais ses mauvaises relations. Ce qui m′avait brusquement rapproché d′elle, bien plus, fondu en elle, ce n′était pas l′attente d′un plaisir — et un plaisir est encore trop dire, un léger agrément — c′était l′étreinte d′une douleur. Albertina me miraba fijamente, con expresión atormentada, tratando de leer en mis ojos lo que sabía. Y lo que yo sabía e iba a decirle era lo que era mademoiselle Vinteuil. Verdad es que no lo había sabido en casa de los Verdurin, sino en Montjouvain, tiempo atrás. Sólo que, como deliberadamente nunca le había hablado de esto a Albertina, podía parecer que no lo había sabido hasta aquella noche. Y casi me alegré -después de haberme dolido tanto en el trenecillo- de poseer aquel recuerdo de Montjouvain, recuerdo al que ahora le ponía una fecha posterior, pero que no por eso dejaba de ser una prueba abrumadora, un mazazo para Albertina. Al menos esta vez, yo no necesitaba «aparentar que sabía » y «hacer hablar» a Albertina: sabía, había visto por la ventana iluminada de Montjouvain. Ya podía decirme Albertina que sus relaciones con mademoiselle Vinteuil y su amiga habían sido puras: cuando yo le jurara (y se lo juraría sin mentir) que conocía las costumbres de aquellas dos mujeres, ¿cómo iba a sostener que habiendo vivido con ellas en una intimidad cotidiana, llamándolas «mis hermanas mayores», no iban éstas a hacerle proposiciones que, de no aceptarlas, la harían romper con ella? Pero no tuve tiempo de decir la verdad. Albertina, creyendo, como en el falso viaje a Balbec, que yo lo sabía, bien por mademoiselle Vinteuil si ésta había estado en casa de los Verdurin, bien, simplemente, por madame Verdurin, que había podido hablar de ella a mademoiselle Vinteuil, no me dejó tomar la palabra y me hizo una confesión, exactamente contraria a lo que yo hubiera creído, pero que, al demostrarme que Albertina no había dejado nunca de mentirme, me causó quizá el mismo dolor (sobre todo porque, como ya dije antes, ya no tenía celos de mademoiselle Vinteuil). En fin, Albertina, tomando la delantera, habló así: -Quieres decir que esta noche te has enterado de que te mentí cuando te dije que había sido medio educada por la amiga de mademoiselle Vinteuil. Es verdad que te mentí un poco. Pero es que me sentía tan desdeñada por ti, te veía tan entusiasmado con la música de Vinteuil que, como una compañera mía -esto es verdad, te lo juro- fue amiga de mademoiselle Vinteuil, creí tontamente que me iba a hacer interesante para ti inventando que había conocido mucho a esas muchachas. Notaba que te aburría, que te parecía una tontaina, y pensé que diciéndote que me había tratado con esas personas, que podría muy bien darte detalles sobre las obras de Vinteuil, adquiriría un poquito de prestigio para ti, que esto nos acercaría. Cuando miento, es siempre por cariño a ti. Y ha sido necesaria esta fatal fiesta de los Verdurin para que te enterases de la verdad, y a lo mejor te la han exagerado. Apuesto a que la amiga de mademoiselle Vinteuil te ha dicho que no me conocía. Me ha visto lo menos dos veces en casa de mi amiga. Pero, naturalmente, yo no soy bastante elegante para una gente que ahora es tan célebre. Prefieren decir que no me han visto en su vida. Pobre Albertina; cuando creyó que decirme que había estado tan relacionada con la amiga de mademoiselle Vinteuil retardaría el momento de que la dejara plantada, que la acercaría a mí, había llegado a la verdad, como suele ocurrir con tanta frecuencia, por otro camino distinto del que quiso tomar. Verla más enterada sobre música de lo que yo hubiera creído no me habría impedido en modo alguno romper con ella aquella tarde, en el trenecito de Balbec; y, sin embargo, fue, desde luego, aquella frase, dicha por ella con este fin, lo que determinó inmediatamente mucho más que la imposibilidad de romper. Sólo que Albertina incurría en un error de interpretación, no en cuanto al efecto que iba a tener aquella frase, sino en cuanto a la causa en virtud de la cual iba a producir tal efecto, causa que era el enterarme no de su cultura musical, sino de sus malas relaciones. Lo que me acercó repentinamente a ella, más aún que acercarme: lo que me fundió con ella no fue la espera de un placer -y un placer es todavía decir demasiado, una ligera diversión-, fue la sacudida de un dolor.
Cette fois-ci encore, je n′avais pas le temps de garder un trop long silence qui eût pu lui laisser supposer de l′étonnement. Aussi, touché qu′elle fût si modeste et se crût dédaignée dans le milieu Verdurin, je lui dis tendrement : « Mais, ma chérie, je vous donnerais bien volontiers quelques centaines de francs pour que vous alliez faire où vous voudriez la dame chic et que vous invitiez à un beau dîner M. et Mme Verdurin. » Hélas ! Albertine était plusieurs personnes. La plus mystérieuse, la plus simple, la plus atroce se montra dans la réponse qu′elle me fit d′un air de dégoût, et dont, à dire vrai, je ne distinguai pas bien les mots (même les mots du commencement puisqu′elle ne termina pas). Je ne les rétablis qu′un peu plus tard, quand j′eus deviné sa pensée. On entend rétrospectivement quand on a compris. « Grand merci ! dépenser un sou pour ces vieux-là, j′aime bien mieux que vous me laissiez une fois libre pour que j′aille me faire casserÂ… » Aussitôt dit sa figure s′empourpra, elle eut l′air navré, elle mit sa main devant sa bouche comme si elle avait pu faire rentrer les mots qu′elle venait de dire et que je n′avais pas du tout compris. « Qu′est-ce que vous dites, Albertine ? — Non rien, je m′endormais à moitié. — Mais pas du tout, vous êtes très réveillée. — Je pensais au dîner Verdurin, c′est très gentil de votre part. — Mais non, je parle de ce que vous avez dit. » Elle me donna mille versions qui ne cadraient nullement, je ne dis même pas avec ses paroles qui, interrompues, restaient vagues, mais avec cette interruption même et la rougeur subite qui l′avait accompagnée. « Voyons, mon chéri, ce n′est pas cela que vous voulez dire, sans quoi pourquoi vous seriez-vous arrêtée ? — Parce que je trouvais ma demande indiscrète. — Quelle demande ? — De donner un dîner. — Mais non, ce n′est pas cela, il n′y a pas de discrétion à faire entre nous. — Mais si, au contraire, il ne faut pas abuser des gens qu′on aime. En tous cas je vous jure que c′est cela. » Tampoco esta vez tuve tiempo de guardar un silencio demasiado largo que pudiera hacerle suponerme asombrado. Emocionado de que fuera tan modesta y se creyera desdeñada en el medio Verdurin, le dije con ternura: -Pero, querida, no se me había ocurrido hasta ahora, yo te daría con muchísimo gusto unos centenares de francos para que vayas a hacer la dama elegante donde quieras y para que invites a una magnífica comida a monsieur y a madame Verdurin. ¡Pobre de mí! Albertina era varias personas. La más misteriosa, la más simple, la más atroz, se mostró en la respuesta que me dio con un gesto de repugnancia y con unas palabras que no distinguí bien (ni siquiera las del comienzo, porque no terminó). No las reconstruí hasta un poco después, cuando adiviné su pensamiento. Oímos retrospectivamente cuando hemos comprendido. -¡Muchas gracias! ¡Gastar un céntimo por esos viejos! Prefiero que me dejes una vez libre para ir me faire casser... Y enrojeció súbitamente, con aire de terror, tapándose la boca con la mano como si pudiera volver a tragarse las palabras que acababa de decir y que yo no había entendido en absoluto. -¿Qué estás diciendo, Albertina? -No, nada, me estaba medio durmiendo. -Nada de eso, estás bien despierta. -Pensaba en la cena Verdurin, es muy amable por tu parte. -Déjate de historias, hablo de lo que has dicho. Me dio mil versiones, pero ninguna de ellas encajaba no ya con sus palabras, que, interrumpidas, quedaban vagas para mí, sino tampoco con esta misma interrupción y el súbito rubor que la había acompañado. -Vamos, nena, no es eso lo que querías decir; si lo fuera, ¿por qué ibas a interrumpirte? -Porque me pareció indiscreta mi petición. -¿Qué petición? -Dar una comida. -Te digo que no, no es eso, entre nosotros no tenemos que andarnos con discreciones. -Pues sí, al contrario, no se debe abusar de las personas queridas. En todo caso te juro que era eso.
D′une part, il m′était toujours impossible de douter d′un serment d′elle ; d′autre part, ses explications ne satisfaisaient pas ma raison. Je ne cessai pas d′insister. « Enfin, au moins ayez le courage de finir votre phrase, vous en êtes restée à casserÂ… — Oh ! non, laissez-moi ! — Mais pourquoi ? — Parce que c′est affreusement vulgaire, j′aurais trop de honte de dire ça devant vous. Je ne sais pas à quoi je pensais ; ces mots, dont je ne sais même pas le sens et que j′avais entendus, un jour dans la rue, dits par des gens très orduriers, me sont venus à la bouche, sans rime ni raison. Ça ne se rapporte ni à moi ni à personne, je rêvais tout haut. » Je sentis que je ne tirerais rien de plus d′Albertine. Elle m′avait menti quand elle m′avait juré tout à l′heure que ce qui l′avait arrêtée c′était une crainte mondaine d′indiscrétion, devenue maintenant la honte de tenir devant moi un propos trop vulgaire. Or c′était certainement un second mensonge. Car, quand nous étions ensemble avec Albertine, il n′y avait pas de propos si pervers, de mots si grossiers que nous ne les prononcions tout en nous caressant. En tous cas, il était inutile d′insister en ce moment. Mais ma mémoire restait obsédée par ce mot « casser ». Albertine disait souvent « casser du bois », « casser du sucre sur quelqu′un », ou tout court : « ah ! ce que je lui en ai cassé ! » pour dire « ce que je l′ai injurié ! » Mais elle disait cela couramment devant moi, et si c′est cela qu′elle avait voulu dire, pourquoi s′était-elle tue brusquement ? pourquoi avait-elle rougi si fort, mis ses mains sur sa bouche, refait tout autrement sa phrase et, quand elle avait vu que j′avais bien entendu « casser », donné une fausse explication ? Mais du moment que je renonçais à poursuivre un interrogatoire où je ne recevrais pas de réponse, le mieux était d′avoir l′air de n′y plus penser, et revenant par la pensée aux reproches qu′Albertine m′avait faits d′être allé chez la Patronne, je lui dis fort gauchement, ce qui était comme une espèce d′excuse stupide : « J′avais justement voulu vous demander de venir ce soir à la soirée des Verdurin » — phrase doublement maladroite, car si je le voulais, l′ayant vue tout le temps, pourquoi ne le lui aurais-je pas proposé ? Furieuse de mon mensonge et enhardie par ma timidité : « Vous me l′auriez demandé pendant mille ans, me dit-elle, que je n′aurais pas consenti. Ce sont des gens qui ont toujours été contre moi, ils ont tout fait pour me contrarier. Il n′y a pas de gentillesses que je n′aie eue pour Mme Verdurin à Balbec, j′en ai été joliment récompensée. Elle me ferait demander à son lit de mort que je n′irais pas. Il y a des choses qui ne se pardonnent pas. Quant à vous, c′est la première indélicatesse que vous me faites. Quand Françoise m′a dit que vous étiez sorti (elle était contente, allez, de me le dire), j′aurais mieux aimé qu′on me fende la tête par le milieu. J′ai tâché qu′on ne remarque rien, mais de ma vie je n′ai jamais ressenti un affront pareil. » Pendant qu′elle me parlait, se poursuivait en moi, dans le sommeil fort vivant et créateur de l′inconscient (sommeil où achèvent de se graver les choses qui nous effleurèrent seulement, où les mains endormies se saisissent de la clef qui ouvre, vainement cherchée jusque-là), la recherche de ce qu′elle avait voulu dire par la phrase interrompue dont j′aurais voulu savoir quelle eût été la fin. Et tout d′un coup deux mots atroces, auxquels je n′avais nullement songé, tombèrent sur moi : « le pot ». Je ne peux pas dire qu′ils vinrent d′un seul coup, comme quand, dans une longue soumission passive à un souvenir incomplet, tout en tâchant doucement, prudemment, de l′étendre, on reste plié, collé à lui. Non, contrairement à ma manière habituelle de me souvenir, il y eut, je crois, deux voies parallèles de recherche : l′une tenait compte non pas seulement de la phrase d′Albertine, mais de son regard excédé quand je lui avais proposé un don d′argent pour donner un beau dîner, un regard qui semblait dire : « Merci, dépenser de l′argent pour des choses qui m′embêtent, quand, sans argent, je pourrais en faire qui m′amusent ! » Et c′est peut-être le souvenir de ce regard qu′elle avait eu qui me fit changer de méthode pour trouver la fin de ce qu′elle avait voulu dire. Jusque-là je m′étais hypnotisé sur le dernier mot : « casser », elle avait voulu dire casser quoi ? Casser du bois ? Non. Du sucre ? Non. Casser, casser, casser. Et tout à coup, le regard qu′elle avait eu au moment de ma proposition qu′elle donnât un dîner me fit rétrograder aussi dans les mots de sa phrase. Et aussitôt je vis qu′elle n′avait pas dit « casser », mais « me faire casser ». Horreur ! c′était cela qu′elle aurait préféré. Double horreur ! car même la dernière des grues, et qui consent à cela, ou le désire, n′emploie pas avec l′homme qui s′y prête cette affreuse expression. Elle se sentirait par trop avilie. Avec une femme seulement, si elle les aime, elle dit cela pour s′excuser de se donner tout à l′heure à un homme. Albertine n′avait pas menti quand elle m′avait dit qu′elle rêvait à moitié. Distraite, impulsive, ne songeant pas qu′elle était avec moi, elle avait eu le haussement d′épaules, elle avait commencé de parler comme elle eût fait avec une de ces femmes, avec peut-être une de mes jeunes filles en fleurs. Et brusquement rappelée à la réalité, rouge de honte, renfonçant ce qu′elle allait dire dans sa bouche, désespérée, elle n′avait plus voulu prononcer un seul mot. Je n′avais pas une seconde à perdre si je ne voulais pas qu′elle s′aperçût du désespoir où j′étais. Mais déjà, après le sursaut de la rage, les larmes me venaient aux yeux. Comme à Balbec, la nuit qui avait suivi sa révélation de son amitié avec les Vinteuil, il me fallait inventer immédiatement pour mon chagrin une cause plausible, en même temps capable de produire un effet si profond sur Albertine que cela me donnât un répit de quelques jours avant de prendre une décision. Aussi, au moment où elle me disait qu′elle n′avait jamais éprouvé un affront pareil à celui que je lui avais infligé en sortant, qu′elle aurait mieux aimé mourir que s′entendre dire cela par Françoise, et comme, agacé de sa risible susceptibilité, j′allais lui dire que ce que j′avais fait était bien insignifiant, que cela n′avait rien de froissant pour elle que je fusse sorti ; comme pendant ce temps-là, parallèlement, ma recherche inconsciente de ce qu′elle avait voulu dire après le mot « casser » avait abouti, et que le désespoir où ma découverte me jetait n′était pas possible à cacher complètement, au lieu de me défendre, je m′accusai. « Ma petite Albertine, lui dis-je d′un ton doux que gagnaient mes premières larmes, je pourrais vous dire que vous avez tort, que ce que j′ai fait n′est rien, mais je mentirais ; c′est vous qui avez raison, vous avez compris la vérité, mon pauvre petit, c′est qu′il y a six mois, c′est qu′il y a trois mois, quand j′avais encore tant d′amitié pour vous, jamais je n′eusse fait cela. C′est un rien et c′est énorme à cause de l′immense changement dans mon cœur dont cela est le signe. Et puisque vous avez deviné ce changement, que j′espérais vous cacher, cela m′amène à vous dire ceci : Ma petite Albertine (et je le dis avec une douceur et une tristesse profondes), voyez-vous, la vie que vous menez ici est ennuyeuse pour vous, il vaut mieux nous quitter, et comme les séparations les meilleures sont celles qui s′effectuent le plus rapidement, je vous demande, pour abréger le grand chagrin que je vais avoir, de me dire adieu ce soir et de partir demain matin sans que je vous aie revue, pendant que je dormirai. » Elle parut stupéfaite, encore incrédule et déjà désolée : « Comment demain ? Vous le voulez ? » Et malgré la souffrance que j′éprouvais à parler de notre séparation comme déjà entrée dans le passé — peut-être en partie à cause de cette souffrance même — je me mis à adresser à Albertine les conseils les plus précis pour certaines choses qu′elle aurait à faire après son départ de la maison. Et, de recommandations en recommandations, j′en arrivai bientôt à entrer dans de minutieux détails. « Ayez la gentillesse, dis-je avec une infinie tristesse, de me renvoyer le livre de Bergotte qui est chez votre tante. Cela n′a rien de pressé, dans trois jours, dans huit jours, quand vous voudrez, mais pensez-y pour que je n′aie pas à vous le faire demander, cela me ferait trop de mal. Nous avons été heureux, nous sentons maintenant que nous serions malheureux. — Ne dites pas que nous sentons que nous serions malheureux, me dit Albertine en m′interrompant, ne dites pas « nous », c′est vous seul qui trouvez cela. — Oui, enfin, vous ou moi, comme vous voudrez, pour une raison ou l′autre. Mais il est une heure folle, il faut vous coucherÂ… nous avons décidé de nous quitter ce soir. — Pardon, vous avez décidé et je vous obéis parce que je ne veux pas vous faire de la peine. — Soit, c′est moi qui ai décidé, mais ce n′en est pas moins douloureux pour moi. Je ne dis pas que ce sera douloureux longtemps, vous savez que je n′ai pas la faculté de me souvenir longtemps, mais les premiers jours je m′ennuierai tant après vous ! Aussi je trouve inutile de raviver par des lettres, il faut finir tout d′un coup. — Oui, vous avez raison, me dit-elle d′un air navré, auquel ajoutaient encore ses traits fléchis par la fatigue de l′heure tardive ; plutôt que de se faire couper un doigt puis un autre, j′aime mieux donner la tête tout de suite. — Mon Dieu, je suis épouvanté en pensant à l′heure à laquelle je vous fais coucher, c′est de la folie. Enfin, pour le dernier soir ! Vous aurez le temps de dormir tout le reste de la vie. » Et ainsi en lui disant qu′il fallait nous dire bonsoir, je cherchais à retarder le moment où elle me l′eût dit. « Voulez-vous, pour vous distraire les premiers jours, que je dise à Bloch de vous envoyer sa cousine Esther à l′endroit où vous serez, il fera cela pour moi. — Je ne sais pas pourquoi vous dites cela (je le disais pour tâcher d′arracher un aveu à Albertine) ; je ne tiens qu′à une seule personne c′est à vous », me dit Albertine, dont les paroles me remplirent de douceur. Mais, aussitôt, quel mal elle me fit : « Je me rappelle très bien que j′ai donné ma photographie à Esther parce qu′elle insistait beaucoup et que je voyais que cela lui ferait plaisir, mais quant à avoir eu de l′amitié pour elle ou à avoir envie de la voir jamaisÂ… » Et pourtant Albertine était de caractère si léger qu′elle ajouta : « Si elle veut me voir, moi ça m′est égal, elle est très gentille, mais je n′y tiens aucunement. » Ainsi, quand je lui avais parlé de la photographie d′Esther que m′avait envoyée Bloch (et que je n′avais même pas encore reçue quand j′en avais parlé à Albertine), mon amie avait compris que Bloch m′avait montré une photographie d′elle, donnée par elle à Esther. Dans mes pires suppositions, je ne m′étais jamais figuré qu′une pareille intimité avait pu exister entre Albertine et Esther. Albertine n′avait rien trouvé à me répondre quand j′avais parlé de la photographie. Et maintenant, me croyant, bien à tort, au courant, elle trouvait plus habile d′avouer. J′étais accablé. Por una parte, siempre me era imposible dudar de un juramento suyo; por otra, sus explicaciones no eran satisfactorias para mi razón. Insistí: -Bueno, ten por lo menos el valor de acabar tu frase, te quedaste en casser... -¡Oh, no, déjame! -Pero ¿por qué? -Porque es horriblemente vulgar, me daría muchísima vergüenza decir eso delante de ti. No sé en qué estaba pensando; esas palabras que ni siquiera sé lo que quieren decir y que se las oí un día en la calle a una gente de lo más tirado, se me vinieron a la boca sin saber por qué. No tienen nada que ver conmigo ni con nadie, estaba soñando alto. Me di cuenta de que no sacaría nada más de Albertina. Me había mentido cuando, un momento antes, me juró que lo que la había detenido era un temor mundano a la indiscreción, temor transformado ahora en la vergüenza de decir delante de mí una expresión demasiado vulgar. Esto era seguramente otra mentira. Pues cuando Albertina y yo estábamos juntos, no había expresión tan perversa, palabra tan grosera que no pronunciáramos mientras nos acariciábamos. De todos modos, era inútil insistir en aquel momento. Pero mi memoria seguía obsesionada con aquella palabra, casser. Albertina solía decir casser du bois, casser du sucre sur quelqu′un o, simplemente, ah! ce queje lui en al cassé!, por decir «¡cómo le insulté!». Pero esto lo decía corrientemente delante de mí, y si fuera lo que había querido decir, ¿por qué se iba a callar bruscamente, por qué se puso tan colorada, se tapó la boca con las manos, cambió por completo la frase y cuando vio que yo había oído perfectamente casser dio una explicación falsa? Pero desde el momento en que yo renunciaba a continuar un interrogatorio en el que no iba a recibir respuesta, lo mejor era aparentar que no pensaba en ello, y volviendo con el pensamiento a los reproches que Albertina me había hecho por ir a casa de la Patrona, le dije muy torpemente, lo que era una especie de disculpa idiota: -Precisamente quise pedirte que fueras esta noche a la fiesta de los Verdurin -frase doblemente torpe, pues si de verdad quería hacerlo, ¿por qué no se lo propuse, si la vi todo el tiempo? Furiosa por mi mentira y envalentonada por mi timidez, me dijo: -Aunque me lo hubieras pedido mil años seguidos, no habría ido. Esa gente ha estado siempre contra mí, han hecho todo lo posible por contrariarme. En Balbec no hubo gentileza que yo no hiciera por madame Verdurin, y hay que ver el pago que me ha dado. Así me llamara a su lecho de muerte no iría. Hay cosas que no se perdonan. En cuanto a ti, es la primera indelicadeza que me haces. Cuando Francisca me dijo que habías salido (y bien contenta que estaba de decírmelo), yo hubiera preferido que me partieran la cabeza en dos. Procuré que no se me notara nada, pero en mi vida sentí afrenta semejante. Mas mientras ella me hablaba, yo proseguía dentro de mí, en el sueño muy vivo y creador del inconsciente (sueño en el que acaban de grabarse las cosas que solamente nos rozan, en el que las manos dormidas cogen la llave que abre, en vano buscada hasta entonces), la búsqueda de lo que Albertina había querido decir con la frase interrumpida cuyo final hubiera yo deseado saber. Y de pronto cayeron sobre mí dos palabras atroces, en las que no había pensado ni por lo más remoto: le pot. No puedo decir que me vinieran de una sola vez, como cuando, en una larga sumisión pasiva a un recuerdo incompleto, mientras procuramos suavemente, prudentemente, completarlo, permanecemos pegados, adheridos a él. No, en contra de mi manera habitual de recordar, en esto hubo, creo, dos vías paralelas de búsqueda: una de ellas se apoyaba no sólo en la frase de Albertina, sino en su mirada irritada cuando le propuse regalarle dinero para una gran comida, una mirada que parecía decir: «Gracias, ¡gastar dinero en cosas que nos fastidian, cuando sin dinero podría hacer otras que me divierten!» Y acaso fue el recuerdo de esta mirada lo que me hizo cambiar de método para encontrar el final de lo que había querido decir. Hasta entonces me había quedado hipnotizado en la última palabra, casser; ¿casser qué?, ¿casser du bois? No. ¿Du sucre? No. Casser, casser, casser. Y de pronto volver a su mirada con encogimiento de hombros en el momento de mi proposición de que diera una comida me hizo volver también a las palabras de su frase. Y así vi que no había dicho casser, sino me faire casser. ¡Qué horror! ¡Era esto lo que ella hubiera preferido! ¡Doble horror!, pues ni la última de las furcias, y que accede a esto, o lo desea, emplea con el hombre que se presta a ello esa horrible expresión. Se sentiría demasiado envilecida. Sólo con una mujer, si le gustan las mujeres, dice eso para disculparse de que después se va a entregar a un hombre. Albertina no había mentido cuando me dijo que estaba medio soñando. Distraída, impulsiva, sin pensar que estaba conmigo, se encogió de hombros y comenzó a hablar como lo hubiera hecho con una de esas mujeres, acaso con una de mis muchachas en flor. Y vuelta súbitamente a la realidad, colorada de vergüenza, tragándose lo que había querido decir, desesperada, no quiso pronunciar una sola palabra más. Yo no podía perder un segundo si no quería que ella se diera cuenta de mi desesperación. Pero ya, después del sobresalto de la rabia, se me saltaban las lágrimas. Como en Balbec la noche subsiguiente a su revelación de su amistad con los Vinteuil, tenía que inventar inmediatamente, como explicación de mi disgusto, una causa plausible, capaz de producir en Albertina un efecto tan profundo que me diera a mí una tregua de unos días antes de tomar una decisión. Por eso, en el momento en que me decía que jamás había recibido afrenta semejante a la que yo le infligí saliendo, que hubiera preferido morir antes que oírselo decir a Francisca, y cuando, irritado por su risible susceptibilidad, iba a decirle yo que lo que había hecho era insignificante, que no tenía nada de ofensivo para ella que yo hubiese salido; como mientras tanto, paralelamente, había encontrado una respuesta mi búsqueda subconsciente de lo que ella había querido decir después de la palabra casser, y como la desesperación en que me hundía mi descubrimiento era imposible de ocultar por completo, en vez de defenderme, me acusé: -Mi pequeña Albertina -le dije en un tono dulce que mis primeras lágrimas ganaban-, podría decirte que no tienes razón, que lo que he hecho no es nada, pero mentiría; sí la tienes, has comprendido la verdad, pobrecita mía, y la verdad es que hace seis meses, que hace tres, cuando todavía te quería tanto, no hubiera hecho eso. No es nada y es muchísimo por el inmenso cambio en mi corazón que revela. Y puesto que has adivinado ese cambio que yo esperaba ocultarte, tengo que decirte esto: mi pequeña Albertina -le dije con una profunda dulzura, con una honda tristeza-, la vida que llevas aquí es aburrida para ti, es mejor que nos separemos, y como las mejores separaciones son las que se efectúan con mayor rapidez, te pido que, para abreviar la gran pena que voy a sentir, me digas adiós esta noche y te marches mañana sin que yo te vea, cuando esté dormido. Pareció estupefacta, sin acabar de creerlo y ya desolada. -¿Mañana? ¿Quieres que me vaya mañana? Y pese a lo mucho que sufría hablando de nuestra separación como perteneciente ya al pasado -quizá, en parte, por este mismo sufrimiento-, me puse a dar a Albertina los consejos más precisos sobre ciertas cosas que tendría que hacer después de marcharse de casa. Y de recomendación en recomendación llegué en seguida a entrar en detalles minuciosos. -Ten la bondad -le dije con infinita tristeza- de enviarme el libro de Bergotte que está en casa de tu tía. No corre ninguna prisa, dentro de tres días, o de ocho, cuando quieras, pero no lo olvides, para que yo no tenga que mandar a pedírtelo, pues me sería muy doloroso. Hemos sido muy felices y ahora nos damos cuenta de que seríamos desgraciados. -No digas que nos damos cuenta de que seríamos desgra ciados -me interrumpió Albertina-, no hables en plural, eres tú solo quien piensa eso. -Sí, en fin, tú o yo, como quieras, por una o por otra razón. Es tardísimo, tienes que acostarte..., hemos decidido separarnos esta noche. -Perdón, has decidido y yo te obedezco porque no quiero causarte pena. -Bueno, lo he decidido yo, pero no por eso es menos doloroso para mí. No digo que será doloroso mucho tiempo, ya sabes que no tengo la facultad de los recuerdos duraderos, pero los primeros días lo pasaré tan mal... Por eso me parece inútil reavivar la cosa con cartas, hay que acabar de una vez. -Sí, tienes razón -me dijo con un aire desolado, acentuado además por el cansancio de su cara a aquella hora tan tardía-; más vale que le corten a uno la cabeza de una vez que le vayan cortando dedo tras dedo. -¡Dios mío, estoy aterrado pensando en la hora a que te hago acostarte, qué locura! ¡En fin, por ser la última noche! Ya tendrás tiempo de dormir todo el resto de tu vida -y así, diciéndole que teníamos que despedirnos, procuraba retrasar el momento de la despedida- . ¿Quieres que, para distraerte los primeros días, le diga a Bloch que mande a su prima Esther al lugar donde estés tú? Lo hará por mí. -No sé por qué dices eso -lo decía intentando arrancar a Albertina una confesión-, a mí no me interesa más que una persona, tú -me contestó, y estas palabras me fueron dulcísimas. Pero qué daño me hizo inmediatamente-: Recuerdo muy bien que le di una foto mía a Esther porque insistió mucho y yo veía que le gustaría, pero en cuanto a tener amistad con ella y deseo de verla, eso nunca -mas Albertina tenía un carácter tan entero que añadió-: Si ella quiere verme, a mí me da lo mismo, es muy simpática, pero no me interesa nada. De modo que cuando tiempo atrás le hablé de la fotografía de Esther que me había enviado Bloch (y que cuando hablé de ella a Albertina ni siquiera había recibido todavía), mi amiga comprendió que Bloch me había enseñado una fotografía suya que ella había dado a Esther. Cuando me referí a esta fotografía, Albertina no encontró nada que contestar. Y ahora, creyendo, muy equivocadamente, que estaba enterado, le parecía más hábil confesar. Estaba abrumado.
« Et puis, Albertine, je vous demande en grâce une chose, c′est de ne jamais chercher à me revoir. Si jamais, ce qui peut arriver dans un an, dans deux ans, dans trois ans, nous nous trouvions dans la même ville, évitez-moi. » Et voyant qu′elle ne répondait pas affirmativement à ma prière : « Mon Albertine, ne me revoyez jamais en cette vie. Cela me ferait trop de peine. Car j′avais vraiment de l′amitié pour vous, vous savez. Je sais bien que, quand je vous ai raconté l′autre jour que je voulais revoir l′amie dont nous avions parlé à Balbec, vous avez cru que c′était arrangé. Mais non, je vous assure que cela m′était bien égal. Vous êtes persuadée que j′avais résolu depuis longtemps de vous quitter, que ma tendresse était une comédie. — Mais non, vous êtes fou, je ne l′ai pas cru, dit-elle tristement. — Vous avez raison, il ne faut pas le croire ; je vous aimais vraiment, pas d′amour peut-être, mais de grande, de très grande amitié, plus que vous ne pouvez croire. — Mais si, je le crois. Et si vous vous figurez que moi je ne vous aime pas ! — Cela me fait une grande peine de vous quitter. — Et moi mille fois plus grande », me répondit Albertine. Et déjà, depuis un moment, je sentais que je ne pouvais plus retenir les larmes qui montaient à mes yeux. Et ces larmes ne venaient pas du tout du même genre de tristesse que j′éprouvais jadis quand je disais à Gilberte : « Il vaut mieux que nous ne nous voyions plus, la vie nous sépare. » Sans doute, quand j′écrivais cela à Gilberte, je me disais que, quand j′aimerais non plus elle, mais une autre, l′excès de mon amour diminuerait celui que j′aurais peut-être pu inspirer, comme s′il y avait fatalement entre deux êtres une certaine quantité d′amour disponible, où le trop-pris par l′un est retiré à l′autre, et que, de l′autre aussi, comme de Gilberte, je serais condamné à me séparer. Mais la situation était toute différente pour bien des raisons, dont la première, qui avait à son tour produit les autres, était que ce défaut de volonté que ma grand′mère et ma mère avaient redouté pour moi à Combray, volonté devant laquelle l′une et l′autre, tant un malade a d′énergie pour imposer sa faiblesse, avaient successivement capitulé, ce défaut de volonté avait été en s′aggravant d′une façon de plus en plus rapide. Quand j′avais senti que ma présence fatiguait Gilberte, j′avais encore assez de forces pour renoncer à elle ; je n′en avais plus quand j′avais fait la même constatation pour Albertine, et je ne songeais qu′à la retenir à tout prix. De sorte que, si j′écrivais à Gilberte que je ne la verrais plus, et dans l′intention de ne plus la voir en effet, je ne le disais à Albertine que par pur mensonge et pour amener une réconciliation. Ainsi nous présentions-nous l′un à l′autre une apparence qui était bien différente de la réalité. Et sans doute il en est toujours ainsi quand deux êtres sont face à face, puisque chacun d′eux ignore une partie de ce qui est dans l′autre (même ce qu′il sait, il ne peut en partie le comprendre) et que tous deux manifestent ce qui leur est le moins personnel, soit qu′ils n′aient pas démêlé eux-mêmes et jugent négligeable ce qui l′est le plus, soit que des avantages insignifiants et qui ne tiennent pas à eux leur semblent plus importants et plus flatteurs. Mais dans l′amour, ce malentendu est porté au degré suprême parce que, sauf peut-être quand on est enfant, on tâche que l′apparence qu′on prend, plutôt que de refléter exactement notre pensée, soit ce que cette pensée juge le plus propre à nous faire obtenir ce que nous désirons, et qui pour moi, depuis que j′étais rentré, était de pouvoir garder Albertine aussi docile que par le passé, qu′elle ne me demandât pas, dans son irritation, une liberté plus grande, que je souhaitais lui donner un jour, mais qui, en ce moment où j′avais peur de ses velléités d′indépendance, m′eût rendu trop jaloux. À partir d′un certain âge, par amour-propre et par sagacité, ce sont les choses qu′on désire le plus auxquelles on a l′air de ne pas tenir. Mais en amour, la simple sagacité — qui, d′ailleurs, n′est probablement pas la vraie sagesse — nous force assez vite à ce génie de duplicité. Tout ce que j′avais, enfant, rêvé de plus doux dans l′amour et qui me semblait de son essence même, c′était, devant celle que j′aimais, d′épancher librement ma tendresse, ma reconnaissance pour sa bonté, mon désir d′une perpétuelle vie commune. Mais je m′étais trop bien rendu compte, par ma propre expérience et d′après celle de mes amis, que l′expression de tels sentiments est loin d′être contagieuse. Une fois qu′on a remarqué cela, on ne se « laisse plus aller » ; je m′étais gardé dans l′après-midi de dire à Albertine toute la reconnaissance que je lui avais de ne pas être restée au Trocadéro. Et ce soir, ayant eu peur qu′elle me quittât, j′avais feint de désirer la quitter, feinte qui ne m′était pas seulement dictée, d′ailleurs, par les enseignements que j′avais cru recueillir de mes amours précédentes et dont j′essayais de faire profiter celui-ci. -Y además, Albertina, te pido por favor una cosa: que no intentes nunca volver a verme. Si alguna vez, y puede ocurrir dentro de un año, de dos, de tres, nos encontráramos en la misma ciudad, evítame -y al ver que no contestaba afirmativamente a mi ruego-: Albertina mía, no hagas eso, no vuelvas a verme en esta vida. Me daría demasiada pena. Pues te quería de verdad. Ya sé que cuando te conté el otro día que quería volver a ver a la amiga de quien hablamos en Balbec creíste que era inventado. Pero no, te aseguro que me daba lo mismo, estás convencida de que hace mucho tiempo que decidí dejarte, de que mi cariño era una comedia. -No, no, estás loco, yo no he creído eso -dijo tristemente. -Tienes razón, no debes creerlo; te quería de verdad, quizá no de amor, pero de grande, de muy grande amistad, más de lo que puedes creer. -Sí que lo creo. ¡Y si tú te figuras que yo no te quiero a ti! -Me da mucha pena dejarte. -Y a mí mil veces más -me contestó Albertina. Y desde hacía un momento sentía que no iba a poder contener las lágrimas que me subían a los ojos, y estas lágrimas no eran de la misma tristeza que sentía en otro tiempo cuando decía a Gilberta: «Es mejor que no nos veamos más, la vida nos separa». Seguramente cuando escribía esto a Gilberta, pensaba que cuando amara no a ella, sino a otra, el exceso de mi amor disminuiría el que quizá pudiera yo inspirar, como si hubiera fatalmente entre dos seres cierta cantidad de amor disponible y el exceso tomado por uno de ellos se le quitara al otro, y que también de la otra estaría condenado a separarme como entonces de Gilberta. Pero la situación era muy diferente por muchas razones, la primera de las cuales, que a su vez había producido las otras, era que la falta de voluntad que mi abuela y mi madre temían en mí, y ante la cual, en Combray, habían capitulado sucesivamente las dos, pues tanta es la energía de un enfermo para imponer su debilidad, aquella falta de voluntad se había ido agravando en una progresión cada vez más rápida. Cuando sentí que mi presencia cansaba a Gilberta, yo tenía aún bastantes fuerzas para renunciar a ella; cuando observé lo mismo en Albertina, ya no las tenía, y no pensaba más que en retenerla a la fuerza. De suerte que, así como cuando escribí a Gilberta que no volvería a verla y, en realidad, con la intención de no verla, en efecto, a Albertina, en cambio, se lo decía por pura mentira y para provocar una reconciliación. De modo que nos presentábamos mutuamente una apariencia muy diferente de la realidad. Y seguramente es siempre así cuando dos seres están frente a frente, porque cada uno de ellos ignora una parte de lo que hay en el otro, y aun lo que sabe no puede comprenderlo del todo y los dos manifiestan lo menos personal que tienen, bien sea porque ellos mismos no lo han dilucidado y lo consideran desdeñable, bien porque les parecen más importantes y más agradables ciertas ventajas insignificantes y que no les son propias, y porque, además, ciertas cosas que les interesan y no tienen, para no ser despreciados, hacen como que no les interesan, y es precisamente lo que aparentan desdeñar más que nada y hasta execrar. Pero, en amor, este quid pro quo llega a un grado supremo porque, excepto cuando somos niños, intentamos que la apariencia que tomamos, más que reflejar exactamente nuestro pensamiento, sea la que este pensamiento considera más adecuada para hacernos lograr lo que deseamos, y que para mí, desde que volví a casa, era poder conservar a Albertina tan dócil como antes, que no me pidiera, en su irritación, mayor libertad, libertad que yo deseaba darle algún día, pero que en aquel momento, cuando yo tenía miedo de sus veleidades de independencia, me hubiera dado demasiados celos. A partir de cierta edad, por amor propio y por habilidad, son las cosas que más deseamos las que aparentamos que no nos interesan. Pero en amor la simple habilidad -que, por otra parte, no es probablemente la verdadera inteligencia- nos obliga bastante pronto a ese genio de duplicidad. De niño, todo lo más dulce que yo soñaba en el amor y que me parecía su esencia misma era expresar libremente, ante la amada, mi cariño, mi gratitud por su bondad, mi deseo de una perpetua vida común. Pero por mi propia experiencia y por la de mis amigos me había dado muy bien cuenta de que la expresión de tales sentimientos está lejos de ser contagiosa. El caso de una vieja amanerada como monsieur de Charlus, que a fuerza de no ver en su imaginación más que a un hermoso mancebo cree ser él mismo un hermoso mancebo y manifiesta cada vez más su afeminamiento en sus risibles alardes de virilidad, este caso entra en una ley que se aplica mucho más allá de los Charlus, una ley tan general que ni siquiera el amor la agota por completo; no vemos nuestro cuerpo que los demás ven, y «seguimos» nuestro pensamiento, el objeto que se encuentra ante nosotros, invisible para los demás (hecho visible a veces por el artista en una obra, y de aquí las desilusiones que suelen sufrir sus admiradores cuando llegan a conocer al autor, en cuyo rostro se refleja tan imperfectamente la belleza interior). Una vez que se ha observado esto, ya no se «deja uno llevar»; aquella tarde me había librado bien de decir a Albertina cuánto le agradecía que no se hubiera quedado en el Trocadero, y aquella noche, por miedo de que me dejara, fingí que deseaba dejarla, simulación que, como veremos en seguida, no me la dictaban las enseñanzas que había creído recibir de mis amores anteriores y que procuraba aplicar a éste.
Cette peur qu′Albertine allât peut-être me dire : « Je veux certaines heures où je sorte seule, je veux pouvoir m′absenter vingt-quatre heures », enfin je ne sais quelle demande de la sorte, que je ne cherchais pas à définir, mais qui m′épouvantait, cette crainte m′avait un instant effleuré avant et pendant la soirée Verdurin. Mais elle s′était dissipée, contredite, d′ailleurs, par le souvenir de tout ce qu′Albertine me disait sans cesse de son bonheur à la maison. L′intention de me quitter, si elle existait chez Albertine, ne se manifestait que d′une façon obscure, par certains regards tristes, certaines impatiences, des phrases qui ne voulaient nullement dire cela, mais qui, si on raisonnait (et on n′avait même pas besoin de raisonner car on comprend immédiatement ce langage de la passion, les gens du peuple eux-mêmes comprennent ces phrases qui ne peuvent s′expliquer que par la vanité, la rancune, la jalousie, d′ailleurs inexprimées, mais que dépiste aussitôt chez l′interlocuteur une faculté intuitive qui, comme ce « bon sens » dont parle Descartes, est la chose du monde la plus répandue), révélaient la présence en elle d′un sentiment qu′elle cachait et qui pouvait la conduire à faire des plans pour une autre vie sans moi. De même que cette intention ne s′exprimait pas dans ses paroles d′une façon logique, de même le pressentiment de cette intention, que j′avais depuis ce soir, restait en moi tout aussi vague. Je continuais à vivre sur l′hypothèse qui admettait pour vrai tout ce que me disait Albertine. Mais il se peut qu′en moi, pendant ce temps-là, une hypothèse toute contraire, et à laquelle je ne voulais pas penser, ne me quittât pas ; cela est d′autant plus probable, que, sans cela, je n′eusse nullement été gêné de dire à Albertine que j′étais allé chez les Verdurin, et que, sans cela, le peu d′étonnement que me causa sa colère n′eût pas été compréhensible. De sorte que ce qui vivait probablement en moi, c′était l′idée d′une Albertine entièrement contraire à celle que ma raison s′en faisait, à celle aussi que ses paroles à elle dépeignaient, une Albertine pourtant pas absolument inventée, puisqu′elle était comme un miroir antérieur de certains mouvements qui se produisirent chez elle, comme sa mauvaise humeur que je fusse allé chez les Verdurin. D′ailleurs, depuis longtemps, mes angoisses fréquentes, ma peur de dire à Albertine que je l′aimais, tout cela correspondait à une autre hypothèse qui expliquait bien plus de choses et avait aussi cela pour elle, que, si on adoptait la première, la deuxième devenait plus probable, car en me laissant aller à des effusions de tendresse avec Albertine, je n′obtenais d′elle qu′une irritation (à laquelle, d′ailleurs, elle assignait une autre cause). El miedo de que Albertina pudiera decirme: «Quiero ciertas horas para salir sola, poder ausentarme veinticuatro horas», en fin, no sé qué solicitud de libertad que yo no intentaba definir, pero que me espantaba, esta idea me había pasado un instante por la imaginación en la fiesta Verdurin. Pero se había esfumado, contradicha además por el recuerdo de todo lo que Albertina me decía continuamente de lo feliz que era en la casa. La intención de dejarme, si es que Albertina la tenía, no se manifestaba sino de un modo oscuro, en ciertas miradas tristes, en ciertas impaciencias, en frases que no querían de ninguna manera decir esto, sino que, razonando (y ni siquiera hacía falta razonar, pues el lenguaje de la pasión se entiende inmediatamente, hasta la gente del pueblo comprende esas frases que sólo pueden explicarse por la vanidad, el rencor, los celos, frases, por otra parte, no expresadas, pero que en seguida descubren en el interlocutor una facultad intuitiva que, como ese «sentido común» de que habla Descartes, es «la cosa más extendida del mundo»), sólo podían explicarse por la presencia en ella de un sentimiento que ocultaba y que podía llevarla a hacer planes para otra vida sin mí. Y así como esta intención no se expresaba en sus palabras de una manera lógica, así el presentimiento de esta intención, que yo sentía desde aquella noche, permanecía en mí igualmente vago. Seguía viviendo en la hipótesis de que tomaba por verdadero todo lo que me decía Albertina. Pero es posible que mientras tanto persistiera en mí una hipótesis completamente opuesta y en la que no quería pensar; esto es más probable aún porque de no ser así no me hubiera importado en absoluto decir a Albertina que había ido a casa de los Verdurin y no hubiera sido comprensible lo poco que me extrañó su ira. De modo que lo que vivía probablemente en mí era la idea de una Albertina enteramente contraria a la que mi razón creaba, y también a la que sus palabras pintaban, pero una Albertina no absolutamente inventada, porque era como un espejo anterior de ciertos movimientos que se producían en ella, como su mal humor porque yo había ido a casa de los Verdurin. Por otra parte, ya desde tiempo atrás mis angustias frecuentes, mi miedo de decir a Albertina que la amaba, todo esto correspondía a otra hipótesis que explicaba muchas más cosas y que tenía también a su favor que si se adoptaba la primera, la segunda resultaba más probable, pues dejándome llevar a efusiones de cariño con Albertina el resultado era una irritación por su parte (irritación a la que, por lo demás, ella atribuía otra causa).
Â…
En analysant d′après cela, d′après le système invariable de ripostes dépeignant exactement le contraire de ce que j′éprouvais, je peux être assuré que si, ce soir-là, je lui dis que j′allais la quitter, c′était — même avant que je m′en fusse rendu compte — parce que j′avais peur qu′elle voulût une liberté (je n′aurais pas trop su dire quelle était cette liberté qui me faisait trembler, mais enfin une liberté telle qu′elle eût pu me tromper, ou du moins que je n′aurais plus pu être certain qu′elle ne me trompât pas) et que je voulais lui montrer par orgueil, par habileté, que j′étais bien loin de craindre cela, comme déjà, à Balbec, quand je voulais qu′elle eût une haute idée de moi et, plus tard, quand je voulais qu′elle n′eût pas le temps de s′ennuyer avec moi. Enfin, pour l′objection qu′on pourrait opposer à cette deuxième hypothèse — l′informulée — que tout ce qu′Albertine me disait toujours signifiait, au contraire, que sa vie préférée était la vie chez moi, le repos, la lecture, la solitude, la haine des amours saphiques, etc., il serait inutile de s′y arrêter. Car si, de son côté, Albertine avait voulu juger de ce que j′éprouvais par ce que je lui disais, elle aurait appris exactement le contraire de la vérité, puisque je ne manifestais jamais le désir de la quitter que quand je ne pouvais pas me passer d′elle, et qu′à Balbec je lui avais avoué aimer une autre femme, une fois Andrée, une autre fois une personne mystérieuse, les deux fois où la jalousie m′avait rendu de l′amour pour Albertine. Mes paroles ne reflétaient donc nullement mes sentiments. Si le lecteur n′en a que l′impression assez faible, c′est qu′étant narrateur je lui expose mes sentiments en même temps que je lui répète mes paroles. Mais si je lui cachais les premiers et s′il connaissait seulement les secondes, mes actes, si peu en rapport avec elles, lui donneraient si souvent l′impression d′étranges revirements qu′il me croirait à peu près fou. Procédé qui ne serait pas, du reste, beaucoup faux que celui que j′ai adopté, car les images qui me faisaient agir, si opposées à celles qui se peignaient dans mes paroles, étaient à ce moment-là fort obscures ; je ne connaissais qu′imparfaitement la nature suivant laquelle j′agissais ; aujourd′hui, j′en connais clairement la vérité subjective. Quant à sa vérité objective, c′est-à-dire si les inclinations de cette nature saisissaient plus exactement que mon raisonnement les intentions véritables d′Albertine, si j′ai eu raison de me fier à cette nature et si, au contraire, elle n′a pas altéré les intentions d′Albertine au lieu de les démêler, c′est ce qu′il m′est difficile de dire. Cette crainte vague, éprouvée par moi chez les Verdurin, qu′Albertine me quittât, s′était d′abord dissipée. Quand j′étais rentré, ç′avait été avec le sentiment d′être un prisonnier, nullement de retrouver une prisonnière. Mais la crainte dissipée m′avait ressaisi avec plus de force, quand, au moment où j′avais annoncé à Albertine que j′étais allé chez les Verdurin, j′avais vu se superposer à son visage une apparence d′énigmatique irritation, qui n′y affleurait pas, du reste, pour la première fois. Je savais bien qu′elle n′était que la cristallisation dans la chair de griefs raisonnés, d′idées claires pour l′être qui les forme et qui les tait, synthèse devenue visible mais non plus rationnelle, et que celui qui en recueille le précieux résidu sur le visage de l′être aimé essaye à son tour, pour comprendre ce qui se passe en celui-ci, de ramener par l′analyse à ses éléments intellectuels. L′équation approximative de cette inconnue qu′était pour moi la pensée d′Albertine m′avait à peu près donné : « Je savais ses soupçons, j′étais sûre qu′il chercherait à les vérifier, et pour que je ne puisse pas le gêner, il a fait tout son petit travail en cachette. » Mais si c′est avec de telles idées, et qu′elle ne m′avait jamais exprimées, que vivait Albertine, ne devait-elle pas prendre en horreur, n′avoir plus la force de mener, ne pouvait-elle pas, d′un jour à l′autre, décider de cesser une existence où, si elle était, au moins de désir, coupable, elle se sentait devinée, traquée, empêchée de se livrer jamais à ses goûts, sans que ma jalousie en fût désarmée ; où, si elle était innocente d′intention et de fait, elle avait le droit, depuis quelque temps, de se sentir découragée, en voyant que, depuis Balbec où elle avait mis tant de persévérance à éviter de jamais rester seule avec Andrée, jusqu′à aujourd′hui où elle avait renoncé à aller chez les Verdurin et à rester au Trocadéro, elle n′avait pas réussi à regagner ma confiance. D′autant plus que je ne pouvais pas dire que sa tenue ne fût parfaite. Si, à Balbec, quand on parlait de jeunes filles qui avaient mauvais genre, elle avait eu souvent des rires, des éploiements de corps, des imitations de leur genre, qui me torturaient à cause de ce que je supposais que cela signifiait pour ses amies, depuis qu′elle savait mon opinion là-dessus, dès qu′on faisait allusion à ce genre de choses, elle cessait de prendre part à la conversation, non seulement avec la parole, mais avec l′expression du visage. Soit pour ne pas contribuer aux malveillances qu′on disait sur telle ou telle, soit pour toute autre raison, la seule chose qui frappait alors, dans ses traits si mobiles, c′est qu′à partir du moment où on avait effleuré ce sujet, ils avaient témoigné de leur distraction, en gardant exactement l′expression qu′ils avaient un instant avant. Et cette immobilité d′une expression même légère pesait comme un silence ; il eût été impossible de dire qu′elle blâmât, qu′elle approuvât, qu′elle connût ou non ces choses. Chacun de ses traits n′était plus en rapport qu′avec un autre de ses traits. Son nez, sa bouche, ses yeux formaient une harmonie parfaite, isolée du reste ; elle avait l′air d′un pastel et de ne pas plus avoir entendu ce qu′on venait de dire que si on l′avait dit devant un portrait de Latour.
Debo decir que lo que me había parecido más grave y me había impresionado más como síntoma de que Albertina se adelantaba a mi acusación, fue que me dijera: «Creo que esta noche va a ir mademoiselle Vinteuil», a lo que yo contesté lo más cruelmente posible: «No me habías dicho que habías encontrado a madame Verdurin». Cuando veía algo desagradable en Albertina, en vez de decirle que estaba triste me volvía malo. Basándome en esto, en el sistema invariable de respuestas que expresaban exactamente lo contrario de lo que yo sentía, puedo estar seguro de que si aquella noche le dije que iba a dejarla fue -aun antes de darme cuenta de ello- porque tenía miedo de que Albertina reclamara una libertad (yo no sabría decir qué libertad era aquella que me hacía temblar, pero de todos modos una libertad que le hubiera permitido engañarme, o al menos me hubiera impedido a mí estar seguro de que no me engañaba) y yo, por orgullo, por habilidad, quería demostrarle que no temía tal cosa, como hacía ya en Balbec cuando quería que tuviera una alta idea de mi y, más tarde, cuando quería que no tuviera tiempo de aburrirse conmigo. En fin, sería inútil detenerse en la objeción que se pudiera oponer a esta segunda hipótesis -la informulada-, que todo lo que Albertina me decía significaba siempre, por el contrario, que su vida preferida era la vida en mi casa, el reposo, la lectura, la soledad, el odio a los amores sáficos, etc. Pues si Albertina, por su parte, hubiera querido juzgar lo que yo sentía por lo que le decía, habría sabido exactamente lo contrario de la verdad, porque yo no manifestaba nunca el deseo de dejarla sino precisamente cuando no podía pasar sin ella, y en Balbec le confesé dos veces que amaba a otra mujer, una vez a Andrea, otra a una persona misteriosa, y fueron las dos veces en que los celos me devolvieron el amor a Albertina. Es decir, que mis palabras no reflejaban en absoluto mis sentimientos. Si el lector no tiene de esto más que una impresión bastante ligera, es porque, como narrador, le expongo mis sentimientos a la vez que le repito mis palabras. Pero si le ocultara los primeros y conociera sólo las segundas, mis actos, tan poco en relación con ellas, le darían tantas veces la impresión de extraños cambios que me creería poco menos que loco. Proceder que no sería, por lo demás, mucho más falso que el que yo he adoptado, pues las imágenes que me movían a obrar, tan opuestas a las expresadas en mis palabras, eran en aquel momento muy oscuras; yo no conocía sino imperfectamente la naturaleza según la cual obraba; hoy conozco claramente su verdad subjetiva. En cuanto a su verdad objetiva, es decir, si las intuiciones de esta naturaleza captaban más exactamente que mi razonamiento las verdaderas deras intenciones de Albertina, si hice bien en fiarme de esta naturaleza o si, por el contrario, esta naturaleza enturbió las intenciones de Albertina en vez de aclararlas, me es difícil decirlo. Aquel vago temor que había sentido yo en casa de los Verdurin de que Albertina me dejara se disipó al principio, cuando volví a casa, con la sensación de ser un prisionero, en modo alguno de encontrar una prisionera. Mas, disipado el temor, me volvió con más fuerza cuando al decirle a Albertina que había ido a casa de los Verdurin le cubrió el rostro una apariencia de enigmática irritación que, por lo demás, no era la primera vez que afloraba a él. Yo sabía muy bien que no era más que la cristalización de la carne de agravios razonados, de ideas claras para quien las concibe y las calla, síntesis que resulta visible pero no racional y que aquel que recoge su precioso residuo en el rostro del ser amado procura a su vez, para entender lo que pasa en éste, reducirlo, mediante el análisis, a sus elementos intelectuales. La ecuación aproximativa a aquel desconocido que era para mí el pensamiento de Albertina me había dado sobre poco más o menos: «yo conocía sus sospechas, estaba seguro de que procuraría comprobarlas, y para que yo no pudiera estorbarle hizo todo su trabajito a escondidas». Pero si Albertina vivía con estas ideas, que nunca me había expresado, ¿no tomaría horror a esta existencia, no le faltarían fuerzas para vivirla, no decidiría en cualquier momento renunciar a ella, si era culpable, al menos en deseo, y se sentía adivinada, acorralada, sin poder nunca entregarse a sus gustos, sin que con ello desarmara mis celos; o, si era inocente de intención y de hecho, y a pesar de ello tenía derecho desde hacía tiempo a sentirse desanimada al ver que desde Balbec, donde tanta perseverancia puso en no quedarse sola nunca con Andrea, hasta hoy, en que había renunciado a ir a casa de los Verdurin y a quedarse en el Trocadero, no había logrado recuperar mi confianza? Sobre todo cuando yo no podía decir que su actitud no fuera perfecta. Si en Balbec, cuando se hablaba de muchachas de mala nota, había a veces visto en ella risas, gestos, imitaciones de sus maneras, que me torturaban por lo que yo suponía que aquello significaba para sus amigas, la verdad es que desde que conocía mi opinión sobre este asunto siempre que se aludía a este tipo de cosas dejaba de tomar parte en la conversación no sólo con la palabra, sino con la expresión del rostro. Fuera por no contribuir a las malevolencias que se decían sobre ésta o aquélla, o por cualquier otra razón, lo único que se notaba entonces en sus rasgos, tan movibles, es que en cuanto se tocaba el tema mostraban su distracción conservando exactamente la expresión que tenía un instante antes. Y esta inmovilidad del gesto, aunque ligera, pesaba como un silencio. Era imposible saber si censuraba, si aprobaba, si conocía o no aquellas cosas. Cada uno de sus rasgos no estaba en relación más que con otro de sus rasgos. La boca, la nariz, los ojos formaban una armonía perfecta, aislada del resto; parecía un pastel, parecía que no hubiera entendido lo que acababa de decir, igual que si se hubiera dicho ante un retrato de La Tour.
Mon esclavage, encore perçu par moi, quand, en donnant au cocher l′adresse de Brichot, j′avais vu la lumière de la fenêtre, avait cessé de me peser peu après, quand j′avais vu qu′Albertine avait l′air de sentir si cruellement le sien. Et pour qu′il lui parût moins lourd, qu′elle n′eût pas l′idée de le rompre d′elle-même, le plus habile m′avait semblé de lui donner l′impression qu′il n′était pas définitif et que je souhaitais moi-même qu′il prît fin. Voyant que ma feinte avait réussi, j′aurais pu me trouver heureux, d′abord parce que ce que j′avais tant redouté, la volonté que je supposais à Albertine de partir, se trouvait écarté, et ensuite parce que, en dehors même du résultat visé, en lui-même le succès de ma feinte, en prouvant que je n′étais pas absolument pour Albertine un amant dédaigné, un jaloux bafoué, dont toutes les ruses sont d′avance percées à jour, redonnait à notre amour une espèce de virginité, faisait renaître pour lui le temps où elle pouvait encore, à Balbec, croire si facilement que j′en aimais une autre. Car elle ne l′aurait sans doute plus cru, mais elle ajoutait foi à mon intention simulée de nous séparer à tout jamais ce soir. Elle avait l′air de se méfier que la cause en pût être chez les Verdurin. Par un besoin d′apaiser le trouble où me mettait ma simulation de rupture, je lui dis : « Albertine, pouvez-vous me jurer que vous ne m′avez jamais menti ? » Elle regarda fixement dans le vide, puis me répondit : « Oui, c′est-à-dire non. J′ai eu tort de vous dire qu′Andrée avait été très emballée sur Bloch, nous ne l′avions pas vu. — Mais alors pourquoi ? — Parce que j′avais peur que vous ne croyiez d′autres choses d′elle, c′est tout. » Je lui dis que j′avais vu un auteur dramatique très ami de Léa, à qui elle avait dit d′étranges choses (je pensais par là lui faire croire que j′en savais plus long que je ne disais sur l′amie de la cousine de Bloch). Elle regarda encore dans le vide et me dit : « J′ai eu tort, en vous parlant tout à l′heure de Léa, de vous cacher un voyage de trois semaines que j′ai fait avec elle. Mais je vous connaissais si peu à l′époque où il a eu lieu ! — C′était avant Balbec ? — Avant le second, oui. » Et le matin même, elle m′avait dit qu′elle ne connaissait pas Léa, et il y avait un instant, qu′elle ne l′avait vue que dans sa loge ! Je regardais une flambée brûler d′un seul coup un roman que j′avais mis des millions de minutes à écrire. À quoi bon ? À quoi bon ? Certes, je comprenais bien que, ces faits, Albertine me les révélait parce qu′elle pensait que je les avais appris indirectement de Léa, et qu′il n′y avait aucune raison pour qu′il n′en existât pas une centaine de pareils. Je comprenais aussi que les paroles d′Albertine, quand on l′interrogeait, ne contenaient jamais un atome de vérité, que, la vérité, elle ne la laissait échapper que malgré elle, comme un brusque mélange qui se faisait en elle, entre les faits qu′elle était jusque-là décidée à cacher et la croyance qu′on en avait eu connaissance. « Mais deux choses, ce n′est rien, dis-je à Albertine, allons jusqu′à quatre pour que vous me laissiez des souvenirs. Qu′est-ce que vous me pouvez révéler d′autre ? » Elle regarda encore dans le vide. À quelles croyances à la vie future adaptait-elle le mensonge, avec quels Dieux, moins coulants qu′elle n′avait cru, essayait-elle de s′arranger ? Ce ne dut pas être commode, car son silence et la fixité de son regard durèrent assez longtemps. « Non, rien d′autre », finit-elle par dire. Et malgré mon insistance, elle se buta, aisément maintenant, à « rien d′autre ». Et quel mensonge ! Car, du moment qu′elle avait ces goûts, jusqu′au jour où elle avait été enfermée chez moi, combien de fois, dans combien de demeures, de promenades elle avait dû les satisfaire ! Les Gomorrhéennes sont à la fois assez rares et assez nombreuses pour que, dans quelque foule que ce soit, l′une ne passe pas inaperçue aux yeux de l′autre. Dès lors le ralliement est facile.
Je me souvins avec horreur d′un soir qui, à l′époque, m′avait seulement semblé ridicule. Un de mes amis m′avait invité à dîner au restaurant avec sa maîtresse et un autre de mes amis qui avait aussi amené la sienne. Elles ne furent pas longues à se comprendre, mais, si impatientes de se posséder, que, dès le potage, les pieds se cherchaient, trouvant souvent le mien. Bientôt les jambes s′entrelacèrent. Mes deux amis ne voyaient rien ; j′étais au supplice. Une des deux femmes, qui n′y pouvait tenir, se mit sous la table, disant qu′elle avait laissé tomber quelque chose. Puis l′une eut la migraine et demanda à monter au lavabo. L′autre s′aperçut qu′il était l′heure d′aller rejoindre une amie au théâtre. Finalement je restai seul avec mes deux amis, qui ne se doutaient de rien. La migraineuse redescendit, mais demanda à rentrer seule attendre son amant chez lui afin de prendre un peu d′antipyrine. Elles devinrent très amies, se promenaient ensemble, l′une habillée en homme et qui levait des petites filles et les ramenait chez l′autre, les initiait. L′autre avait un petit garçon, dont elle faisait semblant d′être mécontente, et le faisait corriger par son amie, qui n′y allait pas de main morte. On peut dire qu′il n′y a pas de lieu, si public qu′il fût, où elles ne fissent ce qui est le plus secret. Mi propia esclavitud, la esclavitud que todavía sentía cuando al dar al cochero la dirección de Brichot vi la luz de la ventana, dejó de pesarme poco después, cuando vi que Albertina parecía sentir tan vivamente la suya. Y para que le pareciese menos dura, para que no se le ocurriera romperla ella, me pareció lo más hábil darle la impresión de que la esclavitud no sería definitiva, de que yo mismo deseaba ponerle fin. Viendo que la simulación me había salido bien, hubiera podido sentirme contento, en primer lugar porque lo que tanto había temido, el propósito de marcharse que yo le suponía, quedaba descartado, y además porque, aparte el resultado perseguido, el éxito de mi simulación en sí mismo, al demostrar que yo no era absolutamente para Albertina un amante desdeñado, un celoso burlado que ve descubiertos de antemano todos sus ardides, devolvía a nuestro amor una especie de virginidad, lo retrotraía al tiempo de Balbec, cuando Albertina podía aún, en Balbec, creer tan fácilmente que yo amaba a otra. Seguramente no lo hubiera creído ahora, pero sí daba fe a mi simulada intención de separarnos para siempre aquella noche. Parecía sospechar que la causa pudiera hallarse en casa de los Verdurin. Le dije que había visto a un autor dramático, Bloch, muy amigo de Léa, a quien ella había dicho cosas extrañas (pensaba hacerle creer con esto que sabía más de lo que decía sobre las primas de Bloch). Pero, por una necesidad de calmar la perturbación que me causaba mi simulación de ruptura, le dije: -Albertina, ¿me puedes jurar que nunca me has mentido? Miró fijamente al vacío y me contestó: -Sí, es decir, no. Hice mal en decirte que Andrea había estado muy colada por Bloch; no le habíamos visto. -Pero, entonces, ¿por qué me lo dijiste? -Porque tenía miedo de que creyeras otras cosas de ella, nada más que por eso -volvió a mirar al vacío y me dijo-: Hice mal en ocultarte el viaje de tres semanas que había hecho con Léa. Pero es que te conocía tan poco... -¿Fue antes de Balbec? -Antes del segundo, sí. ¡Y aquella misma mañana me había dicho que no conocía a Léa! Veía quemarse de pronto en una llamarada una novela que me había costado millones de minutos escribir. ¿Para qué? ¿Para qué? Claro que yo comprendía muy bien que Albertina me revelaba aquellos dos hechos porque pensaba que los había sabido indirectamente por Léa, y no había ninguna razón para que no existieran otros cien parecidos. Comprendía también que en las palabras de Albertina cuando la interrogaban no había nunca ni un átomo de verdad, que la verdad sólo la dejaba escapar sin querer, como una mezcla que se producía en ella bruscamente, entre los hechos que hasta entonces estaba decidida a ocultar y la creencia de que se habían sabido. -Pero dos cosas no es nada -le dije-; lleguemos hasta cuatro para que me dejes recuerdos. ¿Qué más me puedes revelar? Volvió a mirar al vacío. ¿A qué creencias en la vida futura adoptaba Albertina la mentira, con qué dioses de manga menos ancha de lo que ella había creído intentaba arreglarse? No debió de ser fácil, pues su silencio y la fijeza de su mirada duraron bastante tiempo. -No, nada más -acabó por decir. Y a pesar de mi insistencia se encerró, fácilmente ahora, en «nada más». ¡Qué mentira! Pues desde el momento en que tenía aquellas aficiones y hasta el día en que quedó encerrada en mi casa, ¡cuántas veces, cuántas casas, cuántos paseos debieron de satisfacerla! Las gomorrianas son a la vez lo bastante raras y lo bastante numerosas para que en cualquier aglomeración no pasen inadvertidas unas de otras. Y luego es fácil encontrarse. Recuerdo con horror una noche que en su época me pareció solamente ridícula. Me había invitado un amigo a comer en el restaurante con su querida y otro amigo suyo que llevó también la suya. No tardaron ellas en entenderse, pero tan impacientes por poseerse que ya desde la sopa se buscaban los pies, y a veces tropezaban con el mío. En seguida se enlazaron las piernas. Mis dos amigos no veían nada; yo estaba en ascuas. Una de las dos amigas, que no podía más, se metió debajo de la mesa diciendo que se le había caído una cosa. Después a una le dio jaqueca y pidió subir al lavabo. La otra se dio cuenta de que era la hora de ir a buscar a una amiga al teatro. Y me quedé yo solo con mis dos amigos, que no sospechaban nada. La de la jaqueca volvió a bajar, pero diciendo que la dejaran marcharse sola a esperar a su amante en su casa, para tomar un poco de antipirina. Se hicieron muy amigas, paseaban juntas; una de ellas, vestida de hombre, reclutaba jovencitas y las llevaba a casa de la otra para iniciarlas. La otra tenía un muchachito, hacía como que estaba descontenta de él y encargaba de castigarle a su amiga, que no se andaba con chiquitas. Puede decirse que no había lugar, por público que fuera, donde no hiciesen lo que hay de más secreto.
« Mais Léa a été, tout le temps de ce voyage, parfaitement convenable avec moi, me dit Albertine. Elle était même plus réservée que bien des femmes du monde. — Est-ce qu′il y a des femmes du monde qui ont manqué de réserve avec vous, Albertine ? — Jamais. — Alors qu′est-ce que vous voulez dire ? — Eh bien, elle était moins libre dans ses expressions. — Exemple ? — Elle n′aurait pas, comme bien des femmes qu′on reçoit, employé le mot : embêtant, ou le mot : se ficher du monde. » Il me semblait qu′une partie du roman, qui n′avait pas brûlé encore, tombait enfin en cendres. -Pero en aquel viaje Léa estuvo siempre muy correcta conmigo -me dijo Albertina-. Hasta más reservada que muchas señoras del gran mundo. -¿Es que hay mujeres del gran mundo que no estuvieran reservadas contigo, Albertina? -Nunca. -Entonces, ¿qué quieres decir? -Bueno, que era menos libre en su modo de hablar. -¿Por ejemplo? -No hubiera empleado, como muchas mujeres a las que todo el mundo recibe, la palabra reventante o la expresión chiflarse en el mundo. Me pareció que caía también en cenizas una parte de la novela que aún subsistía.
Mon découragement aurait duré. Les paroles d′Albertine, quand j′y songeais, y faisaient succéder une colère folle. Elle tomba devant une sorte d′attendrissement. Moi aussi, depuis que j′étais rentré et déclarais vouloir rompre, je mentais aussi. Et cette volonté de séparation, que je simulais avec persévérance, entraînait peu à peu pour moi quelque chose de la tristesse que j′aurais éprouvée si j′avais vraiment voulu quitter Albertine. Las palabras de Albertina, cuando pensaba en ellas, sustituían mi desaliento por una ira furiosa, que desapareció a su vez ante una especie de enternecimiento. También yo, desde que entré y dije mi propósito de romper, mentía.
D′ailleurs, même en repensant par à-coups, par élancements, comme on dit pour les autres douleurs physiques, à cette vie orgiaque, qu′avait menée Albertine avant de me connaître, j′admirais davantage la docilité de ma captive et je cessais de lui en vouloir. Por otra parte, aun pensando a saltos, a punzadas, como se dice de los dolores físicos, en aquella vida orgiástica que había llevado Albertina antes de conocerme, admiraba más la docilidad de mi cautiva y dejaba de odiarla. Pero esta simulación me daba un poco de la tristeza que me hubiera dado la intención verdadera, porque para poder fingirla tenía que representármela.
Sans doute, jamais, durant notre vie commune, je n′avais cessé de laisser entendre à Albertine que cette vie ne serait vraisemblablement que provisoire, de façon qu′Albertine continuât à y trouver quelque charme. Mais ce soir, j′avais été plus loin, ayant craint que de vagues menaces de séparation ne fussent plus suffisantes, contredites qu′elles seraient sans doute, dans l′esprit d′Albertine, par son idée d′un grand amour jaloux pour elle, qui m′aurait, semblait-elle dire, fait aller enquêter chez les Verdurin. Verdad es que durante nuestra vida común yo no había dejado nunca de dar a entender a Albertina que, probablemente, aquella vida sería provisional, para que Albertina siguiera encontrándole cierto encanto. Pero esta noche había ido más lejos por miedo de que unas vagas amenazas de separación no fueran suficientes, contradichas como serían sin duda en el ánimo de Albertina por la idea de que era un gran amor a ella lo que me llevó -parecía decir- a inquirir en casa de los Verdurin.
Ce soir-là je pensai que, parmi les autres causes qui avaient pu me décider brusquement, sans même m′en rendre compte qu′au fur et à mesure, à jouer cette comédie de rupture, il y avait surtout que, quand, dans une de ces impulsions comme en avait mon père, je menaçais un être dans sa sécurité, comme je n′avais pas, comme lui, le courage de réaliser une menace, pour ne pas laisser croire qu′elle n′avait été que paroles en l′air, j′allais assez loin dans les apparences de la réalisation et ne me repliais que quand l′adversaire, ayant eu vraiment l′illusion de ma sincérité, avait tremblé pour tout de bon. D′ailleurs, dans ces mensonges nous sentons bien qu′il y a de la vérité ; que, si la vie n′apporte pas de changements à nos amours, c′est nous-mêmes qui voudrons en apporter ou en feindre, et parler de séparation, tant nous sentons que tous les amours et toutes choses évoluent rapidement vers l′adieu. On veut pleurer les larmes qu′il apportera, bien avant qu′il survienne. Sans doute y avait-il cette fois, dans la scène que j′avais jouée, une raison d′utilité. J′avais soudain tenu à garder Albertine parce que je la sentais éparse en d′autres êtres auxquels je ne pouvais l′empêcher de se joindre. Mais eût-elle à jamais renoncé à tous pour moi, que j′aurais peut-être résolu plus fermement encore de ne la quitter jamais, car la séparation est, par la jalousie, rendue cruelle, mais, par la reconnaissance, impossible. Je sentais en tous cas que je livrais la grande bataille où je devais vaincre ou succomber. J′aurais offert à Albertine, en une heure, tout ce que je possédais, parce que je me disais : tout dépend de cette bataille ; mais ces batailles ressemblent moins à celles d′autrefois, qui duraient quelques heures, qu′à une bataille contemporaine qui n′est finie ni le lendemain, ni le surlendemain, ni la semaine suivante. On donne toutes ses forces, parce qu′on croit toujours que ce sont les dernières dont on aura besoin. Et plus d′une année se passe sans amener la « décision ». Peut-être une inconsciente réminiscence de scènes menteuses faites par M. de Charlus, auprès duquel j′étais quand la crainte d′être quitté par Albertine s′était emparée de moi, s′y ajoutait-elle. Mais, plus tard, j′ai entendu raconter par ma mère ceci, que j′ignorais alors et qui me donne à croire que j′avais trouvé tous les éléments de cette scène en moi-même, dans ces réserves obscures de l′hérédité que certaines émotions, agissant en cela comme, sur l′épargne de nos forces emmagasinées, les médicaments analogues à l′alcool et au café, nous rendent disponibles. Quand ma tante Léonie apprenait par Eulalie que Françoise, sûre que sa maîtresse ne sortirait jamais plus, avait manigancé en secret quelque sortie que ma tante devait ignorer, celle-ci, la veille, faisait semblant de décider qu′elle essayerait le lendemain d′une promenade. À Françoise incrédule elle faisait non seulement préparer d′avance ses affaires, faire prendre l′air à celles qui étaient depuis trop longtemps enfermées, mais même commander la voiture, régler, à un quart d′heure près, tous les détails de la journée. Ce n′était que quand Françoise, convaincue ou du moins ébranlée, avait été forcée d′avouer à ma tante les projets qu′elle-même avait formés, que celle-ci renonçait publiquement aux siens pour ne pas, disait-elle, entraver ceux de Françoise. De même, pour qu′Albertine ne pût pas croire que j′exagérais et pour la faire aller le plus loin possible dans l′idée que nous nous quittions, tirant moi-même les déductions de ce que je venais d′avancer, je m′étais mis à anticiper le temps qui allait commencer le lendemain et qui durerait toujours, le temps où nous serions séparés, adressant à Albertine les mêmes recommandations que si nous n′allions pas nous réconcilier tout à l′heure. Comme les généraux qui, jugeant que, pour qu′une feinte réussisse à tromper l′ennemi, il faut la pousser à fond, j′avais engagé dans celle-ci presque autant de mes forces de sensibilité que si elle avait été véritable. Cette scène de séparation fictive finissait par me faire presque autant de chagrin que si elle avait été réelle, peut-être parce qu′un des deux acteurs, Albertine, en la croyant telle, ajoutait pour l′autre à l′illusion. Alors qu′on vivait au jour le jour, qui, même pénible, restait supportable, retenu dans le terre-à-terre par le lest de l′habitude et par cette certitude que le lendemain, dût-il être cruel, contiendrait la présence de l′être auquel on tient, voici que follement je détruisais toute cette pesante vie. Je ne la détruisais, il est vrai, que d′une façon fictive, mais cela suffisait pour me désoler ; peut-être parce que les paroles tristes que l′on prononce, même mensongèrement, portent en elles leur tristesse et nous l′injectent profondément ; peut-être parce qu′on sait qu′en simulant des adieux, on évoque par anticipation une heure qui viendra fatalement plus tard ; puis l′on n′est pas bien assuré qu′on ne vient pas de déclencher le mécanisme qui la fera sonner. Dans tout bluff, il y a, si petite qu′elle soit, une part d′incertitude sur ce que va faire celui qu′on trompe. Si cette comédie de séparation allait aboutir à une séparation ! On ne peut en envisager la possibilité, même invraisemblable, sans un serrement de cœur. On est doublement anxieux, car la séparation se produirait alors au moment où elle serait insupportable, où on vient d′avoir de la souffrance par la femme qui vous quitterait avant de vous avoir guéri, au moins apaisé. Enfin, nous n′avons plus le point d′appui de l′habitude, sur laquelle nous nous reposons, même dans le chagrin. Nous venons volontairement de nous en priver, nous avons donné à la journée présente une importance exceptionnelle, nous l′avons détachée des journées contiguës ; elle flotte sans racines comme un jour de départ ; notre imagination, cessant d′être paralysée par l′habitude, s′est éveillée ; nous avons soudain adjoint à notre amour quotidien des rêveries sentimentales qui le grandissent énormément, nous rendent indispensable une présence sur laquelle, justement, nous ne sommes plus absolument certains de pouvoir compter. Sans doute, c′est justement afin d′assurer pour l′avenir cette présence, que nous nous sommes livrés au jeu de pouvoir nous en passer. Mais ce jeu, nous y avons été pris nous-même, nous avons recommencé à souffrir parce que nous avons fait quelque chose de nouveau, d′inaccoutumé, et qui se trouve ressembler ainsi à ces cures qui doivent guérir plus tard le mal dont on souffre, mais dont les premiers effets sont de l′aggraver. Aquella noche pensé que, entre las demás causas que hubieran podido decidirme bruscamente, sin darme cuenta siquiera más que a medida que se desarrollaba, a representar aquella comedia de ruptura, había sobre todo una: que cuando en un impulso como los que tenía mi padre amenazaba a un ser en su seguridad, como yo no tenía como él el valor de cumplir una amenaza, para que la persona amenazada no creyera que todo se iba a quedar en palabras iba bastante lejos en la; apariencias de la realización y no me replegaba hasta que e. adversario, creyendo verdaderamente en mi sinceridad, se echaba a temblar. Por otra parte, sentimos que en esas mentiras hay algo de verdad; que si la vida no aporta cambios a nuestros amores somos nosotros mismos quienes queremos aportarlos, o aa menos fingirlos, y hablamos de separación: hasta tal puntc sentimos que todos los amores y todas las cosas evolucionar rápidamente hacia el adiós. Queremos llorar las lágrimas de este adiós antes de que sobrevenga. En la escena por mí representada había, sin duda, aquella vez una razón de utilidad. Quise de pronto conservarla, porque la sentía dispersa en otros seres, sin poder impedir que se uniera con ellos Mas si hubiera renunciado a todos por mí, acaso yo habría decidido más firmemente aún no dejarla nunca, pues si lo; celos hacen cruel la separación, la gratitud la hace imposible En todo caso, me daba cuenta de que estaba librando la grarr batalla, una batalla en la que tenía que vencer o sucumbir. Hubiera ofrecido a Albertina en una hora todo lo que poseía, porque pensaba: todo depende de esta batalla. Pero estas batallas se parecen menos a las de antaño, que duraban varias horas, que a una batalla contemporánea, que no termina ni al día siguiente, ni al otro, ni a la semana siguiente. Ponemos en ella todas nuestras fuerzas porque siempre creemos que serán las últimas que vamos a necesitar. Y pase más de un año sin que llegue la «decisión». Acaso se sumaba a esto una inconsciente reminiscencia de las escenas mentirosas organizadas por monsieur de Charlus, cerca del cual estaba yo cuando se apoderó de mí el miedo de que Albertina me dejara. Pero más tarde le oí contar a mi madre una cosa que entonces ignoraba y que me hace creer que todos los elementos de aquella escena los encontrc en mí mismo, en una de esas oscuras reservas de la herencia que ciertas emociones, obrando en esto como algunos medicamentos análogos al alcohol y al café obran sobre el ahorro de nuestras reservas de fuerzas, nos hacen disponibles: cuando mi tía Octavia se enteraba por Eulalia de que Francisca, segura de que su señora ya no iba a salir, había tramado en secreto alguna salida que mi tía debía ignorar, ésta, la víspera, simulaba decidir que al día siguiente procuraría dar un paseo. Y obligaba a Francisca, incrédula al principio, no sólo a preparar de antemano sus cosas, a sacar al aire las que llevaban mucho tiempo cerradas, sino hasta a encargar el coche, a disponer casi al cuarto de hora todos los detalles del día. Y sólo cuando Francisca, convencida, o al menos, vacilante, se veía obligada a confesar a mi tía sus propios planes, renunciaba ésta públicamente a los suyos para no impedir, decía, los de Francisca. De la misma manera, para que Albertina no pudiera creer que yo exageraba y para hacerle llegar lo más lejos posible en la idea de que nos separábamos, sacando yo mismo las deducciones de lo que acababa de anunciar, me puse yo a anticipar el tiempo que comenzaría al día siguiente y que duraría siempre, el tiempo de nuestra separación, dirigiendo a Albertina las mismas recomendaciones que si no nos fuéramos a reconciliar en seguida. Como los generales que piensan que para engañar al enemigo con un falso ataque hay que llevarlo a fondo, yo puse en este mío casi tantas fuerzas de mi sensibilidad como si fuera verdadero. Aquella escena de separación ficticia acababa por darme casi tanta pena como si fuera real, quizá porque uno de los dos actores, Albertina, la creía real y acentuaba así la figuración del otro. Vivíamos el momento, un momento que, aunque penoso, era soportable, retenidos en tierra por el lastre del hábito y por la certidumbre de que el día siguiente, aunque fuera cruel, contendría la presencia del ser que nos interesa. Y he aquí que yo, insensatamente, destruía toda aquella grávida vida. Verdad es que no la destruía sino ficticiamente, pero bastaba esto para desolarme; quizá porque las palabras tristes que se pronuncian, aunque sean mentirosas, llevan en sí mismas su tristeza y nos la inyectan profundamente, quizá porque se sabe que simulando adioses se evoca con anticipación una hora que llegará fatalmente más tarde; además, no se está muy seguro de no poner en marcha el mecanismo que dará esa hora. En todo bluff hay una parte de incertidumbre, por pequeña que sea, sobre lo que va a hacer el que engaña. ¡Y si la comedia de separación acabara en separación! No podemos pensar en tal posibilidad, aunque sea inverosímil, sin que se nos encoja el corazón. La ansiedad es mayor porque la separación se produciría entonces en el momento en que nos sería insoportable, cuando acaba de herirnos el dolor por la mujer que nos va a dejar antes de habernos curado, al menos aliviado. Y además ni siquiera tenemos ya el punto de apoyo de la costumbre en la que descansamos hasta de la pena. Acabamos de privarnos voluntariamente de este punto de apoyo, le hemos dado a este día una importancia excepcional, le hemos separado de los días contiguos y flota sin raíces como un día de partida; nuestra imaginación, antes paralizada por el hábito, se despierta; hemos incorporado de pronto a nuestro amor cotidiano sueños sentimentales que le agrandan muchísimo, que nos hacen indispensable una presencia con la que precisamente no estamos ya completamente seguros de poder contar. Y si nos hemos entregado al juego de poder pasar sin esta presencia, es sin duda con el fin de asegurarla para el porvenir. Pero es un juego peligroso y nos sale al revés: sufrimos con otro sufrimiento porque hemos hecho algo nuevo, desacostumbrado, y es como esos tratamientos que, a la larga, curarán el mal que padecemos, pero que por lo pronto lo agravan.
J′avais les larmes aux yeux, comme ceux qui, seuls dans leur chambre, imaginent, selon les détours capricieux de leur rêverie, la mort d′un être qu′ils aiment, se représentent si minutieusement la douleur qu′ils auraient, qu′ils finissent par l′éprouver. Ainsi, en multipliant les recommandations à Albertine sur la conduite qu′elle aurait à tenir à mon égard quand nous allions être séparés, il me semblait que j′avais presque autant de chagrin que si nous n′avions pas dû nous réconcilier tout à l′heure. Et puis, étais-je si sûr de le pouvoir, de faire revenir Albertine à l′idée de la vie commune, et, si j′y réussissais pour ce soir, que, chez elle, l′état d′esprit que cette scène avait dissipé ne renaîtrait pas ? Je me sentais, mais ne me croyais pas maître de l′avenir, parce que je comprenais que cette sensation venait seulement de ce qu′il n′existait pas encore et qu′ainsi je n′étais pas accablé de sa nécessité. Enfin, tout en mentant, je mettais peut-être dans mes paroles plus de vérité que je ne croyais. Je venais d′avoir un exemple, quand j′avais dit à Albertine que je l′oublierais vite ; c′était ce qui m′était, en effet, arrivé avec Gilberte, que je m′abstenais maintenant d′aller voir pour éviter, non pas une souffrance, mais une corvée. Et certes, j′avais souffert en écrivant à Gilberte que je ne la verrais plus, et je n′allais que de temps en temps chez elle. Or toutes les heures d′Albertine m′appartenaient, et, en amour, il est plus facile de renoncer à un sentiment que de perdre une habitude. Mais tant de paroles douloureuses concernant notre séparation, si la force de les prononcer m′était donnée parce que je les savais mensongères, en revanche elles étaient sincères dans la bouche d′Albertine quand je l′entendis s′écrier : « Ah ! c′est promis, je ne vous reverrai jamais. Tout plutôt que de vous voir pleurer comme cela, mon chéri. Je ne veux pas vous faire de chagrin. Puisqu′il le faut, on ne se verra plus. » Elles étaient sincères, ce qu′elles n′eussent pu être de ma part, parce que, d′une part, comme Albertine n′avait pour moi que de l′amitié, le renoncement qu′elles promettaient lui coûtait moins ; parce que, d′autre part, dans une séparation, c′est celui qui n′aime pas d′amour qui dit les choses tendres, l′amour ne s′exprimant pas directement ; parce qu′enfin mes larmes, qui eussent été si peu de chose dans un grand amour, lui paraissaient presque extraordinaires et la bouleversaient, transposées dans le domaine de cette amitié où elle restait, de cette amitié plus grande que la mienne, à ce qu′elle venait de dire, ce qui n′était peut-être pas tout à fait inexact, car les mille bontés de l′amour peuvent finir par éveiller, chez l′être qui l′inspire en ne l′éprouvant pas, une affection, une reconnaissance, moins égoî²´es que le sentiment qui les a provoquées, et qui, peut-être, après des années de séparation, quand il ne restera rien de lui chez l′ancien amant, subsisteront toujours chez l′aimée. Yo tenía lágrimas en los ojos, como los que, solos en su cuarto, imaginándose según los giros caprichosos de su figuración la muerte de un ser querido, tan minuciosamente se representan el dolor que sentirían que acaban por sentirlo. Así, multiplicando las recomendaciones a Albertina sobre lo que debía hacer respecto a mí cuando nos separáramos, me parecía que sentía tanta pena como si no fuéramos a reconciliarnos en seguida. Y además, ¿estaba tan seguro de lograrlo, de hacer volver a Albertina a la idea de la vida común y de que, si lo lograba por aquella noche, no renacería en Albertina el estado de espíritu que aquella escena había disipado? Me sentía, pero no me creía dueño del porvenir, porque comprendía que esta sensación nacía solamente de que ese porvenir no existía aún y, por consiguiente, no me punzaba su necesidad. En fin, mintiendo, ponía quizá en mis palabras más verdad de lo que yo creía. Acababa de tener un ejemplo de esto cuando dije a Albertina que la olvidaría pronto; era, en efecto, lo que me había ocurrido con Gilberta, a la que ahora me abstenía de ir a ver por evitar no un sufrimiento, sino una obligación pesada. Y, ciertamente, había sufrido al escribir a Gilberta que no la vería más. Y a ver a Gilberta no iba más que de cuando en cuando, mientras que todas las horas de Albertina me pertenecían. Y en amor es más fácil renunciar a un sentimiento que perder una costumbre. Pero todas esas palabras dolorosas sobre nuestra separación, si tenía yo la fuerza de pronunciarlas porque las sabía falsas, en cambio eran sinceras en boca de Albertina cuando la oí exclamar: «¡Ah!, prometido, no te volveré a ver nunca. Todo antes que verte llorar así, querido. No quiero darte pena. Puesto que es necesario, no volveremos a vernos.» Estas palabras eran sinceras, mientras que por mi parte no hubieran podido serlo, porque como Albertina no sentía por mí nada más que amistad, por una parte el renunciamiento que prometían le costaba menos, y por otra, mis lágrimas, que tan poca cosa hubieran sido en un gran amor, le parecían casi extraordinarias y la trastornaban traspuestas a los dominios de aquella amistad en la que ella se quedaba, de aquella amistad más grande que la mía, según ella acababa de decir -según ella acababa de decir, porque en una separación es el que no ama de amor quien dice las cosas tiernas, pues el amor no se expresa directamente-, y que quizá no era completamente inexacto, pues las mil bondades del amor acaban por despertar en el ser que las inspira y no lo siente un afecto, una gratitud, menos egoístas que el sentimiento que las ha provocado y que quizá, pasados años de separación, cuando ya en el antiguo enamorado no quede nada de aquel sentimiento, subsistirán siempre en la amada.
« Ma petite Albertine, répondis-je, vous êtes bien gentille de me le promettre. Du reste, les premières années du moins, j′éviterai les endroits où vous serez. Vous ne savez pas si vous irez cet été à Balbec ? Parce que, dans ce cas-là, je m′arrangerais pour ne pas y aller. » Maintenant, si je continuais à progresser ainsi, devançant les temps, dans mon invention mensongère, ce n′était pas moins pour faire peur à Albertine que pour me faire mal à moi-même. Comme un homme qui n′avait d′abord que des motifs peu importants de se fâcher se grise tout à fait par les éclats de sa propre voix, et se laisse emporter par une fureur engendrée, non par ses griefs, mais par sa colère elle-même en voie de croissance, ainsi, je roulais de plus en plus vite sur la pente de ma tristesse, vers un désespoir de plus en plus profond, et avec l′inertie d′un homme qui sent le froid le saisir, n′essaye pas de lutter, et trouve même à frissonner une espèce de plaisir. Et si j′avais enfin, tout à l′heure, comme j′y comptais bien, la force de me ressaisir, de réagir et de faire machine en arrière, bien plus que du chagrin qu′Albertine m′avait fait en accueillant si mal mon retour, c′était de celui que j′avais éprouvé à imaginer, pour feindre de les régler, les formalités d′une séparation imaginaire, à en prévoir les suites, que le baiser d′Albertine, au moment de me dire bonsoir, aurait aujourd′hui à me consoler. En tous cas, ce bonsoir, il ne fallait pas que ce fût elle qui me le dît d′elle-même, ce qui m′eût rendu plus difficile le revirement par lequel je lui proposerais de renoncer à notre séparation. Aussi, je ne cessais de lui rappeler que l′heure de nous dire ce bonsoir était depuis longtemps venue, ce qui, en me laissant l′initiative, me permettait de le retarder encore d′un moment. Et ainsi je semais d′allusions à la nuit déjà si avancée, à notre fatigue, les questions que je posais à Albertine. « Je ne sais pas où j′irai, répondit-elle à la dernière, d′un air préoccupé. Peut-être j′irai en Touraine, chez ma tante. » Et ce premier projet qu′elle ébauchait me glaça comme s′il commençait à réaliser effectivement notre séparation définitive. Elle regarda la chambre, le pianola, les fauteuils de satin bleu. « Je ne peux pas me faire encore à l′idée que je ne verrai plus tout cela ni demain, ni après-demain, ni jamais. Pauvre petite chambre ! Il me semble que c′est impossible ; cela ne peut pas m′entrer dans la tête. — Il le fallait, vous étiez malheureuse ici. — Mais non, je n′étais pas malheureuse, c′est maintenant que je le serai. — Mais non, je vous assure, c′est mieux pour vous. — Pour vous peut-être ! » Je me mis à regarder fixement dans le vide, comme si, en proie à une grande hésitation, je me débattais contre une idée qui me fût venue à l′esprit. Enfin tout d′un coup : « Écoutez, Albertine, vous dites que vous êtes plus heureuse ici, que vous allez être malheureuse. — Bien sûr. — Cela me bouleverse ; voulez-vous que nous essayions de prolonger de quelques semaines ? Qui sait ? semaine par semaine, on peut peut-être arriver très loin ; vous savez qu′il y a des provisoires qui peuvent finir par durer toujours. — Oh ! ce que vous seriez gentil ! — Seulement, alors c′est de la folie de nous être fait mal comme cela pour rien, pendant des heures ; c′est comme un voyage pour lequel on s′est préparé et puis qu′on ne fait pas. Je suis moulu de chagrin. » Je l′assis sur mes genoux, je pris le manuscrit de Bergotte qu′elle désirait tant, et j′écrivis sur la couverture : « À ma petite Albertine, en souvenir d′un renouvellement de bail. » « Maintenant, lui dis-je, allez dormir jusqu′à demain soir, ma chérie, car vous devez être brisée. — Je suis surtout bien contente. — M′aimez-vous un petit peu ? — Encore cent fois plus qu′avant. » Mi pequeña Albertina, eres muy buena prometiéndomelo. De todos modos, al menos los primeros meses, yo evitaré los lugares donde estés tú. ¿Sabes si irás este verano a Balbec?, porque, si vas, yo me las arreglaré para no ir. Ahora, si seguía progresando así, adelantándome al tiempo en mi invención mentirosa, lo hacía tanto por atemorizar a Albertina como por hacerme daño a mí mismo. Como un hombre que, al principio, no ha tenido sino motivos poco importantes para enfadarse y se remonta por completo con sus propias palabras y se deja llevar por una furia engendrada no por agravios recibidos, sino por su misma ira que va subiendo de tono, así rodaba yo cada vez más por la pendiente de mi tristeza hacia una desesperación cada vez más profunda y con la inercia de un hombre que, sintiendo que le gana el frío, no intenta luchar y hasta encuentra una especie de placer en tiritar. Y, en fin, si un momento antes tuve, como esperaba, la fuerza de rehacerme, de reaccionar y de dar marcha atrás, ahora el beso de Albertina al darme las buenas noches tendría que consolarme mucho más que de la pena que me causó acogiendo tan mal mi regreso de la que yo sentí imaginando, para fingir luego arreglarlas, las formalidades de una separación imaginaria y previendo las consecuencias. En todo caso, aquellas buenas noches no debía ser ella quien me las diera, pues eso me hubiera hecho más difícil el viraje con el que le propondría renunciar a nuestra separación. Por eso no dejaba de recordarle que había llegado hacía ya tiempo la hora de despedirnos, lo que, dejándome la iniciativa, me permitía retardarla un momento más. Y así sembraba de alusiones a la noche ya tan avanzada, a nuestro cansancio, las cuestiones que planteaba a Albertina. -No sé a dónde iré -contestó a la última con aire preocupado-. Quizá vaya a Turena, a casa de mi tía. Y este primer proyecto que esbozó me dejó helado, como si comenzara a realizarse efectivamente nuestra separación definitiva. Miró la habitación, la pianola, las butacas de raso azul. -Todavía no puedo hacerme a la idea de que ya no veré todo esto ni mañana, ni pasado mañana, ni nunca. ¡Pobre cuartito este! Me parece imposible; no me cabe en la cabeza. -Tenía que ser, aquí eras desgraciada. -No, no era desgraciada, es ahora cuando lo voy a ser. -No, seguro que es mejor para ti. -¡Para ti quizá! Me puse a mirar fijamente al vacío como si, sumido en una gran duda, me debatiera contra una idea que se me hubiera ocurrido. Por fin dije de pronto: -Oye, Albertina, dices que eres más feliz aquí, que vas a ser desgraciada. -Seguro. -Eso me perturba. ¿Quieres que intentemos seguir unas semanas más? A lo mejor, semana a semana, podemos llegar muy lejos; ya sabes que lo provisional puede llegar a durar siempre. -¡Oh, qué bueno serías! -Pero entonces es insensato habernos hecho tanto daño durante horas para nada; es como prepararse para un viaje y después no hacerlo. Estoy muerto de pena. La senté sobre mis rodillas, cogí el manuscrito de Bergotte que ella deseaba tanto y escribí en la cubierta: «A mi pequeña Albertina, en recuerdo de una renovación de contrado, -Ahora -le dije- vete a dormir hasta mañana por la no che, querida mía, pues debes de estar destrozada. -Lo que estoy, sobre todo, es muy contenta. -¿Me quieres un poquito? -Cien veces más que antes.
J′aurais eu tort d′être heureux de la petite comédie, n′eût-elle pas été jusqu′à cette forme véritable de mise en scène où je l′avais poussée. N′eussions-nous fait que parler simplement de séparation que c′eût été déjà grave. Ces conversations que l′on tient ainsi, on croit le faire non seulement sans sincérité, ce qui est en effet, mais librement. Or elles sont généralement, à notre insu, chuchoté malgré nous, le premier murmure d′une tempête que nous ne soupçonnons pas. En réalité, ce que nous exprimons alors c′est le contraire de notre désir (lequel est de vivre toujours avec celle que nous aimons), mais c′est aussi cette impossibilité de vivre ensemble qui fait notre souffrance quotidienne, souffrance préférée par nous à celle de la séparation, et qui finira malgré nous par nous séparer. D′habitude, pas tout d′un coup cependant. Le plus souvent il arrive — ce ne fut pas, on le verra, mon cas avec Albertine — que, quelque temps après les paroles auxquelles on ne croyait pas, on met en action un essai informe de séparation voulue, non douloureuse, temporaire. On demande à la femme, pour qu′ensuite elle se plaise mieux avec nous, pour que nous échappions, d′autre part, momentanément à des tristesses et des fatigues continuelles, d′aller faire sans nous, ou de nous laisser faire sans elle, un voyage de quelques jours, les premiers — depuis bien longtemps — passés, ce qui nous eût semblé impossible, sans elle. Très vite elle revient prendre sa place à notre foyer. Seulement, cette séparation, courte, mais réalisée, n′est pas aussi arbitrairement décidée et aussi certainement la seule que nous nous figurons. Les mêmes tristesses recommencent, la même difficulté de vivre ensemble s′accentue, seule la séparation n′est plus quelque chose d′aussi difficile ; on a commencé par en parler, on l′a ensuite exécutée sous une forme aimable. Mais ce ne sont que des prodromes que nous n′avons pas reconnus. Bientôt à la séparation momentanée et souriante succédera la séparation atroce et définitive que nous avons préparée sans le savoir. Hubiera hecho mal en sentirme dichoso con la pequeña comedia. Aunque no hubiera llegado a aquella forma verdaderamente teatral a que yo la llevé, aunque no hubiéramos hecho más que hablar simplemente de separación, ya habría sido grave. Estas conversaciones creemos hacerlas no solamente sin sinceridad, lo que así es, en efecto, sino libremente. Pero, sin proponérnoslo, suelen ser el primer murmullo, susurrado a pesar nuestro, de una tempestad que no sospechamos. En realidad, lo que entonces decimos es lo contrario de nuestro deseo (que es vivir siempre con la mujer que amamos), mas es también esa imposibilidad de vivir juntos la causa de nuestro sufrimiento cotidiano, sufrimiento que preferimos al de la separación, pero que acabará, a pesar nuestro, por separarnos. Sin embargo, esto no suele ocurrir de repente. Por lo general -como se verá, no en mi caso con Albertina- acontece algún tiempo después de las palabras en las que no creíamos, ponemos en acción un ensayo informe de separación voluntaria, no dolorosa, temporal. Para que luego esté más a gusto con nosotros, para, por otra parte, sustraernos nosotros momentáneamente a tristezas y a fatigas continuas, pedimos a la mujer que vaya a hacer sin nosotros o que nos deje a nosotros hacer sin ella un viaje de unos días, los primeros - desde hace mucho tiempo- que pasaremos sin ella, cosa que nos hubiera parecido imposible. No tarda en volver a ocupar su sitio en nuestro hogar. Y esta separación, corta pero realizada, no es tan arbitrariamente decidida ni es, con tanta seguridad como nos figurábamos, la única. Vuelven a empezar las mismas tristezas, se acentúa la misma dificultad de vivir juntos, sólo que la separación ya no es cosa tan difícil; hemos comenzado por hablar de ella, luego se ha realizado en una forma amable. Pero esto no son sino pródromos que no hemos reconocido. Y a la separación momentánea y sonriente sucederá la separación atroz y definitiva que hemos preparado sin saberlo.
« Venez dans ma chambre dans cinq minutes pour que je puisse vous voir un peu, mon petit chéri. Vous serez plein de gentillesse. Mais je m′endormirai vite après, car je suis comme une morte. » Ce fut une morte, en effet, que je vis quand j′entrai ensuite dans sa chambre. Elle s′était endormie aussitôt couchée ; ses draps, roulés comme un suaire autour de son corps, avaient pris, avec leurs beaux plis, une rigidité de pierre. On eût dit, comme dans certains Jugements Derniers du moyen âge, que la tête seule surgissait hors de la tombe, attendant dans son sommeil la trompette de l′Archange. Cette tête avait été surprise par le sommeil presque renversée, les cheveux hirsutes. Et en voyant ce corps insignifiant couché là, je me demandais quelle table de logarithmes il constituait pour que toutes les actions auxquelles il avait pu être mêlé, depuis un poussement de coude jusqu′à un frôlement de robe, pussent me causer, étendues à l′infini de tous les points qu′il avait occupés dans l′espace et dans le temps, et de temps à autre brusquement revivifiées dans mon souvenir, des angoisses si douloureuses, et que je savais pourtant déterminées par des mouvements, des désirs d′elle qui m′eussent été, chez une autre, chez elle-même, cinq ans avant, cinq ans après, si indifférents. Tout cela était mensonge, mais mensonge pour lequel je n′avais le courage de chercher d′autre solution que ma mort. Ainsi je restais, dans la pelisse que je n′avais pas encore retirée depuis mon retour de chez les Verdurin, devant ce corps tordu, cette figure allégorique de quoi ? de ma mort ? de mon œuvre ? Bientôt je commençai à entendre sa respiration égale. J′allai m′asseoir au bord de son lit pour faire cette cure calmante de brise et de contemplation. Puis je me retirai tout doucement pour ne pas la réveiller. -Ven a mi cuarto dentro de cinco minutos para que pueda verte un poco, pequeño mío. Serás buenísimo si lo haces. Pero después me dormiré en seguida, pues estoy muerta. Y, en efecto, fue una muerta lo que vi cuando entré en su cuarto. Se había dormido nada más acostarse; las sábanas, arrolladas a su cuerpo como un sudario, habían tomado, con sus bellos pliegues, una rigidez de piedra. Dijérase que, como en ciertos juicios finales de la Edad Media, sólo la cabeza surgía de la tumba, esperando en su sueño la trompeta del arcángel. Una cabeza, la suya, sorprendida por el sueño, casi doblada, hirsuto el cabello. Y al ver aquel cuerpo insignificante allí tendido, me preguntaba qué tabla de logaritmos era para que todos los actos en que había podido intervenir, desde un tocarse con el codo hasta un rozarse con la ropa, pudieran causarme, extendidas al infinito de todos los puntos que aquel cuerpo había ocupado en el tiempo y en el espacio y súbitamente revividas en mi recuerdo, unas angustias tan dolorosas y que, sin embargo, yo sabía determinadas por movimientos, por deseos de ella, que en otra, en ella misma cinco años antes, cinco años después, me hubieran sido tan indiferentes. Era una mentira, pero una mentira a la que yo no tenía el valor de buscar otra solución que mi muerte. Así, con la pelliza que todavía no me había quitado desde que volví de casa de los Verdurin, permanecía ante aquel cuerpo retorcido, ante aquella figura alegórica, ¿alegórica de qué? ¿De mi muerte? ¿De mi amor? En seguida empecé a oír su respiración rítmica. Me senté al borde de su cama para hacer aquella cura calmante de brisa y de contemplación. Después me retiré muy despacio para no despertarla.
Il était si tard que, dès le matin, je recommandai à Françoise de marcher bien doucement quand elle aurait à passer devant sa chambre. Aussi Françoise, persuadée que nous avions passé la nuit dans ce qu′elle appelait des orgies, recommanda ironiquement aux autres domestiques de ne pas « éveiller la Princesse ». Et c′était une des choses que je craignais, que Françoise un jour ne pût plus se contenir, fût insolente avec Albertine, et que cela n′amenât des complications dans notre vie. Françoise n′était plus alors, comme à l′époque où elle souffrait de voir Eulalie bien traitée par ma tante, d′âge à supporter vaillamment sa jalousie. Celle-ci altérait, paralysait le visage de notre servante à tel point que, par moments, je me demandais si, sans que je m′en fusse aperçu, elle n′avait pas eu, à la suite de quelque crise de colère, une petite attaque. Ayant ainsi demandé qu′on préservât le sommeil d′Albertine, je ne pus moi-même en trouver aucun. J′essayais de comprendre quel était le véritable état d′esprit d′Albertine. Par la triste comédie que j′avais jouée, est-ce à un péril réel que j′avais paré, et, malgré qu′elle prétendît se sentir si heureuse à la maison, avait-elle eu vraiment, par moments, l′idée de vouloir sa liberté, ou au contraire, fallait-il croire ses paroles ? Era tan tarde que, a la mañana, recomendé a Francisca que anduviera muy despacito cuando pasara delante de su cuarto. Y Francisca, convencida de que habíamos pasado la noche en lo que ella llamaba orgías, recomendó irónicamente a los otros criados que «no despertaran a la princesa». Y una de las cosas que yo temía era que un día Francisca no pudiera contenerse más, que se insolentara con Albertina y que esto trajera complicaciones a nuestra vida. Francisca ya no estaba en edad, como cuando sufría de ver a Eulalia bien tratada por mi tía, de soportar valientemente sus celos. Ahora le paralizaban el semblante hasta tal punto que a veces pensaba yo si no habría sufrido, por alguna crisis de rabia, y sin que yo me diera cuenta, algún pequeño ataque. Y yo, que así pedí que respetaran el sueño de Albertina, no pude conciliar el mío. Intentaba comprender cuál era el verdadero estado de ánimo de Albertina. ¿Había evitado yo, como triste comedia que representé, un peligro real, y Albertina, a pesar de decirse tan feliz en la casa, había tenido a veces la idea de desear su libertad, o, por el contrario, debía creer sus palabras?
Laquelle des deux hypothèses était la vraie ? S′il m′arrivait souvent, s′il devait m′arriver surtout d′étendre un cas de ma vie passée jusqu′aux dimensions de l′histoire, quand je voulais essayer de comprendre un événement politique, inversement, ce matin-là, je ne cessai d′identifier, malgré tant de différences et pour tâcher d′en comprendre la portée, notre scène de la veille avec un incident diplomatique qui venait d′avoir lieu. J′avais peut-être le droit de raisonner ainsi. Car il était bien probable qu′à mon insu l′exemple de M. de Charlus m′avait guidé dans cette scène mensongère que je lui avais si souvent vu jouer avec tant d′autorité ; et, d′autre part, était-elle, chez lui, autre chose qu′une inconsciente importation dans le domaine de la vie privée, de la tendance profonde de sa race allemande, provocatrice par ruse et, par orgueil, guerrière s′il le faut ? Diverses personnes, parmi lesquelles le prince de Monaco, ayant suggéré au Gouvernement français l′idée que, s′il ne se séparait pas de M. Delcassé, l′Allemagne menaçante ferait effectivement la guerre, le Ministre des Affaires étrangères avait été prié de démissionner. Donc le Gouvernement français avait admis l′hypothèse d′une intention de nous faire la guerre si nous ne cédions pas. Mais d′autres personnes pensaient qu′il ne s′était agi que d′un simple « bluff », et que, si la France avait tenu bon, l′Allemagne n′eût pas tiré l′épée. Sans doute, le scénario était non seulement différent, mais presque inverse, puisque la menace de rompre avec moi n′avait jamais été proférée par Albertine ; mais un ensemble d′impressions avait amené chez moi la croyance qu′elle y pensait, comme le Gouvernement français avait eu cette croyance pour l′Allemagne. D′autre part, si l′Allemagne désirait la paix, avoir provoqué chez le Gouvernement français l′idée qu′elle voulait la guerre était une contestable et dangereuse habileté. Certes, ma conduite avait été assez adroite, si c′était la pensée que je ne me déciderais jamais à rompre avec elle qui provoquait chez Albertine de brusques désirs d′indépendance. Et n′était-il pas difficile de croire qu′elle n′en avait pas, de se refuser à voir toute une vie secrète en elle, dirigée vers la satisfaction de son vice, rien qu′à la colère avec laquelle elle avait appris que j′étais allé chez les Verdurin, s′écriant : « J′en étais sûre », et achevant de tout dévoiler en disant : « Ils devaient avoir Mlle Vinteuil chez eux » ? Tout cela corroboré par la rencontre d′Albertine et de Mlle Verdurin que m′avait révélée Andrée. Mais peut-être, pourtant, ces brusques désirs d′indépendance, me disais-je quand j′essayais d′aller contre mon instinct, étaient causés — à supposer qu′ils existassent — ou finiraient par l′être, par l′idée contraire, à savoir que je n′avais jamais eu l′idée de l′épouser, que c′était quand je faisais, comme involontairement, allusion à notre séparation prochaine que je disais la vérité, que je la quitterais de toute façon un jour ou l′autre, croyance que ma scène de ce soir n′avait pu alors que fortifier et qui pouvait finir par engendrer chez elle cette résolution : « Si cela doit fatalement arriver un jour ou l′autre, autant en finir tout de suite. » Les préparatifs de guerre, que le plus faux des adages préconise pour faire triompher la volonté de paix, créent, au contraire, d′abord la croyance chez chacun des deux adversaires que l′autre veut la rupture, croyance qui amène la rupture, et, quand elle a eu lieu, cette autre croyance chez chacun des deux que c′est l′autre qui l′a voulue. Même si la menace n′était pas sincère, son succès engage à la recommencer. Mais le point exact jusqu′où le bluff peut réussir est difficile à déterminer ; si l′un va trop loin, l′autre, qui avait jusque-là cédé, s′avance à son tour ; le premier, ne sachant plus changer de méthode, habitué à l′idée qu′avoir l′air de ne pas craindre la rupture est la meilleure manière de l′éviter (ce que j′avais fait ce soir avec Albertine), et d′ailleurs poussé à préférer, par fierté, succomber plutôt que de céder, persévère dans sa menace jusqu′au moment où personne ne peut plus reculer. Le bluff peut aussi être mêlé à la sincérité, alterner avec elle, et il est possible que ce qui était un jeu hier devienne une réalité demain. Enfin il peut arriver aussi qu′un des adversaires soit réellement résolu à la guerre ; il se trouvait qu′Albertine, par exemple, eût l′intention, tôt ou tard, de ne plus continuer cette vie, ou, au contraire, que l′idée ne lui en fût jamais venue à l′esprit, et que mon imagination l′eût inventée de toutes pièces. Telles furent les différentes hypothèses que j′envisageai pendant qu′elle dormait, ce matin-là. Pourtant, quant à la dernière, je peux dire que je n′ai jamais, dans les temps qui suivirent, menacé Albertine de la quitter que pour répondre à une idée de mauvaise liberté d′elle, idée qu′elle ne m′exprimait pas, mais qui me semblait être impliquée par certains mécontentements mystérieux, par certaines paroles, certains gestes, dont cette idée était la seule explication possible et pour lesquels elle se refusait à m′en donner aucune. Encore, bien souvent, je les constatais sans faire aucune allusion à une séparation possible, espérant qu′ils provenaient d′une mauvaise humeur qui finirait ce jour-là. Mais celle-ci durait parfois sans rémission pendant des semaines entières, où Albertine semblait vouloir provoquer un conflit, comme s′il y avait à ce moment-là, dans une région plus ou moins éloignée, des plaisirs qu′elle savait, dont sa claustration chez moi la privait, et qui l′influençaient jusqu′à ce qu′ils eussent pris fin, comme ces modifications atmosphériques qui, jusqu′au coin de notre feu, agissent sur nos nerfs, même si elles se produisent aussi loin que les îles Baléares. ¿Cuál de las dos hipótesis era la verdadera? Si a veces me ocurría, si, sobre todo, me iba a ocurrir dar a un caso de mi vida pasada las dimensiones de la historia cuando quería entender un hecho político, en cambio aquella mañana no dejé de identificar, a pesar de tantas diferencias y por el afán de comprenderlo, el alcance de nuestra escena de la víspera con un incidente diplomático que acababa de ocurrir. Quizá tenía derecho a razonar así. Pues era muy probable que me hubiera guiado el ejemplo de monsieur de Charlus en la escena mentirosa que tantas veces le había visto representar con tanta autoridad; pero esa escena ¿era en él otra cosa que una inconsciente traslación al campo de la vida privada de la profunda tendencia de su raza alemana, provocadora por astucia y, por orgullo, guerrera si es necesario? Como diversas personas, entre ellas el príncipe de Mónaco, sugirieran al Gobierno francés la idea de que si no prescindía de monsieur Delcassé la amenazadora Alemania iría efectivamente a la guerra, el Gobierno pidió al ministro de Asuntos Exteriores que dimitiera. Luego el Gobierno francés admitía la hipótesis de una intención de hacernos la guerra si no cedíamos. Pero otras personas pensaban que había sido sólo un simple bluff, y que si Francia se hubiera mantenido firme, Alemania no habría sacado la espada. Claro que el escenario era no sólo diferente, sino casi inverso, puesto que Albertina no había proferido nunca la amenaza de romper conmigo; pero un conjunto de impresiones había llevado a mi ánimo la creencia de que pensaba hacerlo, como el Gobierno francés había tenido aquella creencia respecto a Alemania. Por otra parte, si Alemania deseaba la paz, provocar en el Gobierno francés la idea de que quería la guerra era una habilidad discutible y peligrosa. Cierto que si lo que provocaba en Albertina bruscos deseos de independencia era la idea de que yo no me decidiría nunca a romper con ella, mi conducta había sido bastante hábil. Y ¿no era difícil creer que no los tenía, negarse a ver en ella toda una vida secreta dirigida a la satisfacción de su vicio, aunque sólo fuera por la rabia con que se enteró de que yo había ido a casa de los Verdurin, exclamando: «Estaba segura», y acabando de descubrirlo todo con aquellas palabras: «Debía estar allí mademoiselle Vinteuil »? Todo esto corroborado por el encuentro de Albertina y de madame Verdurin que me había revelado Andrea. Pero -pensaba yo cuando me esforzaba en ir contra mi instinto- quizá esos bruscos deseos de independencia, suponiendo que existieran, eran debidos, o acabarían por serlo, a la idea contraria, es decir, a saber que yo no había tenido nunca la idea de casarme con ella, que era cuando aludía, como involuntariamente, a nuestra separación próxima cuando decía la verdad, que, de todas maneras, la dejaría un día u otro, creencia que mi escena de aquella noche no había podido sino afianzar y que podría acabar por determinarla a esta resolución: «Si ha de ocurrir fatalmente un día u otro, más vale acabar en seguida». Los preparativos de guerra que el más falso de los adagios preconiza para que triunfe la voluntad de paz crean, por el contrario, en primer lugar, la creencia en cada uno de los adversarios de que el otro quiere la ruptura, creencia que determina la ruptura, y cuando ésta ha tenido lugar, la otra creencia en cada uno es que es el otro el que la ha querido. Aunque la amenaza no fuera sincera, su éxito anima a repetirla. Pero es difícil determinar el punto exacto a que puede llegar el éxito del bluff; si el uno va demasiado lejos, el otro, que hasta entonces había cedido, se adelanta a su vez; el primero, no sabiendo cambiar de método, habituado a la idea de que aparentar que no se teme la ruptura es la mejor manera de evitarla (lo que yo hice aquella noche con Albertina), y, además, prefiriendo por orgullo sucumbir antes que ceder, persevera en su amenaza hasta el momento en que ya nadie puede retroceder. Y así, el bluff puede ir unido a la sinceridad, alternar con ella, y lo que ayer fue un juego puede mañana ser una realidad. También puede ocurrir que uno de los adversarios esté realmente decidido a la guerra, que, por ejemplo, Albertina tuviera, más tarde o más temprano, la intención de no seguir aquella vida, o, al contrario, que, sin que nunca se le ocurriera tal idea, mi imaginación la inventara de punta a cabo. Tales fueron las diversas hipótesis en que pensé mientras ella dormía aquella mañana. Pero en cuanto a la última, puedo decir que, en los tiempos subsiguientes, nunca amenacé a Albertina con dejarla a no ser respondiendo a una idea de mala libertad suya, idea que no me decía, pero que a mí me parecía implícita en ciertos descontentos misteriosos, en ciertas palabras, en ciertos gestos que no tenían más explicación posible que esa idea y de los que se negaba a darme ninguna. Y muchas veces los observaba yo sin aludir a una separación posible, esperando que provinieran de un rapto de mal humor que acabaría aquel día. Pero el mal humor duraba a veces sin tregua durante semanas enteras en las que Albertina parecía querer provocar un conflicto, como si en aquel momento hubiera, en una región más o menos lejana, ciertos placeres que ella sabía, de los que la privaba su clausura en mi casa e influyeran en ella hasta que acabaran, como esos cambios atmosféricos que, aun encontrándonos junto a la chimenea, influyen en nuestros nervios, aunque se produzcan tan lejos como las islas Baleares.
Ce matin-là, pendant qu′Albertine dormait et que j′essayais de deviner ce qui était caché en elle, je reçus une lettre de ma mère où elle m′exprimait son inquiétude de ne rien savoir de nos décisions par cette phrase de Mme de Sévigné : « Pour moi, je suis persuadée qu′il ne se mariera pas ; mais alors, pourquoi troubler cette fille qu′il n′épousera jamais ? Pourquoi risquer de lui faire refuser des partis qu′elle ne regardera plus qu′avec mépris ? Pourquoi troubler l′esprit d′une personne qu′il serait si aisé d′éviter ? » Cette lettre de ma mère me ramenait sur terre. Que vais-je chercher une âme mystérieuse, interpréter un visage et me sentir entouré de pressentiments que je n′ose approfondir ? me dis-je. Je rêvais, la chose est toute simple. Je suis un jeune homme indécis et il s′agit d′un de ces mariages dont on est quelque temps à savoir s′ils se feront ou non. Il n′y a rien là de particulier à Albertine. Cette pensée me donna une détente profonde, mais courte. Bien vite je me dis : on peut tout ramener, en effet, si on en considère l′aspect social, au plus courant des faits divers. Du dehors, c′est peut-être ainsi que je le verrais. Mais je sais bien que ce qui est vrai, ce qui, du moins, est vrai aussi, c′est tout ce que j′ai pensé, c′est ce que j′ai lu dans les yeux d′Albertine, ce sont les craintes qui me torturent, c′est le problème que je me pose sans cesse relativement à Albertine. L′histoire du fiancé hésitant et du mariage rompu peut correspondre à cela, comme un certain compte rendu de théâtre fait par un courriériste de bon sens peut donner le sujet d′une pièce d′Ibsen. Mais il y a autre chose que ces faits qu′on raconte. Il est vrai que cette autre chose existe peut-être, si on savait la voir, chez tous les fiancés hésitants et dans tous les mariages qui traînent, parce qu′il y a peut-être du mystère dans la vie de tous les jours. Il m′était possible de le négliger concernant la vie des autres, mais celle d′Albertine et la mienne je la vivais par le dedans. Aquella mañana, mientras Albertina dormía y yo intentaba adivinar lo que en ella se ocultaba, recibí una carta de mi madre en la que me decía que estaba preocupada por no saber de mis decisiones en relación con aquella frase de madame de Sévigné: «Por mi parte, estoy convencida de que no se casará, pero entonces, ¿por qué entretener a esa muchacha con la que nunca se va a casar? ¿Por qué arriesgarse a que rechace otros partidos que ya no podrán menos de parecerle despreciables? ¿Por qué perturbar el ánimo de una persona cuando sería tan fácil evitarlo?» Esta carta de mi madre me volvía a la tierra ¿Para qué voy a buscar un alma misteriosa, a interpretar un rostro, a sentirme rodeado de sentimientos que no me atrevo a penetrar?, me dije. Estaba soñando, es muy sencillo. Soy un muchacho indeciso y se trata de una de esas bodas que tardamos algún tiempo en saber si se harán o no. En Albertina no hay nada de particular. Este pensamiento me dio un alivio profundo, pero pasajero. En seguida me dije: «Claro es que, si se considera el aspecto social, se puede reducir todo al más corriente de los sucesos: desde fuera, quizá yo lo vería así. Pero sé muy bien que la verdad es, o al menos lo es también, todo lo que yo he pensado, lo que he leído en los ojos de Albertina, los temores que me torturan, el problema que me planteo constantemente ante Albertina.» La historia del novio vacilante y de la boda rota puede corresponder a esto, como cierta reseña de teatro hecha por un periodista sensato puede dar el tema de una obra de Ibsen. Pero hay algo más que los hechos que se cuentan. Ese algo más acaso existe, si se sabe verlo, en todos los novios vacilantes y en todas las bodas aplazadas, porque acaso hay misterio en la vida cotidiana. Yo podía desdeñar ese misterio en la vida de los demás, pero la de Albertina y la mía la vivía por dentro.
Albertine ne me dit pas plus, à partir de cette soirée, qu′elle n′avait fait dans le passé : « Je sais que vous n′avez pas confiance en moi, je vais essayer de dissiper vos soupçons. » Mais cette idée, qu′elle n′exprima jamais, eût pu servir d′explication à ses moindres actes. Non seulement elle s′arrangeait à ne jamais être seule un moment, de façon que je ne pusse ignorer ce qu′elle avait fait, si je n′en croyais pas ses propres déclarations, mais, même quand elle avait à téléphoner à Andrée, ou au garage, ou au manège, ou ailleurs, elle prétendait que c′était trop ennuyeux de rester seule pour téléphoner, avec le temps que les demoiselles mettaient à vous donner la communication, et elle s′arrangeait pour que je fusse auprès d′elle à ce moment-là, ou, à mon défaut, Françoise, comme si elle eût craint que je pusse imaginer des communications téléphoniques blâmables et servant à donner de mystérieux rendez-vous. Hélas ! tout cela ne me tranquillisait pas. J′eus un jour de découragement. Aimé m′avait renvoyé la photographie d′Esther en me disant que ce n′était pas elle. Alors Albertine avait d′autres amies intimes que celle à qui, par le contresens qu′elle avait fait en écoutant mes paroles, j′avais, en croyant parler de tout autre chose, découvert qu′elle avait donné sa photographie. Je renvoyai cette photographie à Bloch. Celle que j′aurais voulu voir, c′était celle qu′Albertine avait donnée à Esther. Comment y était-elle ? Peut-être décolletée, qui sait ? Mais je n′osais en parler à Albertine (car j′aurais eu l′air de ne pas avoir vu la photographie), ni à Bloch, à l′égard duquel je ne voulais pas avoir l′air de m′intéresser à Albertine. Et cette vie, qu′eût reconnue si cruelle pour moi et pour Albertine quiconque eût connu mes soupçons et son esclavage, du dehors, pour Françoise, passait pour une vie de plaisirs immérités que savait habilement se faire octroyer cette « enjôleuse » et, comme disait Françoise, qui employait beaucoup plus le féminin que le masculin, étant plus envieuse des femmes, cette « charlatante ». Même, comme Françoise, à mon contact, avait enrichi son vocabulaire de termes nouveaux, mais en les arrangeant à sa mode, elle disait d′Albertine qu′elle n′avait jamais connu une personne d′une telle « perfidité », qui savait me « tirer mes sous » en jouant si bien la comédie (ce que Françoise, qui prenait aussi facilement le particulier pour le général que le général pour le particulier, et qui n′avait que des idées assez vagues sur la distinction des genres dans l′art dramatique, appelait « savoir jouer la pantomime »). Peut-être cette erreur sur notre vraie vie, à Albertine et à moi, en étais-je moi-même un peu responsable par les vagues confirmations que, quand je causais avec Françoise, j′en laissais habilement échapper, par désir soit de la taquiner, soit de paraître sinon aimé, du moins heureux. Et pourtant, de ma jalousie, de la surveillance que j′exerçais sur Albertine, et desquelles j′eusse tant voulu que Françoise ne se doutât pas, celle-ci ne tarda pas à deviner la réalité, guidée, comme le spirite qui, les yeux bandés, trouve un objet, par cette intuition qu′elle avait des choses qui pouvaient m′être pénibles, et qui ne se laissait pas détourner du but par les mensonges que je pouvais dire pour l′égarer, et aussi par cette haine clairvoyante qui la poussait — plus encore qu′à croire ses ennemies plus heureuses, plus rouées comédiennes qu′elles n′étaient — à découvrir ce qui pouvait les perdre et précipiter leur chute. Françoise n′a certainement jamais fait de scènes à Albertine. Mais je connaissais l′art de l′insinuation de Françoise, le parti qu′elle savait tirer d′une mise en scène significative, et je ne peux pas croire qu′elle ait résisté à faire comprendre quotidiennement à Albertine le rôle humilié que celle-ci jouait à la maison, à l′affoler par la peinture, savamment exagérée, de la claustration à laquelle mon amie était soumise. J′ai trouvé une fois Françoise, ayant ajusté de grosses lunettes, qui fouillait dans mes papiers et en replaçait parmi eux un où j′avais noté un récit relatif à Swann et à l′impossibilité où il était de se passer d′Odette. L′avait-elle laissé traîner par mégarde dans la chambre d′Albertine ? D′ailleurs, au-dessus de tous les sous-entendus de Françoise, qui n′en avait été en bas que l′orchestration chuchotante et perfide, il est vraisemblable qu′avait dû s′élever, plus haute, plus nette, plus pressante, la voix accusatrice et calomnieuse des Verdurin, irrités de voir qu′Albertine me retenait involontairement, et moi elle volontairement, loin du petit clan. Quant à l′argent que je dépensais pour Albertine, il m′était presque impossible de le cacher à Françoise, puisque je ne pouvais lui cacher aucune dépense. Françoise avait peu de défauts, mais ces défauts avaient créé chez elle, pour les servir, de véritables dons qui souvent lui manquaient hors de l′exercice de ces défauts. Le principal était la curiosité appliquée à l′argent dépensé par nous pour d′autres qu′elle. Si j′avais une note à régler, un pourboire à donner, j′avais beau me mettre à l′écart, elle trouvait une assiette à ranger, une serviette à prendre, quelque chose qui lui permît de s′approcher. Et si peu de temps que je lui laissasse, la renvoyant avec fureur, cette femme qui n′y voyait presque plus clair, qui savait à peine compter, dirigée par ce même goût qui fait qu′un tailleur en vous voyant suppute instinctivement l′étoffe de votre habit et même ne peut s′empêcher de la palper, ou qu′un peintre est sensible à un effet de couleurs, Françoise voyait à la dérobée, calculait instantanément ce que je donnais. Et pour qu′elle ne pût pas dire à Albertine que je corrompais son chauffeur, je prenais les devants et, m′excusant du pourboire, disais : « J′ai voulu être gentil avec le chauffeur, je lui ai donné dix francs », Françoise, impitoyable et à qui son coup d′œil de vieil aigle presque aveugle avait suffi, me répondait : « Mais non, Monsieur lui a donné 43 francs de pourboire. Il a dit à Monsieur qu′il y avait 45 francs, Monsieur lui a donné 100 francs et il ne lui a rendu que 12 francs. » Elle avait eu le temps de voir et de compter le chiffre du pourboire, que j′ignorais moi-même. Je me demandai si Albertine, se sentant surveillée, ne réaliserait pas elle-même cette séparation dont je l′avais menacée, car la vie en changeant fait des réalités avec nos fables. Chaque fois que j′entendais ouvrir une porte, j′avais ce tressaillement que ma grand′mère avait, pendant son agonie, chaque fois que je sonnais. Je ne croyais pas qu′elle sortît sans me l′avoir dit, mais c′était mon inconscient qui pensait cela, comme c′était l′inconscient de ma grand′mère qui palpitait aux coups de sonnette, alors qu′elle n′avait plus sa connaissance. Un matin même, j′eus tout d′un coup la brusque inquiétude qu′elle était non pas seulement sortie, mais partie : je venais d′entendre une porte qui me semblait bien la porte de sa chambre. À pas de loup j′allai jusqu′à cette chambre, j′entrai, je restai sur le seuil. Dans la pénombre les draps étaient gonflés en demi-cercle, ce devait être Albertine qui, le corps incurvé, dormait les pieds et la tête au mur. Seuls, dépassant du lit, les cheveux de cette tête, abondants et noirs, me firent comprendre que c′était elle, qu′elle n′avait pas ouvert sa porte, pas bougé, et je sentis ce demi-cercle immobile et vivant, où tenait toute une vie humaine, et qui était la seule chose à laquelle j′attachais du prix ; je sentis qu′il était là, en ma possession dominatrice. Después de aquella noche, Albertina no me dijo, como no me lo había dicho antes: «Ya sé que no tienes confianza en mí, procuraré disipar tus sospechas». Pero esta idea, que nunca expresó, hubiera podido servir de explicación de sus menores actos. No sólo se las arreglaba para no estar sola ni un momento, de modo que yo no pudiese ignorar lo que había hecho si no creía sus propias declaraciones, sino que, hasta cuando quería telefonear a Andrea, o al garaje, o al picadero, o a otro sitio, decía que era demasiado aburrido estar sola para telefonear, con el tiempo que las telefonistas tardaban en dar la comunicación, y se las arreglaba para que estuviese yo con ella en aquel momento, o, a falta mía, Francisca, como si temiera que yo imaginara comunicaciones telefónicas censurables destinadas a dar misteriosas citas. Desgraciadamente, esto no me tranquilizaba. Amado me había mandado la fotografía de Esther diciéndome que no era ella. ¿Entonces, otras más? ¿Quiénes? Devolví la fotografía a Bloch. La que yo hubiera querido ver era la que Albertina había dado a Esther. ¿Cómo estaba en ella? Quizá descotada; quién sabe si se habrían retratado juntas. Pero no me atrevía a hablar de esto a Albertina (pues se me habría notado que no había visto la foto), ni a Bloch, porque no quería que se diera cuenta de que me interesaba Albertina. Y aquella vida, que cualquiera que conociera mis sospechas y su esclavitud hubiera considerado cruel para mí y para Albertina, desde fuera, para Francisca, era una vida de placeres inmerecidos que aquella marrullera, y, como decía Francisca, que, más envidiosa de las mujeres, empleaba más el masculino que el femenino, aquella charlatante, había sabido hábilmente buscarse. Y como Francisca, en contacto conmigo, había enriquecido su vocabulario con palabras nuevas, pero arreglándolas a su manera, decía de Albertina que no había conocido jamás una persona de tal perfidité, que sabía sacarme los dineros haciendo tan bien la comedia (lo que Francisca, que tan fácilmente tomaba lo particular por lo general como lo general por lo particular, y que tenía ideas bastante vagas sobre la distinción de los géneros en el arte dramático, llamaba «saber hacer la pantomima»). Tal vez de este error sobre nuestra vida, la de Albertina y la mía, era yo un poco responsable por las vagas confirmaciones que, cuando hablaba con Francisca, dejaba hábilmente escapar, fuera por deseo de pincharla o por parecerle, si no amado, al menos contento. Y, sin embargo, aunque yo hubiese querido que Francisca no sospechara mis celos, la vigilancia que ejercía sobre Albertina, no tardó ella en adivinarlos, guiada, como el espiritista que con los ojos tapados encuentra un objeto, por esa intuición que Francisca tenía de las cosas que podían hacerme sufrir, intuición que no se dejaba engañar por las mentiras que yo podía decir para desviarla, y también por el odio a Albertina que impulsaba a Francisca -más aún que a creer a sus enemigos más felices, más ruines comediantes de lo que eran- a descubrir lo que podía perderlos y precipitar su caída. Desde luego, Francisca no le hizo nunca escenas a Albertina. Pero yo conocía su arte de insinuación, el partido que sabía sacar de un montaje teatral significativo, y no puedo creer que se resistiera a hacer comprender cada día a Albertina el papel humillado que ésta representaba en la casa, a pincharla pintándole con sabia exageración el encierro a que mi amiga estaba sometida. Una vez encontré a Francisca, calados los gruesos anteojos, revolviendo en mis papeles y volviendo a poner entre ellos uno en el que yo había anotado un relato sobre Swann y su imposibilidad de pasar sin Odette. ¿Lo habría dejado ella como por descuido en el cuarto de Albertina? Por otra parte, por encima de todas las medias palabras de Francisca, que no habían sido más que su orquestación susurrante y pérfida, en bajo, debió de elevarse, más alta, más clara, más insistente, la voz acusadora y calumniadora de los Verdurin, irritados de ver que Albertina me retenía involuntariamente, y yo a ella voluntariamente, lejos del pequeño clan. En cuanto el dinero que yo gastaba con Albertina, no podía ocultárselo a Francisca, como no podía ocultarle ningún gasto. Francisca tenía pocos defectos, pero estos pocos habían creado en ella, para servirlos, verdaderas dotes que muchas veces le faltaban fuera del ejercicio de tales defectos. El principal era la curiosidad aplicada al dinero que nosotros gastáramos en beneficio de otras personas que no fueran ella. Si yo tenía una cuenta que pagar, una propina que dar, ya podía apartarme para hacerlo: Francisca encontraba siempre un plato que colocar, una servilleta que recoger, algo que le permitiera acercarse. Y si la despedía con ira, aquella mujer que ya casi no veía, que apenas sabía contar, orientada por la misma inclinación de un sastre que, nada más vernos, aprecia instintivamente la tela de nuestro traje y hasta no puede menos de tocarla, o como un pintor sensible a un efecto de colores, Francisca, a poco tiempo que le diera, veía a hurtadillas, calculaba instantáneamente lo que yo daba. Si, para que no pudiera decir a Albertina que yo corrompía a su chófer, me anticipaba y, disculpándome por la propina, decía: «Para que el chófer esté contento, le he dado diez francos», Francisca, implacable y segura de su mirada de águila vieja, me replicaba: «No, señor, le ha dado cuarenta y tres francos de propina. Le dijo al señor que eran cuarenta y cinco francos, el señor le dio cien francos y él no le devolvió más que doce.» Había tenido tiempo de ver y de contar la cifra de la propina, que yo mismo ignoraba.
Si le but d′Albertine était de me rendre du calme, elle y réussit en partie ; ma raison, d′ailleurs, ne demandait qu′à me prouver que je m′étais trompé sur les mauvais projets d′Albertine, comme je m′étais peut-être trompé sur ses instincts vicieux. Sans doute je faisais, dans la valeur des arguments que ma raison me fournissait, la part du désir que j′avais de les trouver bons. Mais, pour être équitable et avoir chance de voir la vérité, à moins d′admettre qu′elle ne soit jamais connue que par le pressentiment, par une émanation télépathique, ne fallait-il pas me dire que si ma raison, en cherchant à amener ma guérison, se laissait mener par mon désir, en revanche, en ce qui concernait Mlle Vinteuil, les vices d′Albertine, ses intentions d′avoir une autre vie, son projet de séparation, lesquels étaient les corollaires de ses vices, mon instinct avait pu, lui, pour tâcher de me rendre malade, se laisser égarer par ma jalousie ? D′ailleurs, sa séquestration, qu′Albertine s′arrangeait elle-même si ingénieusement à rendre absolue, en m′ôtant la souffrance m′ôta peu à peu le soupçon, et je pus recommencer, quand le soir ramenait mes inquiétudes, à trouver dans la présence d′Albertine l′apaisement des premiers jours. Assise à côté de mon lit, elle parlait avec moi d′une de ces toilettes ou de ces objets que je ne cessais de lui donner pour tâcher de rendre sa vie plus douce et sa prison plus belle. Albertine n′avait d′abord pensé qu′aux toilettes et à l′ameublement. Maintenant l′argenterie l′intéressait. Aussi avais-je interrogé M. de Charlus sur la vieille argenterie française, et cela parce que, quand nous avions fait le projet d′avoir un yacht, — projet jugé irréalisable par Albertine, et par moi-même chaque fois que, me remettant à croire à sa vertu, ma jalousie diminuant ne comprimait plus d′autres désirs où elle n′avait point de place et qui demandaient aussi de l′argent pour être satisfaits — nous avions à tout hasard, et sans qu′elle crût, d′ailleurs, que nous en aurions jamais un, demandé des conseils à Elstir. Or, tout autant que pour l′habillement des femmes, le goût du peintre était raffiné et difficile pour l′ameublement des yachts. Il n′y admettait que des meubles anglais et de vieille argenterie. Cela avait amené Albertine, depuis que nous étions revenus de Balbec, à lire des ouvrages sur l′art de l′argenterie, sur les poinçons des vieux ciseleurs. Mais la vieille argenterie — ayant été fondue par deux fois, au moment des traités d′Utrecht, quand le Roi lui-même, imité en cela par les grands seigneurs, donna sa vaisselle, et en 1789 — est rarissime. D′autre part, les orfèvres modernes ont eu beau reproduire toute cette argenterie d′après les dessins du Pont-aux-Choux, Elstir trouvait ce vieux neuf indigne d′entrer dans la demeure d′une femme de goût, fût-ce une demeure flottante. Je savais qu′Albertine avait lu la description des merveilles que Roelliers avait faites pour Mme du Barry. Elle mourait d′envie, s′il en existait encore quelques pièces, de les voir, moi de les lui donner. Elle avait même commencé de jolies collections, qu′elle installait avec un goût charmant dans une vitrine et que je ne pouvais regarder sans attendrissement et sans crainte, car l′art avec lequel elle les disposait était celui fait de patience, d′ingéniosité, de nostalgie, de besoin d′oublier, auquel se livrent les captifs. Pour les toilettes, ce qui lui plaisait surtout à ce moment, c′était tout ce que faisait Fortuny. Ces robes de Fortuny, dont j′avais vu l′une sur Mme de Guermantes, c′était celles dont Elstir, quand il nous parlait des vêtements magnifiques des contemporaines de Carpaccio et du Titien, nous avait annoncé la prochaine apparition, renaissant de leurs cendres, somptueuses, car tout doit revenir comme il est écrit aux voûtes de Saint-Marc, et comme le proclament, buvant aux urnes de marbre et de jaspe des chapiteaux byzantins, les oiseaux qui signifient à la fois la mort et la résurrection. Dès que les femmes avaient commencé à en porter, Albertine s′était rappelé les promesses d′Elstir, elle en avait désiré, et nous devions aller en choisir une. Or ces robes, si elles n′étaient pas de ces véritables robes anciennes, dans lesquelles les femmes aujourd′hui ont un peu trop l′air costumées et qu′il est plus joli de garder comme pièces de collection (j′en cherchais, d′ailleurs, aussi de telles pour Albertine), n′avaient pas non plus la froideur du pastiche, du faux ancien. À la façon des décors de Sert, de Bakst et de Benoist, qui, à ce moment, évoquaient dans les ballets russes les époques d′art les plus aimées — à l′aide d′œuvres d′art imprégnées de leur esprit et pourtant originales — ces robes de Fortuny, fidèlement antiques mais puissamment originales, faisaient apparaître comme un décor, avec une plus grande force d′évocation même qu′un décor, puisque le décor restait à imaginer, la Venise tout encombrée d′Orient où elles auraient été portées, dont elles étaient, mieux qu′une relique dans la châsse de Saint-Marc évocatrice du soleil et des turbans environnants, la couleur fragmentée, mystérieuse et complémentaire. Tout avait péri de ce temps, mais tout renaissait, évoqué pour les relier entre elles par la splendeur du paysage et le grouillement de la vie, par le surgissement parcellaire et survivant des étoffes des dogaresses. J′avais voulu une ou deux fois demander à ce sujet conseil à Mme de Guermantes. Mais la duchesse n′aimait guère les toilettes qui font costume. Elle-même, quoique en possédant, n′était jamais si bien qu′en velours noir avec des diamants. Et pour des robes telles que celles de Fortuny, elle n′était pas d′un très utile conseil. Du reste, j′avais scrupule, en lui en demandant, de lui sembler n′aller la voir que lorsque, par hasard, j′avais besoin d′elle, alors que je refusais d′elle depuis longtemps plusieurs invitations par semaine. Je n′en recevais pas que d′elle, du reste, avec cette profusion. Certes, elle et beaucoup d′autres femmes avaient toujours été très aimables pour moi. Mais ma claustration avait certainement décuplé cette amabilité. Il semble que dans la vie mondaine, reflet insignifiant de ce qui se passe en amour, la meilleure manière qu′on vous recherche, c′est de se refuser. Un homme calcule tout ce qu′il peut citer de traits glorieux pour lui afin de plaire à une femme ; il varie sans cesse ses habits, veille sur sa mine ; elle n′a pas pour lui une seule des attentions qu′il reçoit de cette autre, qu′en la trompant, et malgré qu′il paraisse devant elle malpropre et sans artifice pour plaire, il s′est à jamais attachée. De même, si un homme regrettait de ne pas être assez recherché par le monde, je ne lui conseillerais pas de faire plus de visites, d′avoir encore un plus bel équipage ; je lui dirais de ne se rendre à aucune invitation, de vivre enfermé dans sa chambre, de n′y laisser entrer personne, et qu′alors on ferait queue devant sa porte. Ou plutôt je ne le lui dirais pas. Car c′est une façon assurée d′être recherché qui ne réussit que comme celle d′être aimé, c′est-à-dire si on ne l′a nullement adoptée pour cela, si, par exemple, on garde toujours la chambre parce qu′on est gravement malade, ou qu′on croit l′être, ou qu′on y tient une maîtresse enfermée et qu′on préfère au monde (ou tous les trois à la fois) pour qui ce sera une raison, sans qu′il sache l′existence de cette femme, et simplement parce que vous vous refusez à lui, de vous préférer à tous ceux qui s′offrent, et de s′attacher à vous. Si Albertina se proponía devolverme la tranquilidad, lo consiguió en parte; de todos modos, mi razón no pedía más que demostrarme que me había equivocado sobre los malos proyectos de Albertina, como quizá me había equivocado sobre sus instintos viciosos. En el valor de los argumentos que mi razón me suministraba ponía yo, sin duda, mi deseo de que me parecieran buenos. Mas para ser equitativo y poder ver la verdad, ¿no debía decirme, a menos de admitir que la verdad no se conoce nunca si no es por el presentimiento, por una emanación telepática, llevar de mi deseo, en cambio, en lo que se refería a mademoiselle Vinteuil, a los vicios de Albertina, a sus intenciones de tener otra vida, a sus proyectos de separación, que eran los corolarios de sus vicios, había podido mi instinto, para intentar enloquecerme, dejarse extraviar por mis celos? Por otra parte su secuestro, que Albertina se las arreglaba ingeniosamente para hacer ella misma absoluto, al suprimir mi sufrimiento, suprimió al mismo tiempo mis sospechas y, cuando la noche me traía otra vez mis inquietudes, pude encontrar de nuevo en la presencia de Albertina la calma de los primeros días. Sentada junto a mi cama, hablaba conmigo de una de aquellas prendas o de aquellos objetos que yo le regalaba continuamente para que su vida fuera más dulce y su cárcel más bella, aun temiendo a veces que ella pensara como aquella madame de La Rochefoucauld, cuando, al preguntarle alguien si no estaba contenta de vivir en una mansión tan hermosa como Liancourt, le contestó que no conocía ninguna cárcel hermosa. Así, si una vez pregunté a monsieur de Charlus sobre la antigua plata francesa, es porque cuando hicimos el proyecto de tener un yate -proyecto que Albertina juzgó irrealizable, y yo también cada vez que, volviendo a creer en su virtud, disminuían mis celos y no comprimían otros deseos en los que no entraba Albertina y cuya satisfacción requería también dinero- pedimos consejo a Elstir, por si acaso nos lo daba y sin que, por lo demás, creyera Albertina que nos lo iba a dar nunca. Pero el gusto del pintor era tan refinado y difícil para la ornamentación de los yates como para el vestir de las mujeres. No admitía más que muebles ingleses y plata antigua. Albertina, al principio, no pensó más que en las toilettes y en los muebles. Ahora le interesaba la plata, y esto la llevó, desde que volvimos de Balbec, a leer obras sobre el arte de la platería, sobre los punzones de los antiguos orfebres. Pero la plata antigua -que fue fundida por dos veces cuando en la época de los tratados de Utrech el propio rey, imitado en esto por los grandes señores, dio su vajilla, y en 1789- es rarísima. Por otra parte, en vano los modernos orfebres han reproducido aquella plata por los dibujos de Pont-aux-Choux; Elstir encontraba esta antigüedad nueva indigna de entrar en la casa de una mujer de buen gusto, aunque fuera una casa flotante. Yo sabía que Albertina había leído la descripción de las maravillas que hizo Roettiers para madame du Barry. Se moría de ganas de verlas, si todavía quedaban algunas piezas, y yo de regalárselas. Hasta había comenzado unas bonitas colecciones, que colocaba con exquisito gusto en una vitrina y que yo no podía mirar sin una tierna emoción y sin temor, porque el arte con que las disponía era ese arte, lleno de paciencia, de ingeniosidad, de nostalgia, de necesidad de olvidar, al que se entregan los cautivos. En cuanto a las toilettes, lo que más le gustaba en aquel momento era todo lo que hacía Fortuny. Por cierto que, sobre estos vestidos de Fortuny -yo le había visto uno a madame de Guermantes-, cuando Elstir nos hablaba de los magníficos trajes de los contemporáneos de Carpaccio y de Tiziano, nos anunció su próxima aparición renaciendo, suntuosos, de sus cenizas, pues todo ha de volver, como está escrito en las bóvedas de San Marcos y como lo proclaman, bebiendo en las urnas de mármol y de jaspe de los capiteles bizantinos, los pájaros que significan a la vez la muerte y la resurrección. En cuanto las mujeres empezaban a llevar aquellos vestidos, Albertina recordó las promesas de Elstir; deseaba uno y teníamos que ir a elegirlo. Ahora bien, aquellos vestidos, aunque no eran esos trajes verdaderamente antiguos con los que las mujeres de hoy parecen un poco disfrazadas y que es bonito guardar como piezas de colección (yo buscaba uno así para Albertina), tampoco tenían la frialdad de la imitación de lo antiguo. Eran más bien a la manera de las decoraciones de Sert, de Bakst y de Benoist, que en aquel momento evocaban en los bailes rusos las épocas de arte más amadas con obras impregnadas de su espíritu y, sin embargo, originales; de la misma manera los trajes de Fortuny, fielmente antiguos pero poderosamente originales, evocaban como un decorado, y aun con más fuerza de evocación que un decorado, pues éste había que imaginarlo, la Venecia toda llena de Oriente donde aquellos trajes se llevaron, evocando, mejor que una reliquia en el sagrario de San Marcos, el sol y los turbantes, el color fragmentado, misterioso y complementario. Todo lo de aquel tiempo había perecido, mas todo renacía, evocado y combinado por el esplendor del paisaje y por el movimiento de la vida, por el resurgimiento parcelario y sobreviviente de las estofas de las dogaresas. Una o dos veces estuve por pedir consejo en este punto a madame de Guermantes. Pero a la duquesa no le gustaban los vestidos que parecen para un baile de trajes. Ella misma nunca estaba mejor que de terciopelo negro con diamantes. Y para vestidos como los de Fortuny, no era muy útil su consejo. Además, yo tenía el escrúpulo de que, si se lo pedía, podía pensar que no iba a verla más que cuando la necesitaba, pues llevaba tiempo rehusando bastantes invitaciones suyas por semana. Por cierto que sólo de ella las recibía con tal profusión. Ella y otras mujeres fueron siempre muy amables conmigo; pero mi enclaustramiento había decuplicado, sin duda alguna, esta amabilidad. Parece ser que en la vida mundana la mejor manera de que le busquen a uno es rehusar, reflejo insignificante de lo que ocurre en amor. Un hombre, para agradar a una mujer, calcula todos los rasgos gloriosos que puede citar a su favor: cambia constantemente de traje, se cuida la cara; y la mujer por la que hace todo esto no tiene para él una sola de las atenciones que le prodiga otra a la que, engañándola y presentándose ante ella desaliñado y sin ningún artificio atrayente, se ha ganado para siempre. De la misma manera, si un hombre se lamentara de no recibir en sociedad bastantes atenciones, no le aconsejaría yo que hiciera más visitas y que tuviera mejores coches y mejores caballos: le aconsejaría no asistir a ninguna invitación, vivir encerrado en su cuarto, no dejar entrar en él a nadie, pues entonces harían cola ante su puerta. O, más bien, no se lo diría. Pues es una manera segura de ser solicitado, pero que, como la de ser amado, sólo sale bien cuando no se ha puesto en práctica para eso, sino, por ejemplo, cuando estamos siempre en casa porque nos encontramos o creemos encontrarnos gravemente enfermos, o cuando tenemos encerrada en él a una mujer que nos interesa más que la sociedad (o por los tres motivos a la vez) y la sociedad, sin saber la existencia de esa mujer y simplemente porque esquivamos sus atenciones, nos preferirá a todos los que se ofrecen solícitos y se aferrará a nosotros.
« Il faudra que nous nous occupions bientôt de vos robes de Fortuny », dis-je un soir à Albertine. Et certes, pour elle qui les avait longtemps désirées, qui les choisissait longuement avec moi, qui en avait d′avance la place réservée, non seulement dans ses armoires mais dans son imagination, posséder ces robes, dont, pour se décider entre tant d′autres, elle examinait longuement chaque détail, serait quelque chose de plus que pour une femme trop riche qui a plus de robes qu′elle n′en désire et ne les regarde même pas. Pourtant, malgré le sourire avec lequel Albertine me remercia en me disant : « Vous êtes trop gentil », je remarquai combien elle avait l′air fatigué et même triste. -A propósito de habitación, pronto tendremos que ocuparnos de tu vestido de Fortuny - le dije a Albertina. Y, desde luego, para ella, que había deseado mucho tiempo aquellos vestidos, que iba a elegirlos detenidamente conmigo, que les tenía reservado sitio no sólo en sus armarios, sino en su imaginación, que para decidirse entre tantos otros apreciaría largamente cada detalle, sería algo más que para una mujer muy rica que tiene más vestidos de los que desea y ni siquiera los mira. Sin embargo, a pesar de la sonrisa con que Albertina me dio las gracias diciéndome: «Eres demasiado bueno», me pareció muy fatigada y hasta triste.
En attendant que fussent achevées ces robes, je m′en fis prêter quelques-unes, même parfois seulement des étoffes, et j′en habillais Albertine, je les drapais sur elle ; elle se promenait dans ma chambre avec la majesté d′une dogaresse et la grâce d′un mannequin. Seulement, mon esclavage à Paris m′était rendu plus pesant par la vue de ces robes qui m′évoquaient Venise. Certes, Albertine était bien plus prisonnière que moi. Et c′était une chose curieuse comme, à travers les murs de sa prison, le destin, qui transforme les êtres, avait pu passer, la changer dans son essence même, et de la jeune fille de Balbec faire une ennuyeuse et docile captive. Oui, les murs de la prison n′avaient pas empêché cette influence de traverser ; peut-être même est-ce eux qui l′avaient produite. Ce n′était plus la même Albertine, parce qu′elle n′était pas, comme à Balbec, sans cesse en fuite sur sa bicyclette, introuvable à cause du nombre de petites plages où elle allait coucher chez des amies et où, d′ailleurs, ses mensonges la rendaient plus difficile à atteindre ; parce qu′enfermée chez moi, docile et seule, elle n′était même plus ce qu′à Balbec, quand j′avais pu la trouver, elle était sur la plage, cet être fuyant, prudent et fourbe, dont la présence se prolongeait de tant de rendez-vous qu′elle était habile à dissimuler, qui la faisaient aimer parce qu′ils faisaient souffrir, en qui, sous sa froideur avec les autres et ses réponses banales, on sentait le rendez-vous de la veille et celui du lendemain, et pour moi une pensée de dédain et de ruse ; parce que le vent de la mer ne gonflait plus ses vêtements ; parce que, surtout, je lui avais coupé les ailes, qu′elle avait cessé d′être une Victoire, qu′elle était une pesante esclave dont j′aurais voulu me débarrasser. Y aun a veces, mientras terminaban los que ella deseaba, yo hacía que me prestaran algunos, a veces sólo las telas, y se los ponía a Albertina o la envolvía en ellas. Y Albertina se paseaba por mi cuarto con la majestad de una dogaresa y de una modelo. Pero mi esclavitud en París me resultaba más dura ante aquellos vestidos que me recordaban Venecia Claro que Albertina estaba mucho más cautiva que yo. Y era curioso ver cómo, a través de los muros de su cárcel, pudo pasar el destino, que transforma a las criaturas, cambiarla en su misma esencia y de la muchacha de Balbec hacer una cautiva aburrida y dócil. Sí, los muros de la cárcel no pudieron impedir el paso de esta influencia; hasta quizá fueron ellos los que la produjeron. Ya no era la misma Albertina, porque ya no estaba, como en Balbec, siempre escapando en su bicicleta, inencontrable porque eran muchas las pequeñas playas a donde iba a dormir en casa de las amigas y donde, además, sus mentiras hacían más difícil encontrarla; porque encerrada en mi casa, dócil y sola, ya no era, como en la playa de Balbec, ni siquiera cuando en Balbec llegaba yo a encontrarla, aquel ser huidizo, prudente y trapacero, cuya presencia se prolongaba en tantas citas que disimulaba hábilmente, unas citas que la hacían amar porque la hacían sufrir, cuando, bajo su frialdad con los demás y sus respuestas triviales, se notaba la cita de la víspera y la del día siguiente, y para mí un pensamiento de desdén y de engaño. Porque ya no le inflaba los vestidos el viento del mar, porque, sobre todo, yo le había cortado las alas y ya no era una Victoria, sino una pesada esclava de la que yo quisiera desprenderme.
Alors, pour changer le cours de mes pensées, plutôt que de commencer avec Albertine une partie de cartes ou de dames, je lui demandais de me faire un peu de musique. Je restais dans mon lit et elle allait s′asseoir au bout de la chambre devant le pianola, entre les portants de la bibliothèque. Elle choisissait des morceaux ou tout nouveaux ou qu′elle ne m′avait encore joués qu′une fois ou deux, car, commençant à me connaître, elle savait que je n′aimais proposer à mon attention que ce qui m′était encore obscur, heureux de pouvoir, au cours de ces exécutions successives, rejoindre les unes aux autres, grâce à la lumière croissante, mais hélas ! dénaturante et étrangère de mon intelligence, les lignes fragmentaires et interrompues de la construction, d′abord presque ensevelie dans la brume. Elle savait, et, je crois, comprenait, la joie que donnait, les premières fois, à mon esprit, ce travail de modelage d′une nébuleuse encore informe. Entonces, para cambiar el curso de mis pensamientos, más bien que comenzar con Albertina una partida de cartas o de damas, le pedía que me hiciera un poco de música. Me quedaba en la cama y ella iba a sentarse a la pianola al otro extremo de la habitación, entre los montantes de la biblioteca. Elegía piezas completamente nuevas o que no me había tocado más que una vez o dos, pues empezaba a conocerme y sabía que sólo me gustaba dedicar mi atención a lo que para mí era todavía oscuro y, a través de las ejecuciones sucesivas y gracias ala luz creciente, pero, ¡ay!, desnaturalizada y extraña, de mi inteligencia, ir uniendo las líneas fragmentarias e interrumpidas de la construcción, al principio casi enterrada en la bruma. Sabía y creo que comprendía la alegría que, las primeras veces, daba a mi espíritu aquel trabajo de modelación de una nebulosa todavía informe.
Elle devinait qu′à la troisième ou quatrième exécution, mon intelligence, en ayant atteint, par conséquent mis à la même distance, toutes les parties, et n′ayant plus d′activité à déployer à leur égard, les avait réciproquement étendues et immobilisées sur un plan uniforme. Elle ne passait pas cependant encore à un nouveau morceau, car, sans peut-être bien se rendre compte du travail qui se faisait en moi, elle savait qu′au moment où le travail de mon intelligence était arrivé à dissiper le mystère d′une œuvre, il était bien rare que, par compensation, elle n′eût pas, au cours de sa tâche néfaste, attrapé telle ou telle réflexion profitable. Et le jour où Albertine disait : « Voilà un rouleau que nous allons donner à Françoise pour qu′elle nous le fasse changer contre un autre », souvent il y avait pour moi sans doute un morceau de musique de moins dans le monde, mais une vérité de plus. Â…
Pendant qu′elle jouait, de la multiple chevelure d′Albertine je ne pouvais voir qu′une coque de cheveux noirs en forme de cœur, appliquée au long de l′oreille comme le nœud d′une infante de Velasquez. De même que le volume de cet Ange musicien était constitué par les trajets multiples entre les différents points du passé que son souvenir occupait en moi et ses différents sièges, depuis la vue jusqu′aux sensations les plus intérieures de mon être, qui m′aidaient à descendre dans l′intimité du sien, la musique qu′elle jouait avait aussi un volume, produit par la visibilité inégale des différentes phrases, selon que j′avais plus ou moins réussi à y mettre de la lumière et à rejoindre les unes aux autres les lignes d′une construction qui m′avait d′abord paru presque tout entière noyée dans le brouillard. Y mientras Albertina tocaba, de su múltiple cabellera sólo podía ver yo una coca de pelo en forma de corazón aplicada a lo largo de la oreja como el moño de una infanta de Velázquez. Así como el volumen de aquel ángel músico estaba constituido por los múltiples trayectos entre los diferentes puntos del pasado que su recuerdo ocupaba en mí y los diferentes signos, desde la vista hasta las sensaciones más íntimas del ser, que me ayudaban a descender hasta la infinidad del suyo, la música que Albertina tocaba tenía también un volumen, producido por la desigual visibilidad de las diferentes frases, según que yo lograra más o menos aclararlas y unir unas con otras las líneas de una construcción que al principio me pareciera enteramente hundida en la niebla.
Â… Albertina sabía que me complacía no ofreciendo a mi mente sino cosas oscuras todavía y el trabajo de modelar aquellas nebulosas. Adivinaba que a la tercera o a la cuarta ejecución mi inteligencia había llegado ya a todas las partes, las había puesto, por tanto, a la misma distancia, y no teniendo ya nada que hacer respecto a ellas, las había extendido recíprocamente y las inmovilizaba en un plano uniforme. Sin embargo, no pasaba todavía a otra pieza, pues, quizá sin darse muy bien cuenta del trabajo que se operaba en mí, sabía que cuando mi inteligencia había llegado a disipar el misterio de una obra era muy raro que en el transcurso de su labor nefasta no encontrara, en compensación, una u otra reflexión provechosa. Y el día en que Albertina decía: «Este rollo se lo vamos a dar a Francisca para que nos lo cambie por otro», solía haber para mí un trozo de música menos en el mundo, pero una verdad más.
Je m′étais si bien rendu compte qu′il serait absurde d′être jaloux de Mlle Vinteuil et de son amie, puisqu′Albertine, depuis son aveu, ne cherchait nullement à les voir, et de tous les projets de villégiature que nous avions formés, avait écarté d′elle-même Combray, si proche de Montjouvain, que, souvent, ce que je demandais à Albertine de me jouer, et sans que cela me fît souffrir, c′était de la musique de Vinteuil. Une seule fois, cette musique de Vinteuil avait été une cause indirecte de jalousie pour moi. En effet, Albertine qui savait que j′en avais entendu jouer chez Mme Verdurin par Morel, me parla, un soir, de celui-ci en me manifestant un vif désir d′aller l′entendre, de le connaître. C′était justement peu de temps après que j′avais appris l′existence de la lettre, involontairement interceptée par M. de Charlus, de Léa à Morel. Je me demandai si Léa n′avait pas parlé de lui à Albertine. Les mots de « grande sale », « grande vicieuse » me revenaient à l′esprit avec horreur. Mais, justement parce qu′ainsi la musique de Vinteuil fut liée douloureusement à Léa — non plus à Mlle Vinteuil et à son amie — quand la douleur causée par Léa fut apaisée, je pus dès lors entendre cette musique sans souffrance ; un mal m′avait guéri de la possibilité des autres. De cette musique de Vinteuil des phrases inaperçues chez Mme Verdurin, larves obscures alors indistinctes, devenaient d′éblouissantes architectures ; et certaines devenaient des amies, que j′avais à peine distinguées au début, qui, au mieux, m′avaient paru laides et dont je n′aurais jamais cru qu′elles fussent comme ces gens antipathiques au premier abord qu′on découvre seulement tels qu′ils sont une fois qu′on les connaît bien. Entre les deux états il y avait une vraie transmutation. D′autre part, des phrases, distinctes la première fois dans la musique entendue chez Mme Verdurin, mais que je n′avais pas alors reconnues là, je les identifiais maintenant avec des phrases des autres œuvres, comme cette phrase de la Variation religieuse pour orgue qui, chez Mme Verdurin, avait passé inaperçue pour moi dans le septuor, où pourtant, sainte qui avait descendu les degrés du sanctuaire, elle se trouvait mêlée aux fées familières du musicien. D′autre part, la phrase, qui m′avait paru trop peu mélodique, trop mécaniquement rythmée, de la joie titubante des cloches de midi, maintenant c′était celle que j′aimais le mieux, soit que je fusse habitué à sa laideur, soit que j′eusse découvert sa beauté. Cette réaction sur la déception que causent d′abord les chefs-d′œuvre, on peut, en effet, l′attribuer à un affaiblissement de l′impression initiale ou à l′effort nécessaire pour dégager la vérité. Deux hypothèses qui se représentent pour toutes les questions importantes : les questions de la réalité de l′Art, de la réalité de l′Éternité de l′âme ; c′est un choix qu′il faut faire entre elles ; et pour la musique de Vinteuil, ce choix se représentait à tout moment sous bien des formes. Par exemple, cette musique me semblait quelque chose de plus vrai que tous les livres connus. Par instants je pensais que cela tenait à ce que ce qui est senti par nous de la vie, ne l′étant pas sous forme d′idées, sa traduction littéraire, c′est-à-dire intellectuelle, en en rendant compte l′explique, l′analyse, mais ne le recompose pas comme la musique, où les sons semblent prendre l′inflexion de l′être, reproduire cette pointe intérieure et extrême des sensations qui est la partie qui nous donne cette ivresse spécifique que nous retrouvons de temps en temps et que, quand nous disons : « Quel beau temps ! quel beau soleil ! » nous ne faisons nullement connaître au prochain, en qui le même soleil et le même temps éveillent des vibrations toutes différentes. Dans la musique de Vinteuil, il y avait ainsi de ces visions qu′il est impossible d′exprimer et presque défendu de constater, puisque, quand, au moment de s′endormir, on reçoit la caresse de leur irréel enchantement, à ce moment même où la raison nous a déjà abandonnés, les yeux se scellent et, avant d′avoir eu le temps de connaître non seulement l′ineffable mais l′invisible, on s′endort. Il me semblait même, quand je m′abandonnais à cette hypothèse où l′art serait réel, que c′était même plus que la simple joie nerveuse d′un beau temps ou d′une nuit d′opium que la musique peut rendre : une ivresse plus réelle, plus féconde, du moins à ce que je pressentais. Il n′est pas possible qu′une sculpture, une musique qui donne une émotion qu′on sent plus élevée, plus pure, plus vraie, ne corresponde pas à une certaine réalité spirituelle. Elle en symbolise sûrement une, pour donner cette impression de profondeur et de vérité. Ainsi rien ne ressemblait plus qu′une telle phrase de Vinteuil à ce plaisir particulier que j′avais quelquefois éprouvé dans ma vie, par exemple devant les clochers de Martainville, certains arbres d′une route de Balbec ou, plus simplement, au début de cet ouvrage, en buvant une certaine tasse de thé. Como Albertina no intentaba en modo alguno ver a mademoiselle Vinteuil y a su amiga, y hasta, de todos los proyectos que hacíamos para el veraneo ella misma eliminó Combray, tan cerca de Montjouvain, tan claro vi que sería absurdo tener celos de ellas que muchas veces era música de Vinteuil lo que pedía a Albertina que me tocara, y sin que me hiciera sufrir. Sólo una vez me produjo celos, indirectamente, la música de Vinteuil. Y fue una noche en que Albertina, sabiendo que se la había oído tocar a Morel en casa de madame Verdurin, me habló de él manifestándome un vivo deseo de ir a oírle. Esto ocurrió precisamente dos días después de conocer yo la carta de Léa a Morel involuntariamente interceptada por monsieur de Charlus. Pensé que acaso Léa había hablado de él a Albertina. Recordé con horror las palabras de «la muy cochina», «la muy viciosa». Pero precisamente porque la música de Vinteuil quedó así dolorosamente unida a Léa -no a mademoiselle Vinteuil y a su amiga-, una vez mitigado el dolor que Léa me produjera, pude oír sin sufrir aquella música; un mal me había curado de la posibilidad de los demás. En la música oída en casa de madame Verdurin, larvas inadvertidas, oscuras larvas entonces indistintas, eran ahora arquitecturas deslumbrantes; y algunas se tornahan amigas, algunas que apenas había distinguido, que a lo mejor me habían parecido feas y que, como ocurre con ciertas personas que nos son antipáticas al principio, jamás hubiera creído que son como son una vez que se las conoce bien. Entre uno y otro estado se operaba una verdadera transmutación. Por otra parte, algunas frases, distintas la primera vez, pero que entonces no había reconocido, las identificaba ahora con frases de otras obras, como aquella de la Variación religiosa para órgano, que en casa de madame Verdurin me pasó inadvertida en el septuor, donde, sin embargo, santa que había descendido las gradas del santuario, se encontraba mezclada con las hadas familiares del músico. Y la frase del júbilo titubeante de las campanas del mediodía, que me había parecido muy poco melódica, demasiado mecánicamente ritmada, ahora era la que más me gustaba, bien porque me hubiese habituado a su fealdad, bien porque hubiera descubierto su belleza. Esta especie de decepción que nos producen al principio las obras maestras podemos, en realidad, atribuirla a una impresión inicial más débil o al esfuerzo necesario para dilucidar la verdad. Dos hipótesis que se plantean en todas las cuestiones importantes: las cuestiones de la realidad del arte, de la realidad, de la eternidad del alma; hay que elegir entre ellas; en la música de Vinteuil, esta elección se planteaba a cada momento bajo muchas formas. Por ejemplo, esta música me parecía cosa más verdadera que todos los libros conocidos. A veces pensaba que esto se debía a que, como lo que sentimos de la vida no lo sentimos en forma de ideas, su traducción literaria, es decir, intelectual, lo expresa, lo explica, lo analiza, pero no lo reconstruyó como la música, en la que los sonidos parecen tomar la inflexión del ser, reproducir esa punta interior y extrema de las sensaciones que es la parte que nos da esa embriaguez específica que encontramos de cuando en cuando, y que cuando decimos: «¡Qué tiempo más hermoso!, ¡qué hermoso sol!», no la comunicamos al prójimo, en el que el mismo sol y el mismo tiempo suscitan vibraciones muy diferentes. En la música de Vinteuil había también algo de esas visiones que es imposible expresar y casi prohibido contemplar, pues cuando al dormirnos recibimos la caricia de su irreal encantamiento, en ese momento mismo en que la razón nos ha abandonado ya, los ojos se cierran y, sin darnos tiempo a conocer no sólo lo inefable, sino lo invisible, nos dormimos. Cuando me entregaba a la hipótesis en la que el arte sería real, me parecía que lo que la música puede dar era incluso más que la simple alegría nerviosa de un hermoso tiempo o de una noche de opio, que era una embriaguez más real, más fecunda, al menos tal como yo lo presentía. Pero no es posible que una escultura, una música que da una emoción que sentimos más elevada, más pura, más verdadera, no corresponda a cierta realidad espiritual, o la vida no tendría ningún sentido. Así, nada más parecido que una bella frase de Vinteuil a ese placer especial que yo había sentido algunas veces en mi vida, por ejemplo, ante las torres de Martinville, ante ciertos árboles de un camino de Balbec o, más sencillamente, al comenzar esta obra, bebiendo cierta taza de té.
Sans pousser plus loin cette comparaison, je sentais que les rumeurs claires, les bruyantes couleurs que Vinteuil nous envoyait du monde où il composait promenaient devant mon imagination, avec insistance, mais trop rapidement pour qu′elle pût l′appréhender quelque chose que je pourrais comparer à la soierie embaumée d′un géranium. Seulement, tandis que, dans le souvenir, ce vague peut être sinon approfondi, du moins précisé, grâce à un repérage de circonstances qui expliquent pourquoi une certaine saveur a pu vous rappeler des sensations lumineuses, les sensations vagues données par Vinteuil, venant non d′un souvenir, mais d′une impression (comme celle des clochers de Martainville), il aurait fallu trouver, de la fragrance de géranium de sa musique, non une explication matérielle, mais l′équivalent profond, la fête inconnue et colorée (dont ses œuvres semblaient les fragments disjoints, les éclats aux cassures écarlates), le mode selon lequel il « entendait » et projetait hors de lui l′univers. Cette qualité inconnue d′un monde unique, et qu′aucun autre musicien ne nous avait jamais fait voir, peut-être était-ce en cela, disais-je à Albertine, qu′est la preuve la plus authentique du génie, bien plus que dans le contenu de l′œuvre elle-même. « Même en littérature ? me demandait Albertine. — Même en littérature. » Et repensant à la monotonie des œuvres de Vinteuil, j′expliquais à Albertine que les grands littérateurs n′ont jamais fait qu′une seule œuvre, ou plutôt n′ont jamais que réfracté à travers des milieux divers une même beauté qu′ils apportent au monde. « S′il n′était pas si tard, ma petite, lui disais-je, je vous montrerais cela chez tous les écrivains que vous lisez pendant que je dors, je vous montrerais la même identité que chez Vinteuil. Ces phrases-types, que vous commencez à reconnaître comme moi, ma petite Albertine, les mêmes dans la sonate, dans le septuor, dans les autres œuvres, ce serait, par exemple, si vous voulez, chez Barbey d′Aurevilly, une réalité cachée, révélée par une trace matérielle, la rougeur physiologique de l′Ensorcelée, d′Aimée de Spens, de la Clotte, la main du Rideau Cramoisi, les vieux usages, les vieilles coutumes, les vieux mots, les métiers anciens et singuliers derrière lesquels il y a le Passé, l′histoire orale faite par les pâtres du terroir, les nobles cités normandes parfumées d′Angleterre et jolies comme un village d′Écosse, la cause de malédictions contre lesquelles on ne peut rien, la Vellini, le Berger, une même sensation d′anxiété dans un passage, que ce soit la femme cherchant son mari dans une Vieille Maîtresse, ou le mari, dans l′Ensorcelée, parcourant la lande, et l′Ensorcelée elle-même au sortir de la messe. Ce sont encore des phrases types de Vinteuil que cette géométrie du tailleur de pierre dans les romans de Thomas Hardy. » Como aquella taza de té, tantas sensaciones de luz, los claros rumores, los estrepitosos colores que Vinteuil nos enviaba del mundo donde componía, paseaban ante mi imaginación con insistencia, pero demasiado rápidamente para que pudiera aprehenderlo, algo que podría comparar con la seda embalsamada de un geranio. Sólo que mientras que ese algo vago puede, si no profundizarse, al menos precisarse en el recuerdo, gracias al punto de referencia de ciertas circunstancias que explican por qué cierto sabor puede recordarnos sensaciones luminosas, las sensaciones vagas que nos da Vinteuil, al venir no del recuerdo, sino de una impresión (como la de las torres de Martinville), habría que encontrar, de la fragancia de geranio de su música, no una explicación material, sino el equivalente profundo, la fiesta desconocida y animada (de la que sus obras parecían fragmentos dispersos, vidrios rotos de bordes escarlata), modo según el cual «oía» y proyectaba él fuera de sí el universo. En esta cualidad desconocida de un mundo único y que ningún otro músico nos había hecho ver nunca, radicaba quizá, decía yo a Albertina, la prueba más auténtica del genio, mucho más que en el contenido de la obra misma. -¿También en literatura? -me preguntaba Albertina. -También en literatura -y volviendo a pensar en la monotonía de las obras de Vinteuil, explicaba a Albertina que los grandes literatos no han hecho nunca más que una sola obra, o más bien han refractado a través de diversos medios una misma belleza que aportan al mundo-. Si no fuera tan tarde, pequeña -le decía-, te demostraría eso en todos los escritores que lees mientras yo duermo, te demostraría la misma identidad que en Vinteuil. Esas frases-tipo que tú empiezas a reconocer como yo, mi pequeña Albertina, las mismas en la Sonata, en el septuor, en las demás obras, serían, por ejemplo, en Barbey d′Aurevilly, una realidad oculta, revelada por una señal material, el rojo fisiológico de la Embrujada, de Amado de Spens, de la Clotte, la mano de Le rideau cramoisi, los antiguos usos, las antiguas costumbres, las antiguas palabras, los oficios antiguos y singulares tras los que está el pasado, la historia oral hecha por los patriarcas del terruño, las nobles ciudades normandas perfumadas de Inglaterra y bonitas como un pueblo de Escocia, la causa de maldiciones contra las que nada se puede, la Vellini, el Pastor, una misma sensación en un paso, ya sea la mujer buscando a su marido en Une vieille maîtresse, o el marido, en L′ensorcelée, recorriendo la landa, y la Embrujada misma al salir de misa. También son frases-tipos de Vinteuil esta geografía del escultor en las novelas de Thomas Hardy.
Les phrases de Vinteuil me firent penser à la petite phrase et je dis à Albertine qu′elle avait été comme l′hymne national de l′amour de Swann et d′Odette, « les parents de Gilberte que vous connaissez. Vous m′avez dit qu′elle n′avait pas mauvais genre. Mais n′a-t-elle pas essayé d′avoir des relations avec vous ? Elle m′a parlé de vous. — Oui, comme ses parents la faisaient chercher en voiture au cours, par les trop mauvais temps, je crois qu′elle me ramena une fois et m′embrassa », dit-elle au bout d′un moment ; en riant et comme si c′était une confidence amusante. « Elle me demanda tout d′un coup si j′aimais les femmes. » (Mais si elle ne faisait que croire se rappeler que Gilberte l′avait ramenée, comment pouvait-elle dire avec tant de précision que Gilberte lui avait posé cette question bizarre ?) « Même, je ne sais quelle idée baroque me prit de la mystifier, je lui répondis que oui. » (On aurait dit qu′Albertine craignait que Gilberte m′eût raconté cela et qu′elle ne voulût pas que je constatasse qu′elle me mentait.) « Mais nous ne fîmes rien du tout. » (C′était étrange, si elles avaient échangé ces confidences, qu′elles n′eussent rien fait, surtout qu′avant cela même, elles s′étaient embrassées dans la voiture au dire d′Albertine.) « Elle m′a ramenée comme cela quatre ou cinq fois, peut-être un peu plus, et c′est tout. » J′eus beaucoup de peine à ne poser aucune question, mais, me dominant pour avoir l′air de n′attacher à tout cela aucune importance, je revins à Thomas Hardy. « Rappelez-vous les tailleurs de pierre dans Jude l′obscur, dans la Bien-Aimée, les blocs de pierres que le père extrait de l′île venant par bateaux s′entasser dans l′atelier du fils où elles deviennent statues ; dans les Yeux Bleus, le parallélisme des tombes, et aussi la ligne parallèle du bateau, et les wagons contigus où sont les deux amoureux, et la morte ; le parallélisme entre la Bien-Aimée où l′homme aime trois femmes et les Yeux Bleus où la femme aime trois hommes, etc., et enfin tous ces romans superposables les uns aux autres, comme les maisons verticalement entassées en hauteur sur le sol pierreux de l′île. Je ne peux pas vous parler comme cela en une minute des plus grands, mais vous verriez dans Stendhal un certain sentiment de l′altitude se liant à la vie spirituelle : le lieu élevé où Julien Sorel est prisonnier, la tour au haut de laquelle est enfermé Fabrice, le clocher où l′abbé Barnès s′occupe d′astrologie et d′où Fabrice jette un si beau coup d′œil. Vous m′avez dit que vous aviez vu certains tableaux de Vermeer, vous vous rendez bien compte que ce sont les fragments d′un même monde, que c′est toujours, quelque génie avec lequel ils soient recréés, la même table, le même tapis, la même femme, la même nouvelle et unique beauté, énigme à cette époque où rien ne lui ressemble ni ne l′explique, si on ne cherche pas à l′apparenter par les sujets, mais à dégager l′impression particulière que la couleur produit. Eh bien, cette beauté nouvelle, elle reste identique dans toutes les œuvres de Dostoski : la femme de Dostoski (aussi particulière qu′une femme de Rembrandt), avec son visage mystérieux, dont la beauté avenante se change brusquement comme si elle avait joué la comédie de la bonté, en une insolence terrible (bien qu′au fond il semble qu′elle soit plutôt bonne), n′est-ce pas toujours la même, que ce soit Nastasia Philipovna écrivant des lettres d′amour à Aglaé et lui avouant qu′elle la hait, ou, dans une visite entièrement identique à celle-là — à celle aussi où Nastasia Philipovna insulte les parents de Vania — Grouchenka, aussi gentille chez Katherina Ivanovna que celle-ci l′avait crue terrible, puis brusquement dévoilant sa méchanceté en insultant Katherina Ivanovna (bien que Grouchenka au fond soit bonne) ; Grouchenka, Nastasia, figures aussi originales, aussi mystérieuses, non pas seulement que les courtisanes de Carpaccio mais que la Bethsabée de Rembrandt. Comme, chez Vermeer, il y a création d′une certaine âme, d′une certaine couleur des étoffes et des lieux, il n′y a pas seulement, chez Dostoski, création d′être mais de demeures, et la maison de l′Assassinat, dans Crime et Châtiment, avec son dvornik, n′est-elle pas presque aussi merveilleuse que le chef-d′œuvre de la maison de l′Assassinat dans Dostoski, cette sombre, et si longue, et si haute, et si vaste maison de Rogojine où il tue Nastasia Philipovna ? Cette beauté nouvelle et terrible d′une maison, cette beauté nouvelle et mixte d′un visage de femme, voilà ce que Dostoski a apporté d′unique au monde, et les rapprochements que des critiques littéraires peuvent faire entre lui et Gogol, ou entre lui et Paul de Kock, n′ont aucun intérêt, étant extérieurs à cette beauté secrète. Du reste, si je t′ai dit que c′est de roman à roman la même scène, c′est au sein d′un même roman que les mêmes scènes, les mêmes personnages se reproduisent si le roman est très long. Je pourrais te le montrer facilement dans la Guerre et la Paix, et certaine scène dans une voitureÂ… — Je n′avais pas voulu vous interrompre, mais puisque je vois que vous quittez Dostoski, j′avais peur d′oublier. Mon petit, qu′est-ce que vous avez voulu dire l′autre jour quand vous m′avez dit : « C′est comme le côté Dostoski de Mme de Sévigné. » Je vous avoue que je n′ai pas compris. Cela me semble tellement différent. — Venez, petite fille, que je vous embrasse pour vous remercier de vous rappeler si bien ce que je dis, vous retournerez au pianola après. Et j′avoue que ce que j′avais dit là était assez bête. Mais je l′avais dit pour deux raisons. La première est une raison particulière. Il est arrivé que Mme de Sévigné, comme Elstir, comme Dostoski, au lieu de présenter les choses dans l′ordre logique, c′est-à-dire en commençant par la cause, nous montre d′abord l′effet, l′illusion qui nous frappe. C′est ainsi que Dostoski présente ses personnages. Leurs actions nous apparaissent aussi trompeuses que ces effets d′Elstir où la mer a l′air d′être dans le ciel. Nous sommes tout étonnés d′apprendre que cet homme sournois est au fond excellent, ou le contraire. — Oui, mais un exemple pour Mme de Sévigné. — J′avoue, lui répondis-je en riant, que c′est très tiré par les cheveux, mais enfin je pourrais trouver des exemples. — Mais est-ce qu′il a jamais assassiné quelqu′un, Dostoski ? Les romans que je connais de lui pourraient tous s′appeler l′Histoire d′un crime. C′est une obsession chez lui, ce n′est pas naturel qu′il parle toujours de ça. — Je ne crois pas, ma petite Albertine, je connais mal sa vie. Il est certain que, comme tout le monde, il a connu le péché, sous une forme ou sous une autre, et probablement sous une forme que les lois interdisent. En ce sens-là, il devait être un peu criminel, comme ses héros, qui ne le sont d′ailleurs pas tout à fait, qu′on condamne avec des circonstances atténuantes. Et ce n′était même peut-être pas la peine qu′il fût criminel. Je ne suis pas romancier ; il est possible que les créateurs soient tentés par certaines formes de vie qu′ils n′ont pas personnellement éprouvées. Si je vais avec vous à Versailles, comme nous avons convenu, je vous montrerai le portrait de l′honnête homme par excellence, du meilleur des maris, Choderlos de Laclos, qui a écrit le plus effroyablement pervers des livres, et, juste en face, celui de Mme de Genlis qui écrivit des contes moraux et ne se contenta pas de tromper la duchesse d′Orléans, mais la supplicia en détournant d′elle ses enfants. Je reconnais tout de même que chez Dostoski cette préoccupation de l′assassinat a quelque chose d′extraordinaire et qui me le rend très étranger. Je suis déjà stupéfait quand j′entends Baudelaire dire : Las frases de Vinteuil me hicieron pensar en la pequeña frase y le dije a Albertina que había sido como el himno nacional del amor de Swann y de Odette. -Son los padres de Gilberta, a los que creo que conocías. Me dijiste que era de ésas. ¿No intentó tener relaciones contigo? Me habló de ti. -Sí, como sus padres mandaban el coche a buscarla al colegio cuando hacía muy mal tiempo, creo que una vez me llevó y me besó -me dijo al cabo de un momento, riendo y como si fuera una confidencia divertida-. De pronto me preguntó si me gustaban las mujeres -pero si creía sólo recordar que Gilberta la había llevado en el coche, ¿cómo podía decir con tanta precisión que Gilberta le había hecho aquella extraña pregunta?-. Hasta se me ocurrió la idea de engañarla y le contesté que sí -cualquiera diría que Albertina temía que Gilberta me hubiera contado aquello y no quería que yo comprobase que me mentía-. Pero no hicimos nada -era extraño, si habían llegado a aquellas confidencias, que no hicieran nada, sobre todo habiéndose besado antes en el coche, al decir de Albertina-. Me llevó así cuatro o cinco veces, quizá algunas más, y eso fue todo. Me costó mucho no hacerle ninguna pregunta, pero dominándome para aparentar que no daba a todo aquello ninguna importancia, volví a los canteros de Thomas Hardy: -¿Recuerdas bien en Jude l′obscur, has visto en La bien-aimée los bloques de piedra que el padre extrae de la isla y van en barco a amontonarse en el taller del hijo para convertirse en estatuas; en Les yeux bleus, el paralelismo de las tumbas, y también la línea paralela del barco, y los vagones contiguos donde están los dos enamorados y la muerte; el paralelismo entre La bien-aimée, donde el hombre ama a tres mujeres; Les yeux bleus, donde la mujer ama a tres hombres, etc., y, en fin, todas esas novelas superponibles unas a otras, como las casas verticalmente superpuestas en el pedregoso suelo de la isla? No puedo hablarte así en un minuto de los más grandes, pero verías en Stendhal cierto sentido de la altitud unido a la vida espiritual: el lugar elevado donde está preso Julián Sorel, la torre en lo alto de la cual está encerrado Fabricio, el campanario donde el cura Blanès se dedica a la astrología y de donde Fabricio ve un panorama tan hermoso. Tú me dijiste que habías visto ciertos cuadros de Ver Meer; te darías cuenta de que son fragmentos de un mismo mundo, de que es siempre, cualquiera que sea el genio que lo recree, la misma mesa, el mismo tapiz, la misma mujer, la misma nueva y única belleza, enigma en esta época en la que nada se le parece ni le explica, si no tratamos de emparentarlo por los temas, pero separando la impresión especial que produce el color. Pues bien, esa belleza nueva es siempre idéntica en todas las obras de Dostoyevski: la mujer de Dostoyevski (tan particular como una mujer de Rembrandt), con su rostro misterioso cuya belleza afable se transforma de pronto, como si hubiera representado la comedia de la bondad, en una insolencia terrible (aunque, en el fondo, parece ser más bien buena), ¿no es siempre la misma, ya se trate de Nastasia Filípovna escribiendo cartas de amor a Aglae y confesándole que la odia, o, en una visita enteramente idéntica a ésta -también a aquella en que Nastasia Filípovna insulta a los padres de Gania-, Grúshenca, tan gentil con Caterina Ivánovna como terrible la había creído ésta, descubriendo después bruscamente su maldad insultando a Caterina Ivánovna (y aunque Grúshenca fuera buena en el fondo)? Grúshenca, Nastasia: figuras tan originales, tan misteriosas, no sólo como las cortesanas de Carpaccio, sino como la Betsabé de Rembrandt. Observa que seguramente no supo que ese rostro deslumbrante, doble, con bruscos eclipses del orgullo, hace ver a la mujer como no es («Tú no eres ésa», dice Muishkin a Nastasia en la visita a los padres de Gania, y Aliosha podía decírselo a Grúshenca en la visita a Caterina Ivánovna). Y, en cambio, cuando quiere tener «ideas de cuadros», son siempre estúpidos y darían a lo sumo los cuadros en que Muishkin pretende que veamos un condenado a muerte en el momento en que, etc., la Virgen en el momento en que, etc. Pero volviendo a la belleza nueva que Dostoyevski ha dado al mundo, así como en Ver Meer hay creación de cierta alma, de cierto color de las telas y de los lugares, en Dostoyevski no hay sólo creación de seres, sino de moradas, y la casa del asesinato en Los hermanos Karamázov, con su dvornik, ¿no es tan maravillosa como la obra maestra de la casa del crimen en Dostoyevski, esa oscura, y tan larga, y tan alta, y tan vasta casa de Rogoyin donde éste mata a Nastasia Filípovna? Esa belleza nueva y terrible de una casa, esa belleza nueva y mixta de un rostro de mujer, eso es lo que Dostoyevski ha aportado de único al mundo, y las comparaciones que unos críticos literarios pueden hacer entre él y Gógol, o entre él y Paul de Kock, no tienen ningún interés, porque son ajenas a esa belleza secreta. Además, te he dicho que de una novela a otra es la misma escena, pero es que dentro de una misma novela, si es muy larga, se reproducen las mismas escenas, los mismos personajes. Podría demostrártelo muy fácilmente en Guerra y paz, y cierta escena en un coche... -No quería interrumpirte, pero como veo que dejas Dostoyevski, y tengo miedo de olvidarlo, oye, querido, ¿qué querías decir el otro día cuando me dijiste: «Es como la parte Dostoyevski de madame de Sévigné»? Te confieso que no lo entendí. Me parecen tan diferentes. -Ven acá, nena mía, te voy a dar un beso por recordar tan bien lo que yo te digo, después volverás a la pianola. Y confieso que lo que te dije era bastante idiota. Pero lo dije por dos razones. La primera es una razón particular. Madame de Sévigné, como Elstir, como Dostoyevski, en vez de presentar las cosas en el orden lógico, es decir, empezando por la causa, nos muestra en primer lugar el efecto, la ilusión que nos impresionó; así presenta Dostoyevski sus personajes. Sus actos nos parecen tan engañosos como esos efectos de Elstir en los que el mar parece que está en el cielo. Cuando después nos enteramos de que aquel hombre ladino es en el fondo muy bueno, o al contrario, nos quedamos muy sorprendidos. -Sí, pero dime un ejemplo en madame de Sévigné. -Confieso -le contesté riendo- que es muy traído por los cabellos, pero, en fin, podría encontrar ejemplos. -Pero ¿es que Dostoyevski asesinó a alguien? Todas las novelas suyas que yo conozco se podrían titular Historia de un crimen. Es una obsesión, no es natural que hable siempre de eso. -No creo, pequeña, conozco mal su vida. Desde luego, como todo el mundo, conoció el pecado, en una forma o en otra, y probablemente en una forma que las leyes prohiben. En este sentido debía de ser un poco criminal, como sus héroes, que, por lo demás, no lo son del todo, pues se les condena con circunstancias atenuantes. Y quizá no valía la pena de que fuera criminal. Yo no soy novelista; es posible que a los creadores les tienten ciertas formas de vida que no han experimentado personalmente. Si voy contigo a Versalles como hemos convenido, te enseñaré el retrato del hombre honrado por excelencia, del mejor de los maridos, Choderlos de Lados, que escribió el libro más terriblemente perverso, y justamente enfrente del de madame de Genlis, que escribió cuentos morales y no se contentó con engañar a la duquesa de Orleans, sino que la martirizó alejando de ella a sus hijos. De todos modos reconozco que en Dostoyevski esta preocupación del asesinato tiene algo de extraordinario y me lo hace muy extraño. Ya me deja bastante estupefacto oír decir a Baudelaire:
Si le viol, le poison, le poignard, l′incendie
N′ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C′est que notre âme, hélas ! n′est pas assez hardie.
Si le viol, le poison, le poignard, l′incendie
N′ont pas encor brodé de leurs plaisants dessins
Le canevas banal de nos piteux destins,
C′est que notre âme, hélas ! n′est pas assez hardie.
Mais je peux au moins croire que Baudelaire n′est pas sincère. Tandis que DostoskiÂ… Tout cela me semble aussi loin de moi que possible, à moins que j′aie en moi des parties que j′ignore, car on ne se réalise que successivement. Chez Dostoski je trouve des puits excessivement profonds, mais sur quelques points isolés de l′âme humaine. Mais c′est un grand créateur. D′abord, le monde qu′il peint a vraiment l′air d′avoir été créé par lui. Tous ces bouffons qui reviennent sans cesse, tous ces Lebedev, Karamazoff, Ivolguine, Segreff, cet incroyable cortège, c′est une humanité plus fantastique que celle qui peuple la Ronde de Nuit de Rembrandt. Et peut-être n′est-elle fantastique que de la même manière, par l′éclairage et le costume, et est-elle, au fond, courante. En tous cas elle est à la fois pleine de vérités profondes et uniques, n′appartenant qu′à Dostoski. Cela a presque l′air, ces bouffons, d′un emploi qui n′existe plus, comme certains personnages de la comédie antique, et pourtant comme ils révèlent des aspects vrais de l′âme humaine ! Ce qui m′assomme, c′est la manière solennelle dont on parle et dont on écrit sur Dostoski. Avez-vous remarqué le rôle que l′amour-propre et l′orgueil jouent chez ses personnages ? On dirait que pour lui l′amour et la haine la plus éperdue, la bonté et la traîtrise, la timidité et l′insolence, ne sont que deux états d′une même nature, l′amour-propre, l′orgueil empêchant Aglaé, Nastasia, le Capitaine dont Mitia tire la barbe, Krassotkine, l′ennemi-ami d′Alioscha, de se montrer tels qu′ils sont en réalité. Mais il y a encore bien d′autres grandeurs. Je connais très peu de ses livres. Mais n′est-ce pas un motif sculptural et simple, digne de l′art le plus antique, une frise interrompue et reprise où se dérouleraient la Vengeance et l′Expiation, que le crime du père Karamazoff engrossant la pauvre folle, le mouvement mystérieux, animal, inexpliqué, par lequel la mère, étant à son insu l′instrument des vengeances du destin, obéissant aussi obscurément à son instinct de mère, peut-être à un mélange de ressentiment et de reconnaissance physique pour le violateur, va accoucher chez le père Karamazoff ? Ceci, c′est le premier épisode, mystérieux, grand, auguste, comme une création de la Femme dans les sculptures d′Orvieto. Et en réplique, le second épisode, plus de vingt ans après, le meurtre du père Karamazoff, l′infamie sur la famille Karamazoff par ce fils de la folle, Smerdiakoff, suivi peu après d′un même acte aussi mystérieusement sculptural et inexpliqué, d′une beauté aussi obscure et naturelle que l′accouchement dans le jardin du père Karamazoff, Smerdiakoff se pendant, son crime accompli. Quant à Dostoski, je ne le quittais pas tant que vous croyez en parlant de Tolstoíª qui l′a beaucoup imité. Chez Dostoski il y a, concentré et grognon, beaucoup de ce qui s′épanouira chez Tolstoí¬ Il y a, chez Dostoski, cette maussaderie anticipée des primitifs que les disciples éclairciront. — Mon petit, comme c′est assommant que vous soyez si paresseux. Regardez comme vous voyez la littérature d′une façon plus intéressante qu′on ne nous la faisait étudier ; les devoirs qu′on nous faisait faire sur Esther : « Monsieur », vous vous rappelez », me dit-elle en riant, moins pour se moquer de ses maîtres et d′elle-même que pour le plaisir de retrouver dans sa mémoire, dans notre mémoire commune, un souvenir déjà un peu ancien. Mais tandis qu′elle me parlait, et comme je pensais à Vinteuil, à son tour c′était l′autre hypothèse, l′hypothèse matérialiste, celle du néant, qui se présentait à moi. Je me mettais à douter, je me disais qu′après tout il se pourrait que, si les phrases de Vinteuil semblaient l′expression de certains états de l′âme, analogues à celui que j′avais éprouvé en goûtant la madeleine trempée dans la tasse de thé, rien ne m′assurait que le vague de tels états fût une marque de leur profondeur, mais seulement de ce que nous n′avons pas encore su les analyser, qu′il n′y aurait donc rien de plus réel en eux que dans d′autres. Pourtant ce bonheur, ce sentiment de certitude dans le bonheur pendant que je buvais la tasse de thé, que je respirais aux Champs-Élysées une odeur de vieux bois, ce n′était pas une illusion. En tous cas, me disait l′esprit du doute, même si ces états sont dans la vie plus profonds que d′autres, et sont inanalysables à cause de cela même, parce qu′ils mettent en jeu trop de forces dont nous ne nous sommes pas encore rendu compte, le charme de certaines phrases de Vinteuil fait penser à eux parce qu′il est lui aussi inanalysable, mais cela ne prouve pas qu′il ait la même profondeur ; la beauté d′une phrase de musique pure paraît facilement l′image ou, du moins, la parente d′une impression intellectuelle que nous avons eue, mais simplement parce qu′elle est inintellectuelle. Et pourquoi, alors, croyons-nous particulièrement profondes ces phrases mystérieuses qui hantent certains ouvrages et ce septuor de Vinteuil ? »Pero de Baudelaire puedo al menos creer que no es sincero. Mientras que Dostoyevski... Todo eso me parece lejísimos de mí, a menos que haya en mí partes que ignoro, pues nos vamos conociendo sucesivamente. En Dostoyevski encuentro pozos demasiado profundos, pero en algunos puntos aislados del alma humana. Pero es un gran creador. En primer lugar, el mundo que pinta parece verdaderamente creado por él. Todos esos bufones que reaparecen siempre, todos esos Lébedev, Karamázov, Ivolguin, Segrev, ese increíble cortejo, es una humanidad más fantástica que la que puebla La ronda de roche, de Rembrandt. Y, sin embargo, quizá sólo es fantástica, de la misma manera, por la luz y por el traje, y en el fondo es corriente. En todo caso, es a la vez una humanidad llena de verdades, profunda y única, propia exclusivamente de Dostoyevski. Eso, esos bufones, es cosa que ya no tiene empleo, como ciertos personajes de la comedia antigua, y, sin embargo, ¡qué bien revelan aspectos verdaderos del alma humana! Lo que me fastidia es la manera solemne con que se habla y se escribe sobre Dostoyevski. ¿Te has fijado en el papel que el amor propio y el orgullo desempeñan en sus personajes? Dijérase que, para él, el amor y el odio más encarnizado, la bondad y la tristeza, la timidez y la insolencia, no son más que dos estados de una misma naturaleza; el amor propio, el orgullo, impiden a Aglaya, a Nastasia, al capitán a quien Mitia tira de la barba, a Krasotin, el enemigoamigo de Aliosha, mostrarse tales como son en realidad. Pero hay otras muchas grandezas. Yo conozco muy pocos libros suyos, pero ¿no es un motivo escultórico y simple, digno del arte más antiguo, un friso interrumpido y luego continuado en el que se representan la venganza y la expiación, el crimen del padre de los Karamázov dejando embarazada a la pobre loca, el movimiento misterioso, animal, inexplicable, con el que la madre, involuntario instrumento de las venganzas del destino, obedeciendo tan oscuramente a su instinto de madre, quizá a una mezcla de resentimiento y de gratitud física por el violador, va a dar a luz en casa del padre de los Karamázov? Esto es el primer episodio, misterioso, grande, augusto, como una creación de la mujer en las esculturas de Orvieto. Y como réplica el segundo episodio, más de veinte años después, la muerte del padre de los Karamázov, la infamia que cae sobre la familia Karamázov por obra del hijo de la loca, Smerdiákov, seguida poco después de un mismo acto tan misteriosamente escultórico e inexplicado, de una belleza tan oscura y natural como el alumbramiento en el jardín del padre de los Karamázov: Smerdiákov ahorcándose, después de realizar su crimen. En cuanto a Dostoyevski, yo no le dejaba tanto como tú crees al hablar de Tolstói, que le imitó mucho. Y en Dostoyevski hay concentrado, todavía contraído y gruñón, mucho de lo que se desarrollará en Tolstói. En Dostoyevski hay esa tosquedad anticipada de los primitivos que los discípulos aclararán. -Es desesperante que seas tan perezoso, hijo mío. Fíjate cómo ves la literatura de una manera más interesante que como nos la hacían estudiar; aquellos ejercicios que nos hacían hacer sobre Esther: «Monsieur», ¿te acuerdas? -me dijo riendo, más que por reírse de sus maestros y de ella misma, por el gusto de revivir en su memoria, en nuestra memoria común, un recuerdo ya un poco antiguo. Pero, mientras me hablaba, yo pensaba en Vinteuil, y era la otra hipótesis, la hipótesis materialista, la de la nada, la que surgía en mí. Volvía la duda, pensaba que, después de todo, las frases de Vinteuil pudieran parecer la expresión de ciertos estados de alma análogos al que yo sentí saboreando la magdalena mojada en la taza de té; nada me aseguraba que la vaguedad de tales estados fuera una prueba de su profundidad, sino solamente que todavía no hemos sabido analizarlos, que, por consiguiente, no eran más reales que los demás. Sin embargo, aquella felicidad, aquel sentimiento de certidumbre en la felicidad, cuando tomaba la taza de té, cuando respiraba en los Champs-Elysées un olor a árboles viejos, no era una ilusión. En todo caso, me decía el espíritu de duda, aun cuando esos estados son en la vida más profundos que otros, y son por eso mismo inanalizables, porque ponen en juego demasiadas fuerzas de las que todavía no nos hemos dado cuenta, el encanto de ciertas frases de Vinteuil hace pensar en ellas porque también él es inanalizable, pero esto no demuestra que tenga la misma profundidad; la belleza de una frase de música parece fácilmente la imagen o, al menos, la pariente de una impresión inintelectual que hemos tenido, pero simplemente porque es inintelectual. Y entonces, ¿por qué creemos especialmente profundas esas frases obsesivas en ciertos quatuors y en aquel «concierto» de Vinteuil?
Ce n′était pas, du reste, que de la musique de lui que me jouait Albertine ; le pianola était par moments pour nous comme une lanterne magique scientifique (historique et géographique), et sur les murs de cette chambre de Paris, pourvue d′inventions plus modernes que celle de Combray, je voyais, selon qu′Albertine jouait du Rameau ou du Borodine, s′étendre tantôt une tapisserie du xviiie siècle semée d′Amours sur un fond de roses, tantôt la steppe orientale où les sonorités s′étouffent dans l′illimité des distances et le feutrage de la neige. Et ces décorations fugitives étaient, d′ailleurs, les seules de ma chambre, car si, au moment où j′avais hérité de ma tante Léonie, je m′étais promis d′avoir des collections comme Swann, d′acheter des tableaux, des statues, tout mon argent passait à avoir des chevaux, une automobile, des toilettes pour Albertine. Mais ma chambre ne contenait-elle pas une œuvre d′art plus précieuse que toutes celles-là ? C′était Albertine elle-même. Je la regardais. C′était étrange pour moi de penser que c′était elle, elle que j′avais crue si longtemps impossible même à connaître, qui aujourd′hui, bête sauvage domestiquée, rosier à qui j′avais fourni le tuteur, le cadre, l′espalier de sa vie, était ainsi assise, chaque jour, chez elle, près de moi, devant le pianola, adossée à ma bibliothèque. Ses épaules, que j′avais vues baissées et sournoises quand elle rapportait les clubs de golf, s′appuyaient à mes livres. Ses belles jambes, que le premier jour j′avais imaginées avec raison avoir manœuvré pendant toute son adolescence les pédales d′une bicyclette, montaient et descendaient tour à tour sur celles du pianola, où Albertine, devenue d′une élégance qui me la faisait sentir plus à moi, parce que c′était de moi qu′elle lui venait, posait ses souliers en toile d′or. Ses doigts, jadis familiers du guidon, se posaient maintenant sur les touches comme ceux d′une sainte Cécile. Son cou dont le tour, vu de mon lit, était plein et fort, à cette distance et sous la lumière de la lampe paraissait plus rose, moins rose pourtant que son visage incliné de profil, auquel mes regards, venant des profondeurs de moi-même, chargés de souvenirs et brûlants de désir, ajoutaient un tel brillant, une telle intensité de vie que son relief semblait s′enlever et tourner avec la même puissance presque magique que le jour, à l′hôtel de Balbec, où ma vue était brouillée par mon trop grand désir de l′embrasser ; j′en prolongeais chaque surface au delà de ce que j′en pouvais voir et sous ce qui me le cachait et ne me faisait que mieux sentir — paupières qui fermaient à demi les yeux, chevelure qui cachait le haut des joues — le relief de ces plans superposés. Ses yeux luisaient comme, dans un minerai où l′opale est encore engainée, les deux plaques seules encore polies, qui, devenues plus brillantes que du métal, font apparaître, au milieu de la matière aveugle qui les surplombe, comme les ailes de soie mauve d′un papillon qu′on aurait mis sous verre. Ses cheveux, noirs et crespelés, montrant des ensembles différents selon qu′elle se tournait vers moi pour me demander ce qu′elle devait jouer, tantôt une aile magnifique, aiguë à sa pointe, large à sa base, noire, empennée et triangulaire, tantôt tressant le relief de leurs boucles en une chaîne puissante et variée, pleine de crêtes, de lignes de partage, de précipices, avec leur fouetté si riche et si multiple, semblaient dépasser la variété que réalise habituellement la nature et répondre plutôt au désir d′un sculpteur qui accumule les difficultés pour faire valoir la souplesse, la fougue, le fondu, la vie de son exécution, et faisaient ressortir davantage, en les interrompant pour les recouvrir, la courbe animée et comme la rotation du visage lisse et rose, du mat verni d′un bois peint. Et par contraste avec tant de relief, par l′harmonie aussi qui les unissait à elle, qui avait adapté son attitude à leur forme et à leur utilisation, le pianola qui la cachait à demi comme un buffet d′orgues, la bibliothèque, tout ce coin de la chambre semblait réduit à n′être plus que le sanctuaire éclairé, la crèche de cet ange musicien, œuvre d′art qui, tout à l′heure, par une douce magie, allait se détacher de sa niche et offrir à mes baisers sa substance précieuse et rose. Mais non, Albertine n′était nullement pour moi une œuvre d′art. Je savais ce que c′était qu′admirer une femme d′une façon artistique, j′avais connu Swann. De moi-même, d′ailleurs, j′étais, de n′importe quelle femme qu′il s′agît, incapable de le faire, n′ayant aucune espèce d′esprit d′observation extérieure, ne sachant jamais ce qu′était ce que je voyais, et j′étais émerveillé quand Swann ajoutait rétrospectivement une dignité artistique — en la comparant, comme il se plaisait à le faire galamment devant elle-même, à quelque portrait de Luini ; en retrouvant, dans sa toilette, la robe ou les bijoux d′un tableau de Giorgione — à une femme qui m′avait semblé insignifiante. Rien de tel chez moi. Le plaisir et la peine qui me venaient d′Albertine ne prenaient jamais, pour m′atteindre, le détour du goût et de l′intelligence ; même, pour dire vrai, quand je commençais à regarder Albertine comme un ange musicien, merveilleusement patiné et que je me félicitais de posséder, elle ne tardait pas à me devenir indifférente, je m′ennuyais bientôt auprès d′elle, mais ces instants-là duraient peu : on n′aime que ce en quoi on poursuit quelque chose d′inaccessible, on n′aime que ce qu′on ne possède pas, et, bien vite, je me remettais à me rendre compte que je ne possédais pas Albertine. Dans ses yeux je voyais passer tantôt l′espérance, tantôt le souvenir, peut-être le regret, de joies que je ne devinais pas, auxquelles, dans ce cas, elle préférait renoncer plutôt que de me les dire, et que, n′en saisissant que certaines lueurs dans ses prunelles, je n′apercevais pas plus que le spectateur qu′on n′a pas laissé entrer dans la salle et qui, collé au carreau vitré de la porte, ne peut rien apercevoir de ce qui se passe sur la scène. Je ne sais si c′était le cas pour elle, mais c′est une étrange chose, comme un témoignage, chez les plus incrédules, d′une croyance au bien, que cette persévérance dans le mensonge qu′ont tous ceux qui nous trompent. On aurait beau leur dire que leur mensonge fait plus de peine que l′aveu, ils auraient beau s′en rendre compte, qu′ils mentiraient encore l′instant d′après, pour rester conformes à ce qu′ils nous ont dit d′abord que nous étions pour eux. C′est ainsi qu′un athée qui tient à la vie se fait tuer pour ne pas donner un démenti à l′idée qu′on a de sa bravoure. Pendant ces heures, quelquefois je voyais flotter sur elle, dans ses regards, dans sa moue, dans son sourire, le reflet de ces spectacles intérieurs dont la contemplation la faisait, ces soirs-là, dissemblable, éloignée de moi à qui ils étaient refusés. « À quoi pensez-vous, ma chérie ? — Mais à rien. » Quelquefois, pour répondre à ce reproche que je lui faisais de ne me rien dire, tantôt elle me disait des choses qu′elle n′ignorait pas que je savais aussi bien que tout le monde (comme ces hommes d′État qui ne vous annonceraient pas la plus petite nouvelle, mais vous parlent, en revanche, de celle qu′on a pu lire dans les journaux de la veille), tantôt elle me racontait sans précision aucune, en des sortes de fausses confidences, des promenades en bicyclette qu′elle faisait à Balbec, l′année avant de me connaître. Et comme si j′avais deviné juste autrefois, en inférant de là qu′elle devait être une jeune fille très libre, faisant de très longues parties, l′évocation qu′elle faisait de ces promenades insinuait entre les lèvres d′Albertine ce même mystérieux sourire qui m′avait séduit les premiers jours sur la digue de Balbec. Elle me parlait aussi de ses promenades qu′elle avait faites, avec des amies, dans la campagne hollandaise, de ses retours, le soir, à Amsterdam, à des heures tardives, quand une foule compacte et joyeuse de gens qu′elles connaissait presque tous emplissait les rues, les bords des canaux, dont je croyais voir se refléter dans les yeux brillants d′Albertine, comme dans les glaces incertaines d′une rapide voiture, les feux innombrables et fuyants. Comme la soi-disant curiosité esthétique mériterait plutôt le nom d′indifférence auprès de la curiosité douloureuse, inlassable, que j′avais des lieux où Albertine avait vécu, de ce qu′elle avait pu faire tel soir, des sourires, des regards qu′elle avait eus, des mots qu′elle avait dits, des baisers qu′elle avait reçus ! Non, jamais la jalousie que j′avais eue un jour de Saint-Loup, si elle avait persisté, ne m′eût donné cette immense inquiétude. Cet amour entre femmes était quelque chose de trop inconnu, dont rien ne permettait d′imaginer avec certitude, avec justesse, les plaisirs, la qualité. Que de gens, que de lieux (même qui ne la concernaient pas directement, de vagues lieux de plaisir où elle avait pu en goûter), que de milieux (où il y a beaucoup de monde, où on est frôlé) Albertine — comme une personne qui, faisant passer sa suite, toute une société, au contrôle devant elle, la fait entrer au théâtre — du seuil de mon imagination ou de mon souvenir, où je ne me souciais pas d′eux, avait introduits dans mon cœur ! Maintenant, la connaissance que j′avais d′eux était interne, immédiate, spasmodique, douloureuse. L′amour c′est l′espace et le temps rendus sensibles au cœur. Pero no era solamente música de Vinteuil lo que me tocaba Albertina; a veces la pianola era para nosotros como una linterna mágica científica (histórica y geográfica), y, según que Albertina tocara Rameau o Boro din, yo veía extenderse sobre las paredes de aquella habitación de París, en la que había inventos más modernos que en la de Combray, ya un tapiz del siglo xviii sembrado de amores sobre un fondo de rosas, ya la estepa oriental donde las sonoridades se pierden en las distancias ilimitadas, en el suelo alfombrado de nieve. Y aquellas decoraciones fugitivas eran, por lo demás, únicas en mi cuarto, pues aunque cuando las heredé de mi tía Leontina me propuse tener colecciones como Swann, comprar cuadros, esculturas, se me iba todo el dinero en caballos, en un automóvil, en toilettes para Albertina. Pero ¿no había en mi habitación una obra de arte más valiosa que todas? Era la misma Albertina. La miraba. Me resultaba extraño pensar que era ella, ella, a la que durante tanto tiempo me pareció imposible hasta conocerla, y que hoy, animal salvaje domesticado, rosal al que yo puse el rodrigón, el marco, el espaldar de su vida, estaba allí sentada, cada día, en su casa, junto a mí, ante la pianola, apoyada en mi biblioteca. Sus hombros, que yo había visto bajos, inclinados en los clubs de golf, se apoyaban en mis labios. Sus bonitas piernas, que el primer día imaginé yo, con razón, maniobrando durante toda su adolescencia los pedales de una bicicleta, subían y bajaban sucesivamente sobre los de la pianola, en los que Albertina, ahora de una elegancia que me hacía sentirla más mía, porque era yo quien se la había dado, posaba sus zapatos de brocado de oro. Sus dedos, antes familiarizados con el manillar, se posaban ahora en las teclas como los de una Santa Cecilia; su cuello, lleno y fuerte visto desde mi cama, a aquella distancia y a la luz de la lámpara parecía más rosado, menos, sin embargo, que su rostro inclinado de perfil, al que mi mirada, saliendo de las profundidades de mí mismo, cargada de recuerdos y ardiente de deseo, daba tal brillantez, tal intensidad de vida, que su relieve parecía alzarse y girar con la misma fuerza casi mágica que aquel día en que, en el hotel de Balbec, yo, nublada la vista por el deseo de besarla, prolongaba cada superficie de aquel rostro más allá de lo que podía ver, y así, cada superficie me ocultaba los rasgos -párpados que cerraban a medias los ojos, cabellera que tapaba las mejillas- y me hacía sentir mejor el relieve de aquellos planos superpuestos; los ojos (como en un mineral de ópalo donde está todavía envainado se ven sólo pulidas las dos placas), más resistentes que el metal a la vez que más brillantes que la luz, presentaban, en medio de la materia ciega que gravitaba sobre ellos, como las alas de seda malva de una mariposa bajo un cristal; y el cabello, negro y crespo, mostrando otros aspectos según que se volviera hacia mí para preguntarme qué quería que tocara, ya un ala magnífica, fina en la punta, ancha en la base, negra, plumosa y triangular; ya compacto el relieve de sus bucles en una cordillera poderosa y variada, llena de picos, de divisorias, de precipicios, con su orografía tan rica y tan múltiple, pareciendo superar la variedad que realiza habitualmente la naturaleza y responder más bien al deseo de un escultor que acumula las dificultades para hacer valer la soltura, el vuelo, los matices, la vida de su ejecución, hacía resaltar más la animada curva y como la rotación del rostro liso y rosa, interrumpiéndola para cubrirla con el barniz mate de una madera pintada. Y en contraste con tanto relieve, también por la armonía que los unía a ella, que había adaptado su actitud a su forma y a su utilización, la pianola que la ocultaba a medias como una caja de órgano, la biblioteca, todo aquel rincón de la estancia parecía reducido a no ser otra cosa que el santuario iluminado, la cuna de aquel ángel músico, obra de arte que, pasado un momento, por una dulce magia, iba a salir de su hornacina y a ofrecer a mis besos su preciosa y rosada sustancia. Pero no; Albertina no era en modo alguno para mí una obra de arte. Yo sabía lo que era admirar a una mujer de una manera artística, yo había conocido a Swann. Por mí mismo, además, era incapaz de hacerlo, fuera quien fuere la mujer de quien se tratara, pues no tenía ninguna clase de espíritu de observación exterior, no sabía nunca qué era lo que veía, y me maravillaba cuando Swann daba retrospectivamente una dignidad artística -comparándola para mí, como se complacía en hacerlo galantemente ante ella misma, con un retrato de Luini; viendo en su toilette el vestido o las alhajas de un cuadro de Giorgione- a una mujer que me había parecido insignificante. En mí no había nada de esto. A decir verdad, incluso cuando comenzaba a mirar a Albertina como un ángel músico maravillosamente patinado y que me felicitaba de poseer, no tardaba en volver a serme indiferente; en seguida me aburría a su lado, pero esto duraba poco: sólo amamos aquello en que buscamos algo inasequible, sólo amamos lo que no poseemos, y en seguida volvía a darme cuenta de que no poseía a Albertina. Veía pasar en sus ojos, ya la esperanza, ya el recuerdo, ya la añoranza de alegrías que yo no adivinaba, a las que, en este caso, prefería ella renunciar antes que decírmelas, y como no llegaba a captar en sus pupilas más que aquel resplandor, no veía más de lo que ve el espectador que no ha podido entrar en el teatro y que, pegado al cristal de la puerta, no puede ver lo que pasa en el escenario. (No sé si era éste el caso en ella, pero es extraño, como un testimonio en los más incrédulos de una creencia en el bien, esa perseverancia en la mentira que tienen todos los que nos engañan. Por más que se les diga que su mentira causa más pena que la confesión, por más que lo comprendan, volverán a mentir al cabo de un momento, para seguir concordando con lo que antes nos dijeron que eran o con lo que nos dijeron que éramos para ellos. Así, un ateo que tiene apego a la vida se deja matar por no desmentir la idea que se tiene de su valentía.) A veces, en aquellas horas, veía flotar sobre ella, en sus miradas, en su gesto, en su sonrisa, el reflejo de esos espectáculos interiores cuya contemplación la hacía distinta aquellas noches, alejada de mí, a quien eran negados. -¿En qué piensas, querida? -En nada. A veces, para contestar a este reproche que le hacía de no decirme nada, tan pronto me decía cosas que ella no ignoraba que yo sabía tan bien como todo el mundo (como esos hombres de Estado que no nos anunciarían la más pequeña noticia, pero en cambio nos hablan de la que hemos podido leer en los periódicos de la víspera), tan pronto me contaba, sin ninguna precisión, como una especie de falsas confidencias, unos paseos en bicicleta que hacía en Balbec el año antes de conocerme. Y como si yo hubiera adivinado exactamente en otro tiempo, deduciendo de aquello que debía de ser una muchacha muy libre puesto que hacía aquellos viajes tan largos, al evocar aquellos paseos se insinuaba entre los labios de Albertina la misma misteriosa sonrisa que me sedujo los primeros días en el malecón de Balbec. Me hablaba también de las excursiones que había hecho con amigas por el campo holandés, de sus regresos a Amsterdam a horas tardías de la noche, cuando una multitud compacta y alegre de personas, casi todas conocidas suyas, llenaban las calles, las orillas de los canales, cuyas luces innumerables y fugitivas creía yo ver reflejarse en los ojos brillantes de Albertina, como en los cristales inciertos de un carruaje rápido. Comparada con mi curiosidad dolorosa, insaciable, por los lugares donde Albertina había vivido, por lo que había podido hacer tal o cual noche, por las sonrisas y las miradas que había dirigido, por las palabras que había dicho, por los besos que había recibido, la sedicente curiosidad estética merecería más bien el nombre de indiferencia. ¡Cuántas gentes, cuántos lugares (incluso que no la concernían directamente, vagos lugares de placer donde pudo gustarlo, los lugares donde hay mucha gente, donde le rozan a uno) había introducido Albertina en mi corazón desde el umbral de mi imaginación o de mi recuerdo, donde no me importaban! -como una persona que hace entrar en el teatro a su séquito, toda una compañía, haciéndola pasar por el control delante de ella-. Ahora mi conocimiento de todo aquello era interno, inmediato, espasmódico, doloroso. El amor es el espacio y el tiempo hechos sensibles al corazón.
Et peut-être, pourtant, entièrement fidèle je n′eusse pas souffert d′infidélités que j′eusse été incapable de concevoir, mais ce qui me torturait à imaginer chez Albertine, c′était mon propre désir perpétuel de plaire à de nouvelles femmes, d′ébaucher de nouveaux romans ; c′était de lui supposer ce regard que je n′avais pu, l′autre jour, même à côté d′elle, m′empêcher de jeter sur les jeunes cyclistes assises aux tables du bois de Boulogne. Comme il n′est de connaissance, on peut presque dire qu′il n′est de jalousie que de soi-même. L′observation compte peu. Ce n′est que du plaisir ressenti par soi-même qu′on peut tirer savoir et douleur. Y, sin embargo, enteramente fiel, quizá no hubiese soportado infidelidades que sería incapaz de concebir. Pero lo que me torturaba imaginar en Albertina era mi propio deseo de gustar a otras mujeres, de iniciar otras aventuras; era suponerle aquella mirada que el otro día no pude menos de dirigir, aunque iba con ella, a unas jóvenes ciclistas sentadas en las mesas del Bois de Boulogne. Como no hay conocimiento, casi se puede decir que no hay celos más que de sí mismo. La observación cuenta poco. Sólo del placer sentido por uno mismo se puede sacar saber y dolor.
Par instants, dans les yeux d′Albertine, dans la brusque inflammation de son teint, je sentais comme un éclair de chaleur passer furtivement dans des régions plus inaccessibles pour moi que le ciel, et où évoluaient les souvenirs, à moi inconnus, d′Albertine. Alors cette beauté qu′en pensant aux années successives où j′avais connu Albertine, soit sur la plage de Balbec, soit à Paris, je lui avais trouvée depuis peu, et qui consistait en ce que mon amie se développait sur tant de plans et contenait tant de jours écoulés, cette beauté prenait pour moi quelque chose de déchirant. Alors sous ce visage rosissant je sentais se creuser, comme un gouffre, l′inexhaustible espace des soirs où je n′avais pas connu Albertine. Je pouvais bien prendre Albertine sur mes genoux, tenir sa tête dans mes mains ; je pouvais la caresser, passer longuement mes mains sur elle, mais, comme si j′eusse manié une pierre qui enferme la salure des océans immémoriaux ou le rayon d′une étoile, je sentais que je touchais seulement l′enveloppe close d′un être qui, par l′intérieur, accédait à l′infini. Combien je souffrais de cette position où nous a réduits l′oubli de la nature qui, en instituant la division des corps, n′a pas songé à rendre possible l′interpénétration des âmes (car si son corps était au pouvoir du mien, sa pensée échappait aux prises de ma pensée). Et je me rendais compte qu′Albertine n′était pas même, pour moi, la merveilleuse captive dont j′avais cru enrichir ma demeure, tout en y cachant aussi parfaitement sa présence, même à ceux qui venaient me voir et qui ne la soupçonnaient pas, au bout du couloir, dans la chambre voisine, que ce personnage dont tout le monde ignorait qu′il tenait enfermée dans une bouteille la Princesse de la Chine ; m′invitant, sous une forme pressante, cruelle et sans issue, à la recherche du passé, elle était plutôt comme une grande déesse du Temps. Et s′il a fallu que je perdisse pour elle des années, ma fortune — et pourvu que je puisse me dire, ce qui n′est pas sûr, hélas, qu′elle n′y a, elle, pas perdu — je n′ai rien à regretter. Sans doute la solitude eût mieux valu, plus féconde, moins douloureuse. Mais si j′avais mené la vie de collectionneur que me conseillait Swann (que me reprochait de ne pas connaître M. de Charlus, quand, avec un mélange d′esprit, d′insolence et de goût, il me disait : « Comme c′est laid chez vous ! »), quelles statues, quels tableaux longuement poursuivis, enfin possédés, ou même, à tout mettre au mieux, contemplés avec désintéressement, m′eussent — comme la petite blessure qui se cicatrisait assez vite, mais que la maladresse inconsciente d′Albertine, des indifférents, ou de mes propres pensées, ne tardait pas à rouvrir — donné accès hors de soi-même, sur ce chemin de communication privé, mais qui donne sur la grande route où passe ce que nous ne connaissons que du jour où nous en avons souffert, la vie des autres ? A veces, en los ojos de Albertina, en el brusco arrebato de su tez, sentía yo como un rayo de calor pasar furtivamente en regiones más inaccesibles para mí que el cielo, y donde evolucionaban los recuerdos de Albertina, desconocidos para mí. Entonces aquella belleza que, pensando en los años sucesivos en que había conocido a Albertina, ya en la playa de Balbec, ya en París, le había encontrado desde hacía poco, y que consistía en que mi amiga se iba desarrollando en tantos planos y contenía tantos días transcurridos, aquella belleza tomaba para mí un algo desgarrador. Entonces, bajo aquel rostro sonrojado, sentía escondido como un abismo el inacabable espacio de las noches en que yo no conocía a Albertina. Ya podía sentarla en mis rodillas, tener su cabeza entre mis manos, ya podía acariciarla, pasar amorosamente mis manos sobre ella: como si manejara una piedra que encierra la salsedumbre de los océanos inmemoriales o la luz de una estrella, sentía que tocaba solamente la envoltura cerrada de un ser que por el interior accedía al infinito. ¡Cuánto sufría por esta posición a que nos ha reducido el olvido de la naturaleza, que al instituir la separación de los cuerpos no pensó en hacer posible la interpenetración de las almas! Y me daba cuenta de que Albertina no era para mí (pues si su cuerpo estaba en poder del mío, su pensamiento escapaba al dominio de mi pensamiento) la maravillosa cautiva con la que había creído enriquecer mi morada, sin dejar de ocultar perfectamente su presencia incluso a los que iban a verme y no la sospechaban al final del pasillo en el cuarto vecino, como aquel personaje que la princesa de China tenía encerrado en una botella sin que nadie lo supiese; invitándome apremiante, cruel e ineludible a la búsqueda del pasado, era más bien como una gran diosa del Tiempo. Y si hube de perder por ella años, mi fortuna -y con tal de poder pensar, lo que, desgraciadamente, no es seguro, que ella no ha perdido-, no tengo nada que lamentar. Seguramente hubiera sido preferible la soledad, más fecunda, menos dolorosa. Pero la vida de coleccionista que me aconsejaba Swann y que monsieur de Charlus me reprochaba no conocer, diciéndome con una mezcla de ingenio, de insolencia y de gusto: «¡Qué feo está eso en usted!», ¿qué esculturas, qué cuadros largamente perseguidos, poseídos al fin, o incluso, en el mejor de los casos, contemplados con desinterés, me hubieran dado acceso -como la pequeña herida que cicatrizaba bastante rápidamente, pero que la torpeza inconsciente de Albertina, de personas indiferentes o de mis propios pensamientos no tardan en abrir de nuevo- a aquel salirse fuera de sí mismo, a aquel camino de comunicación privado, pero que da a la carretera general donde acontece lo que no conocemos hasta el día que lo sufrimos: la vida de los demás?
Quelquefois il faisait un si beau clair de lune, qu′une heure après qu′Albertine était couchée, j′allais jusqu′à son lit pour lui dire de regarder la fenêtre. Je suis sûr que c′est pour cela que j′allais dans sa chambre, et non pour m′assurer qu′elle y était bien. Quelle apparence qu′elle pût et souhaitât s′en échapper ? Il eût fallu une collusion invraisemblable avec Françoise. Dans la chambre sombre, je ne voyais rien que, sur la blancheur de l′oreiller, un mince diadème de cheveux noirs. Mais j′entendais la respiration d′Albertine. Son sommeil était si profond que j′hésitais d′abord à aller jusqu′au lit. Puis, je m′asseyais au bord. Le sommeil continuait de couler avec le même murmure. Ce qui est impossible à dire, c′est à quel point ses réveils étaient gais. Je l′embrassais, je la secouais. Aussitôt elle s′arrêtait de dormir, mais, sans même l′intervalle d′un instant, éclatait de rire, me disant, en nouant ses bras à mon cou : « J′étais justement en train de me demander si tu ne viendrais pas », et elle riait tendrement de plus belle. On aurait dit que sa tête charmante, quand elle dormait, n′était pleine que de gaîté, de tendresse et de rire. Et en l′éveillant j′avais seulement, comme quand on ouvre un fruit, fait fuser le jus jaillissant qui désaltère. A veces hacía una luna tan hermosa, que, llevando ya Albertina una hora en la cama, iba a decirle que se asomara a la ventana. Estoy seguro de que iba a su cuarto por eso y no para cerciorarme de que estaba allí. Nada indicaba que pudiera y deseara escaparse. Hubiera sido necesaria una colusión inverosímil con Francisca. En la oscuridad del cuarto sólo veía una diadema de pelo negro sobre la blanca almohada. Pero oía la respiración de Albertina. Su sueño era tan profundo que yo vacilaba en acercarme a la cama; me sentaba al borde de la misma; el sueño seguía corriendo con el mismo murmullo. Lo que no sé decir es la suprema alegría de su despertar. La besaba, la sacudía. En seguida dejaba de dormir, pero sin mediar siquiera el intervalo de un instante rompía a reír y me decía echándome los brazos al cuello: «Precisamente estaba pensando si no vendrías», y reía tiernamente a todo reír. Dijérase que, cuando dormía, su cabeza estaba llena de alegría, de ternura y de risa, y que yo, al despertarla, había hecho brotar, como cuando se abre una fruta, el jugo rezumante que nos calma la sed.
L′hiver cependant finissait ; la belle saison revint, et souvent, comme Albertine venait seulement de me dire bonsoir, ma chambre, mes rideaux, le mur au-dessus des rideaux étant encore tout noirs, dans le jardin des religieuses voisines j′entendais, riche et précieuse dans le silence comme un harmonium d′église, la modulation d′un oiseau inconnu qui, sur le mode lydien, chantait déjà matines, et au milieu de mes ténèbres mettait la riche note éclatante du soleil qu′il voyait. Pero se acababa el invierno; y llegó la estación bella y muchas veces, cuando Albertina acababa de darme las buenas noches, todavía completamente oscuros mi cuarto, mis cortinas, la pared sobre las cortinas, ya en el jardín de las monjas vecinas oía, rica y preciosa en el silencio como un armonium de iglesia, la modulación de un pájaro desconocido que cantaba ya maitines al modo lidio y ponía en mis tinieblas la rica nota esplendorosa del sol que él veía.
Une fois même, nous entendîmes tout d′un coup la cadence régulière d′un appel plaintif. C′étaient les pigeons qui commençaient à roucouler. « Cela prouve qu′il fait déjà jour », dit Albertine ; et le sourcil presque froncé, comme si elle manquait, en vivant chez moi, les plaisirs de la belle saison : « Le printemps est commencé pour que les pigeons soient revenus. » La ressemblance entre leur roucoulement et le chant du coq était aussi profonde et aussi obscure que, dans le septuor de Vinteuil, la ressemblance entre le thème de l′adagio et celui du dernier morceau, qui est bâti sur le même thème-clef que le premier, mais tellement transformé par les différences de tonalité, de mesure, que le public profane, s′il ouvre un ouvrage sur Vinteuil, est étonné de voir qu′ils sont bâtis tous trois sur les quatre mêmes notes, quatre notes qu′il peut, d′ailleurs, jouer d′un doigt au piano sans retrouver aucun des trois morceaux. Tel ce mélancolique morceau exécuté par les pigeons était une sorte de chant du coq en mineur, qui ne s′élevait pas vers le ciel, ne montait pas verticalement, mais, régulier comme le braiment d′un âne, enveloppé de douceur, allait d′un pigeon à l′autre sur une même ligne horizontale, et jamais ne se redressait, ne changeait sa plainte latérale en ce joyeux appel qu′avaient poussé tant de fois l′allegro de l′introduction et le finale. Â…
Bientôt les nuits raccourcirent davantage, et avant les heures anciennes du matin, je voyais déjà dépasser des rideaux de ma fenêtre la blancheur quotidiennement accrue du jour. Si je me résignais à laisser encore mener à Albertine cette vie, où, malgré ses dénégations, je sentais qu′elle avait l′impression d′être prisonnière, c′était seulement parce que chaque jour j′étais sûr que le lendemain je pourrais me mettre, en même temps qu′à travailler, à me lever, à sortir, à préparer un départ pour quelque propriété que nous achèterions et où Albertine pourrait mener plus librement, et sans inquiétude pour moi, la vie de campagne ou de mer, de navigation ou de chasse, qui lui plairait. Seulement, le lendemain, ce temps passé que j′aimais et détestais tour à tour en Albertine, il arrivait que (comme, quand il est le présent, entre lui et nous, chacun, par intérêt, ou politesse, ou pitié, travaille à tisser un rideau de mensonges que nous prenons pour la réalité), rétrospectivement, une des heures qui le composaient, et même de celles que j′avais cru connaître, me présentait tout d′un coup un aspect qu′on n′essayait plus de me voiler et qui était alors tout différent de celui sous lequel elle m′était apparue. Derrière tel regard, à la place de la bonne pensée que j′avais cru y voir autrefois, c′était un désir insoupçonné jusque-là qui se révélait, m′aliénant une nouvelle partie de ce cœur d′Albertine que j′avais cru assimilé au mien. Par exemple, quand Andrée avait quitté Balbec, au mois de juillet, Albertine ne n′avait jamais dit qu′elle dût bientôt la revoir, et je pensais qu′elle l′avait revue même plus tôt qu′elle n′eût cru, puisque, à cause de la grande tristesse que j′avais eue à Balbec, cette nuit du 14 septembre, elle m′avait fait ce sacrifice de ne pas y rester et de revenir tout de suite à Paris. Quand elle était arrivée, le 15, je lui avais demandé d′aller voir Andrée et lui avais dit : « A-t-elle été contente de vous revoir ? » Or un jour, Mme Bontemps était venue pour apporter quelque chose à Albertine ; je la vis un instant et lui dis qu′Albertine était sortie avec Andrée : « Elles sont allées se promener dans la campagne. — Oui, me répondit Mme Bontemps. Albertine n′est pas difficile en fait de campagne. Ainsi, il y a trois ans, tous les jours il fallait aller aux Buttes-Chaumont. » À ce nom de Buttes-Chaumont, où Albertine m′avait dit n′être jamais allée, ma respiration s′arrêta un instant. La réalité est le plus habile des ennemis. Elle prononce ses attaques sur les points de notre cœur où nous ne les attendions pas, et où nous n′avions pas préparé de défense. Albertine avait-elle menti à sa tante, alors, en lui disant qu′elle allait tous les jours aux Buttes-Chaumont ? à moi, depuis, en me disant qu′elle ne les connaissait pas ? « Heureusement, ajouta Mme Bontemps, que cette pauvre Andrée va bientôt partir pour une campagne plus vivifiante, pour la vraie campagne, elle en a besoin, elle a si mauvaise mine. Il est vrai qu′elle n′a pas eu cet été le temps d′air qui lui est nécessaire. Pensez qu′elle a quitté Balbec à la fin de juillet, croyant revenir en septembre, et, comme son frère s′est démis le genou, elle n′a pas pu revenir. » Alors Albertine l′attendait à Balbec et me l′avait caché. Il est vrai que c′était d′autant plus gentil de m′avoir proposé de revenir. À moins queÂ… « Oui, je me rappelle qu′Albertine m′avait parlé de cela (ce n′était pas vrai). Quand donc a eu lieu cet accident ? Tout cela est un peu brouillé dans ma tête. — Mais, à mon sens, il a eu lieu juste à point, car un jour plus tard, la location de la villa était commencée et la grand′mère d′Andrée aurait été obligée de payer un mois inutile. Il s′est cassé la jambe le 14 septembre, elle a eu le temps de télégraphier à Albertine, le 15 au matin, qu′elle ne viendrait pas, et Albertine de prévenir l′agence. Un jour plus tard, cela courait jusqu′au 15 octobre. » Ainsi sans doute, quand Albertine, changeant d′avis, m′avait dit : « Partons ce soir », ce qu′elle voyait c′était un appartement, celui de la grand′mère d′Andrée, où, dès notre retour, elle allait pouvoir retrouver l′amie que, sans que je m′en doutasse, elle avait cru revoir bientôt à Balbec. Les paroles si gentilles, pour revenir avec moi, qu′elle avait eues, en contraste avec son opiniâtre refus d′un peu avant, j′avais cherché à les attribuer à un revirement de son bon cœur. Elles étaient tout simplement le reflet d′un changement intervenu dans une situation que nous ne connaissons pas, et qui est tout le secret de la variation de la conduite des femmes qui ne nous aiment pas. Elles nous refusent obstinément un rendez-vous pour le lendemain, parce qu′elles sont fatiguées, parce que leur grand-père exige qu′elles dînent chez lui. « Mais venez après », insistons-nous. « Il me retient très tard. Il pourra me raccompagner. » Simplement elles ont un rendez-vous avec quelqu′un qui leur plaît. Soudain celui-ci n′est plus libre. Et elles viennent nous dire leur regret de nous avoir fait de la peine, qu′envoyant promener leur grand-père, elles resteront auprès de nous, ne tenant à rien d′autre. J′aurais dû reconnaître ces phrases dans le langage que m′avait tenu Albertine, le jour de mon départ de Balbec ; mais, pour interpréter ce langage, j′aurais dû me souvenir alors de deux traits particuliers du caractère d′Albertine qui me revenaient maintenant à l′esprit, l′un pour me consoler, l′autre pour me désoler, car nous trouvons de tout dans notre mémoire ; elle est une espèce de pharmacie, de laboratoire de chimie, où on met, au hasard, la main tantôt sur une drogue calmante, tantôt sur un poison dangereux. Le premier trait, le consolant, fut cette habitude de faire servir une même action au plaisir de plusieurs personnes, cette utilisation multiple de ce qu′elle faisait, qui était caractéristique chez Albertine. C′était bien dans son caractère, revenant à Paris (le fait qu′Andrée ne revenait pas pouvait lui rendre incommode de rester à Balbec sans que cela signifiât qu′elle ne pouvait pas se passer d′Andrée), de tirer de ce seul voyage une occasion de toucher deux personnes qu′elle aimait sincèrement : moi, en me faisant croire que c′était pour ne pas me laisser seul, pour que je ne souffrisse pas, par dévouement pour moi ; Andrée, en la persuadant que, du moment qu′elle ne venait pas à Balbec, elle ne voulait pas y rester un instant de plus, qu′elle n′avait prolongé son séjour que pour la voir, et qu′elle accourait dans l′instant vers elle. Or le départ d′Albertine avec moi succédait, en effet, d′une façon si immédiate, d′une part à mon chagrin, à mon désir de revenir à Paris, d′autre part à la dépêche d′Andrée, qu′il était tout naturel qu′Andrée et moi, ignorant respectivement, elle mon chagrin, moi sa dépêche, nous eussions pu croire que le départ d′Albertine était l′effet de la seule cause que chacun de nous connût et qu′il suivait, en effet, à si peu d′heures de distance et si inopinément. Et dans ce cas, je pouvais encore croire que m′accompagner avait été le but réel d′Albertine, qui n′avait pas voulu négliger pourtant une occasion de s′en faire un titre à la gratitude d′Andrée. Mais malheureusement je me rappelai presque aussitôt un autre trait de caractère d′Albertine, et qui était la vivacité avec laquelle la saisissait la tentation irrésistible d′un plaisir. Or je me rappelais, quand elle eut décidé de partir, quelle impatience elle avait d′arriver au train, comme elle avait bousculé le Directeur qui, en cherchant à nous retenir, aurait pu nous faire manquer l′omnibus, les haussements d′épaules de connivence qu′elle me faisait et dont j′avais été si touché, quand, dans le tortillard, M. de Cambremer nous avait demandé si nous ne pouvions pas « remettre à huitaine ». Oui, ce qu′elle voyait devant ses yeux à ce moment-là, ce qui la rendait si fiévreuse de partir, ce qu′elle était impatiente de retrouver, c′était cet appartement inhabité que j′avais vu une fois, appartenant à la grand′mère d′Andrée, laissé à la garde d′un vieux valet de chambre, appartement luxueux, en plein midi, mais si vide, si silencieux que le soleil avait l′air de mettre des housses sur le canapé, sur les fauteuils de la chambre où Albertine et Andrée demanderaient au gardien respectueux, peut-être na peut-être complice, de les laisser se reposer. Je le voyais tout le temps maintenant, vide, avec un lit ou un canapé, cette chambre, où, chaque fois qu′Albertine avait l′air pressé et sérieux, elle partait pour retrouver son amie, sans doute arrivée avant elle parce qu′elle était plus libre. Je n′avais jamais pensé jusque-là à cet appartement qui, maintenant, avait pour moi une horrible beauté. L′inconnu de la vie des êtres est comme celui de la nature, que chaque découverte scientifique ne fait que reculer mais n′annule pas. Un jaloux exaspère celle qu′il aime en la privant de mille plaisirs sans importance, mais ceux qui sont le fond de la vie de celle-ci, elle les abrite là où, dans les moments où son intelligence croit montrer le plus de perspicacité et où les tiers le renseignent le mieux, il n′a pas idée de chercher. Enfin, du moins, Andrée allait partir. Mais je ne voulais pas qu′Albertine pût me mépriser comme ayant été dupe d′elle et d′Andrée. Un jour ou l′autre, je le lui dirais. Et ainsi je la forcerais peut-être à me parler plus franchement, en lui montrant que j′étais informé tout de même des choses qu′elle me cachait. Mais je ne voulais pas lui parler de cela encore, d′abord parce que, si près de la visite de sa tante, elle eût compris d′où me venait mon information, eût tari cette source et n′en eût pas redouté d′inconnues. Ensuite parce que je ne voulais pas risquer, tant que je ne serais pas absolument certain de garder Albertine aussi longtemps que je voudrais, de causer en elle trop de colères qui auraient pu avoir pour effet de lui faire désirer me quitter. Il est vrai que, si je raisonnais, cherchais la vérité, pronostiquais l′avenir d′après ses paroles, lesquelles approuvaient toujours tous mes projets, exprimaient combien elle aimait cette vie, combien sa claustration la privait peu, je ne doutais pas qu′elle restât toujours auprès de moi. J′en étais même fort ennuyé, je sentais m′échapper la vie, l′univers, auxquels je n′avais jamais goûté, échangés contre une femme dans laquelle je ne pouvais plus rien trouver de nouveau. Je ne pouvais même pas aller à Venise, où, pendant que je serais couché, je serais trop torturé par la crainte des avances que pourraient lui faire le gondolier, les gens de l′hôtel, les Vénitiennes. Mais si je raisonnais, au contraire, d′après l′autre hypothèse, celle qui s′appuyait non sur les paroles d′Albertine, mais sur des silences, des regards, des rougeurs, des bouderies, et même des colères, dont il m′eût été bien facile de lui montrer qu′elles étaient sans cause et dont j′aimais mieux avoir l′air de ne pas m′apercevoir, alors je me disais que cette vie lui était insupportable, que tout le temps elle se trouvait privée de ce qu′elle aimait, et que fatalement elle me quitterait un jour. Tout ce que je voulais, si elle le faisait, c′est que je pusse choisir le moment où cela ne me serait pas trop pénible, et puis dans une saison où elle ne pourrait aller dans aucun des endroits où je me représentais ses débauches, ni à Amsterdam, ni chez Andrée, qu′elle retrouverait, il est vrai, quelques mois plus tard. Mais d′ici là je me serais calmé et cela me serait devenu indifférent. En tous cas, il fallait attendre, pour y songer, que fût guérie la petite rechute qu′avait causée la découverte des raisons pour lesquelles Albertine, à quelques heures de distance, avait voulu ne pas quitter, puis quitter immédiatement Balbec. Il fallait laisser le temps de disparaître aux symptômes qui ne pouvaient aller qu′en s′atténuant si je n′apprenais rien de nouveau, mais qui étaient encore trop aigus pour ne pas rendre plus douloureuse, plus difficile, une opération de rupture, reconnue maintenant inévitable, mais nullement urgente, et qu′il valait mieux pratiquer « à froid ». Ce choix du moment, j′en étais le maître, car si elle voulait partir avant que je l′eusse décidé, au moment où elle m′annoncerait qu′elle avait assez de cette vie, il serait toujours temps d′aviser à combattre ses raisons, de lui laisser plus de liberté, de lui promettre quelque grand plaisir prochain qu′elle souhaiterait elle-même d′attendre, voire, si je ne trouvais de recours qu′en son cœur, de lui assurer mon chagrin. J′étais donc bien tranquille à ce point de vue, n′étant pas, d′ailleurs, en cela très logique avec moi-même. Car, dans les hypothèses où je ne tenais précisément pas compte des choses qu′elle disait et qu′elle annonçait, je supposais que, quand il s′agirait de son départ, elle me donnerait d′avance ses raisons, me laisserait les combattre et les vaincre. Je sentais que ma vie avec Albertine n′était, pour une part, quand je n′étais pas jaloux, qu′ennui, pour l′autre part, quand j′étais jaloux, que souffrance. À supposer qu′il y eût du bonheur, il ne pouvait durer. J′étais dans le même esprit de sagesse qui m′inspirait à Balbec, quand, le soir où nous avions été heureux, après la visite de Mme de Cambremer, je voulais la quitter, parce que je savais qu′à prolonger je ne gagnerais rien. Seulement, maintenant encore, je m′imaginais que le souvenir que je garderais d′elle serait comme une sorte de vibration, prolongée par une pédale, de la dernière minute de notre séparation. Aussi je tenais à choisir une minute douce, afin que ce fût elle qui continuât à vibrer en moi. Il ne fallait pas être trop difficile, attendre trop, il fallait être sage. Et pourtant, ayant tant attendu, ce serait folie de ne pas attendre quelques jours de plus, jusqu′à ce qu′une minute acceptable se présentât, plutôt que de risquer de la voir partir avec cette même révolte que j′avais autrefois quand maman s′éloignait de mon lit sans me redire bonsoir, ou quand elle me disait adieu à la gare. À tout hasard, je multipliais les gentillesses que je pouvais lui faire. Pour les robes de Fortuny, nous nous étions enfin décidés pour une bleu et or doublée de rose, qui venait d′être terminée. Et j′avais commandé tout de même les cinq auxquelles elle avait renoncé avec regret, par préférence pour celle-là. Pourtant, à la venue du printemps, deux mois ayant passé depuis ce que m′avait dit sa tante, je me laissai emporter par la colère, un soir. C′était justement celui où Albertine avait revêtu pour la première fois la robe de chambre bleu et or de Fortuny qui, en m′évoquant Venise, me faisait plus sentir encore ce que je sacrifiais pour elle, qui ne m′en savait aucun gré. Si je n′avais jamais vu Venise, j′en rêvais sans cesse, depuis ces vacances de Pâques qu′encore enfant j′avais dû y passer, et plus anciennement encore, par les gravures de Titien et les photographies de Giotto que Swann m′avait jadis données à Combray. La robe de Fortuny que portait ce soir-là Albertine me semblait comme l′ombre tentatrice de cette invisible Venise. Elle était envahie d′ornementation arabe, comme les palais de Venise dissimulés à la façon des sultanes derrière un voile ajouré de pierres, comme les reliures de la Bibliothèque Ambrosienne, comme les colonnes desquelles les oiseaux orientaux qui signifient alternativement la mort et la vie, se répétaient dans le miroitement de l′étoffe, d′un bleu profond qui, au fur et à mesure que mon regard s′y avançait, se changeait en or malléable par ces mêmes transmutations qui, devant la gondole qui s′avance, changent en métal flamboyant l′azur du grand canal. Et les manches étaient doublées d′un rose cerise, qui est si particulièrement vénitien qu′on l′appelle rose Tiepolo. Empezaron a menguar las noches, y antes de las horas antiguas de la madrugada veía ya atravesar las cortinas de mi ventana la claridad cotidianamente acrecida del día. Si me resignaba a que Albertina siguiera llevando aquella vida en la que, a pesar de sus denegaciones, le notaba que se sentía prisionera, era sólo porque cada día estaba seguro de que al día siguiente podría empezar, al mismo tiempo que a trabajar, a levantarme, a salir, a preparar la marcha a una finca que compraríamos y en la que Albertina podría hacer más libremente, y sin preocupación para mí, la vida de campo o de mar, de navegación o de caza, que le gustara. Sólo que al otro día acontecía que aquel tiempo pasado que yo amaba y detestaba alternativamente en Albertina (como, cuando se trata del presente, cada cual, por interés, o por finura, o por piedad, trabaja en tejer una cortina de mentiras que tomamos por realidad), una de las horas que lo constituían, y aun una de las horas que yo había creído conocer, me presentaba de pronto, retrospectivamente, un aspecto que no se intentaba ocultar y que era muy diferente de aquel con que la había visto. Detrás de una mirada, en lugar del buen pensamiento que creí ver en otro tiempo, aparecía un deseo insospechado hasta entonces, alienándome una parte más de aquel corazón de Albertina que yo creyera asimilado al mío. Por ejemplo, cuando Andrea se marchó de Balbec en el mes de julio, Albertina no me dijo nunca que iba a volver a verla pronto; y yo pensaba que había vuelto a verla incluso antes de lo que ella creía, pues, por la gran tristeza que tuve en Balbec aquella noche del 14 de septiembre, me hizo el sacrificio de no quedarse allí y volver en seguida a París. Cuando llegó, el 15, le pedí que fuera a ver a Andrea y le pregunté: «¿Se alegró de verte?» Ahora vino madame Bontemps a casa a traer una cosa a Albertina; la vi un momento y le dije que Albertina había salido con Andrea: -Han ido al campo. -Sí -me contestó madame Bontemps-, Albertina no es difícil en eso del campo. Hace tres años tenía que ir todos los días a las Buttes-Chaumont -este nombre de Buttes-Chaumont, a donde Albertina no me había dicho nunca que había ido, me cortó la respiración. No hay enemigo más diestro que la realidad. Dirige sus ataques al punto de nuestro corazón donde no los esperábamos y donde no habíamos preparado la defensa. ¿Mintió Albertina entonces a su tía diciéndole que iba todos los días alas Buttes-Chaumont, o me mintió a mí después diciéndome que no las conocía?-. Afortunadamente -añadió madame Bontemps-, esa pobre Andrea se va a marchar pronto a un campo más sano, al verdadero campo, que buena falta le hace, porque tiene muy mala pinta. Verdad es que este verano no tuvo el tiempo de aire sano que se necesita. Piense que se marchó de Balbec a finales de julio pensando volver en septiembre, pero como su hermano se dislocó la rodilla, no pudo volver. ¡Entonces, Albertina la esperaba en Balbec y me lo ocultó! Verdad es que, siendo así, mayor fue su bondad al proponerme volverse conmigo. A menos que... -Sí, recuerdo que Albertina me habló de eso... -no era verdad-. ¿Y cuándo ocurrió ese accidente? Todo eso está un poco enredado en mi cabeza. -Por un lado, vino justamente a punto, porque un día después empezaba el alquiler de la casa, y la abuela de Andrea habría tenido que pagar un mes para nada. El muchacho se rompió la pierna el catorce de septiembre, así que Andrea tuvo tiempo de telegrafiar a Albertina, el quince por la mañana, que no iría a Balbec, y Albertina de avisar a la agencia. Un día más y corría el alquiler hasta el quince de octubre. De modo que cuando Albertina, cambiando de parecer, me dijo: «Vámonos esta noche », seguramente lo que veía era un piso que yo no conocía, el de la abuela de Andrea, en el que podría encontrar, cuando volviéramos, a la amiga que, sin que yo lo sospechara, había pensado ella volver a ver pronto en Balbec. Y yo había atribuido a un arranque de su buen corazón aquellas palabras, tan amables, de volver conmigo, cuando eran simplemente el reflejo de un cambio acaecido en una situación que no conocemos, y que es todo el secreto de la variación de conducta de las mujeres que no nos aman. Nos niegan obstinadamente una cita para el día siguiente porque están cansadas, porque su abuelo les exige que coman con él. «Pues ven después», insistimos. «Me tiene hasta muy tarde. A lo mejor me acompaña a la vuelta.» Es simplemente que tienen una cita con alguien que les gusta. De pronto, este alguien ya no está libre, y vienen a decirnos que sienten mucho habernos causado pena, que mandarán a paseo al abuelo y vendrán con nosotros, porque es lo único que les interesa. Yo hubiera debido reconocer estas frases en lo que me dijo Albertina el día que salí de Balbec. Pero quizá no debía limitarme a reconocer sólo estas frases: para interpretar este lenguaje, convenía recordar dos rasgos particulares del carácter de Albertina. Dos rasgos del carácter de Albertina me vinieron en aquel momento a la mente, uno para consolarme, otro para desolarme, pues en nuestra memoria encontramos de todo; es una especie de farmacia, de laboratorio químico, donde tan pronto ponemos la mano en una droga calmante como en un veneno peligroso. El primer rasgo, el consolador, fue esa costumbre de complacer con una misma acción a dos personas, esa utilización múltiple de lo que hacía, característica en Albertina. Era, en efecto, muy propio de su carácter sacar de un solo viaje, al volver a París (el hecho de que Andrea no volviera podía hacerle incómoda la permanencia en Balbec, sin que esto significara que no podía prescindir de ella), una ocasión de conmover a dos personas a las que quería sinceramente: a mí, haciéndome creer que era por no dejarme solo, por que no sufriese, por fidelidad a mí; a Andrea, convenciéndola de que, al no volver ella a Balbec, no quería quedarse allí ni un momento más, de que sólo por ella había prolongado la estancia y de que corría inmediatamente a su lado. Y la partida de Albertina conmigo sucedió de una manera tan inmediata, por una parte a mi pena, a mi deseo de volver a París, por otra al telegrama de Andrea, que era muy natural que Andrea y yo, ignorando respectivamente, ella mi pena, yo su telegrama, pudiéramos creer que la partida de Albertina se debía únicamente a la causa que cada uno de nosotros conocía, a las que siguió, en efecto, a tan pocas horas de distancia y tan inopinadamente. Y en este caso, yo podía creer aún que el verdadero propósito de Albertina fue acompañarme, sin desdeñar por eso la ocasión de ofrecer un motivo a la gratitud de Andrea. Mas, desgraciadamente, casi inmediatamente recordé otro rasgo del carácter de Albertina: la vivacidad con que se apoderaba de ella la tentación irresistible de un placer. Y recordé su impaciencia de llegar al tren una vez que decidió partir, lo bruscamente que trató al director del hotel, que, tratando de retenernos, podía hacernos perder el ómnibus, su gesto de connivencia, que tanto me conmovió cuando, ya en el trenecillo, monsieur de Cambremer nos preguntó si no podíamos aplazar el regreso una semana. Sí, lo que Albertina veía ante sus ojos en aquel momento, lo que la ponía tan impaciente por marchar, lo que la reclamaba con tanta prisa, era un piso inhabitado que yo había visto una vez, perteneciente a la abuela de Andrea, un piso lujoso al cuidado de un viejo servidor, un piso que daba de lleno al mediodía, pero tan vacío, tan silencioso, que el sol parecía poner fundas en el canapé, en las butacas de las habitaciones donde Albertina y Andrea pedían al criado respetuoso, inocente quizá, acaso cómplice, que las dejara descansar. Yo lo veía ahora todo el tiempo vacío, con una cama o un canapé, una doncella engañada o cómplice, y al que cada vez que Albertina se mostraba apresurada y seria iba a reunirse con su amiga, que seguramente llegaba antes que ella porque estaba más libre. Nunca había pensado en aquel piso que ahora tenía para mí una horrible belleza. Lo desconocido de la vida de los seres es como lo desconocido de la naturaleza; que cada descubrimiento científico no hace más que retrasar, pero sin anularlo. Un celoso exaspera a la mujer amada privándola de mil placeres sin importancia. Pero los que están en el fondo de su vida los guarda allí donde al celoso no se le ocurre buscarlos cuando su inteligencia se cree más perspicaz y cuando otros le dan los mejores informes. Pero, en fin, Andrea, al menos, se iba a marchar, mas yo no quería que Albertina pudiera despreciarme por haberme engañado ella y Andrea. Un día u otro se lo diría. Y así, demostrándole que me enteraba de todo lo que ella me ocultaba, la obligaría quizá a hablarme más francamente. Pero no quería hablarle aún de esto, en primer lugar porque, tan cerca de la visita de su tía, habría comprendido de dónde me venía la información, habría cegado esta fuente y no habría temido otras desconocidas. Además, porque no quería arriesgarme, mientras no estuviera seguro de conservar a Albertina todo el tiempo que quisiera, a acosarla demasiado, porque esto podría despertarle el deseo de dejarme. Verdad es que si yo razonaba, si buscaba la verdad, si pronosticaba el porvenir por sus palabras, que aprobaban siempre todos mis proyectos, que expresaban lo mucho que le gustaba aquella vida, lo poco que le importaba su encierro, yo no podía dudar que se quedaría siempre conmigo. Y esto no dejaba de fastidiarme mucho, pues sentía que perdía la vida, el mundo, de los que nunca había disfrutado, a cambio de una mujer en la que ya no podía encontrar nada nuevo. Ni siquiera podía ir a Venecia, porque allí, cuando me quedara en la cama, me torturaría el temor de las insinuaciones que pudieran hacerle el gondolero, la gente del hotel, los venecianos. Mas si, por el contrario, razonaba sobre la otra hipótesis, la que se fundaba, no en las palabras de Albertina, sino en silencios, en miradas, en sonrojos, en enfurruñamientos, y hasta en accesos de rabia, que me hubiera sido muy fácil demostrarle que eran infundados, pero que prefería hacer como que no los notaba, entonces pensaba que aquella vida le resultaba insoportable, que estaba siempre privada de lo que le gustaba y que, fatalmente, me dejaría algún día. Si había de hacerlo, lo único que yo deseaba era poder elegir el momento, un momento en que no me fuera demasiado penoso, y además una estación en la que ella no pudiera ir a ninguno de los lugares donde yo imaginaba sus extravíos: ni a Amsterdam, ni a casa de Andrea, ni de mademoiselle Vinteuil. Verdad es que las encontraría más tarde, pero de aquí a entonces me habría calmado y aquello me sería ya indiferente. En todo caso, para pensar esto había que esperar a que curara la pequeña recaída causada por el descubrimiento de las razones que, con unas horas de distancia, movieron a Albertina a marcharse y a no marcharse inmediatamente; había que dar tiempo a que desaparecieran los síntomas que no podían menos de atenuarse si no me enteraba de nada nuevo, pero que eran todavía demasiado agudos para no hacer más dolorosa, más difícil, una operación de ruptura, ahora considerada inevitable, pero nada urgente, y que era preferible practicar «en frío». La elección del momento era cosa mía; pues si ella quería marcharse antes de que yo lo decidiera, siempre estaría yo a tiempo, cuando me comunicara que estaba harta de aquella vida, de rebatir sus razones, de darle más libertad, de prometerle algún gran placer próximo que ella deseara, incluso, si no me quedaba más recurso que su corazón, de confesarle mi pena. Estaba, pues, bien tranquilo a este respecto, pero no era muy lógico conmigo mismo. Pues en una hipótesis en la que yo no tenía precisamente en cuenta cosas que ella decía y que anunciaba, suponía que, cuando se tratara de su marcha, me daría con anticipación sus razones, me permitiría rebatirlas y vencerlas. Me daba cuenta de que mi vida con Albertina no era más que, por una parte, cuando no tenía celos, aburrimiento; por otra parte, cuando los tenía, sufrimiento. Suponiendo que en esto hubiera felicidad, no podía dudar. En el mismo estado de sensatez que me inspiraba en Balbec, la noche en que fuimos felices, después de la visita de madame de Cambremer, quería dejarla, porque sabía que prolongando la cosa no ganaría nada. Pero ahora todavía me imaginaba que el recuerdo que conservara de ella sería como una especie de vibración, prolongada por un pedal, del minuto de nuestra separación. Por eso quería elegir un minuto dulce para que fuera este minuto el que siguiera vibrando en mí. No debía pedir demasiado, no debía esperar demasiado, tenía que ser oportuno. Pero después de esperar tanto sería locura no saber esperar unos días más, hasta que se presentara un minuto aceptable, en vez de arriesgarme a verla marcharse con aquella misma desesperación que yo sentía de pequeño cuando mamá se alejaba de mi cama sin darme las buenas noches, o cuando, después, me decía adiós en la estación. A todo evento, multiplicaba mis atenciones a Albertina. En cuanto a los vestidos de Fortuny, nos decidimos por fin por uno azul y oro forrado de rosa recién terminado. Y yo encargué, además, los otros cinco a los que ella había renunciado con pesar al preferir aquél. Sin embargo, al llegar la primavera, dos meses después de que su tía me dijera aquello, una noche me dejé llevar por la ira. Y fue precisamente la noche en que Albertina se puso por primera vez el vestido azul y oro de Fortuny que, evocando Venecia, me hacía sentir más aún lo que sacrificaba por Albertina sin que ésta me lo agradeciera en absoluto. No había visto nunca Venecia, pero soñaba continuamente con Venecia, desde aquellas vacaciones de Pascua que, niño aún, debía haber pasado allí, y, más atrás aún, por los grabados de Tiziano y las fotografías de Giotto que Swann me dio en Combray. El vestido de Fortuny que Albertina llevaba aquella noche me parecía como la sombra tentadora de aquella invisible Venecia. Estaba invadido de ornamentación árabe como Venecia, como los palacios de Venecia tapados, a la manera de las sultanas, por un velo de piedra calada, como las encuadernaciones de la Biblioteca Ambrosiana, como las columnas cuyos pájaros orientales, que significan alternativamente la muerte y la vida, se repetían en el tornasolado de la estofa, de un azul profundo que, a medida que mis ojos se fijaban en él, se transformaba en oro maleable por esas mismas transmutaciones que ante la góndola que avanza transforman en metal llameante el azul del Gran Canal. Y las mangas estaban forradas de un rosa cereza, tan particularmente veneciano que se llama rosa Tiepolo.
Dans la journée, Françoise avait laissé échapper devant moi qu′Albertine n′était contente de rien ; que, quand je lui faisais dire que je sortirais avec elle, ou que je ne sortirais pas, que l′automobile viendrait la prendre, ou ne viendrait pas, elle haussait presque les épaules et répondait à peine poliment. Ce soir, où je la sentais de mauvaise humeur et où la première grande chaleur m′avait énervé, je ne pus retenir ma colère et lui reprochai son ingratitude : « Oui, vous pouvez demander à tout le monde, criai-je de toutes mes forces, hors de moi, vous pouvez demander à Françoise, ce n′est qu′un cri. » Mais aussitôt je me rappelai qu′Albertine m′avait dit une fois combien elle me trouvait l′air terrible quand j′étais en colère, et m′avait appliqué les vers d′Esther : Aquel día Francisca dejó escapar delante de mí que Albertina no estaba contenta de nada; que cuando yo le mandaba a decir que iba a salir con ella, o que no iba a salir, que vendría a buscarla el automóvil, o que no vendría, casi se encogía de hombros y apenas contestaba por educación; un día en que la noté de mal humor y yo estaba nervioso por el calor que hacía, no pude contenerme y le reproché su ingratitud: -Sí, puedes preguntárselo a todo el mundo -le dije a voz en grito, fuera de mí-, puedes preguntárselo a Francisca, todo el mundo lo dice. Pero en seguida recordé que Albertina me había dicho una vez el miedo que le daba cuando me enfurecía, y me aplicó los versos de Esther:
Jugez combien ce front irrité contre moi
Dans mon âme troublée a dû jeter d′émoi
Hélas ! sans frissonner quel cœur audacieux
Soutiendrait les éclairs qui partent de ses yeux.
Jugez combien ce front irrité contre moi
Dans mon âme troublée a dû jeter d′émoi
Hélas ! sans frissonner quel cœur audacieux
Soutiendrait les éclairs qui partent de ses yeux.
J′eus honte de ma violence. Et pour revenir sur ce que j′avais fait, sans cependant que ce fût une défaite, de manière que ma paix fût une paix armée et redoutable, en même temps qu′il me semblait utile de montrer à nouveau que je ne craignais pas une rupture pour qu′elle n′en eût pas l′idée : « Pardonnez-moi, ma petite Albertine, j′ai honte de ma violence, j′en suis désespéré. Si nous ne pouvons plus nous entendre, si nous devons nous quitter, il ne faut pas que ce soit ainsi, ce ne serait pas digne de nous. Nous nous quitterons, s′il le faut, mais avant tout je tiens à vous demander pardon bien humblement de tout mon cœur. » Je pensai que, pour réparer cela et m′assurer de ses projets de rester pour le temps qui allait suivre, au moins jusqu′à ce qu′Andrée fût partie, ce qui était dans trois semaines, il serait bon, dès le lendemain, de chercher quelque plaisir plus grand que ceux qu′elle avait encore eus, et à assez longue échéance ; aussi, puisque j′allais effacer l′ennui que je lui avais causé, peut-être ferais-je bien de profiter de ce moment pour lui montrer que je connaissais mieux sa vie qu′elle ne croyait. La mauvaise humeur qu′elle ressentirait serait effacée demain par mes gentillesses, mais l′avertissement resterait dans son esprit. « Oui, ma petite Albertine, pardonnez-moi si j′ai été violent. Je ne suis pas tout à fait aussi coupable que vous croyez. Il y a des gens méchants qui cherchent à nous brouiller, je n′avais jamais voulu vous en parler pour ne pas vous tourmenter. Mais je finis par être affolé quelquefois de certaines dénonciations. Me avergoncé de mi violencia, y para deshacer lo hecho, pero sin que fuera una derrota, sino una paz armada y temible, al mismo tiempo que me parecía útil demostrar que no temía una ruptura para que a ella no se le ocurriera la idea: -Perdóname, mi pequeña Albertina, estoy avergonzado de mi violencia, desesperado. Si ya no podemos entendernos, si hemos de separarnos, no debe ser así, no sería digno de nosotros. Nos separaremos si es necesario, pero ante todo quiero pedirte perdón muy humildemente y de todo corazón. Pensé que para reparar esto y cerciorarme de sus proyectos de quedarse, al menos hasta que Andrea se marchara, que iba a ser a las tres semanas, convendría buscar desde el día siguiente algún placer más grande que los que le había ofrecido, y para un tiempo bastante lejano; y ya que iba a borrar el disgusto que le había causado, quizá debiera aprovechar aquel momento para demostrarle que conocía su vida mejor de lo que ella creía. El mal humor que le causara lo borrarían después mis atenciones, pero la advertencia quedaría en su ánimo. -Sí, Albertina mía, perdóname si he estado violento. No soy tan culpable como tú crees. Hay gente mala que procura indisponernos, no quería hablarte de esto para no atormentarte, pero a veces me han vuelto loco ciertas denuncias
Â… -y queriendo aprovechar que iba a demostrarle que estaba enterado de lo de la marcha de Balbec-: Por ejemplo, tú sabías que mademoiselle Vinteuil iba a ir a casa de madame Verdurin la tarde que fuiste al Trocadero. Enrojeció. -Sí, lo sabía. -¿Me puedes jurar que no era para reanudar relaciones con ella? -Claro que te lo puedo jurar. ¿Por qué «reanudar»? Nunca las tuve, te lo juro. Estaba desolado de oír a Albertina mentirme así, negarme la evidencia que su sonrojo me había confesado muy bien. Su falsedad me desesperaba. Y, sin embargo, como esta falsedad contenía una protesta de inocencia que, sin darme cuenta, estaba dispuesto a admitir, me hizo menos daño que su sinceridad cuando le pregunté si podía jurarme que en su deseo de ir a aquella fiesta de los Verdurin no entraba para nada el deseo de volver a ver a mademoiselle Vinteuil, y me contestó: -No, eso no te lo puedo jurar. Me gustaba mucho volver a ver a mademoiselle Vinteuil. Un segundo antes me daba rabia que disimulara sus relaciones con mademoiselle Vinteuil y ahora me mataba la confesión de la alegría que le hubiera dado verla. Desde luego, cuando Albertina me dijo, al volver yo de casa de los Verdurin: «¿No esperaban a mademoiselle Vinteuil?», me reanimó todo el sufrimiento demostrándome que estaba enterada de su venida. Pero después me hice este razonamiento: «Sabía que iba allegar, pero como debió de comprender, a posteriori, que la revelación de que conocía a una persona de tan mala fama como mademoiselle Vinteuil fue lo que me desesperó en Balbec hasta darme la idea del suicidio, no quiso hablarme de esa persona.» Y ahora se veía obligada a confesarme que la venida de mademoiselle Vinteuil le daba alegría. Por lo demás, aquel misterioso deseo suyo de ir a casa de los Verdurin debía haber sido para mí una prueba suficiente. Pero no pensé bastante en ello. Y aunque ahora me decía: «¿Por qué no confiesa más que a medias? Es peor que malo y que triste, es estúpido», estaba tan abrumado que no tuve valor para insistir en un asunto en el que no pisaba terreno firme, pues no podía presentar ningún documento revelador, y para recuperar el dominio me apresuré a pasar al tema de Andrea, en el que podía derrotar a Albertina con la aplastante revelación del telegrama de Andrea.
« Au fond, nous n′avons faim ni l′un ni l′autre, on aurait pu passer chez les Verdurin, me dit Albertine, c′est leur heure et leur jour. — Mais si vous êtes fâchée contre eux ? — Oh ! il y a beaucoup de cancans contre eux, mais dans le fond ils ne sont pas si mauvais que ça. Mme Verdurin a toujours été très gentille pour moi. Et puis, on ne peut pas être toujours brouillé avec tout le monde. Ils ont des défauts, mais qu′est-ce qui n′en a pas ? — Vous n′êtes pas habillée, il faudrait rentrer vous habiller, il serait bien tard. » J′ajoutai que j′avais envie de goûter. « Oui, vous avez raison, goûtons tout simplement », répondit Albertine, avec cette admirable docilité qui me stupéfiait toujours. Nous nous arrêtâmes dans une grande pâtisserie située presque en dehors de la ville, et qui jouissait à ce moment-là d′une certaine vogue. Une dame allait sortir, qui demanda ses affaires à la pâtissière. Et une fois que cette dame fut partie, Albertine regarda à plusieurs reprises la pâtissière comme si elle voulait attirer son attention, pendant que celle-ci rangeait des tasses, des assiettes des petits fours, car il était déjà tard. Elle s′approchait de moi seulement si je demandais quelque chose. Et il arrivait alors que, comme la pâtissière, d′ailleurs extrêmement grande, était debout pour nous servir et Albertine assise à côté de moi, chaque fois, Albertine, pour tâcher d′attirer son attention, levait verticalement vers elle un regard blond qui était obligé de faire monter d′autant plus haut la prunelle que, la pâtissière étant juste contre nous, Albertine n′avait pas la ressource d′adoucir la pente par l′obliquité du regard. Elle était obligée, sans trop lever la tête, de faire monter ses regards jusqu′à cette hauteur démesurée où étaient les yeux de la pâtissière. Par gentillesse pour moi, Albertine rabaissait vivement ses regards et, la pâtissière n′ayant fait aucune attention à elle, recommençait. Cela faisait une série de vaines élévations implorantes vers une inaccessible divinité. Puis la pâtissières n′eut plus qu′à ranger à une grande table voisine. Là le regard d′Albertine n′avait qu′à être latéral. Mais pas une fois celui de la pâtissière ne se posa sur mon amie. Cela ne m′étonnait pas, car je savais que cette femme, que je connaissais un petit peu, avait des amants, quoique mariée, mais cachait parfaitement ses intrigues, ce qui m′étonnait énormément à cause de sa prodigieuse stupidité. Je regardai cette femme pendant que nous finissions de goûter. Plongée dans ses rangements, elle était presque impolie pour Albertine à force de n′avoir pas un regard pour elle, dont l′attitude n′avait d′ailleurs rien d′inconvenant. L′autre rangeait, rangeait sans fin, sans une distraction. La remise en place des petites cuillers, des couteaux à fruits, eût été confiée, non à cette grande belle femme, mais, par économie de travail humain, à une simple machine, qu′on n′eût pas pu voir isolément aussi complet de l′attention d′Albertine, et pourtant elle ne baissait pas les yeux, ne s′absorbait pas, laissait briller ses yeux, ses charmes, en une attention à son seul travail. Il est vrai que, si cette pâtissière n′eût pas été une femme particulièrement sotte (non seulement c′était sa réputation, mais je le savais par expérience), ce détachement eût pu être un comble d′habileté. Et je sais bien que l′être le plus sot, si son désir ou son intérêt est en jeu, peut, dans ce cas unique, au milieu de la nullité de sa vie stupide, s′adapter immédiatement aux rouages de l′engrenage le plus compliqué ; malgré tout c′eût été une supposition trop subtile pour une femme aussi niaise que la pâtissière. Cette niaiserie prenait même un tour invraisemblable d′impolitesse ! Pas une seule fois elle ne regarda Albertine que, pourtant, elle ne pouvait pas ne pas voir. C′était peu aimable pour mon amie, mais, dans le fond, je fus enchanté qu′Albertine reçût cette petite leçon et vît que souvent les femmes ne faisaient pas attention à elle. Nous quittâmes la pâtisserie, nous remontâmes en voiture, et nous avions déjà repris le chemin de la maison quand j′eus tout à coup regret d′avoir oublié de prendre à part cette pâtissière et de la prier, à tout hasard, de ne pas dire à la dame qui était partie quand nous étions arrivés mon nom et mon adresse, que la pâtissière, à cause de commandes que j′avais souvent faites, devait savoir parfaitement. Il était, en effet, inutile que la dame pût par là apprendre indirectement l′adresse d′Albertine. Mais je trouvai trop long de revenir sur nos pas pour si peu de chose, et que cela aurait l′air d′y donner trop d′importance aux yeux de l′imbécile et menteuse pâtissière. Je songeais seulement qu′il faudrait revenir goûter là, d′ici une huitaine, pour faire cette recommandation et que c′est bien ennuyeux, comme on oublie toujours la moitié de ce qu′on a à dire, de faire les choses les plus simples en plusieurs fois. -La verdad es que ni tú ni yo tenemos hambre; hubiéramos podido pasar por casa de los Verdurin -dijo-, es su hora y su día. -Pero ¿no estás enfadada con ellos? -Bueno, se dicen muchas cosas de ellos, pero en el fondo no son tan malos. Madame Verdurin ha sido siempre muy amable conmigo. Y, además, no se puede estar siempre enfadado con todo el mundo. Tienen defectos, pero ¿quién no los tiene? -No estás bastante vestida, tendríamos que volver a que te vistieras, y se haría muy tarde. -Sí, tienes razón, vámonos a casa -contestó Albertina con aquella admirable docilidad que siempre me impresionaba. Paramos en una gran pastelería situada fuera de la ciudad y que estaba muy de moda en aquel momento. Se disponía a salir una señora que pidió su abrigo a la dueña. Cuando se marchó, Albertina miró varias veces a la pastelera como queriendo llamar la atención de ésta que estaba ordenando tazas, platos, pastas, pues ya era tarde. Sólo se acercaba a mí cuando le pedía algo. Y cuando se acercaba para servirnos, Albertina, sentada junto a mí, alzaba verticalmente hacia ella una mirada rubia que la obligaba a levantar mucho los ojos, pues como la pastelera, que era altísima, estaba muy junto a nosotros, a Albertina no le quedaba el recurso de suavizar la pendiente con la oblicuidad de la mirada. Se veía obligada a hacer llegar sus miradas, sin levantar demasiado la cabeza, hasta aquella desmesurada altura en que estaban los ojos de la pastelera. Albertina, por atención a mí, bajaba rápidamente aquellas miradas, y como la pastelera no le había prestado ninguna atención volvía a empezar. Era como una serie de vanas elevaciones implorantes hacia una divinidad inaccesible. Después, la pastelera no tuvo más que hacer que colocar las cosas en una gran mesa vecina. Allí, la mirada de Albertina podía ser ya natural. Pero la pastelera no fijó ni una vez la suya en mi amiga. A mí no me extrañó, pues sabía que aquella mujer, a la que conocía un poco, tenía amantes, aunque estaba casada, pero ocultaba perfectamente sus intrigas, lo que sí me extrañaba mucho, porque era prodigiosamente tonta. Miré a aquella mujer mientras acabábamos de merendar. Absorbida por sus arreglos, su actitud era casi de mala educación con Albertina a fuerza de no corresponder ni con una sola mirada a las de mi amiga, que, por lo demás, no tenían nada de inconvenientes. La mujer, venga arreglar, venga arreglar las cosas, sin la menor distracción. Hubiérase encomendado la colocación de las cucharillas, de los cuchillos para fruta, no a una mujer alta y bella, sino, por economía de trabajo humano, a una simple máquina, y no habríamos visto un aislamiento tan completo de la atención de Albertina, y, sin embargo, la mujer no bajaba la vista, no se absorbía, dejaba brillar sus ojos, sus encantos, exclusivamente atenta a su trabajo. Verdad es que si la pastelera no hubiera sido una mujer singularmente tonta (y yo lo sabía no sólo por su fama, sino por experiencia) aquel desinterés habría podido ser un refinamiento de habilidad. Y yo sé muy bien que hasta el ser más estúpido, si entra en juego su deseo o su interés, y sólo en este caso, puede adaptarse inmediatamente, en medio de la nulidad de su vida estúpida, al engranaje más complicado; pero hubiera sido una suposición demasiado sutil aplicada a una mujer tan boba como la pastelera. Esta bobería llegaba a un punto inverosímil de mala educación. Ni una sola vez miró a Albertina, a la que, sin embargo, no podía no ver. Esto era poco agradable para mi amiga, pero en el fondo yo estaba encantado de que Albertina recibiera aquella pequeña lección y viera que muchas veces las mujeres no le hacían caso. Salimos de la pastelería, subimos al coche y, ya camino de casa, lamenté de pronto haber olvidado llevar aparte a la pastelera y rogarle, por si acaso, que no dijera a la señora que se marchó cuando nosotros llegábamos mi nombre y mi dirección, que la pastelera debía de saber perfectamente porque le había hecho encargos muchas veces. Quería evitar que aquella señora pudiera enterarse indirectamente de la dirección de Albertina. Pero me pareció demasiado largo volver atrás por tan poca cosa, y además hubiera sido dar a aquello demasiada importancia ante la imbécil y mentirosa pastelera. Pero pensé que habría que volver a merendar allí la semana siguiente para hacerle esta advertencia, y que es un fastidio olvidar siempre la mitad de lo que tenemos que decir y hacer en varias veces las cosas más sencillas.
À ce propos, je ne peux pas dire combien, quand j′y pense, la vie d′Albertine était recouverte de désirs alternés, fugitifs, souvent contradictoires. Sans doute le mensonge la compliquait encore, car, ne se rappelant plus au juste nos conversations, quand elle m′avait dit : « Ah ! voilà une jolie fille et qui jouait bien au golf », et que, lui ayant demandé le nom de cette jeune fille, elle m′avait répondu de cet air détaché, universel, supérieur, qui a sans doute toujours des parties libres, car chaque menteur de cette catégorie l′emprunte chaque fois pour un instant dès qu′il ne veut pas répondre à une question, et il ne lui fait jamais défaut : No sé decir, cuando pienso en ello, hasta qué punto estaba su vida llena de deseos alternados, fugitivos, contradictorios a menudo. Claro es que la mentira complicaba más la cosa, pues, como no se acordaba exactamente de nuestras conversaciones, cuando me había dicho: «¡Ah!, era una muchacha muy linda y que jugaba bien al golf», y preguntándole yo el nombre de aquella muchacha, me había contestado con aquel aire displicente, universal, superior, que sin duda tiene siempre partes libres, pues cada mentiroso de esta categoría la toma cada vez por un instante cuando no quiere responder a una pregunta, y nunca le falla:
« Ah ! je ne sais pas (avec regret de ne pouvoir me renseigner), je n′ai jamais su son nom, je la voyais au golf, mais je ne savais pas comment elle s′appelait » ; — si, un mois après, je lui disais : « Albertine, tu sais cette jolie fille dont tu m′as parlé, qui jouait si bien au golf. — Ah ! oui, me répondait-elle sans réflexion, Émilie Daltier, je ne sais pas ce qu′elle est devenue. » Et le mensonge, comme une fortification de campagne, était reporté de la défense du nom, prise maintenant, sur les possibilités de la retrouver. « Ah ! je ne sais pas, je n′ai jamais su son adresse. Je ne vois personne qui pourrait vous dire cela. Oh ! non, Andrée ne l′a pas connue. Elle n′était pas de notre petite bande, aujourd′hui si divisée. » D′autres fois, le mensonge était comme un vilain aveu : « Ah ! si j′avais trois cent mille francs de renteÂ… » Elle se mordait les lèvres. « Hé bien, que ferais-tu ? — Je te demanderais, disait-elle en m′embrassant, la permission de rester chez toi. Où pourrais-je être plus heureuse ? » Mais, même en tenant compte des mensonges, il était incroyable à quel point de vue sa vie était successive, et fugitifs ses plus grands désirs. Elle était folle d′une personne, et au bout de trois jours n′eût pas voulu recevoir sa visite. Elle ne pouvait pas attendre une heure que je lui eusse fait acheter des toiles et des couleurs, car elle voulait se remettre à la peinture. Pendant deux jours elle s′impatientait, avait presque des larmes, vite séchées, d′enfants à qui on a ôté sa nourrice. Et cette instabilité de ses sentiments à l′égard des êtres, des choses, des occupations, des arts, des pays, était en vérité si universelle, que, si elle a aimé l′argent, ce que je ne crois pas, elle n′a pas pu l′aimer plus longtemps que le reste. Quand elle disait : « Ah ! si j′avais trois cent mille francs de rente ! » même si elle exprimait une pensée mauvaise mais bien peu durable, elle n′eût pu s′y rattacher plus longtemps qu′au désir d′aller aux Rochers, dont l′édition de Mme de Sévigné de ma grand′mère lui avait montré l′image, de retrouver une amie de golf, de monter en aéroplane, d′aller passer la Noël avec sa tante, ou de se remettre à la peinture. «¡Ah!, no sé -lamentando no poder informarme-, nunca supe su nombre, la veía en el golf, pero no sabía cómo se llamaba»; si, pasado un mes, le decía: «Albertina, aquella muchacha de que me hablaste, que jugaba tan bien al golf... "¡Ah!, sí -me contestaba sin pensar-. Emilia Daltier, no sé qué habrá sido de ella".» Y la mentira, como una fortificación de campaña, pasaba de la defensa del nombre, ahora tomado, a las posibilidades de encontrarla. «¡Ah!, no sé, nunca supe su dirección. No recuerdo a nadie que pueda dártela. ¡Oh!, no, Andrea no la ha conocido, no era de nuestro grupo, tan dividido ahora.» Otras veces la mentira era como una confesión fea: «¡Ah!, si yo tuviera trescientos mil francos de renta...» Se mordía los labios. «¿Qué harías entonces?» «Te pediría permiso -decía besándome- para quedarme en tu casa. ¿Dónde podría ser más feliz?» Pero aun teniendo en cuenta estas mentiras, era increíble lo sucesiva que era su vida, lo fugitivos que eran sus mayores deseos. Estaba loca por una persona y al cabo de tres días no quería recibir su visita. No podía esperar una hora a que yo le comprase lienzos y colores, pues quería volver a pintar. Se pasaba dos días impaciente, casi con lágrimas en los ojos, lágrimas que se secaban en seguida, como las de un niño a quien le quitan la nodriza. Y esta inestabilidad de sus sentimientos con los seres, las cosas, las ocupaciones, las artes, los países, era en verdad tan universal que si ha amado el dinero, lo que no creo, no ha podido amarlo más tiempo que lo demás. Cuando decía: « ¡Ah!, si yo tuviera trescientos mil francos de renta...», aunque expresara un pensamiento malo pero muy poco duradero, no podría abrigarlo más tiempo que el deseo de ir a Les Rochers, cuya imagen había visto en la edición de madame de Sévigné de mi abuela, o el de encontrar a una amiga de golf, de subir en aeroplano, de ir a pasar las navidades con su tía o de volver a pintar.
Nous revînmes très tard, dans une nuit où, çà et là, au bord du chemin, un pantalon rouge à côté d′un jupon révélaient des couples amoureux. Notre voiture passa la porte Maillot pour rentrer. Aux monuments de Paris s′était substitué, pur, linéaire, sans épaisseur, le dessin des monuments de Paris, comme on eût fait pour une ville détruite dont on eût voulu relever l′image. Mais, au bord de celle-ci, s′élevait avec une telle douceur la bordure bleu pâle sur laquelle elle se détachait que les yeux altérés cherchaient partout encore un peu de cette nuance délicieuse qui leur était trop avarement mesurée ; il y avait clair de lune. Albertine l′admira. Je n′osai lui dire que j′en aurais mieux joui si j′avais été seul ou à la recherche d′une inconnue. Je lui récitai des vers ou des phrases de prose sur le clair de lune, lui montrant comment d′argenté qu′il était autrefois, il était devenu bleu avec Chateaubriand, avec le Victor Hugo d′Eviradnus et de la Fête chez Thérèse, pour redevenir jaune et métallique avec Baudelaire et Leconte de Lisle. Puis lui rappelant l′image qui figure le croissant de la lune à la fin de Booz endormi, je lui récitai toute la pièce. Volvimos muy tarde, en una noche en que, acá y allá, un pantalón rojo junto a una falda al borde del camino revelaban parejas enamoradas. Nuestro coche entró por la puerta Maillot. Los monumentos de París habían sido sustituidos por el dibujo, puro, lineal, sin espesor, de los monumentos de París, como si fuera la imagen de una ciudad destruida; mas a la orilla de ésta se elevaba tan suave la orla azul pálido sobre la cual se destacaba que los ojos, sedientos, buscaban todavía por doquier un poco de aquel delicioso matiz que les era medido demasiado avaramente: hacía luna. Albertina la contempló admirada. No me atrevía a decirle que yo la gozaría mejor si estuviera solo o buscando a una desconocida. Le recité versos o frases de prosa sobre la luna, haciéndole ver cómo, de plateada que fuera en otro tiempo, se tornó azul con Chateaubriand, con el Victor Hugo de Eviradnus y de Fête chez Thérèse, para volver a ser amarilla y metálica con Baudelaire y Leconte de Lisle. Después, recordándole la estampa que representa la luna en creciente de Booz endormi, se lo recité entero.
Nous rentrâmes. Le beau temps, cette nuit-là, fit un bond en avant comme un thermomètre monte à la chaleur. Par les matins tôt levés de printemps qui suivirent, j′entendais les tramways cheminer, à travers les parfums, dans l′air auquel la chaleur se mélangeait de plus en plus jusqu′à ce qu′il arrivât à la solidification et à la densité de midi. Quand l′air onctueux avait achevé d′y vernir et d′y isoler l′odeur du lavabo, l′odeur de l′armoire, l′odeur du canapé, rien qu′à la netteté avec laquelle, verticales et debout, elles se tenaient en tranches juxtaposées et distinctes, dans un clair-obscur nacré qui ajoutait un glacé plus doux au reflet des rideaux et des fauteuils de satin bleu, je me voyais, non par un simple caprice de mon imagination, mais parce que c′était effectivement possible, suivant dans quelque quartier neuf de la banlieue, pareil à celui où à Balbec habitait Bloch, les rues aveuglées de soleil, et y trouvant non les fades boucheries et la blanche pierre de taille, mais la salle à manger de campagne où je pourrais arriver tout à l′heure, et les odeurs que j′y trouverais en arrivant, l′odeur du compotier de cerises et d′abricots, du cidre, du fromage de gruyère, tenues en suspens dans la lumineuse congélation de l′ombre qu′elles veinent délicatement comme l′intérieur d′une agate, tandis que les porte-couteaux en verre prismatique y irisent des arcs-en-ciel, ou piquent çà et là sur la toile cirée des ocellures de paon. Aquella noche el buen tiempo dio un salto hacia adelante, como sube un termómetro con el calor. En las tempranas madrugadas de primavera, oía desde la cama avanzar los tranvías, a través de los perfumes, en el aire, un aire que se iba calentando poco a poco hasta llegar ala solidificación y a la densidad del mediodía. Más fresco, en cambio, en mi cuarto, cuando el aire untuoso acababa de barnizar y de aislar el olor del lavabo, el olor del armario, el olor del canapé, sólo por la nitidez con que, verticales y en pie, se disponían en lonchas yuxtapuestas y distintas, en un claroscuro nacarado que daba un lustre más suave al reflejo de las cortinas y de las butacas de raso azul, me veía, y no por simple capricho de la imaginación, sino porque era efectivamente posible, siguiendo en cualquier barrio parecido a aquel donde vivía en Balbec las calles enceguecidas de sol, y veía no las aburridas carnicerías y la blanca piedra sillería, sino el comedor de campo a donde podría llegar en seguida, y los olores que encontraría al llegar, el olor del compotero de cerezas y de albaricoques, de la sidra, del queso de gruyere, suspensos en la luminosa congelación de la sombra que surca de venillas delicadas como el interior de un ágata, mientras que los portacuchillos de cristal la irisan de arco iris o salpican el hule de la mesa con ocelos de pluma de pavo real.
Comme un vent qui s′enfle avec une progression régulière, j′entendais avec joie une automobile sous la fenêtre. Je sentais son odeur de pétrole. Elle peut sembler regrettable aux délicats (qui sont toujours des matérialistes) et à qui elle gâte la campagne, et à certains penseurs (matérialistes à leur manière aussi), qui, croyant à l′importance du fait, s′imaginent que l′homme serait plus heureux, capable d′une poésie plus haute, si ses yeux étaient susceptibles de voir plus de couleurs, ses narines de connaître plus de parfums, travestissement philosophique de l′idée naîµ¥ de ceux qui croient que la vie était plus belle quand on portait, au lieu de l′habit noir, de somptueux costumes. Mais pour moi (de même qu′un arôme, déplaisant en soi peut-être, de naphtaline et de vétiver m′eût exalté en me rendant la pureté bleue de la mer, le jour de mon arrivée à Balbec), cette odeur de pétrole qui, avec la fumée s′échappant de la machine, s′était tant de fois évanouie dans le pâle azur, par ces jours brûlants où j′allais de Saint-Jean-de-la-Haise à Gourville, comme elle m′avait suivi dans mes promenades pendant ces après-midi d′été où Albertine était à peindre, faisait fleurir maintenant, de chaque côté de moi, bien que je fusse dans ma chambre obscure, les bleuets, les coquelicots et les trèfles incarnats, m′enivrait comme une odeur de campagne, non pas circonscrite et fixe, comme celle qui est apposée devant les aubépines et qui, retenue par ses éléments onctueux et denses, flotte avec une certaine stabilité devant la haie, mais comme une odeur devant quoi fuyaient les routes, changeait l′aspect du sol, accouraient les châteaux, pâlissait le ciel, se décuplaient les forces, une odeur qui était comme un symbole de bondissement et de puissance et qui renouvelait le désir que j′avais eu à Balbec de monter dans la cage de cristal et d′acier, mais cette fois pour aller non plus faire des visites dans des demeures familières, avec une femme que je connaissais trop, mais faire l′amour dans des lieux nouveaux avec une femme inconnue. Odeur qu′accompagnait à tout moment l′appel des trompes d′automobile qui passaient, sur lequel j′adaptais des paroles comme sur une sonnerie militaire : « Parisien, lève-toi, lève-toi, viens déjeuner à la campagne et faire du canot dans la rivière, à l′ombre sous les arbres, avec une belle fille ; lève-toi, lève-toi. » Et toutes ces rêveries m′étaient si agréables que je me félicitais de la « sévère loi » qui faisait que, tant que je n′aurais pas appelé, aucun « timide mortel », fût-ce Françoise, fût-ce Albertine, ne s′aviserait de venir me troubler « au fond de ce palais » où « une majesté terrible affecte à mes sujets de me rendre invisible ». Mais tout à coup le décor changea ; ce ne fut plus le souvenir d′anciennes impressions, mais d′un ancien désir, tout récemment réveillé encore par la robe bleu et or de Fortuny, qui étendit devant moi un autre printemps, un printemps non plus du tout feuillu mais subitement dépouillé, au contraire, de ses arbres et de ses fleurs par ce nom que je venais de me dire : Venise ; un printemps décanté, qui est réduit à son essence, et traduit l′allongement, l′échauffement, l′épanouissement graduel de ses jours par la fermentation progressive, non plus d′une terre impure, mais d′une eau vierge et bleue, printanière sans porter de corolles, et qui ne pourrait répondre au mois de mai que par des reflets, travaillée par lui, s′accordant exactement à lui dans la nudité rayonnante et fixe de son sombre saphir. Aussi bien, pas plus que les saisons à ses bras de mer infleurissables, les modernes années n′apportent de changement à la cité gothique ; je le savais, je ne pouvais l′imaginer, mais voilà ce que je voulais contempler, de ce même désir qui jadis, quand j′étais enfant, dans l′ardeur même du départ, avait brisé en moi la force de partir ; je voulais me trouver face à face avec mes imaginations vénitiennes ; voir comment cette mer divisée enserrait de ses méandres, comme les replis du fleuve Océan, une civilisation urbaine et raffinée, mais qui, isolée par leur ceinture azurée, s′était développée à part, avait eu à part ses écoles de peinture et d′architecture ; admirer ce jardin fabuleux de fruits et d′oiseaux de pierre de couleur, fleuri au milieu de la mer, qui venait le rafraîchir, frappait de son flux le fût des colonnes et, sur le puissant relief des chapiteaux, comme un regard de sombre azur qui veille dans l′ombre, posait par taches et fait remuer perpétuellement la lumière. Oui, il fallait partir, c′était le moment. Depuis qu′Albertine n′avait plus l′air d′être fâchée contre moi, sa possession ne me semblait plus un bien en échange duquel on est prêt à donner tous les autres. Car nous ne l′aurions fait que pour nous débarrasser d′un chagrin, d′une anxiété, qui étaient apaisés maintenant. Nous avons réussi à traverser le cerceau de toile, à travers lequel nous avons cru un moment que nous ne pourrions jamais passer. Nous avons éclairci l′orage, ramené la sérénité du sourire. Le mystère angoissant d′une haine sans cause connue, et peut-être sans fin, est dissipé. Dès lors nous nous retrouvons face à face avec le problème, momentanément écarté, d′un bonheur que nous savons impossible. Maintenant que la vie avec Albertine était redevenue possible, je sentais que je ne pourrais en tirer que des malheurs, puisqu′elle ne m′aimait pas ; mieux valait la quitter sur la douceur de son consentement, que je prolongerais par le souvenir. Oui, c′était le moment ; il fallait m′informer bien exactement de la date où Andrée allait quitter Paris, agir énergiquement auprès de Mme Bontemps de manière à être bien certain qu′à ce moment-là Albertine ne pourrait aller ni en Hollande, ni à Montjouvain. Oí con alegría, como un viento que se va inflando en progresión regular, un automóvil bajo la ventana. Sentí su olor a petróleo. Este olor puede parecer lamentable a los delicados (que son siempre materialistas y ese olor les menoscaba el campo) y a ciertos pensadores, también materialistas a su modo, que creyendo en la importancia del hecho se imaginan que el hombre sería más feliz, capaz de una poesía más alta, si sus ojos pudieran ver más colores, sus narices percibir más perfumes, versión filosófica de esa ingenua idea de quienes creen que la vida era más bella cuando, en lugar del frac negro, se llevaban unos trajes suntuosos. Mas, para mí (lo mismo que un aroma, quizá desagradable en sí mismo, de naftalina y de vetiver me exaltaría devolviéndome la pureza azul del mar al día siguiente de mi llegada a Balbec), aquel olor a petróleo que, con el humo que se escapaba de la máquina, tantas veces se había esfumado en el pálido azul aquellos días ardientes en que yo iba de Saint-Jean-de-laHaise a Gourville, como me había seguido en mis paseos de las tardes de verano mientras Albertina pintaba, ahora hacía florecer en torno mío, aunque estuviese en mi cuarto oscuro, los acianos, las amapolas y los tréboles encarnados, me embriagaba como un olor de campo, no un olor circunscrito y fijo, como el que queda detenido ante los majuelos y, retenido por sus elementos untuosos y densos, flota con cierta estabilidad ante el seto, sino un olor ante el cual huían los caminos, cambiaba el aspecto del suelo, acudían los castillos, palidecía el cielo, se decuplicaban las fuerzas, un olor que era como un símbolo de impulso y de poder y que renovaba el deseo que tuve en Balbec de subir en la jaula de cristal y de acero, pero esta vez para ir, no a hacer visitas a casas familiares con una mujer que conocía demasiado, sino a hacer el amor en lugares nuevos con una mujer desconocida, olor que acompañaba en todo momento a la llamada de las bocinas de automóviles que pasaban, a la que yo adaptaba una letra como a un toque militar: «Parisiense, levántate, levántate, ven a comer al campo y a pasear en barca por el río, a la sombra de los árboles, con una muchacha bonita; levántate, levántate». Y todos estos pensamientos me eran tan agradables que me felicitaba de la «severa ley» en virtud de la cual, mientras yo no llamara a ningún «tímido mortal», así fuese Francisca, así fuese Albertina, se le ocurriría venir a molestarme «en el fondo de aquel palacio» donde une majesté terrible Affecte à mes sujets de me rendre invisible. Pero de pronto cambió la decoración; ya no fue el recuerdo de antiguas impresiones, sino de un antiguo deseo, muy recientemente despertado por el vestido azul y oro de Fortuny, lo que exhibió ante mí otra primavera, una primavera sin ningún follaje, sino, al contrario, súbitamente despojada de sus árboles y de sus flores por aquel nombre que acababa de decirme: Venecia; una primavera decantada, reducida a su esencia y que traduce la prolongación, el calentamiento, la expansión gradual de sus días en la fermentación progresiva no de una tierra impura, sino de un agua virgen y azul, primaveral sin corolas y que sólo podría responder al mes de mayo con reflejos, un agua moldeada por él, adaptada exactamente a él en la desnudez radiante y fija de su oscuro zafiro. Ni los nuevos tiempos pueden cambiar la ciudad gótica, ni las estaciones florecer sus brazos de mar. Yo lo sabía, no podía imaginarla, o, imaginándola, lo que quería, con el mismo deseo que en otro tiempo, cuando niño, el ardor mismo de la partida rompió en mí la fuerza de partir; lo que quería era encontrarme frente a frente con mis imaginaciones venecianas, ver cómo aquel mar dividido encerraba entre sus meandros, como repliegues del mar océano, una civilización urbana y refinada, pero que, aislada por su cinturón azul, se había desarrollado aparte, había creado aparte sus escuelas de pintura y arquitectura, fabuloso jardín de frutas y de pájaros de piedra de color florecido en medio del mar que venía a refrescarle, que besaba con sus olas el fuste de las columnas y en el poderoso relieve de los capiteles pone a manchas la luz perpetuamente móvil, como unos ojos de un azul oscuro que velan en la sombra. Sí, había que partir, era el momento. Desde que Albertina no parecía ya enfadada conmigo, su posesión no era para mí un bien por el que estamos dispuestos a dar todos los demás (quizá porque lo habríamos hecho para liberarnos de una preocupación, de una ansiedad que ahora ya se calmó). Hemos logrado atravesar el cerco de lienzo que por un momento creímos infranqueable. Hemos superado la tormenta, recobrado la serenidad de la sonrisa. Se ha aclarado el misterio angustioso de un odio sin causa conocida y quizá sin término. Nos encontramos frente a frente con el problema, momentáneamente alejado, de una felicidad que sabemos imposible. Ahora que la vida con Albertina volvía a ser posible, me daba cuenta de que de esta vida sólo desdichas podrían venirme, puesto que Albertina no me amaba; más valía dejarla en el dulce sentir de su consentimiento, que yo prolongaría en el recuerdo. Sí, era el momento; tenía que enterarme exactamente de la fecha en que Andrea se iba a ir de París, actuar enérgicamente con madame Bontemps para estar bien seguro de que en aquel momento Albertina no podría ir a Holanda ni a Montjouvain;
Il arriverait, si nous savions mieux analyser nos amours, de voir que souvent les femmes ne nous plaisent qu′à cause du contrepoids d′hommes à qui nous avons à les disputer, bien que nous souffrions jusqu′à mourir d′avoir à les leur disputer ; le contrepoids supprimé, le charme de la femme tombe. On en a un exemple douloureux et préventif dans cette prédilection des hommes pour les femmes qui, avant de les connaître, ont commis des fautes, pour ces femmes qu′ils sentent enlisées dans le danger et qu′il leur faut, pendant toute la durée de leur amour, reconquérir ; un exemple postérieur au contraire, et nullement dramatique celui-là, dans l′homme qui, sentant s′affaiblir son goût pour la femme qu′il aime, applique spontanément les règles qu′il a dégagées, et pour être sûr qu′il ne cesse pas d′aimer la femme, la met dans un milieu dangereux où il lui faut la protéger chaque jour. (Le contraire des hommes qui exigent qu′une femme renonce au théâtre, bien que, d′ailleurs, ce soit parce qu′elle avait été au théâtre qu′ils l′ont aimée.) Â…
Quand ainsi le départ d′Albertine n′aurait plus d′inconvénients, il faudrait choisir un jour de beau temps comme celui-ci — il allait y en avoir beaucoup — où elle me serait indifférente, où je serais tenté de mille désirs ; il faudrait la laisser sortir sans la voir, puis me levant, me préparant vite, lui laisser un mot, en profitant de ce que, comme elle ne pourrait à cette époque aller en nul lieu qui m′agitât, je pourrais réussir, en voyage, à ne pas me représenter les actions mauvaises qu′elle pourrait faire — et qui me semblaient en ce moment bien indifférentes, du reste — et, sans l′avoir revue, partir pour Venise. y así evitados los posibles inconvenientes de aquella partida, elegir un día de buen tiempo como éste -habría muchos- en que Albertina me fuera indiferente, en que me tentaran mil deseos; tendría que dejarla salir sin verla y después levantarme, arreglarme de prisa, dejarle unas letras, aprovechando que, como en aquel momento no podía ella ir a ningún sitio que me perturbara, me sería posible conseguir, en el viaje, no imaginar las cosas malas que ella podría estar haciendo -y que, por lo demás, en aquel momento me parecían indiferentes-, y, sin haberla visto, salir para Venecia.
Je sonnai Françoise pour lui demander de m′acheter un guide et un indicateur, comme j′avais fait enfant, quand j′avais voulu déjà préparer un voyage à Venise, réalisation d′un désir aussi violent que celui que j′avais en ce moment ; j′oubliais que, depuis, il en était un que j′avais atteint, sans aucun plaisir, le désir de Balbec, et que Venise, étant aussi un phénomène visible, ne pourrait probablement, pas plus que Balbec, réaliser un rêve ineffable, celui du temps gothique, actualisé d′une mer printanière, et qui venait d′instant en instant frôler mon esprit d′une image enchantée, caressante, insaisissable, mystérieuse et confuse. Françoise, ayant entendu mon coup de sonnette, entra, assez inquiète de la façon dont je prendrais ses paroles et sa conduite. « J′étais bien ennuyée, me dit-elle, que Monsieur sonne si tard aujourd′hui. Je ne savais pas ce que je devais faire. Ce matin, à huit heures, Mlle Albertine m′a demandé ses malles, j′osais pas y refuser, j′avais peur que Monsieur me dispute si je venais l′éveiller. J′ai eu beau la catéchismer, lui dire d′attendre une heure parce que je pensais toujours que Monsieur allait sonner ; elle n′a pas voulu, elle m′a laissé cette lettre pour Monsieur, et à neuf heures elle est partie. » Alors — tant on peut ignorer ce qu′on a en soi, puisque j′étais persuadé de mon indifférence pour Albertine — mon souffle fut coupé, je tins mon cœur de mes deux mains, brusquement mouillées par une certaine sueur que je n′avais jamais connue depuis la révélation que mon amie m′avait faite dans le petit tram relativement à l′amie de Mlle Vinteuil, sans que je pusse dire autre chose que : « Ah ! très bien, vous avez bien fait naturellement de ne pas m′éveiller, laissez-moi un instant, je vais vous sonner tout à l′heure. » Toqué el timbre para pedir a Francisca que me comprara una guía y un plano, como cuando de niño quise también preparar un viaje a Venecia, realización de un deseo tan violento como el que ahora sentía; olvidaba que desde entonces había realizado otro, y sin ningún placer: el deseo de Balbec, y que Venecia, otro fenómeno visible, probablemente no podría, como no pudo Balbec, realizar un sueño inefable, el del tiempo gótico, actualizado con un mar primaveral y que venía de cuando en cuando a acariciar mi espíritu con una imagen encantada, dulce, inasible, misteriosa y confusa. Acudió Francisca a mi llamada. -Me apuraba que el señor tardara tanto en llamar -me dijo-. No sabía qué hacer. Esta mañana a las ocho, mademoiselle Albertina me pidió sus baúles, no me atrevía a negárselos y tenía miedo de que el señor me riñera si venía a despertarle. Por más que la quise convencer, por más que le dije que esperara una hora, porque yo pensaba que el señor iba a llamar de un momento a otro, ella no quiso, me dejó esta carta para el señor y a las nueve se fue. Entonces -hasta tal punto podemos ignorar lo que tenemos en nosotros, pues yo estaba convencido de mi indiferencia por Albertina- se me cortó el aliento, me sujeté el corazón con las dos manos, mojadas de repente de un sudor especial que yo no había tenido desde la revelación que mi amiga me hizo en el trenecillo de Balbec sobre la amiga de mademoiselle Vinteuil, y no pude decir más que: -¡Ah!, muy bien, Francisca, gracias, claro que hizo muy bien en no despertarme, déjeme un momento, luego la llamaré.